Henri Puig ( avril 2014)
LA SOUFFRANCE A-T-ELLE UN SENS ?
Le thème de la souffrance de l’innocent est universel et toutes les littératures des plus anciennes
aux plus récentes l’ont abordé. Ainsi, dans la Bible, l’Ancien Testament raconte la longue
histoire des souffrances du peuple élu (famines, guerres, déportation à Babylone etc). Le livre de
Job pose quelques questions essentielles : A quoi bon vivre si la souffrance est inéluctable ? Si
Dieu est bon pourquoi permet-il la souffrance ? Qu’est-ce qui justifie la souffrance de l’homme
juste ? La souffrance de l’homme a-t-elle un sens ?
De nombreux auteurs modernes se sont aussi posé la question du sens de la souffrance ; citons
par exemple A. Camus : « Ce n’est pas la souffrance qui est révoltante, mais le fait que cette
souffrance ne soit pas justifiée »
. Dans la Peste, A. Camus médite longuement sur le mal et la
souffrance et développe un long réquisitoire contre une création où trop d’innocents souffrent
injustement et meurent. Essayons de répondre à ces questions intemporelles déjà posées par Job
et reprises tout au long de l’histoire de l’humanité. Le Livre de Job et les questions qu’il se pose
face à la souffrance peuvent nous aider à appréhender ce que peut être la souffrance aujourd’hui.
Peut-on accepter la souffrance ?
Dans un premier temps, Job accepte sa souffrance et s’en remet à Dieu : « Nu je suis sorti du
sein de ma mère, et nu j'y retournerai. Le Seigneur a donné, Le Seigneur a ôté; que le nom du
Seigneur soit béni! » (1,21). C’est un acte de foi, en même temps qu’un acte d’humilité : Job
reconnaît que l’homme n’est rien sans ce que Dieu lui donne. C’est bien dans la théologie de la
rétribution
que semble se situer Job dans le Prologue de ce livre (1,21 et 2, 1-10) qui décrit la
confiance, la patience et la soumission de Job dans ses épreuves : « Nous recevons de Dieu le
bien, et nous n'en recevrions pas aussi le mal ? » (2,10). Mais alors se pose la question :
pourquoi un juste souffre-t-il ?
La révolte de Job face à la souffrance
Sans maudire Dieu directement, Job qui ne comprend pas le sens de sa souffrance, maudit
d’abord le jour de sa naissance et sa vie : « Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui a dit: «Un
homme est conçu !» (3,3). « Que ne suis-je mort dès le ventre de ma mère, au sortir de ses
entrailles que n'ai-je expiré ! » (3,11) « Pourquoi donner la lumière aux malheureux, et la vie à
ceux dont l'âme est remplie d'amertume.» (3,20) Job pose ainsi clairement la question du sens de
l’existence. Il est déçu par la vie : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée
(7,1). » Oui, la destinée humaine est une corvée et il se plaint encore : « C’est pourquoi je ne
peux retenir ma langue, dans mon angoisse je parlerai, dans mon amertume je me plaindrai »
(7,11). Pourquoi Dieu que l’on dit bon ne peut-il supporter ses fautes et sa révolte ? : « Ne peux-
tu tolérer mes péchés, passer sur mes fautes ? » (7,21). Face à la souffrance, il s’interroge encore
sur le sens de la vie humaine : « Pourquoi donc m’as-tu fait sortir du sein maternel ? » (10,18)
et sur son absurdité. Job finit même par douter de l’existence de Dieu, car Dieu ne répond pas :
« Vers toi je crie, et tu ne réponds pas » (30,20). Job est déçu : « J’espérais le bonheur, et le
malheur survient ; j’attendais la lumière, et vient l’obscurité ! » (30,26) et reste dans les
ténèbres. Job est révolté et s’en prend à la bonté, et à la sagesse de Dieu (7, 21 ; 9, 27-31 ; 10, 1-
22 ; 13,20- 14,22)
La Révélation de Dieu et la réponse de Job
Le livre de Job se termine par un double discours de Dieu et une double réponse de Job. Dans sa
seconde et dernière réponse, les résistances de Job sont tombées ; Job commence par reconnaitre
la toute-puissance de Dieu : « Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est
impossible » (42,2). Il fait acte d’humilité et reconnaît son erreur : « C’est pourquoi je me
rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre » (42,6). À Dieu qui l’interrogeait, Job
CAMUS A., L’homme révolté, Gallimard, 1951, Paris, citation p. 127 et CAMUS, A. La Peste, Gallimard, 1947, Paris, 382 p.
Selon la théologie de la rétribution dans l’Ancien Testament, c’est dès cette vie sur terre que Dieu récompense les justes par
la prospérité et la descendance ou les punit par la maladie, la ruine, la pauvreté, l’absence de postérité et la mort.