Stadification ganglionnaire médiastinale du cancer du poumon

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ONCOLOGIE THORACIQUE
Peer-reviewed article
Stadification ganglionnaire
médiastinale du cancer du
poumon: nouveaux concepts
Kurt G. Tournoy
Oncologie thoracique, Onze-Lieve-Vrouw Ziekenhuis Aalst; Universiteit Gent
Chez les patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) qui n’a pas métastasé en dehors de la
cage thoracique, ni dans le poumon controlatéral ou la plèvre,
il convient d’examiner les ganglions médiastinaux. En effet,
seuls les patients ne présentant aucune métastase au niveau
de ces ganglions entrent en ligne de compte pour une résection primaire. Souvent, l’imagerie ne permet pas d’évaluer
avec précision les ganglions médiastinaux. Aussi, la réalisation
de biopsies par le biais d’un examen invasif de qualité, comme
la médiastinoscopie chirurgicale ou l’échoendoscopie du
médiastin, constitue ici la meilleure solution. Des travaux de
recherche récents montrent que chacun de ces examens a
une indication bien déterminée dans un algorithme de stadification modernisé du cancer du poumon. Actuellement, on
estime préférable de commencer l’examen du médiastin par
une échoendoscopie, la médiastinoscopie chirurgicale étant
davantage utilisée pour déceler les échoendoscopies faussement négatives ou en cas de restadification après un traitement d’induction.
Importance de la stadification
médiastinale en cas de cancer du
poumon
La stadification clinique et l’évaluation de l’état général
du patient jouent un rôle essentiel non seulement dans
l’établissement du pronostic (Figure 1), mais aussi
dans le choix de la stratégie thérapeutique à adopter.
En effet, les patients atteints d’un CBNPC de stade I ou
II ne présentent pas de métastases dans les ganglions
médiastinaux et sont de préférence traités par résection primaire. En revanche, pour les patients au stade III
de la maladie, dont la majorité présente des métastases
au niveau des ganglions médiastinaux (ou un envahissement du médiastin par la tumeur), on optera davantage
pour un traitement combiné par radiochimiothérapie
ou, dans certains cas bien précis, par chimiothérapie
d’induction suivie d’une résection. Enfin, chez les pa-
Figure 1: Survie des patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules selon la classification
pTNM (classification post-opératoire) (1).
100%
80%
5 ans
60%
IA
IB
IIA
IIB
IIIA
IIIB
IV
40%
20%
0%
ON0455F
0
2
4
6
Survie (années)
1
Onco-Hemato
8
10
73%
58%
46%
36%
24%
9%
13%
tients de stade IV (qui présentent des métastases «à distance»),
en outre aucune fixation du FDG), mais chez qui le risque
le traitement, qui repose essentiellement sur la chimiothérapie,
d’atteinte maligne de ces ganglions atteint 30%. Les raisons
n’a pas de vocation curative mais bien palliative. Dès lors, chez
pouvant expliquer cette situation sont multiples:
les patients ne se trouvant pas au stade IV de la maladie, il est
- le patient présente des ganglions hilaires suspects à l’image-
primordial de connaître le statut des ganglions médiastinaux
rie (TDM ou TEP);
pour pouvoir choisir un schéma de traitement optimal.
- la tumeur est située en position centrale;
- la tumeur proprement dite ne présente aucune fixation, ou
Quand faut-il réaliser des biopsies
des ganglions médiastinaux chez les
patients atteints d’un cancer du
poumon?
alors très limitée, du FDG en TEP, si bien que l’évaluation de
la fixation dans les ganglions n’est pas fiable. Le cas échéant,
un examen histologique des ganglions médiastinaux est
indispensable.
Il y a deux situations dans lesquelles l’imagerie est considérée
clure la nécessité d’une biopsie. Ainsi, on part du principe que
Quelles sont les conditions
nécessaires pour un bon examen
histologique des ganglions?
chez les patients qui présentent à l’imagerie un envahissement
En 2007, l’ESTS (European Society of Thoracic Surgeons) a établi
tumoral direct du médiastin ou des ganglions particulièrement
des recommandations pour la stadification du cancer du pou-
comme suffisamment précise pour permettre de déterminer la
présence éventuelle de métastases dans ces ganglions et ex-
volumineux (> 20mm) dans plusieurs
aires (masse tumorale importante), la
probabilité d’atteinte maligne du médiastin est a priori de 100%. Une confirma-
Figure 2: Classification du cancer du poumon en fonction de la présence
éventuelle de ganglions médiastinaux suspects à l’imagerie (2).
tion anatomopathologique n’est donc
CRITERE
pas nécessaire. A l’inverse, on estime que
pulmonaires périphériques de moins de
3cm, et chez qui la TDM et la TEP ne
révèlent aucune anomalie ganglionnaire
(tous les ganglions < 10mm), courent a
priori un risque inférieur à 6%, si bien
que la réalisation d’un examen ganglionnaire invasif entraîne davantage de risque
de morbidité et de surcoût plutôt que
Médiastin suspect
les patients qui présentent des tumeurs
de nouvelles informations cliniques per-
GL médiastinaux
majorés
ou fixant le FDG
GL médiastinaux
de petite taille
mais fixant le
FDG
GL hilaires majorés
ou fixant le FDG
tinentes.
pas suffisamment précises pour établir la
présence éventuelle de métastases ganglionnaires médiastinales dans les deux
situations suivantes (Figure 2). La première a trait aux patients présentant des
ganglions suspects sur la base de l’imagerie du médiastin: soit les ganglions médiastinaux sont trop volumineux, soit ils
fixent trop le FDG en TEP. La deuxième
concerne le groupe de patients caractérisés par un médiastin normal à l’imagerie (autrement dit, uniquement des gan-
Médiastin non suspect
En revanche, la TDM et la TEP ne sont
GL hilaires de petite
taille mais fixant le
FDG
Tumeur pulmonaire
centrale
Tumeur pulmonaire
ne fixant pas
le FDG
glions de petite taille qui ne présentent
2
Onco-Hemato
TDM
TEP/TDM au FDG
Figure 3: Cartes des aires ganglionnaires médiastinales (1-9) et hilaires (10-11). Sur la carte de gauche,
les aires en vert correspondent à celles qui peuvent être explorées par EUS-FNA. Sur la carte de droite,
les aires en rouge correspondent à celles qui peuvent être explorées par EBUS-TBNA.
mon; celles-ci portent également une attention particulière
l’échoendoscopie transœsophagienne linéaire avec aspiration à
aux critères de qualité relatifs à l’examen invasif des ganglions
l’aiguille fine (EUS-FNA) et de l’échographie endobronchique
médiastinaux. Ces recommandations partent du principe que
linéaire avec aspiration transbronchique à l’aiguille (EBUS-
l’utilisation d’une procédure systématique est une condition
TBNA), il est désormais évident qu’une exploration et une
sine qua non à la réalisation d’un examen ganglionnaire de qua-
biopsie moins invasives des ganglions pulmonaires sont pos-
lité. D’où le concept selon lequel, en cas d’examen invasif des
sibles. Ces techniques d’échographie interne sont pratiquées
ganglions médiastinaux, il convient d’essayer de réaliser des
par le pneumologue, de préférence sous anesthésie locale avec
biopsies des ganglions situés sur les faces gauche et droite de
une légère sédation. Ces procédures échoendoscopiques ont
la trachée, mais également des ganglions sous-carénaires. Pour
prouvé ces dernières années qu’elles étaient extrêmement
pouvoir parler d’un bon examen invasif des ganglions médiasti-
sûres; elles ne laissent pas de cicatrices et, contrairement à la
naux, il faut pouvoir explorer et, si possible, biopsier au moins
technique chirurgicale, elles peuvent être pratiquées à plu-
3 (idéalement 5) aires ganglionnaires.
sieurs reprises sans perte de précision. Elles peuvent en outre
être complétées par une médiastinoscopie chirurgicale, ce qui
Médiastinoscopie chirurgicale et
médiastinoscopie médicale
peut s’avérer utile, en particulier en cas de résultats négatifs. La
La médiastinoscopie chirurgicale est une procédure pratiquée
moins invasif et à réserver la technique plus invasive pour cer-
sous anesthésie générale, par laquelle le chirurgien thoracique
tains cas bien précis.
stratégie à cet égard consiste à commencer par l’examen le
explore et, si possible, biopsie les ganglions paratrachéaux
gauches et droits ainsi que les ganglions sous-carénaires au
Dans certains cas plus rares, l’imagerie révèle la présence de
moyen d’un médiastinoscope. Comme indiqué plus haut, cet
ganglions suspects en dehors du champ classique de la médias-
examen doit être complet, c’est-à-dire que ces aires doivent
tinoscopie. La présence de ganglions suspects, par exemple,
être systématiquement explorées. Avec l’introduction de
dans la région para-aortique, rétrosternale ou para-œsopha-
3
Onco-Hemato
gienne peut constituer un véritable défi. Dans ce cas, ces gan-
des sensibilités respectives de 81 et 79% pour la détection de
glions doivent naturellement être abordés au moyen de tech-
métastases dans les ganglions médiastinaux. Concernant l’exa-
niques adaptées. Ainsi, les ganglions para-aortiques (aires 5-6)
men systématique des ganglions, la plupart des données actuel-
et rétrosternaux (aire 3 antérieure) seront explorés à l’aide
lement disponibles concernent toutefois la technique combi-
d’une technique chirurgicale, car l’échoendoscopie ne permet
nant l’EUS-FNA et l’EBUS-TBNA. Des données récentes in-
pas de les atteindre. Certains rapports indiquent toutefois qu’il
diquent qu’en utilisant un bronchoscope d’abord dans les voies
est possible de déceler un envahissement ganglionnaire dans
aériennes puis dans l’œsophage («single scope procedure»), on
l’aire 6 par le biais d’une EUS-FNA avec ponction transaor-
peut obtenir des résultats aussi satisfaisants qu’avec deux en-
tique. Cette approche ne peut cependant être envisagée que
doscopes distincts.
dans des cas exceptionnels et après discussion approfondie. A
l’inverse, les ganglions para-œsophagiens peuvent être facile-
L’étude randomisée (essai ASTER, JAMA, décembre 2010) qui
ment examinés à l’aide de l’EUS-FNA (Figure 3). Un autre
a comparé directement l’échoendoscopie (EBUS-TBNA +
exemple est la restadification après un traitement d’induction.
EUS-FNA) et la médiastinoscopie chirurgicale pour la stadifica-
Il est un fait qu’après une chimiothérapie d’induction, l’écho-
tion médiastinale des patients atteints d’un cancer du poumon
endoscopie est moins précise que la médiastinoscopie.
a révélé une sensibilité de respectivement 85 (IC 95%: 74-92)
Ce manque de précision est dû à la prévalence inférieure de
et 79% (IC 95%: 66-88) pour la détection de métastases gan-
l’atteinte ganglionnaire après la chimiothérapie d’induction et,
glionnaires médiastinales, soit une différence non significative.
de ce fait, à la mauvaise valeur prédictive négative de l’écho-
Par contre, l’adjonction d’une médiastinoscopie chirurgicale à
endoscopie. Pour cette indication, la médiastinoscopie chirurgicale
une échoendoscopie complète (négative) a fait grimper la sen-
reste donc l’option privilégiée.
sibilité à 94% (IC 95%: 85-98), un pourcentage nettement supérieur à celui observé chez les patients qui avaient subi une
Echoendoscopie complète
médiastinoscopie chirurgicale en premier lieu. Cette stratégie a
Un examen ganglionnaire complet respectant une procédure
permis de réduire le risque d’examen médiastinal faussement
systématique est une condition essentielle pour une stadifica-
négatif de 15 à 7%, ce qui constitue une donnée cliniquement
tion de qualité du cancer du poumon. Systématique signifie
significative et se traduit par une diminution du nombre de
qu’il convient d’explorer et de biopsier au moins 3 territoires
thoracotomies inutiles.
ganglionnaires médiastinaux. Même si la médiastinoscopie
Un article de synthèse publié récemment dans The Lancet
(examen des ganglions du médiastin par voie chirurgicale) a
Oncology reprend les données de plus de 900 patients qui ont
été la technique standard ces 50 dernières années, de nou-
fait l’objet d’un examen par échoendoscopie complète. Ces
velles données montrent que l’échoendoscopie permet aussi
données confirment que l’examen ganglionnaire systématique
de réaliser l’examen ganglionnaire systématique, avec, de sur-
à l’aide de la combinaison EUS-FNA + EBUS-TBNA est réali-
croît, la même précision. Récemment, une étude de cohorte
sable et précis, mais aussi que la procédure combinée offre un
prospective de K Yasufuku et al. (4), qui comparait directement
avantage certes limité mais mesurable par rapport à l’examen
l’EBUS-TBNA et la médiastinoscopie, a révélé qu’elles avaient
par EBUS-TBNA seule.
Figure 4: Algorithme de stadification pour les patients atteints d’un CBNPC qui ne présentent aucune
métastase à distance (2).
T4 ou atteinte ganglionnaire volumineuse
CBNPC cM0
(TDM et TEP-FDG)
Aucune stadification ganglionnaire invasive
nécessaire
Tumeur pulmonaire périphérique (< 3cm)
sans fixation du FDG dans les ganglions et
sans ganglions intra-thoraciques majorés
Médiastin suspect à l’imagerie
Ganglions médiastinaux majorés ou
fixant le FDG
Echoendoscopie complète
Médiastin non suspect à l’imagerie
Ganglions hilaires majorés ou
fixant le FDG ou
tumeur située en position centrale ou
tumeur primitive sans fixation du FDG
Echoendoscopie complète
4
Onco-Hemato
Si l’échoendoscopie ne montre aucune maladie N2/3:
médiastinoscopie chirurgicale
Si l’échoendoscopie ne montre aucune maladie N2/3:
2 options
- médiastinoscopie chirurgicale
- thoracotomie avec biopsie/dissection ganglionnaire
Une échoendoscopie négative
doit-elle toujours être suivie d’une
médiastinoscopie chirurgicale?
condition toutefois que ces derniers contiennent une quantité
Si l’on se base sur les données scientifiques actuellement dis-
prélèvements chirurgicaux.
suffisante de tissu tumoral. La réalisation de tests moléculaires
n’implique pas automatiquement la nécessité d’effectuer des
ponibles, pour les patients nécessitant un examen histologique
des ganglions, il convient de privilégier la stratégie consistant à
Conclusions
commencer par une échoendoscopie, suivie, en cas de résultat
Si un examen histologique des ganglions médiastinaux du pa-
négatif, d’une médiastinoscopie chirurgicale. Les avantages de
tient atteint d’un cancer du poumon s’avère nécessaire,
cette approche sont multiples: elle est plus précise, plus sûre et
l’échoendoscopie est l’approche à privilégier. Il convient de tou-
entraîne moins de thoracotomies inutiles. Elle est en outre
jours réaliser des biopsies des ganglions paratrachéaux gauches
moins coûteuse et mieux toléréé par les patients que la mé-
et droits ainsi que des ganglions sous-carénaires, indépendam-
diastinoscopie seule. Les données de l’essai ASTER montrent
ment de leur volume ou de la fixation du FDG. S’ils sont trop
cependant que si cette stratégie est appliquée rigoureusement,
volumineux ou présentent une fixation du FDG en TEP, les
11 médiastinoscopies chirurgicales sont nécessaires pour déce-
ganglions situés à d’autres endroits du médiastin doivent égale-
ler 1 échoendoscopie faussement négative. Même si cela ne
ment être biopsiés. L’exécution systématique d’une médiasti-
pose aucun problème d’un point de vue statistique, sur le plan
noscopie chirurgicale en cas d’échoendoscopie négative est
éthique, cela peut prêter à discussion. En toute logique, la ques-
actuellement le protocole standard et le seul moyen d’éviter
tion suivante est de savoir s’il est possible d’identifier des sous-
une thoracotomie inutile. Des données récentes suggèrent que
groupes de patients chez qui la médiastinoscopie chirurgicale
ce sont surtout les patients présentant des ganglions médiasti-
est la plus efficace après une échoendoscopie négative. Dans
naux majorés ou fixant le FDG qui courent le plus grand risque
une analyse post hoc de l’essai ASTER, les chercheurs ont dé-
d’échoendoscopie faussement négative, si bien qu’ils représen-
couvert que la réalisation d’une médiastionoscopie après une
tent probablement le groupe pour lequel la médiastinoscopie
échoendoscopie négative était surtout utile chez les patients
chirurgicale en cas d’échoendoscopie négative est la plus utile.
qui présentent des ganglions suspects à l’imagerie (sur la base
Selon toute vraisemblance, cette stratégie n’a en revanche au-
de la taille du ganglion et de son avidité pour le FDG), avec 7
cune utilité chez les patients présentant un médiastin non sus-
médiastinoscopies nécessaires pour déceler 1 échoendoscopie
pect à l’imagerie. Des recherches prospectives sont actuelle-
faussement négative. Par contre, chez les patients ne présen-
ment mises sur pied afin de vérifier si cette hypothèse peut
tant aucun ganglion suspect à l’imagerie, la médiastinoscopie
être confirmée.
n’a permis de détecter aucune échoendoscopie faussement
négative et n’a donc eu aucune utilité. L’intégration de ces données a débouché sur le développement de l’algorithme représenté dans la figure 4.
Diagnostic moléculaire
Ces dernières années, l’intégration des analyses moléculaires
dans le diagnostic du cancer bronchique non à petites cellules
a suscité énormément d’attention. L’échoendoscopie contribue non seulement à la stadification de la maladie, mais également au diagnostic primaire des lésions pulmonaires ou des
ganglions métastatiques. L’immunohistochimie sur des tissus
Références
1. Goldstraw P. et al. JTO 2007;2:706-14.
2. Tournoy KG, et al. Lancet Oncology 2012;13:221-9.
3. Tournoy KG, et al. JTO 2009;4:1576-84.
4. Yasufuku. J Thorac Cardiovasc Surg 2011;142:1393-400.
5. Annema JT, Dooms C, Tournoy KG. JAMA 2010;304:2245-52.
obtenus par aspiration à l’aiguille fine est une technique intégrée utile dans le diagnostic du cancer du poumon. Les tests
moléculaires les plus efficaces consistent actuellement à déterminer le statut de mutation du gène EGFR et la présence du
gène de fusion EML4-ALK. Bien que ces tests soient essentiellement indiqués pour les patients présentant une maladie métastatique, il importe de savoir qu’ils peuvent également être
Reçu: 11/09/2012 – Accepté: 05/10/2012
effectués sur les échantillons obtenus par échoendoscopie, à
5
Onco-Hemato
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