1
Les élections présidentielles françaises se
tiendront en avril et en mai. Les derniers
sondages sugrent que la candidate du Front
national Marine Le Pen se prole comme une
sérieuse prétendante. La France surfera-t-elle
aussi sur la vague du changement politique, dans
le sillage du Royaume-Uni (Brexit) et des Etats-
Unis (Trump) ? Le cas échéant, quel sera l’impact
d’une présidence Le Pen sur les investisseurs, les
entreprises et les marchés nanciers en Europe et
dans le reste du monde ?
Depuis 2011, Marine Le Pen mène une campagne
de « dédiabolisation » du Front National (FN) en
s’éloignant de certaines de ses positions les plus
radicales et en se séparant de ses membres
les plus controversés, dont son propre père en
2015. Les promesses électorales de Mme Le
Pen ont pour ambition, grâce à des propositions
pronationalistes et protectionnistes, de traiter et,
à terme, de résoudre les problèmes de la France
que sont le chômage élevé, le lourd endettement
et la piètre performance économique. Si elle se
voit coner les clés de l’Elysée, le succès de ces
mesures dépendra largement de la composition
du parlement et du choix d’un premier ministre
coopératif. Quoi qu’il arrive, son accession à la
présidence de la République serait un appel au
changement et pourrait profondément transformer
l’Union européenne telle que nous la connaissons
aujourd’hui.
Les principales propositions de Marine Le Pen
sont les suivantes :
nRenégociation des modalités d’adhésion à l’UE
dans un délai de six mois après l’élection ou
possible « Frexit »
nRéintroduction du franc
n« Protectionnisme intelligent » et barrières
douanières
nBaisses d’impôts et amélioration du système
de sécurité sociale
nDurcissement de la politique d’immigration et
préférence nationale accrue
nDépenses accrues en faveur de la sécurité et
de la défense
Son discours traditionnaliste et son
positionnement en tant que candidate de droite
centriste pourraient valoir à Marine Le Pen de
gagner les faveurs de certains électeurs indécis
et traditionnellement opposés au FN. Ceux-ci
attendront de Marine Le Pen qu’elle tienne parole
nLa réaction immédiate des marchés face à une victoire de Marine Le Pen devrait
entraîner un pic de volatilité pour les actifs français.
nUne victoire de Le Pen impliquant une probabilité accrue de sortie de la zone
euro de la France, le spread des rendements des emprunts français s’élargirait
considérablement face aux Bunds.
nUne dissolution de l’UE et un retour aux monnaies nationales exerceraient des
pressions considérables sur le système bancaire interconnecté de l’UE, affectant
le secteur nancier à l’échelle mondiale.
Elections françaises :
A quoi peut-on
sattendre en cas
de victoire de
Marine Le Pen ?
Mark Burgess
Directeur des investissements EMOA et Responsable mondial Actions
Leaders’ Perspectives – Mars 2017
2
et ne fasse pas machine arrière pour revenir à
l’ancienne ligne politique du FN. Dans l’espoir de
remporter sufsamment de sièges aux élections
législatives qui se tiendront en juin, d’autres au
sein du parti pourraient être contraints de suivre
son exemple, tout en essayant de ne pas perdre
les électeurs qui leur sont acquis.
Rappel de l’élection de 2015 au Royaume-
Uni, la principale promesse de Marine Le Pen
consiste en l’organisation d’un référendum sur
l’appartenance à l’Union européenne ainsi qu’en
la possible réintroduction du franc français. Si
ses promesses de renégociation avec l’UE an
d’obtenir de meilleures conditions sonnent comme
un air bien connu (en particulier pour nous autres
Britanniques), elle peut toutefois se targuer de
posséder davantage d’arguments que le Royaume-
Uni. La France est en effet un membre clé de
l’union monétaire et Bruxelles ne connaît que trop
bien le danger d’une deuxième sortie de l’UE.
L« axe franco-allemand », qui englobe un peu
moins d’un tiers de la population et représente
près de la moitié du PIB de l’Union euroenne,
a toujours fait partie intégrante de cette dernière.
Cependant, certaines voix se sont élevées ces
dernières années, suggérant que la France a
perdu en dynamique et afche une économie
relativement faible. Des dépenses publiques
élevées et inefcaces, une médiocre performance
économique, un processus de rééquilibrage
incomplet et l’évidente nécessité d’une réforme
du marché de l’emploi sont autant de difcultés
auxquelles le pays est confronté. A 96%, le ratio
dette/PIB national suggère que la France a besoin
de l’UE, comme l’a souligné le Baron David de
Rothschild lorsqu’il a qualié de « catastrophe »
la possibilité d’un Frexit. La relation entre l’UE et
la France ne doit toutefois pas être considérée
comme un lien à sens unique. En effet, la première
a elle aussi grand besoin de la seconde, et ce
pour diverses raisons, au nombre desquelles
le fait que la France est le principal producteur
d’énergie nucléaire de la région (avec une part de
51%) et qu’elle respecte l’intégralité des règles
liées à l’euro.
Climat en France
La méance à l’égard de la zone euro a gagné
du terrain. L’UE a réagi à la crise nancière
internationale en misant sur l’austérité plutôt
que sur la relance de l’activité économique,
donnant ainsi l’impression que la France n’était
pas maître de sa propre destinée. Nombreux
sont les Français qui ont le sentiment que leurs
gouvernements successifs ont cédé le pouvoir à
la Banque centrale européenne (BCE), ce qui s’est
traduit par un soutien accru (même à l’extrême)
pour tout ce qui ne représente pas le statu quo.
FIGURE 1 : MÉFIANCE GRANDISSANTE DE LA FRANCE À L’ÉGARD DE LA MONDIALISATION ET SOUHAIT DE QUITTER L’UE
SI UN RÉRENDUM SUR L’APPARTENANCE À LUE ÉTAIT ORGANISÉ DANS VOTRE PAYS, QUEL SERAIT VOTRE VOTE ? EN % DE « MAINTIEN
DANS LUE » DANS LE TOTAL DES RÉPONSES
70
60
50
30
40
France Italie Suède Pays-Bas Finlande Allemagne Danemark PologneEspagne
20
% de vote pour le « maintien dans l’UE »
(source : HSBC – France Outlook 2017: still unexpected uncertainties? Janvier 2017) Sources : sondage (YouGov), HSBC
Lors des élections précédentes, une forte corrélation entre partisans du FN et chômage a été obsere,
conrmant une fois de plus le succès du parti auprès d’une population marginalisée aspirant au
changement. Depuis le scrutin de 2014, Marine Le Pen a recueilli des appuis supplémentaires en
misant sur le populisme, la crainte du terrorisme et, non des moindres, la frustration des Français à
l’égard des promesses non tenues du président François Hollande. On constate également un climat de
méance généralisé vis-à-vis des questions internationales, qui s’est renforcé à mesure du désaveu de la
Leaders’ Perspectives – Mars 2017
3
mondialisation aux quatre coins de la planète. Ce sentiment semble être plus enraciné en France que dans
d’autres pays européens et les inquiétudes autour de l’immigration se sont accrues à la suite des récentes
attaques terroristes, conférant ainsi un attrait supplémentaire au FN et à ses promesses protectionnistes.
Toujours problématique en France, le chômage des jeunes s’établissait à 26,2% à la n 2016 selon les
derniers rapports – un record historique pour le pays et l’un des principaux dés que Marine Le Pen
devra relever. Bien que le programme du FN ne se concentre pas exclusivement sur cette question, les
électeurs espèrent que les amendes sous forme de hausses de taxes imposées aux entreprises qui
recrutent des travailleurs étrangers se traduiront par une progression des embauches de jeunes Français.
FIGURE 3 : DONNÉES SUR LE CHÔMAGE
Emploi en France Derniers chiffres Chiffres précédents Plus haut Plus bas
Taux de chômage (en %) 10,00 9,90 10,70 7,20
Taux de chômage de longue durée (en %) 4,20 4,30 5,00 2,40
Taux de chômage des jeunes (en %) 26,20 25,90 26,30 14,50
Postes à pourvoir (en milliers) 215,60 245,50 363,80 121,10
Population (en millions) 66,63 66,38 66,63 45,46
(source : Trading Economics, janvier 2017)
Cela étant, il ne s’agit là que d’une partie du problème. Comme l’a reconnu l’ancien premier ministre
Manuel Valls, le droit du travail français favorise le recrutement de personnel temporaire. Le manque
d’emplois à durée indéterminée pour les jeunes entraîne toute une série d’autres problèmes, parmi
lesquels l’impossibilité de louer ou d’acheter un logement ou encore la diminution de la consommation,
dont pâtit l’économie du pays. Au regard du vieillissement démographique, il est de plus en plus urgent
d’intégrer les jeunes dans la population active.
Quels obstacles sur la route de Marine Le Pen ?
Les élections législatives se tiennent un mois après le scrutin présidentiel et c’est à ce moment que
nous verrons l’étendue (forte ou faible) du pouvoir de Marine Le Pen à l’avenir. Le président élu n’exerce
pas un contrôle intégral à moins d’obtenir une majorité au parlement (289 sièges), ce qui est difcile
à imaginer pour les candidats en lice. Dès lors qu’un parlement à majorité FN est peu probable, il
conviendrait alors de former un gouvernement de coalition et de nommer un premier ministre issu du
parti majoritaire au parlement. Sous un gouvernement de coalition, la présidente Le Pen verrait son
pouvoir limité, comme l’illustre la Figure 4 ci-après.
FIGURE 4 : POUVOIRS ET LIMITATIONS D’UN PRÉSIDENT SOUS UN GOUVERNEMENT DE COALITION
Pouvoirs conférés Limitations
Nomination du premier ministre Le premier ministre doit appartenir au parti majoritaire
Choix des membres du ministère de la Défense et des Affaires
étrangères
Les autres membres du gouvernement ne sont pas choisis par le
président
Possibilité de dissoudre le parlement Seul le parlement peut révoquer le premier ministre
Signature des lois et décrets Les lois ne peuvent pas être appliquées sans l’accord du premier
ministre/parlement
Possibilité d'activer l’article 16, lui donnant les pleins pouvoirs
(comme l’a fait Charles de Gaulle)
Lapprobation de l’article 16 doit être justifiée
(source : Infosource Crédit Suisse – Europe Economic Research, A brand new era, janvier 2017)
Marine Le Pen prévoit de renégocier les conditions d’adhésion à l’UE (notamment en vue de rendre à la
France le plein pouvoir sur les contrôles de l’immigration et la politique économique) et d’organiser un
référendum en l’absence d’un accord plus favorable. Il convient pour décréter la tenue d’un référendum
d’invoquer l’article 89, qui doit être approuvé par les 3/5 du parlement ou le premier ministre.
La composition du parlement ou le premier ministre nommé par Marine Le Pen revêtira ainsi une
importance vitale. Il est possible qu’un premier ministre déterminé mette des bâtons dans les roues
de la nouvelle présidente et s’oppose à un référendum sur l’appartenance à l’UE. Difcile cependant
d’imaginer un gouvernement barrant la route à ceux qui ont voté pour Marine Le Pen en sachant
pertinemment qu’un référendum serait imminent en cas de victoire.
Leaders’ Perspectives – Mars 2017
4
Qu’adviendra-t-il si la nouvelle présidente obtient son référendum ? Si les sondages récents
indiquent une probabilité accrue de vote en faveur d’une sortie de l’Union, il n’en demeure pas
moins une certaine réticence bien compréhensible de la part des Français à l’idée d’abandonner la
monnaie unique par crainte d’une dévaluation monétaire et des répercussions sur leur épargne et
leurs hypothèques. La réponse de Marine Le Pen à ces inquiétudes est « qu’un serpent monétaire
européen apparaît raisonnable. Qu’il puisse y avoir une coexistence entre une monnaie nationale et
une monnaie commune [l’ECU] n’a aucune conséquence sur la vie quotidienne des Français »1. Peut-
être ces considérations sont-elles quelque peu optimistes. Si la France quitte la zone euro, cela aura
des retombées signicatives sur l’Union économique et monétaire. La livre sterling s’est effondrée à la
suite du vote pro-Brexit, ce qui a permis de contenir l’important décit de la balance courante en faisant
partre les investissements au Royaume-Uni plus attrayants. En France cependant, ce sont surtout
les problèmes structurels sur le marché du travail qui doivent être traités, ce à quoi une dévaluation
monétaire ne contribuera pas.
Qu’attendre des marchés ?
Les marchés nanciers ont déjà intégré une partie des incertitudes liées à la France, comme l’indique
la Figure 5 ci-dessous. Les emprunts d’Etat français ont fait montre d’une certaine nervosité depuis que
Donald Trump a remporté la présidentielle américaine, puisqu’elle augurait le risque d’une victoire de
Marine Le Pen.
FIGURE 5 : SPREADS OAT/BUND À 10 ANS (PB)
90,0
80,0
70,0
40,0
50,0
60,0
Janv. 13 Juill. 13 Janv. 14 Juill. 14 Janv. 15 Juill. 15 Janv. 16 Juill. 16 Janv. 17
10,0
20,0
30,0
Election de D. Trump
(source : Exane BNP Paribas « The Macron Possibility », janvier 2017)
La réaction immédiate des marchés devrait
entraîner un pic de volatilité pour les actifs
français au vu des incertitudes quant aux
événements à venir. Une présidence de Le Pen
étant perçue comme augmentant la probabilité
d’un départ de la zone euro de la France, le
spread des rendements des emprunts français
s’élargirait considérablement face aux Bunds. En
guise de référence, notons que ce spread a atteint
environ 150 pb au plus fort de la crise de la zone
euro en 2011/2012 et il est tout à fait possible
qu’il revienne irter avec ce niveau. Les spreads
des autres obligations périphériques et « semi-
core » se creuseraient également en conséquence
du risque accru d’effondrement.
Sur le front des actions, le marché européen
pourrait instantanément chuter de pas moins
de 10% en conséquence des incertitudes quant
aux implications pour l’UE, et les marchés
internationaux pourraient être touchés dans
une plus large mesure encore. Les sociétés
dotées de robustes fondamentaux et œuvrant
dans les secteurs moins affectés par les
événements géopolitiques devraient être
relativement résistantes. Mais, pour en revenir
à la problématique de la dette libellée en euros,
le préjudice le plus important sera probablement
pour les banques euroennes, qui pourraient
céder 20 à 30% (après un repli de 20% à la suite
du Brexit). Le Brexit est sans doute un événement
négligeable par rapport à un effondrement de
l’UE. Dans le cas où les pays réinstauraient leurs
monnaies d’avant l’euro, les banques seraient
confrontées à un déséquilibre majeur entre les
actifs et les passifs toujours libellés en euros.
1 Marine Le Pen, 4 janvier 2017
Leaders’ Perspectives – Mars 2017
5
Les banques euroennes sont au bord de la
crise depuis de nombreuses années maintenant,
notamment lorsque la Grèce était sur le point
de sortir de l’UE. A moyen terme, au vu de la
situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui, le
système bancaire italien ne sera probablement
pas en mesure de résister aux retombées
d’un effondrement de l’euro. Et ce ne sont pas
uniquement les pays lourdement endettés qui
seront affectés : des nations comme l’Allemagne
(qui détiennent des titres de créance français
et italiens) seront également touchées. Selon
l’European Law Journal « ... les prêteurs privés
augmenteraient immédiatement la pression
(“spreads”) sur les Etats membres qui n’ont pas
encore abandonné l’euro, déclenchant ainsi une
réaction en chaîne et les coûts incalculables
qui en découlent, ce qui menacerait également
l’économie des pays afchant un excédent
commercial parce que ceux-ci perdraient une part
considérable de leurs marchés d’exportation. »2
Il ne fait aucun doute que le système bancaire
européen interconnecté courrait le plus grand
risque d’effondrement, ce qui pourrait avoir des
conséquences sur le secteur nancier mondial.
Les obstacles à un Frexit resteraient cependant
importants et une réaction plus rééchie pourrait
suivre, même sous une administration Le Pen.
Dans un tel scénario, les primes pourraient
rester marquées et les courbes raides, reet
de politiques plus inationnistes et moins
conservatrices sur le plan budgétaire. De la même
manière, les obligations françaises indexées sur
l’ination, qui impliquent actuellement un point
mort d’ination à environ 1,31% sur 10 ans,
signeraient de robustes performances.
A moyen terme, dans l’hypothèse d’un
effondrement de l’euro, le franc nouvellement
réinstauré serait sous pression puisque les
investisseurs tenteraient de couvrir le risque
en vendant la monnaie. Les interventions
traditionnelles pour contrer un franc en chute
libre – augmentation des taux d’intérêt en France
et vente de réserves d’actifs libellés en euros
pour acheter des emprunts français, notamment
– apportent leur lot de difcultés pour un
gouvernement qui tente d’éviter une détérioration
de l’économie sans disposer d’une réserve
substantielle d’actifs libellés en euros. S’agissant
des anciennes monnaies nationales qui
pourraient renaître de leurs cendres en Europe,
le Deutsche mark s’apprécierait et la lire italienne
se replierait. Pour l’Italie et la Grèce, le côté positif
serait peut-être d’obtenir enn la dépréciation tant
attendue de leur monnaie. La renationalisation
de la politique monétaire permettrait certes aux
pays de dévaluer leur monnaie, mais amplierait
le problème du remboursement de la dette libellée
en euros.
Le premier tour de l’élection présidentielle
française se tiendra le 23 avril, suivi, si aucun
candidat ne recueille la majorité, d’un second
tour entre les deux candidats les plus plébiscités
le 7 mai 2017. Dans un monde de plus en plus
imprévisible, tous les yeux seront rivés sur la
France.
2 http://www.eui.eu/Documents/MWP/ProgramActivities/MRW2014-2015/offeeuropeentrapped.pdf
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !