Abandon du sujet et relation de soin: Analyse psychanalytique

Telechargé par Yolande Mille
Das Ding : l’abandon de son sujet, de son parlêtre, dans la relaon de soin.
Durant un séjour hospitalier on observe plusieurs situaons d’abandon chez le paent.
De quel(s) abandon(s) s’agit-il ? En tant que paent, risquons-nous l’abandon du sujet
de notre inconscient ? Abandonnons-nous aussi notre parlêtre ? Ou abandonnons-
nous le premier au prot du second ? Sommes-nous dans une aliénaon aux désirs de
l’Autre, idenque à ce que nous vivons tous les jours, en dehors de la relaon de soin
et qui constue le sujet de notre inconscient ? Ou nous abandonnons-nous bien
davantage à travers l’abandon de notre corps aux autres, à des soignants, à l’Autre qui
hante le milieu hospitalier ? Rejouons-nous la recherche morfère de Das ding dans
cee aente, où nous ne serions plus, ni un sujet parlant, ni un sujet désirant ?
Qu’est-ce qui, du point de vue des risques d’un abandon, diérencie les enjeux pour le
sujet de l’inconscient, pour le parlêtre et le désirêtre, dans la relaon aux
professionnels de la santé et au psychanalyste ?
Pour approcher plus clairement ces quesons, nous y entrerons par le biais d’un cas
clinique. A cet endroit nous nous poserons quelques quesons, quant à la place à
laquelle nous merons le « cas clinique ».
La lecture psychanalyque est-elle construite de manière à sauver le
phénomène, c’est-à-dire à en faire un cas clinique, ce qui sort de l’exceponnel, et
révèle des lois à l’œuvre ailleurs ? Les hypothèses théoriques de la recherche, ne
seront-elles jusées quen étant capables de rendre compte du cas clinique ? A
l’inverse, ne pouvons-nous pas faire dire ce que l’on veut au cas clinique que nous
proposons ? Ou n’est-ce pas lui, qui sauvera nos hypothèses analyques, dans la part
d’indécidable qu’il conent ?
En philosophie des sciences, « sauver les phénomènes », consiste à créer des théories
et de lois, dont on aend qu’elles permeent de construire des résultats
expérimentaux, conforment à la réalité observée. Elles se corroborent elles-mêmes,
grâce à ce qu’elles permeent de reconstruire idenquement à l’observaon du réel.
Le but n’est donc pas, pour ces lois et théories, de prétendre décrire la réalité ulme,
mais bien de devenir le fonconnement possible, des phénomènes, ou des apparences
de la réalité ulme.
SI nous espérons que lobjecf de l’approche analyque soit bien diérent, si nous
aendons justement qu’elle puisse prétendre rendre compte d’une pare de la réalité
ulme, alors, la réalité observée, décrite, devient cas clinique si la théorie analyque
s’y insère, de manière explicave, comme « explicaon parcipave », comme deux
ou trois doigts de la main très bien ajustés au gant. Ainsi il s’agit d’élucider, actes,
pensées, en termes psychiques, à parr du sens qui fait « os », du langage antécédent,
et néanmoins toujours vécu à ce jour, qui les cause. Ce dernier recherché, ne l’est pas
au tre de postulat, mais bien au tre de manifestaons insistantes, inopportunes, de
l’inconscient. De ce fait, ce qui préside présentement au choix du cas clinique, est le
poids de l’incohérence fondamentale d’une posture professionnelle, qui témoigne dun
inacceptable à l’endroit même où l’engagement devrait la nourrir de tout son sens.
Madame D.T est aide-soignante depuis 15 ans et a choisi sa profession, elle ne souhaite
pas en changer et dit qu’elle aime ce qu’elle fait. Elle exerce dans un établissement
médical, les hospitalisaons font systémaquement suite, ou à une admission par
les urgences, ou à une chirurgie lourde planiée. Elles sont toutes de courts séjours (3
à 8 jours en moyenne 3 semaines en cas de dicultés sérieuses post-opértoires).
Madame D.T est très bien intégrée, car elle a une manière de parler sympathique et si
elle s’exprime facilement, c’est en prenant soin de ne jamais prétendre transmere une
expérience et encore moins un savoir-faire. D’ailleurs, elle répète souvent que chaque
soignant, AS ou inrmière, « fait ce qu’il peut ». Toutefois, elle quie sa posture
modérée et ouverte, dès qu’il est possible de témoigner d’un paent (homme ou
femme) qui semble manifester, qu’il ne veut pas être acteur du soin dont il est le sujet.
Les situaons qui semblent corroborer un évitement du retour à l’autonomie et les
situaons qui meent en échec l’éducaon thérapeuque, sont pour elle, sujees à
dégt. Fréquemment, lorsqu’elle exprime ce vécu, ses collègues souennent
rapidement ces expériences d’aversion et retrouvent leurs souvenirs de situaons
similaires le paent dans « son refus de se prendre en charge » inspire un
inacceptable. Les situaons évoquées sont alors diverses. Toujours à la demande des
paents, il s’agit de les aider à se lever alors qu’ils peuvent le faire par eux-mêmes, de
leur apporter l’urinoire alors qu’il n’ont plus de sonde urinaire et peuvent aller seuls
aux toilees, de les inciter à se laver eux-mêmes alors qu’ils peuvent le faire depuis 2/3
jours. Ces situaons évoquées dans le cadre d’un groupe de travail hebdomadaire,
interne à l’établissement, et que janime, ont été l’occasion d’entendre pour Madame
D.T que le paent, quelque soit son parcours personnel, risque durant une
hospitalisaon de perdre son identé à plusieurs niveaux, sociale, professionnelle,
privée. Ces arguments donnent une autre explicaon que celle qu’elle évoquait, et
qu’elle idenait un peu rapidement comme un manque d’éducaon, puis comme un
manque de respect envers les soignants. Ces diérents niveaux de pertes, qui sont pour
le paent des passages obligés, y compris durant une courte durée d’hospitalisaon,
n’ont pas calmé la virulence de Madame D.T. Elle a pu insuer au groupe la nécessité
d’aller plus loin dans les descripfs. Je l’ai laissé faire. Ainsi chacun a pu témoigner
d’avoir en face de soi « un tas », « un être humain qu’il faut porter », « qui demande à
être porté », « des paents passifs », « un corps avec personne dedans », « une volonté
d’être assisté », « un refus d’être responsable de soi », « une absence totale de erté »,
« un manque total de pudeur », « un corps sans identé », « un corps posé », « un
désir d’être servi ». Le paent peut y être décrit comme « un bras tendu à la demande,
une jambe levée à la demande, avec un désintéressement total pour soi-même et ce
qu’il impose au soignant en se montrant ainsi ». Autrement dit, reste incompréhensible
pour Madame D.T. et pour ses collègues, dont elle réveille la exion sur ce focus, que
de nombreux paents n’aient pas honte de leur envie dune prise « charge absolue ».
Dans cet espace-temps auprès du paent, plus aucune place pour un traumasme
quelconque, ni pour une anxié envahissante, pour un rejet incontrôlable de son
corps, etc. Au contact de celui qui ne s’annonce plus comme un autre, l’absence de
collaboraon à deux, suscite une véritable révulsion et une révoluon. En eet est fait
menon de la nécessité de mere des limites, à la prise en charge, de celui qui
liéralement fait honte, de ne pas en mere. Les limites envisagées ne seront pas
structurées, elles consisteront juste dans le droit du soignant à dire non à la demande
d’un paent, même non formulée, dès que le soignant ressenra un manque de
respect à son égard, à l’occasion d’une excessive aente. En quoi l’aente, si elle est
désubjecvaon chez le paent, est-elle irrespectueuse à l’égard de celui qui fait
profession d’aider ?
A quoi sommes-nous confrontés, dans ce cas clinique, d’un soignant qui exprime plus
librement que d’autres et qui est soutenu par les autres (alors qu’il n’est pas un
soignant charismaque ni même assuré) ? A la vision insoutenable que représentent
des paents qui se donnent à voir « amorphes », sans dignité, sans volonté, sans
identé, sans individualité. Au-delà du complexe percepf que représente tel ou tel
paent, on reconnait un universel incompréhensible. Au-delà des propriétés
changeantes, propres à tels paents, ou à telle prise en charge, on devine quelque
chose qui n’est pas expérimenté par des sensaons, mais par ce qu’il convoque chez
les soignants : la rencontre horrible avec l’impersonnel. Bien que cet impersonnel
puisse se lier avec des représentaons, aucune ne l’épuise, il y a du non-traduit, du non
élaboré. Non faisons l’hypothèse, que c’est ce que la psychanalyse nomme Das Ding ou
la Chose.
Si l’on se concentre sur le fait que la rencontre se fait bien sur le mode de l’horrible, le
témoignage l’indique, et que ce mode de l’horrible annonce la rencontre de quelque
chose qui ne peut être symbolisé, c’est un absolu, alors on peut soulever plusieurs
quesons.
- Est-ce un non représentable traumaque ou non traumaque ? Il y a du non
représentable non traumaque dans le rêve. S’agit-il des mêmes données
inconscientes ?
- Que signie le fait que cet absolu ne puisse être rencontré que dans l’inme du
soignant ? Ce non semblable inaccessible au moi, est-t-il quelque chose
d’originaire ?
- A parr du dégoût, y-a-t-il un chemin pour la pulsion chez le soignant ? Ce « tas »,
séparé des racines corporelles, séparés de tout objet de sasfacon pour le
soignant, est-il seulement un reste inassimilable, pour le champ pulsionnel de celui-
ci ?
- SI la pulsion vise les signiant, les demandes de l’Autres et in ne la jouissance de
l’Autre, quelles conséquences si « le tas » n’est jamais parcouru par l’ombre de
l’Autre pour le soignant ?
- Cet absolu expérimenuniquement dans la vie intérieure de la subjecvité du
soignant, nie l’inme du paent. Si il y a rencontre, automaquement le paent est
perçu comme n’étant plus rien et ce vécu pour le soignant est d’une telle violence,
qu’il faut à tous prix qu’il tente de le raonaliser, en prêtant au paent, l’intenon
de n’être plus rien. Double violence ! Mais, si il ne veut plus être « un sujet de
soin », il ne pourra pas non plus être un « objet de soin », il sera « un tas ». Dès lors,
comment secourir « un tas » ? Sur ce mode, n’est-il pas impossible d’en prendre
soin ? Peut-on encore toucher ces paents sans dignité ?
- Peut-on comparer l’eroi devant un objet phobique et l’expérience horrible de cet
absolu ? Ou ne faut-il pas disnguer « les anciennes névroses », dans lesquelles le
mot est (elle a régné, elle a renié…), dans lesquelles le sujet accorde une vérité à
l’objet phobique, et ranger « le tas » dans « les nouvelles névroses » ? Celles dans
lesquelles il y a perte du symbolique, la percepon réelle est la plus importante,
où le mot ne compte pas, et qui font du sujet phobique un sujet pervers, voué à la
haine de l’autre ?
- Nous quesonnerons également, ce qu’il en est du côté du paent, pour qu’il cause
l’expérience de cet absolu chez le soignant ; puisque tous ne le causent pas. La
connaissance de sa maladie implique le sujet dans son ontologie. La maladie
introduit le malade à une vérité sur lui-même. Il éprouve et ve sa maladie. N’est-
ce donc pas aussi, la psychanalyse, en tant qu’elle s’inresse à la chair, qui
permera de quesonner ? Si la science médicale disqualie la connaissance qui
implique le sujet et cherche un savoir exact, c’est-à-dire transportable d’un lieu à
un autre, alors, comment reconnaître que la maladie est un signe de l’Autre ?
« pourquoi moi ? », « pourquoi maintenant ? », « pourquoi me fais-je du mal ? «
- Ce qui est idené comme « un tas » par le soignant, ne relève-t-il pas, plutôt que
du Das ding, d’une méconnaissance des soignants, quant à ce qu’est un corps qui
jouit ? « Le tas » peut-il être un mode d’être vivant, la pulsion cherche la
demande de l’Autre et la sasfacon de la demande de l’Autre ?
- SI « le tas » est devant le soignant, l’est-il devant le médecin ?
- « Le tas » cherche-t-il la jouissance de l’Autre ? Celui dont dépend la sienne ? Le
malade agit-il ses passions ? S’ore-t-il comme bouche à nourrir pour combler
l’Autre ?
- SI l’inconscient du malade est convaincu que l’Autre aend le plus-de-jouir, alors à
quel moment, comment, le malade, à l’instar de certains enfants, peut-il refuser la
jouissance excessive de l’Autre ?
- Si l’Autre jouit de me voir, alors je peux jouir de me voir. Mais si l’Autre ne jouit pas
de voir le malade, quelles conséquences pour ce dernier ?
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