Traitement de la défaillance circulatoire
F. Garnier et C. Martin
Introduction
L'état de choc est secondaire à une inadéquation entre l’apport et l’utilisation
des substrats métaboliques (principalement le glucose et l'oxygène). Il en
résulte une anoxie tissulaire et éventuellement une mort cellulaire.
De nombreux facteurs contribuent à la dysfonction d'organes des patients
en choc septique. Les facteurs hémodynamiques, tels que la déplétion volé-
mique, la baisse des performances myocardiques (1) ou la vasodilatation
inappropriée, contribuent à l'hypotension systémique ; il en résulte une dimi-
nution de la pression de perfusion des organes. Grâce au phénomène
d’autorégulation, le débit sanguin d'un organe reste constant lorsque la pres-
sion de perfusion varie dans une large plage de valeurs. Le seuil
d'autorégulation est la pression la plus basse où l'autorégulation est maintenue.
Il peut être défini par l’interception de la zone d'autorégulation avec le sommet
de la zone de sub-autorégulation (fig. 1). En dessous de leur seuil d'autorégu-
lation, le flux sanguin des organes devient linéairement dépendant de la
pression de perfusion. C’est pourquoi une des priorités thérapeutiques du choc
septique est le rétablissement d’une pression de perfusion d’organe adéquate.
Cet objectif requiert le plus souvent l’administration de vasopresseurs avec un
risque de vasoconstriction excessive et de diminution de la perfusion des
organes. Les études cliniques suggèrent que de telles complications surviennent
rarement et qu’habituellement les fonctions d’organes s’améliorent lorsque la
pression de perfusion tissulaire est augmentée lors du choc septique (2-14).
Les amines vasopressives
Dopamine (tableau I)
Les effets pharmacologiques de la dopamine sont dose-dépendants (tableau I).
À des doses inférieures à 5 γ/kg/min l'effet prédominant de la dopamine est
une stimulation des récepteurs rénaux dopaminergiques DA1 et DA2, des
récepteurs mésentériques et du lit vasculaire coronaire. Il en résulte une vaso-
dilatation. La perfusion de faibles doses de dopamine entraîne une
augmentation de la filtration glomérulaire, du débit sanguin rénal, et de l'ex-
crétion de sodium (2). Pour des doses comprises entre 5 et 10 γ/kg/min, l'effet
prédominant est une stimulation des récepteurs bêta 1-adrénergiques. Il en
résulte une augmentation de la contractilité myocardique et de la fréquence
222 Sepsis sévère et choc septique
Fig. 1 – Relation théorique entre le flux et le débit sanguin d’un organe.
En dessous de ± 60-70 mmHg de PAM, il existe une relation linéaire entre la pression de
perfusion et le débit sanguin d’un organe (pente de sub-autorégulation). Le point d’intercep-
tion entre la zone d’autorégulation (ligne horizontale) et de sub-autorégulation définit le seuil
d’autorégulation (± 70 mm Hg dans ce cas particulier).
Seuil d’autorégulation
Pente
d’autorégulation
20 40 60 80 100 Pression artérielle
(mmHg)
100
50
0
Tableau I – Effets cardio-vasculaires et métaboliques des catécholamines vasopressives et inotropes.
Adrénaline Dopamine Noradrénaline Phényléphrine
Contractibilité (β1, α1) +++ ++ + à ++ 0 à +
Fréquence cardiaque (β1) +++ + à ++ + à ++ 0 à
Vasoconstriction (α1) + à +++ 0 à +++ + à +++ ++
Vasodilatation (β2) + à 0 0 0 0
Perfusion rénale ou ou ou 
ou
Débit cardiaque  0 ou 0 ou
Résistance ou    
Pression sanguine  0 to or  
VO2-VCO2
cardiaque. Pour des doses supérieures à 10 γ/kg/min, l'effet prédominant est
une stimulation des récepteurs alpha 1-adrénergiques qui provoque une vaso-
constriction artérielle et une augmentation de la pression sanguine.
Cependant, il est clairement reconnu que cet effet de la dopamine est souvent
limité chez les patients en défaillance hémodynamique sévère.
Effet hémodynamique
Les effets hémodynamiques de la dopamine chez les patients en choc septique
ont été étudiés dans de nombreuses études. La dopamine a permis d’augmenter
la pression artérielle moyenne (PAM) de 24% chez des patients présentant une
hypotension persistante après optimisation de la volémie (3-14).
L’augmentation de la PAM provoquée par la dopamine est due initialement à
une augmentation de l'index cardiaque, avec des effets minimes sur les résis-
tances vasculaires systémiques. L'augmentation de l'index cardiaque est due
initialement à une augmentation du volume d'éjection systolique, et pour
moindre effet à une augmentation de la fréquence cardiaque (3-14). La dose
moyenne de dopamine nécessaire pour restaurer la pression sanguine était,
dans ces études de 15 γ/kg/min. Ces études n’ont pas montré de modification
des pressions veineuses centrales, des pressions de l'artère pulmonaire, des pres-
sions pulmonaires bloquées et des résistances systémiques et pulmonaires. Le
traitement par dopamine de patients présentant des pressions capillaires
pulmonaires bloquées élevées peut être responsable d'un accroissement de ces
mêmes pressions par augmentation du retour veineux. Les patients recevant de
la dopamine à des doses supérieures à 20 γ/kg/min peuvent présenter une
augmentation des pressions au niveau des cavités cardiaques droites, ainsi
qu’une augmentation de la fréquence cardiaque. Il a été montré que la dopa-
mine peut améliorer la contractilité ventriculaire droite des patients qui
présentent une défaillance ventriculaire droite.
Dans une étude randomisée en double aveugle, Martin et al. ont comparé
l’efficacité de la noradrénaline à celle de la dopamine pour améliorer l’état
hémodynamique de 32 patients en choc septique hyperdynamique (9). Les
objectifs fixés en PAM et en index cardiaque ont été atteints chez 31% des
patients avec des doses de dopamine allant de 10 à 25 γ/kg/min. Les pressions
pulmonaires moyennes, les pressions bloquées au niveau des capillaires pulmo-
naires, ainsi que le débit urinaire ont aussi augmenté chez ces patients.
Cependant, 93% des patients traités initialement par de la noradrénaline à des
doses moyennes de 2,1 γ/kg/min sont parvenus aux objectifs hémodynamiques
fixés, et 10 des 11 patients qui n'ont pas répondu à des doses moyennes de
25 γ/kg/min de dopamine ont été traités avec succès par la noradrénaline. Les
auteurs ont conclu que la noradrénaline est plus efficace et plus fiable que la
dopamine pour restaurer un état hémodynamique normal chez les patients en
choc septique hyperdynamique.
Traitement de la défaillance circulatoire 223
Échanges gazeux
Les études portant sur les effets de la dopamine au niveau des échanges gazeux
pulmonaires ont montré une augmentation significative du shunt intrapulmo-
naire (Qs/Qt), une réduction de la différence artério-veineuse en oxygène et
une augmentation de la saturation en oxygène du sang veineux mêlé (S
vO2)
avec une pression artérielle en oxygène (PaO2) qui diminue ou qui reste
inchangée (7, 8, 10).
Apport en oxygène
La dopamine augmente l’apport en oxygène de l’organisme par rapport à un
niveau mesuré avant son administration (3-5). Cependant, ses effets sur la
consommation d'oxygène mesurée ou calculée semblent modestes. Le coeffi-
cient d'extraction cellulaire d'oxygène est classiquement diminué suggérant
l'absence d'amélioration de la consommation tissulaire en oxygène (3, 5). Ceci
peut être dû à une absence d’amélioration du flux micro-vasculaire des organes
vitaux (5).
Perfusion splanchnique
Les effets de la dopamine sur la circulation splanchnique évalués par les para-
mètres de la tonométrie gastrique sont controversés. Roukonen et al. et
Meier-Hellmann et al. (6) ont montré que la dopamine peut augmenter le flux
sanguin splanchnique. L’augmentation de l’apport en oxygène au niveau
splanchnique est secondaire à l’augmentation du flux sanguin splanchnique
sans augmentation significative de la consommation en oxygène au niveau
splanchnique (6). Les auteurs ont aussi constaté une augmentation de l'apport
splanchnique d’oxygène sans modification de la consommation splanchnique
d’oxygène associé à une réduction significative du taux d'extraction d’oxygène
au niveau splanchnique (3). Dans le même temps, il n'a pas été constaté de
modification du pH intra-muqueux (pHi), ni de la concentration en lactate
systémique ou splanchnique. Maynard et al. n'ont pas pu mettre en évidence
d'effet de la dopamine sur la circulation splanchnique, ni sur le pHi, ni sur le
métabolisme de la lidocaïne, ni sur la clairance de l’indocyanine (15).
Marik et al. ont constaté que l’administration de dopamine s'accompagne
d’une réduction du pHi et d’une augmentation de l'apport et de la consom-
mation en oxygène au niveau systémique (4). Les auteurs suggèrent que la
dopamine est responsable d'une augmentation de la consommation splanch-
nique d’oxygène qui n'est pas compensée par l’augmentation de l'apport en
oxygène. Il en résulte une augmentation de la dette en oxygène au niveau
splanchnique. Les auteurs supposent que la dopamine peut avoir redistribué le
flux sanguin vers les intestins, réduisant le flux de la muqueuse gastrique et
augmentant ainsi la dette en oxygène au niveau muqueux.
224 Sepsis sévère et choc septique
Neviere et al. ont constaté que l'administration de dopamine s'accompagne
d'une réduction du flux sanguin au niveau de la muqueuse gastrique (16). Ils
ont noté des modifications de la pression artérielle gastrique en CO2(PγCO2),
de la différence en PCO2entre la muqueuse gastrique et le sang artériel, et du
pHi calculé. L’absence de modification des paramètres acido-basiques du
patient n’a pas permis aux auteurs de déterminer si la réduction du flux sanguin
de la muqueuse gastrique est un facteur péjoratif.
En résumé, la dopamine semble efficace pour augmenter la PAM des
patients qui présentent une hypotension persistante après restauration de la
volémie. L'augmentation de la PAM est due initialement à une augmentation
de l'index cardiaque. Les patients qui bénéficient donc le plus de la dopamine
sont ceux qui présentent une hypotension avec réduction des fonctions
cardiaques. La dopamine est une possibilité thérapeutique intéressante pour les
patients qui présentent un choc septique hyperdynamique ne nécessitant pas
un soutien catécholaminergique important. Les effets indésirables majeurs de
la dopamine sont la tachycardie, l'augmentation des pressions d’occlusion de
l’artère pulmonaire (POAP), l'augmentation du shunt intra-pulmonaire et la
diminution de la PaO2.
Adrénaline (tableau I)
Chez les patients en défaillance hémodynamique qui ne répondent ni à l'ex-
pansion volémique ni à l'administration de catécholamines habituelles,
l'adrénaline peut encore améliorer les paramètres hémodynamiques.
L’adrénaline augmente la PAM, en augmentant l'index cardiaque et le volume
d'éjection, avec un effet plus modéré sur les résistances vasculaires systémiques
et sur la fréquence cardiaque (17-19). L'adrénaline augmente également l'ap-
port tissulaire en oxygène, mais, proportionnellement, l’augmentation de la
consommation en oxygène semble plus modérée (17-21).
L'adrénaline diminue le débit sanguin splanchnique. Cette diminution du
débit sanguin splanchnique s’accompagne d’une diminution du pHi et d’une
augmentation transitoire de la concentration en lactate artériel, splanchnique
et hépatique (3, 22). Cependant, Levy et al. ont montré que la concentration
en lactate artériel et le pHi reviennent à des valeurs normales après vingt-quatre
heures de traitement (22). Cette augmentation transitoire de la concentration
en lactate peut être due, soit à une augmentation de l'utilisation splanchnique
de l'oxygène et donc de la production de CO2secondaire à l'effet thermogé-
nique de l'adrénaline, soit à une réduction du flux sanguin de la muqueuse
intestinale induite par l'adrénaline. La réduction du flux sanguin splanchnique
est associée à une réduction de l'apport et de la consommation en oxygène. Ces
effets peuvent être secondaires à une réduction de l'apport en oxygène avec
comme résultat une altération globale de l'oxygénation tissulaire (3, 22). Ces
effets peuvent être potentiellement corrigés par l'administration concomitante
de dobutamine (23). L'ajout de dobutamine à l'adrénaline semble permettre
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