
MAURICE
GARÇON
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vie.
Les morts
restent
vivants lorsqu'ils demeurent
présents
dans
notre souvenir. Il m'a
semblé qu'il
me
précédait
et me conduisait
comme
un parrain
invisible,
heureux de son
œuvre.
Ma
pensée
qui
est le reflet de la sienne, m'a
obligé
à faire un retour sur moi-
même
et m'a
rappelé
à la modestie en
m'empêchant
d'oublier que,
si
je ne portais en moi la flamme
qu'il
m'a transmise, je n'eusse,
sans
doute, jamais
mérité d'être reçu ici.
»
Ce qu'il
disait de son
père,
il le disait aussi de cet
autre
maître
et
témoin
de sa vie d'avocat :
Labori.
«
Labori
m'a fait. »
Celui-là
en
effet lui donnera la
leçon décisive
qui
allait
encourager et pour
une part
déterminer
sa vocation. En 1912, l'ancien
défenseur
de
Dreyfus
n'est
plus le paria dont ses
confrères s'étaient détournés,
que ses clients avaient
déserté.
Ses adversaires d'autrefois l'ont élu
Bâtonnier
d'un consentement presque unanime, non pas
malgré
le
souvenir
de
Dreyfus,
mais à cause de ce souvenir, lé Barreau ayant
voulu
garder l'honneur de
l'Affaire
dont
d'autres
avaient eu le
profit
et montrer comment on pouvait encore
être
quelque chose
quelque part,
sans
s'être renié.
«
Vous
avez été la
Défense
», lui
dit
Busson
Billault
en accueillant son successeur à la
tête
de
l'Ordre.
C'est devant ce
Bâtonnier
prestigieux,
présidant
les tra-
vaux
de la
Conférence
du Stage, que
Maurice Garçon
fit ses
débuts.
Il
dira
plus tard les
réserves très
graves qu'appelle ce concours
bizarre
: la
Conférence
du Stage, le
caractère
fictif
du
débat
qui le
constitue, le tour
artificiel qu'il
fait prendre à
l'éloquence
— « Le
discours
tend à gagner un
Tribunal
inexistant en faveur d'une
thèse généralement
absurde ou d'une situation
théorique
sans
rap-
port avec la vie
réelle
» — les
déclamations
vaines et ostentatoires,
souvent sentencieuses ou obscures et qui ne laissent
rien
au ha-
sard
d'un mouvement du
cœur
ou d'un emportement de
l'âme
préférées
à la rigueur du raisonnement, à la
préoccupation
de
logi-
que constructive. — « L'esprit est
chatouillé,
mais la raison
n'est
point
touchée
» —
Mais,
ce
jour-là, Maurice Garçon
est tout à son sujet — sujet
si
quelconque ou saugrenu
qu'il
l'oubliera — et tout au
désir
de
convaincre
et de plaire. Il parle avec un parfait naturel, une
sim-
plicité
qui pouvait passer pour du
sans-gêne,
ce que lui dit son
principal
auditeur en le recevant, selon l'usage,
après
ce premier
discours.
Et le tutoyant
d'emblée
: « Qui te crois-tu mon petit ?
pour
parler avec
cette
aisance de routier quand tu n'es qu'un
blanc-bec
? Te moquerais-tu de nous ? »
Mais
il ajoute : «
Ceci
dit,
c'était très
bien. Tu es
doué,
continue, et du
reste
pour te donner
un
coup de
main,
je vais te passer quelques affaires. »
C'est
ainsi
que
sans
avoir
été
Secrétaire
de la
Conférence, Mau-
rice
Garçon
est commis par le
Bâtonnier
dans sa
première
affaire