1 Le thème de la souffrance de l`innocent est universel et toutes les

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LA SOUFFRANCE A-T-ELLE UN SENS
?
Le thème de la souffrance de l’innocent est universel et toutes les littératures des plus anciennes
aux plus récentes l’ont abordé. Ainsi, dans la Bible, l’Ancien Testament raconte la longue
histoire des souffrances du peuple élu (famines, guerres, déportation à Babylone etc). Le livre de
Job pose quelques questions essentielles : A quoi bon vivre si la souffrance est inéluctable ? Si
Dieu est bon pourquoi permet-il la souffrance ? Qu’est-ce qui justifie la souffrance de l’homme
juste ? La souffrance de l’homme a-t-elle un sens ?
De nombreux auteurs modernes se sont aussi posé la question du sens de la souffrance ; citons
par exemple A. Camus : « Ce n’est pas la souffrance qui est révoltante, mais le fait que cette
souffrance ne soit pas justifiée »1. Dans la Peste, A. Camus médite longuement sur le mal et la
souffrance et développe un long réquisitoire contre une création où trop d’innocents souffrent
injustement et meurent. Essayons de répondre à ces questions intemporelles déjà posées par Job
et reprises tout au long de l’histoire de l’humanité. Le Livre de Job et les questions qu’il se pose
face à la souffrance peuvent nous aider à appréhender ce que peut être la souffrance aujourd’hui.
Peut-on accepter la souffrance ?
Dans un premier temps, Job accepte sa souffrance et s’en remet à Dieu : « Nu je suis sorti du
sein de ma mère, et nu j'y retournerai. Le Seigneur a donné, Le Seigneur a ôté; que le nom du
Seigneur soit béni! » (1,21). C’est un acte de foi, en même temps qu’un acte d’humilité : Job
reconnaît que l’homme n’est rien sans ce que Dieu lui donne. C’est bien dans la théologie de la
rétribution2 que semble se situer Job dans le Prologue de ce livre (1,21 et 2, 1-10) qui décrit la
confiance, la patience et la soumission de Job dans ses épreuves : « Nous recevons de Dieu le
bien, et nous n'en recevrions pas aussi le mal ? » (2,10). Mais alors se pose la question :
pourquoi un juste souffre-t-il ?
La révolte de Job face à la souffrance
Sans maudire Dieu directement, Job qui ne comprend pas le sens de sa souffrance, maudit
d’abord le jour de sa naissance et sa vie : « Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui a dit: «Un
homme est conçu !» (3,3). « Que ne suis-je mort dès le ventre de ma mère, au sortir de ses
entrailles que n'ai-je expiré ! » (3,11) « Pourquoi donner la lumière aux malheureux, et la vie à
ceux dont l'âme est remplie d'amertume.» (3,20) Job pose ainsi clairement la question du sens de
l’existence. Il est déçu par la vie : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée
(7,1). » Oui, la destinée humaine est une corvée et il se plaint encore : « C’est pourquoi je ne
peux retenir ma langue, dans mon angoisse je parlerai, dans mon amertume je me plaindrai »
(7,11). Pourquoi Dieu que l’on dit bon ne peut-il supporter ses fautes et sa révolte ? : « Ne peuxtu tolérer mes péchés, passer sur mes fautes ? » (7,21). Face à la souffrance, il s’interroge encore
sur le sens de la vie humaine : « Pourquoi donc m’as-tu fait sortir du sein maternel ? » (10,18)
et sur son absurdité. Job finit même par douter de l’existence de Dieu, car Dieu ne répond pas :
« Vers toi je crie, et tu ne réponds pas » (30,20). Job est déçu : « J’espérais le bonheur, et le
malheur survient ; j’attendais la lumière, et vient l’obscurité ! » (30,26) et reste dans les
ténèbres. Job est révolté et s’en prend à la bonté, et à la sagesse de Dieu (7, 21 ; 9, 27-31 ; 10, 122 ; 13,20- 14,22)
La Révélation de Dieu et la réponse de Job
Le livre de Job se termine par un double discours de Dieu et une double réponse de Job. Dans sa
seconde et dernière réponse, les résistances de Job sont tombées ; Job commence par reconnaitre
la toute-puissance de Dieu : « Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est
impossible » (42,2). Il fait acte d’humilité et reconnaît son erreur : « C’est pourquoi je me
rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre » (42,6). À Dieu qui l’interrogeait, Job
1
CAMUS A., L’homme révolté, Gallimard, 1951, Paris, citation p. 127 et CAMUS, A. La Peste, Gallimard, 1947, Paris, 382 p.
2 Selon la théologie de la rétribution dans l’Ancien Testament, c’est dès cette vie sur terre que Dieu récompense les justes par
la prospérité et la descendance ou les punit par la maladie, la ruine, la pauvreté, l’absence de postérité et la mort.
Henri Puig ( avril 2014)
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répond enfin qu’il sait qu’il ne savait pas. Plus qu’une rétractation, c’est une conversion par
laquelle Job prend conscience de la relation qui l’unit à Dieu, c’est l’heureuse rencontre avec le
Seigneur : « Je ne te connaissais que par ouï-dire et maintenant mes yeux t’ont vu ! » (42,5). Job
n’avait jusqu’à présent qu’une connaissance indirecte de Dieu « par ouï-dire ». Désormais, le
contact est direct « mes yeux t’ont vu ». C’est une nouvelle manière de connaitre Dieu et de lui
parler, une rencontre, une proximité qui change tout et qui dépasse ses espérances. Qu’est-ce que
Job a compris ? Job, ayant vu Dieu, comprend que Dieu est bon et que la souffrance n’est pas
une punition. La rencontre avec Dieu ne peut se faire que dans la gratuité et la liberté. Le salut ne
s’acquiert pas, même par la pratique de la justice : il est don dans la gratuité de l’amour de Dieu.
Dans ce livre, Job présente un double visage : celui de l’homme pieux et soumis à la volonté de
Dieu, puis celui de l’homme révolté face au scandale de la souffrance. Pourquoi le mal, pourquoi
la souffrance ? Job ne nous donne pas l’origine de la souffrance. Il comprend que Dieu ne veut
pas le mal ou la souffrance. La souffrance ne s’explique pas, ne se justifie pas, n’a pas de sens.
Elle suscite la révolte, c’est humain. L’acceptation ne peut venir que dans la reconnaissance de
notre incapacité à tout comprendre et la confiance en Dieu tout puissant et miséricordieux dont
les desseins nous dépassent. Le silence de Dieu ne signifie pas son absence. Les questions qui se
posent à Job comme à nous n’ont de réponse que dans la confiance en l’existence de Dieu, en sa
sagesse et en sa toute puissance (42, 2-5).
En définitive, chacun de nous peut s’approprier le personnage de Job : nous pourrions être lui.
Comme lui, nous pouvons nous interroger sur le sens de la souffrance dans nos vies. Le Christ
qui a connu, comme nous, les épreuves et la souffrance est capable de partager nos faiblesses.
Aujourd’hui, le sacrifice du Christ innocent, livré par amour pour nous, sa mort et sa résurrection
rendent possible l’espérance. Car Dieu n’est pas sourd à la souffrance des hommes. Il n’est
certes pas un magicien qui supprimerait la souffrance des hommes, mais avec le Christ il est à
côté de ceux qui souffrent. « Le Fils de Dieu fait homme n'a pas soustrait la maladie et la
souffrance de l'expérience humaine mais, en les assumant, il les a transformées et
redimensionnées 3». Dans les cris de Job et de Jésus se rassemblent les cris de tous ceux qui
souffrent ou qui, de tout temps, ont souffert. Job nous indique le chemin dans sa révolte et son
affrontement avec Dieu, et aussi dans la reconnaissance de son dessein secret pour l’humanité et
de notre incapacité à le comprendre. Ayons la même espérance et la même confiance en l’amour
infini et gratuit de Dieu !
Juin 2014
Henri Puig
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Message du Pape François pour la Journée mondiale du malade, le 11 février 2014
Henri Puig ( avril 2014)
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