De la pensée au langage, communiquer avec des mots (2) L’énigme de Kaspar Hauser, « l’orphelin de l’Europe » Kaspar Hauser apparaît le 26 mai 1828 dans une rue de Nuremberg, épuisé, titubant, gesticulant et grognant de façon incompréhensible. Il tient à la main une lettre adressée au capitaine Wessnich, commandant d’un régiment de chevauxlégers. La lettre précise que le père de Kaspar aurait appartenu à ce régiment et un autre billet, joint à la lettre, le déclare né le 30 avril 1812. Les seuls mots qu'il est capable de prononcer sont : «cavalier veux comme père été». Il sait aussi écrire son nom : «Kaspar Hauser». Il parvient peu à peu à assimiler un vocabulaire suffisant pour raconter son histoire : vivant dans un réduit sombre, il dormait sur la terre battue ou la paille sans jamais voir personne ; les derniers temps, il avait reçu la visite d'un homme vêtu de noir qui lui avait appris à marcher et à écrire son nom. Surnommé « l'orphelin de l'Europe » par la presse internationale, Kaspar est hébergé chez un professeur et apprend très rapidement à lire et à écrire. Les analyses génétiques à partir des cheveux de Kaspar auraient démontré qu’il était un prince de la Maison grand-ducale de Bade. Les archives indiquent que, le 29 septembre 1812, la princesse Stéphanie de Beauharnais, nièce de l'impératrice Joséphine et épouse de Charles de Bade, met au monde un fils qui meurt brutalement 15 jours plus tard. Stéphanie n'est même pas autorisée à voir le cadavre de son enfant. Manque toutefois la confirmation. La Maison princière de Bade s‘est toujours refusée à laisser analyser les os du fils de Charles et Stéphanie de Bade. « Hic occultus occulto occisus est » Ici, un inconnu fut assassiné par un inconnu De la pensée au langage Que se passe-t-il au sein des aires du langage? De la pensée au langage Serendipity: les neurones miroirs Giacomo Rizzolatti Leonardo Fogassi Vittorio Gallese Au début des années 1990, une équipe italienne (Parme) a identifié chez le singe un groupe de neurones du cortex frontal qui s’active quand le singe exécute une action particulière avec la main ou la bouche. Ces neurones, situés dans une région motrice du cerveau, s’activent également lorsque le singe ne fait que regarder l’un de ses congénères exécuter la même action ! D’où le nom de neurones miroirs qui leur a été attribué. De la pensée au langage L’expérience princeps Umilta et al, Neuron, 2001 Les neurones miroirs désignent une certaine catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité à la fois lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action et lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter une même action, d'où le terme miroir. La particularité de ces neurones tient au fait qu'ils déchargent des potentiels d'action pendant que l'individu exécute un mouvement (c'est le cas pour la plupart des neurones du cortex moteur et prémoteur) mais aussi lorsqu'il est immobile et voit (ou même entend) une action similaire, ou qu'il pense qu'elle va être effectuée par autrui. De la pensée au langage Faire ou voir, une même activation? Le cortex prémoteur, situé en avant du cortex moteur dans les lobes frontaux, recrute certains neurones qui vont faire se contracter certains groupes de muscles de notre corps en vue de produire une action. On sait maintenant que les neurones miroirs de cette aire prémotrice, qui s’activent pour préparer une action donnée, vont également s’activer à la simple vue de cette action exécutée par quelqu’un d’autre. De la pensée au langage Les neurones de l’imitation Lorsqu’un bébé voit ses parents tirer la langue, ses neurones miroirs qui correspondent à ce mouvement sont activés, ce qui constitue un effet d’amorçage suffisant pour que les mêmes neurones soient activés plus facilement l’instant d’après. Ceux-ci vont ensuite activer à leur tour des neurones spécifiques du cortex moteur primaire qui vont déclencher concrètement l’étirement de la langue chez le bébé. De la pensée au langage Agir ou imiter, une même activation? Sachant que 1) les neurones miroirs déchargent plus lors de l’exécution que de l’observation d’une action et 2) durant l’imitation, nous observons et nous agissons, il peut être prédit que les neurones miroirs humains doivent montrer une plus grande activité durant l’exécution ainsi que durant l’imitation. L’expérience: une étude d’IRM fonctionnelle basée sur les mouvements de doigts. Les sujets observent ou imitent le levée de l’index ou du majeur. Dans les conditions de vision seule, ils observent 1) une croix apparaissant sur l’index ou le majeur d’une main statique ou 2) un point dans un rectangle gris. Dans les conditions de contrôle moteur, les sujets lèvent l’index ou le majeur en réponse à l’apparition de la croix. Résultat: L’aire de Broadmann 44 dans le cortex frontal inférieur et la partie rostrale du cortex pariétal postérieur sont les zones les plus activées. Une activation plus forte est observée durant l’imitation. De la pensée au langage Des neurones pour comprendre autrui? La théorie de l’esprit postule que nous sommes conscients que les autres ont des croyances et des désirs qui diffèrent des nôtres et que ces désirs et croyances peuvent expliquent leur comportement. Lorsqu’ils sont en groupe, les humains tendent à s’imiter les uns les autres de manière automatique. C’est l’effet caméléon. Et plus on imite les autres, plus on est porté à l’empathie. Quel est le rôle des neurones miroirs dont on sait qu’ils sont connectés au système limbique? 23 sujets regardent trois séries d’images. Les actions incluses dans leur contexte induisent une activation supérieure de la partie postérieure du gyrus frontal inférieur et du cortex ventral prémoteur où les actions manuelles sont représentées. Les neurones miroirs sont impliqués à la fois dans la reconnaissance des actions mais participent également au déchiffrage des intentions d’un tiers. Cela pourrait expliquer la capacité d’empathie des humains. Iacoboni et al, PLoS, 2005 De la pensée au langage Des neurones dédiés aux interactions sociales Etude d’IRM fonctionnelle sur 48 sujets. L’observation du dégoût active automatiquement des réseaux de neurones qui sont excités lors du ressenti du dégoût: l’insula antérieur gauche et le cortex cingulaire antérieur droit. Wicker et al, Neuron, 2003 En utilisant nos neurones miroirs, nous développons des formes élaborées d’interactions sociales. De la pensée au langage Des neurones qui associent sons et mouvements Lorsque nous apprenons une nouvelle action associée à des sons, le cerveau connecte rapidement les régions responsables de l’action avec les régions où sont déchiffrés les sons. Cela pourrait nous aider à comprendre comment nous pensons aux actions simplement en entendant leurs sons. L’expérience: 9 sujets sans expérience antérieure de pratique instrumentale sont entraînés à jouer sur un piano une chanson de 24 secondes comprenant 5 notes. Le cerveau des sujets est ensuite analysé par IRM fonctionnel. Durant l’examen, les sujets écoutent la chanson qu’ils ont mémorisée puis une chanson différente utilisant les 5 mêmes notes et enfin une chanson avec des notes additionnelles. Résultat: bien que les sujets étaient immobiles, il a été observé une activation bilatérale de l’aire de Broca, de la région prémotrice, du sulcus intrapariétal, autrement dit les circuits associés au réseau des neurones miroirs. L’écoute des notes dans un ordre différent conduit à une activation moindre tandis que l’écoute d’une chanson familière non pratiquée n’active pas le réseau. De la pensée au langage Des neurones dédiés à l’apprentissage du langage? La région cérébrale où l’on trouve ces neurones miroirs chez le singe - l’aire F5 du cortex prémoteur ventral - correspond chez l’humain à l’aire de Broca, une région du cerveau dont on connaît le rôle important dans le langage depuis le XIXe siècle. Une autre catégorie de neurones présents dans l’aire F5, les neurones « canoniques », pourraient aussi, à l’instar des neurones miroirs, être impliqués dans nos facultés langagières. Ces neurones canoniques ont la particularité de s’activer à la simple vue d’un objet saisissable. Si par exemple un singe regarde un ballon, les neurones canoniques qui s’activent sont les mêmes que ceux qui vont s’activer si le singe décide de prendre réellement le ballon. À l’opposé, ses neurones miroirs ne sont pas activés à la seule vue du ballon, mais seulement si le singe voit un congénère le prendre ou s’il le prend lui-même. De la pensée au langage Des gestes à l’origine du langage? Les neurones miroirs permettent à un animal de mimer un mouvement des mains ou de la bouche d’un autre animal pour copier un geste ou reproduire un son auquel est attaché une signification. De cette manière, deux individus pourraient en venir à partager un vocabulaire commun. Cette hypothèse s’accorde plutôt bien avec la théorie gestuelle de l’origine du langage où une partie des zones cérébrales du contrôle moteur aurait pris en charge celui du larynx. Mais comme on le constate encore aujourd’hui, le mouvement des mains continue d’être un complément important à la parole. Le fait que le langage des signes des personnes sourdes soit également d’une grande efficacité est un autre exemple de complémentarité entre la bouche et les mains comme outils de communications, deux parties du corps auxquels sont justement assignés des neurones miroirs. Cette hypothèse s’accorde également avec les intuitions du psycholinguiste Alvin Liberman qui, dès 1965, proposait une théorie motrice de la perception de la parole. Celle-ci postulait que la compréhension des mots se fait par comparaison/imitation des gestes articulatoires du locuteur avec son propre répertoire moteur. Ces gestes en venant ensuite à être inscrits dans les mots entendus eux-mêmes. De la pensée au langage Des neurones finalistes Les neurones miroirs sont activés par une main qui saisit un objet, mais pas par un outil qui saisit le même objet. Cela s’explique par le fait que les parties du corps, contrairement aux artéfacts humains, sont représentées dans les aires motrices et prémotrices des lobes frontaux. D’autre part, les neurones miroirs ne réagissent pas à n’importe quel mouvement de la bouche ou de la main, mais seulement à ceux qui sont impliqués dans une action orientée vers un but. Par ailleurs, des neurones miroirs existent également chez l’humain pour les phénomènes d’audition : les mêmes neurones sont activés lors de l’exécution d’une action qui produit un son que lorsque l’on écoute simplement le son produit par cette action. Ecouter des phrases décrivant des actions réalisées avec la bouche, la main ou la jambe conduit à l’activation de diverses aires motrices, en particulier le pars opercularis, situé dans l’aire de Broca. Tettamanti et al, J Cogn Neurosci, 2005 De la pensée au langage Des neurones clés pour les comportements sociaux Ce n’est que lorsque l’action a un sens que les neurones miroirs s’activent. Leur réponse est donc liée à l’expression d’une intentionnalité, au but du geste observé. Si des neurones miroirs s’activent par exemple quand un singe manipule un objet, ces mêmes neurones, commandant aux mêmes muscles, resteront toutefois silencieux quand le singe fera une action similaire mais dans un but différent (se gratter, s’épouiller, etc.). Il apparaît de plus en plus évident que le système moteur dans le cerveau n’est pas limité au contrôle des mouvements mais est aussi capable de lire, d’une certaine manière, les actions exécutées par autrui. Les neurones miroirs pourraient ainsi jouer un rôle fondamental pour tous les comportements sociaux des êtres humains. De la pensée au langage Une perception visuelle et auditive L’implication possible des neurones miroirs dans la communication verbale suggère que la perception des phonèmes pourrait passer autant par l’audition que par la vision des mouvements de la bouche. «L’effet McGurk », un phénomène mis en évidence au milieu des années 1970 par l’anglais Harry McGurk, vient appuyer cette idée que la perception de la parole est multimodale. L’effet McGurk se manifeste lorsque l’on regarde l’image vidéo de quelqu’un qui prononce une syllabe dont le son a été remplacé par une autre syllabe : nous percevons alors ni la première syllabe, ni la deuxième, mais une troisième, différente des deux autres. Si l’on fait par exemple le montage sonore de "ba" sur une image de quelqu’un que l’on voit prononcer "ga", l’immense majorité des gens percevront plutôt un "da" ! De la pensée au langage L’autisme, un défaut des neurones miroirs? Afin d’examiner d’éventuelles anomalies des neurones miroirs dans l’autisme, le cerveau de 9 enfants autistes et celui de 9 enfants contrôles a été examiné durant des tâches d’imitation et des tâches d’observation d’émotions. Bien que les deux groupes ont réalisé des scores équivalents dans les deux tâches, les enfants souffrant d’autisme n’ont montré aucune activation des neurones miroirs dans le gyrus frontal inférieur (pars opercularis). Il est à noter que l’activité dans cette zone était inversement proportionnelle à la sévérité dans symptômes dans le domaine social. Cela suggère qu’un fonctionnement anormal du système de neurones miroirs pourrait être à l’origine des déficits de socialisation observés dans cette maladie. Contrôles Autistes Différence Dapretto et al, Nature Neuro, 2005 De la pensée au langage Existe-t-il des gènes liés au langage? Une composante héréditaire au langage était suspectée depuis longtemps mais on ne savait pas grand-chose sur les gènes qui étaient impliqués. Cela a changé grâce à l’étude d’une famille britannique d’origine pakistanaise connue sous l’abréviation de «KE». Dans cette famille, sur 37 membres répartis sur 4 générations, 15 souffraient d’altérations spécifiques du langage. Cette grande proportion d’individus atteints dans la même famille permit tout d’abord de constater que le désordre pouvait être attribué à un seul gène transmis par l’un ou l’autre des parents. De plus, ce gène semblait se transmettre selon le modèle dominant/récessif classique et n’était pas situé sur un chromosome sexuel. Arbre généalogique de la famille KE montrant en noir les membres atteints d’altérations spécifiques du langage. Les cercles représentent les femmes, les carrés les hommes. De la pensée au langage KE + CS = FOXP2 En 1998, une relation fut établie entre un court segment du chromosome 7 et l’altération spécifique du langage. Mais cette région contenait encore 70 gènes et l’analyse de ceuxci un par un est une tâche qui s’annonçait fastidieuse. Entre alors en scène «CS», un jeune garçon anglais souffrant d’altérations spécifiques du langage mais ne faisant pas partie de la famille KE. Parce que CS avait un défaut qui était visible sur son chromosome 7, les chercheurs ont immédiatement concentré leurs efforts sur ce segment d’ADN. Et comme on s’y attendait ce gène, qui reçu le nom de FOXP2, était directement relié à l’altération spécifique du langage. Comme pour l’identification de n’importe quel gène, l’étape suivante consistait bien entendu à trouver quel type de protéine était produit à partir des plans de ce gène. Quand ces études ont été publiées, fin 1990 début 2000, certains médias grand public se sont empressés de titrer qu’on avait découvert «le gène du langage». Évidemment, la réalité d’une fonction comme le langage est bien trop complexe pour résider en un seul gène. Il aurait été plus juste de parler «d’un gène qui pourrait être impliqué dans le langage», et même plus précisément dans le développement des structures cérébrales qui sous-tendent le langage. De la pensée au langage Un facteur de transcription Les travaux ultérieurs ont permis d’en savoir plus sur la protéine produite par ce gène. Il s’agit de ce qu’on appelle un facteur de transcription, c’est-à-dire une protéine qui peut se fixer directement sur la molécule d’ADN pour réguler l’expression d’autres gènes, notamment dans le développement des aires cérébrales associées au langage. En d’autres termes, si l’ensemble des gènes contribuant au langage forment un arbre, alors on peut dire que le gène FOXP2 forme le tronc. De la pensée au langage Une atrophie des noyaux caudés Dès qu’une des deux copies de ce gène est défectueux chez une personne, celle-ci souffre d’altérations spécifiques du langage. Des études d’imagerie cérébrale ont montré que les cerveaux des personnes atteintes d’altérations spécifiques du langage montrent plusieurs anomalies dans des régions clés pour le langage. En particulier, les deux noyaux caudés et l’aire de Broca avaient une taille réduite et montraient une hyperactivité durant les tâches d’expression orale (noyau caudé gauche seulement). Les grandes difficultés à bouger les lèvres et la langue chez les personnes ayant la version mutante du gène FOXP2 pourraient être reliées à cette atrophie du noyau caudé, une structure impliquée dans le contrôle moteur. Pour cette raison, certains chercheurs pensent que la version humaine du gène FOXP2 permet une finesse des mouvements de la bouche et du visage qui nous donnerait accès au langage articulé. Activation moyenne enregistrée par IRMf chez des sujets normaux et chez des sujets atteints d’altérations spécifiques du langage lors d’une tâche de génération de mots. De la pensée au langage Des troubles moteurs Certains chercheurs ont affirmé que FOXP2 n’était peut-être pas « un gène du langage » mais plutôt un gène dont la défectuosité entraînerait des troubles moteurs suffisamment graves pour empêcher le langage. D’autres explications évitent aussi de lier directement FOXP2 au langage, comme celle voulant que le gène puisse diminuer les facultés intellectuelles à un point tel que le langage deviendrait inaccessible. Mais des expériences ultérieures ont montré que les liens entre FOXP2 et le langage semblent très étroits. Ainsi, si la maladie tend à frapper les membres des familles qui ont les moins bons résultats aux tests de quotient intellectuel (QI), certaines personnes atteintes ont cependant des résultats normaux aux tests de QI, et d’autres ont même des résultats supérieurs à des membres de leur famille qui n’ont pas d’altération spécifique du langage… De plus, les personnes atteintes ont également des difficultés à identifier des sons élémentaires du langage, à comprendre des phrases, à utiliser la grammaire, etc. Sans parler de l’atrophie observée au niveau de l’aire de Broca, siège de neurones miroirs et région dont la destruction provoque des aphasies de toutes sortes. De la pensée au langage Une protéine conservée au cours de l’évolution Les problèmes que la mutation de ce gène engendre demeurent toutefois difficiles à cerner, ce qui n’est pas étonnant lorsque l’on considère la famille à laquelle appartient ce gène. Il s’agit en effet d’un gène de la famille FOX qui sont des facteurs de transcription. En d’autres termes des gènes qui produisent des protéines capables, grâce à leur forme fourchue (« forkhead »), de réguler l’expression de plusieurs autres gènes en se fixant directement sur l’ADN. On semble donc avoir affaire à un gène important jouant un peu le rôle de chef d’orchestre lors de la mise en place des voies neuronales durant le développement embryonnaire. Et de fait, on constate qu’il est extrêmement bien conservé d’un point de vue phylogénétique: la protéine qu’il produit est presque identique chez la souris et les primates qui sont séparés par environ 130 millions d’années d’évolution. Forme générale de la protéine FOXP2. La partie rouge montre l’emplacement de la mutation qui a causé les altérations spécifiques du langage chez les membres de la famille KE. De la pensée au langage Trois acides aminés qui font la différence? La protéine produite par le gène FOXP2 humain diffère de celle de ces espèces par deux ou trois acides aminés seulement. Deux ou trois acides aminés qui font vraisemblablement la différence entre des animaux incapables de parler et l’être parlant que nous sommes… On estime par ailleurs que ces mutations ont eu lieu il y a entre 200 000 et 100 000 ans, ce qui correspond à la période d’émergence du langage articulé chez l’humain. De la pensée au langage Une histidine à la place d’une arginine L’étude détaillée de la séquence du gène FOXP2 défectueux chez plusieurs membres de la famille KE a aussi permis d’identifier le site précis de la mutation responsable du mauvais fonctionnement du gène chez ces individus. La mutation survient sur l’exon 14 du gène FOXP2 lorsque la guanine d'un nucléotide est remplacée par une adénine. Notons au passage que cette région où se produit la mutation est justement celle qui code pour la partie «forkhead» de la protéine, celle qui se fixe sur l’ADN d’autres gènes. Ce changement d’un seul nucléotide sur le gène FOXP2 aura ensuite une répercussion directe sur la protéine correspondante: le remplacement d’un acide aminé arginine par une histidine. Or, chez les centaines de sujets normaux testés, la protéine produite par FOXP2 a toujours un arginine à ce locus particulier. Et chez les membres de la famille KE souffrants d’altérations spécifiques du langage, toujours une histidine. Il n’y a donc pas l’ombre d’un doute sur la mutation qui cause ce déficit. Cela dit, il est tout de même étonnant de constater que la mutation d’une seule des 2 500 bases nucléiques du seul gène FOXP2 est suffisante pour ruiner une faculté aussi vitale que le langage!