
Le modèle archaïque comme référent
juridictionnel et administratif
progressivement supplanté dans ce schéma mythique par l’Horus de Hiéraconpolis et
ce dernier par l’Horus septentrional de Bouto, pour former finalement le couple
canonique Horus (Nord) vs Seth (Sud), bien connu par l’iconographie de l’union du
Double-Pays (séma-Taouy)15.
On comprend aisément la portée historiographique du modèle archaïque, puisqu’il
permet d’inscrire en termes mythologiques, sous la forme d’un discours (mythos)
susceptible de multiples déclinaisons narratives, la partition fondamentale et jamais
réellement remise en question – à l’exception peut-être de la doctrine amarnienne –
du pays d’Égypte : Haute et Basse-Égypte, vallée et delta, couronne blanche et
couronne rouge, Nekhbet et Ouadjet, etc.16
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Le conflit archaïque se caractérise d’abord par la concomitance et la réciprocité
d’un préjudicecausé par deux adversaires de statut équivalent. Ce dernier aspect est
explicité dans la terminologie égyptienne, qui nomme Horus et Seth « les Deux
Frères » (Sénouy)17, en recourant à une double caractérisation, morphologique et
sémantique : le duel grammatical, qui ne s’applique en principe qu’à un couple
« naturel » de deux entités homogènes, et l’emploi du terme sn, qui suppose une
identité statutaire. Ainsi en est-il, par exemple, du « frère » (sen) et de la « sœur »
(sénet) de la poésie amoureuse, qui ne sont en aucune manière consanguins, mais
seulement affectés d’un rang social équivalent18, ou encore de la « fraternité » (sensen)
qui unit Ramsès II et son correspondant hittite Hattousil III, selon la phraséologique
diplomatique en vigueur dans le célèbre traité hittite de l’an 2119. Horus et Seth sont
aussi caractérisés, toujours avec l’emploi du duel soulignant leur identité statutaire,
comme « les Deux Dieux » (Nétjerouy)20, « les Deux Seigneurs » (Nebouy)21, « Les
Deux Associés » (Rehouy)22, « Les Deux Combattants » (Âhaouy)23, ou encore
« les Deux Puissants » (Sékhemouy)24. L’un et l’autre ont, a priori, même rang
et mêmes droits.
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Le modèle archaïque du combat d’Horus et Seth constitue ainsi un référent à tout
litige survenant entre deux parties de même statut social. On pourrait y reconnaître
le prototype égyptien de la monomachie, terme d’ancienne jurisprudence
désignant un duel judiciaire, à ceci près que la résolution du litige, dans le contexte
égyptien, implique nécessairement la sanction d’une autorité supérieure.
L’affrontement des deux dieux, du reste, a abondamment nourri la littérature
pharaonique, au point même de constituer sans doute la première source du genre
des « Procès », que nous avons récemment mis en lumière25 : le Procès entre
Horus et Seth (P. Chester Beatty I = P. BM 10681), le Procès entre Vérité et
Mensonge (P. Chester Beatty II = P. BM EA 10682), Le Procès entre Corps et Tête
(Turin CG 58004 = Cat. 6238, inv. 16355), ou encore Le Procès entre Vin et Bière (O.
DeM 10270). Toutes ces compositions, d’époque ramesside, sont des variations
littéraires sur le même thème : celui, précisément, d’une dispute entre deux entités de
rang équivalent. La référence au conflit archaïque, toutefois, s’arrête là, puisque ces
Procès littéraires ne se terminent pas par un partage équitable, comme le préconise le
modèle archaïque, mais par le triomphe d’une partie sur l’autre, de la maât sur isfet,
comme l’implique de son côté la doctrine osirienne. De fait, le processus de
résolution du conflit est radicalement différent d’un modèle à l’autre, comme nous
allons le montrer.
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D’après les fragments mythologiques les plus anciens, le conflit archaïque d’Horus et
Seth est finalement « jugé » (oup, ég. wp), « tranché » (oudjâ, ég. wdc) par le dieu
Thot26. Ce dernier, allégorie de la conscience (ib, ég. jb) du créateur, « seigneur de
maât » (neb maât, ég. nb m3c.t)27, est en effet « Celui qui a jugé les Deux Dieux »28.
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Du conflit archaïque au mythe osirien https://journals.openedition.org/droitcultures/3749
5 sur 27 19/04/2025, 09:13