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Cuisse
Syndrome de loge de la cuisse
Revue de la littérature
Florent Lespagnol
Paris
Ojike NI, Roberts CS, Giannoudis PV
Compartment syndrome of the thigh : a systemic review.
Injury 2010 ; 41 : 133-6.
Cet article a pour objectif principal de rechercher les étio-
logies des syndromes de loge de la cuisse. L’accent est
également mis sur l’analyse des techniques chirurgicales
employées. Une attention particulière est portée sur les
complications rencontrées.
Introduction
Les syndromes de loge sont une source fréquente de
contentieux lié souvent à un défaut ou à un retard de prise
en charge. Le syndrome de loge de la cuisse est une patho-
logie orthopédique rare et urgente pour laquelle la pres-
sion à l’intérieur de la loge devient supérieure à la pression
de perfusion capillaire, entraînant une anoxie cellulaire,
une ischémie musculaire et la nécrose. Dans l’article de
J.T. Schwartz et al., qui fait référence (1), 44 % des
patients avec un syndrome de loge présentaient un déficit
fonctionnel permanent à long terme. Par ailleurs, le taux
de mortalité pouvait atteindre 47 %. Les facteurs influen-
çant le résultat fonctionnel étaient l’âge, la présence d’un
polytraumatisme, l’existence d’une fracture du fémur, le
délai entre le traumatisme et la fasciotomie. À la connais-
sance des auteurs, il n’y a que peu de données disponibles
concernant la prise en charge de ce type de complications.
Aussi, les auteurs ont-ils pour objectif de revoir la littéra-
ture existante, de rechercher systématiquement les causes
du syndrome de loge de la cuisse, le nombre et le type de
fasciotomies réalisées ainsi que les méthodes de fermeture
et les complications associées.
Matériel et méthode
Les auteurs ont réalisé une recherche bibliographique
dans les bases de données PubMed, Medline, OVID et
EMBASE avec comme mots clés cuisse et syndrome de
loge. Seuls les articles en langue anglaise et comportant au
moins deux cas ont été inclus dans la revue de la littéra-
ture (cf. figure 1). Il est à noter cependant qu’ont été
incorporés dans cette série des articles prenant en compte
des patients présentant des lésions vasculaires majeures
avec ischémie musculaire.
Syndrome de loge de la cuisse
EMBASE (sans limite) – 658 articles
OVID (limites : littérature en anglais, articles in
extenso, journaux indexés, clinique) – 101 articles
PubMed (sans limite) – 170 articles
Articles en anglais
EMBASE – 657 articles
OVID – 89 articles
PubMed – 150 articles
Séries de cas
(>2 patients)
EMBASE – 199 articles
OVID – 19 articles
PubMed – 32 articles
Séries de cas
(1 patient)
EMBASE – 458 articles
OVID – 69 articles
PubMed – 118 articles
Syndrome de loge
de la cuisse
EMBASE – 657 articles
OVID – 89 articles
PubMed – 150 articles
Syndrome de loge de la cuisse
traumatique aigu
EMBASE* – 8 articles
OVID** – 7 articles
PubMed*** – 8 articles
Notre revue – 9 articles
Articles autres langues
EMBASE – 1 article
OVID – 12 articles
PubMed – 20 articles
* Tous ces articles ont été inclus dans l’analyse des neuf articles.
** Un article retenu.
*** Tous ces articles ont été inclus dans l’analyse des neuf articles.
Figure 1 – Schéma de recherche dans la littérature.
Mise au point
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Résultats
Neuf articles correspondaient aux critères d’inclusion de la
revue de la littérature. Ils comportaient au total 89 cas de
syndrome de loge aigu de cuisse. Toutes les études étaient
rétrospectives. Seulement 54 patients avaient eu un suivi
d’au moins 20 mois en postopératoire. L’âge moyen des
patients était de 38 ans. Quatre-vingt-dix pour cent des
patients avaient été victimes d’un traumatisme fermé, 34 %
des patients d’un accident de la voie publique tandis que
6 cas (7 %) correspondaient à un accident de deux-roues.
Quarante-quatre pour cent des patients présentaient une
fracture du fémur associée, dont 22 % étaient des fractures
ouvertes. Environ 4 % des syndromes de loge étaient secon-
daires à une compression. Dix-neuf patients sur les 89
avaient des troubles de l’hémostase, 4 patients étaient sous
traitement anticoagulant, 4 patients étaient victimes d’une
coagulation intravasculaire disséminée et 1 patient avait
comme antécédent une maladie de Willebrand. Le délai
entre le traumatisme et le diagnostic variait de 1 à 7 jours
avec une moyenne de 25 heures. Dans 56 % des cas, le délai
moyen entre le traumatisme et la fasciotomie a été de
10 heures. Quarante-sept pour cent des patients ont eu un
diagnostic clinique, 34 % une mesure des pressions
moyennes et 19 % un diagnostic clinique et une mesure des
pressions. Dans l’étude de J.T. Schwartz et al. (1), le délai
entre le traumatisme et le diagnostic variait de quelques
heures à 18 heures, tandis que le délai entre le diagnostic et
le traitement chirurgical était de 4 heures en moyenne.
Fasciotomie : une incision versus deux incisions
Six études comprenant 36 patients ont été prises en
compte dans l’analyse des voies d’abord de la cuisse car
celles-ci précisaient le nombre d’incisions réalies.
Quatre-vingt-six pour cent des cas ont eu une seule voie
d’abord. Pour 5 patients, deux voies d’abord ont été réali-
sées afin de libérer toutes les loges musculaires de la cuisse.
Technique de fermeture
Huit études comprenant 53 cas ont précisé le mode de
fermeture réalisée. Dans 59 % des cas, la fermeture était
réalisée secondairement. Quinze pour cent des cas étaient
fermés d’emblée tandis que 26 % des cas ont nécessité la
réalisation d’une greffe de peau. Dans les cas où la fermeture
n’était pas possible dans le premier temps, le délai avant la
fermeture était d’environ 5 jours après le premier temps.
Complications
L’analyse des complications observées chez 81 patients
parmi 8 études a retrouvé une prédominance des déficits
neurologiques persistants.
Une seule étude n’a retrouvé aucune complication.
J.T. Schwartz et al. avaient retrouvé quant à eux un taux
de mortalité de 47 %. L’analyse de la littérature retrouve
comme facteur de risque principal de mortalité l’existence
d’un polytraumatisme ou d’une infection. Dans la plupart
des cas, la cause de la mort ne pouvait pas être reliée
directement à une défaillance multiviscérale. Cependant,
les traumatismes crâniens, les insuffisances rénales et les
traumatismes cardio-thoraciques semblaient jouer un rôle
majeur. Le délai entre le traumatisme et le décès n’a pas
été analysé dans la littérature, mais, généralement, le
cès semblait survenir en période postopératoire
précoce.
Discussion
Le syndrome de loge de la cuisse n’est pas aussi fréquent
que le syndrome de loge de la jambe. Dans cette revue
systématique, les auteurs ont cherché à relever les infor-
mations pratiques pour la prise en charge de cette compli-
cation sérieuse. En raison du petit nombre de cas, aucune
conclusion ne permet de dire s’il faut réaliser une ou deux
incisions, ni s’il est nécessaire de fermer en un temps ou
en deux temps. La seule donnée fiable est la prédomi-
nance des traumatismes fermés de la cuisse.
Le diagnostic du syndrome de loge est essentiellement
clinique ; en revanche, la prise des pressions est primor-
diale chez le patient sédaté. Une différence supérieure à
30 mmHg entre la pression diastolique et la pression de la
loge semble être un seuil critique dans la décision d’une
fasciotomie. La voie d’abord de la fasciotomie dépend
essentiellement du groupe musculaire atteint.
Pour F.A. Matsen et al., il serait nécessaire d’ouvrir toutes
les loges musculaires de la cuisse. Chez les patients présen-
tant une lésion médullaire, une libération de tous les
groupes musculaires est nécessaire afin de prévenir l’appa-
rition de fibrose et de contractures. Pour S.D. Tarlow et
al., une seule incision latérale permettrait de libérer les
loges antérieure et postérieure de la cuisse. Par une voie
latérale, il est possible d’aborder la loge antérieure ainsi
que les muscles de la loge postérieure. La fasciotomie des
muscles adducteurs se fait par une voie interne au travers
du septum intermusculaire interne. La fermeture se fait
généralement de manière progressive, ce qui peut prendre
un minimum de 7 jours. En cas d’impossibilité de ferme-
ture, une greffe de peau peut être nécessaire. Les
syndromes de loge de la cuisse ont un taux de complica-
tions élevé, proche de 80 %. La survenue d’infections
pourrait avoisiner deux tiers des cas. La complication
principale est lexistence de déficits neurologiques
incluant à différents degrés des troubles sensitifs ainsi que
des déficits moteurs.
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Conclusion
Pour les auteurs, il existe peu de données dans la littéra-
ture sur le syndrome de loge de la cuisse lorsqu’il s’agit
d’étudier les causes et le type de fasciotomie, le type de
fermeture et le taux de complications. Une étude prospec-
tive serait nécessaire afin de mieux préciser ces éléments
et d’optimiser la prise en charge des syndromes de loge de
la cuisse.
L’objectif des auteurs dans cet article était d’analyser la littérature afin de mieux définir la prise en charge et la préven-
tion des complications dans le cadre des syndromes de loge aigus de la cuisse. La première difficulté à laquelle sont
confrontés les auteurs tient à la pauvreté de la littérature sur le sujet. Un autre écueil est probablement l’intégration
de cas qui ne correspondaient pas nécessairement à des syndromes de loge stricto sensu : en effet, les auteurs confir-
ment avoir intégré dans leurs cas des patients qui présentaient des lésions d’origine vasculaire. Il existe donc, sûre-
ment, des patients présentant plus des signes d’ischémie musculaire d’origine vasculaire qu’un réel syndrome de loge
par augmentation de la pression. De la même manière, on peut supposer qu’un certain nombre de cas de patients inté-
grés présentaient des crush syndromes. Le tableau clinique est le même (rhabdomyolyse, troubles rénaux), mais le
mécanisme physiopathologique diffère.
D’autre part, on regrettera que les auteurs n’aient pas précisé le type de loge le plus fréquemment atteint. Il semble-
rait, malgré tout, que la loge antérieure de cuisse soit la loge la plus souvent touchée.
On retiendra surtout le délai assez long existant entre le traumatisme et le diagnostic, vraisemblablement lié à la
gravité des lésions vitales souvent associées, une majorité d’interventions réalisées avec une seule voie d’abord avec
une fermeture cutanée différée, la fréquence de la mortalité, des complications associées et des séquelles à long terme.
Référence
1. Schwartz JT, Brumback RJ, Lakatos R, Poka A et al. Acute compartment syndrome of the thigh. A spectrum of injury. J Bone Joint Surg Am 1989 ;
71 : 392-400.
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