dépassement de sa « nature »....C'est bien cela qui fonde l'enthousiasme de Kalle – sortir de sa
condition. « Je ne suis pas un mouton mouton », clame-t-il (p27) d'abord, avant de se réjouir de
cette transformation réussie : « Je ne suis plus un mouton, je suis un loup. Je suis LE loup ! »
(p30) (transformation pensée donc comme un accès à son « soi » véritable).
On peut voir enfin, dans cette liberté de devenir « un autre », une image de ce qu’est par
excellence le théâtre : « Ne soyez pas timide, lâchez-vous ! » lance d’ailleurs le Nain à Kalle –
comme un metteur en scène qui s’adresserait à ses comédiens.
Le désir (universel) d'être et de vivre libre pose aussi la question de la juste « place », de
savoir si nous sommes bien « à notre place » là où nous sommes. Notre fonction sociale nous
convient-elle ? Dans Etre le loup, il apparaît que la liberté de changer de voie / de voix soulève en
retour le problème délicat de savoir pour quelle autre voie / ou voix changer. Le Nain s'interroge
(« Peut-être je ferais mieux de retourner dans un secteur manuel. »), Kalle lui-même
s’interroge (« Je ne sais tout simplement pas si je suis fait pour ce boulot ») : car il n’est guère
aisé de savoir quelle forme prendre, quel costume endosser, quel type d’existence mener… Ces
questions se posent ici sur un double plan (qui contribue à la force de la pièce) – celui du réel le
plus contemporain (poste vacant, recrutement, problématique de l'emploi précaire) et celui,
atemporel, des symboles : si on recrute un loup, en effet, c’est qu’il semble que la place de loup
doive nécessairement être occupée ? Aurait-on « toujours besoin d’un grand méchant
loup » autour duquel (re)distribuer les rôles ? Fera-t-il toujours « partie du jeu » ?
CROIRE OU SAVOIR
Dans la première scène de la pièce, le dialogue entre Locke et Kalle s’engage à partir de la
« bonne nouvelle » de la mort du loup : il s’agit de faire le point sur ce que cette disparition
entraîne, par conséquent de rappeler qui était véritablement le loup. Immédiatement les questions
de Locke entraînent l’agacement de Kalle, dont les réponses sont précisément le signe d’un refus
de s’interroger : « Quelle question ! », « Evidemment », « Bien sûr ! », « ça va de soi », « ça coule
de source »... Le loup était le loup : et il n’y a pas lieu de discuter, là où les évidences remplacent
les savoirs. Mais lorsque Locke pose des questions plus précises à Kalle (« est-ce que tu l’as
connu ? », « tu l’as vu ? »), la fragilité de ce prétendu « savoir » apparaît – qui n’est en vérité
fondé que sur des « on dit », des rumeurs, des représentations et/ou fantasmes, et non sur une
quelconque expérience. « Une fois j’ai failli le voir », dit Kalle, ou encore « je connais quelqu’un
qui l’a vu » : le loup serait-il d’autant plus craint que son existence demeure mystérieuse, lointaine
(et les informations dont on dispose de « seconde main ») ? Kalle finit en tout cas par avouer,
indirectement, que ses savoirs manquent de précision (« est-ce que je sais, moi ? Je n’y étais
pas », « je ne sais pas. Aucune idée ») – ce qui ne l’empêche pas pourtant de continuer à
s’accrocher à ces « évidences ». « Je m’en fiche », finit-il par admettre : et ces mots à eux disent
la force de nos croyances, (auxquelles on a parfois bien du mal à renoncer), indéracinables parce
qu’elles « tiennent lieu » de savoirs.
On peut ici convoquer le livre « Une soupe au caillou » de A. Vaugelade (L’Ecole des loisirs,
2000), qui pose aussi cette question de la rumeur et des a priori. Dans cette histoire, tout un
village s’inquiète à l’arrivée d’un vieux loup, lequel propose à une poule de préparer avec lui une
soupe. Tous les animaux sont sur leurs gardes, méfiants (mais en même temps curieux). Or pour
finir la soupe cuit, chacun y ajoute un ingrédient, et tous passent en compagnie d’un loup une très
bonne soirée !
LE « PASSAGE A L'ACTE »
Dominer, prendre le pouvoir sur les autres, tel est le rôle du Loup : qui ne peut pas ne pas
évoquer, dans notre réel contemporain, la figure du « chef ». Chefs et patrons de tous ordres,
chefs politique, chefs d’entreprise, la place de « dominant » est celle de tous ceux qui d’une
manière ou d’une autre se trouvent en haut de l'échelle sociale. Dans Etre le loup, indirectement
et avec humour, est souligné le paradoxe dans lequel ceux-ci se trouvent de n'avoir pas le temps,
le plus souvent, de « jouir » de leur statut, de leur position et de leur salaire de chefs... Ainsi le