Le surfactant pulmonaire - Physique et Applications

publicité
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:00 Page84claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
Le surfactant
pulmonaire
PAUL DIETL • THOMAS HALLER • STEFAN SCHNEIDER
Une substance lubrifiante et tensioactive empêche les alvéoles pulmonaires
de s’effondrer sur elles-mêmes et facilite la respiration. On étudie comment
elle est libérée par les cellules pulmonaires, en espérant mettre au point
des médicaments luttant contre les insuffisances respiratoires graves.
omment gonfler 300 millions de petits ballons de
façon à ce qu’ils se dilatent uniformément? Les poumons sont confrontés à cette difficulté à chaque inspiration. L’air pénètre dans la trachée, traverse les
bronches, puis emplit des ramifications de plus en plus
fines avant de déboucher sur les alvéoles pulmonaires,
de tout petits sacs élastiques où s’effectue le passage de
l’oxygène de l’air inspiré vers le sang. Pour que le transfert soit efficace, il faut que la surface totale des alvéoles
soit la plus grande possible. Chez l’homme, cette surface d’échange est de l’ordre de 200 mètres carrés (l’équivalent d’un appartement de six ou sept pièces). Quant à
l’épaisseur de la paroi de ces alvéoles, elle est 50 fois
plus mince qu’une feuille de papier, soit quelques micromètres. L’oxygène de l’air diffuse à travers cette paroi vers
le sang des vaisseaux capillaires logés à l’intérieur des
cloisons séparant les alvéoles, et le dioxyde de carbone
du sang est évacué dans l’air expiré.
Comment gonfler plus de 20 000 fois par jour ces
alvéoles, d’autant que celles-ci ont tendance à s’effondrer
sur elles-mêmes, à cause de la tension superficielle qui
s’oppose à leur dilatation? Quand on ne gonfle pas suffisamment une bulle de savon, elle ne s’envole pas et
reprend sa forme de membrane plane, tendue entre les
bords de l’anneau qui avait été plongé dans la solution
savonneuse. Les forces de tension superficielle sont responsables de ce mouvement de rétraction.
Dans le cas des alvéoles pulmonaires, la situation est
différente. Contrairement aux bulles de savon, les alvéoles
ne se referment jamais, et ne font que varier de diamètre
au cours du cycle respiratoire. En effet, la tension superficielle sur la paroi des alvéoles est combattue par une
substance tensioactive – surfactant –, qui module les caractéristiques physico-chimiques de la paroi. Plusieurs
propriétés semblent jouer un rôle : cette substance dimi-
C
84
nue la tension de surface entre l’air et la paroi alvéolaire,
ce qui rend celle-ci plus extensible et facilite la dilatation des alvéoles ; elle diminue les forces d’adhérence des
parois ; elle s’oppose aux forces de compression qui tendent rétracter les alvéoles pendant l’expiration. Le surfactant pulmonaire, produit par les poumons, est
indispensable à la respiration : s’il n’est pas libéré en
quantité suffisante et au bon moment, des insuffisances
respiratoires graves surviennent. C’est pourquoi les biologistes étudient les mécanismes qui contrôlent sa production et sa libération. Quelques caractéristiques de
ces mécanismes ont été élucidées : nous examinerons comment le surfactant est véhiculé jusqu’à la membrane et
quelle est sa structure lors de sa libération ; nous détaillerons le rôle fondamental des canaux qui prennent forme
dans la membrane et contrôlent la quantité expulsée, assurant une respiration spontanée sans effort. Les diverses
études du surfactant ont pour objet la mise au point de
nouvelles molécules thérapeutiques normalisant sa sécrétion ; ces substances soulageraient de nombreux cas
d’insuffisance respiratoire.
Un assouplissant dans les poumons
Jusqu’au début du XXe siècle, on a considéré que les mouvements respiratoires résultaient de ceux de fibres élastiques s’étirant lors de l’inspiration et se contractant
passivement lors de l’expiration. En effet, les muscles inspirateurs entraînent une dilatation de la cage thoracique
et abaissent le diaphragme, tandis que l’expiration se
produit spontanément. Toutefois, en 1929, le concept
d’un rôle exclusif des fibres élastiques fut remis en question par une expérience ingénieuse. Le médecin suisse
Kurt von Neergaard préleva des poumons sur des chiens
anesthésiés, et constata qu’il les gonflait plus facilement
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
Dennis Kunkel Microscopy, Inc.
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page85claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
1. ALVÉOLES pulmonaires (en vert) et bronchiole (en
brun) d’un poumon humain (grossissement : × 120).
85
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page86claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
APPROCHE
MEMBRANE
VÉSICULAIRE
MEMBRANE CELLULAIRE
DU PNEUMOCYTE
FUSION PARTIELLE
SURFACTANT
PULMONAIRE
FUSION
PORE DE FUSION
EXTÉRIEUR
Illustrations : Laboratoire Paul Dietl
LIBÉRATION DU CONTENU
INTÉRIEUR
2. UNE VÉSICULE DE STOCKAGE lors de sa
migration dans la cellule et de sa fusion avec
la membrane du pneumocyte. Après formation
d’un pore, le surfactant est libéré sur la surface externe de l’alvéole.
86
quand ils contenaient de l’eau plutôt
que de l’air. Or des fibres élastiques
se seraient contractées de la même
façon en présence d’air ou d’eau. D’où
venait la différence? Von Neergard imagina qu’une substance tapissant les
alvéoles pulmonaires et soluble dans
l’eau s’opposait à leur extension. Il
lui attribua les propriétés d’une substance tensioactive, et supposa que le
coefficient de tension superficielle était
proche de celui du plasma sanguin. Il
en déduisit une valeur de la résistance totale théorique pour le poumon,
valeur qui se trouvait être en bon accord
avec ses observations.
Ce résultat fut rapidement oublié,
jusqu’à ce qu’en 1950, E. Radford, de
l’Université Harvard, à Boston, reprenne
le flambeau en utilisant les connaissances accumulées pendant 20 ans sur
la structure du poumon. Reprenant les
calculs de von Neergard, il obtint cette
fois une surface alvéolaire dix fois supérieure, de sorte que la tension superficielle à l’intérieur des poumons devait
être dix fois plus faible que celle du
sérum sanguin. Radford en conclut
qu’une substance tensioactive propre
au poumon réduisait de façon spectaculaire la rigidité des alvéoles.
En 1955, Richard Pattle, à Porton
en Angleterre, mit en évidence la présence d’une substance tensioactive dans
le matériel rejeté sous forme de mousse
lors de l’œdème pulmonaire. Puis, en
1956, John Clements, du Centre Heeres
d’études chimiques du Maryland, montra que l’instillation d’extraits de poumon diminuait effectivement la tension
superficielle, et empêchait les alvéoles
de se rétracter. Il étudia en outre, in vitro,
les propriétés physiques du surfactant
isolé du poumon. Le surfactant se révéla
être un mélange de protéines, de sucres,
et de deux composés lipidiques aux
extrémités hydrophiles, des substances
qui modulent la tension superficielle
(voir l’encadré page 88).
Comment ces composés «assouplissants» sont-ils synthétisés? On sait
aujourd’hui qu’ils sont produits par une
classe particulière de cellules des parois
des alvéoles pulmonaires, les pneumocytes de type II (voir la figure 3). Les
pneumocytes de type II ne sont pas les
seules cellules des parois alvéolaires,
mais ils y jouent un rôle primordial
notamment parce qu’ils adaptent
constamment la quantité de surfactant
libéré à la surface des alvéoles, et réabsorbent les sels minéraux et l’eau qui
s’échappent des capillaires alvéolaires.
Les pneumocytes contrôlent
l’épaisseur du mince film d’eau,
nommé hypophase, qui tapisse la surface des alvéoles : en présence d’une
quantité excessive de surfactant, les
alvéoles se distendraient, et, en cas
d’excès, s’effondreraient sur ellesmêmes. Or l’effondrement (ou collapsus) des alvéoles entraîne une
détresse respiratoire grave, les
échanges gazeux avec le sang ne pouvant plus s’effectuer normalement et
les muscles respiratoires s’épuisant
rapidement à tenter d’ouvrir les
espaces alvéolaires à chaque inspiration. C’est ce dont souffrent notamment les prématurés, chez qui le
surfactant pulmonaire est présent en
trop faible quantité, car leurs poumons
immatures n’ont pas eu le temps d’en
accumuler suffisamment. Cette pathologie fut diagnostiquée par Mary Ellen
Avery et par Jere Mead dès 1958 sur
des prématurés nés à l’Hôpital de Boston. Toutefois, des lésions alvéolaires
d’origines diverses, conduisant à un
déficit en surfactant, peuvent également provoquer des détresses respiratoires aiguës chez l’adulte.
La libération
du surfactant pulmonaire
Pour comprendre les mécanismes de
régulation du surfactant, on étudie les
différentes étapes de sa libération
par les pneumocytes de type II. Le surfactant se répand à la surface des pneumocytes, traverse l’hypophase aqueuse
qui tapisse la surface, la recouvre et
forme une mince pellicule à l’interface
avec l’air. Cette phase de libération
nécessite une régulation précise : le
surfactant est stocké dans les pneumocytes sous forme d’agrégats macromoléculaires enveloppés dans une
membrane. Dans cet état, le surfactant
ne peut traverser la membrane externe
des pneumocytes. Il doit être véhiculé
jusqu’à la membrane, puis préparé
pour la traverser. Il est empaqueté dans
de petites vésicules dont l’enveloppe
fusionne avec la membrane externe
des pneumocytes, formant alors un
pore, c’est-à-dire une ouverture vers
l’extérieur (voir la figure 2).
En observant la membrane d’un
pneumocyte au microscope, on
constate qu’au moment de traverser
ce pore, le surfactant est organisé en
couches concentriques, en «pelure d’oignon». Cet aspect caractéristique a fait
donner aux agrégats de surfactant
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page87claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
3. LES CELLULES DES ALVÉOLES PULMONAIRES synthétisent une
substance tensioactive nommée surfactant (en jaune) qui abaisse
la tension superficielle du revêtement alvéolaire (en bleu). Lorsque
le surfactant est synthétisé en quantité insuffisante, une détresse
respiratoire survient : les alvéoles pulmonaires se dégonflent, la
personne malade ou le prématuré ne peut fournir l’effort nécessaire pour remplir les alvéoles d’air. Les échanges gazeux n’ont
plus lieu : l’oxygène de l’air n’est plus absorbé par le sang qui ne
peut plus se débarrasser du dioxyde de carbone accumulé.
ALVÉOLE PULMONAIRE
NOYAU CELLULAIRE
PNEUMOCYTES DE TYPE II
LIBÉRANT LE SURFACTANT
PNEUMOCYTES DE TYPE I
FORMANT LA PAROI ALVÉOLAIRE
Laboratoire Paul Dietl/Thomas Braun
SURFACTANT STOCKÉ
DANS LES VÉSICULES
MOLÉCULES DU FILM
DE SURFACTANT
AIR CONTENU DANS L’ALVÉOLE PULMONAIRE
DIFFÉRENTES
FORMES
DU SURFACTANT
LIBÉRÉ
FILM AQUEUX
OU HYPOPHASE
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
VAISSEAU SANGUIN
ET GLOBULES ROUGES
87
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page88claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
intracellulaire le nom de corps lamellaires. À la sortie, sous l’effet de l’hydratation, le surfactant est réticulé,
formant des amas de petites «cages».
L’image de petites «cages» données par
la microscopie électronique est la représentation, en section transversale, d’une
structure d’empilement de tubules à
maille carrée. Une telle structure lipidique, hautement organisée, ne peut
s’établir qu’en présence des protéines
spécifiques du surfactant. Sa composi-
tion explique les propriétés du film de
surfactant qui tapisse la paroi alvéolaire.
Pourquoi le conditionnement du
surfactant dans les vésicules est-il si
important? Le trafic des vésicules, un
phénomène nommé exocytose, intervient dans de nombreuses cellules de
l’organisme, telles que les neurones
quand ils libèrent les signaux chimiques qui leur servent à communiquer, ou les cellules des glandes
endocrines quand elles excrètent les
hormones. Certaines toxines bactériennes et divers venins agissent en
perturbant cette mécanique de précision : c’est pourquoi l’exocytose du surfactant est la clé de voûte de la
lubrification des poumons.
Pendant une vingtaine d’années,
pour mesurer les quantités de surfactant libérées à la surface des alvéoles
pulmonaires, on a utilisé des méthodes
de marquage radioactif. Des pneumocytes isolés à partir de poumons de
Une brève histoire du surfactant
e surfactant est constitué, non pas d’une substance unique, mais
d’une association de molécules. La principale d’entre elles (environ la moitié de sa masse) est une lécithine, un lipide doté d’un pôle
hydrophile et d’un pôle hydrophobe. Ce lipide s’oriente à la surface
de l’alvéole en tournant sa partie hydrophile vers l’hypophase, le film
d’eau qui tapisse la surface des alvéoles, et sa partie hydrophobe
vers l’air alvéolaire. Cette orientation ordonne les molécules et forme
un film continu à la surface des alvéoles. La lécithine confère au surfactant l’essentiel de ses propriétés physiques.
Un autre constituant lipidique important est le phosphatidylglycérol, produit exclusivement par les poumons. Enfin, d’autres substances sont aussi présentes en faible quantité, tels des sucres des
protéines du plasma et quatre protéines propres au surfactant, les protéines SP (pour Surfactant Proteins) A, B, C et D.
La SP-A et la SP-D sont des grosses protéines qui participent
aux mécanismes de défense antimicrobienne et entrent en jeu dans
le contrôle du métabolisme du surfactant. La SP-B et la SP-C sont
petites, très hydrophobes, étroitement associées aux lipides : elles
jouent un rôle majeur dans la structuration du film de surfactant. La
SP-B est indispensable à la fonction respiratoire, au point que son
absence congénitale (une maladie génétique rare) est mortelle.
L
es fonctions du surfactant sont diverses. De par ses propriétés physico-chimiques, le surfactant facilite l’expansion des
alvéoles lors de l’inspiration ; par ailleurs, il stabilise ces alvéoles,
les empêchant de se refermer au cours de l’expiration. Il exerce
également un effet anti-œdémateux, c’est-à-dire qu’il empêche
les sels et les protéines du sang de fuir vers les espaces aériens.
Enfin, il facilite l’écoulement du mucus, et a des propriétés antimicrobiennes : ses protéines portent des sucres qui tapissent les
bactéries présentes dans les poumons, les condamnant à être
détruites par les cellules de la défense alvéolaire, les macrophages.
La production de surfactant est adaptée aux besoins des poumons. Dans les alvéoles pulmonaires, une classe de cellules, nommées pneumocytes de type I, réalise les échanges gazeux entre le sang
et l’air ; une autre classe, les pneumocytes de type II, réalise la synthèse des constituants du surfactant. La synthèse a lieu dans les pneumocytes II et est régulée par des molécules telles que les hormones
de la glande surrénale (les glucocorticoïdes), et les facteurs de croissance produits dans le poumon. De même, le mécanisme de sécrétion est soumis à l’influence de stimulus humoraux, lesquels mettent
en jeu des récepteurs placés à la surface des pneumocytes.
Les différents constituants du surfactant sont recyclés en permanence. Les lipides et les protéines produits par les pneumocytes sont réutilisés après leur sécrétion, surtout chez le nouveau-né
dont les capacités de synthèse sont encore limitées. Ainsi, une petite
L
88
fraction du surfactant est dégradée par les macrophages, tandis que
la plus grande partie (90 pour cent chez le nouveau-né) est recyclée par les pneumocytes II. Ces cellules piègent le surfactant
dans des vésicules et le réincorporent au sein de corps lamellaires, structures agrégées en couches concentriques. Après avoir
été reconditionnées, elles sont sécrétées à nouveau.
Dans certains cas pathologiques, le surfactant peut être présent en quantité insuffisante. Ce sont les cas de détresse respiratoire, dont le plus fréquent affecte les prématurés de moins de 35
semaines. Cette maladie, le syndrome de détresse respiratoire du
prématuré, frappe chaque année en France entre 5 000 et 6 000 prématurés. Dans ce cas, la déficience respiratoire est due à une fermeture progressive des alvéoles, conséquence d’un manque de
surfactant. Chez le fœtus, le surfactant s’accumule lentement durant
la seconde moitié de la grossesse. Ce n’est qu’au-delà de 35 semaines
que la quantité accumulée est suffisante. La déficience respiratoire
du prématuré est rapidement mortelle sans traitement.
ertaines formes de détresse respiratoire touchent également
l’adulte, notamment l’œdème pulmonaire. De l’eau et des sels
minéraux sont sécrétés en excès par les alvéoles, qui s’engorgent : le malade tousse, expulse une mousse rosâtre et risque de
s’étouffer. Ces œdèmes résultent soit d’une insuffisance de surfactant, soit le plus souvent d’une mauvaise circulation sanguine
dans les poumons (la pression dans les capillaires est trop forte,
entraînant une fuite d’eau vers l’extérieur).
Pendant des décennies, on a soigné les divers syndromes de
détresse respiratoire par ventilation assistée, en insufflant un air enrichi en oxygène dans les poumons du patient. Néanmoins, la mise
au point, il y a une dizaine d’années, de surfactants de substitution,
a constitué une avancée thérapeutique décisive. Ces surfactants, prélevés sur des poumons de bœuf ou de porc, ont fait reculer la mortalité et l’incidence de séquelles. On a réussi à sauver des prématurés
toujours plus jeunes, jusqu’à 24 semaines de grossesse.
Malheureusement, les surfactants d’origine animale ont leurs
inconvénients (en raison des risques de contamination). De plus,
les surfactants artificiels ne contenant pas de protéines, sont
d’une efficacité limitée. On cherche donc à mettre au point de nouveaux surfactants contenant des protéines humaines. Pour ce faire,
on introduit les gènes commandant la synthèse de ces protéines
dans des animaux transgéniques, lesquels expriment ces protéines du surfactant, qui sont ensuite récupérées. Les chimistes
tentent aussi de produire des peptides synthétiques imitant l’action des protéines SP-B et SP-C dans le poumon.
Jacques BOURBON – CNRS – Faculté de médecine de Créteil
Laboratoire de physiologie et thérapeutique repiratoires
C
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page89claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
rats sont maintenus en vie dans des
boîtes de culture contenant un milieu
nutritif ; on ajoute au milieu de culture
des lipides contenant du tritium, un
isotope radioactif de l’hydrogène.
Ainsi, le surfactant fabriqué par les
pneumocytes avec ces lipides marqués
est détectable au moyen de compteurs.
En mesurant, à intervalles de temps
réguliers, la radioactivité dans la solution où baignent les pneumocytes, on
détermine la quantité de surfactant
libérée par ces cellules.
Les biologistes ont ainsi évalué l’influence de différents facteurs de l’environnement cellulaire sur la quantité
de surfactant libéré. La plus grande
surprise vint, en 1990, des travaux de
Hubert Wirtz et de Leland Dobbs, à
l’Université de San Francisco, lesquels
montrèrent que c’est la respiration ellemême qui favorise cette excrétion : une
inspiration profonde libère une quantité notable de surfactant. Les soupirs
profonds que nous poussons instinctivement de temps en temps ont peutêtre pour objet la régulation du
surfactant pulmonaire.
4. LES VÉSICULES contenant du surfactant (les points noirs, à gauche) sont visibles sur le
fond orangé des pneumocytes de type II. Ces réservoirs ont une forme sphérique comme en
témoigne la photographie prise au microscope à contraste de phase (à droite).
Les vésicules en action
D’autres facteurs stimulent la sécrétion du surfactant pulmonaire : une
poussée d’adrénaline – l’hormone du
stress produite par les glandes surrénales – accélère le rythme respiratoire
dans les situations de danger ; l’adénosine triphosphate (ATP), l’énergie
des cellules, stimule elle aussi la libération de surfactant. L’ATP serait le
messager qui commande en temps
normal la libération du surfactant, ou
stimulerait ponctuellement cette sécrétion, par exemple lors d’une inflammation, en présence d’une toxine ou
en cas d‘agression de l’organisme.
Malgré leur intérêt, les méthodes
d’analyse par marquage sont trop «globales» pour être efficaces : elles n’établissent qu’un bilan net de la quantité
excrétée, lequel résulte d’un phénomène
de libération et d’une étape de réabsorption du surfactant (les pneumocytes
recyclent partiellement le surfactant).
Pour mieux étudier le transport du surfactant et son passage à travers la membrane des pneumocytes, nous devions
observer, à l’aide de microscopes à haute
résolution, les vésicules de surfactant,
leurs structures lamellaires et réticulées,
au sein des cellules.
Dans notre laboratoire, nous utilisons des molécules fluorescentes et
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
VÉSICULES DE STOCKAGE
5. FILM DE LA LIBÉRATION DU SURFACTANT. Les vésicules contenant le surfactant sont
visualisées au moyen d’une fluorescence verte. Elles se vident dans le quart supérieur droit
de la cellule. Une fois un pore formé, le surfactant se répand dans le milieu extérieur et sa
concentration devient trop faible pour qu’on continue à le voir.
des microscopes à haute résolution
pour visualiser le parcours du surfactant du lieu de sa synthèse jusqu’à
la surface des alvéoles. Pour visualiser ces événements cellulaires, nous
avons notamment utilisé le Lyso Tracker Green ou LTG : cette molécule de
synthèse émet un rayonnement vert
lorsqu’elle est en milieu acide et qu’on
l’éclaire avec un rayonnement ultraviolet. Or, le contenu des vésicules
d’excrétion est acide, de sorte qu’on
peut les observer avec la molécule LTG.
Ainsi, on a évalué le diamètre des vésicules à environ un millième de millimètre. On visualise la fusion des
vésicules avec la membrane en temps
réel, car la fluorescence n’est visible
qu’avant la fusion avec la membrane
des pneumocytes, et disparaît quand
les vésicules se sont vidées de leur
contenu (voir la figure 5).
On a aussi utilisé un autre colorant,
le FM 1-43, qui émet une fluorescence
orange lorsqu’il se fixe sur des lipides.
Ainsi, lorsqu’une vésicule fusionne
avec la membrane, la concentration en
lipides (ceux des structures lamellaires
et des couches de surfactant) augmente ; le FM 1-43 émet un signal qui
marque la fusion membranaire.
Lorsque le surfactant se répand dans
l’hypophase, la tache orange s’élargit
(voir la figure 6).
Enfin, la dernière étape consiste à
obtenir une image en trois dimensions
de ces événements. Pour cela, on a
recours à la microscopie confocale :
on enregistre une série de «coupes virtuelles» d’une cellule, et un logiciel
reconstitue, à partir de toutes ces données, une vue tridimensionnelle. Sur
chacune des coupes apparaissent les
structures marquées par le colorant
fluorescent.
En utilisant les deux méthodes de
coloration, nous avons ainsi observé la
réaction d’un pneumocyte à l’injection
d’ATP : au bout de dix minutes environ, les premières structures lamellaires
89
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page90claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
6. LA NAISSANCE D’UN PORE dans la membrane d’un pneumocyte : un colorant orange devient fluorescent au contact de lipides.
Lorsqu’un pore se forme, la concentration lipidique en un point de
7. DES COLORANTS vert et orange combinés permettent de reconstruire la séquence
complète de la libération du surfactant. La
coloration orangée apparaît lorsque disparaît la fluorescence verte (flèche). Le vert
indique la présence des vésicules avant la
libération, l’orange indique la formation d’un
pore et la libération de surfactant. Une dizaine
de minutes après leur ouverture, certaines
vésicules n’ont toujours pas libéré leur surfactant. On recherche des substances thérapeutiques qui contrôleraient, à cette étape,
la libération du surfactant.
perdent leur fluorescence verte et commencent à émettre une fluorescence
orangée (voir la figure 7). Toutefois, dans
certains cas, au lieu de s’élargir lorsque
le surfactant s’étend à la surface de la
paroi alvéolaire, cette fluorescence
orangée reste localisée au même
endroit, à l’intérieur du pore qui s’est
ouvert pour autoriser le passage du
surfactant à travers la membrane. Comment le surfactant est-il libéré dans le
milieu extérieur? Se dissout-il dans le
milieu et diffuse-t-il lentement à tra90
la membrane augmente notablement et la molécule orange devient
fluorescente. Ici, on observe la formation de trois pores (au milieu),
puis de quatre autres (à droite).
vers le pore? Peut-être attend-il sous
forme de grumeaux avant d’être
expulsé par un mécanisme actif? Nous
proposons une autre hypothèse : lors
d’une étape supplémentaire, le pore
s’élargirait davantage, autorisant la
libération du surfactant. Si tel était le
cas, nous serions sur la piste de nouvelles substances pharmacologiques
qui lutteraient contre les détresses respiratoires : en ajustant l’ouverture
des pores à volonté, on maîtriserait la
quantité de surfactant libéré.
Pour tester cette hypothèse, nous
avons repris la méthode de marquage
au tritium, car elle présente l’avantage d’indiquer le temps qui sépare
la stimulation par l’ATP et la formation d’un pore, puis la formation du
pore de la libération effective du
surfactant. Nous avons ainsi établi
que les premiers pores se forment
au plus tôt une dizaine de secondes
après l’application d’ATP, et que l’ouverture a lieu plusieurs minutes après.
Quant à la libération effective, elle
n’intervient que beaucoup plus tard :
l’ouverture du pore n’est pas suffisante pour que le surfactant soit délivré sous forme efficace.
D’autres photographies ont confirmé que le surfactant ne peut gagner le
milieu extérieur qu’au prix d’une transformation, que nous avons tenté de
visualiser grâce au colorant FM 1-43.
Étant donné que celui-ci a la capacité
de marquer en vert la membrane cellulaire et en orange le surfactant, il
est possible de visualiser séparément
la membrane plasmique et le surfactant, à condition de faire alterner les
filtres d’observation. Nous avons
observé que la coloration verte s’écoule
à travers un goulot, dont la forme définit la morphologie du pore «en action»
(voir la figure 8). Afin de préciser la
forme du pore, nous avons enfin utilisé la technique la plus perfectionnée
dans le domaine de la microscopie :
la microscopie à force atomique. Une
pointe métallique très effilée, solidaire
d’un levier, balaye la surface de l’échantillon, de sorte que toute modification
du relief de l’échantillon observé se
transmet à la pointe.
La pointe d’un microscope à force
atomique a balayé la surface de pneumocytes stimulés par de l’ATP, ce qui
nous a livré les détails des motifs structuraux des pores. Se présentant initialement sous la forme de dépressions
dans la membrane cellulaire, ils se
creusent progressivement pour donner naissance à des conduits qui traversent la membrane. Cette technique
est malheureusement limitée par la
durée d’obtention d’une image : il faut
une minute par image. Pendant ce
temps, un pore peut avoir changé de
forme et de diamètre, de sorte que
l’événement dans son intégralité nous
échappe. À l’aide de toutes les images
obtenues, nous avons pourtant établi que le diamètre maximal des pores
est compris entre 0,2 et 1 micromètre.
Selon ces estimations, les plus grands
de ces trous pourraient laisser passer le contenu des structures lamellaires en paquets, ce que l’on croyait
impossible d’après les photos de cellules mortes et fixées.
Une des conséquences les plus
importantes de ces observations est
que le surfactant peut être libéré sous
forme tubulaire ou sous forme globulaire. Le passage d’une forme à
l’autre a été observé grâce au colorant FM 1-43 , lequel, rappelons-le,
marque en vert la membrane cellulaire
et en orange le surfactant.
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
295_dietl_fc_11_04 16/04/02 11:01 Page91claMaquettistes:cla(CelineLapert):295:pp.84_91_dietl:
a
c
20 MINUTES
APRÈS STIMULATION
b
10 MINUTES
APRÈS STIMULATION
Globules et tubules
Une fois le pore formé, le surfactant est
libéré en plusieurs étapes. Les pores
peuvent rester étroits pendant très longtemps et, dans cette configuration du
canal, le surfactant ne peut sortir que
sous la forme de fins tubules. Parfois
apparaît une paire de deux amas globulaires, entre lesquels le pore de fusion
forme un étranglement (voir la figure 8).
Nous n’avons pas encore identifié les
facteurs qui participent à la transformation des globules en tubules. Nous
ignorons si ce changement de forme est
lié à la formation rapide d’un film
efficace à la surface des alvéoles. Quoi
qu’il en soit, les pores s’élargissent lentement, ce qui semble limiter la proportion de surfactant excrété sous forme
globulaire. Ainsi, les pores sont des
points de rétention du surfactant, qui
commandent la quantité autorisée à
passer dans l’hypophase : ils représentent une barrière mécanique à la libération du surfactant.
On sait aujourd’hui que l’ATP accélère la formation et l’ouverture des
pores, mais nous ignorons, par
exemple, si la paroi d’un pore de fusion
récemment formé est constituée de
lipides ou de protéines. Par ailleurs,
les membranes biologiques sont reliées
Paul DIETL est professeur de médecine,
Thomas HALLER chercheur en biologie
à l’Institut de physiologie de l’Université d’Innsbruck et Stefan SCHNEIDER
maître de conférences à l’Université
de Münster et docteur en médecine de
l’Université de Fribourg.
Thomas HALLER et al., Dynamics of Surfactant Release in Alveolar Type II Cells, in
Proceedings of the National Academy of
© POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
8. LA MEMBRANE DU PNEUMOCYTE est
colorée en vert (a). Les deux formes moléculaires du surfactant apparaissent : la
forme globulaire (b) et une forme partiellement tubulaire (c). On constate un étranglement du pore ouvert dans la membrane
cellulaire. Les colorations verte et orange
ont été obtenues séparément, puis superposées par ordinateur.
au «squelette» interne des cellules, et
d’autres éléments contractiles capables
de participer à l’élargissement et au
rétrécissement des pores sont peut-être
contenus dans cette charpente. Les
pores de fusion s’ouvrent-ils à chaque
inspiration ? Comment les pneumocytes interagissent-ils avec les autres
cellules des alvéoles?
On dispose encore de bien peu
d’éléments sur les événements qui se
déroulent à l’intérieur des poumons.
Pour progresser, il faudra améliorer les
modèles expérimentaux appropriés,
notamment les méthodes de mesure
sur les cellules vivantes. Une connaissance approfondie des mécanismes de
lubrification des poumons ouvrira la
voie à de nouvelles molécules thérapeutiques soulageant les détresses respiratoires des grands prématurés,
notamment. Aujourd’hui, on prélève
des surfactants de substitution très efficaces sur des animaux de boucherie,
mais ces produits sont chers et ils ne
sont pas dénués de risques, puisqu’ils
sont d’origine animale. On espère également faire des progrès dans la lutte
contre les graves complications pulmonaires regroupées sous le terme de
détresses respiratoires aiguës de
l’adulte, et celles qui accompagnent les
septicémies ou les états de choc.
Sciences, vol. 95, p 1579, 1998.
Jacques BOURBON, Physiologie et physiopathologie du surfactant pulmonaire,
in Biologie et pathologie des épithéliums,
C. Clerici et G. Friedländer, éditions
EDK, pp. 173-182, 2000.
Paul DIETL et al., Mechanisms of surfactant exocytosis in alveolar type II cells in
vitro and in vivo, in News in Physiological Sciences, vol. 16, pp. 239, 2001.
91
Téléchargement