L`Etat vu par les historiens. Lecture croisée franco

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rEr‐réseauEtatrecomposé
L’Etatvuparleshistoriens.Lecturecroiséefrancoaméricaine.
SarahGensburger
Workingpapern°1
ProjettransversalrErsurlesrecompositionsde
l’Etatcontemporain
Décembre2009
EnFrancecommeauxEtatsUnis,l’intérêtdeshistorienspourl’Etatestrelativementrécent.Il
datedelafindesannées80.S’ilprendparfoislaformed’unehistoiredel’Etattermeque
j’emploieraiparcommoditéparlasuite‐,ilsemanifesteplusexactementparlapriseen
comptedel’Etatdansdestravauxhistoriens.L’émergencedecesrecherchesentretientdans
lesdeuxcasunrapportdifférenciéàlasciencepolitiqueetnotammentàl’institutionnalisme
historique.Unebrèveprésentationdelagenèsedecesouschampfournitainsideséléments
deréflexionsurlapriseencomptedupassédansl’analysedesrecompositions
contemporainesdel’Etat(I).
Bienquediverse,l’histoiredel’Etatcompteunegrandelignedeconvergencequiconduit
aujourd’huiàdespropositionsdereformulationdel’objet.Elleinviteàdépasserl’approche
unidimensionnelledel’Etat,leplussouventexpriméeentermesdeplus/moinsoude
fort/faible(II).Cetterévisiond’unedesgrandescatégorisationsdel’histoirepolitiqueconduità
troisnouvellesvoiesd’analyse:respectivementuneapprocheorganisationnelle,uneapproche
relationnelleetunepriseencomptedel’Etatàtraverslescatégoriesàlafoiscognitiveset
socialesqu’ilaconstruites(III).
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L’Etat:objetd’histoire
En1989,encore,PierreRosanvallondresseleconstatque:«Letrèspetitnombredestravaux
consacrésàl’histoiredel’Etatfrançaiscontrastesingulièrementaveclavigueurdesjugements
quis’exprimentàsonpropos.D’oùledécalage:L’Etatcommeproblèmepolitique,oucomme
phénomènebureaucratique,estaucœurdespassionspartisanesetdesbatsphilosophiques
toutenrestantunesortedenonobjethistorique»(Rosanvallon,1990[1989]:9).Apeine
troisansplustôt,OutreAtlantique,WilliamLeuchtenburg,historiendupolitiqueetalors
présidentdel’OrganizationofAmericanHistorians,considèredemêmequel’histoiredel’Etat
américainconstitueunnouveaudomaine,«thenewfrontier»,àexplorerpoursadiscipline
(Leuchtenburg,1986:589)1.Lesdeuxauteurss’accordentsurunepremièrecausecommune
decelongdésintérêthistorienpourl’Etat:laprédominanced’unehistoiresociale
quantitativisteinscritesurlalonguedurée,héritéedel’écoledesAnnales2.
Danslecasfrançais,le«tournantcritique»del’écoledesAnnalesaeffectivementjouéun
rôlemoteurdansledéveloppementd’uneapprochehistoriennedel’Etat(Annales.ESC,
1988)3.Le«retourauxacteurs»(Boucheron,1998)quecetteruptureaentraîaconduità
redécouvrirl’Etatetasimultanémentstructurélesmodalitésdecetteredécouverte.Ilnes’est
pasagides’intéresserdirectementauxinstitutionsouauxfonctionsdel’Etatmaisàceuxquile
font,àses«acteurs»,queceuxcisesituentàl’intérieurdelasphèreétatiqueouàl’extérieur.
Cetteorigineexpliquepourpartielanaturedestravauxquiserontprésentésdanslasuitede
cettenote.Elleajouéunrôleencoreplusnetdanslecasaméricainl’histoiredel’Etata
d’abord,etpendantlongtemps,prislaformed’unehistoiresocialed’acteursquirencontrent
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1 Une évolution comparable se retrouve en Allemagne même si elle prend d’autres formes. L’Etat cesse alors d’être
une donnée et un des facteurs pris en compte dans l’histoire sociale mais l’objet même de l’interrogation des
historiens qui le considèrent alors comme « une entité, une structure historiquement variable d’organisation et
d’institutions » dont il s’agit d’étudier le fonctionnement social (Gosewinkel, 2006). En comparaison, il semble que
les histoires politiques italienne et britannique fassent peu de place à l’Etat en tant que tel (Pasqualino, 2009 ;
Readman, 2009). Les travaux de G. Meilis sur l’histoire de l’administration italienne font à cet égard figure
d’exception (Melis, 1996). L’« Etat » est par contre au cœur des travaux de micro-histoire.
2 Cette cause est explicitée par la plupart des auteurs qui ont écrit sur la question depuis (Par exemple, Chatriot,
2006 ; Balogh, 2003 ; Guery, 1997 ; Boucheron, 1998 ; Revel, 1995).
3 Il ne s’agit pas ici de prétendre que les historiens, et notamment les modernistes, ne se sont pas intéressés à l’Etat
auparavant (sur ce point voir, Guenée, 1971 et Genet, 1995 : 10) mais de tenter de retracer à grand trait et les
principales étapes qui ont conduit plusieurs chercheurs à se revendiquer comme travaillant d’une manière ou d’une
autre sur l’Etat.
3
l’Etatquecesoitpoursubirsacontrainteoupourtenterdes’enaffranchir.L’Etatn’étaitpas
alorsl’objetpropredel’analyse.Commel’aclairementrésuméBrianBaloghquiest
aujourd’huil’undesprincipauxhistoriensaméricainsdel’Etat‐dansunpremiertemps,
«socialandculturalhistoriansfollowedtheirstoriesinsideCityHall[and]statehouses»
(Balogh,2003:458).
Cepremiergroupedetravauxsurl’actioncollectiveconcernenotammentlegenre(Gordon,
1994),l’ethnicitéetlacitoyenneté,laconquêtedel’Ouest(White,1991)ouencoreles
questionsenvironnementales(Hays,1987).
L’historiographiefrançaise
EnFrancecommeauxEtatsUnis,c’estfinalementlaquestiondurapportentrerechercheet
politiquequiapermis,dansunsecondtemps,uneformed’institutionnalisationd’undomaine
proprepourl’histoiredel’Etat.Dansl’Hexagone,lacréationdecomitésd’histoirepardes
ministèresapeuàpeufavorisélaconstitutiond’unchampderecherche.SileComité
d’histoiredelaSécuritéSocialeestcréédès1972,lafindesannées80voitlamultiplicationde
cetypedestructures,porteusesdefinancementetd’incitationspourleshistoriens.En1986,
parexemple,leMinistèredel’Economie,desFinancesetduBudgetcréeleComitéd’histoire
économiqueetfinancièrequijoueraunrôlemoteurdansledéveloppementdeplusieursdes
recherchesdétailléesplusbas.Alamêmeépoque,desfinancementsduCNRSetdela
FondationEuropéennepourlaScienceauprofitd’unprogrammeeuropéend’enverguresurla
«Genèsedel’Etatmoderne»permettentundeuxièmeaxed’institutionnalisationpourles
historiensintéressésparl’Etat.Tandisquelespremierssontplutôtdeshistoriensdu
contemporain,lessecondsrelèventd’aborddel’histoiremédiévale,spécialisationqui,en
France,estpionnièredansledéveloppementderecherchescollectivessurl’histoiredel’Etat
(Schaub,1996).Peutêtredufaitdecettecésureentrehistoriensauxpériodesde
spécialisationdifférentesetmalgréuncertainnombredetravauxhistoriographiquesqui
tententdethéoriserl’histoiredel’Etataujourd’hui(Chatriot,2006;Friedenson,2003;
Quennouëlle,2002),cettedernièreresteéclatéeetn’apasconnudeprocessus
d’institutionnalisationintégrée.Iln’existe,parexemple,pasderevuespécialiséedansl’histoire
del’Etatoumêmedansl’histoiredespolitiquesdeceluici.Cetétatdefaitpeutêtremisen
perspectiveaveclarelativementfaibleetsurtoutrécentecoopérationdecettehistoireavecla
sciencepolitiquequis’intéresseàl’Etatetnotammentaveclasociohistoireaveclaquelleils
4
ontfinalementpeuderéelspointsd’échange(Pourdesexceptions,Quennouëlle,2002)4.Acet
égard,lestravauxlesplusrécentsproduitspardejeunesdocteursmarquentunerupture.Ce
nesontpasalorsl’analysepolitistedel’Etatproprementditemaisl’analysedespolitiques
publiquesquiestmobilisée.Celleciestcenséeaideràrenouvelerl’approchehistoriennede
l’Etat(Capuano,2009;Delalande,2009)5.
L’historiographieaméricaine
L’évolutionaméricaineestàcetégardinversée6.Lepremiermouvementeutlieudansles
années70pourpartiecommelarésultantedelapénuried’emploisacadémiquesoffertsaux
historiens.LePublicHistoryMovementaboutitàlacréationd’uneassociationprofessionnelle
etd’unerevue,ThePublicHistorian.Danscettepremièrepériode,destinéeauxdécideurs,
cetteapprochen’apasvraimentd’impactsurlaproductionacadémique.Acetégard,latenue
d’uneimportanteconférencepluridisciplinaireàlaHarvardUniveristyBusinessSchoolen
novembre1978marqueuntournant.OrganiséeparThomasMcCrawetMortonKeller,elle
tentedesusciterdestravauxetplaceaucœurdeceuxcilaquestiondelarelationentrepri
etpublic(Zelizer,2000).En1987,unenouvellerevue,TheJournalofPolicyHistory,estcréée.
SilaPolicyhistorynetraitepasuniquementdel’Etat,laquestiondelanature,du
fonctionnementetdesrecompositionsdeceluiciytientuneplacecroissante.Elleva
progressivementacquérirunevéritablelégitimitéets’institutionnaliserdanslepaysage
académique.
Sileshistoriensenontdonnél’impulsion,cetétatdefaitdoitcependantêtred’abordrapporté
aurôlestructurantqu’ajouéledéveloppementparallèleetinfinimentpluspuissantde
l’institutionnalismehistoriqueaméricain7.CommelerésumeJulianeZelizer,historien
américainresponsableduJournalofPolicyHistory:«Giventhestateofpoliticswithinthe
historyprofession,someofthemostprominentpoliticalhistoriansbythe1990stendedtobe
politicalscientists»(Zelizer,2004:128).Si,àl’imagedelapartrespectiveentreétudesde
sourcesprimairesetvolontédethéorisation,plusieursaspectsdistinguentlesapproches
historiennesetcellesdel’institutionnalismehistoriqueoupluslargementde
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4 Comme le montre d’ailleurs de manière exemplaire la table des matières de Marc-Olivier Baruch et Vincent
Duclert, Serviteurs de l’Etat (2000).
5 Pour une réflexion écrite du point de vue de la science politique sur le lien entre étude des « Welfare policies » et
des « Welfare States », la lecture de l’article de Margitta Mätzke est stimulante (Mätzke, 2009).
6 Pour une histoire détaillée du développement de ce sous-champ (Zelizer, 2000 ; Graham, 1993).
7 Sur ce point voir la discussion organisée à l’occasion des cinquante ans après la parution de Building a New
American State (Balogh et al., 2003).
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