POLICY OPTIONS
DECEMBER 2010-JANUARY 2011 35
La colère populaire
consécutives. Et quand on compte
l’élection de 1998, au terme de laquelle
les libéraux ont obtenu plus de votes
que les péquistes, Jean Charest bat
presque tous les records.
Ce déclin presque inexorable du
crédit politique a des conséquences.
Depuis trois ans, les libéraux peinent
avec plusieurs dossiers qui sont devenus
des symboles d’immobilisme : celui du
centre hospitalier de l’Université de
Montréal est le plus connu, mais les
innombrables blocages dans le projet de
la rénovation urbaine de Montréal en ce
qui a trait à l’échangeur Turcot ou à la
rue Notre-Dame sont également des
indicateurs de la difficulté du gouverne-
ment libéral à exercer un leadership
auprès des autres acteurs sociaux. Dans
le domaine des finances publiques, mal-
gré des engagements fermes en 2003, le
gouvernement demeure incapable de
contrôler suffisamment les dépenses.
Quant au redécoupage de la carte élec-
torale, celui-ci se trouve sur la même
voie de garage que la réforme du scrutin
pourtant promise par les
libéraux.
Plus paradoxalement,
quand le capital d’un gou-
vernement s’épuise, ses bons
coups ne génèrent aucun
gain, et la spirale des causes
et des conséquences tourne à
son désavantage. Par exemple, la
dernière ronde de négociations des con-
ventions collectives dans le secteur pu-
blic s’est déroulée promptement, avec
un minimum de turbulences. Quelques
spécialistes ont même reconnu l’audace
et la créativité de certaines clauses sala-
riales. Concrètement, ces efforts n’ont
pourtant rien apporté au capital poli-
tique des libéraux. Plus frappant
encore : comparé à toutes les provinces
canadiennes, le Québec a été une de
celles qui ont été le moins affectées par
la récession. Les libéraux ont-ils été
applaudis pour cette performance et
l’effet quasi prémonitoire de certaines
politiques, notamment dans le
domaine des infrastructures ? Fort peu.
Même débalancement en matière d’en-
vironnement : la mauvaise gestion du
dossier des gaz de schiste a occulté tous
leurs bons coups antérieurs, souvent
reconnus par les écologistes les plus
réputés.
Au total, peu nombreuses sont
les politiques publiques mises en
place par les libéraux qui ont été
créditées à l’équipe de Jean Charest.
Si elles le furent, elles sont aujour-
d’hui oubliées, de telle sorte qu’elles
ne peuvent aider à renverser la vague
de fond qui déferle contre les
libéraux. Ce sont les ratés qui ont fait
les manchettes et qui continuent
d’ouvrir les journaux télévisés.
Cette situation est d’autant plus frap-
pante qu’au cours de la dernière
année, les adversaires n’ont pas brillé.
Après la démission de Mario Dumont le
soir de l’élection de décembre 2008, les
adéquistes ont eu du mal à tenir une
course à la direction à l’automne suivant.
Et le nouveau chef a dû démissionner
dans un contexte trouble d’allégations
multiples. Son successeur, Gérard Deltell,
a certes réussi à resserrer les rangs et à
s’imposer sur la place publique, mais
plusieurs n’ont pas hésité à reconnaître
qu’il « partait de loin » !
Quant au Parti québécois, il est
indéniablement premier dans les
sondages depuis plus d’un an. Et lors
d’une élection générale, il l’em-
porterait d’ailleurs aisément. Mais le
sable est très mouvant pour le PQ :
1) la souveraineté du Québec n’a pas le
vent dans les voiles, bien au contraire ;
2) le leadership de Pauline Marois est
régulièrement contesté par des dissi-
dents, et elle doit subir un vote de con-
fiance en avril 2011 ; 3) d’anciennes
personnalités du PQ comme François
Legault envisagent de fonder un nou-
veau parti qui mettrait la souveraineté
de côté ; les sondages placent du reste
cette hypothétique formation au pre-
mier rang dans les intentions de vote,
faisant bien plus de mal aux péquistes
qu’aux libéraux.
En somme, les libéraux ne sont
peut-être pas encore morts. La carrière
politique de Jean Charest est faite de
rebondissements. À plus d’une reprise,
il a su revenir du purgatoire, parfois de
l’enfer, et briller à nouveau pour être
premier au bon moment. Est-ce pos-
sible encore cette fois-ci ? Difficile de le
croire, même si la colère, notamment
celle des pétitionnaires, peut évidem-
ment se résorber ! Par ailleurs, les
libéraux pourraient provoquer un
virage en leur sein en lançant une
course à la direction. Certaines figures
salvatrices, venant de l’extérieur de la
scène politique, voudront cependant
attendre, croyant que la défaite est
inévitable et qu’un « chef transi-
tionnel » doit avaler la défaite.
La difficulté à scénariser la suite
s’explique par l’incroyable volatilité de
l’opinion publique québécoise. Celle-
ci, depuis au moins cinq ans, est
sujette à des changements d’al-
légeance. C’est généralement le signe
que le système politique est traversé
par un réalignement et qu’il cherche
un nouvel équilibre autour d’enjeux
pressants pour l’avenir. Ainsi, le débat
constitutionnel qui a longtemps struc-
turé la compétition des partis et orga-
nisé les clivages de l’opinion publique
semble être sérieusement concurrencé
par le débat plus habituel des sociétés
occidentales, soit celui opposant la
droite et la gauche. Si tel était le cas, le
Québec se « normaliserait » à travers ce
processus. Entre-temps, dans cette
« drôle » d’époque, il n’est pas éton-
nant que les uns et les autres se promè-
nent comme des poules étêtées.
Jean-Herman Guay est professeur titu-
laire à l’École de politique appliquée de
l’Université de Sherbrooke.
On oublie que Jean Charest dirige les libéraux depuis le
30 avril 1998, soit depuis plus de 12 ans. Or ni Robert
Bourassa ni Jean Lesage n’ont été aussi longtemps à la tête du
PLQ sans interruption. Ni Georges-Émile Lapalme ni même
Adélard Godbout n’ont atteint une telle longévité.