La malédiction du pharaon Le Caire, 5 avril 1923, George Edward

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La malédiction du pharaon
Le Caire, 5 avril 1923, George Edward Stanhope Molyneux Herbert, 5e comte de Carnarvon, plus connu sous
le nom de Lord Carnarvon, décède à l'âge de 57 ans des complications d'une piqûre d'insecte ayant entraîné
une septicémie, à peine 4 mois après que le comte eut participé, en compagnie de son archéologue Howard
Carter, à la découverte la plus sensationnelle de toute l'histoire de l'archéologie : celle de la tombe du pharaon
Toutankhamon. Très vite, la mort de ce personnage dont tous parlent alors, en Égypte comme en Occident,
s'entoure de rumeurs et de légendes. On prétend ainsi que le fidèle chien du Lord britannique aurait hurlé
à la mort avant de suivre son maître dans l'Au-delà ou que toutes les lumières du château de Highclere,
résidence du comte de Carnarvon dans le Hampshire, ainsi que celles de la ville du Caire se seraient éteintes
au moment même de son décès. On se rappelle la mort du canari de Howard Carter, dévoré quelques jours
avant l'ouverture officielle de la tombe par un cobra, antique symbole des pharaons de l'ancienne Égypte, ou
des propos de la romancière Marie Corelli, à peine deux semaines avant le décès de Carnarvon : « Toute
intrusion imprudente dans une tombe scellée sera suivie du plus terrible des châtiments ! » Il n'en faut pas
plus pour que la légende de la malédiction de Toutankhamon voie le jour et se répande comme une traînée
de poudre, la presse comptabilisant scrupuleusement chaque décès qui puisse être mis en relation, de près
ou de loin, avec la tombe et considéré (souvent à tort) comme suspect. Même des auteurs comme Sir Arthur
Conan Doyle, le créateur du célèbre détective Sherlock Holmes - très intéressé par tout ce qui a trait à l'occulte
- se laissent contaminer par cette véritable fièvre de la malédiction et spéculent sur les sorts magiques que
les prêtres de l'Égypte ancienne auraient jetés pour protéger la sépulture de l'enfant-roi, tandis qu'Agatha
Christie, dès 1923, confronte l'enquêteur belge Hercule Poirot à une semblable malédiction dans L'aventure
du tombeau égyptien, pour révéler qu'il s'agit, dans ce cas, roman policier oblige, d'une série d'assassinats.
Dès le décès de Lord Carnarvon, la malédiction de Toutankhamon envahit l'imaginaire occidental, sous toutes
ses formes.
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Lord Carnarvon dans la maison de Howard Carter à Elwat el-Diboun, sur la rive occidentale de Louqsor
Cette légende, en réalité, prend racines sur un terreau particulièrement favorable, celui de la longue tradition
des pouvoirs surnaturels attribués aux momies de l'Égypte pharaonique.
Les anciens Égyptiens eux-mêmes étaient persuadés que leur cadavre pouvait véritablement revenir à la
vie et que le mort avait toujours la possibilité de se manifester auprès des vivants, voire de leur faire du tort
s'il avait des griefs à leur encontre. L'impressionnante conservation des momies renforçait évidemment une
telle conviction et frappait profondément les esprits, d'Égypte et d'ailleurs, au point qu'à l'époque chrétienne,
plusieurs illustres Pères de l'Église, tels Saint Antoine et Saint Augustin, durent s'élever contre la croyance,
alors largement répandue, que la survie de l'âme était liée à la préservation du corps telle que la pratiquaient
les anciens Égyptiens. De nombreux corps momifiés furent d'ailleurs retrouvés dans les cimetières et les
catacombes de Rome. Sur les rives du Nil, les Coptes - les chrétiens d'Égypte - continuèrent à se faire momifier
pendant des siècles, et ce malgré les oppositions qui viennent d'être évoquées. À l'époque islamique, les
pilleurs de tombes partaient à la recherche des trésors des pharaons avec des livres comportant des formules
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magiques destinées à conjurer les mauvais génies qui protègent les sépultures, et la littérature de l'Égypte
médiévale regorge d'anecdotes de tels pillards sont mis en déroute par des fantômes, Djinn ou Afaryt,
gardiens des sites antiques.
De l'autre côté de la Méditerranée, à partir de la Renaissance, la fascination pour les momies n'était pas
moins grande. On les importait massivement en Occident, où, généralement réduites en poudre, elles étaient
utilisées comme une sorte de panacée, remède notamment de jouvence, dont ne se séparaient jamais les
Grands de ce monde, tels François Ier ou Catherine de Médicis. Le célèbre médecin français du 16e siècle
Ambroise Paré dut d'ailleurs rédiger un Discours contre la momie afin d'essayer d'enrayer cet engouement
aussi déraisonnable que répandu. Les collections particulières appelées « cabinets de curiosités » se devaient
par ailleurs d'exposer une momie dans son sarcophage, comme chez le célèbre peintre Pierre Paul Rubens ou
dans l'antichambre du bureau du surintendant Fouquet, d'après la description qu'en livre Jean de La Fontaine,
lui aussi grand amateur de poudre de momie. À notre époque, la momie et les fantasmes qu'elle déchaîne
restent omniprésents dans le mythe de l'Égypte et celui de la mort. On les retrouve dans plusieurs centaines
de romans et autant de films et de bandes dessinées.
Portrait gravé du médecin Ambroise Paré, daté de 1582, l'année de la publication de son Discours contre la
momie
Différents facteurs ont alimenté cette véritable mythologie de la momie. En premier lieu viennent évidemment
les croyances des anciens Égyptiens eux-mêmes vis-à-vis de leurs défunts. Ceux-ci étaient censés garder
leur faculté d'intervenir dans le monde des vivants - ainsi que l'attestent les « lettres aux morts » - et de
nombreux troubles pathologiques ou des coups du sort leur étaient ainsi attribués. En outre, les tombes
pouvaient, à l'occasion, comporter des formules de menace de la part du mort à l'encontre de tout qui voudrait
endommager son monument d'éternité. À voir les différents films intitulés La momie - et notamment le plus
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célèbre d'entre eux, celui de 1932, avec Boris Karloff - la redécouverte moderne de ces textes a manifestement
frappé l'imagination de nos contemporains et a largement contribué à étoffer la légende de la malédiction des
momies égyptiennes. Mais contrairement à ce qui fut souvent affirmé, aucun texte de ce type n'a jamais été
découvert dans la sépulture de Toutankhamon.
Exemple de lettre aux morts du début du 1er millénaire av. notre ère
(Chicago, Haskell Oriental Museum 13945)
L'incroyable état de conservation de certaines momies, qui suscite souvent l'impression de se trouver en
présence d'un être vivant endormi plutôt que d'un véritable cadavre, a également joué un rôle dans ce
processus de véritable momie-mania. Comme l'écrit l'égyptologue bâlois Erik Hornung, à propos des momies
royales du Nouvel Empire, « tandis que les corps d'Alexandre le Grand et d'Auguste sont tombés en poussière,
ces souverains, antérieurs de plus de mille ans, nous sont toujours physiquement présents, avec leur peau et
leurs cheveux, et même les stigmates de leurs maladies ».
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Tête de la momie du pharaon Séthi Ier et de celle de son fils, Ramsès II (profil et face),
et tête de l'acteur Boris Karloff, grimé pour son rôle dans le film La momie de 1932
L'idée d'une vengeance des momies s'est si profondément enracinée dans l'esprit des Occidentaux qu'à partir
de la fin du 19e siècle, on signala de prétendus cas historiques de malédiction. Aucun ne résiste cependant à
la critique. Ainsi, le bras d'une momie lors de son transport par le Service des Antiquités en 1881 fut retrouvé,
après la sieste des ouvriers, dressé, en un geste menaçant. En fait, c'est l'exposition au soleil de midi de ce
corps privé de toute variation climatique pendant des millénaires qui provoqua une rétraction des tissus et le
redressement partiel du bras. À plusieurs reprises, lors de la fouille de tombes rupestres, des maux de tête et
des intoxications, parfois mortelles, sont apparus, suite à l'accumulation de gaz provenant de la décomposition
de cadavres et à la raréfaction de l'oxygène dans des atmosphères confinées. Après quelques jours d'aération,
le site redevenait praticable.
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