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I - EVIDEMMENT DOCTEUR WATSON ! OU COMMENT DEPASSER
LES CLICHES.
Les français ne sont pas doués pour l’industrie ? Evidemment répondront dans leur
majorité, les chercheurs anglo-saxons : à vouloir contrarier les lois du marché, il n’est pas
étonnant que la France éprouve tant de difficultés à s’insérer dans la compétition
internationale. N’est-ce pas là une spécificité culturelle et politique de ce pays qui traverse les
siècles et remonte aussi loin que les premières étapes d’une industrialisation toujours forcée
ou contrariée. Ce thème est repris par nombre d’études et de recherches sur la France : c’est
un cliché habituel que l’on retrouve sous les plumes les plus diverses, étrangères (Charles
HAMPDEN-TURNER & Fons TROMPENAARS (1993: 337-375), comme françaises
(Christian STOFFAES (1986)).
Le diagnostic est si simple et séduisant qu’il est accepté sans plus ample examen alors
qu’il repose sur une vision et une théorisation de la dynamique industrielle qui ne va pas de
soi. Les économistes qui adoptent ce point de vue font en fait trois hypothèses :
° D’abord, conformément à la théorie néoclassique, il existerait un modèle canonique, celui
d’une économie entièrement régie par des mécanismes de marchés parfaits, grâce à la
coupure qu’opère l’économie pure, c’est-à-dire affranchie de son insertion sociale et
politique. C’est par rapport à ce modèle, dans lequel on le sait équilibre et optimum vont de
pair -certes sous certaines hypothèses- qu’il convient d’apprécier les dynamiques nationales.
Elles sont plus ou moins satisfaisantes selon qu’elles se rapprochent ou non des prédictions
du modèle théorique.
° Ensuite et surtout, cette théorisation serait valable en tout temps et en tout lieu, de sorte que
les évolutions historiques de longue période ou les comparaisons internationales à un
moment donné du temps, ne seraient que des particularisations d’un même et unique
modèle. La dynamique des transformations industrielles, technologiques et démographiques
se réduirait donc à une pure cinématique, pour laquelle les événements historiques, mêmes
majeurs, ne seraient que des aléas par rapport à une structure invariante.
° Enfin, tout écart par rapport aux prédictions du modèle canonique devrait s’interpréter à
partir de facteurs exogènes, en l’occurrence extérieurs à l’économie, puisque par définition,
la théorie épuise la description des interdépendances proprement économiques. Les vagues
d’innovations technologiques (J. SCHUMPETER (1939), les révolutions politiques (M.
OLSON (1982)), les facteurs sociologiques (JJ CARRE, P. DUBOIS, E. MALINVAUD
(1972), voire culturels (Ph D’IRIBARNE (1992)), sont les plus fréquemment invoqués. Les
trajectoires nationales d’industrialisation se définissent donc par les frictions
qu’introduisent ces divers déterminants venus d’ailleurs, c’est-à-dire hors du champ de
l’activité proprement économique.
La France constitue un remarquable terrain d’application de cette trilogie. Par
exemple, la première industrialisation est plus tardive qu’en Angleterre du fait entre autre de
la domination de l’aristocratie foncière, la seconde est entravée par le malthusianisme
consécutif à l’alliance de la bourgeoisie avec la paysannerie, la troisième vague subit l’effet
négatif de structures étatiques trop pesantes. Nul doute que ces caractérisations éclairent
certains des traits et des difficultés de l’industrie française mais elles sont loin de fournir une