L’Etat:objetd’histoire
En1989,encore,PierreRosanvallondresseleconstatque:«Letrèspetitnombredestravaux
consacrésàl’histoiredel’Etatfrançaiscontrastesingulièrementaveclavigueurdesjugements
quis’exprimentàsonpropos.D’oùledécalage:L’Etatcommeproblèmepolitique,oucomme
phénomènebureaucratique,estaucœurdespassionspartisanesetdesdébatsphilosophiques
toutenrestantunesortedenon‐objethistorique»(Rosanvallon,1990[1989]:9).Apeine
troisansplustôt,Outre‐Atlantique,WilliamLeuchtenburg,historiendupolitiqueetalors
présidentdel’OrganizationofAmericanHistorians,considèredemêmequel’histoiredel’Etat
américainconstitueunnouveaudomaine,«thenewfrontier»,àexplorerpoursadiscipline
(Leuchtenburg,1986:589)1.Lesdeuxauteurss’accordentsurunepremièrecausecommune
decelongdésintérêthistorienpourl’Etat:laprédominanced’unehistoiresociale
quantitativisteinscritesurlalonguedurée,héritéedel’écoledesAnnales2.
Danslecasfrançais,le«tournantcritique»del’écoledesAnnalesaeffectivementjouéun
rôlemoteurdansledéveloppementd’uneapprochehistoriennedel’Etat(Annales.ESC,
1988)3.Le«retourauxacteurs»(Boucheron,1998)quecetteruptureaentraînéaconduità
redécouvrirl’Etatetasimultanémentstructurélesmodalitésdecetteredécouverte.Ilnes’est
pasagides’intéresserdirectementauxinstitutionsouauxfonctionsdel’Etatmaisàceuxquile
font,àses«acteurs»,queceux‐cisesituentàl’intérieurdelasphèreétatiqueouàl’extérieur.
Cetteorigineexpliquepourpartielanaturedestravauxquiserontprésentésdanslasuitede
cettenote.Elleajouéunrôleencoreplusnetdanslecasaméricainoùl’histoiredel’Etata
d’abord,etpendantlongtemps,prislaformed’unehistoiresocialed’acteursquirencontrent
1 Une évolution comparable se retrouve en Allemagne même si elle prend d’autres formes. L’Etat cesse alors d’être
une donnée et un des facteurs pris en compte dans l’histoire sociale mais l’objet même de l’interrogation des
historiens qui le considèrent alors comme « une entité, une structure historiquement variable d’organisation et
d’institutions » dont il s’agit d’étudier le fonctionnement social (Gosewinkel, 2006). En comparaison, il semble que
les histoires politiques italienne et britannique fassent peu de place à l’Etat en tant que tel (Pasqualino, 2009 ;
Readman, 2009). Les travaux de G. Meilis sur l’histoire de l’administration italienne font à cet égard figure
d’exception (Melis, 1996). L’« Etat » est par contre au cœur des travaux de micro-histoire.
2 Cette cause est explicitée par la plupart des auteurs qui ont écrit sur la question depuis (Par exemple, Chatriot,
2006 ; Balogh, 2003 ; Guery, 1997 ; Boucheron, 1998 ; Revel, 1995).
3 Il ne s’agit pas ici de prétendre que les historiens, et notamment les modernistes, ne se sont pas intéressés à l’Etat
auparavant (sur ce point voir, Guenée, 1971 et Genet, 1995 : 10) mais de tenter de retracer à grand trait et les
principales étapes qui ont conduit plusieurs chercheurs à se revendiquer comme travaillant d’une manière ou d’une
autre sur l’Etat.
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