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ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
Analyse des cycles et perspectives :
un meilleur contexte économique pour
l’immobilier
PAR
ALAIN BÉCHADE1
Qui n’a entendu parler des cycles de Kondratiev ? En présentant la mécanique des
cycles – longs et courts, majeurs et mineurs – Alain Béchade apporte un éclairage
original sur le cycle immobilier français.
L
a connaissance des cycles économiques permettrait une prévision des crises, c’est-à-dire
la détermination du début d’une crise et surtout de son retournement et, par là, sa durée, voire son
amplitude en termes économiques et financiers.
Très peu d’outils d’analyses fiables permettent aux
professionnels de bien connaître le phénomène des
crises immobilières selon la trilogie : début-duréefin, l’appréciation de l’amplitude étant en partie tributaire de cette trilogie.
Les crises immobilières ne sont pas indépendantes des
crises économiques. Si on compare les crises économiques au niveau mondial depuis 1970 et les crises
économiques en France sur la même période ainsi que
les crises immobilières en France, il semble possible
de dégager quelques principes fondamentaux.
En outre, si nous effectuions une intégration de ces
observations dans l’ensemble global des cycles longs,
chers à Kondratiev, nous pourrions retenir d’autres
règles, les unes s’appuyant sur les autres.
Les cycles : Kondratiev,
Schumpeter… et autres
Nicolaï Kondratiev était un économiste russe, statisticien de talent, qui établit en 1926 l’existence de
1
Professeur à Paris I/ICH, Président du groupe Interconstruction.
12
cycles longs en économie. Ces cycles correspondent
à des vagues successives de cinquante ans. L’économiste-sociologue français François Simiand les a décomposées en deux phases d’environ vingt-cinq ans
chacune : une phase ascendante A et une phase
descendante B.
La phase ascendante A est celle de la hausse des
productions, des bénéfices et des prix. La phase
descendante B est celle de la stagnation ou de la
régression de la production, des salaires, des profits
donc des crédits, et de la hausse du chômage (graphique 1).
Dans son ouvrage, Les grandes étapes de l’histoire
économique2, Yves Carsalade détaille l’analyse des
cycles économiques. Il souligne notamment qu’au
regard des travaux de l’Autrichien Joseph Schumpeter, chaque phase d’essor est reliée à une innovation
majeure : le textile et la machine à vapeur pour la
“phase A 1789-1814” ; le chemin de fer pour la
“phase A 1849-1873” ; l’électricité et l’automobile
pour la “phase A 1896-1920”. Pour toute phase ascendante il faut donc un ensemble innovant, servant de
locomotive économique, associé à un afflux monétaire (l’or de Californie ou d’Afrique du Sud à la fin du
XIXe siècle), outre le fait qu’il faut également un pays
locomotive (Royaune-Uni au XIXe siècle, Etats-Unis
au XXe siècle).
2 Editions
Ellipses, 1998.
IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N° 25 - Avril 1999
ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
Graphique 1 - Les cycles de Kondratiev et de Simiand
1814
1873
1920
1974
x
?
A
1789
B
A
1849
B
A
B
1896
grande
dépression
Les cycles A et B de Kondratiev et Simiand expriment
les tendances lourdes de fond, il reste que des “cycles
courts” se succèdent au sein de ces cycles longs, selon
le rythme expansion-crise-récession-reprise. La durée moyenne de ces cycles courts est de six à dix ans.
En phase A ascendante du cycle long, ces crises
engendrent des brèves périodes de récession ; en
phase B, descendante, elles sont plus longues et aggravent le marasme des affaires. Ces crises (bancaires, financières ou immobilières) répondent toutes
aux mêmes phénomènes : face aux signaux du marché, les intervenants prennent tous ensemble et au
même moment les décisions d’investissement en fonction d’anticipations optimistes, puis de plus en plus
optimistes. A la fin des délais nécessaires à la réalisation, la surproduction excède les possibilités d’écoulement de la demande solvable. La mécanique reste la
même, c’est donc la tendance de fond du cycle long
qui fera la différence.
Dans la période actuelle, on observe que les mouvements de capitaux libérés amplifient les effets inflatifs
N° 25 - Avril 1999 - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - IEIF
1945
A
B
1997/2000
grande
crise
sur les actifs et leur prix, grâce notamment aux “financements myopes”1 : cette mécanique est conforme à
celle décrite ci-dessus et s’applique tout aussi bien à
l’immobilier.
Remarquons enfin qu’au sein de ces cycles économiques, la part de l’investissement réservée à l’immobilier est toujours prise dans le surplus (pas uniquement
américain !) ; encore faut-il que ce surplus existe.
L’immobilier est donc lié à la richesse économique et
monétaire : plus il y a de surplus, plus il y a d’immobilier. Il est toujours le reflet de l’état d’une société et
de sa richesse car il accompagne les développements
économiques et sociaux, et en témoigne (pyramides,
cathédrales, etc.) A titre d’exemple, en France, entre
1919 et 1939, il ne s’est construit que 60 000 logements par an (d’où la crise du logement dans la phase
1945-1974) alors que l’économie mondiale était en
phase B.
1 Voir
l’article de Bertrand Renaud, “Cycles immobiliers et crises
bancaires”, Réflexions Immobilières n° 24, janvier 1999.
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ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
Les leçons actuelles
Si nous retenons pour notre analyse le cycle B 19741997 d’après la tendance issue de l’analyse de
Kondratiev, nous pouvons tout d’abord observer que
dans le cadre de ce «trend», il y a eu quatre crises au
niveau mondial (graphique 2).
Comme dans toute analyse cyclique, nous observons
que les récessions et les expansions se succèdent selon
le rythme décrit dans le tableau 1.
Si nous intégrons alors l’évolution du PIB en France
au sein de ce même tableau, nous observons que les
tendances sont quasiment les mêmes que celles observées au niveau mondial avec toutefois des particularités, notamment l’incidence très forte du premier
choc pétrolier (1975), une reprise plus lente (19841987) et une crise plus grave après 1990 (voir 1993 et
les hésitations de 1994-1996). Peut-être est-ce le
manque de réactivité ou de flexibilité maintes fois
souligné ?
L’évolution française des cycles courts autour du
cycle long se fait donc selon un rythme assez proche
du rythme mondial, avec toutefois une différence
notable : les récessions sont plus fortes et plus longues
et les reprises… plus courtes !
Enfin, si nous incrustons les cycles immobiliers français dans le cadre des analyses cycles courts-cycles
longs, nous obtenons alors les rythmes observés dans
le tableau 2.
La concomitance, un peu décalée, de l’évolution du
PIB et des transactions en immobilier d’entreprises
démontre la connexion des cycles. Mais ce qui semble
plus important est de situer ces cycles courts, y compris les cycles immobiliers, dans les cycles longs de
Kondratiev, ce qui permettrait de tenter d’apprécier
l’amplitude économique et financière de ces cycles
courts, c’est-à-dire des crises immobilières notamment.
Les cycles majeurs et les cycles
mineurs
Les cycles de cinquante ans, divisés en phases de
vingt-cinq ans, amènent à penser que nous aurions
quitté une phase B (descendante), pour entrer dans
une phase A (ascendante) en… 1999 ! (en fait en
1997). Nous serions donc à l’aube d’une tendance
longue d’expansion économique de vingt-cinq ans
(cycles majeurs). Dans ce cadre, les crises nées des
cycles courts, crises immobilières comprises, devraient
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être brèves et d’amplitude limitée car la tendance
longue ne serait pas à la déflation des actifs comme
dans une phase B, malgré l’absence d’inflation qui
n’est pas exceptionnelle à l’échelle de l’histoire économique (c’est l’inflation forte qui est l’exception et
l’analyse immobilière doit en tenir compte).
Mais encore faut-il que les conditions énoncées par
Schumpeter soient réunies. En ce sens, il faudrait :
• un ensemble innovant qui servirait de locomotive :
nous avons les techniques liées à l’informatique, la
communication et la biotechnologie ;
• une locomotive économique : les Etats-Unis semblent exercer ce rôle encore une fois ;
• des novations indispensables : les nouveaux matériaux et les approches génomiques existent en ce
sens ;
• un afflux monétaire : l’abondance des capitaux au
niveau mondial en fait office.
La plupart des conditions de Kondratiev-Schumpeter
sont réunies pour que nous soyons effectivement
entrés dans une tendance orientée à la hausse. Même
si elle est peu perceptible par nos contemporains, ce
qui importe le plus, c’est l’incidence que cette tendance peut avoir sur les cycles courts et les crises
inévitables quant à leur durée et à leur amplitude.
L’heure serait alors plutôt à l’optimisme.
L’immobilier, cycle mineur, devrait donc s’inscrire
dans cette tendance, les crises futures être de durée
plus limitée (deux à trois ans) et les reprises de l’ordre
de quatre ans en moyenne, si l’on en croit les observations précédentes.
Reste le problème de l’amplitude. Celle-ci dépend
pour partie de la perception du ralentissement et de la
récession dans un contexte économique et financier
qui prévaut : ce sont ces effets “de moments” qui
peuvent avoir des effets durables et l’amplitude de la
crise est alors proportionnelle à l’influence des cycles
majeurs et de leur perception sur l’immobilier. Les
crises immobilières, tout comme les crises boursières
ou financières, sont inévitables car cycliques et existent même dans un cycle majeur d’expansion : survenue brutale mais inéluctable et prévue, traitement
flexible mais déterminé, durée de deux à trois ans ; et
la libre circulation des capitaux accélère le traitement
et limite l’amplitude en limitant la durée, puis facilite
la reprise. Il reste que les mécaniques de formation
des crises des cycles mineurs sont connues, il suffirait
IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N° 25 - Avril 1999
ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
Graphique 2
Les quatre grandes crises mondiales depuis 1974
Croissance mondiale annuelle (PIB en volume)
8%
1974 1er choc p trolier
7%
1990 Invasion du Koweit par l’Irak
6%
1980 2e choc p trolier
5%
1997 Crise asiatique
4%
3%
2%
1%
PIB France
-2%
Cycles
4
2
Immobilier 4
4
2crise 4
4
2000
1998
Pr visions
6
6 crise
1996
1994
1992
1990
1988
1986
1984
1982
1980
1978
1976
1974
1972
-1%
1970
0%
4
5
4
6 crise
2...?
2.........?
Moyenne 1970-98
Source : FMI.
Tableau 1
Tableau 2
1970-1973
expansion
4 ans
1974-1975
récession
2 ans
1976-1979
expansion
4 ans
1980-1983
récession
4 ans
1984-1989
expansion
6 ans
1990-1993
récession
1994-1997
1998-....
1970-1973
expansion
4 ans
1974-1975
crise
2 ans
1976-1979
expansion
4 ans
1980-1985
crise
6 ans
1986-1990
expansion
5 ans
4 ans
1991-1996
crise
6 ans
expansion
4 ans
1997-....
récession
?
N° 25 - Avril 1999 - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - IEIF
Reprise
… 4 ans ?
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ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
d’être vigilant, notamment en évitant les financements myopes, mais ce serait compter sans… l’espoir
fou !
Une autre leçon à retenir serait, en période de crise
frappant un cycle mineur, de ne pas polluer la valeur
des actifs de qualité par celle des actifs de mauvaise
qualité, c’est-à-dire de ne pas globaliser l’amplitude
mais conserver l’analyse par strates afin d’éviter une
sur-réaction qui ne se justifierait pas en temps de cycle
majeur d’expansion (qui devrait durer jusqu’en 20202024 !).
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Un mot d’histoire
Nicolaï Kondratiev, redécouvert par Yves Carsalade
(professeur à l’Ecole polytechnique) mit en garde
Staline en 1928 contre la définition arbitraire d’objectifs quantitatifs qui ont pour effet la production de
produits pour eux-mêmes, en dehors de toute prise en
compte d’un contexte économique général, ce qui
conduit toujours à une crise de croissance du secteur
concerné et à une baisse des rentabilités. Il fut fusillé
pour avoir eu raison… Il faut dire que le cycle
Kondratiev était en phase B (1920-1945) !
❏
IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N° 25 - Avril 1999
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