
DOSSIER PROFESSIONNEL
HIPPOKRATES
10 Vendredi 19 juin 2015 |numéro 2726
DR
« Les participants ne sont pas là pour apprendre la mé-
decine mais pour avoir une approche de la santé publique d’un
autre pays », abonde le Dr Sophie Siegrist, installée près de Nancy.
À ses yeux, la durée du programme – 15 jours – n’est pas
trop courte. D’autant que ces deux semaines sont prises
sur le temps de vacances des internes. Un critère qui n’a
pas empêché Florent Herzog de repartir en Écosse. Ni
Elsa Garros de découvrir le système américain pendant
un mois, dans le cadre de Family medicine 360°, autre
programme de Vasco de Gama à vocation mondiale.
« Il faut imaginer cet échange comme un temps de forma-
tion personnelle », suggère Elodie Hernandez.
Rien à voir avec Erasmus
Le cadre court de ces échanges, mais aussi son inter-
vention tardive à la charnière de la vie étudiante et
de la vie active en font un dispositif assez différent
du très connu Erasmus. Emblème des échanges uni-
versitaires européens, ce programme s’adresse aux étu-
diants en 2ecycle, essentiellement ceux effectuant leur
3eannée et constitue alors, sur une période allant d’un
semestre à une année, un premier contact avec la mé-
decine de soins. « Erasmus ne concerne que des stages
hospitaliers en tant qu’externe », précise Cyril Villa-
réal, parti lors de son internat dans un cabinet de Lead-
gate, commune en périphérie de Newcastle, dans le
nord de l’Angleterre. S’il reconnaît qu’ « Erasmus pro-
pose de nombreux avantages (comme) une immer-
sion prolongée dans le pays alors qu’Hippokrates ne
dure que 2 semaines », il juge ces deux modèles com-
plémentaires. « Hippokrates ajoute à la formation un
versant santé publique, explique pour sa part Sophie
Siegrist, mais ça permet aussi de découvrir de nouvelles
techniques de prises en charge ». Elle a déjà reçu deux
Espagnoles et un Portugais, « à chaque fois des étu-
diants en 10eannée ».
Car le but premier d’Hippokrates vise à découvrir
de nouveaux modes de fonctionnement. L’idée est de
faire un pas de côté par rapport au système français
et aux acquis universitaires pour enrichir sa propre pra-
tique. Au sein du cabinet dirigé par le Dr Rajive Mitra,
Alisson Lachor a ainsi pu observer, aux côtés des dif-
férents acteurs de santé, « la prise en charge des patients
et l’organisation entre les médecins, qui s’occupent plu-
tôt des affections aiguës, et les infirmières cliniciennes,
chargées du suivi chronique ». « Ce stage permet de pren-
dre du recul par rapport à notre propre pratique : « même
si c’est un pays européen, les habitudes de prescrip-
tion sont différentes », affirme-t-elle. En Angleterre, elle
a notamment constaté, chez ses confrères, une écoute
plus attentive des patients et une tendance à moins
prescrire pour les « bobos du quotidien ». « Là-bas, un rhume,
c’est juste sous paracétamol », résume celle qui s’interroge dés-
ormais davantage au moment de rédiger ses ordonnances.
Découvrir une façon différente d’exercer
Tout comme leurs homologues européens, les hôtes français
mettent un point d’honneur à montrer le système de soins dans
sa globalité. Et Sophie Siegrist ne manque pas d’ambition pour
les étudiants qu’elle reçoit au Ban Saint Martin. « Ils vien-
nent en consultations, en cours, à l’ARS », raconte cette maî-
tre de conférence à la faculté intéressée par la prise en charge
des personnes âgées. « Je leur montre aussi comment se passe
la PDS, l’HAD, on visite les urgences, détaille-t-elle,
on est un peu ambassadeur de notre médecine. » À
Banyuls, le Dr Pierre Frances a fait participer en
4 ans une quinzaine d’étudiants à ses activités. Visites
à domicile, consultations en cabinet, permanence mé-
dicale auprès de SDF… « Des journées très longues
car c’est un médecin très investi », sourit encore Ceci-
lia Contreras ! Aux yeux de cette généraliste espagnole,
« l’immersion donne des expériences riches car elle per-
met de voir une autre façon de découvrir et gérer la ma-
ladie ». « Ici, le médecin accomplit des tâches plus com-
plexes, il s’engage au-delà de la médecine, c’est un peu
aussi une assistante sociale, un psychologue, décrypte-t-
elle. En Espagne, c’est beaucoup plus protocolisé ».
Celia Ponce de Leon est également passée par le cabinet
du Dr Frances, en février dernier. « J’ai appris à connaî-
tre le système sanitaire et l’exercice libéral qui sont très
différents du modèle espagnol où tout est géré par le gou-
vernement. » Liberté d’organisation de la journée, ra-
pidité des examens complémentaires, liberté de choix
des patients, durée des consultations… Autant de dé-
couvertes pour la Barcelonaise habituée aux colloques
singuliers d’une dizaine de minutes dans un pays où
il n’est pas rare d’attendre plusieurs mois pour une IRM.
Des expériences concluantes
L’enrichissement personnel, maître mot du programme,
joue autant pour les visiteurs que pour leurs hôtes.
« C’était une expérience profitable pour tous les deux »,
atteste Dr Christophe Droin qui a reçu, en février der-
nier, Catarina Carvalho, interne portugaise. Présente
en continu aux côtés du généraliste installé depuis plus
de 30 ans à Marlhes, près de Saint-Étienne, elle a as-
sisté aux consultations dans le cabinet, aux visites à
domicile, à la maison de retraite du village. « En théo-
rie, elle avait un rôle d’observateur mais, en pratique,
on discutait, elle me donnait son avis », indique le mé-
decin, enthousiasmé par cette rencontre avec « une per-
sonne intéressée par la médecine qui, lorsque la technique
de prise en charge ne correspondait pas à ses habitudes,
prenait des photos ». Et lui, au fil de discussions sur le
système de santé, la culture et la vie au Portugal, a « dé-
couvert un pays sans y avoir mis les pieds ! ». Une pre-
mière expérience Hippokrates si concluante qu’il « re-
commande à (ses) confrères de devenir hôtes ».
« Cela ouvre des perspectives », reconnaît le Dr Mat-
thieu Schuers, et permet d’avoir une vision sur la fa-
çon dont la médecine générale est enseignée dans d’au-
tres pays européens ». Un point particulièrement positif pour
ce généraliste qui enseigne à la fac de Rouen. « C’est également
une bonne chose pour les étudiants français car la formation est
très hospitalo-centrée. Ça leur permet non seulement d’aller à
l’étranger mais également d’être dans un cabinet, de voir une
prise en charge, d’autres patients ». Avec ses deux confrères exer-
çant en maison de santé à Neufchâtel-en Bray, il a reçu deux
étudiants, une Espagnole et un Italien. Si l’interaction était plu-
tôt limitée avec la première qui ne parlait pas français, « c’était
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Catarina Carvalho et
Celia Ponce de Leon
sont venues
découvrir le
système de soins
français. Cyril
Villaréal et Alisson
Lachor sont, pour
leur part, partis
outre-Manche
tandis que Florent
Herzog a choisi
d’aller en Espagne.