Richard Rorty (1931-2007) Objectivisme, relativisme et vérité Ne

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Richard Rorty (1931-2007) Objectivisme, relativisme et vérité
Ne pas confondre « se référer à un X réel » et « parler réellement de X ».
« Il y a autant de manières d’opérer cette mise en situation ( parler réellement de X) qu’il y a de contextes de discours »
L'espoir au lieu du savoir - Introduction au pragmatisme, 1995,
Le but de l'enquête scientifique, ou de toute enquête, n'est pas la vérité, mais plutôt une meilleure aptitude à la justification,
une meilleure aptitude à traiter les doutes qui entourent ce que nous disons, soit en étayant ce que nous avons déjà dit, soit en
décidant au contraire de dire quelque chose de légèrement différent. Le problème, avec la vérité, c'est que nous ne saurions
pas que nous l'avons atteinte même si, en fait, nous l'avions déjà atteinte. Mais nous pouvons viser à une justification sans
cesse accrue, au soulagement d'un nombre croissant de nos doutes.
Certains, comme Peirce, James et Putman, ont déclaré qu'il était possible de conserver une signification absolue au mot "vrai"
en lui donnant le sens d'une "justification dans une situation idéale" - cette situation que Peirce appelait "la fin de la
recherche". D'autres, comme Dewey (et ainsi que je l'ai soutenu, Davidson), ont suggéré qu'il n'y a pas grand chose à dire de
la Vérité, et que les philosophes doivent se limiter à la justification, à ce que Dewey appelait « assertibilité garantie.
(…) Il n'y a rien à dire de général sur la nature ou les limites de la connaissance humaine, pas plus que sur la connexion de la
justification et de la vérité. Et s'il n'y a rien à dire sur ce dernier point, ce n'est pas parce que la vérité est intemporelle et la
justification temporelle, mais parce que nous opposons le vrai à ce qui est simplement justifié afin d'opposer un futur possible
au présent réel.
Hume (1711-1776) Essais de morale :
« Vous n'avez point eu assez d'égard aux mœurs et aux usages de différents siècles. Voudriez-vous juger un Grec ou un
Romain d'après les lois d'Angleterre ? Écoutez-les se défendre par leurs propres maximes, vous vous prononcerez ensuite. Il
n'y a pas de mœurs, quelque innocentes et quelque raisonnables qu'elles soient, que l'on ne puisse rendre odieuses ou
ridicules lorsqu'on les jugera d'après un modèle inconnu aux auteurs »
Rousseau (1712-1778) Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (Exorde)
Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à la question. Il ne faut pas prendre les recherches, dans
lesquelles on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et
conditionnels ; plus propres à éclaircir la nature des choses qu’à en montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font
tous les jours nos physiciens sur la formation du monde. La religion nous ordonne de croire que Dieu lui-même ayant tiré les
hommes de l’état de nature, immédiatement après la création, ils sont inégaux parce qu’il a voulu qu’ils le fussent ; mais elle
ne nous défend pas de former des conjectures tirées de la seule nature de l’homme et des êtres qui l’environnent, sur ce
qu’aurait pu devenir le genre humain, s’il fût resté abandonné à lui-même. Voilà ce qu’on me demande, et ce que je me
propose d’examiner dans ce Discours. Mon sujet intéressant l’homme en général, je tâcherai de prendre un langage qui
convienne à toutes les nations ; ou plutôt, oubliant les temps et les lieux pour ne songer qu’aux hommes à qui je parle, je me
supposerai dans le lycée d’Athènes, répétant les leçons de mes maîtres, ayant les Platons et les Xénocrates pour juges, et le
genre humain pour auditeur.
Ô homme, de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute. Voici ton histoire, telle que j’ai cru la lire,
non dans les livres de tes semblables qui sont menteurs, mais dans la nature qui ne ment jamais. Tout ce qui sera d’elle sera
vrai. Il n’y aura de faux que ce que j’y aurai mêlé du mien, sans le vouloir. Les temps dont je vais parler sont bien éloignés.
Combien tu as changé de ce que tu étais ! C’est pour ainsi dire la vie de ton espèce que je te vais décrire d’après les qualités
que tu as reçues, que ton éducation et tes habitudes ont pu dépraver, mais qu’elles n’ont pu détruire. Il y a, je le sens, un âge
auquel l’homme individuel voudrait s’arrêter ; tu chercheras l’âge auquel tu désirerais que ton espèce se fût arrêtée.
Mécontent de ton état présent, par des raisons qui annoncent à ta postérité malheureuse de plus grands mécontentements
encore, peut-être voudrais-tu pouvoir rétrograder ; et ce sentiment doit faire l’éloge de tes premiers aïeux, la critique de tes
contemporains, et l’effroi de ceux qui auront le malheur de vivre après toi.
Aristote (384-322 av JC) La poétique Chapitre IX
I. Il est évident, d'après ce qui précède, que l'affaire du poète, ce n'est pas de parler de ce qui est arrivé, mais bien de ce qui
aurait pu arriver et des choses possibles, selon la vraisemblance ou la nécessité.II. En effet, la différence entre l'historien et
le poète ne consiste pas en ce que l'un écrit en vers, et l'autre en prose. Quand l'ouvrage d'Hérodote serait écrit en vers, ce n'en
serait pas moins une histoire, indépendamment de la question de vers ou de prose. Cette différence consiste en ce que l'un
parle de ce qui est arrivé, et l'autre de ce qui aurait pu arriver.III. Aussi la poésie est quelque chose de plus philosophique et
de plus élevé que l'histoire ; car la poésie parle plutôt de généralités, et l'histoire de détails particuliers.IV. Les généralités,
ce sont les choses qu'il arrive à tel personnage de dire ou de faire dans une condition donnée, selon la vraisemblance ou la
nécessité, et c'est à quoi réussit la poésie, en imposant des noms propres. Le détail particulier c'est, par exemple, ce qu'a fait
Alcibiade ou ce qui lui a été fait.V. On a déjà vu procéder ainsi pour la comédie. Après avoir constitué une fable d'après les
vraisemblances, les poètes comiques imposent, de la même manière, n'importe quels noms, mais non pas, à la façon dont s'y
prennent les ïambographes, pour composer sur des faits personnels.VI. Pour la tragédie, les poètes s'emparent des noms de
personnages qui ont existé. La raison en est que ce qui est possible est probable ; or, ce qui n'est pas arrivé, nous ne croyons
pas encore que ce soit possible ; mais ce qui est arrivé, il est évident que c'est possible, car ce ne serait pas arrivé si c'était
impossible.VII. Néanmoins, dans quelques tragédies, il y a un ou deux noms connus, et les autres sont fictifs ; dans
quelques autres, il n'y en a pas un seul de connu, par exemple dans la Fleur, d'Agathon; car, faits et noms, tout y est
imaginaire, ce qui n'empêche pas que cette pièce fait plaisir.VIII. Ainsi donc il ne faut pas affecter de s'en tenir de tout
point aux fables traditionnelles sur lesquelles il existe déjà des tragédies. Cette affectation serait ridicule, car les sujets connus
ne le sont que d'un petit nombre et, cependant, font plaisir à tout le monde.IX. Il est évident, d'après cela, que le poète doit
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être nécessairement un faiseur de fables plutôt qu'un faiseur de vers, d'autant qu'il est poète par l'imitation : or il imite des
actions ; donc, lors même qu'il lui arrive de composer sur des faits qui sont arrivés, il n'en sera pas moins un poète, car rien
n'empêche que quelques-uns des faits arrivés soient de telle nature qu'il serait vraisemblable qu'ils fussent arrivés ou possible
qu'ils arrivent, et, dans de telles conditions, le poète est bien le créateur de ces faits.
Cournot (1801-1877) Essai sur les fondements de la connaissance et sur les caractères de la critique philosophique
(1851)
La description d'un phénomène dont toutes les phases se succèdent et s'enchaînent nécessairement selon des lois que font
connaître le raisonnement ou l'expérience, est du domaine de la science et non de l'histoire. La science décrit la succession
des éclipses, la propagation d'une onde sonore, le cours d'une maladie qui passe par des phases régulières, et le nom d'histoire
ne peut s'appliquer qu'abusivement à de semblables descriptions ; tandis que l'histoire intervient nécessairement (lorsqu'à
défaut de renseignements historiques il y a lacune véritable dans nos connaissances) là où nous voyons, non seulement que la
théorie, dans son état d'imperfection actuelle, ne suffit pas pour expliquer les phénomènes, mais que même la théorie la plus
parfaite exigerait encore le concours d'une donnée historique.
S'il n'y a pas d'histoire proprement dite, là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des
autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d'influences étrangères au
système que la théorie embrasse, il n'y a pas non plus d'histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d'événements qui
seraient sans aucune liaison entre eux. Ainsi les registres d'une loterie publique pourraient offrir une succession de coups
singuliers, quelquefois piquants pour la curiosité, mais ne constitueraient pas une histoire : car les coups se succèdent sans
s'enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent, à peu près comme dans ces annales où
les prêtres de l'Antiquité avaient soin de consigner les monstruosités et les prodiges à mesure qu'ils venaient à leur
connaissance. Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec les autres, ne peuvent former une histoire, dans le
vrai sens du mot, quoiqu'ils se succèdent suivant un certain ordre chronologique.
Au contraire, à un jeu comme celui du tric-trac, où chaque coup de dé, amené par des circonstances fortuites, influe
néanmoins sur les résultats des coups suivants ; et à plus forte raison au jeu d'échecs, où la détermination réfléchie du joueur
se substitue aux hasards du dé, de manière pourtant à ce que les idées du joueur, en se croisant avec celles de l'adversaire,
donnent lieu à une multitude de rencontres accidentelles, on voit poindre les conditions d'un enchaînement historique.
Paul Ricoeur( 1913-2005) Histoire et vérité
Nous poursuivons à la fois plusieurs histoires, dans des temps dont les périodes, les crises, les repos ne coïncident pas. Nous
enchainons, abandonnons et reprenons plusieurs histoires, comme un jouer d’échec qui joue plusieurs parties, renouant tantôt
avec l’une tantôt avec l’autre. (…) Il y a donc une « naïveté » de la dialectique qui se voudrait à sens unique et elle-même
unique. On peut écrire bien des histoires : des techniques et u travail, des classes et des civilisations, du droit, du pouvoir
politique et des idées sans compter cette historie de la mise en question de l’histoire par la subjectivité socratique,
cartésienne, kantienne l’histoire, au second degré, de la réflexion philosophique. (…) L’histoire se pluralise comme la
vérité ; il importe de garder cette réflexion en alerte contre toute justification des passions du pouvoir par le service d’une
philosophie dogmatique de l’histoire.
Hegel Phénoménologie de l’esprit Préface (IIIème partie chapitre 3)
La philosophie, au contraire, ne considère pas la détermination inessentielle, mais la détermination en tant qu’elle est
essentielle ; ce n’est pas l’abstrait, ou ce qui est privé de réalité effective qui est son élément ou son contenu, mais c’est
l’effectivement réel, ce qui se pose soi-même, ce qui vit en soi-même, l’être-là qui est dans son concept. L’élément de la
philosophie est le processus qui engendre et parcourt ses moments, et c’est ce mouvement dans sa totalité qui constitue le
positif et la vérité de ce positif. Cette vérité inclut donc aussi bien le négatif en soi-même, ce qui serait nommé le faux si on
pouvait le considérer comme ce dont on doit faire abstraction Ce qui est en voie de disparition doit plutôt être lui-même
considéré comme essentiel; il ne doit pas être considéré dans la détermination d’une chose rigide qui coupée du vrai, doit être
abandonnée on ne sait où en dehors du vrai; et le vrai, à son tour, ne doit pas être considéré comme un positif mort gisant de
l’autre côté. La Manifestation est le mouvement de naître et de périr, mouvement qui lui-même ne naît ni ne périt, mais qui
est en soi, et constitue la réalité effective et le mouvement de la vie de la vérité. Le vrai est ainsi le délire bachique dont il n’y
a aucun membre qui ne soit ivre; et puisque ce délire résout en lui immédiatement chaque moment qui tend à se séparer du
tout, - ce délire est aussi bien le repos translucide et simple. Dans la justice de ce mouvement ne subsistent ni les figures
singulières de l’esprit, ni les pensées déterminées; mais de même qu’elles sont des moments négatifs et en voie de disparaître,
elles sont aussi des moments positifs et nécessaires. - Dans le tout du mouvement, considéré comme en repos, ce qui vient à
se distinguer en lui, et à se donner un être-là particulier, est préservé comme quelque chose qui a une réminiscence de soi,
comme quelque chose dont l’être-là est le savoir de soi-même, tandis que ce savoir de soi-même est non moins
immédiatement être-là.
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