Cours 1. Un peu d`histoire : le développement d`une théorie de l

1
Cours 1. Un peu d’histoire : le développement d’une théorie de
l’évolution (PG : 5.1)
Avant Darwin : une évolution ?
Des « théories » hors du domaine scientifique : ‘un créateur a ordonné l’univers’ =>
théorie infalsifiable (pas de mise à l’épreuve possible par l’expérimentation).
Dans l’Antiquité (Grèce / VIe siècle avant JC) : des mythes troublants d’intuition
(créatures vivantes faites d’eau et animaux descendant tous des poissons ; organes unis
au hasard ds des combinaisons dont seules quelques-unes sont aptes à la survie), mais
surtout une recherche des lois naturelles qui régissent le monde => Socrate : examen
critique des hypothèses et des jugements.
Ensuite, les chrétiens, s’appuyant sur la philosophie de Platon (pas d’observation car
une essence éternelle : l’Idée non représentable par une matérialisation temporaire,
qui n’en est qu’une simple indication => la variation n’a pas de sens car le monde est
constitué d’un nombre limité d’essences fixes) et d’Aristote (observation sans
expérimentation => organes fabriqués ds un but précis (l’individu doit voir donc l’œil
existe) : finalisme, même si l’importance du hasard l’a effleuré), établissent la notion
d’espèces immuables, avec une échelle de valeurs qui fait de l’être humain le lien entre
animaux et anges => créationnisme.
- le Créateur est à l’origine des espèces : toutes sont disjointes et chacune, créée
une seule fois (fixisme), est définie par un type => classification typologique
- une preuve irréfutable contre l’évolution : la Terre n’a que 5000 ans
Descartes (XVIIe): rien que des caniques sauf l’homme, qui a une âme.
Introduction de l’exemple de l’horloge : on s’intéresse au mécanisme,
indépendamment du pourquoi, du qui (est l’horloger) et dans quel but => début des
véritables études scientifiques en biologie.
2
Linné (XVIIIe): recherches ‘à la plus grande gloire de Dieu’ mais son fixisme est
ébranlé par le constat de l’apparition d’un mutant de Linaria vulgaris (=> hybridation
d’espèces ancestrales).
Puis un cadre religieux exacer au début du XIXe en Angleterre : idéalisme +
théologie => théologie naturelle :
- une montre ne peut pas être un objet du hasard, une créature vivante, bien plus
complexe et parfaite, encore moins (abbé Paley ‘Argument from design’) :
l’adaptation comme preuve de l’existence de Dieu ?
- Et l’œil dans tout cela ?
Dès le milieu du XVIIIe, proposition par les matérialistes (pré-transformistes :
Diderot, Goethe) de l’idée de génération spontanée à partir du non-vivant et surtout,
Buffon ose émettre l’idée que les espèces d’un même genre pourraient provenir du
Figure 1.
Stades de l’évolution de
l’œil chez divers mollusques
actuels - Œil et sélection
naturelle simulée sur 400000
générations (in Ridley M., 1996)
3
même « moule intérieur », autrement dit seraient issues d’un même ancêtre (sauvage /
espèces domestiques) et auraient divergé (se seraient transformées) sous l’influence de
conditions environnementales (climat).
1809 : ‘Philosophie zoologique’ (JB de Lamarck) : du fait transformiste au
transformisme :
- une espèce, en se transformant sous l’influence d’une pression
environnementale disparaît au profit d’une nouvelle espèce => lignées
continues et infinies : les besoins d’un être vivant déterminent son mode de
développement, et ses besoins sont eux-même déterminés par le milieu dans
lequel il vit ;
- hérédité des caractères acquis avec accumulation des modifications au fil du
temps (cf. le cou des girafes) qui concerne tous les individus de l’espèce ;
(in Brondex F., 2001)
4
- peu d’impact en son temps car aucune expérimentation et ridiculisée par
Cuvier, anatomiste hors pair et fixiste qui imaginait mal comment la
complexité et les intrications associées à la construction d’un organisme
pouvaient s’accommoder d’une quelconque altération => cataclysmisme :
catastrophes géologiques (espèces perdues) suivies de créations successives par
Dieu.
Pendant Darwin : qui d’autre pour quel avenir ?
L’importance des travaux de Mendel (1865), qui permit de réfuter la théorie de
l’hérédité ‘par mélange’ ne fut pas réalisée à son époque. Ce n’est qu’à partir de 1900
que la redécouverte de ses lois régissant la transmission du matériel héréditaire devait
donner lieu au développement d’une nouvelle science : la génétique.
Darwin (1859) : « L’Origine des espèces » Il reprit l’hypothèse de Lamarck mais
proposa un mécanisme pour la transformation graduelle des espèces : la sélection
naturelle qui sélectionne certaines variations individuelles au sein d’une population en
favorisant la survie et la reproduction des individus porteurs provoque un écart au
type.
Fils de médecin, Darwin est passionné par l’histoire naturelle mais, la
profession de naturaliste n’existant pas, il commence des études de médecine puis
devient pasteur. Il adhère totalement aux concepts de la théologie naturelle. Le passage
de cette vision fixiste des espèces à l’idée d’un vivant qui évolue fait suite au voyage
autour du monde qu’il réalise à bord du « Beagle ». Les observations qu’il y fait, celles
notamment sur les pinsons (en fait des moqueurs (Géospizidés)) des Galapagos, sont à
l’origine du résumé de sa théorie de l’évolution publiée à la hâte en 1859, sachant que
AR Wallace avait formalisé les mêmes intuitions sur la SN.
2 thèmes principaux :
- toutes les espèces, actuelles ou passées, descendent d’une ou de quelques
formes vivantes originales : pas de créations répétées par un pouvoir surnaturel
ou par génération spontanée ; accumulation de petites variations (cf
domestication => sélection artificielle sur les pigeons / chiens) ;
5
- théorie de la sélection naturelle : 4 propositions (5 théories selon E. Mayr :
évolution en tant que telle, ascendance commune, gradualisme, évolution des
pops vers l’espèce, sélection naturelle) fondées sur la variabilité et l’apparition
de caractères nouveaux, sont à la base des mécanismes de l’évolution qu’il
propose :
1. il existe une variabilité, des différences, au sein des populations naturelles,
entre les individus d’une même espèce. Celle-ci est transmissible des
parents aux enfants.
2. les ressources du milieu sont limitées par rapport à la tendance à
l’accroissement de l’effectif de la population => compétition (cf. lecture
de l’économiste Malthus) : stabilité des effectifs destruction d’une
partie des descendants).
3. avantage lié à certaines variations : individus porteurs plus efficaces dans
la compétition ; ils survivent et se reproduisent mieux.
4. la sélection naturelle effectue un tri entre les individus. Ceux qui portent
des variations favorables laissent plus de descendants, portant eux-mêmes
cette modification. Ainsi, les individus porteurs de ce caractère sont de
plus en plus nombreux dans la population.
6
Après Darwin : les anti- et les pro-
1 idée maîtresse, anti-matérialiste : les êtres vivants ont en charge leur propre
évolution, sont actifs, et pas seulement les victimes consentantes des pressions
sélectives.
Sur le continent (en bonne position : la France) : biologistes expérimentaux
remarquables (physio, embryo) pas prêts à accepter quelque chose d’aussi vague…
- Néolamarckisme
Pas mal de scientifiques de la fin du XIXe relancent l’idée d’une hérédité des
caractères acquis (confusion avec plasticité de développement). Attaqués par
Weismann (1834-1914), qui propose l’idée d’un ‘germ plasm’ intouchable, isolé du
soma, lequel transmet ce germe de génération en génération (cf expérience des queues
de souris coupées) : Néodarwinisme = non-hérédité des caractères acquis + sélection
naturelle (le Darwinisme réduit à sa plus simple expression).
- Orthogénèse
Surtout des paléontologistes, influencés par les tendances perçues ds les fossiles :
évolution en ‘ligne droite’, ds une direction prédéterminée sans l’aide de la sélection.
Certains n’hésitent pas à prédire que des taxons vont droit ds le mur (tendances non
adaptées => extinction), d’autres parlent de ‘sénilité raciale’ (une période florissante
puis un déclin inéluctable => élan d’Irlande avec ses bois qui n’en finissaient pas de
grandir). Ces théories disparurent dès la démonstration de Simpson dans la ‘théorie
synthétique de l’évolution’.
- Mutationisme
Théories fondées sur la génétique mendélienne, que Darwin ignorait et qui, par
conséquent, avait tendance à mettre en avant la variation continue (cf. école
biométrique fondée par le cousin Galton => hérédité estimée grâce à une mesure de
similarité entre parents-enfants : régression vers la moyenne (ce qui pose problème
quant à l’efficacité de la SN) ou encore ‘vers la médiocrité’ sic ; il défendra
l’eugénisme = sélection artificielle dans le but d’améliorer l’espèce humaine, avec sa
7
transposition sociale qu’est le darwinisme social) => gros conflit entre biométriciens
(University College London) et tenants d’une variation discrète : les Mendéliens
(Bateson / Cambridge), qui soutiennent que la variation continue n’a pas de support
génétique, donc aucun rôle ds l’évolution.
De Vries (1848-1935), botaniste redécouvreur du papier de Mendel : il crée le mot
mutation pour des variants spontanés se différenciant substantiellement des parents =>
nouvelles espèces : théorie mutationniste de l’évolution (les nouvelles espèces
apparaissent brusquement sans formes intermédaires et sont immédiatement stables : la
sélection retiendra ce qui est valable)
Morgan (1866-1945) et autres généticiens du début du XXe siècle : l’évolution
s’explique par des ‘macromutations’, lesquelles n’ont aucune raison d’être
adaptatives : une forme persiste simplement si elle est capable de survivre et de se
reproduire.
Une évolution graduelle de caractères quantitatifs sous l’action de la sélection
naturelle leur paraissait contraire à ce que l’on commencait à connaître sur l’hérédité :
ce n’est pas de la science (au contraire de la biologie expérimentale) mais une vieille
spéculation…
Goldschmidt : importance des changements héréditaires pendant le développement
mais il oppose ces changements évolutifs au sein des espèces aux processus
responsables de l’apparition de nouvelles espèces (mutations systémiques :
réorganisation totale du génome) => monstres prometteurs bâtis sur un plan
d’organisation nouveau (cf théorie ‘saltationniste’).
8
Pour rapprocher tous ces points de vue, il fallut d’abord :
éclaircir l’hérédité des caractères quantitatifs et comprendre qu’elle
pouvait s’expliquer par la ségrégation de nombreux nes influencant le
même caractère avec généralement, en plus, une forte influence du
milieu (ce sont les travaux de Johannsen sur l’hérédité de la taille des
graines de haricot qui l’amenèrent à séparer clairement et à proposer en
1909 les termes génotype et phénotype, ce dernier influencé à la fois par
le génotype et par le milieu). Développement de la théorie polygénique
de l’hérédité des caractères à variation continue.
Réaliser que les mutations ne sont pas une alternative à la SN, mais son
matériau : c’est la conjonction mutation-SN qui est responsable de
l’évolution adaptative. Si les mutations étaient un préalable nécessaire à
l’apparition de nouveaux gènes, on devait comprendre aussi comment
ces nouveaux gènes pouvaient remplacer les anciens, donc raisonner en
termes de fréquence des gènes dans les populations.
Ce n’est que bien après la redécouverte des lois de Mendel en 1900, lois tombées dans
l’oubli, et après la découverte des mutations, non par de Vries, mais par Morgan
(1910) que furent réunies les données biologiques de base permettant une étude de la
variabilité héréditaire au sein de l’espèce, avec en particulier la construction d’une
véritable théorie de la sélection. L’étude générale est l’objet de la discipline connue
sous le nom de ‘génétique des populations’.
La génétique des populations est née dans les années 1920-30 de la volonté de
concilier la théorie darwinienne de l’évolution (variation continue) et les données de
plus en plus précises acquises depuis le début du XXe siècle sur la transmission du
matériel héréditaire (variation discontinue et hérédité mendélienne). Cette
harmonisation a d’abord été faite par des biomathématiciens (R.A. Fisher, J.B.S.
Haldane, S. Wright), qui ont construit des modèles décrivant l’évolution des
populations sous l’influence des pressions que sont la mutation, la recombinaison, la
SN et le hasard… Et des français (Teissier, L’Héritier) qui en fournissent une base
9
expérimentale (cages à drosophiles). Le but de la génétique des populations est, par
des modèles prospectifs de plus en plus élaborés, de rendre compte de l’évolution.
Cette harmonisation entre les 2 écoles s’intéressant pour l’une, à la variation des
caractères continus, pour l’autre, à la variation de caractères discontinus a conduit à la
formulation d’une nouvelle théorie dite synthétique de l’évolution. Cette théorie
intègre les données de la génétique et prend en compte les mutations comme source de
variabilité héréditaire, le mécanisme chromosomique de l’hérédité et la sélection
naturelle. Plusieurs personnalités d’horizons scientifiques très divers en sont à
l’origine : Dobzhansky (généticien drosophile), Mayr (biogéographe, ornithologiste),
Simpson (paléontologiste vertébrés), Stebbins (botaniste), [Ford (entomologiste),
Huxley (zoologiste)] pour les principaux fondateurs de cette théorie qui fera référence
entre les années 1950 et 1980.
La synthèse évolutionniste (évolutive) en 20 points dont :
- phénotype génotype => différences phénotypiques dues aux gènes et à
l’environnement
- les effets environnementaux n’affectent pas les gènes transmis aux descendants
mais éventuellement leur expression
- variation héréditaire avec gènes comme support au travers des générations /
mécanismes chromosomiques de l’hérédité
- mutations dont l’effet (variation) est amplifié par la recombinaison =>
diversification génétique
- changement évolutif : processus populationnel avec populations
géographiquement variables
- changement des fréquences génotypiques au taux de mutation et aux
pressions, non mutuellement exclusives, s’exerçant sur la variabilité induite :
dérive, sélection naturelle
- Définition biologique de l’espèce.
Cette Synthèse montre enfin que le rejet d’hypothèses fausses (principe de
réfutation) est un progrès important en science.
10
La génétique des populations repose donc largement sur la construction de
modèles mathématiques qui doivent être confrontés à la réalité. Elle associe
l’observation de populations naturelles et la réalisation d’expériences de laboratoire
pour suivre l’évolution des fréquences des gènes et mesurer les paramètres qui
interviennent dans les modèles.
Un frein a longtemps été la difficulté d’isoler des gènes marqueurs dont on puisse
étudier la fréquence (variation phénotypique observable souvent génétiquement trop
complexe ou trop influencée par le milieu pour être utilisable). On était obligé de se
limiter à quelques marqueurs (groupes sanguins chez l’homme, polychromatisme chez
les animaux)… Les techniques d’électrophorèse des protéines à partir de 1966 puis,
plus récemment, les techniques utilisant l’ADN ont mis à la disposition des chercheurs
un nombre considérable de nouveaux marqueurs... Avec la surprise de constater qu’au
moins 30% des gènes de structure sont polymorphes :
Comment toute cette variabilité génétique est-elle organisée et maintenue ds
les populations naturelles ?
Les hypothèses de la théorie ‘classique’ (HJ Müller : individus homozygotes pour
l’allèle ‘sauvage’ (favorisé) à la plupart de leurs gènes : variabilité maintenue par mutations)
vs. polymorphisme équilibré (Dobzhansky : individus hz à la plupart de leurs gènes / pas
d’allèle normal : variabilité maintenue par sélection balancée) ont du mal à tenir…
=> Emergence d’une théorie neutraliste de l’évolution (
Kimura
) opposée à la théorie
sélectionniste (cf. avantage de l’hz).
Qu’a-t-on fait des autres ‘intuitions’ de Darwin ?
Ecologie évolutive ’ressucitée’ grâce aux travaux de Lack (1947) sur l’évolution de la
taille optimale des pontes et ceux de Medawar et Williams sur le vieillissement => les gènes
comme unité de la sélection : nous ne sommes que des phénotypes jetables…
Ecologie comportementale : Hamilton (1963) formalise sa théorie de la sélection de
parentèle ; Maynard-Smith et Williams, après avoir démontré les limites de la sélection de
groupe, insistent sur l’importance du sexe dans l’évolution. Maynard-Smith introduit
également la théorie des jeux dans l’évolution pour comprendre le comportement individuel
lors de conflits d’intérêt => ESS
1 / 46 100%

Cours 1. Un peu d`histoire : le développement d`une théorie de l

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !