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De temps à autre, la presse non scientifique fait écho au problème de la résistance bactérienne
aux antibiotiques (voir par exemple, Test-Achats, juillet 2010 ; Le Soir, 13 août 2010 ; Time
Magazine, 20 juin 2011 ; Téléstar, septembre 2010, Le Soir, 17 novembre 2015). Le monde
scientifique a sonné l’alarme depuis longtemps. En 2008, dans un no spécial du volume 321 de la revue
Science, on pouvait lire que Staphylococcus aureus était un pathogène humain très largement répandu,
infectant plus de 2 milliards de personnes (Richardson, p. 1672) et dont les souches résistantes à la
thicilline (SARM en Français et MRSA en Anglais) tuaient, aux USA, plus de gens que le SIDA
(Payne, p 1644). Il est inquiétant de voir que les organismes de financement de la recherche
scientifique négligent quelque peu la bactériologie au profit d’autres domaines et que l’industrie
pharmaceutique a très peu investi dans la recherche de nouveaux agents antibactériens au cours des 20
dernières années.
Il existe différentes familles d’antibiotiques qui peuvent agir sur la réplication de
l’ADN (quinolones et fluoroquinolones), la syntse de l’ARN (rifamycines) ou des protéines
(aminosides, dont la streptomycine, macrolides, tétracyclines), la synthèse du peptidoglycane
(glycopeptides comme la vancomycine et bêta-lactames comme les pénicillines et les céphalosporines,
voir plus loin), l’intégrité de la membrane cytoplasmique (certains peptides cycliques) ou le
tabolisme de l’acide folique (sulfamidés et triméthoprime). La cible de l’antibiotique est le plus
souvent un enzyme, parfois la membrane elle-même et, plus rarement, le substrat d’une réaction
enzymatique essentielle. Pour atteindre cette cible, l’antibiotique doit presque toujours s’introduire
dans la cellule, les principales exceptions étant les glycopeptides et les bêta-lactames (voir plus loin)
dont les cibles sont situées à l’extérieur de la membrane cytoplasmique. Cependant, dans le cas des
bactéries à Gram négatif, il existe une seconde barrière de perméabilité, la membrane externe, que les
glycopeptides ne peuvent traverser et qui peut diminuer significativement l’accès des bêta-lactames à
leur cible.
Les principaux mécanismes de résistance sont les suivants :
une modification de la cible; notons que ce mécanisme implique, de la part de la bactérie, un
travail de chimie fine puisque la cible doit conserver son activité biochimique ;
une diminution de la perméabilité qui ralentit la pénétration de l’antibiotique ;
l’expulsion de l’antibiotique à l’extérieur de la cellule, contre le gradient de concentration,
phénomène appelé efflux actif parce qu’il implique une utilisation d’énergie, fournie par le
tabolisme bactérien;
la destruction de l’antibiotique par des enzymes spécifiques.
Plusieurs de ces mécanismes peuvent agir simultanément: par exemple, un
ralentissement de la pénétration ou un efflux actif facilitent l’action des enzymes de destruction.
Pour illustrer ces divers canismes, nous développerons le cas des composés qui
interfèrent avec la synthèse du peptidoglycane.
La résistance des bactéries aux antibiotiques:
un problème pour le 21e siècle
Jean-Marie Frère, Professeur émérite, ULg
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H2N DAla - DAla H2N DAla - (DAla)+
H2NDAla - HN DAla - (DAla)
DAla
+
La synthèse du peptidoglycane bactérien : une cible de choix pour les antibiotiques.
Les bactéries vivent le plus souvent dans un milieu dont la pression osmotique est
inférieure à celle de leur cytoplasme. Comme toutes les membranes biologiques, leur membrane
cytoplasmique est assez perméable à l’eau. En absence d’une protection mécanique adéquate, l’eau
pénétrerait dans la bactérie pour en diluer le contenu et la bactérie exploserait. La protection
canique est fournie par la paroi bactérienne qui contient un polymère, le peptidoglycane qui peut
résister à des pressions élevées. Ce polymère forme un treillis qui entoure complètement la cellule. Il
est composé de chaînes linéaires de sucres (la partie « glycane ») pontées par de courts peptides. Pour
le fabriquer, la bactérie exporte des sous-unités, qu’on peut comparer à des « briques » qui sont
assemblées dans l’espace extracellulaire. Pour allonger les chaînes de glycanes, la bactérie utilise
l’énergie de la liaison entre la « brique » et le transporteur qui lui a fait traverser la membrane
cytoplasmisque. Les ponts peptidiques sont ensuite fermés par une réaction de transpeptidation qui
implique 2 peptides liés chacun à une chaîne de glycane différente (figure 1).
Figure 1 : réaction de transpeptidation. Les chaînes de glycanes sont représentées par les traits gras. Le groupement
NH2 est porté par le résidu d’acide aminé qui précède la première D-Ala. Cette réaction est catalysée par des enzymes
appelés DD-peptidases ou DD-transpeptidases.
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C’est cette réaction qui est bloquée par la vancomycine et les bêta-lactames : lorsque le pont
peptidique n’est pas fermé, le peptidoglycane de la bactérie en croissance perd sa résistance mécanique
et la bactérie explose (figure 2).
Figure 2 : explosion d’une bactérie en croissance suite à l’action d’un bêta-lactame.
Le fait qu’ils inhibent la réaction de transpeptidation explique la grande spécificité des
glycopeptides et des bêta-lactames. Ces molécules s’attaquent à une action qu’on ne rencontre que
dans le monde bactérien, contrairement à la plupart des autres antibiotiques qui profitent de légères
différences entre les métabolismes des bactéries et des eucaryotes et qui sont donc susceptibles de
donner lieu à des effets secondaires non désirés. En effet, on ne rencontre aucun peptide du type R-D-
Ala-D-Ala et aucun enzyme qui reconnaisse ces peptides chez les eucaryotes. On peut donc
administrer sans danger des doses importantes de bêta-lactames aux malades. Il existe bien des cas
d’allergie à ces antibiotiques, mais ils sont assez rares et ne seront pas discutés ici.
Pour bien comprendre les canismes de résistance, il faut rappeler qu’il existe 2
grands types de bactéries qui diffèrent par la structure de leurs parois. Celle des bactéries à Gram
positif est essentiellement composée d’une épaisse couche multilamellaire de peptidoglycane qui
n’empêche pas la diffusion de molécules dont la masse est inférieur à 30000 Daltons. La paroi des
bactéries à Gram négatif est plus complexe : une fine couche de peptidoglycane, probablement
unilamellaire, est entourée d’une seconde membrane, la membrane externe dont la composition est très
différente de celle de la membrane cytoplasmique et qui serait imperméable à toutes les molécules
hydrophiles si elle ne contenait les porines. Ces protéines en forme de tonneaux permettent la diffusion
de molécules hydrophiles de masse inférieure à 700 Daltons, ce qui est le cas des bêta-lactames, mais
pas de la vancomycine. Ce dernier antibiotique ne peut donc être utilisé que pour lutter contre les
infections causées par des bactéries à Gram positif.
Parmi les bactéries à Gram positif, les mycobactéries (responsables par exemple de la
tuberculose et de la pre) possèdent aussi une membrane externe chimiquement très différente de
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celle des bactéries à Gram négatif : elle contient des arabinogalactanes estérifs par des acides
mycoliques, des phospholipides et des protéines semblables aux porines permettent les échanges avec
l’extérieur.
La vancomycine et les glycopeptides : mécanisme d’action et résistance.
La vancomycine est un glycopeptide (figure 3) qui présente une masse moléculaire de 1449.3
Daltons. Dans la me famille, on trouve aussi les teicoplanines, dont les masses moléculaires varient
de 1564 à 1908 Daltons. Les glycopeptides agissent en se liant à l’extrémité D-Ala-D-Ala du peptide
précurseur du peptidoglycane, rendant ainsi la réaction de transpeptidation impossible. Pour des
raisons stériques, les glycopeptides interfèrent aussi avec la réaction d’allongement des chaînes de
glycanes. Dans les complexes fors entre les glycopeptides et des peptides R-D-Ala-D-Ala, on
observe une liaison hydrogène importante entre le NH de la liaison D-Ala-D-Ala et un oxygène du
glycopeptide (figure 3).
Figure 3 Liaison de la vancomycine à un peptide R-DAla-DAla. Les liaisons hydrogène sont indiquées en pointillé sauf la
plus importante, entre le dernier NH du peptide et un oxygène de la vancomycine qui est représentée par un trait plus épais
(Reproduit de Bugg et al., Biochemistry 30,10408-10415, 1991).
Les entérocoques (bactéries à Gram positif) sont habituellement sensibles aux glycopeptides.
Mais on a observé l’apparition de souches résistantes dont beaucoup sont également résistantes aux
ta-lactames, ce qui préoccupe particulièrement le milieu médical. Dans ces souches résistantes aux
glycopeptides, le dernier résidu de D-Ala du peptide précurseur est remplacé par un D-lactate, si bien
que la liaison amide -CO-NH- est remplacée par une liaison ester CO-O-. Contrairement au
groupement NH, l’oxygène ne peut former la liaison hydrogène importante évoquée plus haut et
l’affinité pour le glycopeptide diminue d’un facteur 1000. Comme l’ester peut être utilisé par la
plupart des DD-transpeptidases, le pont peut se former entre les chaînes de glycane. Cependant, les
entérocoques ne contiennent habituellement pas de D-lactate. Ils ont donc besoin d’un nouvel
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enzyme, une D-lactate déshydrogénase, capable de réduire le pyruvate en D-lactate. Notons que
beaucoup de cellules, bactériennes ou eucaryotes, possèdent une L-lactate déshydrogénase qui réduit
le pyruvate en L-lactate. Mais le L-lactate n’est pas incorporé au précurseur du peptidoglycane et on
voit de nouveau l’importance de la configuration D du dernier résidu de ce précurseur. La D-lactate
shydrogénase est codée par le gène vanH. Un autre nouvel enzyme est nécessaire pour catalyser la
formation de D-Ala-D-Lac car la ligase, l’enzyme qui synthétise le dipeptide D-Ala-D-Ala du
précurseur est incapable d’utiliser le D-lactate pour former le D-Ala-D-Lac. Ce second nouvel enzyme
est codé par le gène vanA. Deux autres enzymes, codés par les gènes vanX et vanY éliminent les
précurseurs normaux contenant la séquence D-Ala-D-Ala.
D’où viennent les gènes vanA et vanH ? On a montré que certains lactobacilles produisaient
naturellement un précurseur du peptidoglycane se terminant par la séquence D-Ala-D-Lac. Il semble
donc que les entérocoques résistants se soient livrés à du « shopping » et aient importé les gènes de
résistance à partir d’espèces naturellement résistantes aux glycopeptides.
Les glycopeptides représentent le plus souvent les antibiotiques de dernier recours contre le
SARM (Staphylococcus aureus résistant à la thicilline, la thicilline étant une pénicilline, voir
plus loin). Il était donc à craindre que le SARM ne réalise le même shopping que les entérocoques et
ne devienne résistant aux glycopeptides. C’est bien ce qui s’est passé : on a isolé des souches
résistantes aux deux types d’antibiotiques administrés parément. Heureusement, ces souches ne sont
pas résistantes à l’administration conjointe des 2 antibiotiques : il semble que, contrairement à la
plupart des autres DD-transpeptidases, la DD-transpeptidase insensible à la thicilline (le PBP2a,
voir plus bas) et caractéristique du SARM soit incapable d’utiliser le précurseur terminé par D-Ala-D-
Lac dans la réaction de transpeptidation.
La résistance aux glycopeptides représente donc un exemple de résistance par modification de
la cible.
Les bêta-lactames : mode d’action.
Les bêta-lactames forment une grande famille d’antibiotiques, caractérisée par la présence du
cycle à 4 pièces du noyau bêta-lactame et possédant le même mode d’action (figure 4).
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