86 © POUR LA SCIENCE - N° 295 MAI 2002
2. UNE VÉSICULE DE STOCKAGE lors de sa
migration dans la cellule et de sa fusion avec
la membrane du pneumocyte. Après formation
d’un pore, le surfactant est libéré sur la sur-
face externe de l’alvéole.
quand ils contenaient de l’eau plutôt
que de l’air. Or des fibres élastiques
se seraient contractées de la même
façon en présence d’air ou d’eau. D’où
venait la différence? Von Neergard ima-
gina qu’une substance tapissant les
alvéoles pulmonaires et soluble dans
l’eau s’opposait à leur extension. Il
lui attribua les propriétés d’une sub-
stance tensioactive, et supposa que le
coefficient de tension superficielle était
proche de celui du plasma sanguin. Il
en déduisit une valeur de la résis-
tance totale théorique pour le poumon,
valeur qui se trouvait être en bon accord
avec ses observations.
Ce résultat fut rapidement oublié,
jusqu’à ce qu’en 1950, E. Radford, de
l’Université Harvard, à Boston, reprenne
le flambeau en utilisant les connais-
sances accumulées pendant 20 ans sur
la structure du poumon. Reprenant les
calculs de von Neergard, il obtint cette
fois une surface alvéolaire dix fois supé-
rieure, de sorte que la tension superfi-
cielle à l’intérieur des poumons devait
être dix fois plus faible que celle du
sérum sanguin. Radford en conclut
qu’une substance tensioactive propre
au poumon réduisait de façon specta-
culaire la rigidité des alvéoles.
En 1955, Richard Pattle, à Porton
en Angleterre, mit en évidence la pré-
sence d’une substance tensioactive dans
le matériel rejeté sous forme de mousse
lors de l’œdème pulmonaire. Puis, en
1956, John Clements, du Centre Heeres
d’études chimiques du Maryland, mon-
tra que l’instillation d’extraits de pou-
mon diminuait effectivement la tension
superficielle, et empêchait les alvéoles
de se rétracter. Il étudia en outre, in vitro,
les propriétés physiques du surfactant
isolé du poumon. Le surfactant se révéla
être un mélange de protéines, de sucres,
et de deux composés lipidiques aux
extrémités hydrophiles, des substances
qui modulent la tension superficielle
(voir l’encadré page 88).
Comment ces composés «assou-
plissants» sont-ils synthétisés? On sait
aujourd’hui qu’ils sont produits par une
classe particulière de cellules des parois
des alvéoles pulmonaires, les pneu-
mocytes de type II (voir la figure 3). Les
pneumocytes de type II ne sont pas les
seules cellules des parois alvéolaires,
mais ils y jouent un rôle primordial
notamment parce qu’ils adaptent
constamment la quantité de surfactant
libéré à la surface des alvéoles, et réab-
sorbent les sels minéraux et l’eau qui
s’échappent des capillaires alvéolaires.
Les pneumocytes contrôlent
l’épaisseur du mince film d’eau,
nommé hypophase, qui tapisse la sur-
face des alvéoles : en présence d’une
quantité excessive de surfactant, les
alvéoles se distendraient, et, en cas
d’excès, s’effondreraient sur elles-
mêmes. Or l’effondrement (ou col-
lapsus) des alvéoles entraîne une
détresse respiratoire grave, les
échanges gazeux avec le sang ne pou-
vant plus s’effectuer normalement et
les muscles respiratoires s’épuisant
rapidement à tenter d’ouvrir les
espaces alvéolaires à chaque inspira-
tion. C’est ce dont souffrent notam-
ment les prématurés, chez qui le
surfactant pulmonaire est présent en
trop faible quantité, car leurs poumons
immatures n’ont pas eu le temps d’en
accumuler suffisamment. Cette patho-
logie fut diagnostiquée par Mary Ellen
Avery et par Jere Mead dès 1958 sur
des prématurés nés à l’Hôpital de Bos-
ton. Toutefois, des lésions alvéolaires
d’origines diverses, conduisant à un
déficit en surfactant, peuvent égale-
ment provoquer des détresses respi-
ratoires aiguës chez l’adulte.
La libération
du surfactant pulmonaire
Pour comprendre les mécanismes de
régulation du surfactant, on étudie les
différentes étapes de sa libération
par les pneumocytes de type II. Le sur-
factant se répand à la surface des pneu-
mocytes, traverse l’hypophase aqueuse
qui tapisse la surface, la recouvre et
forme une mince pellicule à l’interface
avec l’air. Cette phase de libération
nécessite une régulation précise : le
surfactant est stocké dans les pneu-
mocytes sous forme d’agrégats macro-
moléculaires enveloppés dans une
membrane. Dans cet état, le surfactant
ne peut traverser la membrane externe
des pneumocytes. Il doit être véhiculé
jusqu’à la membrane, puis préparé
pour la traverser. Il est empaqueté dans
de petites vésicules dont l’enveloppe
fusionne avec la membrane externe
des pneumocytes, formant alors un
pore, c’est-à-dire une ouverture vers
l’extérieur (voir la figure 2).
En observant la membrane d’un
pneumocyte au microscope, on
constate qu’au moment de traverser
ce pore, le surfactant est organisé en
couches concentriques, en «pelure d’oi-
gnon». Cet aspect caractéristique a fait
donner aux agrégats de surfactant
APPROCHE
FUSION PARTIELLE
FUSION
LIBÉRATION DU CONTENU
MEMBRANE
VÉSICULAIRE
MEMBRANE CELLULAIRE
DU PNEUMOCYTE
SURFACTANT
PULMONAIRE
PORE DE FUSION
EXTÉRIEUR
INTÉRIEUR
Illustrations : Laboratoire Paul Dietl
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