QUESTION DE PLÉNITUDE... - CATHERINE INGRAM

Telechargé par pierrealberthayen
QUESTION DE PLÉNITUDE
CATHERINE INGRAM
Extrait de ‘’Passionate Presence’’
‘’Soyez amoureux de votre vie.’’
- Jack Kerouac (Liste des essentiels)
Tout au long du mois, nous faisons allusion aux différents stades de la lune, en fonction de notre vision
de celle-ci. Nous parlons d'un croissant de lune, d'un quartier de lune, d'une demi-lune ou d'une pleine
lune. Dans sa plénitude, la lune pourrait être surprise par le nombre de milliards de personnes qui l'ont
perçue différemment, puisque la lune, en elle-même, est toujours pleine.
Pareillement, dans la Conscience éveillée, nous connaissons notre plénitude, quelle que soit la
perception que les autres ont de nous. Nos vies et nos expériences sont uniquement les nôtres, des
tapisseries dont chaque fil est à sa place, alors même qu'elles continuent à se tramer. Personne d'autre
ne peut vraiment connaître les élans d'inspiration ou les observations délicates et silencieuses qui
composent notre paysage mental. Nous nous en délectons la plupart du temps sans rien dire et sans
avoir besoin d'être reconnus. C'est un.ravissement secret.
Durant une grande partie de ma vie d'adulte, j'ai cru qu'en m'entourant de personnes intéressantes et
qu'en vivant des aventures exotiques aux quatre coins du monde, je me valoriserais. Il me semblait
aussi qu'avoir ce style d'expériences et de personnes dans ma vie susciterait l'admiration d’autrui. Je
serais une créature fascinante à ses yeux et, sans avoir pris de décision consciente à ce sujet, je
pensais que je deviendrais quelqu’un de plus profond, de plus heureux en moi-même. La soif
d'aventures et le désir de vivre des expériences qui me semblaient audacieuses, radicales, voire même
dangereuses, me poussaient à rester en mouvement, à accrocher toujours de nouveaux lieux, de
nouveaux concepts, des personnages étonnants et toutes sortes d'expériences psychiques à mon
tableau de chasse. De fait, je devins, à mes yeux, comme une collection de récits d'aventures
palpitantes et une plaque tournante menant à des personnalités remarquables.
Dans cette quête, j'avais également l’impression que la vie des gens qui menaient des existences plus
simples, où ils restaient à la maison, était étriquée et étouffante. Il y avait bien sûr des exceptions.
Emily Dickinson restait chez elle, dans le Massachusetts, et elle écrivit de grands poèmes. Shakespeare
ne voyageait sans doute pas beaucoup, mais il bouleversa intellectuellement le monde. Ces personnes
et d'autres personnes douées réussirent à mener une vie intérieure extraordinaire sans beaucoup
voyager, ni la compagnie d'une société trépidante. Mais secrètement, je pensais que la plupart des gens
qui menaient une vie simple et tranquille, peut-être en élevant une famille, en travaillant jusqu'à la
retraite ou en cultivant la terre, étaient généralement ennuyeux et sans doute étroits d'esprit.
Cependant, le temps a le don de nous rendre humbles et de nous forcer à reconsidérer nos opinions de
longue date. Il devint clair que, malgré mon engouement pour la vie de bohème glamour, le cumul
d'expériences n'induisait pas nécessairement un approfondissement de la qualité, du discernement ou du
bonheur. Il devint par ailleurs évident que la vie dite ordinaire de la plupart des gens n'était pas
nécessairement limitée en termes de qualité, de perspective ou de bonheur par le fait qu'ils ne
voyageaient pas beaucoup ou qu'ils n'avaient pas d'amis sophistiqués. En d'autres termes, les délices et
la profondeur de toute vie dépendent de la relation intérieure que nous entretenons avec notre propre
plénitude, et non de l'accumulation et de la multiplication extérieure d'expériences et de personnes.
Léon Tolstoï a raconté l'histoire de trois ermites chrétiens qui vivaient depuis des décennies sur une île
au nord de la Russie. Ayant appris leur réputation de sainteté et d'ascétisme, un évêque décida de leur
rendre visite et de leur enseigner ce qu'il pouvait. Arrivé sur l'île, l'évêque leur dit : "Dites-moi, comment
priez-vous Dieu ?"
"Nous prions comme ça", répondirent les ermites. "Tu es trois, nous sommes trois, aie pitié de nous !"
Tout sourire, l'évêque reconnut leur tentative malencontreuse d'honorer la Sainte Trinité, mais il expliqua
patiemment aux ermites qu'ils ne priaient pas correctement. Pendant plusieurs heures, il leur expliqua la
foi et il enseigna aux ermites les prières traditionnelles en leur faisant répéter des phrases une centaine
de fois. Ayant pris congé d'eux, l'évêque remercia Dieu de l'avoir envoyé pour aider des hommes aussi
dignes, mais confus. Cette nuit-là, de retour sur le bateau, l'évêque n'arrivait pas à dormir, tant il était
excité par ce qu'il avait accompli avec les ermites. Toutefois, après plusieurs heures, il remarqua
quelque chose de vif et fulgurant qui se déplaçait sur la mer éclairée par la lune. Au fur et à mesure
que la vision se précisait, il vit clairement qu'il s'agissait des trois ermites qui couraient sur la surface de
l'eau à une vitesse fantastique.
"Nous avons oublié votre enseignement, serviteur de Dieu !", dirent les ermites en s'approchant du
bateau. "Tant que nous le répétions, nous nous en souvenions, mais lorsque nous nous sommes
interrompus un moment, tout a été perdu. Veuillez nous instruire encore une fois."
Sidéré par ce qu'il venait de voir, l'évêque s'inclina profondément devant eux et il leur dit : "Votre propre
prière parviendra au Seigneur, hommes de Dieu. Il ne m'appartient pas de vous instruire."
Vivre dans la plénitude confère à chacune de nos vies force et dignité, peu importent les limites
apparentes de nos situations, de nos connaissances ou de nos expériences de vie. Accepter la vie sans
se demander comment elle aurait dû être ou pourrait être nous permet d'apprécier véritablement la vie,
telle qu'elle est. Récemment, j’ai vu un documentaire sur des enfants hispaniques issus du ghetto, dans
une école de Los Angeles. Le film se focalisait en particulier sur une petite fille en léger surpoids,
Mayra, qui paraissait avoir neuf ou dix ans. Très intelligente et parlant couramment l'anglais, Mayra
dévoilait son intimité d'une manière rarement vue chez les jeunes, et chaque mot qu'elle prononçait la
rendait plus attachante.
J'ai été particulièrement frappée par la joie de Mayra, alors qu'elle montrait fièrement à la réalisatrice le
logement d'une seule pièce, à East Los Angeles, qu'elle partageait avec ses frères et sœurs, sa mère et
son oncle. Tout étant parfaitement à sa place, elle précisa où chaque membre de la famille dormait
dans les différentes couchettes, et elle passa méticuleusement en revue les différents compartiments de
la seule et unique armoire dont ils disposaient, en indiquant quel ensemble de vêtements appartenait à
tel ou tel membre de la famille. Mayra passait la plupart de ses journées seule dans cette pièce après
l'école, pendant que sa mère et son oncle occupaient des emplois subalternes pour subvenir aux
besoins de la famille, et pourtant, en la voyant chausser les talons hauts de sa mère et danser quelques
pas devant la caméra, j'eus le sentiment qu'elle aurait pu se trouver sur scène devant des milliers de
personnes, tant le plaisir qu'elle semblait y prendre était grand.
Dans la Conscience éveillée, nous ne réclamons plus que le contexte de notre vie nous procure le
bonheur, et nous n’espérons plus voir notre plénitude à travers les yeux d’un(e) autre. Mayra n'avait pas
encore appris à dévaloriser son expérience, en se disant que les circonstances de sa vie laissaient
fortement à désirer ou que les autres pourraient la plaindre. Sa joie était celle de quelqu'un qui se
sentait tout simplement bien dans sa peau, et la pleine lune dansait dans son HLM….
Partage-pdf.webnode.fr
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!