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L art de la guerre

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144ul
jc 8.2
h 1381
Je
Machiavel illides
##
DE L'ART
DE
LA
GUERRE
D E
NICOLAS MACHIAVEL
Citoien & Secrétaire de Florence .
TRADUCTION NOUVELLE.
A
AMSTERDAM ,
Chez HENRI
DESBORDES,
dans laKalver-Straat , prés le Dam ,
M.
DC. XCIII,
7
PREFACE
DE
NICOLAS MACHIAVEL,
Sur le Livre
DE L'ART DE LA GUERRE ;
Adreſsé à
LAURENT STROZZI
Gentilhomme Florentin .
Ien des gens ſont per
BI qui ſoit fi oppoſé, que
ſuadez qu'il n'y a rien
la Vie Militaire & la Vie Cia
*
3
vile,
PREFACE
vile .
C'eſt pour cela que nous
voions tous les jours , qu'un
homme qui prend le parti des
Armes , commence d'abord à
changer d'habits , de maniéres ,
de mours, & de langage même ;
ne gardant rien qui ait l'appa
rence de la premiére vie : Car
un homme qui veut étre diſpo
lé à exécuter prontement quel
que expédition vigoureuſe , ne
croit pouvoir le faire aiſément,
dans un habit de Ville : Et il
ne faut pas eſpérer de trouver
de la politeſſe & des maniéres
honnêtes )
chez des gens qui
croient que cela ne convient qu'à
des efféminez , & qu'il n'y a
rien de plus diſproportionné à
la Valeur ; Ainſi n'attendez
pas
DE L'AUTEUR.
pas un extérieur & des diſcours
ordinaires, de la part d'un home
me qui croit , qu'il doit épou
vanter tout le monde avec ſa
barbe & ſes blaſphêmes : C'eſt
donc, cette conduite qui perſua
de qu’un Soldat eſt extreme
ment different d'un autre hom
me .
Mais ſi nous tournons les
yeux du côté des Anciens , nous
trouverons que ces conditions
font extrêmement liées entr'el
les par mille rapports ; &
que
par conſequent , ceux qui font
engagez dans ces différentes
maniéres de vivre , doivent ê
tre fort unis entr'eux :
Car
tous les Arts qu'on a introduits
dans la Societé , pour le bien
public ; tous les Ordres établis
*
pour
PREFACE
pour maintenir le Service de
Dieu , & la foûmiſſion aux Loix,
feroient des choſes entiérement
inutiles, fi la République étoit
ſans défenſe :
Et quand les
Armes ſont en bon état , ela
les peuvent même tenir en fu
reté un Peuple , dont les au
tres Loix ne feroient pas d'ail
Au Con
leurs fort bonnes .
traire ) les meilleurs Régle
mens du monde ne tardent
guére à être renverſez , s'ils
ne ſont pas ſolltenus , comme
il faut , par la force des Ar
mes :
A peu prés ; comme
les Appartemens d'un ſuper
be Palais , quand ils ſeroicnt
enrichis d’or & de pierreries ,
ne laiſſeroient pas de périr en
рец .
DE L'41UTEUR.
peu de temps , ſi rien ne les
tenoit à couvert de la pluie ,
& de toutes les injures de l'air.
Si donc , dans tous les autres
Ordres qui compoſent un E.
tat, les Anciens ont cherché
avec beaucoup de ſoin , tous les
moiens imaginables pour retenir
les hommes dans les devoirs de
la fidelité , de l'amour de la
Paix , & du reſpect pour les
choſes Sacrées ; ils redoubloient
leurs ſoins , pour que leursGuer
riers furpaſſaſſent le reſte des
hommes dans ces bonnes difpo
fitions. En effet , de qui une
République doit-elle exiger ane
fidelité plus incorruptible , que
de la part d'un homme qui lui
jure de nourir pour elle ? Quel
**
5
lc
PREFACE
les ſortes de gens doivent davan-.
tage aimer la Paix , que ceux
qui ſont ſi expoſez en tems de
Guerre ?
Enfin , qui eſt-ce qui
doit reſpecter & aimer la Divi
nité , ſi ce n'eſt celui qui ſe trou .
vant tous les jours en mille ha
zards , a plus de beſoin de la
protection Celeſte, que les autres
hommes .
Les Legiſlateurs &
les Generaux d'Armées s'appli
quans à la conſideration de cet
te neceſſité , où les Gens de
Guerre ſe trouvent , de s'attirer
autant qu'ils peuvent , la faveur
Divine , ils ont fait en ſorte que
la vie des Soldats fût en édifica
tion aux Peuples , & leur pût
ſervir de modéle pour régler leur
Mais la Diſcipline
conduite .
Mili
2
DE L'AUTEUR.
Militaire êtant tombée dans la
derniére corruption , & êtant
devenue comme l'Antipode de
celle des Anciens ; la profeſſion
des Armes n'eſt plus que l'objet
de l'averſion des honnêtes gens ,
qui fuient ceux qui y ſont enga
gez , comme des gens indignes
d'avoir part à la Societé, & au
commerce des autres hommes.
Cependant aprés une grande le
cture, & un véritable examen de
la choſe , je ſuis perfuadé qu'il
n'eſt pas impoſſible de r’amener
l'uſage des Anciens ; & de faire
revivre dans le cour de nos
gens , quelques mouvements de
la Valeur de nos Ancêtres :
C'eſt ce qui m'a fait réſoudre
d'écrire ſur l'Art de la Guerre ;
6
afin
PREF.4.0 E
afin de ſatisfaire ceux qui aiment
les grandes Actions des · An
ciens ‫ & ;ز‬afin de ne paſſer pas
dans une continuelle oiſiveté ,
le repos dont je joüis à préſent.
Et bien que ce ſoit un deſſein
hardi ; d'écrire ſur une matiére
que perſonne n'a traittée de pro
pos déliberé ; je ne croi pour
tant pas , qu'il ſoit blâmable de
prévenir les gens par un ſimple
diſcours , pendant que d'autres
ont eu la témérité de le faire
par leurs actions :
Car les fau .
tes que je peux commettre dans
fexécution de ce Projet , peu
vent bien être rectifiées, fans
faire tort à perſonne. Mais dans
la Prattique & đans les Exécu
cions Militaires , ſi l'on ſe trom
pe ,
DE L'AUTEUR
pe , ce ne peut êtrequ'au préa.
judice d'un Etat.
Vous donc,
MONSIEUR , aprés avoir
examiné cét Ouvrage , aiez la
bonté d'en déclarer la juſte va ..
leur ; car je vous le conſacre,
afin de vous donner des mar
ques publiques de ma reconnoiſ
fance , quoi qu'il ne ſoit pas en
mon pouvoir de m'acquiter de
ce que je vous dois : Et afin
de ſatisfaire aux juſtes devoirs ,
dont on honore ceux qui ſe di.
ſtinguent par leur naiſſance
leurs richeſſes , leur eſprit , &
leurs largeſles. Je ſai que vous
avez peu d'égaux en opulence ,
& en qualité ; que le nombre
de ceux qui vous égalent du cô
té de l'eſprit eſt encore plus pe
tit ;
PREFACE, ETC. ,
tit ; & que perſonne n'approche
de vous à l'égard de la libéra
lité.
AVIS
2
AVIS
DU
TRADUCTEUR:
Voi que la manière de
faire la Guerre foit ex
trémement différente au
jourd'hui, de celle qui e
toit en uſage du tems de l'Auteur ‫ر‬
fon Livre ne laiſe pas d'être d'u
ne trés - grande utilité : Préa
miérement , parce qu'un Génie du
premier ordre ne peut rien produire
qui ne porte fon caractére ; Que
! . d'ailleurs , il y a des Principes géa
néraux qui sont de tous les tems ;
Et qu'enfin , outre le plaiſir de voir
la
AVIS
DU '
la différence des tems , cette oppofi
tion peut donner d'utiles ouvertures
aux habiles Gens , 65 particuliére
ment à ceux qui s'appliquent au Mé
tier des Armes. Il y a encore dans
cét Ouvrage , un grand nombre de
Réfléxions", qui plairont ſans doute
beaucoup aux Connoiſſeurs : Et ſur
la fin du Second Livre , l' Auteur
fait une eſpèce d'Epiſode , dans la
quelle il traitte en habile Homme
des Cauſes qui font la rareté , ou
la quantité des Grands Capitai
Hes.
Dans cette Traduction , j'ai au
tant que j'ai pú , accommodé les
termes de l' Auteur aux nótres
2
Sans changer la penſée. Par exem
ple , il appelle Batailles , ce que
nous appellons Bataillons : Et au
contraire, il appelle Bataillons , ce
que nous appellons Régiments :
Mais il faut ſavoir qu'il régle
ces fortes de Corps , qu'il appelle
Ba
TRADUCTEUR .
Bataillons , ou Groſſes Batailles ,
Sur le pied des Légions Romaines ,
1
î
1
&
qui étoient d'environ fix mille hom
mes , entre leſquels il y avoit trois
cents Chevaux ; ce qui n'eſt pas
de l'uſage de nos Régiments d'au
jourd'hui, qui ne ſontcompoſez que
d'une forte de Milices
6
dont
le nombre n'eſt point fixe, comme é
toit celui des Légions.
1
.
Cependant j'ai gardé les noms an
ciens des choſes dont nous n'avons
pliis. l'üjäge : Teleſt le terme d'E.
S
9
cuiers , pour fignifier des Soldats
qui portent un Ecu , ou un Bou
clier ; 6 le mot de Vélites , quiſi
gnifioient des Fantaſſins armez à la
légere , & qui ne gardoient point de
rang dans le Combat. J'ai encore
exprimé par le terme de Caporal
2
celui de Chef de Dixaine de l'Au .
teur : Quand il l'applique à la
Cavalerie , je l'explique par le mot
de Brigadier. Je me fers auſſi die
ter' .
AVIS
DU
terme de Muſique Militaire , quoi
gute ce ne ſoit pas côtre maniére de
parler ; mais je n'ai pu en trouver
une plus propre, pour exprimer tout
ce que l' Auteur entend par celui de
Son , qui comprend les Tambours,
les Fifres, les Trompettes, & c.
A l'égard des noms des. Pais , je
les ai laiſez comme ils étoient dans
mon Original , ainſi je n'ai point
changé le Péloponeſe en Morée ; ni
1
les Illyriens en Eſclayons : je ſuis
meme alla politicus loin que Machiavel
ſur cet article ; Car il appelle du
nom de François les anciens Gau.
lois ; juſqu'à ceux qui habitoient ceta
te partie de l'Italie , qu'on appelle
aujourd'hui la Lombardie : Coma
ii eſt le ſeul qui en ait ujé de cette
maniere, j'ai crit être en droit de
pouvoir redonner l'ancien nom , à
des
gens qui ne me paroiſoient pas
devoir être mis ſi fortà la Mode.
1
Fe
2
1
TRADUCTEUR .
Je n'ai point voulu non plus, em
ploier quelques mots & quelques
phraſes Latine's , qui sont dans le
3
Texte Italien ; comme Tergiductor:
4
)
V
Aggredi Urbem Coronâ , & c. cela
déplait trop en nôtre Langue , qui
ne tolére aucune licence', pendant
que des Langues Etrangeres ont une
indulgence charmante pour leurs Au
teurs, qui ont le privilége de placer
les mots au commencement
ou à la
fin de la période, comme il leur plaſt;
de faire des parentheſes ; de donner,
ji bonleur jembie , des tours équivo
ques ; d'emploier de vieux mots ,
quand même ils ſeroient inintelligis
bles ; de repéter , tant qu'ils veulent,
les mémes termes ; 6 deprendre en
fin , toutes les commoditez qu'ils ju
gent à propos , ſoit en vers , foit en
proſé. Ce ſont là des prérogatives
dont les Frunçois ne jouiſſentpoint :
Et un homme qui écriroit les meilleu
res choſes du monde en nótre Langue,
dans
í
AVIS
DU
daus un ſtile auſſi antique ; que celui
de Bocace & de Petrarque , par és
xemple , ilſe rendroit auſſi ridicule ,
que s'il alloit à la Cour avec une
Fraize , une grande Barbe , & un
Chapeau pointu : . Cependant tous
les Italiens admirent encore aujour
d'hui, ces deux anciens Auteurs , quoi
qu'ils n'en entendent plus le langa
ge.
J'ai encore à avertir le Lecteur,
que le terme de Braccio ſi fréquent
dans l’Original , eſt une meſure de
donne niedo do Da
pieds de Rui , ou environ siteja.
à dire , de 2 4.pouces : chaque pou
ce contient douze lignes , qui font
chacune de la largeur d'un graind'or
ge , à peu prés. Par la Toife ,
j'entens une meſure de lix pieds.
J'appelle ſouvent cette meſure de
deux pieds ,un pas , ceux que l'on
fait d'ordinaire étans de cette étenduë.
Al'égard du terme de Claſſe des an.
ciens Romains, il ne veut dire autre
chole
TRADUCTEUR .
chofe,que des Compagnies Réglées.com
poſées de ceux qui étoient capables de
porter les Armes, & qu'on exerçoit à
cela .On
ſeſert aujourd'hui dece terme
en France , pour ſignifier les Compa
gnies de Matelots qu'onéléve & qu'on
engage à ſervir ſur les Flottes du Roi
de France ,quandil lui plaît. Leterme
de Ciftre ,ſignifie une eſpécede Harpe.
Ces mots deCréneaux 6 Venteaux,
& ce qu'ilsſignifient , nefont plus en
uſage à préſent : L'expérience de la
violencedu Canon a faitſuccéder à cet
sfage , celui des Embraſures & des
Gabions. Cette même expérience eft
cauſeauſſiqu'on ne ſe fert plus de mille
machinesd'Arbalètes, & c.que j'aicrú,
par conſéquent , nedevoirni nommerni
expliquer, comme étant abſolument
inutiles aujourd'hui.
Enfin , la Phalange qu'on appel
loit Macédonienne , étoit un gros
Bataillon quarré , armé de Piques
& de Boucliers , dont l'Ordonnance
étoitfort preſée : il contenoit d'ordis
naire buit mille hommes.
NI
estea
au
CONOSC.com
fost
Word
NICOLAS MACHI AVEL
A U
L E C
T E U R
Our bien entendre l'Ordon
nance d'une Bataille , celle d'u .
ne Armée , & la maniére de Cam
per , je croi qu'il eſt néceſſaire de
vous en donner des deſſeins' & des
Plans , qui ſe rapportent aux en
droits , où il en eſt parlé. Mais,
devant que d'aller plus avant , il
eſt à propos de vous marquer ici,
les différents caractéres avec lef.
quels je déſigne les Fantaſlins , les
Cavaliers , &
toutes les autres
parties, qui compoſent un Corps
d'Armée.
Ex
Explication des Caractéres des
F
0.
d.
e.
I
G
U
R
E
S.
Repréſente les Ecuiers.
Les Piquiers Ordinaires.
Les Piquiers Extraordinairesa
Les Caporaux des Ecuiers.
*
Les Caporaux desPiquiers.
r.
Les Vélites Ordinaires.
Les Vélites. Extraordinaires.
t.
C.
Les Capitaines d'un Bataillon.
B.
Le Commandant d'un Bataillon :
P.
Le Colonel , ou Commandant d'un
G.
Le Général de l'Armée.
Régiment.
Z.
Les Enſeignes.
Le Son, ou la Muſique Militaire .
Les Gendarmes, ou Cavalerie pe
Jamment armée.
Q. LeursCapitaines.
y
Les Chevaux Légers.
I.
Leurs Capitaines.
OO . L'Artillerie .
Les Figures ſont au nombrede huit.
ER
E RR AT A.
Et Art de la Guerre n'aiant pas été imprime
CEC
yeux du Traducteur, il s'y eft gliſſé
quelques fautes , dont on remarquera ici celles
ſeulement, qui peuvent faire torc au ſens.
Prémiérement , par tout où on a imprimé,
Voiez les Rem . Liſez , Voiez l’Avis.
Page 42. ligne 4. La première choſe , lifez , Pré .
miérement.
Page 112. 1.6 craint de faire , effacez faire.
119. 1. 20. dix , liſez , fix .
156. 1.dern . tout ,liſez , fort,
189. 1. 3. ( Fig . IV .) lifez , (Fig . IV .& -V .)
248. 1. 20. ſans que , liſez , lans doute que,
279. 1.17. autresquime , liſez , aucrcs Enſei
gnes qui me.
288. 1. 19. (Fig . V.) lifez , ( Fig.VII .)
326. 1.17 . (Fig .VI.) lifez , (Fig .VIII )
DE
S
DE L'ART
DE
LA
GUERRE
LY3
LIVRE PREMIER .
Tant perſuadé qu'aprés
la mort , on peut donner
des louanges à qui l'on
veut , faós encourir de bla..
me , parce qu'il ne reſte plus au
cun ſoupçon de flaterie : je ne fe
rai point de difficulté de dire du
bien de Coſme Rucellai , que je ne
peux jamais nommer ſans verfer des
larmes ; l'aiant toûjours connu par
А
fair
DE L'ART DE LA
fait Ami& bon Cicoien. Car pour
ſes Amis , il eût tout facrifié juſqu'à
fa propre vie : & pour ſa Patrie ,
il n'eſt point d'entrepriſe ſi hardie
qui eúr pû l'étonner , pouryû qu'il
vît qu'il s'agiſſoit du bien de l'Etat.
J'avouë qu'entre tant de grands
Hommes que j'ai connus & fréquen
tez , je n'en ai jamais trouvé aucun
dont le coeur fût plus porté que le
ſien , aux grandes actions & à la vé
ritable gloire. Toute la plainte que
cer illuſtre Ami fit en mourant , fut
d'écre né pour mourir jeune, dans ſa
propre maiſon ſans gloire, & fans a
voir pû ſervir perſonne comme il
l'eût bien ſouhaitté :
Car ilcroioic
qu'on ne pouvoit dire autre cho
ſe , ſinon qu'on perdoit en lui un
bon Ami. Cela n'empêche pas que
nous , ou d'autres qui le connoiſ
ſoient comme nous ne puiſſions
rendre témoignage de les bonnes
qualitez , puiſque les actions ne par
lent pas.
La Fortune ne lui fut ce
pendant pas toûjours fi contraire
qu'il
GUERRE , Liv . I. : 3
qu'il n'eût l'occaſion de laiſſer quel
ques marques de la délicateſſe de
3
-
fon génie ; comme cela paroit par
quelques ouvrages & quelques poé
fies dont l'Amour faifoit le ſujet. Il
s'exerçoit à cela dans ſa premiére
S
jeuneffe , quoi qu'il ne fûc point
amoureux ; c'étoit ſeulement pour
1
n'étre pas oiſif & en attendant que
la Fortune le mie en chemin de fai.
2
Ć
1
]
5
re de plus grandes choſes. L'on
peut connoitre par ces ouyrages com
bien heureuſement il exprimoit ſes
penſées , & quelle réputation il au
roit aquiſe dans la Poéſie , s'il l'eût
1. regardée comme la fin de ſes tra
vaux .
Ne poſſédant donc plus ,par
nôtre malheur
un Ami d'un di
grand mérite ; il me ſemble que nous
ne pouvons pas mieux faire pour
adoucir notre ennui, que de nous en
rafraichir ſouvent la mémoire ; & de
faire une recherche de tout ce qu'il
a dit de plus ſpirituel , & des ma
tiéres qu'il a tra trées avec le plus
d'eſprit & de jugement.
A
2
Et
4 DE L'ART DE LA
Et parce qu'il n'ya rien de plus
récent de lui que la converſation
qu'il cut avec le Seigneur Fabrice
Colonne , dans laquelle ce Prince fit
un long diſcours ſur les matiéres de
la Guerre , nôtre Ami lui faiſant di
verſes queſtions ſpirituelles & qui
marquoient beaucoup de pénétra
tion ; j'ai jugé à propos de mettre
ce diſcours par écrit , aiant été moi
même de cet entretien avec quel.
ques- uns de nos Amis , afin qu'en le
liſant , ces Amis , qui étoient pré
ſens, remettent dans leur eſprit l'i
dée des belles qualitez du Défunt ;
& que ceux qui n'y étoient pas ,
aient en partie du regret de ne s'y
étre pas trouvez ; & en partie ap
prennent mille belles choſes, non -ſeu
lement avantageuſes pour la vie Mi.
litaire , mais auſli fort utiles pour la
vie Civile : & qui ont été traittées
avec beaucoup d'intelligence , par un
Prince" trés prudent & trés-expéri
menté .
Je dis donc que le Seigneur Fa.
brice
GUERRE , Liv. I.
5
brice Colonne revenant de Lombar
die , où il avoit long-tems & glo
rieuſement fait la Guerre pour le Roi
Catholique , réſolut en paſſant par
Florence , de ſe délaffer quelques
jours dans cette Ville pour viſiter
le Grand Duc. , & rénouveller con
noiſſance avec quelques Cavaliers
dont il avoit receu autrefois des mar
ques d'amitié. Ce fut alors que no
tre défunt Ami fit la réſolution de
le régaler dans ſon jardio ; non pas
tant pour fatisfaire ſon humeur bien
faiſante , que pour avoir l'occaſion
de s'entretenir long - tems avec ce
í
Seigneur ; & par conſéquent d'ap
1
prendre de lui mille chofes qu'on
peut raiſonnablement attendre d'un
ſi grand Homme ; jugeant qu'il ne
.
1
pouvoit pas trouver une occaſion
plus favorable , pour parler à fond
des choſes qui étoient le plus de ſon
goût. Le Seigneur Colonne vint ſe:
lon le ſouhait de Mr. Rucellai , qui
le receut avec quelques-uns de ſes
meilleurs Amis , entre leſquels ſe
A
3
trou .
6
DE L'ART DE LA
trouyérent Meflicurs Zanobe
Bon
delmonte , Batiſte della Palla , 6
Louis Alamanni , tous jeunes Cava
liers chéris de lui , & aiant les mê .
: mes - inclinacions : mais parce que
leurs bonnes qualitez font l'entretien
de tous les honnêtes gens , je me dil
penferai d'en parler ici.
Le Seigneur Colonne receut là
toutes les marques d'honneur & de
reſpect qu'il pouvoit attendre & du
lieu & du tems . Mais aprés que le
feftin fut fini , ce qui ſe fait d'ordi.
naire promtement chez lis grands
Hommes , qui ne rempliſſent pref
que jamais leur efprit que de choſes
dignes d'eux-mêmes ; Mr. Rucellai
trouva à propis, pour éviter la cha
leur , de menir la Compagnie dans
· l'endroit le plus ombragé & le plus
frais de fon jardin ", où tous s'étans
rendus , les uns s'aſlircnt fur l'herbe,
qui eſt fort fraiche en ce lieu -là , les
autres fur des ſiéges placez à l'om
bre de tres grands arbres.
Le Seie i
gneur Colonne fit l'éloge du lieu ,
&
GUERRE , Liv. I.
7
& s'attachant à conſidérer les arbres,
il demeura un peu en ſuſpens , par
ce qu'il y en avoit qu'il ne connoif
foit pas : Dont Mr. Rucellai s'é.
e
tant apperçû , lui dit , peut étre ne
n
connoiſſez -vous pas tous ces arbres
ici ; mais ne vous en étonnez pas,
puiſqu'il y en a quelques unsqui
1
e
e
S
S
S
S
j
ont été plus recherchez chez les
Anciens que parmi nous : & aprés
lui avoir dit le nom , & comment ſon
grand Pére s'étoit attaché à les cul.
tiver , le Seigneur Colonne repli
qua ; Jeme figurois bien qu'il fa
loit que les choſes fuſſent comme
vous dites , parce que le lieu & les
arbres m'ont fait ſouvenir de certains
Princes du Royaume de Naples qui
ont auſſi de l'inclination pour ſe don
ner de ces ſortes d'ombrages: En
ſuite s'étant un peu arrêté là-deſſus,
& demeuré quelque tcms comme en
ſuſpens , il ajoûta , Si je croiois
n'offenſer perſonne , j'en dirois mon
avis :
mais je ne dois pas avoir cer
te appréhenſion avec des Amis ; ſur
A
4
tout
8
DE L'ART DE LA
tout aiant plûtôt deſſein d'éxaminer
les choſes que de les blâmer. O
que ces gens là ( ce qui ſoit dit fans
offenſer perſonne ) auroient bien
mieux fait de tâcher d'imiter les An
ciens dans les choſes difficiles &
courageuſes , que dans les délicates
& les voluptueuſes ; & dans celles
qu'ils faiſoient en plein Soleil , &
non pas à l'ombre : & à prendre les
belles maniéres de la bonne & de la
parfaite Antiquité , & non pas cel
les de la fauſſe & de la corrompuë ;
parce que fi.tôt que les Romains
donnérent dans ces fortes d'inclina
tions , ma pauvre Patrie alla en dé.
cadence. À quoi Mr. Rucellai ré
pondit , ( mais pour éviter le cha
grin de répéter fi fouvent , Celui-ci
dit , l'autre répondit ; on mettra feu
lement le nom des perſonnes fans a
joûter autre choſe.
Rucellai. Vous avez juſtement
entrepris la matiére que je fouhait
tois , & je vous prie de parler fans
égards , parce que je fuis bien aife
auf .
GUERRE , Liv. I.
9
auſſi de n'en point avoir à mon tour,
en vous faiſant des queſtions ou en
répondant ; Et ſi dans l'un ou dans
ser
0
ans
bien
An.
qu'un , ce ne fera nullement dans la
cates
penſée de paroitre homme d'eſprit
ou de critiquer ; mais pour apren
celles
dre de vous la vérité.
l'autre je blâme ou je défens quel
Colonne.
1,&
Et moi je ſerai ravi de
omains
vous dire tout ce que je ſaurai des
choſes que vous me demanderez
de la vérité deſquelles je m'en rap
porterai à vôtre jugement. Ce le
ra quelque choſe d'agréable pour
inclina.
moi que vous me faſſiez des que
are les
de la
as cela
mpuë;
en de
ſtions ; parce que j'eſpére, autant
cellai ré.
le cha
Celui.ci
ettra leu.
es fans a
apprendre de vous dans vos de
mandes , comme vous pourrez ap-.
juſteumheanitt
prendre de moi dans les réponſes
que je vous ferai ; puis que ſouvent
une perſonne qui queſtionne avec
prudence , fait faire des réflexions,
& connoitre bien des choſes qui ne
parler fans
feroient jamais venuës dans l'Eſprit
ſi on n'avoit pas été interrogé.
5 bien aile
A 5
e ſo
aul.
Rucellai.
10
DE L'ART DE LA
Rucellai.
Je veux reyenir à ce
que vous diſiez d'abord ; Quemon
grand Pére & vos Princes Napoli
tains auroient bien mieux fait d'i
miter les Anciens dans les choſes
laborieuſes que dans les delicates ;
Ec moi je veux défendre la partie
où j'ai intérêt , vous laiſſant le ſoin
de défendre l'autre. Je ne croi pas
que dans ſon temps il y eût un hom
me , qui déteftaſt autant que mon
grand Pére , cette vie yoluptueule
dont vous parlez , & qui eſtimaſt
davantage la vie laborieuſe , dont
vous faites l'éloge ; Cependant il
voioit bien qu'il étoit impoſſible &
à lui & à ſes enfans de s'y donner
entièrement ; parce qu'il étoit né
dans un Siécle fi corrompu , que
fi quelqu'un avoit voulu s'éloigner
des maniéres ordinaires , il auroit
fans doute paſſé pour infame dans
l'eſprit de tout le monde : Car un
homme , qui en plein midi & au
caur de l'Eiré , fe feroit roulé ſur le
fable tout nud à la grande chaleur
du,
GUERRE, Liv. I.
II
i
du Soleil ; Ou un autre , qui
comme Diogene , ſe ſeroit au coeur
de l'Hiver roulé ſur la neige , au
roit fans doute paſſé pour fol. Si
aujourd'hui un homme , ſelon l'u
fage des Lacédémoniens élevoit
1
ſoir dormir au ſerein , aller nuds
1
S
$
t
5
ſes enfans à la Campagne , les fai
pieds & nuë tête ;‫ و‬fe baigner dans
l'eau froide ; pour les accoûtumer
à fupporter la fatigue , & pour leur
diminuer l'amour de la vie , & la
crainte de la mort . , on ſe moque .
roit ſans doute de cet homme , &
on le regarderoit plûrôt comme une
bêre féroce : que comme une créa
ture douée de raiſon .
Si l'on en
voioit un autre ne vivre que de lé
gumes , & mépriſer l'or comme fai
loir Fabrice ; peu de gens en fe
roient étae , & nul ne l'imiteroit .
Ainſi mon grand Pére étant épouvan
té de la maniére de vivre de ces Siée
cles ;ſe vitpourtant obligé d'abandon .
ner celle des Anciens , ſe contentant
A
6
d'in
DE L'ART DE LA
d'imiter l'Antiquité dans les choſes
où il pourroit le faire avec moins d'é.
IZ
clar.
Colonne. Vous l'avez vivement dé .
fendu à cet égard , & en vérité ce que
yous dites eſt véritable ; maisje n'en
tendois pas tant parler de ces manié .
res de vivre dures & difficiles , com
me d'autres plus douces , qui ont
plus de rapport aux maniéres d'aut
jourd'hui , & que je croi que les
plus conſidérables perſonnes d'un E
tat pourroient fort bien ſupporter.
Pour moi , il n'y a point d'exemple
qui puiſſe me faire abandonner mes
chers anciens Romains :
Sil'on con
fidéroit bien leur vie & l'ordre de
leur République , on y verroit bien
des choſes qu'il ſeroit facile d'intro
duire dans un Etat qui ne ſeroit pas
tout à fait corrompu .
Rucellai. Quelles ſont les choſes
qui ont du rapport aux Anciens ,
que vous voudriez ramener aujour
dºhui ?
Colonne.
GUERRE , Liv. I. 13
Colonne. Refpe &ter & récompen
ofes
d'éc
ſer le Mérite ; ne point méprifer la
Pauvreté ; faire état de la maniére
t dé.
& des Ordonnances de la Diſcipline
eque
n'en.
janié.
Militaire ; obliger les Concitoiensà
s'entr'aimer ; à vivre ſans Factions ;
à préférer le bien Public au Parti.
ui ont
culier , & autres choſes de cette na
ture , qu'on pourroit aifément ac
s d'au
commoder aux tems préſens . Ec
que les
ces maniéres là ne ſont pas difficiles
d'un E.
pporter
à perſuader , lors qu'on s'y prend
-, COM .
comme il faut & qu'on y apporte
éxemple
de l'attention ; parce qu'elles paroif
nner mes
fent fi conformes à la lumiére natu.
l'oncon
'ordre de
relle , que l'eſprit le plus commun
en eſt trés-capable. Et ceux qui
crroit bien
le d'intro
ſeroit pas
établiront ces chofes , planteront des
les choſes
mes ici .
arbres dont l'ombre donnera plus de
plaiſir & plus de véritable bonheur ,
que ceux fous leſquels nous ſom
Anciens
Rucellai. Je ne veux point répli .
cocr aujour
quer à tout ce que vous avez dit ,
mais j'en veux laiſſer faire le juge
Colone
ment
14
DE L'ART DE LA
ment à ceux qui en fonccapables ;
& je m'addreſſerai à vous -même
qui étes l'Accuſateur de ceux quin'i
mitent pas
les Anciens dans les bel
les & dans les grandes actions , .me
figurant que par-là je ſerai plus aiſé
mene ſerisfait dans ce que je ſouhai
te.
Je voudrois donc favoir de
vous , d'où vient que d'un coſté,
vous blamez tant ceux qui n'imitent
pas les Anciens ; & que de l'autre ,
vous dont la Guerre eſt la profeflion,
dans laquellevous avez aquis tant de
réputation , n'imitez néanmoins en
aucune manière les Anciens dans cet
Art ?
Colonne. Vous étes juſtement ve.
nu où je vous attendois , parce que
mon diſcours me devoit attirer cette
queſtion, & moi , je ne demandois
pas mieux qu'on me la fit. Et quoi
que je paſſe fortir de ce pas par u
ne défaite aiſee , j'aime poustant
micux approtondir la choſe, pour
vôtre ſatisfaction & pour la mien
?
ne ,
S
u
e
j
GUERRE , Liv. I.'
15
d'autant plus que nous ſom
mes fort dans le tems de parler de
cette matierę. Les hommes qui
entreprennent une choſe , doivent
ne
emploier tous leurs ſoins , pour ſe
trouver bien diſpoſez dans l'occa
fion , à ſe bien aquitter de ce qu'ils
ont préſuppoſé devoir faire.
Et
parce que c'eſt ordinairement hors
I
de la veuë du monde qu'on ſe pré
j
pare pour ce qu'on veut entrepren
dre , on ne peut pas accuſer per
]
fonne de négligence , à moins que
cela n'ait paru dans l'occaſion ‫ ;ر‬où
lors qu'on ne remplit pas ſon de
voir , on fait voir , ou que l'on ne
sleft.pas préparé autant qu'il étoit
néceſſaire , ou même qu'on n'anul.
. lement penſé à la choſe. Et parce
que je n'ai jamais eu lieu de faire
voir, comment je m'étois diſpoſe à
remettre la Milice ſur le pied des
Anciens.; fi je ne l'y ai pas miſe en
effet , il me ſemble que ni vous ni
d'autres , n'avez aucun jufte tujer
de m'en blâmer. Je croi que cela
ſeul
1
16
DE L'ART DE LA
ſeul ſuffiroit pour me juſtifier de vô.
tre accuſation .
Rucellai. Cela ſuffiroit en effet,
pourvû que je fuſſe aſſuré que vous
n'avez jamais eu les moiens de ré.
former les abus que les modernes ont
laiſſé gliſſer dans la Difcipline Mili.
taire.
Colonne. Mais parce que je fai
que vous pouvez ignorer ſi l'occa .
fion s'eſt préſentée , ou non ; pour
vû que vous aiez la patience de m'é.
courer
je veux vous expliquer
comment il faut fe diſpoſer d'abord;
en quelle conjoncture il faut qu'on
ſe trouvc ; quelles difficultez empê
chent que les diſpoſitions ne ſervent
de rien , & que l'occaſion ne fe préa
ſente pas ;
& comment cette choſe
tout à la fois eſt fort aiſée & fort
difficile à faire , quoi que cela pa
roiſe contradictoire.
Rucellai.
.
Ces Meſſieurs & moi
ne pouvons rien entendre de plus
agréableque tout cela. Et ſi vous
ne vous laffez point de parler ; nous
ne
GUERRE , Liv. I.
17
6. ne nous laſſeronsjamais de vous en
tendre. Mais parce que cediſcours
el
doit étre long , je vous ſuplie au
DU
nom de mes Amis & de moi , que
ré
vous ne trouviez pas mauyais ſi nous
vous interrompons quelquefois par
li quelques queſtions importunes.
di
Colonne. Je ſerai trés . fatisfait ,
Monſieur , que vous & ces jeunes
Meffieurs me faſſiez des queſtions ;
parce que je croi que la jeunefle vous
donne plus d'inclination pour ce qui
e regarde la Guerre , & plus de défé.
di rence à ce que je vous dirai. Il y a
21
-
j
5
bien des gens, qui pour avoir les
cheveux blancs & le ſang glacé dans
les veines , ſont en partie ennemis de
la Guerre , & en partic auſſi ils font
é incorrigibles , s'imaginant que c'eſt
le siécle , & non les mauvaiſes coû.
tumes qui font vivre les hommes
comme ils vivent. Mais à mon é .
gard , demandez moi en aſſurance
& fans ſcrupule tout ce que vous
voudrez ; ce que je vous prie de fai.
re , tant parce que cela me ſervira
18
DE L'ART DE LA
un peu à prendre haleine ; que par
ce que je ſerai bien aiſe de ne vous
laiſſer aucun doute dans l'eſprit. Je
veux commencer par ce que vous
venez de me dire ; D'où vient que
faiſant profeſſion des Armes , je n'i
mitois les Anciens en rien ? A qnoi
je répons , Que la Guerre érant un
Art duquel les hommes ne peuvent
pas vivre honnêtement en tout tems;
Il n'y a que les Monarchies , ou les
Républiques qui en puiſſent faire un
métier ; & quand l'un ou l'autre de
ces Etats ſera bien gouverné , il ne
permettra jamais à fes Sujets d'en
faire leur unique profeſſion ; & au
cun homme de bien ne peut jamais
la regarder comme telle : parce que
jamais l'on ne fera conſidéré comme
un homme de bien , lors que pour
tirer en tout tems du profit d'une
choſe , l'on ſera contraint d'étre ra.
yifleur , violent , fourbe , & avoir
pluſieurs qualitez qui empêchent
d'étre honnêre homme. Cependant
tous ceux qui ſe font un métier de
la
GUERRE , Liv. I.
19
ar
la Guerre, tant grands que petits ,
DUS
ne peuvent pas faire autrement, par
le
ce qu'elle n'apporte rien pendant la
DUS
Paix .
Ainfi ils font contraints d'a.
que
gir , comme ſi on n'éroit point en
s'i
701
Paix ; ou de faire ſi bien leur main
un
en tems de Guerre , qu'ils aient de
quoi fubſiſter lors qu'elle eſt termi.
ent
née.
715
res n'entre point dans l'eſprit d'un
les
homme de bien : parce que pour
un
de
pouvoir vivre de ce métier en tout
tems , il faut dans l'occaſion , piller
ne
&
Pen
Amis qu'aux Ennemis ; & pour évi
ter la Paix , il n'eſt point de four
BU.
als
L'une & l'autre de ces manié
faire mille violences autant aux
berie que les Chefs n’imaginent, &
que
ne faſſent à leurs Supérieurs pour
me
allonger la Guerre. Si nonobitant
QUI
120
cela , la Paix revient ſouvent , il
faut que ces Chefs , n'aiant plus ni
leurs gages , ni la liberté de vi
ne
lli
vre licentieuſement , arborent en
COI
fin l'Etendart de la bonne Avantu .
DE
re
de
la
ſans aucune humanité , ſaccager des
& comme des Bandits , aillent
Pro
zo
DE L'ART DE LA
Provinces entieres .
Ne vous fou .
vient - il point du tems que l'Italie
étant remplie de Soldats ſans paie ,
parce que la Guerre étoit finie ; ces
gens firent plufieurs Brigades qu'ils
appelloient des Compagnies , & al
loient rançonnant les Bourgs & les
Villages & ravageant la Campagne ,
fans qu'on y pût apporter de remé
de ? N'avez vous point lû que les
Soldats Cartaginois , ſous la condui
te de Mathon & de Spendius, deux
Chefs qu'ils ſe donnérent tumul
tuairement , firent aux Cartaginois
mêmes , aprés la premiére Guerre
qu'ils eurent contre les Romains ,
une autre Guerre plus dangéreu
fe , que celle - là qu'ils venoienc de
terminer avec Rome ?
Du tems de
nos Péres , François Sforce , afin de
pouvoir vivre en grand Seigneur en
tems de paix , non ſeulementtrompa
les Milanois qui le tenoient à leur
Solde ; mais il leur ôta aulli la lic
berté , & devint leur Souverain .
Tous les autres Guerriers d'Italie ,
qui
GUERRE , Liv. I.
qui ont fait de la Guerre leur métier,
reſſemblent à ce Général : Et s'ils
2
n'ont pas eu l'adreſſe de devenir
$
tous comme les Ducs de Milan ; ils
es
R'en méritent que le blâme, puiſque
ſans parvenir à quelque choſe de fi
conſidérable . , . tous coux qui liront
leurs Vies , verront bien qu'ils n'ont
pas eu l'intention plus droite . Stor
ce Pere de François contraignit la
Reine Jeanne de ſe jetter entre les
bras du Roi d'Arragon , l'aiant tout
$
d'un coup abandonnée & laiſſée ſans
défenſe au milieu de fes Ennemis ;
It
le tout ſeulement pour ſatisfaire la
51
paſſion qu'il avoit , ou de lui ravir
la Couronne , ou du moins d'extor
quer d'elle de grands tréſors.
Brac
cio emploia les mêmes artifices pour
en
UI
lie
22
LUI
s'emparer du Roiaume de Naples ;
& s'il n'eût été défait & tué auprés
d'Aquila , il réufliſſoit dans la tra
me qu'il avoit formée. Tous ces
déſordres ne venoient que de ce que
ces gens-là ne s'étoient jamais pro
poſé d'autre métier que celui des
Armes
DE L'ART DE LA
Armes . N'avez- vous pas ici un Proyer .
22
be qui fortifie ma penſée : Carvous
dites
La Guerre fait les Voleurs ,
mais la Paix les fait pendre , parce
qu'ils ne peuvent pas gagner leur vie
à un autre Emploi, & qu'ils ne trou
vent perſonne qui les faffe fubGfter
dans celui qu'ils ont choifi. D'ail
leurs , n'aiant pas aſſez de vertu pour
ſe réduire à une honnête ſervitude ,
la néceſſité les contraint de violer les
Loix , & ceux qui ſont établis pour
les maintenir , contraints de punir
ceux qui les violent .
Rucellai.
Vous nous mettez bien
bas cette profeſſion des Armes : Et
moi , je me l'étois figurée comme la
plus noble & la plus excellente qui
fût au monde , en ſorte que je ne
peux pas étre content ſi vous ne la
relevez davantage ; parce que fice
que vous dites eſt vrai , je ne ſai pas
ſur quel fondement on publiera tant
la gloire des Céſars , des Pompées,
des Sçipions , des Marcellus & de
tant d'autres Capitaines Romains ,
dont
GUERRE , Liv. I.
23 .
dont on parle comme d'autant de
S
Divinitez .
9
Colonne. Je n'ai pas encore ache
=
vé de dire tout ce que j'ai propoſé
d'abord , qui ſont deux choſes ; l'u
ne , Qu'un homine de bien ne peut
1
r
pas s'attacherà cette profeſſion com
me à fon unique métier ‫ ;ر‬l'autre ,
Qu'une République , ou une Mo
narchie bien gouvernée , n'a jamais
11
permis que les Sujets s'y appliquaſ..
fent comme à leur ſeule profeſion.
Sur le premier article , j'ai dir tout
ce que j'avois à dire. Reſte à par
ler du ſecond, où je répons à vôtre
1
derniere queſtion , en vous diſant ;
$
Que Céſar , Pompée , & preſque
1
tous ces autres Capitaines qui fu
rent à Rome aprés la dernièreGuer
re de Cartage , aquirent de la ré
5
bien , mais comme des gens d'une
1
e
putation , non comme des gens de
t
grande valeur : Et ceux qui a
voient vécu avant eux , aquirent la
e
gloire non · ſeulement de grands
Guerriers , mais auſſi de gens de
pro
24
DE L'ART DE LA
probité. Et cela n'eſt venu que de
ce que ceux- ci ne s'attachérent pas
à la Guerre comme à leur propre
métier, au contraire des autres qui
la regardérent comme telle. Et tant
que la République ne ſe trouva point
dans la corruption , jamais on ne vit
aucun de ſes Citoiens , quelque puiſ
ſant qu'il fût , ſe prévaloir de la fien .
ce de la Guerre au milieu de la Paix ;
en violant les Loix ; pillant les Pro
vinces ; tiranniſant l'Etat ; en un mot
ſe prévalant de la force ; & jamais
les petites gens n'eurent la penlée de
violèr leur Serment , en ſuivant la
Révolte de quelques Particuliers ;
en mépriſant les Ordres du Sénat ;
ou en faiſant des violences , pour
pouvoir vivre en tout tems du mé
tier de la Guerre.
Mais les Chefs
ſc contentant de l'honneur du Triom.
fe , recommençoient avec joie à vi.
yre en particuliers ; leurs inférieurs
quittoient les Armes plus volontiers
qu'ils ne les avoient priſes ; & cha.
cun retournoit à ſon occupation or
dipaire ,
GUERRE , Liv. I.
5
de
t
1
25
dinaire ; ainſi jamais on n'en vit au
cun qui ſe proposât de ſubſiſter tou.
te ſa vie, & de guerre & de pillage.
L'on yit une preuve claire de cela
dans la perſonne de Regulus , le
quel Commandant les Armès Ro.
inaines en Affrique, & aiant preſque
ſoûmis les Cartaginois , demanda au
Sénat la.permiſſion de retourner chez
lui, pourrétablir fes héritages , que
les ouvriers avoient gâtez. D'où il
paroit plus clair que le jour, que ſi
IS .
e
ce Capitaine avoit regardé la Guer
re comme ſon métier , il auroit per
a
ſé à y faire la maiſon : & pouyant
;
piller tant de riches Pais , il n'au.
roit pas demandé congé d'aller con
ſerver ſes héritages ; aiant pû en un
feul jour gagner beaucoup plus qu'ils
ne yaloient.
Mais parce que les
honnêtes gens , qui ne regardent
point la Guerre comme leur métier,
$
S
n'en veulent tirer autre avantage que
la fatigue , les périls & la gloiie;
lorſqu'ils s'en voient comblez , ils
demandent avec inſtance de retour
B
ner
26
DE L'ART DE LA
ner chez eux , & de vivre commeils
vivoient auparavant. Pour ce qui
eſt maintenant des ſimples Soldats;
il eſt clair qu'ils gardoient la même
conduite , quittant cet éxercice avec
joie : Car quand ils n'étoient poiņt
fous les Armes , ils prenoient Parti
volontiers ; & lorſqu'ils étoient en
gagez , ils ne demandoient pas mieux
que d'avoir leur Congé. L'on voit
bien des preuves de ceci ; & ſur tout,
fi l'on remarque, qu'entre les prin
cipaux priviléges , que le Peuple
Romain accordoit à ceux à qui il
donnoit le droit de Bourgeoiſie , ce
lui- ci tenoit un des premiers rangs ,
Qu'ils n'iroient point à la Guerre
contre leur volonté.
Romé donc ,
pendant qu'elle fut bien gouvernée ,
[ ce qui dura juſqu'au tems des Grac
ques ] n'eut aucun Soldat qui fit de
la Guerre fon métier ; & c'eſt pour
cela qu'elle en avoit ſi peu de fri
pons , qui de plus , étoient ſévére
Loix .. Il faut
ment chatiez par les
les Loix
donc qu'un Etat bien gouverné, en
tems
t
Le
11
GUERRE , Liv. I,
27
tems de paix , regarde les Armes
comme un éxercice ; & qu'en tems
de guerre, il les mette en uſage pour
‫ر‬
la néceſſité & pourla gloire , lans
permettre que d'autres que le Public
regardent comme un véritable
métier , & c'eſt ce que Romenea bien
Car tout Citoi , qui
obſervé :
dans cér éxercice fe propoſe une au
tre fin , n'eſt pas homme de bien ;
& tout Etat , qui fe gouverne autre
ment , n'eſt pas bien gouverné.
Rucellai. Je ſuis ſatisfait de tout
ce que vous avez dit juſqu'à préſent,
je trouve fort juſte la concluſion quc
vous en avez tirée ; & à l'égard d'u
€
ne République , je la croivéritable ;
mais quand à un Roi, je ne fai pas
pourquoi il ne devroit point avoir
2)
auprés de lui des gens , qui s'atta
ED
23
chaſſent particuliérement au métier
des Armes .
Colonne. Un Roiaume réglé par
de bonnes Loix ; doit encore plus é
viter d'avoir de telles gens ; parce
qu'eux ſeuls font les Corrupteurs de
B
2
leur
28
DE L'ART DE LA
leur Roi , & coûjours les Miniſtres de
la Tirannie.Et ſur tout ne m'alléguez
pointles Monarchies d'aujourd'hui,
parceque je yous nierai d'abord qu'el.
les ſoient bien gouvernées : Les Ro
iaumes bien réglez ne donnent point
l'autorité Souveraine à leurs Rois ,
ſinon dans les Armées ; parce que
c'eſt là ſeulement où une pronte dé.
libération et néceſſaire ; Et pour
cela il faut qu'il n'y ait qu'une ſeu .
le autorité : dans les autres affaires,
le Roi ne doit rien faire ſans le con .
ſentement de l'Etat . C'eſt pour
quoi les Sujets ont à craindre qu'il
n'y ait auprés de lui des gens , qui
en tems de paix , ſouhaitcent la guer
re , par la raiſon qu'ils ne pourroient
pas ſubfifter fans elle. Mais je ne
veux pas étre ſi exact , ni chercher
un Royaume dont le Gouvernement
foit parfait. Contentons-nous de le
préſupoſer ſemblable à ceux que nous
voions aujourdui; dans cette diſpo
fition même les Rois doivent tenir
pour ſuſpects ceux qui n'ont point
d'au .
I
GUERRE , Liv. I.
29
d'autre métier que la Guerre ; parce
que le nerf & la force des Armées ,
c'eſt ſans doute l'Infanterie : De
maniére que ſi un Roi ne fait pasen
ſorte que ſes Fantafſins en rems de
Paix , ſoient contens de retourner
chez eux , & de vivre de leur véri.
table métier , il faut abfolument qu'il
ſe ruine , parce qu'il n'y a point de
plus dangereuſe Infanterie que celle
qui eſt compoſée de gens , qui re
gardent la Guerre comme leur mé
tier ; puiſqu'il faut que vous faciez
toûjours la Guerre , ou que vous les
paiiez toûjours , ou que vous vous
mettiez en péril d’érre dépouillé de
vôtre autorité par eux : Or il n'eſt
[
pas poſſible de faire toàjours la Guer
ľ
re , encore moins de payer vos Trou
pes continuellement : Vous voilà
1
doncen danger d'étre dépoſſédé de
yos Etats .
Mes chers Romains ,
comme j'ai dit , pendant qu'ils fu
renc gens de bien& fages , ne per
mirent jamais à leurs Citoiens de ſe
faire de la Guerre un métier , enco .
B
3
re
30 DE L'ART DE LA
re qu'ils euffent,pů les entretenir en
tout tems, parce qu'ils avoient toll
jours la Guerre , mais pour éviter
les accidents qui auroient pû leur
ſurvenir de la continuation d'un cel
exercice , puiſque les tems ne chan
geoient point , ils changeoient au
moins les gens; & diſpoſoient ſi bien
les tems de leurs Légions , qu'en
quinze ans ils les avoient toutes re
nouvellées ; & ainſi ils ne prenoient
que des hommes dans la fleur de
leur âge , qui eft depuis dix- huit ans
juſques à trente-cinq , dans lequel la
viteſſe du pied , la vigueur du bras
& la vivacité de l'ail répondent fort
bien l'un à l'autre ; &
ils ſe don
noient bien de garde , de leur laiſſer
diminuer les forces , & croitre la
malice , comme cela arriva depuis
dans les tems corrompus ; , Car Au .
guſte, & en ſuite Tibére , aiant plus
de ſoin d'augmenter & de conſerver
leur pouvoir , que de s'attacher au
bien public , commencérent à deſar
mer le Peuple Romain , pour en é
tre
GUERRE , Liv ." I.
31
étre plus aiſément Maitres , & à te
7
nir toûjours les mêmes Armées ſur
I
les Frontiéres de l'Empire : & parce
qu'ils crûrent que ce n'étoit pas en
r
1
1
core affez que cela , pour tenir le
Peuple & le Sénat en bride , ils mi
rent fur pied une Armée qu'on ap
pelloit les Troupes Prétoriennes , ou
les Gardes de l'Empereur, qu'on te
noit toûjours prés des murailles de
I
e
US
la Ville , & qui en étoit comme la
Citadelle pour la commander . En
fuite , parce qu'alors , ils commen ,
cérent à donner pleine liberté à tous
12
ceux qui étoient dans leurs Armées ,
ES
de faire de la Guerre leur métier ;
1
Ces gens devinrent auſſi - tổr info
lens , formidables au Sénat , & Mai
1
er
12
S
$
tres des Empereurs mêmes , dont
pluſieurs furent affaſſinez par les mu
tineries de ces Troupes-là , qui don
noient & ôtoient l’Empire à qui bon
leur ſembloit. Quelquefois même
er
l'on a vû des tems où il y avoit plu
고
fieurs Empereurs à la fois ; l'un és
tant proclamé par une Armée , l'au
В
4
tre
32
DE L'ART DE LA
tre par une autre .
Ces déſordres
produiſirent bien- tôt la diviſion de
l’Empire , & en fuite ſa ruïne. Les
Rois donc , aiant deſſein de vivre
en repos de ce côté - là , doivent a
voir leur Infanterie compoſée de
gens , qui en tems de Guerre , y ail
lent volontiers ; & qui plus volon
tier
encore s'en retournent chez
eux en tems de Paix ; ce qui arri
vera infailliblement lorſqu'ils n'en
rolleront que des gens qui fachent
bien yivre d'autre choſe que de la
Guerre. Ainſi il eſt à ſouhaitter
qu'au retour de la Paix , les Princes
reprennent le Gouvernement de leurs
Etats ; les Gentilshommes , le ſoin
de leurs Terres ; les Soldats retour
nent à faire leurs métiers ; & qu'en
général , tous faſſent volontiers la
Guerre pour avoir la Paix , & ne ſe
plaiſent point à troubler la Paix pour
avoir la Guerre .
Rucellai. Véritablement tout vôtre
diſcours me paroit bien ſenſé ; cepen
dant commej'ai eu juſqu'à préſent des
pen
GUERRE , Liv. I.
33
penſées bien différentes,je n'ai pas en
core l'eſprit dégagé de toute difficul.
té : parce que jevois pluſieurs perſon
nes vivre en tems de Paix des fruits
de la Guerre , comme ſont les gens de
vôtre forte , qui ont des penſions, &
des Princes & des Républiques : Je
vois outre cela , preſque tous les Sol
dars demeurer à la gardedes Places
fortes , en ſorte qu'il me ſemble que
chacun trouve ſon emploi même en
tems de Paix .
Colonne. Je ne peux croire que
vous ſoiez perſuadé de cette penſée,
qu'en tems de paix chacun trouve ſon
emploi ; parce que quand même on
n'auroit pas d'autre choſe à vous dire ,
le petit nombre qui reſte à garder les
Places dont vous parlez, ſeroit une ré
ponſe qui renverſeroit votre objection.
Quelle proportion y a -t - il de ř'Infan
terie qu'on garde en rems de Paix , à
celle qui eſt néceſſaireen tems de guer
re ?
Car on ſait que les Places qu'on
garde en tems de Paix , ont be
ſoin de l'étre bien davantage dans
B 5
1a
34 DE L'ART DE LA
la guerre ; à quoi il faut ajouter le
nombre des Soldats qui tiennent la
Campagne , qui font 'en 'grande
quantité , mais qu'on licentie tous
lorſqu'on a la Paix. Touchant ceux
qui gardent les Etats , le Pape Jule ,
& võtre Etat , ont fervi d'exemple à
tout le monde , pour faire voir com
bien on doit craindre des gens qui
ne veulent fe mêler d'autre métier
que de celui des Armes ; & à cauſe
de leur inſolence , vous avez été
contraints de les licentier & de met
tre des Suiſſes en leur place , com
me étant d'une Nation élevée ſous
les Loix ; & étans enrollez par une
République dans les formes & felon
les bons Réglemens de l'Art Mili
taire : Ainſi ne nous dites plus que
dans la Paix chacun trouve ſon em
pour les Troupes, qui
loieffet,
. Mais
pen
demeurent en tems de Paix
avec leur folde ordinaire , il eſt vrai
que c'eſt une difficulté qui paroit
plus forte. Néanmoins en exami
Aant bien tout , la réponſe eſt facile,
parce
GUERRE , Liv. I.
35
parce que cét uſage de conſerver des
gens armez en tems de Paix , eſt mau
vais & tient du Siécle de la corrup
tion : La raiſon de cela , c'eſt que ces
gens font de la guerre leur métier
$
d'où il naitroir mille inconvéniens
->
dans les Etats où ils ſe trouvent , s'ils
d
étoient en aſſez grand nombre ; mais
étant peu de gens , & ne pouvant
C
feuls former un Corps d'Armée , ils
ne ſont pas en état de faire fi fou .
TE
vent du déſordre ; Cependant ils
to
en ont fait quelquefois , comme je
Et
11
ZS
l'ai remarqué de François & de Sfor
ce ſon pere , auſſi bien que de Bra .
cio de Perouſe : En forte que cette
1.
IN
coûtume de conſerver des gens ſous
16
les armes , 'ne me plait pas , étant
du Siécle de la corruption & ſujecte
7).
à de grands inconvénients.
Rucellai. Voudriez - vous que l'on
JI
s'en paſſait tout à fait ? ou en cas
qu'on en conſervaſt comment les
youdriez -vous tenir ?
Colonne. Comme des Troupes
les
d'Ordonnance , non pas comme cel
В
B
6
les
36 DE L'ART DE LA
les du Roi de France , parce qu'el
les ſont dangereuſes & inſolentes au
tant que les nôtres; mais comme cel.
les des Anciens , qui faiſoient de la
Cavalerie de leurs Sujets , & qui
en tems de Paix , les renvoioient chez
eux vivre de leur métier , comme je le
ferai voir plus amplement devant que
de finir ce diſcours.
Si donc cette
ſorte de Troupes , même en tems de
Paix ſubſiſte encore de ſon premier é.
xercice, c'eſt un déſordre dans le Gou
vernement. Or touchant les penſions
qu'on nous conſerve à noas autres Gé
néraux , je vous dirai que c'eſt encore
une fort grande corruption ; parce
qu’une République prudemment
gouvernée, ne doit donnerde penſions
à perſonne, mais elle doit prendre des
Généraux entre ſes propres Citoiens;
& en tems de Paix leur ordonner de re.
tourner à leurs premiers emplois. Un
Roi auſli, qui ſera prudent & lage , ne
doit point non plus ,donner de pen
fions,ſi ce n'eſt pourrécompenſerquel
que belle action ,ou pour conſerver un
hom
GUERRE , Liv. I.
37
homme à ſon ſervice, ſoit en Paix , ſoit
en Guerre. Mais parce que vous m'a.
vez cité moi-même,je veux bien ſeryir.
d'exemple , & je vous dirai que je n'ai
jamais fait de la Guerre mon métier ,
parce quema véritable occupation eſt
de bien gouverner mes Sujets , & de les
2
défendre : Enfin pour pouvoir bien les
2
protéger ,j'aime la Paix , & j'ai tâché
E
de ſavoir faire la Guerre:Et mon Prin .
ce ne me conſidére. & ne me récom
penſe pas tant pour mon ſavoir faire
dans la Guerre , comme pour le con
ſeiller en tems de Paix. Un Roi donc
t
$
7
2
qui ſe gouverne ſagement, n'entretien
dra perſonne auprés de lui , qui ne ſoit
de ce caractére ; parce que s'il tient des
gens prés de la perſonne qui aiment
trop la Paix , ou qui aiment trop la
Guerre , lans doute ils lui feront faire
des fautes. Suivant mon deffein & tou
chant cette matiére je ne peux pas
vous dire autre choſe ; & si cela ne
vous ſuffit pas , cherchez des gens
qui vous contentent mieux . Vous
aurez pû connoitre de ceci , quedif.
lle
1
38
DE L'ART DE LA
difficulté il y a de rétablir l'uſage
ancien dans les Guerres, d'aujour
d'hui , quels préparatifs un homme
prudent doit faire pour cela , &
quelles occaſions on peut eſpérer
pour les mettre en pratique. Mais
fi ce diſcours ne vous ennuie point ,
il ſera plus aiſé de vous faire con
noitre toutes choſes. là dans le dé.
tail , en comparant chaque partie
des ordres anciens avec les nôtres.
Rucellai. Si d'abord nous fouhai.
tions de vous entendre, devant que
vous euſliez traitté ces matiéres, on
peut aſſurer que tout ce que vous en
venez de dire , a rédoublé , l'envie
que nous en avions déja : C'eſt pour
quoi en vous rendant graces de ce
que vous nous avez donné juſqu'à
préſent , nous vous conjurons de
eontinuer à nous inſtruire.
Colonne. Puis donc que vous le
fouhaitez , je veux commencer à
traicter cette matiére dés le commen
cement , afin que vous puiſſiez mieux
la comprendre ; car par ce moien el
le
GUERRE , Liv. I.
39
}
le pourra s'éclaircir davantage.
La
1.
fin de celui qui fait la Guerre, eſt
&
de pouvoir combattre en Campagne
toute forte d'ennemis, & de pouvoir
er
gagner une Bataille. Pour en venir
à bout , 'il faut mertre ſur pied une
1,
Do
Armée ; pour la mettre fur pied , il
faut trouver des gens , les armer , les
é
dreſſer ; les éxercer en petites & en
groſſes Troupes ,‫ و‬les loger , & en
fuite les oppoſer à l'Ennemi , en al
11
lant au deyant de lui , ou en l'atten
ule
dant de pied ferme. Voila tout le
fecret de la Guerre qui ſe fait en
JA
21
pleine Campagne , qui eſt la plus
néceſſaire & la plus glorieuſe. Et
M
' un homme qui fait bien livrer Ba
taille , feroit facilement excuſé dans
quelques autres fautesqu'il pourroit
Et
.
j
.
faire dans cette noble Profeflion :
Mais celui qui ignore cette belle
partie de l'Art Militaire ne peut
jamais eſpérer de conduire une Guer
re avec ſuccés , quoi qu'il ait d'ail
leurs beaucoup de connoiſſance & de
- conduite. Parce que gagnez une
Ba .
40 DE L'ART DE LA
Bataille , vous effacez par-là toutes les
fautes que vous avez faites en d'autres
rencontres ; & au contraire ſi vous la
perdez, cela éface toutes les belles ac
tions que vous aurez faites aupara
vant. " Etant donc néceſſaire d'abord
de trouver des gens , il faut venir en
ſuite au choix qu'on en doit faire , &
pour nous ſervir d'un terme plus ho
norable & plus approchant de celui
des Anciens , nous les appellerons
Gens d'Elite . Ceux qui ont établi les
Régles de la Guerre, veulent qu'on
prenne des gens d'un climat tempé.
ré; afin qu'ils aient tout enſemble de la
prudence & de la force ; parce qu'un
Païs chaud les produit véritablement
prudens , maispeu courageux , & un
Païs froid les produit au contraire
courageux , mais non pas prudents.
Ces Régles ſont bonnes pour un Prin
ce Maitre du Monde entier , car par
là il peut choiſir commeil lui plait ;
mais lorſqu'on veut donner une Ré
gle, ilfautque chacun la puiſſe mettre
en ufage , parce qu'il faut qu'un Etat
prea
GUERRE , Liv. I. 41
les
res
EC
14.
ord
en
&
Oo
ui
nas
Les
prenne desgens de ſon Païs , ſoit qu'il
ſoit froid , chaud ou tempéré: Parce
qu'on voit par les éxemples des An
ciensqu'une bonne Diſcipline faitde
bons Soldats de quelque Pais qu'ils
foient ; car l'Art ſupléeau défaut dela
Nature, qui dans cette occaſion le cé
de à l'Art : Et lorſqu'on les choiſit en
Pais étranger , cela ne peut plus s'ap
peller Gens d'Elite; parce qu'Elite,ſu
poſe qu'on a le pouvoir de prendre les
meilleurs d'une Province ,& de pou.
00
voir diftinguer entre ceux qui ſont de
bonne volonté, & ceux quine le ſont
la
pas . On ne peut donc faire cette Elite
7기
prendre ceux qu'il vous plait dans un
Pais étranger , mais ſeulement ceux
1
qu'on veut bien vous donner .
que dans unPais à foi,ne pouvant pas
-2
.
Rucellai.
Cependant de ceux
" qui veulent bien venir , on peut
I
j
en prendre , & en laiſſer ; Et par
conſéquent , on peut appeller cela
l'Elite.
Colonne.
Vous dites yrai , à le
prendre en un ſens ; mais il faut
conſi
)
42 DE L'ART DE LA
conſidérer les déf, uts auſquels eft fu
jecte une telle Eli: e ; parce que bien
ſouvent il arrive que ce n'eſt pas une
véritable Elite la jremiere choſe
c'eſt qu'ils ne ſont pas vos Sujets ,
& c les Volontaires qui s'enrollent ne
font pas les meilleurs d'une Provin
ce , au contraire , ce ſont les pires :
Parce que s'il y en a de ſcandaleux ,
de fainéants , de réfractaires , de li
bertins , d'échappez de la maiſon
paternelle, de blafphémateurs , de
joueurs , en un mot de mal élevez ;
Ce ſont ceux-là qui veulent aller à
la Guerre , & tous ces défauts font
une fort méchante Milice. Quand
il ſe préſente de cette ſorte de gens
plus que vous n'en voulez ,‫ ر‬vous
pouvez faire un choix ; mais le tout
n'en valant rien , il eſt impoſſible
d'en faire une bonne Elite.
De
plus , il arrive ſouvent qu'il ne s'en
préſente pas la quantité que vous
ſouhaitrez ; ainfi étant contraint de
les enroller tous il arrive que cela
ne peut plus s'appeller , faire une
Elite ,
GUERRE, Liv. I.
43
Elite , mais ſeulement une Leyée de
gens au hazard. " C'eſt avec ce dé
ſordre qu'on met des Armées fur
pied en Italie & ailleurs , excepté en
8
Allemagne , parce que dans cesautres
.
Païs on n'y enrolleperſonne par or
dre du Prince , mais ſeulement du
I
I
confentement de ceux qui veulent
bien ſervir. Penſez donc aprés ce.
a
la , quelles maniéres des Anciens on
G
peut introduire dans une Armée com
poſée d'un tel amas de gens.
I
Rucellai. Quelleroute faudroit -il
donc prendre ?
Colonne.
Celle que je vous ai dite;
Les prendre d'entre fes Sujets,& par
l'autorité du Prince.
Rucellai. Pouroit - on introduire
l'ancienne Diſcipline parmi des gens
ainſi choiſis.
Colonne. Vous ne devez pas en
douter , pourvû que celui qui les
commanderoit fût leur Prince
ou
un Seigneur ordinaire , aiant le titre
de Prince , ou même un Citoien ,
mais fait Général pour le tems , s'a
giſant
44
DE L'ART DE LA
giſſant d'une République' , autre
ment il eſt difficile de faire quelque
chofe de bon .
Rucellai. Pourquoi ?
Colonne. Je vous le dirai đans fon
tems ; pour l'heure qu'il vous fuffi
ſe qu'on ne peut pas réuſſir par d'au
tres moiens.
Rucellai
Aiant donc à faire cet
te Elite dans ſon propre Pais ; De
quel endroit croyez - vous qu'il fût
plus à proposde les prendre? Eſt-ce
de la Ville , ou de la Campagne ?
Colonne. Tous ceux qui ont écrit
conviennent , qu'il vaut mieux les
prendre de la Campagne , les Paiſans
étant des gens endurcis aux incom
moditez , élevez dans la fatigue,acoû
tumez d'étre au Soleil ; de fuir l'om.
bre , de Caveir manier les outils de fer
de faire un foſſé , porter un fardeau , &
érre fans fineſſe & fans malice.
Mais
mon avis feroit, que lesTroupesétant
compoſées de Cavalerie & d'Infante
rie , on prît les Cavaliers dans lesVil.
les, & les Fantaſſins à la Campagne .
Ra .
P
9
N
GUERRE , Liv. I. 45
Rucellai. A quelle âge les voudriez.
vous enroller ?
Colonne. Si j'avois à faire de nou.
velles Troupes, je les choiſirois de
For puis dix -ſept ans juſqu'à quarante ;
f. & quand les Troupes ſeroient déja
e formées , je ne ferois des Récruës
que de ceux de dix -ſept ans.
Rucellai. Je ne comprens pas bien
Di cette diſtiction .
Colonne. Je vous l'expliquerai. Si
ů j'avois à mettre ſur pied des Trou
- ? pes dans un Etat où il n'y en auroit
point , il faudroit bien que je priſſe
les tous ceux qui y ſeroient lesplus pro
i pres, pouryû qu'ils fuſſent en âge
qu'on pût les dreſſer, comme je di
ou rai : Mais lorſque j'aurois à faire
-
l’Elite dans des lieux , où il yau ..
1 roit deja des Troupes ſur pied ;
* Je ne prendrois que des gens de
as dix - ſept ans , pour en faire les
Réeruës , parce qu'il s'en trouvé.
M
lle
roit aſſez de plus âgez qui ſeroient
1 déja enrollez.
Rucellar. Vous voudriez donc met
tre
46 DE L'ART DE LA
tre les Troupes ſur le pied qu'elles
ſont dans nôtre Pais?
Colonne, Fort bien : il eſt yrai
que je les armerois , je les comman
derois , je les éxercerois, & je les or
donnerois d'une manière , qui peut
étre , ſeroit différente de la vôtre.
Rucellai. Vous approuvez donc
nos Milices réglées ?
Colonne.
Pourquoi les blamerois
je ?
Rucellai. Parce que pluſieurs per
ſonnes fages les ont blamées ..
Colonne.
C'eſt dire une choſe con
tradictoire
de dire qu'un homme
blame des Troupes réglées , il peut
bien paſſer pour ſage , mais c'eſt à
tort .
Rucellai. Lesmauvais ſuccésqu'el .
les ont toûjours eu , nous attirérent
cette réputation.
Colonne.
Prenez bien garde que
ce ne ſoit votre défaut , & non pas
celui de ces Troupes ; ce que vous
pourrez appercevoir ayant la fin de
ce diſcours .
Rucellai.
GUERRE, Liv. I.
Rucellai.
Vous
47
me ferez fort
grand plaiſir; Cependant je veux
M
vous dire les défauts qu'on trouve
en elles , afin que vous puiſſiez mieux
BE
01
les juſtifier. Voici donc ce qu'ils
diſent ; Ou elles ne valent rien , &
par conſéquent ſe fiant ſur elles
+
on
perdra l'Etat : Qu elles ſont bon
RES , & partant celui qui les com
mandera pourra l'uſurper. Et pour
cela , ils citent les Romains, qui a
Yec leurs propres Troupes , perdi
rent la Liberté : Ils alléguent les
2
001
Venitiens , & le Roi de France , en
1
tre leſquels ceux-là ,pour ne pas o
béir à un de leurs Concitoiens , fe
ſervent de Troupes Etrangeres ; &
le Roi a délarmé fes Sujets , afin d'en
étre mieux le Maitre. Mais ce qu'ils
craignent le plus, c'eſt que ces Trou
TE
pes réglées ſoient de méchantes
que
Troupes , dont ils apportent deux
raiſons ; L'une , parce qu'elles ſont
ſans expérience : Et l'autre , parce
OL
qu'elles vont à la Guerre par force.
Car , diſent - ils , ce n'eſt point des
‫܃‬
Grunds
48 DE L'ART DE LA
Grands, dont on apprend les choſes ,
& par la force on nefaitjamais rien
de bien .
Colonne. Toutes ces raiſons, que
vous alléguez , font de gens dont
les vûës font courtes , comme je le
prouverai clairement. Et premiére
ment, pour ce qui regarde leurinu
tilité , je vous foûtiens qu'on ne
peut avoir de meilleures Troupes
que celles du Pais même ; & l'on ne
peut pas les établir autrement que
de la maniére que nous avons dite.
Et parce que cela eſt hors de con
teſte , je n'y veux pas perdre beau
coup de tems : tous les éxemples de
l'Hiſtoire Ancienne faiſant pour nous.
Mais pour ce qu'ils alléguent leman
que d'expérience, & la contrainte ;
je dis , qu'il eſt vrai que le manque
d'expérience empêche d'avoir du
cæur , & la contrainte fait des mé.
contents : mais on leur donne & du
cæur & de l'expérience , ſelon la
maniére de les armer , de les com
mander , & de les éxercer ; comme
VOUS
GUERRE , Liv. I.
SA
49
vous verrez par la ſuite de ce diſ
cours .
A l'égard de la contrainte , il
faut que vous ſachiez , que les gens
16
le
7.
qu'on mene à la Guerre par le con
mandement du Prince , n'y doivent
point étre menez, ni tout à fait par
force , ni tout à fait de leur bon gre ;
parce que l'entiére liberté d'aller ou
CS -
de n'aller pas, produiroit les inconvé.
niens que j'ai remarquez ci-deſſus:
26
ainſi ce ne ſeroit pas des gens d'Elite ;
10
Zbog
& l'on en trouveroit peu qui vouluſ
ſent aller : d'autre part une entiére ciin- :
trainte produiroit de méchans effets.
Il faut donc prendre une route entre
les deux , qui ne ſoit pas toutà fait vo
jo
lontaire, ni tour à fair forcée ; mais il
faut que les gens qu'on choiſit , mar
$
€
chent par le reſpect qu'ils ont pour le
Prince apréhendant plus d'encourir ſa
1
diſgrace , quede s'expoſarà la fatigue
U
une contrainte tellement mêléede bon
5
& au péril;& ainſi il arrivera queceſera
ne volonté,qu'il n'en naitra jamais de
mécontentement capable de produire
de mauyais éfets. Je ne dis pourtant
с
pas
50
DE L'ART DE LA
pas qu'une telle Armée ſoit invinci .
ble , puiſqu'on a vû celles des Ro
mains défaites tant de fois ; aufli
bien que celles d'Annibal .
Ainſi il
ne faut pas préſumer qu'on puiſſe
faire une Armée qui ne puiſſe jamais
étre miſe en déroute.
C'eſt pour
quoi vos habiles Raiſonneurs ne doi
vent point conclure l'inutilité d'une
Armée , de ce qu'elle aura eu du pi
re une fois ; mais ils doivent croire ,
que comme ilspeuvent perdre , ils
peuvent auſſi gågner , en ſe précau.
tionnant contre ce qui les a fait per
drę. Et quand ils viendroient à en
.
faire recherche , ils trouveroient que
ce n'étoit pas par la faute de cette
forte de Milice ;‫ ر‬mais manque d'u
ne conduite plus parfaite. Ainſi ,
comme je l'ai dit , ils doivent y
pourvoir , non en blâmant cér or
dre- là , mais en le corigeant. Dans
peu de tems , je vous enſeignerai
comment il s'y faut prendre . Pour
ce qui eſt de l'appréhenſion qu'on a
que cette ſorte de Troupes érant
dé .
S
GUERRE , Liv. I.
SI
débauchées par un Général infidé.
le , ne vienne à vous dépouiller de
vôtre Etat. Je vous répondrai , Que
les Armes miſes à la main des Ci.
toiens ou des Sujets avec ordre , &
ſelon la diſpoſition des Loix , n'ap
portérent jamais aucun dommage ;
Au contraire , on en a tiré toûjours
un grand avantage, & les Républi.
ques ſe conſervent plus long- temsen
leur entier par cette forte de Trou
pes que ſans elles . Rome demeura
libre quatre cens ans , & elle étoit
Armée :
Lacédémone s'eſt conſer
vée huit cent ans dans cet état : Plu .
€
ſieurs autres Républiques ont été
2
ſans Armes , & ne font pas demeu
rées libres quarante ans . Car il faut
que les Républiques ſoient Armées ;
& quand elles ne le peuvent étre de
leurs propres Sujets , il faut qu'elles
ES
prennent des Etrangers , qui fonc
21
inoins affectionnez au bien public
1
que les Sujets , & bien plus aiſez à
corrompre ; Par conſequent , un Ci
toien puiſſant & ambitieux s'en peut
C 2
mieux
52
DE L'ART DE LA
mieux prévaloir , outre qu'il tire un
grand avantage de ce qu'il n'a que des
peuples défarmez à oprimer. Une Ré
publique doit plus craindredeux enne
mis qu’un: celle qui ſe ſertd'étrangers,
doit craindre tout à la fois & l'étran.
ger quelle paie , & lecitoien : & pour
preuye que cette crainte eft bien fon
dée,vousn'avez qu'à vous ſouvenir de
ce quej'ai dit tantôtde François Sfor
ce. Pour uneRépublique qui ne ſe ſert
point d'autre milice que de ſes ſujets,
elle n'a au moins que ceux-là à crain
dre. Mais au lieu d'alléguer toutes les
raiſons qui fe peuvent dire fur ce ſujet ,
je me ſervirai ſeulement de celleci ;c'eſt
que tous ceux , qui ont établi des Ré
publiques ou desMonarchiës ;ont cru
que ceux qui les habitoient , étoient
obligez à les défendre : & fi les Véni
tiens euſſent été auſſi fages en cela
comme dans tous leurs autres régle
ments , ils auroient établi un cinquié
me Empire dans le monde ; en quoy
ils méritent d'autant plus de blâme ,
. que leurs premiers légiſlateurs les a.
voien
GUERRE , Liv . I.
voient armez :
53
Mais n'aiant point
C!
d'Etats en terre ferme, ils étoient feu
3
lement armez ſur mer , où ils firent
leurs guerres avec valeur , & augmen
térent leur République les Armes à
$
la main : Mais quand il falut faire la
1.
guerre en terre ferme pour défendre
Vicence , au lieu qu'ils devoient у
envoier -un de leurs citoiens , pour
He
commander leurs Troupes ; ils pri
rent à leurs gages pour leur Géné
Ert
ral
le Marquis de Mantouë. Ce
$
fat ce malheureux choix qui lesem
Die
pêcha de s'élever & de s'accroître :
& s'ils le firent par la défiance qu'ils
eurent ,que fçachant ſeulement la
guerre de mer , ils n'entendoient rien
e
à celle de terre , cette défiance n'é-.
to
toit pas de gens
fages: par ce qu'un
Il
Général de Mer , qui eft accoûtumé
de combattre les vents , les vagues
la
& les hommes , deviendra plusfaci.
201
lement Général de terre où il n'y
08
a que des hommes à combattre ,
qu'un Général de terre ne pourra
devenir Général de mer : & mes
*
C 3
bons
54
DE L'ART DE LA
bons Amis les Romains , qui fa
voient fe battre ſur Terre & non
ſur Mer , étant obligez de faire la
Guerre aux Cartaginois, qui étoient
puiſſans fur Mer , ne s'aviſérent pas
de foudoier des Eſpagnols ou des
Grecs accoûtumez à la Mer : mais
ils impoſérent ce ſoin à leurs Ci
toiens , qui commandoient d'ordi.
naire ſur Terre , & ils remportérent
la Victoire . Si d'ailleurs , les Vé.
nitiens prirent ce Parti, pour empê
cher qu'un de leurs Citoiens nes'em
parât du Pouvoir Abfolu.Sans répéter
ce quej'ai dit ci-deſſus à ce ſujet ; Eft
il à croire , que fi jamais aucun de
leurs Citoiens diſpoſant des Forces
Maritimes , ne s'eſt rendu Maitre
d'une Ville ſituée dans la Mer mê
me, ces mêmes Citoiens pûſſent
mieux réuſlir dans ce projet avec les
Armées de Terre ?
Si donc ils euſ
fent fait ces réfléxions , ils auroient
bien connu , que ce n'eſt pas dans le
tems que les Ciroiens ont les Armes
entre leurs mains, qu'il faut appré
hen .
GUERRE , Liv. I.
1
: 55
hender l'uſurpation de l'AutoritéSou
veraine , mais ſeulement lorſque le
Gouvernement eſt mauvais. Or les
Vénitiens aiant un bon Gouverne.
ment , ils 'p'avoient rien à craindre
§
s
des Armes de leurs Sujets ; c'eſt
pourquoi ils prirent un méchant Par
ti , qui diminua beaucoup leur gloi
re & leur bonne Fortune. Quand
1
1
5
à la faute que fait le Roi de France
de n'exercer pas ſes Peuples à la
Guerre , ce que nos gens citent com
me un éxemple à fuiyre. Il n'eſt
aucun ( excepté ceux qui font me
nez par quelque paſſion particulié
re ) qui ne juge que c'eſt un défaut
dans ce Roiaume- là , & que cette
feule négligence l’affoiblit. Mais
j'ai fait une trop grande digreſſion ,
& peut - être ai - je abandonné mon .
deſfein ; Cependane je ne l'ai fait
que pour vous répondre , & pour
vous faire voir , qu'on ne peut point
faire fond fur d'autres Milices que
fur celles de ſon Pais , & ces Trou
pes là ne peuvent écre miſes ſur pied
C4
que
56
DE L'ART DE LA
que par voie d'ordonnance , n'y
aiant point d'autre moien pour éca
blir de bonnes armées dans un païs,
ni pour y introduire une bonne di
ſcipline militaire. Si vous avez bien
lâ les Réglements que les premiers
Rois firent à Rome, ſur tout Servius
Tullius ; vous trouverez que l'éta
bliſſement des Claſſes , * n'étoit autre
choſe qu'une ordonnance pour pou
voir mettre promptement une Armée
ſur pied, capable de défendre la Vila
le. Mais pour revenir à nos Troupes
d'Elite , je vous répéte qu'aiant à
faire un corps d'Armée tout nou.
veau , je les prendrois de tous â
ges entre dix- tepe & quarante ans ,
pour pouvoir m'en ſervir tout auſli
tôr .
Rucellai.
Mais dans le choix
que vous en feriez, prendriez vous
donc garde aux métiers qu'ils fe
roient ?
Colon
Voirz les rem .ſur Clafe.
GUERRE , Liv. I. 57
Colonne. La plus part des Auteurs
font de la différence ; car ils ne veu.
lent point qu'on prenne d'oiſeleurs ,
de pêcheurs , de cuiſiniers , de ces
gens qui font un fale commerce de
femmes impudiques , & tous ceux
dont le métier ne regarde que la vo
lupté : Mais il veulent , qu'outre les
gens qui travaillent à la terre , on
prenne encore des forgerons, des ma
réchaux , des charpentiers , des bou
chers , des chaſſeurs & autres ſembla
bles. Mais pour moi j'en ferois peu de
différence , quand il s'agiroit de juger
dela bonté de l'homme par ſon métier ;
& ſi j'en faifois , ce ſeroit par rapport
au beſoin que j'en aurois : C'eſt pour
cette raiſon que les paiſans , qui font
accoûtumez à travailler à la terre ,
font plus propres que tous les au . tres àla guerre ; par ce que de tous
les métiers celui là eſt le plus néceſ.
faire de tous , dans les Arméës: A prés.
les paiſans', je voudrois des forge
fons des charpentiers ,des maréchaux,
e , dont il eſt
des tailleurs de pierr
beſoin
C
S
DE L'ART DE LA
beſoin d'avoir un bon nombre , par
:58
ce qu'il eſt fort avantageux d'avoir
un Soldat dont on puiſſe cirer dou
ble ſervice .
Rucellai. Comment peut-on con
noitre ceux qui ſont propres à la
Guerre d'avec ceux qui ne le ſont
pas ?
Colonne. Je veux d'abord vous
entretenir du moien de faire de nou.
velles Levées , pour en compoſer en
ſuite une Armée, parce qu'il ſe trou
vera en même tems l'occaſion de dit
courir du choix qu'il fautfaire pour
les. Récruës des Vieux Corps. Je
dis donc , Que la bonté d'un hom
me , dont vous voulez faire un Sol
dat, fe connoit ou par l'expérience,
‫ܪ‬
lorſqu'il a fait quelque belle action ,
Our par conjecture. La preuve du
mérite ne le trouve pas dans les Le
vées de gens qui n'ontjamais étéen
rollez , car pour les vieux Routiers,
il s'en trouve fort pcu , ou point du
toutdans les nouvelles Troupes qu'on
fait. Il eſt donc néceſſaire quand on
n'a
%
3
GUERRE , Liv. I.
52
n'a pas cette expérience de récourir
à la conjecture qui ſe forme ſurl'a.
ge , le métier & la taille. Nous a
vons parlé des deux premiéres qua
litez , il reſte à parler de la troiſiê
me ..
Je vous dirai donc,que quelques-uns
ont voulu que le Soldatfût grand , &
1
c'étoit la penſée de Pirrus : D'au .
Jo
tres les choiſiſfoient ſeulement à la
force du corps , comme faifoit Cé.
far : & cette force du corps & du
courage , le juge de la proportion
11
de la taille & de la bonne mine: C'eſt
1
Qu'ilfaut qu'il ait les yeux vifs &
3
pourquoi ceux qui en écrivent diſent,
gais , le col nerveux , la poitrine lar
ge , les bras avec de gros muſcles ,
les doigts longs , peu de ventre , les
côtes rondes, la jambe & le pied fecs.
Toutes ces parties ainſi diſpoſées
mürquent d'ordinaire un homme agi
le & fort, qui ſont les deux plus bel
les qualitez que puiſſe avoir un Sol
dat. L'on doitſur tout regarder aux
meurs , & qu'il y ait en lui de la
C
6
mo
бо
DE L'ART DE LA
modérarion & de l'honnétecé ; autre
ment c'eſt prendre un inſtrument de
déſordres, & un modéle de débau
che : Car perſonne ne fe perfuadera
que dans une éducation mal-honnêre,
& dans un caur bas & fale il ſe puif.
fe jamais rencontrer aucune bonne
qualité. Et il me ſemble qu'il n'eſt
pas inutile , pour vous faire mieux
entendre l'importance de ce choix ,
de vous dire la metode que les Con
fuls Romains , en entrant dans leurs
charges, obfervoient pour faire les
Légions . Dans cette Elite , ceux
qu'on devoit choiſir étans mêlez de
Vererans & de jeunes Soldats ‫و‬, à
cauſe des guerres continuelles que la
République étoit obligée de foûte
nir , l'on pouvoit choiſir les vieux
far l'experience, & les jeunes par la
conjecture. Mais il faut remarquer
çeci, que certe Elite fe fait , ou pour
s'en ſervir auſfi- tôt , ou pour les di
fcipliner & s'en ſervir à l'occaſion .
J'ai déja parlé , & je parlerai enco
fe
GUERRE , Liv. I. 61
re de tout ce qu'il faut faire pour
s'en ſervir dans le beſoin aprés qu'ils
ſont leyez ‫ ;ز‬par ce que j'ai deſſein
de vous montrer comment on peut
établir une Armée , dans un Pais où
n'y en a point : Or dans ces fortes
de Pais , l'on ne peut pas faire une
Elite pour s'en ſervir ſur le champ.
Mais dans les Pais où l'on a accoû.
tumé de faire des Armées par l'au .
torité du Prince , on peut bien en
5
s
2
3
faire pour les emploier fur l'heure ,
comme cela ſe pratiquoit à Rome ,
& comme il ſe pratique encore au
jourd'hui chez les Suiſſes : Par ce
que dans ces Elites , s'il y en a de
Novices , il y en
a tant d'autres
qui font accoûtumez à la Diſci
pline Militaire . , que les Novices
2
& les Diſciplincz mêlez enſemble,
ET
font un corps uniforme & de trés
I
bon ſervice : Nonobſtant cela les
‫ܘܠ‬
Empereurs , aprés qu'ils eurent
D.
commencé à tenir des Soldats dans
0
· des Garniſons fixes; ils y établirent
des
te !
62
DE L'ART DE LA
des Mitres d'Excrcices pour les
nouveaux Soldats , qu'ilsappelloient
Apprentifs , comme cela fe voit
dans la Vie de l'Empereur Maxime:
Ce qui pendant que Rome fut Li
bre , écoit établi non pas dans les
Armées , mais dans les Villes , & les
jeunes gens étans forcez à l'Exerci.
ce dans les lieux où ils l'apprenoient;
lorſqu'en fuite on les enrolloit pour
aller à la Guerre , ils étoient relle
ment dreſſez à la faire en peinture ,
pour ainſi dire; qu'ils n'avoient pas
de peine à la faire d'abord en Cam
pagne contre leurs plus rédoutables
Ennemis. Or les Empereurs aiant
dans la ſuite aboli ces Exercices-là ,
on fut obligé d'emploier les moiens
que je vous ai expliquez.
Mais
enfin , revenons à la maniére de fai.
re l'Elite Romaine. Aprés que les
Conſuls deſtinez à commander les
Troupes , eroient entrez dans leurs
Charges ; comme les Armées Ro
maines devoient avoir pour fonde .
ment & pour nerf deux Légions de
Ron
12
대
Ei
5
GUERRE , Liv. I. 63
Romains Naturels ; ces Généraux
en les mettant ſur pied , créoient
d'abord 24. Tribuns Militaires
& ils en mettoient ſix dans chaque
Légion , qui faiſoient la fonction
que font aujourd'hui ceux qui com
mandent des Bataillons . En ſuite
ils faiſoient aſſembler tous les Ro
mains capables de porter les Armes,
& mettoient les Tribuns de chaque
Légion éloignez les uns des autres.
Aprés cela , on tiroit au ſort les Tri
bus du Peuple , dans leſquelles on
devoit faire l'Elite ; & dans la Tri
bu , ſur laquelle le fort tomboit , on
choiſiſſoit quatre des meilleurs hom
mes , deſquels les Tribuns de la pre
miére Légion en choiſiſſoient un :
dans les trois hommes de reſte , les
Tribuns de la ſeconde Légion en
choifiſſoient auſſi un ; en ſuite ceux
de la troiſiême Légion choiſiffoient;
& le dernier étoit pour la quatriệ:
me Légion. Aprés ces quatre là ,
l'on en faiſoit l'Elite de quatre au
tres , dont les Tribuns de la quatriể.
me
64 DE L'ART DE LA
me Légion avoient le choix ; en ſui
te ceux de la troiſième Légion en re
montant , & la premiére Légion re
cevoit celui qui reſtoit des quatre.
Aprés on faifoit encore une Elite de
quatre autres hommes ;‫ & و‬c'étoit la
troiſiéme Légion qui avoit le choix,
en ſuite la quatriême ; aprés la pre
miére prenoit le troiſiême de ces
hommes , & le dernier étoit pour le
fecond. Ainſi l'on varioit ſucceſſi
vement le droit de choiſir , en telle
forte que chacun l'ayoit à ſon tour,
& que les Légions étoient égales.
Et comme nous avons dit .ci-deſſus
on pouvoit dés l'heure même faire,
fervir une telle Elite ; parce qu'on
la faiſoit de gens dont la plupart a
voient du ſervice , & les autres é.
toient au moins difciplinez: Ainſi
cette Elite fe pouvoir faire & par
expérience & par conjecture. Mais
s'il faloit établir des Milices tout de
nouveau , qui par conſéquent , ne
pourroient ſervir qu'aprés un tems ;
on ne pourroit faire certe Elite que
par
2
GUERRE , Liv. I.
65 .
par conjecture , qu'on peut faire ſur
l'âge & la taille , & c.
Rucellai. Je ne doute nulle
ment de tout ce que vous venez
de dire :
Mais devant que vous
traittiez quelque autre matiére , je
veux vous demander une choſe , de
laquelle vous m'avez fait ſouvenir,
$
en difant ,
2
ne Elite dans un Pais , où l'on ne
Le
5
e
0
Ei
18
Ć
Que s'il falloit faire u.
trouvat perſonne qui eût porté les
Armes , il faudroit la faire par con
jecture : Ce qui me fait vous in
terrompre , c'eſt que j'ai entendu
blamer en pluſieurs lieux nôtre Mili .
ce , & particuliérement ſur le nom
bre ; parce que pluſieurs diſent, qu'il
faudroit en prendre moins dont on ci
reroit cét avantage , qu'ils ſeroient
meilleurs & mieux choiſis : De plus,
on ne fatigueroit pas tant de gens
à la fois : On pourroit outre cela leur
donner quelque choſe , moiennant
quoi ils feroient plus fatisfaits &
plus ſoầmis . Je voudrois donc bien
ſavoir votre avis là -deſſus ; fi vous ai
me
66 DE L'ART DE LA
meriez mieux le petit nombre que
le grand. Et de quelle maniére vous
voudriez yous y prendre pour en fai
re l’Elite , ſoit pour le petit , ſoit
pour le grand nombre ?
Colonne . Sans doute les groſſes
Troupes valent toûjours mieux que
les petites ; & même pour dire la vé.
rité, on ne peut pas faire de bonnes
Milices dans un Pais où l'on ne peut
en avoir beaucoup ; ſur quoi j'eſpé.
re facilement faire voir la foibleffe
des raifons de vos gens. Je dis donc
en premier lieu ; Que là où il y a
bien du Peuple , comme en vôtre
Toſcane parexemple, le petit nombre
ne fait rien pour la bonne Elite , car
ſi vous les prenez fur l'expérience,
il s'en trouvera trop peu , vôtre Pais
manquant de gensqui aient porté les
Armes ; & encore parmi ce petit nom
bre vous aurez peine à en trouver
quelques - uns qui aient donné des
marques de leur valeur, & par con
ſéquent qui méritent d'étre préférez
aux autres :
Il faut donc que ceux
qui
GUERRE , Liv. I.
다.
67
qui voudront faire des Milices Ré
glées dans un Pais comme le vôtre ,
ne s'attachent point à l'expérience
des gens , fe contentants de les choi
fir ſur les apparences. Cela étant ,
je voudrois bien qu'on me dit com
TE
ment je devrois faire, s'il ſe préſen
toit devant moi vingt jeunes hom
mes tous bien tournez ; je croi qu'il
eſt hors de doute , que le meilleur
feroit de les prendre tous, de les ar
mer & de leur faire faire l'Exercice,
r
C
U
e
DAN
K
puiſqu'il eſt impoſſible de connoitre
les meilleurs ; & les aiant gardez
juſqu'à ce qu'ils fuſſent bien Diſci
plinez , alors on pouroit faire une
bonne Elite en ne prenant que les
plus adroits & les plus vigoureux.
Ainſi tout bien conté , il eſt faux
qu'on les eût meilleurs en n'en pre
nant qu'un petit nombre . Pour ce
qui regarde le plus ou le moins de
fatigue des gens d'un Pais : Je dis,
O Que la Milice Réglée , en petit ou
en -grand nombre , ne leur donne au
cune peine , parce que cet ordre nę
dé.
68
1
DE L'ART DE LA
détourne perſonne de ſon ouvra
ge , ne' lie perſonne , en forte que
cela les empêche d'aller & de venir
à leurs affaires s par ce qu'on exi.
ge d'eux de s'aſſembler , ſeulement
dans les jours où l'on ne travaille
point , ce qui ne porte aucun préju
dice , ni au Pais ni aux gens: au con
traire c'eſt un divertiſſemenr pour
les jeunes , qui au lieu de croupir
dans l'oiſiveté les jours de Fêtes ,
dans les lieux où ils ſe rencontrent ,
ils iroient ſe divertir à ces exerci .
ces : Car comme le maniment des
armes & l'exercice Militaire fait
un beau ſpectacle , l'on peut dire
auſſi qu'il plaît beaucoup aux jeunes
gens. Pour ce qu'ils diſent , qu'on
pourroit paier le petit nombre, ce qui
les contenteroit d'avantage , & les
rendroit plus ſollmis , le répons ,
que l'on ne peut.pas faire une mili
ce réglée d'un ſi petit nombre , qu'on
puiſſe les contenter en les paiant
continuellement : Par exemple fup
poſons une milice de cinq mille hom
mes:
1
GUERRE, Liv. I.
69
mes ; qui voudroit leur donner ce
mi
qu'on croiroit les de voir contenter, il
faudroit que cela allât du moins à dix
mille Ducats par mois : Mais premié.
rement cinq mille hommes ne iuffiſent
e pas pour garder le Pais, de plus cet
te paie luiferoit inſupportable , &
ou
d'ailleurs elle ne ſeroit pas ſuffiſante à
contenter les gens & à les mettre ſur
le pied qu'on pût s'en ſervir comme
TË
l'on voudroit. Ainſi , en faiſant ce
CH
qu'ils diſent, on dépenſeroit beaucoup
d
&. on auroit peu de gens capables de
défendre un Pais , ou d'attaquer les
ennemis. Si vous leur donniez une
FUB
plus groſſe païe , ou que vousen priſ
fiez un plus grand nombre , il vous
ſeroit encore plus impoflible de les
entretenir. Mais ſi vous en preniez
DOM
moins , ou que vous leur donnafliez
M
une plus petite païe ; vous les conten
211
Dar
teriez encore moins , & vous en tire
riez moins de ſervice. Donc ceux qui
parlent de faire des milices réglées,
& de les païer pendant que chacun a le
pouvoir de demeurer chez ſoi, ceux -là
nous
70
DE L'ART DE LA
nous diſent des choſes ou impofli
bles , ou inutiles. Il faut
faut pourtant
bien les paier quand on les léve pour
les mener à la Guerre . Mais ſuppo .
fez qu'un tel Réglement fatiguâr un
peu en tems de paix ceux qu'on au
roit enrollez ; ce que je ne vois pas
qui pût arriver ; N'eſt - on pas bien
dédommagé de ce petit mal, par tou
te l'utilité qui revient à un Pais d'a
voir des Milices Réglées ; parce que
ſans cela on ne peut pas écre en ſû .
reté . Je conclus donc , que ceux
qui ne veulent qu'un petit nombre
pour pouvoir les paier , ou pour les
autres raiſons qu'ils alléguent, n'en
tendent rien dans cette affaire : Car
j'ai encore une forte raiſon à dire ;
C'eſt que le nombre diminuë roll
jours par mille inconvénients qui ſur
viennent aux hommes , en ſorte que
ſouvent votre petit nombre devien
droit à rien . Aprés tout quand vos
Milices Réglées ſont nombreuſes,
vous pouvez vous ſervir du grand
nombre , ou du petit felon vôtre be
foin .
GUERRE , Liv, I.
foin.
71
De plus ces Milices vousſer
vent & pour la néceſſité & pour la
3 réputation ; or le grand nombre vous
a
fera bien plus reſpecter que le petit.
T
Ajoûrez à cela que li vous n'enrollez
u qu'un petit nombre dans un grand
Pais , afin de leur apprendre l'Exer
cice ; ils ſont fi loin les uns des au
.
tres , que ce leur eſt une grande fa
tigue de s'aſſembler dans les jours
deftinez à cela ; Et pourtant ſi vous
ne leur faites pas faire l'Exercice, ces
Milices fonc inutiles , comme nous
dirons en ſon lieu .
Rucellai. Je ſuis content de tout
ce que vous venez de répondre à ma
1
e
a
derniére queſtion ; Mais il faut ,
s'il vous plait , que vous réſolviez
une autre difficulté.
C'eſt que ces
gens-là difent, Que le grand nombre
de gens
armez faiç de la confuſion ,
& du déſordre dans un Pais.
Colonne.
C'eſt encore là une er.
reur , comme je vais vous le faire
voir .
Ces gens armez ne peuvent
apporter du déſordre qu'en deuxma
ma.
72
DE L'ART DE LA
nieres , ou entr'eux , ou contre les
autres : mais il eſt aiſé de remedier
à ces deux inconvenients , pourvû
que l'ordre qu'on auroit établi fût
aflez bon, pour n'y être pas lui même.
un obſtacle ; par ce que touchant
les déſordres qui peuvent arriver en
tr'eux , cet établiſſement les aſſou-.
pit bien loin de les entretenir : Car
en mettant ces gens ſur pied , vous
leur donnez des Armes & des Chefs.
Si le Païs où yous faites vos milices
réglées eſt ſi peu aguerri , que les
habitans n'aient aucunes Armes : &
s'ils ſont ſi unis enſemble , qu'ils
n'aient aucuns Chefs : l'ordre que
vous établirez l’es rendra bien plus
courageux contre l'ennemi , inais
non pas plus déſunis entr'eux ; parce
que des gens bien gouvernez crai
gnent les loix , ſoit qu'ils aient les
armes à la main , ou qu'ils ſoient déf.
armez ; & ils demeureront toujours
diſpoſez de la ſorte , ſí les Chefs que
vous leur donnezº ni apportent du
changement. Or nous dirons tantôt
com
GUERRE , Liv. I. 73
comment ils'yfautprendre pourl'em
pêcher. Mais ſi le Pais où vous faites
vos Milices eſt aguéri & partagéen
IT
1
Factions , cét ordre ſeul eſt capable
de les ruiner ; parce que ces gens-là
ont des armes & des Chefs qu'ils le
font faits eux -mêmes ; mais leurs are
mes ſont inutiles pour la Guerre , &
C
leurs Chefs ne ſont propres qu'à en
tretenir les querelles : au lieu que
l'ordre que nous diſons leur donne
des armes propres pour la Guer.
re, & des Chefs qui afſoupiſſent les
diſſenſions :
Car les gens d'un Pais
ainſi diviſé , Ti-tôt qu'ils ont quelques
mécontentemens , s'en vont trouver
leur Chef de Parti jaqui pour ſemain
tenir en réputation , les animeà la vena
geance, & ne lesportejamais à l'acom.
modement : au lieu qu’un Chef établi
par l'ordre public fait le contraire; En
ſorte que par ce moien on ôre tout
.
lieu à la méſintelligence , & l'on ra
Well , les
meine les gens à l'union.
e Ainli,
ſ
ſ
e
e
n
s
l
g
i
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ù
a
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o
a
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& l mes
P loigenrce l emnt
l
d
e
r
r
t
pa ces bons
pe
in
D '.
or
74
DE L'ART DE LA
ordres leur poltronnerie & confer
vent l'union ;& ce même bon ordre ,
dans les Pais où régnent les quérel
les & les violences, fait' tourner à
l'avantage & au bien public , cette
férocité qui étoit la caule de tant de
défordres. Pour ce qui eſt de ce
qu'on dit , qu'ils ne ſont pas pro
pres contre les Etrangers, il faut fa
voir que ſi cela arrive , c'eſt la fau
te des Chefs qui les commandent.
Pour ne rien craindre de la part de
ces Chef-là , il faut faire en forte
qu'ils n'aient point trop d'autorité
fur leurs gens :
Et cette autorité
s'acquiertou naturellement ou par
accident. Pour ce qui regarde le
premier moien d'aquérir de l'autori
té ſur les Milices , & pour y remé
dier, il faut empêcher qu'un homme
né dans lin Pais , commande les gens
qu'on y aura levez ; mais il faut lui
donner la conduite des endroits où il
n'a aucune rélation naturelle : pour
prévénir les accidens ,il faut établir les
choſes en ſorte que les Commandans
chan
3
I
1
GUERRE , Liv. I.
75
changent tous les ans de Troupes;
parce que le commandement trop
fait
continué ſur les mêmes gens ,
naître entr'eux une ſi grande intelli
gence , qu'elle pourroit fe tourner
aiſément au Préjudice du Prince . Et
pour voir combien ces changements
font utiles à ceux qui les pratiquent ,
& préjudiciables à ceux qui les née
gligent, il n'y a qu'à regarder le Réa
* gne des Affyriens , & l'Empire des
de Romains , ou l'on voit que ce Régne
T
là dura mille ans ſans trouble & fans
aucune Guerre Civile ; ce qui n'eſt
venu d'autre cauſe que de ce que
l'on changeoit tous les ans les Com
mandans de leurs Troupes. C'eſt
pour une raiſon oppoſée que dans
l'Empire Romain (aprés l'extinction
de la maiſon de Céſar ) on vit naître
tant de Guerres Civiles entre les
ER
Chefs des Armées , & tant de con
jurations des mêmes Chefs contre
les Empereurs : Et ſi quelques uns
de ces Empereurs , & mêmede ceux
qui gouvernérent l'Empire avec ré
D2
puta
76 DE L'ART DE LA
réputation, comme Adrian ,Marc Au
réle , Séyére & autres , euſſenteu aſlez
de prudence pour introduire l'uſage
de changer les Chefs dans cét Empire,
fans doute qu'ils l'euſſentrendu& plus
tranquile & plusdurable ,parce que les
Chefs auroient moins eu d'occaſion
d'exciter des troubles ; les Empereurs
moins de ſujet de crainte : & le Sénat,
dans les Succeflions vacantes , auroit
eu plus de pouvoir à élire les Empe.
reurs, & par conſéquent ces élections
auroientété plusjudicieuſes. Mais les
méchantes coûtumes ne ſe changent
point,ni pour lesmauvais , ni pour les
bons exemples; ſoit que cela vienne de
l'ignorance, ou de la négligence des
hommes .
Rucellai. Je ne ſai ſi mes queftions
-font cauſe que vous aiez quitté vôtre
premier deſſein,parce que du chapitre
de l'Elite,nous ſommes paſſez à un au
tre diſcours ; & ſije n'en avois d'abord
fait mes excuſes ,je croirois avoir don
né lieu à m'en faire des reproches.
Colonne. Ne vous mettez point en
peine
GUERRE , Liv. I.
17
peine à cet égard , parce que tout ce
diſcours'étoitnéceſſaire , aiant deſſein
22
de parler de vos Milices d'ordonnan
14
ce, leſquelles étant déſaprouvées de
US
bien des gens , il faloit que je lesjufti
fiafle pour faire valoir tout ce qui
EOS
ON
val
Of
regarde l'Elite. Mais devant que de
venir aux autres parties , raiſonnons
premiérement de l'Elite des gens de
cheval. Chez les Ancienson la faiſoit
dės gensles plus Riches , mais on re
OD
gardoit à l'âge & aux qualiter perſon
nelles du Cavalier;: & on en éliſoit
trois cens pour chaque Légion , en
-4
forte que dans les Armées Contulaires,
-
le nombre des Cavaliers Romains ne
paſſoit pas ſix cens:
Rucellai. Feriez -vous de la Ca.
.
One
valerie pour lui apprendre l'Exerci
ce chez vous, & la faire ſervir dans
TO
l'occaſion ?
UNI
Colonne: Cela eſt néceſſaire , & on
ne peut faire autrement , ſi- VOUS
voulez avoir des gens à vous , & non
pas de ces gens qui font métier de fer
vir tout le monde.
D
3
RH
78
DE L'ART DE LA
Rucellai. Comment vous y pren
driez vous pour en faire l’Elite ?
Colonne. J'imiterois les Romains,je
prendrois des plus Riches,je leur don .
nerois des Oficiers , commeon fait au-'
jourd'hui aux autres , je les armerois &
leur apprendrois l'Exercice.
'Rucellai. Pour ceux là ne faudroit.
il point leur donner quelque paie ?
Colonne. Oui bien : mais ſeulement
pour nouſir le cheval, parce que les
Sujets auroientlieu de ſe plaindre , fi
on les obligeoit à faire de la dépenſe:
c'eſt pourquoi il faudroit leur paier le
cheval & ſa nourriture.
Rucellai. Quelle quantité en vou
driez-yous mettre ſur pied , & com
ment les armeriez- vous?
Colonne. C'eſt paſſer à une autre ma
tiére : je vous le diraien ſon lieu; c'eſt
à dire, aprés queje vous aurai dit com.
ment il faut armer les Fantaflins, &
comment il les faut inſtruire pour les
rendre propres au Combat.
Fin du Premier Livre.
DE
)
79
DE
L'ART
DE
LA
GU ER RE.
LIVRE SECOND.
1
Colonne,
가.
I
E croi qu'ileſt néceſſaire
fi -tôt qu'on a des Soldats
de penſer à leur donner des
armes ; & quand cela eſt
réſolu , il faut auſſi éxaminer de quel
les armes les Anciens fe fervoient, &
en choiſir celles qui conviennent le
mieux aujourd'hui. Les Romains
partageoient leur Infanterie en Solo
D
4
dats
80
DE L'ART DE LA
dats péſamment armez, & en ceux qui
étoient armez à la légére. Sous ces
derniers étoient compris tous ceux
qui tiroient de la fronde & de l'arbalê.
te , & qui lançoient le javelot; & la
plupart d'entr'eux pour armes défen
fiyes , avoient le caſque en tête & une
rondache au bras.
Ceux - ci combat
toient hors des rangs, & éloignez des
gens peſammentarmez , qui de leur
Côté portoient-un caſque qui décen
doit juſques ſur les épaules , une cui
raſle , qui avec ſes Baſtest décendoit
juſqu'au génouil ; & ils avoient les
bras & les jambes couvertes de brar
farts & de jambieres avec un écu qui
éroit de la longueur de quatre pieds ,
& de la largeur de deux , aiant un
cercle de fer au haut pour l'affermir
contre la violence des coups , & un
autre au bas, pour l'empêcher de s'u
fer,en froccantcontre rerre. Pour ara
mes offenſives , ils avoient une épée
au côté gauche,longue de trois pieds,
& au côté droit un poignard . Ils aa
t Vos. Rem ,
voient
5
GUERRE , Liv. II. 81
voient auſſi un dard à la main , qu'ils
lançoient à l'Ennemi au commence
ment du Combat.
C'etoit là toute la
force des armes des Romains avec lef
quelles ils conquirent l'Univers : Et
quoi que quelques-uns des anciens
Auteurs leur donnent ' , outre les ar
mes ci-deſſus , encore une halebarde
à la main ; faite en quelque maniére
comme un épieu ; je ne ſai pas come
ment's porrant un bouclier , on peut
avec cela manier une arme ſi péfante ;
car le bouclier empêche qu'on ne la
puiſſe manier à deux mains; & il eſt
impollible de ſe ſervir d'une arme fi :
peſante , avec une ſeule main : Vu
tre que c'est une choſe inutile de com
barre avec des armes à hampe dans les
Rags.; fi cen'eſtdans le prémier, où
l'on a l'eſpace libre, pourdonner tou
te l'érenduë néceſſaire au mouvement
de telles armes , ce qui ne peut ſe faire
dans les Rangs du milieu; L'ordre
dans une Bataille écant ( comme je
vous dirai lorſqu'il s'agira de fon or
donnance deſe reſſerrer toûjours,par
Di: 5
се
82
DE L'ART DE LA
ce qu'il y a bien moins à craindre ,
quoi qu'il y ait de l'inconvénient,
qu'à ſe mettre trop au large où le
danger eſt tout évident .
Ainſi tou.
tes les armes qui ont plus de quatre
pieds de longueur ſont 'inutiles dans
la mêlée : Parce qu'aiant cette forte
d'armest ſuppoſequelebouclier
ne vous embaraſſe pas ] vous ne pou
vez pas en offenfer un Ennemi qui
eft ſur vous : Si vous la prenez avec
une main afin de vous ſervir de vô
tre bouclier , il faut que vous la pre
niez par le milieu ; & alors vous en
avez tant de reſte par derriére , que
ceux qui y ſont vous empêchent de
la manier . Mais afin de vous faire
voir que les Romains n'avoient point
cette forte d'armes ,‫ و‬ou que l'aiant
ils s'en fervoient fort peu ; liſez tou
tes les Batailles qui font rapportées
dans Tite- Live , & vous y appren-.
drez qu'il y eſt fort rarement parlé
d'halebardes ; au contraire il dit toû .
jours que fi-tôt qu'on ayoit lancé le
javelot, on mettoit l'épée à la main.
Je
GUERRE , Liv. II.
83
Je veux donc qu'on laiſſe là cette
ſorte d'armes , & je veux m'en tenir
avec les Romains à l'épée , pour ar
E
mes offenſives ; & au bouclier avec
le reſte mentionné ci-deſſus , pour ar
mes défenſives.
5
Les Grecs ne s'ar
moient pas ſi peſamment pour la dé.
fenſe comme les Romains , mais
pour l'attaque ils faiſoient plus de
fond ſur la pique que fur l'épée, par
c
ticulièrement la Falange, ou Infan
terie Macédonienne , laquelle étoit
armée de piques qui étoient bien
longues de vingt pieds ; & c'eſt avec
ces armes qu'ils ouvroient les Rangs
1
des Ennemis en ſe conſervant en or
dre dans leurs Bataillons. Et bien
que quelques Auteurs diſent , qu'ils
portoient encore avec cela le bou.
clier , c'eſt ce que j'ai peine à croi
re , pour les raiſons que j'ai alléguées
ci-deſſus.
Outre cela je me ſouviens
que dans la Bataille que Paul Emile
1
li
livra à Perſe Roi de Macédoine , il
n'eſt point parlé de boucliers , mais
de cette ſorte de piques qui donnê.
D
6
rent
84. DE L'ART DE LA
renc tant de peine aux Romains . Je ,
me figure donc, queles Falanges Ma
cedoniennes étoient à peu prés, ce que :
font aujourdhui les Bataillons Suiſ ,
(es , qui ont toutes leurs forces dans
leurs piques, · Les Romains , outre
les armes , ornoient leurs fantaſlins
de panaches ; & cela ſert à rendre la
vụë des Troupes plus belle aux amis, ,
& plus terrible aux Ennemis. Les .
armes de la Cavalerie Romaine , dans
cette prémiére antiquité , éroient un
bouclier rond , avec la têcę couverte ,
& le reſte étoit fans. défence. Ils
avoient l'épée & une Javeline longue
& menųë , qui étoit ferrée par un des ;
bouts. Cetre arme les empêchoit de :
tenir le bouclier ferme ; Ele fe rom
poit même en fe tournant & en feré.
muant , & étant ainſi découverts
ils demeuroient expoſez aux coups.
En ſuite avec le tems ils s'armérent
comme l'Infanterië , mais ils avoient
le bouclier.plus court & quarré ., la
Javeline plus folide & ferrée, par
les
de
ux
3
EUERRE ,, Liv . II. 85
TE
deux bouts, afin que l'uo fe defer
rant , ils puſfent ſe ſervir de l'au..
ne
tre : Avec
F.
pied qu'à cheval ', mes Illuſtres An..
ES
e
3
toutes ces armes tant à
cêtres conquirent tout le: Monde :
d'où il eſt aiſé de croire ; vû le . ſuc.
cés , que leurs Armées étoient en i
meilleur ordre qu'aucunes qu'on eût :
jamais vües . Tite Live le marque
es
allez dans ſon Hiſtoire , où en par.
lànt dés Armées des Ennemis , il dit ;
0
Mais les Romains ; par leur bra .
voure, i par la forte d'armes dont :
ils ſe fervoient : par leur Diſci.
pline, l'emportoient ſur eux : : C'eft
pourquoi j'ai plus parlé des armes
1
des vainqueurs que de celles dess
vaincus: : Il faut parler à cette heu.
re ſéparément :des armes d'aujour
dhui. Les fantaſſins ont pour armes
S
1
71
1
défenſives , une cuiraſſe de fer ſur
l'eſtòmac , & pour offenſives , une pi-,
que longue de dix buit pieds,ayec une :
épée aucôté moins pointuëque ronde.
Voilà comme on arme l'Infanterie
àà pree
>
86
DE L'ART DE LA
à préſent pour l'ordinaire , parce
qu'il y en a peu qui aient le dos &
les bras couverts, & pas un la tête;
& ce petit nombre dont on couvre
les bras & la tête , porte au lieu d'u
ne pique , une halebarde , dont la
hampe eſt longue de ſix pieds , & le
fer a la figure d'une hache d'armes.
Ils font entremêlez de Mouſquetai
res , qui avec la furie du feu , font
ce que faiſoient Anciennement les
tireurs de fronde & d'arbalète.
Cette maniére de s'armer a été in.
ventée par
les Peuples d'Allemagne,
ſur tout par les Suiſſes , qui étant
pauvres, & voulant vivre en liberté,
étoient & font encore obligez de fe
défendre contre l'ambition des Prin.
ces d'Allemagne , qui étant Riches
peuyent entretenir de la Cavalerie ,
ce que ces Peuples-ici n'ont pas le
moien de faire ; .. Ainſi étant à pied
& voulant ſe défendre de leurs En .
nemis qui étoient à cheval , il a falu
qu'ils aient recherché chez les An
ciens, & trouvé l'ordonnance & les
ar
GUERRE , Liv. II.
87
63
armes propres pour ſe défendre con
tre. l'impétuoſité de la Cavalerie.
ere
Cette néceſſité leur a fait conſerver,
ou renouvelier cette ancienne méto.
D
de , ſans laquelle comme des gens
I
expérimentez l'aſſurent , l'Infante .
ch
rie cít tout à fait inutile.
16
EN
donc pour cela qu'ils ont pris les pi
ques , armes trés propres , non ſeu
ODI
ſement pour ſolltenir la Cavalerie ,
C'eſt
Ete.
mais auſſi pour la vaincre. Et les Ale
lemans envertu de ces armes , ſont
ID
devenus ſi aſſurez que quinze , ou
ney
vingt mille de leurs Fantaſſins atta
le
fût de Cavalerie , dont on a vû bien
18
queroient quelque nombre que ce
des preuves depuis vingt-cinq ans.
10
Les éxemples de leur valeur , fon
les
dée ſur ces armes & ſur cette ordon
nance , ont été fi grands, que de
le
puis que Charles Huit paffa en Ita
lie , toutes les Nations les ont imi.
D.
tez ; En forte que par là les Armées
lu
Eſpagnoles ont aquis une grande ré.
0.
putation .
ef
to
Ru
88 DE’L'ART DE LA
Rucellai. Qu'elle maniere approu.
vez vous le plus, ou celle ci des Al.
lemans , ou celle des Anciens Ro.
mains ? :
Colonne. C'eſt celle des Romaitis
aſſurément , & je vais vous dire le
fort & le foible de l'une & de l'au.
tre maniére. L'Infanterie Allemande :
peut foûtenir;& même défaire la Caor
valerie : : Ils ſont plus propres " pour
la marche & pour ſe mettre en or
dre de Bataille , n'étant point char
gez d'armes . D'autre côté , ils font
expoſez à tous les coups & de prés
&
de loin ; n'étant point : couverts
d'armes défenfives : Ils ſont inutiles
pour attaquer les places , & pourtout :
Combat. où la réſiſtance eſt vigoureuſe. Au contraire les Romains
faûtenoient & défaiſoient · la Cava .
lerie ; commeles Allemans: de plus
étans couverts d'armes défenſives ,
ils étoient à couvert de coups de
prés & de loin : Ils pouvoient bien
mieux donner le choc & le foûte
nirs
GUERRE , Liv. II. 89
Dans la
1
nir , aiant des boucliers.
b
mêlée ils pouvoient ſe ſervir plus
aiſément , de l'épée que les Alle
1
e
.
:
1
mans de la pique ; & même quoi
que ceux.ci aient auſſi l'épée , elle ne
leur ſeri de rien , n'aiant point de
Les Romains pouvoient
bouclier.
bien mieux donner l'aſſaut aux pla
ces , aiant le corps couvert , & le pou
voient encor mieux couvrir avec le
1
bouclier . Ainſi ils n'avoient point d'au
tre incommodité , que la peſanteur
des armes , 8 la fatigue de les porter,
ce qu'ils ſurmontoient en ſe formant
aux incommoditez , & en -s'endirciſ:
fant à la fatigue : Car vous ſçavez
que les choſes accoûtumées nous ,
font bien peu de peine. De plus
a
l'Infanterie peut avoir affaire , ou di
d'autre Infanterie, ou à la Cavalerie ,
& ceux qui ne peuvent qu'à peine
folltenir la Cavalerie , auront encore ·
à craindre de l'Infanterię mieux armée ;
& mieux conimandée qu'eux :, & l'on
1
peut dire que ce ſont des Troupes qui :
ne fervent ſouventde rien, A préſent
90
DE L'ART DE LA
ſi vous éxaminez l'Infanterie Alle .
mande & celle des Romains , vous
trouverez que l'Allemande eſt pro
pre à défaire la Cavalerie : mais en
revanche elle a un grand déſavanta,
ge quand elle a afaire à une Infan
cerie ordonnée comme la leur , &
armée comme la Romaine : En
ſorte que la différence de l'une à
l'autre ſera ,, Que les Romains
pouront yaincre & l'Infanterie
& la Cavalerie ;
Mais les Alle
mans pouront ſeulement vaincre la
Cavalerie.
Rucellai. Je voudrois bien que
vous vinſſiez à quelque éxemple plus
particulier afin de mieux compren
dre la choſe.
Colonne. Je dis donc que vous
trouverez en mille endroits de l'Hi
ſtoire Romaine
Que leur Infan.
terie a deffait bien des fois la Cava .
lerie , mais jamais vous ne verrez
qu'ils aient été battus par d'autre
Infanterie , quelque défaut qu'ils
euflent dans leurs armes , ou quel
que
GUERRE, Liv. II.
8
91
que avantage que les Ennemis euf
ſent dans les leur.
Car fi leur ma.
niére de s'armer avoit eu quelque
défaut , il faloit qu'il s'en enſuivît
de deux choſes l'une ; ou que trou
vant des gens mieux armez qu'eux ,
&
ils ne fiffent plus de Conquêtes , ou
qu'ils laiſſaſſent leur maniére pour
1
prendre celle des Etrangers ;
1
parce qu'il n'arriva ni l'une , ni l'au
3
2
Et
tre de ces deux choſes-là , il eſt fa .
cile de conjecturer que leur métode
étoit meilleure que celle de tous les
autres. Mais il n'eſt pas arrivé la
même choſe à l'Infanterie Alleman.
de , parce qu'ils ont eu de mauvais
fuccés toutes les fois qu'ils ont eu à
combattre d'autre Infanterie aufli
ferme qu'eux , & qui ſuivoient la
même ordonnance ; ce qui n'eſt ve
nu que de l'avantage que leurs En.
nemis ont eu par le moien de leurs
armes. Philippe Viſconti Duc de
Milan étant attaqué par dix -huit
mille Suiſſes, leur oppoſa le Comte
Carmignole ſon Général; qui avec
fix
DE L'ART DE LA
92
fix mille Chevaux & peu d'Infantea
rie alla à leur rencontre ,
& étant
yenu aux mains avec eux , il fut re
pouſſé avec grand perte. De forte
que ce Comte , qui étoit un homme
fage ,, connût d'abord la force des
armes de fes Ennemis , quels avan
tages ils avoient ſur la Cavalerie , & :
combien la Cavalerie étoit peu de
chofe contre de l'Infanterie en telle
ordonnance : Ainfi aprés avoir rallié:
ſes gens , il retourna à la charge con
treles Suiſſes.,dont étantproche , il fit
mettre pied à terre à ſes Gendarmes,,
& les combattant de cette derpiére
façon , il les tailla tous en pieces, à la
reſerye de trois milles , qui ſe rendi
rent en mettant bas- les armes', par :
ce qu'il fe voioient tous détruire,,
{ans y. pouvoir apporter de . remé
de..
Rucellai:
D'où peut venir un fi grand défa
avantage ?
Colona
GUERRE , Liv . II. 93
To
Colonne.
Il n'y a pas long tems que, je
It
yous l'ai dit , mais puiſque vous
ne l'avez pas entendu je le ré.
de
peterai. L'infanterie Suiſſe ( com
I
me vous avez vû n'agueres) n'aiant
prefque "point d'armes défenſives ,
à pour armes offenſiyes l'épée & la
pique; Et marchant ayec ces armes
el
E!
& dans ſon ordonnance , elle vient
à la rencontre de l'Ennemi, quiétant
auſſi bien muni d'armes défenſives,
comme étoient les Gend'armes de
Carmignole, qu'il fit mettre pied à
terre ,
n'a qu'à mettre l'épée à la
main , en gardant bien ſes rangs ; &
toute la difficulté qu'il a , c'eſt de
joindre les Suiſſes ; car dés-qu'il les
a joint il les combat en toute lure
té; parce que le Suiſſe ne peut ſe
ſervir de la pique, qui eſt trop lon
gue contre un Ennemi ſi prés de
lui ; de forte qu'il faut qu'il mette
l'épéc à la main , de laquelle il ne tire
i
aucun
94 DE L'ART DE LA
aucun avantage , étant tout décou.
vert & ſon Ennemi armé de toutes pié
ces, Si donc vous examinez bien le
fort & le foible de l'un & de l'autre ,
vous verrez que celui qui n'a point .
d'armes offenſivesn'a point de refour
ce ; & un corps bien armé n'aura point
de peine à ſurmonter le premier choc
& à paſſer les premieres pointes des
piques : car les corps de Bataille
marchant toûjours ( comme vous le
verrez mieux, lors que je vous aurai
enſeigné comment on les diſpoſe )
& en marchant ils s'approchent les
uns des autres fi prés qu'il ſe pren
nent effectivement au corps ; & files
piques en renverſent quelques uns ,
ceux qui reſtent ſont en ſigrand nom
bre qu'ils ſuffiſent pour remporter
la victoire. C'eſt ce qui fit que Car
mignole vainquit avec ſi peu de
perte de ſon côté , & une ſi grande
boucherië du côté des Suiſſes.
Rucellai. Faites réflexion , que les
gens de Carmignole étoient des gens
d'armes , leſquels ,‫ و‬encore qu'ils luis
ſent
1
2
GUERRE , Liv. II. 95
fent à pied , étoient tous couvertsde
fer , ainſi ils n'eurent pas de peine à
faire ce qu'ils firent , je penſerois
donc que pour faire la méme choſe
qu'eux , il faudroit armer l'Infante
rië de la même maniere:
1
C
s
Ĉ
Colonine.
Si vous vous ſouveniez
comment je vous ai dir que les Ro.
mains s'armoient , vous n'auriez pas
cette penſée : Parce qu'un fantaiſin
qui ale caſque en tête, le corps dé
fendu par la cuiraſſe & le bouclier :
aiant de plus les bras & les jambes
3
j
1
.
couvertes ,
eft plus propre pour le
défendre contre les piques , & paſſer
au travers , que n'eſt un gendarme
qui a mis pied à terre . Je veux vous
en donner quelque exemple moder
1
ne. On avoit débarqué de Sicile dans
Ć
le Roiaume de Naples', de l'In
fanterie Eſpagnole qu'on envoioit à
Conſalve , qui étoit alliegé dans Bar
3
$
1
lette par les François ; Monſieur d'Au
bigni leur alla au devant avec les
gendarmes , & avec environ quatre
mille fantaſlins Suiſſes : les Suiſſes
vin
96
DE L'ART DE LA
vinrent aux mains, & avec leurs pi.
ques bafles , firent jour au traversde
l'Infanterie Eſpagnole ; mais ceux
ci à l'aide de leur rondache & par
leur agilité , ſe mêlérent avec les Suif.
ſes, en forte qu'ils pouvoient les join .
dre avec l'épée ; D'où s'enſuivit la
défaite de ceux -ci, & la Victoire des
Eſpagnols. Chacun fait combien
furent tuez des mêmes Suiſſes à la
Bataille de Ravenne , ce qui arriva
pour la même raiſon ; parce que
'Infanterie Eſpagnole vint l'épée à
la main ſur eux , & ils auroient été
tous taillez en piéces ; s'ils n'euſſent
pas été fecourus par la Cavalerie
Françoiſe: Cepeodant les Efpagnols
s'écant bien reſſerrez enſemble , ſe
retirérent en lieu de ſûreté.
Jecon
clus donc , qu'une bonne Infanterie
doit non ſeulement ſolltenir la Ca.
valerie , mais elle ne doit pas non
plus craindre d'autre Infanterie ; ce
qui ne dépend que de la maniére de
l'armer, & de la mettre en ordonnance ,
commeje l'ai déja diz bien des fois.
Rucellai .
2
1
S
1
1
GUERRE , Liv . II. 07
Rucellai. Dices- nous donc comment
vous les armeriez.
Colonne. Je prendrois des armes
des Romains & de celles des Alle.
mans , & je voudrois que la moitié
fût armée comme les derniers , &
l'autre moitié comme les Romains.
Car fi dans ſix mille Fantaſſins (com
me je vous dirai bien - tôi ) j'en avois
trois mille avec les boucliers à la Ro
maine , & deux mille Piquiers, &
mille Mouſquecaires à l'Allemande ,
j'en aurois aſſez ; parce que je pla
cerois mes Piquiers de front, ou dans
l'endroit où je craindrois le plus la
Cavalerie ; & j'épaulerois ces Pi
quiers de l'autre Infanterie , afin de
gagner la Bataille comme je vous
moncrerai.: . Car je croi qu'une In
fanterie en telle ordonnance , pou
' roit vaincre aujourd'hui toute autre
Infanterie.
Rucellai. Tout ce que vous a
vez dit juſqu'ici , nous ſuffit pour
l'Infanterie : Mais pour la Cavale
rie , nous voudrions bien ſavoir quel.
E
le
88
DE L'ART DE LA
le maniére d’armer vous paroit la
meilleure , ou la nôtre , ou l'an
cienne .
Colonne. Je croi que dans ce tems
ici , eu égard aux felles qui ont des
arçons & aux étriers , inconnus aux
Anciens , l'on eſt plus ferme à che.
"‫ر‬
val que dans ce tems - là. Je croi
même que les armes ſont plus af
feurées ; en ſorte qu'à préſent un
Eſcadron de Gendarmes peſant
beaucoup , eſt plus dificile à loûte
nir que la Cavalerie ancienne .
Ce
pendant je ne croi pas qu'on doive
faire plus de fond ſur la Cavalerie
qu'autrefois ; parce que comme je
l'ai remarqué ci-devant , elle a fou
vent perdu ſon honneur dans nos
jours contre l'Infanterie ; & ils le
perdront toûjours contre de l'Infan
terie armée & ordonnée comme je
l'ai dit. Tigrane Roid'Arménie a
voit cent cinquante mille Chevaux ,
dont pluſieurs étoient armiez de tou
tes piéces comme nos Gendarmes :
Lucullus qui commandoit l'Armée
Ro
GUERRE , Liv. II . 99
Romaine n'avoit que « fix mille Che .
vaux & quinze mille Faorallins: 'En
forte que Tigrane les voiant dit ;
$
5
Voila aſez de Chevaux pour une Ain .
baffade. Cependant étant venu aux
mains il fut defait :
Et celui qui
fuit I Hiſtoire de cette Bataille en
donne le blâme à cette Cavalerie pe
famment armée
1
qui parut inuti.
le ; Parce , dit-il , que ces Gens -ld
aiant le viſage couvert
ils étoient
peu propres àvoir 6 d attaquer l'En .
nemi; 6 étant chargez d'armes , ils
Ć
Ć
e
Ć
-)
to
ne pouvoient pas ſe rélever étant tom .
bez , ni ſe manier eux -mêmes en at .
: cune forte. Je ſoûtiens donc que les
Etats qui conſidéreront plus la Ca.
- valerieque l'Infanterie , ſeront toû
jours plus foibles que les autres , &
plus expoſez aux pertes , comme ce
la s'eft vû de notre tems en l'Ira .
lie , qui a été ravagée par les Etran
gers , non pour autre défaut , que
pour avoir négligé l'Infanterie & fait
trop d'étar de la Cavalerie . Il faut
pourtant avoir de la Cavalerie , non
E
2
pour
DE L'ART DE LA
pour premier , mais pour ſecond fon
100
dement de fon Armée ; parce que la
Cavalerie eſt fort propre à faire les
découvertes , à courir & ravager le
Pais Ennemi, à fatiguer ſes Troupes
& les tenir en allarme , à couper les
Convois & à d'autres choſes ſembla
bles . Mais pour les Batailles , ou
les Combats en raſe Campagne , qui
ſont tout ce qu'il y a de conſidéra
ble à la Guerre , & pourquoi on
met des Armées ſur pied , la Cava
lerie eſt plus propre à pourſuivre un
Ennemi défait qu'à faire autre choſe
dans les rencontres s où elle eſt in
férieure de beaucoup á l’Inſante .
rie.
Rucellai.
9출
Il me vient deux diffi
cultez dans l’elprit. L'une que je
fai que
les Parthes faiſoient toutes
leurs expéditions Militaires avec de
la Cavalerie ; & cependant ils parta
gérent l’Empire du Monde avec les
Romains. L'autre que je voudrois
bien que vous me diſſiez comment
l’Infanterie peut ſe défendre contre
la
5
GUERRE, Liv. II.
3.
IOI
la Cavalerie ; & d'où vient que la "
prémiére eſt fi excellente & l'autre
fi peu .
Colonne. Je vous ai dit
ou du
moins j'ai eu deſfein de vous dire ,
que je ne prétendois point traitter
des affaires de la Guerre , qu'à l'é
gard de ce qui ſe paſſe en Europe:
Et cela étant je ne ſuis pas obligé
de vous rendre raiſon de ce qui ſe
paſſe en Afie. Cependant j'ai à vous
dire que la maniére de combatre des
Parthes étoit toute contraire à celle
des Romains , parce que les Parthes
combattoient tous à cheval, & dans
le Combat ils marchoient ſans ordre
& comme des gens en déroute ; &
cette maniére n'étoit ni ftable , ni
réglée. Les Romains au contraire?
étoient preſque tous à pied & com
battoient ſerrez enſemble & de pied
ferme ; & ſelon que le terrein étoit
large ou étroit , ils avoient tantòr
· les uns & tantôt les autres , l'avan
tage chacun à leur tour : Car dans
un terrein étroit les Romains avaient
du
E 3
TOZ
DE L'ART DE LA
du meilleur ; & dans un autre, c'é,
toit les Parthes , qui pouvoient fai
re des merveilles par rapport au Pais
qu'ils avoient à défendre ; car il eſt
extremément large , étant éloigné
de la Mer d'environ quatre cents
lieuës ; les Riviéres font diftantes
l'une de l'autre de deux ou trois jour
nées, les Villages auſſi & les Flabi
tans font rares : De
forte qu'une
De forte
Armée Romaine peſante & lente, ne
pouvoit pas y faire des Courſes fans
grand péril ; parce que ce Pais.là :
étoit défendu par de la Cavalerie
légere & pronte , de forte qu'elle é.
toit un jourproche ,& le lendemain à
vidt lieües. Aind les Parthes pou.
voient tirer de grands avantages par
leur Cavalerie , comme il paroit par
la défaite de Craſſus, & par les péa
rils qu'a courus Marc Antoine. Mais,
comme je vous ai dit , je ne prétens
point parler dans tout, ce diſcours de
ce qui regarde la Milice qui eft hors
de l'Europe ; C'eſt pourquoi je
m'en tiens a ce qu'en ont établi les
Grecs
GUERRE , Liv . II. 103
Grecs & les Romains , & à ce que
pratiquent aujourd'hui les Allemans.
Mais venons à vôtre autre queſtion ,
aſſavoir par quel bon ordre , ou par
quelle valeur naturelle l’Infanterie
l'emporte ſur la Cavalerie ? Je vous
dirai d'abord que les Cavaliers ne
peuvent pas aller par tout comme les
Fantafſins ; Ils ſont plus lents à é. '
xécuter les ordres , lorſqu'il en faut
donner pluſieurs differens , que ne
font lus Fantaflins : Car s'il eſt né.
ceſſaire en marchant avant , de re
tourner bride ; ou quand on a tour
ne le dos de faire face ; ou de faire
des mouvemens lorſqu'on a fait hal.
te ; ou en marchant de faire ferme ;
il eſt fans doute que la Cavalerie ne
le fera pas fi à point nommé que
l'Infanterie : Lorſque la Cavalerie
eft en déſordre par quelque forte at
taque , quoi que cecre attaque ceſſe ,
elle ne reprendra ſes Rangs qu'avec
peine ; ce qui arrive fort rarement à
l'Infanterie .
Il arrive outre cela ,
qu'un homme de courage fera fou..,
E
4
vent
104
DE L'ART DE LA
vent monté ſur un méchant cheval , &
un lâche aura un chevalde cæur , &
cette diſproportion fera ſans doute du
défordre .
Il ne faut pas s'étonner
qu'un peloton de Fantaſlins fo @ tien
ne le choc d'une troupe de Cava
liers, parce que le cheval étant un
animal qui fent le péril , il ne s'y
jette pas volontiers ; car fi vous rea.
gardez bien à ce qui le fait avançer .
& à ce qui le fait réguler , vous ver- ,
rez que ce qui l'arrête eſt plus fort
que ce qui le pouſſe ; puiſque ce n'eſt
que l'éperon qui le pouſſe , mais ce
font les piques & les épées qui l'ar..
récent : En ſorte qu'on a vû
dans notre siécle & dans celui des
Anciens , .qu'un peloton d'Infante
rie eſt en fûreté ou même inſurmon .
table à la Cavalerie.
Et ſi vous m'o .
poſez à cela que la fougue avec la
quelle il vient , le rend plus furieux à
comber ſur ceux qui prétendroient
le ſolltenir , & à mépriſer davantage
la pique que l'éperon: Je répons
que ſi le cheval , quoi qu'en haleine,
con
GUERRE , Liv. II. 105
commence à voir qu'il faut le jeeter
ſur les pointes des piques, de lui-mê.
me il rallentira ſon impétuoſité ;*
en forte qu'il s'arrêtera tout court
dés qu'il ſe ſentira piqué ; ou enfin
étant tout prés il tournera à droite
ou àgauche. Mais ſi vous en voua lez faire l'expérience , pouſſez un
cheval contre un mur , vous en trou.
verez fort peu , de quelque fougue
qu'ils marchent, qui veuillent bien
у donner. - Céſar aiant à combattre
les Suiſſes dans les Gaules , mit pied
à rerre & le fit mettre à tout le mon.
de, faiſant éloigner les chevaux des
Eſcadrons , comme étans plus pro
pres à fuir qu’à combattre.
Mais
pourtant quoi que les chevaux aient
naturellement ces défauts , un Chef
qui conduit de l'Infanterie , doit en
core choiſir ſes marches par des lieux
où il y ait le plus qu'il fe pourra
d'embarras pourla Cavalerie , & di
ficilement arrivera t- il que le Fan
tallin ne fe puiſſe couvrir parla qua.
lité du Pais.
Si vous marchez en
E
s
Pais
106
DE L'ART DE LA
Pais de Collines , la ſituation vous
mer à couvert de ce que vous appré
hendez .
Si vous marchez en Pais u
ai , vous trouverez peu de plaines
qui ne vous fourniſſent quelque
maien de vous défendre de la Cava ..
lerie ., ou par des buiſſons , ou par
des lieux plantez ; car le moindre
taillis , ou une levée quoi que peti
te, rallentit la fougue du cheval, &
tout lieu planté de vignes & d'arbres
l'embaraſſe. Dans un jour de Batail
le vous avez tous les mêmes avanta
ges que dans la marche ; parce que
le moindre obftacle que trouve un
cheval , cela lui rallentit ſa fougue.
Il faut pourtant que je vous dife , .
que les Romains faiſoient tant de
fond ſur leur belle Ordonnance ‫& ز‬
fe confioient fi fort dans la bonté de
leurs armes ; que s'ils éroient en pou .
voir de fe pofter dans un lieu aſſez
fort pour fe garder contre la Cava
lerie
Mais où ils n'auroient pas
pû étendre leurs Bataillons ; & qu'ils
euſſent pû en même tems prendre un
au .
GUERRE , Liv.II.
107
autre Poſte, où ils auroient eu plus
à craindre de la Cavalerie , mais où
ils auroient pů étendre & mieux diſ
poſer leur Infanterie , ils ne man
quoient jamais de préférer ce dernier
à l'autre. Mais puiſqu'il eſttems de
venir á l'Exercice , aprés avoir armé
l'Infanterie & à la moderne & à l'ana
rique, nousverrons quels Exercices
lui faiſoient faire les Romains avant
que de la mener en Campagne pour
donner Bataille. Quoi qu'on ait
fait une bonne Elite , & qu'elle foie
encore mieux pourvûe de toutes ſor
tes d'armes , il faut pourtant outre
cela leur apprendre l'Exercice avec
beaucoup de foin , parce que fans
cela jamais on ne peut tirer bon ſer
yice d'un Soldar.
Il faut diviſer ces
Exercices en trois ; L'un pour en
durcir le Corps , le rendre plus ca
pable de ſupporter toutes fortes
d'incommoditez , & lui donner plus
5
d'agilité & d'adreſſe . L'autre pour
apprendre aux Soldats à bien ma
។
nier les armes. Le troiſiéme pour
5
;
E
6
lur
108 DE L'ART DE LA
lui apprendre à bien éxécuter le
Commandement á l'Armee , ſoit dans
la marche , dans le Combat
OU
dans le Campement & lorſqu'il felo .
ge .
Ce font là les trois principales
actions que les Troupes doivent fai,
re : Car pourvû qu'une Armée mar
che , campe & combatte en gardant
fes, Rangs & obſervant bien ce qu'el
le a appris, le Général ne laiſſe pas
d'en remporter de l'honneur, encore
qu'il n'eût pas d'avantage dans la
Bataille . C'eſt donc pour cela que
toutes les anciennes Républiques
ont ſi bien pourvû à ces Exercices &
par la pratique & par les bonnes or ,
donnances qu'elles faiſoient, en ſor.
te qu'on n'en a jamais négligé la
moindre partie .
Les Anciens donc
éxerçoient leur jeuneſſe pour leur
donner la viteſſe du corps , l'adreſſe
à ſauter , la force à arracherles pieux
d'une paliſſade, ou à faire la lurce.
Ces trois qualitez ſont preſques né
ceſſaires dans un Soldat :
Car la vj.
teſſe le rend propre à prévenir l'En
nemi
GUERRE , Liv. II. 109
nemi dans la priſe d'un Poſte , à étre
ſur lui lorsqu'il vous croit loin , & à
le pourſuivre lorſqu'il eſt une fois en
déroure. L'adreſſe le rend propre
à parer le coup , à ſauter un foſſé , à
monter une digue .
La force le rend
propre à porter les armes & le baga
ge , & à bien donner , ou bien ſoll.
tenir le choc.
Mais ſur tout pour
leur former le Corps à ſupporter de
grandes farigues, il les faur accoû.
tumer à porter de grands fardeaux.
Cette coûtume eſt fort néceffaire ,
parce que dans les Expéditions difi.
ciles , il faut que le Soldat , outre
ſes armes , porte encore dequoivivre
pluſieurs jours ; & fi on ne l'avoit fora
mé à certe fatigue il y ſuccomberoit,
& cela feul ſeroit cauſe qu'on ne pou
roit ſortir d'un mauvais pas , ou aqué
rir la gloire d'une Victoire. Pour ce
qui eſt de la méto dedont les Anciens
ſe fervoient pour inſtuire leur jeuneſſe
à manier les armes , voici comment
ils s'y prenoient. Ils vouloient que
les jeunes gens ſe couvriſſent d'armes
plus
IIO DE L'ART DE LA
plus peſantes au double que celles
qu'ils portoient à la Guerre ; & pour
épée ils leur donnoient un bâton gar
ni de. plomb qui peſoit bien davan
tage : ils leur faiſoient ficher chacun
un pieu en terre , qui en forroit à la
hauteur de fix pieds ; Mais ce pieu
devoir étre fi ſolide , que les coups:
ne devoient ni le rompre , ni le ren
yerfer: le jeune Soldat donc s'éxer
çoit contre ce pieu avec le bouclier
& le bâton ', comme ſi ç'eût été con
tre l'Ennemi , & tantôt il lui portoit
une botte , comme pour le bleſſer à
la tête ou au viſage , tantor comme
pour le prendre en flanc , quelque
fois comme pour le fraper par les
jambes ; tantòt il réculoit , en fuite
il avançoit. Er.dans cét Excrcice il
faloir qu'il obfervât tout à la fois à
fe rendre adroit à porter le coup , &
à fe mettre à couvert de celui de
l'Ennemi ; & comme leurs fauſſes ar.
mes étoient bien plus pefantes , cela
leur faiſoit paroitre les véritables
fort légéres.. Les Romains vouloient
que
5
1
* GUERRE , Liv. II. III
que leurs Soldats frapaſſent deſtoc,
& non de taille ; tant parce que le
coup eſt plus dangereux & le défaut
des armes plus aiſé à trouver , que
parce que celui qui porte une efto
cade ſe découvre moins
&
peut
porter plus de coups que s'il fra
poit du trenchant
Ne vous é.
tonnez pas fi les Anciens dêcen
doient dans tout ce nenu détail ;
parce que quand on penſe que des
hommes ont á en venir aux mains
1
l'on fait que le plus petit ayantage
eft de grande conféquence , & fou
E
venez-vous que les Auteurs en diſent
encore plus que je ne vous en enfei
gne ici : Car les Anciens croioient
qu'il n'y avoit point de plus grand
bonheur pour une République, que
de la voir remplie de gens bien éxer
cez aux armes; puiſque ce n'eft pas
Péclat de l'or & des pierreries quifait
que vos Ennemis fe foûmettent à
vous , mais la terreur des armes .
De
plus , les fautes que l'on fait ailleurs,
fe peuvent quelquefois réparer'; mais
non
IIZ
DE L'ART DE LA
as
non pas celles que l'on fait à la Guer
re , parce que la peine s'enſuit fur le
champ . Outre cela rien ne rend les
gens plus courageux que de ſavoir
comment il faut combattre , parce
que perſonne ne craint de faire met.
tre en pratique une choſe où il s'eſt
fort exercé.' Et c'eſt pour cela que
les Anciens vouloient que leurs Su
jets s'exerçaſſent dans tous les Exer .
cices Militaires . : Pour cela ils leur
faiſoient darder des javelots contre ce
pieu plus peſans que les véritables ,
parce qu'outre l'adreſſe qu'ils aqué
roient en tirant ſouvent , cette pelan
teur augmentoit la force de leurs
bras & les dénouoit mieux .
Ils leur
apprenoient encore à tirer de l'arc &
de la fronde , & ſur tout cela , ils a
voient erabli des Maitres d'Exerci.
се ,
En ſorte que quand il étoit
queſtion d'aller à l'Armée ,ils étoient .
déja Soldats & de cæur & d'adreſe.
Ilsn'avoientdonc plus rien à appren
dre qu'à marcher dans leurs Rangs
& à les garder , ſoit dans la marche,
foit
GUERRE, Liv.II . 113
foit dans le Combat ; ce qu'ils ap .
prenoient aiſément en ſe mêlant 2.
vec ceux qui aiant plus de ſervice
ſavoient mieux ce qu'il faloit faire
pour cela .
Rucellai. Quels Exercices leur fea
riez- vous faire à préſent?
Colonne.
Pluſieurs de ceux dont
nous venons de parler , comme de
:
les faire courir , de les faire lutter ,
1
de les faire ſauter , de les accoûtu.
mer à la fatigue avec des armies plus
peſantes que les ordinaires , de les
faire tirer de l'arc & de l'arbalête ;
j'y joindrois le mouſquet, qui eſt u
}
ne nouvelle invention , comme vous
ſavez , & qui eſt néceſſaire; Et j'aca '
1
coûtumerois toute la jeuneſſe d'un
Etat à de tels Exercices : Mais je
m'appliquerois bien davantage à cel
1
1
le dont j'aurois fait l'Elite , pour
remplir les Milices d'Ordonnance,
& je leur ferois faire l'Exercice tous
les jours de Fête. Je voudrois auſſi
i qu'ils appriſſent á nager , ce qui eſt
une choſe fort utile , car on ne trou
ve
.
114
DE L'ART DE LA
ve pas toûjours des Ponts pour paf
fer les Riviéres , & ' on n'a pas toû.
jours les Batteaux néceſſaires pour
ſe faire , en forte que vos gens ne
ſachant pas nager , vôtre Armée
perd de grands avantages , & de bel
les occaſions de faire quelque gran
de expédition. C'eſt pour cela que
les Romains vouloient que leur jeu .
neſſe s'exercât dans le champ de
Mars , parce que le Tibre étant pro
che , lorſqu'ils étoient las de s'éxer
cer ſur terre , ils ſe rafraichiffoient
dans l'eau , & par occaſion ils s'é
xorçoient à la nage.
Je ferois en.
core comme les Anciens en exerçant
la Cavalerie , ce qui eſt fort nécef
faire : Car outre qu'ils apprenoienc
á manier un cheyal , cér Exercice
les accoûtumoit encore á étre mai.
tres d'eux mêmes quand ils étoient
montez . C'eſt donc pour cela qu'ils
avoient fait dreſſer des chevaux de
bois , ſur leſquels ils ſe formoient,
voltigeant deſſus ,‫ و‬armez & défarmez,
fags avantage , & à toutes mains .
Ain.
GUERRE, Liv. II. ins
Ainſi au premier ordre du Commans
dant , la Cavalerie étoit en un mo
I ment toute à pied , & à un autre or
* dre elle étoit auffi- cot
remontée.
# Or comme ces Exercices á pied &
dá cheval étoient aiſez alors , á pré
lent auſſi un Etat qui voudroit les
faire prattiquer aux jeunes gens d'en .
3. tre fes Sujets, en viendroit aiſémeno
# á bour , comme cela ſe voit par ex
3. périence en quelques Villes du Cou
*
chant, où on le pratique comme il
I
ſuit.
Ils -merrent tous leurs Habi.
é tans en pluſieurs Compagnies , & á
ſ chaque Compagnie ils donnent le
& nom de l'eſpéce d'armes dont cha
| cune fe fert á la Guerre : Et parce
qu'ils y emploient des Piques, des
Halebardes , des Arcs, & des Mouf
quets , Ils diſent, les Compagnies de
Piquiers , d'Halebardiers, de Mouf
quetaires , & d'Archers. Il faut
donc que chaque Habitant déclare
dans quelle Compagnie il veut pren.
2
dre Parti : Mais parce que tout le
Monde n'eſt pas capable de porter les
0
ar
116
DE L'ART DE LA
armes , ſoit à cauſe de la vieilleffe
ou de quelqu'autre raiſon ; ils font
parmi cét enrollement général, une
Elite de chaque ſorte qu'ils appellent
des Jurez , qui aux jours de Fête
fontobligez de s'éxercer avec cette
forte d'armes dont ils ont pris leur
dénomination , aians tous leurs lieux
d'exercice marquez par le Public ,
& ceux qui font de la même Com .,
pagnie , mais non pas des Jurez
contribuent de leurs bourſes pour les
frais qu'il faut faire dans ces éxerci.
ces .
Donc ce que ces gens-lá font
ne pourrions- nous pas le faire aufli ?
Mais nôtre peu de prudence ne nous
permet pas de prendre aucun bon
parti. Ces exercices étoient cauſe
que les Anciens avoient de bonne In
fanterie , & qu'aujourd'hui les Na .
cions du côté du Couchant en ont
de meilleure que nous ; parce que
les Anciens dreſſoient leurs gens chez
eux comme les Républiques, ou dans
les Armées comme les Empereurs ,
pour les raiſons que nous avonsdites
ci.
T
GUERRE , Liv. II. 117
ci- deſſus.
Mais pour nous , nous
ne voulons pas leur apprendre l’E.
xercice chez nous ; & en Campa .
gne nous ne pouvons le faire , par.
ce que n'étant pas nos Sujets, nous
ne pouvons pas leur faire faire d'au
tre Exercice que celui qu'ils veulent
.
bien faire eux- mêmes . Et tout ceci
a été cauſe qu'enfin , en négligeant
les Exercices & les ordres mêmes ,
-
il eſt arrivé que les Etats ; & fur
tout ceux d'Italie , font tombez dans
<
une ſi grande foibleſſe. Mais reve.
nons á nos. Milices d'Ordonnance ,
& pourſuivant cette matière des E.
xercices ; je dis que ce n'est pas ara
ſez pour faire de bonnes Armées ,
d'avoir endurci les hommes , de les
avoir rendu forts , adroits & vîtes ;
il faut encore qu'ils apprennent á
garder leurs Rangs ; á obéir aux
Commandemens des Officiers ; á
ſuivre le Drapeau & le Tambour
même ; & ſur tout à faire bien tout
cela , en faiſant ferme , en faiſant
D
retraitte , en marchant avant & en
com .
13
118 DE L'ART DE LA
combattant , & même juſques dans
la marche ordinaire ; parce que fans
cirte Li'c pline tres - diligemment
obfervée & pratiquée ; une Armée
ne peut pas etre bonne ;
Car rien
n ' it li vrai que les gens les plus bra
ves, mais ſuns Régle & fans Diſci.
pline, font plus toibles que les cimi.
des qui
fonc bien Diſciplinez : parce
que le bon orure donne de la con.
fiance ; & la confufion au contraire
abbat le courage. : Mais afin que
-vous compreniez mieux ce que j'ai
à dire ci- apres , vous devez ſavoir
que chaque Nation dans les Milives
à toûjours fait des Corps principaux ,
qui quoi qu'ils leur aient impoſé di
férens noms , étoient pourtant com
poſez á peu prés du même nombre,
parce que preſque tous les ont for
mez de ſix à huit mille hommés : &
c'eſt ce que les Romains appelloient
Legion , les Grecs Phalanges, lesGau
lois d'un terme, qui en Larin revient
á celui de Caterve , & les Suiſſes
d'aujourd'hui, qui ſont les ſeuls qui
aient
1
GUERRE , Liv . II. 119
3
aient retenu quelqu'ombre de l'An.
cienne Ordonnance , l'appellent en
2
leur Langue d'un terme , qui dans le
nô re , revient à celui de Régiment.
Il eſt vrai qu'apres cla , ces Peuples
l'ont partagé en pluſicurs I'roupes
propres aux deſſeins qu'ils avoient.
Il me ſmile donc que nuus devons
former notre diſcours ſur ce terme
qui eſt plus connut, en ſuite nous
donnerons à ce Corps de Milice, la
1
I
meilleure forme que nous pourons ,
fuivant les meilleures diſpoſitions des
Anciens & des Modernes. Et par
ce que les Romains partageoient.
leur Légion , qui étoit compoſéede
cin4 á lix mille hommes , en dix Co.
hortes , je veux auſli que nous par
tagions nôtre Régiment ( qui ſera
compoſé de dix mille hommes, de
pied ) en dix Baraillons de quatre.
cent cinquante hommes chacun, dont
au
il y en aura quatre cent peſamment ar.
20
mez & cinquante armez à la légére: de
ces
To
Il
MA
1
t
Voicz les R marques.
120
DE L'ART DE LA
ces quatre cents il y en aura trois cents
avec l'epée & le bouclier', qu'on
appellera Ecuiers *, ou.Gensde Bou
clier ; Et les cent autres porteront
la pique , & feront appellez Piguiers
Ordinaires : Les gens - légérement
armez porteront des moulquets , des
arbalêtes , des pertuiſannes & des
rondaches , & ils conſerveront leur
ancien nom de Velitest :
Par con
ſéquent les dix Bataillons feront
trois mille Ecuiers,mille Piquiers Or
dinaires , & cinq cents Vélites auſſi
Ordinaires ; ce qui en tout fera qua
tre mille cinq cents. Mais parce
que nous avons dit que nous ferions
nòtre Régiment de fix mille hom
mes
il faut ajoûter á tout ceci mille
Piquiers Extraordinaires , & cinq
cens Vélites auſſi Extraordinaires :
Ainſi toute mon Infanterie feroit
compoſée moitié de Gens à Bouclier,
ou Ecuiers , & moitié de Piquiers
& autres Milicés. A chaque Batail
lon,
* Voiez les Remarqués. f V.les Rem .
GUERRE , Liv. II .
I21
lon , je donnerois un Comman .
dant , quatre Capitaines & cinquan
te Caporaux * ; & de plus aux Vélie
tes Ordinaires , je donnerois un Ca.
piraine avec cinq Caporaux. Pour
les mille Piquiers. Extraordinaires,
j'établirois trois Commandans ; dix
Capitaines & cent Caporaux ; &
aux Vélites Extraordinaires , je leur
5
donnejois deux Commandans , cinq
Capitaines & cinquante Caporaux.
Enfin par deſſus
tout cela , je met
trois un Chef Général de tout le
1
Régiment . Je voudrois que chaque
Commandant de Bataillon eût un
Drapeau & la Muſique † Militaire.
Partant un Régiment feroit compo
ľ
A
-$
ſé de dix Bataillons , de trois mille
Ecuiers , de mille Piquiers ordinai
res
d'autant d'extraordinaires ; de
cinq cens Vélites auſſi ordinaires , &
de cinq cens autres extraordinaires :
Tout cela feroit vôtre nombre de fix
mille Fantafſins ‫و‬, entre leſquels il y
àu
.
* Voiez les Remarques. † V.les Rem .
E
1
122
DE L'ART DE LA
auroit ſix cens Caporaux , quinze
Commandans avec chacun fon Dra.
peau & là Muſique Militaire ; foi.
xante -cinq Capitaines , & par deſſus
tout cela , le Colonel avec ſon Dra
peau particulier & auſſi fa Muſique.
Je vous ai répété volontiers toute
cette Ordonnance , afin que vous ne
confondiez rien
quand je yien
drai à vous enſeigner comment il
faut ranger les Armées en Bataille.
Je dis donc qu'un Princeou une Ré
publique, devroient régler de cette
maniére tous leurs Sujets , dont ils
voudroient faire des Milices d'Or
donnance , & faire autant de Régi
mens dans leur Pais qu'il s'en pour
roit faire ; & aprés qu'on les auroit
établis felon l'ordre ci-deſſus , vou .
lant les former au Commandement ,
il ſuffiroit de les éxercer Bataillon a.
prés Bataillon. Et encore que le
nombre de chacun de ces Bataillons
ne pût pas faire la figure d'une
juſte Armée , chaque Soldat cepen
dant peut apprendre tout ce qui
le
GUERRĖ , Liv. II.
123
regarde en ſon particulier ; parce que
dans les Armées il y a deux Ordres
à obſerver. L'un ce que chaque Sol
dat doit faire dans ſon Bataillon .
Et l'autre ce que chaque Bataillon
doit faire quand il eſt en Corps d'Ar
mée ; & les gens qui ſavent bien le
premier , obfervent aiſément le fe
cond :
Mais on ne peut jamais ob
ſerver ce dernier ſans ſavoir l'autre.
Chaque Bataillon donc , comme j'ai
deja dit, peut apprendre lui ſeul à
garder les Rangs & les Files dans
toutes ſortes de mouvemens & de
lieux ; & enſuite il apprendroit à ſe
ferrer , à entendre & á bien diſcerner
ce qu'on ſonne ſur le Tambour , ou
autre Inſtrument, car c'eſt par là que
fe fait le Commandement pendant
que l'on eſt aux mains. De force .
qu'il faut diſcerner par le Tambour
comme ſur lesGaléres par le Siflet )
ce qu'on doit éxécuter , ſoit que l'on
commande de faire ferme , ou de
marcher ayant , ou arriére ; de tour
ner à droite , ou à gauche . Ainſi
i
.
F 2
lor .
124
DE L'ART DE LA
lorſqu'on ſait tenir les Files de ma
niére qu'elles ne tombent point dans
la confuſion ni par le terrein , ni par
le mouvement ; lorſqu'on entend bien
les Ordres du Commandant , par le
moien du Tambour , & lorſqu'on
fait reprendre promptement ſon poſte,
ces gens- là peuvent enſuite facile
ment apprendre tout ce qu'ils ſont
obligez de ſavoir, lorſqu'ils ſonten
ſemble en aſſez grande quantité pour
faire une juſte Armée.
Mais parce
qu'une pratique générale n'eſt nulle
ment à mépriſer , on pouroit en tems
de Paix aſſembler une ou deux fois
par an , tout le Régiment , & lui
donner la figure d'une Armée, en lui
faiſant faire l'Exercice quelques
jours , comme s'il avoit à donner Ba .
taille , en mettant le Front, les Flancs,
& le Corps de Réſerve chacun dans
ſon poſte. Or parce qu'un Général
met fon Armée en Bataille , ou ſelon
l'Ennemi qu'il voit , ou ſelon celui
qu'il ſoupçonne , il faut dreſſer une
Armée ſelon l'une & l'autre de ces
vûës , en forte qu'elle puiſſe mar
5
5
5
7
e
GUERRE , Liv. II.
125
cher , & dans la marche même com
battre en cas de beſoin , en montrant
à vos Soldats ce qu'ils auroient à fai
re en cas qu'ils fuſſent attaquez par
tel , ou tel côté . Mais lorſqu'on
leur apprend á livrer bataille à l’En.
nemi qu'ils voient , il faut leurmon
trer comment le Combat doit com
mencer ; où ils doivent faire Retrait
te , s'ils ſont répouſſez ; qui ſont
ceux qui doivent rentrer dans les
Poſtes abandonnez ; á quels ordres
& quelles touches d'Inſtrumens Mi
litaires cela ſe doit faire ; à quelles
voix ils ont à obéir ; en un mor il
faut les éxercer ſi bien aux Batailles
& aux Attaques feintes , que cela leur
falſe naitre l'envie de ſe trouver aux
véritables .
Car.ſi une Armée eſt
remplie de courage , ce n'eſt pas par
ce qu'elle eſt remplie de gens déter
minez ; mais parce qu'elle eſt bien
diſciplinée & bien commandée ; par
ce que ſi je ſuis des premiers à com
battre , & que je fache où je dois fai
re Retraitte , lorſque j'aurai du pire,
F
3
&
126 DE L'ART DE LA
& qui doit reprendre mon Poſte, je
combaterai toûjours avec courage,
ſentant le lecours ſi prés de moi : Si
je fuis du ſecond rang des Combat
tans , je ne perdrai point la Tramon
tane pour voir les premiers répouſ
ſez , parce que je m'y ſerai préparé,
& je l'aurai méme ſouhaitté , afin
d'avoir la gloire de faire remporter
la Victoire à mon Prince , ſans que
ceux -là y contribuent. Ces Exerci
ces font d'une néceflité abfoluë lorf
qu'on mer ſur pied: une Armée tou
te nouvelle , & ils font néceſſaires
dans les vieilles Troupes ; car on voit
qu'encore que les Romains ſûffent
PExercice dés leur enfance , cepen
dant leurs Généraux , devant que de
ſe préſenter à l'Ennemi , le leur fai
ſoient continuellement répéter . Et
Joſephe dit dans fon Hiſtoire Que
Les continuels Exercices qu'on faiſoit
dans les Armées Romaines , rendoient
utile dans la Bataille
même cette
racaille , qui ne ſuit le Camp que pour
gagner quelque choſe , parce qu'ils ſa .
voient
GUERRE , Liv. II. 127
voient tous garder leurs Rangs & com
battre ſans les perdre. Mais pour les
Armées compoſées de nouvelles Le
vées , ſoit que vous les aiez miſes ſur
pied pour combattre auſſi-tôt ; ou
que vousen faſſiez des Milices d'Or
donnance pour l'occaſion , ſi elles ne
font point dreſſées à ces Exercices
lá , vous n'en ferez jamais rien , ſoit
en vous ſervant des Bataillons ſépa
rez , ou de toute l'Armée en Corps;
parce que comme il eſt impoſſible
de ſe paſſer de la connoiſſance de
l'Exercice , il faut entretenir ceux
qui le ſavent déja , & prendre dou
ble peine pour l'enſeigner aux autres;
ainſi qu'on yoit que pluſieurs excel
lens Généraux ſe ſont donnez des
peines exceſſives & pour l'un & pour
l'autre .
Rucellai. Il me ſemble que ce
diſcours vous a un peu éloigné de
vòrre matiére , parce que n'aiant
point encore déclaré les moiens de
diſcipliner les Bataillons , vous vous
F
4
étes
1
128
DE L'ART DE LA
étes mis à traitrer des Armees entié.
rts & des Batailles .
Colonne. Vous dites vrai , & ce
qui en eſt cauſe , c'eſt la forte paſ.
fion quej'ai pour ces Réglemens, &
le chagrin que j'ai de voir qu'on ne
les met pas en pratique ; cependant
ne doutez pasque je ne retourne fous
mon Drapeau.
Comme je vous ai
deja dit , le point le plus important
qu'on doit obſerver dans l'Exercice
des Bataillons , c'eſt de leur faire
bien garder leurs Files ; & pour bien
faire cela il faut les éxercer ſelon
l'ordre qu'on appelle de Limaçon.
Mais parce que je vous ai dit, que
chaque Bataillon doit étre compoſé
de quatre cens hommes peſamment
armez , je m'arrêterai ſur ce nom
bre .
Il faut donc les mettre en qua
tre - vingt Files de cinq à chaque
File:
Enſuite , ſoit que vous mar
chiez vîte , ou doucement , il faut.
les lier enſemble , & les féparer ;mais
pour bien faire comprendre com
ment cela ſe fait , il faudroit plâtôt
le
GUERRE , Liv . I I. 129
le faire voir à l'ail que le dire ; Ce
pendant cela n'eſt pas fort néceſſai.
re , parce que tous ceux qui ont un
peu d'expérience , favent comment
cela ſe pratique , ce qui n'eſt bon à
autre choſe qu'aapprendre aux Sol
dats à bien tenir les Files.
Mais
mettons enſemble un de ces Batail.
lons. Je dis qu'on leur donne trois
formes principales. La premiére &
la meilleure eſt de le faire épaix , en
lui donnant une forme qui faſſe la
valeur de deux quarrez . La ſecon
de eſt de faire le quarréavec le front
cornu .
La troiſiéme eſt de le faire
avec un vuide au milieu qu’on ap .
pelle Place. Le moien de l'aſſem-.
bler ſous la premiére forme peut é.
tre de deux ſortes.
1
L'une c'est de
faire doubler les Rangs ; c'eſt à di
re, que le ſecond entre dans le pre
mier , le quatriéme dans le troiſié
me ; le ſixiéme dans le cinquiéme ;
& ainſi de ſuite ; En ſorte qu'au
lieu de quatre- vint Files à cinq Sol.
dats par File , elles ſoient réduites à
F
5
quas
130 DE L'ART DE LA
quarante de dix hommes par File.
Énfuite il faut les doubler encore u
ne fois de la même maniére , en met
tant un Rang dans l'autre ;‫ & ر‬ainſi
vous avez vint Rangs á vint hom.
mes par . File . Cela fait la valeur de
deux quarrez á peu prés ; parce
qu'encore qu'il y ait aurant d'hom.
mes d'un ſens que de l'autre , ce
pendant ils ſe touchent par les cô.
:
Mais de l'autre ſens , ils ſont
éloignez l'un de l'autre de la lon.
gueur au moins de quatre pieds ; de
forte que vôtre quarré eſt plus long
de l'épaule au front que d'un flanc
2
á l'autre. Mais parce que nous au
rons ſouvent à parler du devant, du
derriére , & des côtez de ce Batail.
lon , & de toute l'Armée enſemble ,
Souvenez vous que quand je dirai
la tête , ou le front, je voudraidire
la partie de devant ; quand je dirai
l'épaule , j'entendrai le derriére ; &
quand je dirai les flancs , ce ſont les
Les cinquante Soldats ar
côtez .
mez à la légére , ou les Vélites Or
dinaires,
GUERRE, Liv. II.
131
dinaires du Bataillon , ne fe mêlent
point dans les autres Rangs ; mais
ils s'étendent ſur les Ailes du Batail
lon , quand il eſt rangé en bataille.
L'autre maniére pour ranger ces
Corps- là en bataille eſt la ſuivante ;
& comme elle eſt la meilleure , je
veux vous repréſenter au juſte de
quelle maniére on doit s'y conduire.
Je croi que vous vous ſouvenez de
combien d'hommes & de quels Ofi
ciers le Bataillon eſt compofé , &
quelle forte d'armes nous lui avons
données . La forme donc qu'il doit
avoir , étant rangé en bataille , eft ,
comme je l'ai déja dir , de vint files
de vint hommés chacune ; c'eſt à dis
re , de cinq files de Piquiers à la tê
te, & quinze d'Ecuiers pour le re
ſte : deux Capitaines feront à la tê
te , & deux à la queuë ; le Com
mandant avec ſon Drapeau & fes
Tambours fera entre les cinq files de
Piquiers & les quinze d'Ecuiers : les
Caporaux doivent étre ſur les deux
flancs
un à chaque file ; en force
F
6
que
132
DE L'ART DE LA
que chacun ait tes dix hommes à
côté de lui ; lesCaporaux qui ſeront
à gauche auront leurs hommes á leur
main droite , & ceux qui ſeront á
droite les auront ſur leur gauche.
Les cinquante Vélites ſeront ſur les
flancs & à la queue de la baraille.
Si vous voulez à préſent , que l'In
fanterie allant fa marche ordinaire ,
le -Bataillon ſe mette en bataille dans
la forme que nous venons de voir ,
il faut faire ainſi ;
Aiant réduit les
Fantaſlins en quatre-vint files , com
me nous avons dit ci-deſſus, à cinj
pour file ; & laiſſant les Vélites ou
à la têtc , ou à la queuë , mais hors
des Rangs ; il faut commander à
chaque Capitaine de ſe mettre à la
têre de chaque Compagnie , aiant
immédiatement derriére lui cinq fi
les de Piquiers , & le reſte d'Ecuiers;
que le Commandant , avec le Dra.
peau & le Tambour , ſoit dans l'ef
pace qui eſt entre les Piquiers & les
Ecuiers du ſecond Capitaine , & qu'ils
occupent le terrain de trois Ecuiers:
des
5
GUERRE,Liv .II.
133
des Caporaux , vint demeureront ſur
les ffancs des files du premier Capi-.
taine á fa main gauche : Et les vint
autres ſur les flancs des files du der.
nier Capitaine à la main droite. Re
marquez qu'un Caporal , qui a la
conduite des Piquiers , doit porterrla
pique ; & ceux qui ont des Ecuiers
à conduire , doivent avoir les mê.
mes armes que les Ecuiers .
Les fi.
les étant donc en cét ordre , & vou
lant dans la marche les mettre en ba.
taille , pour faire face , il faut que
vous ordonniez que le premier Ca.
pitaine faſſe ferme avec ſes vint files,
& que le ſecond continuë ſa marche
en tournant ſur la droite , qu'il aille
ſur les flancs des vint files qui ont
fait ferme., juſqu'à ce qu'il ſe ren
contre ſur lamême ligne du premier
Capitaine , & alors il fera ferme com
me le premier ; que le troiſiéme auſ
ſi continuant ſa marche , tourne de
même ſur la droite des Rangs qui
ont fait ferme, & marche juſqu'à ce
qu'il ſoit en même ligne que les deux
au
134
DE L'ART DE LA
autres Capitaines : que le quatrié.
me faſſe encore la même choſe en
tournant auſſi ſur la droite des autres
Rangs , juſqu'à ce qu'il arrive ſur la
même ligneque les autres Capitai
nes , où il fera ferme comme eux ;
& que tout auſſi-tôt les deux Capi.
taines des deux extrémitez de la fa .
ce , quittent la tête du Bataillon
pour aller à la queue ; & alors il ſe
ra dans l'ordre de bataille que nous
vous avons démontré n'aguéres.
Que les Vélites s'étendent fur fes
flancs , comme nous avons fait dans
la prémiére maniere de ranger en ba
taille \; Or cette premiére maniére
s'appelle , Doubler les Rangs en li
gne droite ; & celle- ci s'appelle, Dou
bler. les Kangs par les flancs.
La
premiére maniére eſt la plus aiſée
la ſeconde eſt plus dans les régles , &
plus á propos , & vous pouvez
mieux l'accommoder ſelon votre in
tention . Car dans la premiére , il
faut s'aſſujettir au nombre ; cing ,
vous produiſant dix ; dix , produi
ſant
rrrtroo
rrrrroo
rrrrroo
rrrrroo)
rrrrxX
{
Ci
2
te
. ..
.
fant
GUERRE,Liv. II.
fant yint , vint , quarante :
135
En for
te qu'en doublant en ligne droite ,
vous ne pouvez pas faire une face
de quinze , ni de vint -cinq , ni de
trente
ni de trente- cinq , mais il
faur aller comme le nombre vous
méne.
Cependant il arrive tous les
jours dans les Factions particuliéres
faudra faire une tête de fix ,
ou huit cens Fantaſſins ; en ſorte
qu il
que ſi vous doubliez les Rangs en
ligne droite , cela vous mettroir en
C'eſt pourquoi cette
ſeconde Ordonnance me plait plus
que la premiére , au défaut de la .
quelle on peut remédier par la pra
tique & l'Exercice de celle - ci . ( 1.
confuſion :
Figure . )
Je vous récommande donc , con.
me une choſe qui importe plus que
tout le reſte , d'avoir des Soldats qui
fachent prendre leurs Rangs' pronte
ment , & il faut les tenir en ces Ba.
taillons , les y éxercer , & les faire
marcher vîte , ſoit avant, ſoit arrié.
re ; les faire paſſer par des lieux difi
ci
DE L'ART DE LA
136
ciles ſans perdre les Rangs ; car les
Soldats qui ſavent bien faire cela
font des Troupes expérimentées; & )
quoi qu'ils n'aient jamais vû l'Enne
mi en face, ils peuvent paſſer pour
étre aguéries. Au contraire , ceux
qui ne ſavent pas obſerver tous ces
Ordres , paſſeront toûjours pour No
vices.
C'eſt la la maniére de mettre
les Soldats en Corps de bataille
quand ils ſont en marche par petites
files :
Mais lors qu'étant ainſi diſ.
poſez ; ils viennent à étre rompus
‫و‬
par quelque accident , ou par l'En
nemi , ou par le mauvais terrain , fi
l'on veut leur faire reprendre pron.
tement leurs Rangs ;
C'eſt là où
ſe trouve la difficulté , & ce qu'il y a
de plus important , & où il faut bien
poſſéder l'Exercice , & l'avoir bien
des fois pratiqué ;‫ و‬c'eſt auſli á quoi
les Anciens s'attachoient beaucoup .
Pour cela il faut faire deux choſes :
La prémiére, d'avoir chaque Batail
lon rempli de marques pour ſe ré
connoitre.
L'autre , d'obſerver toll
jours
GUERRE , Liv . II. 137
jours cét ordre , que les mêmes Fan
tallins aient à prendre toûjours les
mêmes Rangs. Par exemple , ſi un
Soldat a commencé d'étre une fois
dans la ſeconde file , qu'il continuë
toûjours d'y étre, & non ſeulement
dans la même file , mais encore dansle
même Poſte qu'il a commencé d’ocu
per ; Et pour cela , comme jel'ai déja
dit ,il faut beaucoup de marques par
ticuliéres .
Premiérement il faut que
le Drapeau foit tellement contremar
qué , qu'en convenant avec ceux des
autres Bataillons, pour le principal,
il puiſſe pourtant étre diſtingué d'a
vec eux , par les Soldats qui doivent
le ſuivre. 2. Que le Commandant & les
Capitaines aient des plumes au cha.
peau différentes de celles des autres,
& aiſées à reconnoître ; & ce qui eſt en
core de plus grande conſéquence , il
faut ordonner que les Caporaux ſoient
auſli réconnoiflables. C'est ce que les
Anciens obſervoient avec tant d'éxac
titude , que les Soldats n'avoient rien
autre choſe marqué ſur leur caſqueque
leur
138
DE L'ART DE LA
leur nombre , s'appellant, Premier ,
Second , Troiſiéme &c. Mais , ou
tre cela , ils avoient encore écrit ſur
leur bouclier non ſeulement la file
mais auſſi le rang même qu'ils de.
voient tenir dans cette file.
Tous les
Soldats donc érant ainſi contremar
quez , & accoûtumez à garder cha
cun ces rangs- là , il ne ſera pas
difficile , étant rompus de les ral.
lier auſſi -tôt ; parce que le Dra
peau étant fixe en ' unmêmelieu , les
Capitaines & les Caporaux peuventà
l'ail connoître leur pofte ,& ceux de
la gauche s'étant remis à gauche ; &
ceux de la droite , à droite dansles die
ſtances qu'ils ont accoûtumé d'avoir ,
les Soldats auſſi étant réglés par
leurs contremarques , peuvent incon
tinent reprendre leurs poftes , a peu
prés de la même maniere que ſi vous
défaites un tonneau dont vous aurez
marqué les douves , il vous fera fa
cile de le refaire , ce qui vous ſera fort
difficile ſi vous ne les marquez pas .
Ces choſes -là avec un peu de foin &
de
de
11
ES
GUERRE, Liv . II. 139
de prattique , fe montrent aiſément
& s'apprennent de même ; & étant
une fois appriſes elles s'oublient dif.
ficilement, parce que les jeunes Sol
dars ſont conduits par les vieux ‫& ;و‬
avec le tems tout un pais ,, en faiſant
l'exercice de cette façon , deviendroit
adroit au mêtier de la guerre .
Il
faut encor leur apprendre à tourner
tout d'un tems , & à faire quand il
le faudra des flancs & de la queue ,
la tête ; & de la tête les Aancs ou la
queüe : Rien n'eſt plus facile , car
chaque Soldat n'a qu'à ſe tourner du
côté qu'il eſt commandé , & là où
ils font volte face , là eſt la tête. Il
eſt vrai que quand ils cournent par
les fancs , les rangs viennent à per
dre leur proportion , parce qu'un
homme a plus de largeur d'un côté
à l'autre que d'épeſſeur , ce qui pro
duit un effet tout contraire à celui
qui eſt ordinaire dans une ordonnan
ce de bataille: Ainſi il faut que ce
ſoit l'uſage & le jugement qui les r'a
juſte. Et ce n'eſt pas-là un grand
déſor .
140
DE L'ART DE LA
déſordre parce que les Soldats y re .
medient fort bien d'eux mêmes . Mais
ce qui eſt de plus grande importan
ce & où il faut une plus grande pratti
que , c'eſt quand un Corps de Ba
taille ſe veuttourner tout d'un coup
comme ſi ce n'étoit rien qu'un corps
Solide. C'eſt ici qu'il faut avoir bien
de l'uſage & du jugement : parce que
par exemple ſi vous le voulez tour
ner ſur la gauche , il faut que l'aile
gauche ne face pas le moindre mou
vement , & ceux qui ſont les plus
proches de ceux qui font ferme , doi
vent marcher ſi doucement que ceux
qui ſont à l'aile droite ne ſoient pas
obligez de courir , parce qu'autre
ment tout tomberoit dans la confu .
ſion .
Mais parce qu'il arrive toûjours,
lors qu'une Armée eſt en marche pour
aller d'un lieu à l'autre , que les corps
qui ne ſont pas de front-font obligez
de combattre , non de front , mais
de flanc ou de queue , en ſorte qu'un
Bataillon eſt obligé de faire en un in
ſtant
GUERRE , Liv .II.
141
ſtant ou de la queue ou du flanc la
têre ‫ ;ز‬ſi vous voulez que ces Batail
lons gardent l'ordonnance que nous
avons marquée cy -deſſus, il faut pla
cer les Piquiers du côté qui doit être
la tête & les Caporaux , les Capitai .
nes & le Commandant chacun dans
ſon poſte , à la même proportion de
la premiere ordonnance. Or pour
faire cela , lors que vous formez vô.
tre Bataille , il faut faire vos quatre
vint files de cinq hommes chacune ,
mettre tous les Piquiers ſur les vine
S
premieres files ; & de leurs Capo
raux vous en mettrez cinq à côté des
3
j
S
cinq premiers rangs , & les cinq au.
tres à côté des cinq derniers ; les au.
tres ſoixante files qui viennent enſui
te , font toutes d'Ecuiers qui font trois
cents hommes. Il faut donc que la
premiere & la derniere file de chaque
Compagnie ſoient compoſées de leurs
Caporaux : le Commandant avec le
Drapeau & le Tambour doit être au
5
milieu de la premiere Compagnie des
1
Ecuiers , & les Capitaines rangez
cha ,
142
DE L'ART DE LA
ch..cun à la tête de la Compagnie.
Tout étant en relle ordonnance
ſi
vous voulez que les Piquiers tour
nent ſur le flanc à gauche , il faut
que vous doubliez les rangs dans cha
que Compagnie du côté du flanc à
droite , ſi vous voulez qu'ils vien
nent ſur la gauche. Ainſi tout ce
Corps de Bataille marche , aiant ſur
un des flancs les Piquiers & les Ca
poraux à la tête , & à la queue les
Capitaines étant à la tête de leurs
Compagnies & le Commandant au
milieu . C'eſt donc dans cette or
donnance que le Bataillon marche ;
mais lorſque l'ennemi paroît ‫و‬, &
qu'on veut faire du flanc la tête ,
tout ce qui eſt néceſſaire , c'eſt de
faire faire volte face à tous les Sol.
dats du côté où ſont les Piquiers , &
alors tout le Corps tourne ayec, les
files & les Caporaux de la maniere
qu'on a vû cy -deſſus, parce que cha
cun ſe trouve dans ſon poste, excépré
les Capitaines qui les reprennent
prontement & ſans peine.
Mais
GUERRE , Liv. II. 143
Mais lors que ce même Bataillon
doit combattre de la queuë il fauc
mettre les files d'une telle ordonnan
1.
ce que lors qu'on les mettra en Ba
taille les Piquiers ſe rencontrent à la
..queuë ; & pour en venir à bout , il
n'y a qu'à faire en ſorte que chaque
ce
Compagnie ait cinq. files de Piquiers
en queuë , au lieu de les avoir en tê.
te ſelon l'ordonnance ordinaire , &
%
pour le reſte il faut obſerver le mê.
me ordre que j'ai déja marqué .
Rucellai. Je me ſouviens bien que
vous avez dit , . que cette manière
d'Exercice , eſt pour pouvoir rédui
re tous ces Bataillons en Corps d'Ar
mée , & certe pratique fert á pou
voir les mettre en ordonnance pour
cela. Mais ſi le cas arrivoit que ces
quatre cens cinquante hommes euf
8
ſent à ſe battre étans ſéparez des au
tres Corps ; comment les diſpoſe
riez -vous ?
Colonne.
Le Commandant doit
en tel cas regarder où il doit placer
les Piquiers , & les y , placer ; ce
qu'il
1
144
DE L'ART DE LA
qu'il faut entiérementexécuter com
me ci-deſſus ; parce qu'encore que
ce ſoit la maniére qu'on obſerve pour
donner Bataille quand on eſt jointa
vec les autres Corps ;
C'eſt cepen
dant auffi une régle qui s'obſerve,
dans toutes les rencontres , où il en
faut venir aux mains . Mais lorſque
je vous montrerai les deux autres
moiens que j'ai propolez pour faire
l'ordonnance d'un Bataillon ,‫ ر‬je ſa
tisferai encore mieux à vôtre que
ſtion , parce que ces moiens ne ſe
pratiquent jamais ; ou s'ils ſe prati
quent , c'eſt quand un Bataillon eſt
ſeul. ( II. Figure .)
A préſent pour ſe mettre en ba-.
taille avec deux Ailes , il faut for
mer vos quatre - vint files de cinq
1
hommes chacune; mettre au milieu
un Capitaine , & aprés lui , vint
cinq files , qui foient de deux Pi
quiers ſur la gauche , & de trois E
cuiers ſur la droite ; & aprés les cinq
prémiéres , vous mettrez ſur les vint
autres vint Caporaux , tous poſtez
entre
SEC
rx O
TXOO
Ix00
rx 00
txООО
xr
ООХГ
ХОО
TXO O
oxrCrxop
OOX
OOOQUOXr
TXOO
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4
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NO
AV
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100
I
If
ND
Odd
IUX
will000.00
Df
GUERRE, Liv.:II.
145
entre les Piquiers & les Ecuiers ; ex
cepté ceux des Caporaux qui por
tent la pique , qu'on peut poſter a
vec les Piquiers. Aprés ' ces vint
cinq files miſes en telle ordonnance,
il faut poſter un autre Capitaine ,
qui aura derriére lui quinze files d'E
cuiers.
Entre ceux-ci ſera le Com
mandant entre ſon Drapeau & ſon
Tambour, qui aura encore derriére
lui quinze autres, files d'Ecuiers.
Aprés le Commandant vous pofte
rez le troiſiéme Capitaine , qui doit
avoir derriére lui vint-cinq files, dans
chacune deſquelles il y aura trois E
cuiers ſur la gauche , & deux Pi
quiers ſur la droite ; & à la queuë
des cinq premiéres files , poſtez ſur
les vint autres, vint Capciaux qui
feront entre les Piquiers & les E
cuiers. Aprés ces files , vous pla
cerez le dernier Capitaine. Si donc
vous voulez mettre en Corps de ba
taille , qui ait deux ailes , toutes ces
files ainfi diſpoſées ; il faut que le
premier Capitaine avec ſes vint- cinq
G
files
146
DE L'ART DE LA
files faffe fernie.
Enſuite il faut que
le ſecond Capitaine avec ſes quinze
files d'Ecuiers , ſe mettel en mouve
ment, en tournant ſur la droite des
yint-cinq premiéres files, & qu'il mar
che juſqu'à ce qu'il arrive à la hau.
teur des quinze , & que là il faſle
halte. Aprés cela , le Commandant
avec tes quinze files d'Ecuiers qu'il
a en queüe , doit en tournant ſur la
droite des quinze files qui viennent
de marcher, marcher auſſi lui, juf
qu'à ce qu'il foit venu à leur tête
où il doit faire halte . * Enfin que le
troiſiéme Capitaine , avec les vint
cinq files , & le quatriéme Capitai
ne qui étoit à leur queuë , marche
aufli en tournant à droite en flanc
des quinze files d'Ecuiers qui ont
marché les derniers ; &
fans faire
halte à leur tête , qu'il marche juſ
qu'à ce que les derniéres files de ſes
vint-cinq, ſoient en même ligneque
les derniéres de ces quinze-là. Quand
cela ſera fait , que le Capitaine qui
écoit à la tête des quinze prémién
res
GUERRE , Liv. II. 147
rés files d’Ecuiers , quitte fon poſte,
& s'en aille á la queuë de l'angle à
gauche. Ainſi on aura un Corps de
bataille de vint- cinq files fermes, à
vint Fantaſlins par file , avec deux
ailes aux deux angles de la face, &
chacune de ces ailes aura dix files
de cinq hommes chacune . ; & il re
ſtera entre les deux ailes un eſpace
aſſez grand , pour que dix hommes
de front y puiſſent tourner: Acha
que angle de la queuë du Bataillon,
il y aura encore un Capitaine. Il y
.
aura auſſi deux files de Piquiers &
vinc Caporaux à chaque flanc . Ces
deux ailes ſervent à tenir au milieu
은
į
l'Artillerie, quand on en a , le Ba
gage & les Fourgons. Il faut que
les Vélites ſoient ſur les flancs à
couvert des Piquiers . Mais ſi vous
youlez de cet eſpace faire une place
dans le Bataillon , prenez trois files
des quinze qui ont vingt hommes
par file , & les poſtez entre les an
1
gles des deux ailes , qui par là de
viendront les flancs de la place dont
G
2
ils
148
DE L'ART DE LA
ils étoient avant cela les ailes.
C'eſt
dans cette place où le poſte le Com
mandant & la Banniére avec l'Equi
page & les Fourgons ; mais non pas
I'Artillerie , qu'on place ou en tête,
ou en flanc.
Ce font là les manié.
res d'ordonner un Bataillon, quand il
a à paſſer ſeul dans des lie x ſuſpects.
Cependant il eſt mieux de n'ayoir
ni place , ni ailes', à moins que ce
ne ſoit pour mettre à couvert ceux
qui ne ſont pas en état de combat.
tre .
Les Suiſſes donnent encore plu
ſieurs formes à leurs Bataillons , en
tre leſquelles il y en a une en forme
de croix : parce qu'ils tiennent leurs
Mouſquetaires à couverc du choc des
forment
dans les eſpacesque
Ennemis
Ma pa
les bras de la croix . Mais
qu
is
rce
e
ces ordonnances -là ſont bonnes pour
combattre ſéparément , & que mon
intention eſt de vous faire voir com
ment pluſieurs Corps enſemble com
battent l'Ennemi , je ne veux pas me
donner la peine de vous en faire une
démonſtration exacte.
Rue
TROISI
Cette Figure démontre comm & 49
000
000 aſ.
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000i'on
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* X X X X X X X X X XOX O O XOOX0oXoolans
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XXXXXXXX0000000000xxx
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Ooire
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00000000
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00 0000 000 0000 000 0000 il
X X X X X X X X OO
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9
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n'eft
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ree
3
GUERRE , Liv. II.
Rucellai.
149
Il me ſemble avoir aſ.
fez bien compris la métode qu'on
doit tenir pour éxercer les gens dans
ces Bataillons ; mais ſi je m'en ſou
yiens bien , vous avez dit , qu'outre
les dix Bataillons , vous ajoutiez au
Régiment mille Piquiers Extraordi
naires , & quatre cent Vélites aufli
Extraordinaires.
Ne voudriez ous
pas auffi faire fairel'Exercice à ceux
ci ! ( III. Figure. )
Colonne.
Sans doute & avec un
foin extréme ; & pour ces Piquiers.
là , je les éxercerois au moins par
chaque Drapeau dans la même or
donnance que les Bataillons comme
les autres Piquiers ; parce que je pré
tendrois m'en ſervir plus que des Ba
taillons mêmes dans toutes les fon .
ctions extraordinaires , commeà faire
Eſcorte , à faire le Pillage & choles
ſemblables. Mais pour les Vélites , je
les éxercerois chez eux , ſans les met
tre en Corps ; parce que leur fon
etion étant de combattre ſéparez il
n'eſt pas néceſſaire qu'ils aient aucun
rap
G 3
150
DE L'ART DE LA
rapport avec les autres dans leurs
Exercices. Il faut donc comme je
vous l'ai dit , & comme il me ſem ,
ble le devoir répéter ; il faut, dis-je,
éxercer ces gens dans les Bataillons ,
en forte qu'ils fachent garder leurs
Rangs , connoître leurs Poſtes , fe
rallier prontement , fi l'Ennemi , ou
le terrein les met en défordre :
Car
quand on fait bien faire tout cela ,
on apprend aiſément quel Poſte doit
tenir un Bataillon , & ce qu'il doit
faire quand il eſt en Corps d'Ar
mée. Et toutes les fois qu'un Prin
ce , ou une République prendra la
peine d'établir ces Ordres & ces E
xercices avec foin , ils s'apperce
vront bien - tót , qu'il y aura de bon
nes Troupes dans leurs Pais , qu'ils .
feront plus puiſſans que leurs Voi
fins , & en état de donner , & non
pas de receyoir la Loi des autres
hommes . Mais comme je vous ai
dit , le peu d'ordre dans lequel on
vit , fait qu'on néglige cela ; & c'eſt
pour cette raiſon que nos Armées
font
GUERRE, Liv . II.
15
I'I
ſont ſi peu de choſe ; car quand mê.
me on auroit eu un Chef expéri
menté , ou des Soldats naturellement
braves , ils ne pourroient pas y ré.
médier .
INS
fe
01
Rucellai. Combien de Fourgons
donneriez-vous à chaque Bataillon ?
Colonne. Avant que d'en marquer
le nombre , je vous dirai, que je ne
voudrois pas qu'aucun Capitaine , ni
a,
DIE
21
at
10
Subalterne montật à cheval ; & fi le
Commandant vouloit y aller,je vou
drois qu'il moncât un mulet & non
pas un cheval. Pour lui , je lui ac
corderois deux Fourgons, à chaque
Capitaine un , & à trois Subalternes
ces
j'en. accorderois deux ; parce qu'à
ils
trois enſemble , comme nous dirons
res
21
Jn
chaque logement nous en' mettons
tantòt. Ainſi, chaque Bataillon aura
trente-ſix Fourgons , qui devroient
porter les tentes , les utenſiles de cui
fine, les coignées , les.pics pour fai.
re les logemens , en fùite tout ce
qu'on pourroit y mettre commodé .
ment .
es
11
G
4
Com
152
DE L'ART DE LA
Rucellai. Je croy bien que les
Officiers que vous établiſſez dans
chaque Bataillon ſont à peu prés né
ceſſaires : mais ne ſeroit-il point à
craindre que la quantité n'apportât
de la confuſion .
Colonne. Cela arriveroit s'ils n'é.
toient pas ſoumis à un ſeul ; mais y
étant soumis ils apportent l'ordre,
& l'on ne pourroit pas conduire le
Bataillon ſans cela ; car une muraille
qui panche de tous côtez a plus be
foin de pluſieurs petits appuis , que
d'un petit nombre de gros ; parce
que la force de l'un ne peut pas
remédier à un endroit éloigné. C'eſt
pour cela qu'il eſt néceffaire dans
une Armée , entre chaque dixaine de
ſoldats qu'il y en ait un de plus de
force , de plus de courage , ou au
1
moins de plus d'autorité que les au
tres , qui de cæur , de paroles &
d'exemple , tienne les autres dans le
devoir & diſpoſez à . the actre. Mais
- pour montrer que tout
que j'ai
dit
4
1
GUERRE , Liv. II. 153
dit eſt néceflaire dans une Armée ,
comme les Officiers , les Drapeaux
& les Tambours , c'est quenousayons
tout cela dans les nòtres , mais pas un
ne fait ſon devoir.
Prémiérement les
Caporaux , afin qu'ils faſſent le dû de
leur Charge , il faut , comme j'ai dit ,
qu'ils ſoient à côté deleurs Soldats,
qu'ils logent avec eux , qu'ils aillent
I
en Fa &tion , qu'ils ſe tiennent dans
les files avec eux ; parce que lorſqu'ils
font dansleurs Poſtes, ils fervent de
régle pour tenir les lignes droites ;
Ainſi il eſt impoſſible qu'étant rom
pües , elles ne ſe rallient auſſi-tôt.
Mais nous ne nous en ſervons aui .
jourd'hui que pour leur donner plus
de paie qu'aux autres , & à leur faire
faire quelque Faction différente.
C'eſt la même choſe des Enſeignes ,
parce qu'on les tient plûtôt pour la
belle aparence , que pourjaucun uſa
ge Militaire. Mais les Anciens s'en ſer
voient comme de Guides & pour étre
en état de ſervir aux Soldats à ſe ral
G5
lier ;
154
DE L'ART DE LA
lier ; parce que l'Enſeigne faiſant
ferme , chacun ſavoir le Poſte qu'il
re.
occupoit auprés de lui , & il y .
tournoit toûjours. On ſavoit enco ..
refi on avoit à faire un mouvement,
ou à faire ferme, ſelon qu'on voioit
l'Enſeigne étre en mouvement ,. Ou
étre fixe. Il eſt donc néceſſaire que
dans une Armée il y ait pluſieurs .
Corps, & que chaque Corps air fon
Drapeau , parce qu'avec cela il a af
ſez d'ame , & par conſéquent affez
de vie .
Ainſi les Fantallins doivent
fuivre les mouyemens de l'Enſeigne;
& l'Enſeigne , celui du Tambour :
car quand il bat juſte , il commande .
á l'Armée , laquelle marchant dans
cette cadence, tous marchent égale
ment ; &
dent leurs Rangs. C'eſt pour cela
que les Anciens avoient des Flûtes ,
des Fifres , & autres eſpéces deMu
-fique Militaire parfaitement réglée ;
parce que comme celui qui danſe,
marche felon les tons des Inſtru
mens , ce qui l'empêche de faire de
faux
I
GUERRE , Liv. II. 155
faux pas ; ainſi une Armée ne perd
jamais ſes Rangs , quand elle fait
les mouvemens du Tambour.
auſli
C'eſt
pour cela qu'ils varioient les
tons , ſelon qu'ils vouloient animer ,
appaiſer , ou arrêter le courage de
leurs gens.
Et comme les fons é.
toient différens , ils leur donnoient
auffi différens noms.
Le Son Dorin
que , faiſoit naître la Fermeté ; le
Frigien , la Furie : D'où l'on dit ,
qu'Aléxandre étant à table , & enten
dant battre la Frigienne , il ſe ſentit
fi animé , qu'il mit les armes à la
main . . Il faudroit tâcher de retrou .
ver toutes ces maniéres- là ; & s'il é .
toit trop difficile, il ne faudroit pas
au moins oublier ces fons qui apren
droient au Soldat à obéir ; chacun
les peut varier & accommoder à fon
goût , pourvů qu'il forme l'oreille
de ſes Soldats à les diſtinguer. Mais
aujourd'hui tout ce qu'on retire de
ces fons Militaires , ce n'eſt rien que
le bruit des fanfares.
G6
Rita
156 DE L'ART DE LA
Rucellai. Je voudrois fçavoir de
fi jamais vous y avez fait
réflexion , d'où vient une ſi grande
lâcheté , un ſi grand déſordre & une
fi grande négligence de l'exercice
VOUS
dans ces tems- ici ?
Colonne. Je vous dirai volontiers
ce que j'en penſe. Vous fçavez
qu'il y a eu d'exellents guerriers &
en grand quancité , en Europe, peu
en Affrique, encore moins en Afië.
Cela vient de ce que ces deux der
nieres parties du monde ont été ſans
une ou fous deux Monarchies ; &
ont eu peu de Républiques:
Mais
l'Europe n'a eu que quelques Mo
narchies & beaucoup de Républi
ques.
Or les hommes ne dévien.
nent habiles gens & ne montrent
leur valeur, que ſelon qu'ils ſont em
ployez & animez par leur Prince ou
par leurRépublique. Il faut donc
que là où il y a plufieurs Puiſſances, il
y naille pluſieurs grands hommes , &
ou il y ena peu ,qu'il s'y produiſe auſſi
tout peu de braves gens. Dans l'A
fie
.
GUERRE , Liv. II.
157
fie vous avez Ninus, Cyrus , Artaxir.
ces , Mithridate', & peu d'autres qui
leur tiennent compagnie. En Affri
que, fans parler desAntiquitez E
syptiennes , vous avez Maffiniſſe ,
Jugurta ; & les autres Généraux ,
produits par la République de Car
tage ; mais qui ſont en fort petic
nombre eu égard à ceux de l'Eu
rope : Car en Europe , il y a eu
une infinité de Grands Hommes
dont le nombre feroit encore plus
grand , fi l'injure des tems n'en avoit
ฯ
point enteveli pluſieurs dans l'ou.
j
bli ; Parce que dans les Pais , où
il уаeu
plus d'Etats pour éléver le
.
mérite , foit par néceſſité , ou par
quelque autre motif; là il s'eſt trou.
}
vé plus d'habiles gens. Il eſt donc
ſorti peu d'Hommes diſtinguez d'A
fie
parce que ce Pais étant foll
mis à un ſeul Empire , qui la plus
part du tems , à caufe de ſon éren.
duë , croupiſſoit tout à fait dans
Poiſiveté ; il ne pouvoit s'y for
mer des Gens propres pour les
gran
158
DE L'ART DE LA
grandes actions.
que ,
Dans
l’Affri .
il eſt arrivé , la même choſe
mais il y en a eu pourtant un peu
plus à cauſe de la République de
Cartage: Car les Républiques pro
duiſent plus de Grands Hommes que
les Monarchies , parce que chez el
les le plus ſouvent on réconnoit le
mérite; mais dans les Monarchies ,
on le craint; D'où il arrive que
dans une République ; on éléve les
Grands Hommes , & dans les Mo
narchies on s'en défait. En confi.
dérant donc l'Europe , on verra ,
qu'elle a été remplie deRépubliques & de Monarchies , leſquelles étant
en jalouſie les unes des autres , é.
toientobligées de ſe tenir ſur leurs
gardes , & de faire cas de cette ſorte
de gens qui excelloient le plus pour
la Guerre . Car en Gréce , outre le
Roiaume de Macédoine , il y avoit
pluſieurs Républiques , qui toutes
produiſirent de trés - Grands Hom
mes .
Dans l'Italie il у avoit les Ro
mains , les Samuites , les Toſcans , 6
lai
GUERRE , Liv. II. 159
la Gaule Ciſalpine. . La France &
l'Allemagne étoient pleines de Ré
publiques &de Princes. L'Eſpagne
de même. Et quoi qu'en comparai
ſon des Romains , on ne voie pas .
qu'il y ait eu dans ces trois Pais là
beaucoup de Gens Illuſtres , cela
vient de la malice des Auteurs qui
fuivent la Fortune , & ſouvent illeur
fuffit d'honorer les Vainqueurs. Mais
il n'y a pointde raiſon dedire que par
miles Samnites & les Toſcans, qui
eurent la Guerre cent- cinquante ans
avec les Romains , devant que d'é
tre vaincus , il n'y ait pas eu un
grand nombre de braves gens : : Il en
eft de même de la France & de l'Ef
pagne. Mais les belles qualitez que
les Hiſtoriens ne loüent point dans
les Particuliers , ils- les loüent fort
dans les Peuples entiers , lorſqu'ils
élévent juſqu'aux Cieux, l'opiniâtre
té avec laquelle ils défendoient leur
liberté. Puis donc qu'il eſt vrai que
là où il y a plus de Puiſſances, il s'y
produit auſli plus de Grands Hom
mes
160
DE L'ART DE LA
mes ;
il s'enfuit de néceſſité que
quand ces Etats viennent à s'abolir ,
le mérite vient incontinent à s'y é
teindre aufli; les occaſions qui font
les Grands Hommes étant moins
fréquentes. C'eſt ce qui a été cau
Romain s'étant ac,
cru , & aiant aboli toutes les Répu
bliques & les autres Etats d'Europe
& d'Affrique , & grande partie de
ceux d'Aſie , il n'eft plus reſté de
porte ouverce à la vertu que Rome
ſeule. D'où il s'enſuivit , que les
fe que l'Empire
Grands Hommes commencérent à
étre rares en Europe , conime en A
fie , & le mérite vint en fuite dans
une grande décadence ; parce qu'é
tant enfermé dans l'enceinte de Ro.
me , lorſqu'elle vint à ſe corrom
pre , tout le Monde tomba auſſi dans
la corruption : de ſorte queles Scytes
n'eurent pas de peine à venir ravager
cet Empire , qui aiant éceint la ver
n'eût pas la
forie de conſerver la ſienne. En
itu de tous les autres
fuite
quoi que véc Empire ſe vît
dé.
GUERRE, Liv. II.
161
démembré en pluſieurs morceaux par
l'inondation de ces Barbares , la vail
lance pourtant ne s'y rénouvella pas ;
tant parce qu'on eſt long - tems à
reprendre les bons Ordres , lorf
qu'on eſt dans la confuſion ; que
parce que la maniére de vivre d'au.
jourd'hui , fondée ſur la Religion
Chrétienne, n'oblige pas les gens à
ſe défendre comme on faiſoit autre.
fois : Car on tuoit les Vaincus
ou on les faiſoit Eſclaves pour tou
jours ; ce qui rendoit leur vie miſé
rable ; les Pais Conquis étoient dé
ſolez , ou les- Habitans en étoient
chaſſez , dépouillez de leurs biens ,
.
& envoiez vagabonds par le Mon
de ; En ſorte qu'un Peuple ſurmon
1
té en Guerre' , ayoit à ſouffrir les
1
derniéres
miférés.
Certe
terreur
faifant une forte impreſſion ſur leſ
prit des gens , cela les rendoit crés.
vigilans dans tous les Exercices
i
de la Guerre , & leur faiſoit beau
:
loient.
coup reſpecter ceux qui y excel
1
Mais
aujourd'hui cette
ter
162
DE L'ART DE LA
terreur eſt preſque diſſipée ; car de
vint à peine en cuë-t-on un , & au
cun ne garde long-tems. la Priſon ,
parce qu'on les déliyre aiſément. On
ne détruit plus les Villes qui ſe ré
volcent ; on laiſſe les gens dans leurs
biens , & le plus grand mal qu'ils
ont à craindre , c'eſt une Contribu
tion ; Tellement qu'on ne veut plus
fe foûmettre aux Ordres de la Guer
re , ni en ſouffrir toutes les fatigues,
pour éviter un péril qui n'épouvan
te pas beaucoup. Deplus, ces Pro
vinces d'Europe font aſſujetties à un
petit nombre de Souverains , eu é:
gard au tems paſſé. Car toute la
France eft follmiſe à un ſeul Roi ;
toute l'Eſpagne à un autre ; l'Italie
n'eſt pas fort partagée ; de ſorte que
les petits Etats fe defendent en s'ap
puiant ſur le plus fort : & les grands
Etats ne craignent pas une derniére
déſolation , par les raiſons que nous
ayons dites .
Rucellai.
On a pourtant vû de
puisvint-cinq ans beaucoup de lieux
faç.
GUERRE , Liv. II. 163
faccagez & des Royaumes perdus ;
& cée éxemple devroit bien appren
dre aux autres à vivre , & à remet
tre un peu ſur pied les anciens Ré.
glémens .
Colonne. Ce que vous dites eſt
vrai ; mais ſi vous remarquez bien
quels lieux ont été ſaccagez , vous
verrez que ce ne ſont pas les princi
pales Villes des Etats, mais plûtôt
les Dépendances : Ainſi l'on voit
que Tortone fut faccagée , & non
pas Milan ; Capoio, & non pas Na
ples ; Breſce , & non pas Venize ;
Rayenne , & non pas Rome. Ces
Š
exemples-là ne font point changer
les meſures de ceux qui ont l'autori
té en main; au contraire cela les af.
fermit dans leur opinion , parce qu'ils
eſpérent ſe dédommager par les Con
tributions qu'ils feront paier aux au.
tres :
Et c'eſt pour cela qu'ils ne
veulent point ſe foûmettre à la peine
de faire faire les Exercices Militai.
res , qui leur ſemblentd'un côté рец :
néceſſaires ; & de l'autre un embar.
ras.
164
DE L'ART DE LA
ras qu'ils n'entendent pas.
Les au
tres qui ſont dans la dépendance , &
à qui de ſi terribles exemples de
vroienc faire peur , n'ont pas le pou
voir d'y rémédier. A l'égard des
Princes qui ont perdu leur Etat , il
n'eſt plus tems de penſer aux moiens
de leconſerver : & ceuxqui en font
encore les Maitres ſavent , & ne font
pas ; parce qu'ils veulent , fans ſe
donner aucune peine , dépendre de
la Fortune , & non pas de leur Va
leur ; car ils voientqu'y aiant peu
de mérite dans le Monde , c'eſt la
Fortune qui gouverne tout ; de for
te qu'ils veulent en dépendre , & non
pas qu'elle dépende d'eux. Mais
pour vous montrer que tout ce que
je vous ai dit eſt vrai , regardez l'Al
lemagne , quipour" étreremplie de
différens Etats, eſt en poſſeſſion de
beaucoup de Valeur ; & tout ce
qu'on a de bon dans la Milice au
jourd'hui vient de l'éxemple de ces
Peuples , qui étans tous jaloux de
leurs Etats , ils ſe précautionnent
CON
2
GUERRE , Liv. II. 165
contre l’Eſclavage qu'on n'appréhen
de pas aſſez ailleurs , ils ſe maintien
nent libres & ils le font reſpecter.
Or cela doit ſuffire , ſelon mon fens,
pour faire voir la cauſe de la lâche
té d'aujourd'hui. Je ne ſai pas fi
vous étes de mon ſentiment , ou ſi
vous avez quelque doute ſur tout ce
diſcours .
Rucellai. Aucun ‫و‬, au contraire j'en
tens parfaitement bien tout cela . Je
ſouhaitie feulement , qu'en reprenant
notre principal ſujec , vous me difiez
comment vous diſpoſeriez la Cavale
rie avec ces Bataillons ; combien vous
en meteriez ſur pied , quels Offi.
ciers , & quelles armes vous leur don
neriez.
Colonne. Croiez - vous que je les
aie laiſſez -là ? Cependant je yous
en parlerai peu , pour deux rai
ſons ; la prémiére , C'eſt que la for
ce d'une Armée eſt dans l'Infante
C'eſt que cette
rie : la ſeconde
partie de la Milice n'eſt pas gâtée
comme l'autre , car ſi elle n'eſt pas
plus
166
DE L'ART DE LA
plus forte quecelle des Anciens , el
le va du moins au pair . J'ai pour
tant parlé ci-devant des moiens de
lui faire faire l'Exercice : Mais pour
ce qui regarde les Armes , je n'en
voudrois point d'autres , que celles
qu'on a aujourd'hui , tant dans la
Cavalerie Légére , que dans les Gen
darmes. Je voudrois pourtant que
les Chevaux Légers fuſſent tous Ar
balêtiers , avec quelques Mouſque
tons entr'eux ; Car quoi que ces ar
mes ſoient preſque inutiles dans tou
tes les autres. Expéditions Militai
res , elles ſont fort néceſſaires ici ,
pour épouvanter les Paiſans , & les
chaſſer d'un Paſſage qu'ils garde
roient ; car un Mouſquetaire leur fe
ra plus de peur que vint autres Sol
dats. A l'égard du nombre , puiſ
que nous avons pris à tâche d'imiter
la Milice Romaine ; je ne voudrois
pour chaque Régiment * , que trois
cent Chevaux ', dont il faudroit qu'il
у
* Ce Terme eft expliqué dans les Remarques.
GUERRE, Liv. II.
167
y eût cent cinquante Gendarmes , &
cent cinquante Chevaux Légers ; &
di à chaque ſorte de Cavalerie , je don.
verois un Chef , faiſant enſuite en .
1
DS
tr'eux quinze Dixeniers par chaque
Troupe , en donnant à chacune un
Guidon & un Trompette. Je vou
drois que chaque Dixaine de Gen
darmes eût cinq Fourgons, &que cha
que Dixaine de Chevaux Légers n'en
eût que deux , qui comme ceux des
Fantaſſins, ſerviſſent à tranſporter les
tentes , les utenſiles de cuiſine , les
haches , & les pics ; & en cas qu'il y
eût de la place de reſte , on y met
troit encore leur bagage.
Ne vous
imaginez pas que tout cét équipage
ſoit un déſordre ;
Car cela ne ſe
peut autrement , les Gendarmes aiant
chacun quatre chevaux pour leur ſer
vice . Il eſt vrai que c'eſt un abus ;
puiſque nous voions en Allemagne
un Gendarme marcher ſeul , n'aiant
que ſon cheval , & vint n'avoir
qu'un ſeul Fourgon , qui traîne aprés
eux ce dont ils ont beloin. Les Cava.
liers
168 DE L'ART DE LA
liers Romains en uſoient de même , il
eſt vrai que les Fantaſſins qu'on apel
loit Triaires, logeoient auprés d'eux ,
& étoient obligez de penſer & de gou
verner leurs chevaux ; ce que nous
pourrions aiſément imiter , commeje
ferai voir en parlant des logemens. Ce
que les Romains donc faiſoient, & ce
que font encore les Allemans , nous
pouvons le faire auſli , & même c'eſt
un défaut de ne le pas faire. Cette Ca
valerie ainſi établie , ſe pourroit auſſi
mettre en Eſcadrons dans le tems
qu'on éxerceroit les Bataillons, & leur
faire faire quelque ſorted'ataque, plû
tôt pour apprendre à ſe connoître les
uns les autres, que pour aucune nécef
lité. Mais en voiciaſſez pour l'heu.
re : il faut à préſent former une Ar
mée pour pouvoir livrer bataille , &
pouvoir ſe promettre la Victoire
qui eſt la fin de ceux qui établiſſent
des Milices , & qui aportent tant de
foin à les mettre en bon état.
Fin du Livre Second .
LE
169
I
DE
L'ART
D E
LA
AP
GUERRE
LIVRE
TROISIEME.
Rucellai.
UISQue nous changeons
P
de diſcours , je prétens
quenous changions auſſi
de faiſeurs d'objections &
de deman les ; car je ne voudrois pas
paſſer pour préſomptueux ; défaut
que j'ai toûjours blâmé chez les au
C'eſt pourquoi je me démets
de cette charge entre les mains de
tras .
HΗ
ce
170
DE L'ART DE LA
celui de ces Meſſieurs qui voudra
l'accepter.
1
Zanobe.
Nous étions trés - con
tents que vous continuaſſiez ; mais
puiſque vous ne le voulez plus, nom
mez au moins vôtre ſucceſſeur.
Rucellai. Je donne cette commiſ
ſion au Seigneur Colonne lui-même.
Colonne. Je l'accepte volontiers ,
&j'ordonne que nous ſuivions la coû.
tume de Veniſe , Que le plus jeu .
ne parle le premier ; parce que c'eſt
ici l'exercice de la Jeuneſſe. Je me
perſuade qu'elle eſt auſſi propre à en
bien parler , comme elle eſt pronte à
en bien faire les éxécutions.
Rucellai.
C'eſt donc vôtre tour ,
Seigneur Alemanni ; Et comme je
fuis fort aiſe qu'il ſoit mon fuccef
ſeur , je croi, Meſſieurs , que vous
en ſerez aufli fort contents.
Mais ne
perdons point de tems , je vous prie ,
& retournons à nôtre ſujet:
Colonne. Je ſuis aſſuré , que qui
voudroit faire voir la meilleure or
donnance d'une Armée pour donner
Ba.
21
HI
GUERRE, Liv . III.
171
Bataille , il faudroit rapporter com
ment les Grecs & les Romains diſ
poſoient leurs Troupes dans les Ar
mées . Néanmoins comme vous pou
vez vous - mêmes vous en éclaircir
chez les Auteurs , je paſſerai par def
fus beaucoup de choſes, &je ne par
lerai que de ce qu'il me ſemblera
qu'on doit imiter pour donner quel
que ſorte de perfection à nôtre Mili.
Ce qui fera que fans perdre de
tems , je montreraicomment une Ar
ce .
mée peut étre miſe en ordonnance
pour une Bataille ; ce qu'elle aura à
faire dans un véritable Combat ; &
comment on la doit éxercer dans un
Combat fimulé. Le plus grand dé
faut où tombent ceux qui mettent
une Armée en bataille , pour en ve
nir aux mains ; c'eſt de ne lui don
ner qu'une tête , de la mettre en é.
tat de ne donner qu'un choc , & dedé.
pendre du prémier caprice de la For
tune .
Ce défaut vient de ne prati.
quer plus ' la métode des Anciens ,
qui conſiſtoit à faire rentrer un Ba.
H
2
tail.
172
DE L'ART DE LA
taillon dans un autre ; par ce que
ſans cela on ne peut ni ſecourirles
prémiers , ni les deffendre , ni pren
dre leur Place dans le combat ; Ce
que les Romains faiſoient parfaitte
ment bien .
Pour donc vous enſei.
gner cette métode , je vous dirai
comment les Romains partageoient
leurs Légions en trois ;les premiers
étoient des gens de javelot , qu'on
metroit à la tête de l'Armée, dans
des rangs fort ſerrez & fermes ; ceux
qui ſuivoient , & qu'on appelloit
Princes , étoient arrangez plus large
ment ; & les derniers detous , qu'on
appelloit Triaires tenoient leurs rangs
ſi ouverts qu'en cas de beſoin ils pou
yoient recevoir au milieu d'eux , & les
gens de javelot & les Princes . Outre
ces trois ſortes de gens, ils avoient des
frondeurs , des Arbalêtiers & autres
armez à la legere,qui n'entroient point
dansles rangs de ceux- ci , mais ils é
toient portez à la téce de l'Armée entre
l'Infanterie & la Cavalerie .
C'étoit
donc ces gens armez à la légeri qui
atta .
GUERRE , Liv . III. 173
5
attachoient le combat ; & s'ils avoient
l'avantage (ce qui arrivoit rarement)
ils pouſſoient leur pointe; s'ils avoient
du pire , ils faiſoient retraite ſur les
flancs de l'Arméc ; ou dans des eſpaces
ordonnez pour cela,où ils ſe mettoient
1
avec les Valets & autres non -combat
tans de l'Armée. Aprés cette retraite,
Ć
les gens de javelot yenoient aux mains ,
quis'ilslevoyoient les moins forts , ſe
retiroyent doucement dans les rangs
des Princes , & s'étant tous ralliez , ils
recommençoient le combat. Si ceux
çi , quoi que joints enſemble venoient
encore à être forçez , ils ſe retiroient
dans les rangs des Tiiaires & faiſant
les uns & les autres un gros corps ,
ils recommençoient encore le com
bat; Dans lequel s'ils étoient vain
cus il n'y avoit plus de reſſource
car il n'y avoit plus dequoi rempla
cer & rafraichir les troupes qui a
voient eu du pire. La Cavalerie
étoit ſur les angles de l'Armée én
forme d'ailes , & tantôt ils com
H.3
bat
174
DE L'ART DE LA
battoient contre la Cavalerie Enne
mie , tantôt ils ſecouroient l'Infante .
rie ſelon le beſoin. Cette maniére
de fe rafraichir trois fois , eſt preſque
invincible ; parce qu'il faut que la
Fortune vous abandonne trois fois ,
& que l'Ennemi ait aſſez de bravoure
pour pouvoir vous vaincre autant de
fois.
Les Grecs n'avoient pas dans
leurs Falanges cette manière de les
rafraichir ,& bien qu'ils y euſſent
beaucoup d'Officiers & de trés-bons
Ordres , néanmoins ils ne faiſoient
de ces Falanges qu'un Corps , ou u
ne Tête. La métode qu'ils avoient
pour ſubvenir les uns aux autres ,
n'étoit pas comme celle des Ro.
mains , en faiſant r'entrer un Rang
dans l'autre , mais de faire r’entrer
un homme en la place de l'autre ; ce
qu'ils éxécutoient ainfi : Quand leur
Falange étoit ordonnée en files, que
nous poſerons de cinquante hommes
chacune , ils venoient de la tête de
cette Falange attaquer l'Ennemi avec
toutes leurs files , dont les ſix pré
mié.
GUERRE, Liv. III. 175
8
miéres pouvoient combattre , parce
que leurs piques étoient fi longues ,
que le fer des piques de la ſixiéme
file alloit juſqu'au delà de la pré
miére.
Pendant le combat donc , li
dans la prémiére file , quelqu'un
tomboit mort , ou bleffé , auſſi-tót
IS
celui de la ſoconde , qui étoit der
riére le défunt , rempliſſoit ſon po
ſte ; & le poſte vacant de cette le
conde file étoit rempli par un autre
Soldat , qui étoit juſtement derriére
dans la troiſiéme file : & ainſi fuc
3
ceſſivement, & en un inſtant, les fi
.
les de derriére réparoient les pertes
de celles de devant , en ſorte qu'el
7
les étoient toujours entiéres , & l'on
n'y voioit aucun poſte dégarni de
Combattans , excepté dans le der
nier Rang , qui diminuoit toûjours ,
n'y aiant perſonne derriére pour le
remplir. Ainſi les pertes des pre
miers Rangs détruiſoient les der.
niers , pendant que par ce moien les
premiers demeuroient toûjours en
tiers : Cequi faiſoit que ces Falan
H
4
ges
176 DE L'ART DE LA
ges , par un tel ordre , étoient plûtôt
conſumées que rompuës , parce que
la groſſeur de ces corps les rendoit
plus fermes. Au commencement les
Romains mirent en pratique cette
ordonnance , aiant mis leurs Légions
ſur le pied des Falanges: Depuis cet
ordre ne leur plut pas , & ils parta
gérent leurs Légions en pluſieurs
corps ; aſſavoir en Cohortes , & en
Pelotons ; parce que , côme je l'ai
déja dit , ils penſérent qu'un corps
qui avoit plus d'une ame , avoit plus
de vie ; ce qui arrive lors qu'aiant
pluſieursparties , chacune eſt munie
de ce qu'il lui faut pour la gouver
Les Régiments Suiſſes gardent
en ce tems tout l'ordre des Falanges,
ner .
tant pour ce qui regarde l'ordonnan
ce d'être toûjours gros & entiers , que
pour fe foûtenir les uns les autres ;
& dans une journée , ils poftent leurs
Bataillons ſur les flancs & à la queuë
les uns des autres . Ce n'eſt pas leur
metode , que l'un faiſant retraitte,
entre dans les rangs de l'autre , mais
pour
GUERRE,Liv. III.
177
pour ſe foûtenir les uns les autres voiez
I'ordre qu'ils obſervent : ils poſtent
un Régiment devant , & l'autre der
riere vers le flanc à droite , en ſorte
que ſi le premier a beſoin de ſecours,
ce ſecond ici marche avant & le foû .
tient. Ils poſtent le troiſiémé Ré
giment derriere ces deux ici ,
mais
éloignez de la portée du mouſquet.
Ils font cela , afin que fi les deux
prémiers ſont repouſſez , ce troiſié.
me puiſſe marcher avant ; & afin
auſſi qu'ils aient aſſez de terrein &
les uns & les autres , pour que ceux
qui ſont repouſſez netombent point
fur ceux qui les doivent foûtenir ;
car un gros corps ne peut pas être
reçu comme un petit : & c'eſt pour
cela que les petits corps fi diſtincts
& ſibien partagez, quicompoſoient
Line Légion Romaine, pouvoientbien
ſe poſter enſorte qu'ils puſſent ſe re
cevoir les uns les autres & ainſi ſe
ſolltenir avec facilité.
Mais pour
faire voir que cette metode des
Hş
Suif
1
178 ' DE L'ART DE LA
Suiſſes n'eſt pas ſi bonne que celle
de l'Ancienne Rome ‫ ;و‬il n'y a qu'à
ſe ſouvenir que toutes les fois que
les Légions en font venuësaux mains
avec les Falanges ; ces derniéres ont
toûjours été défaites , parce que les
armes dont fe fervoient les Romains
& leur maniére de s'entrefoûtenir
étoient ſans comparaiſon meilleures
que la groſſeur desFalanges , & les
armes dont elles ſe fervoient.
Si
donc j'avois à former un Corps d'Ar
mée ſur tous ces modéles , je vou .
drois prendre les armes & les manié .
res en partie des Grecs , & en partie
des Romaios , c'eſt pourquoi j'aidit,
que dans un Régiment il faudroit
avoir deux mille piques qui font les
armes des Falanges Macédoniénes ;
& trois mille boucliers & épées, qui
font les armes des Romains. J'ai
partagé le Régiment en dix Batail.
Ions , comme les Romains parta-,
geoient la Légion en dix Cohortes.
J'ai diſpoſé les gens armez à la légére
comme leurs Ñ élites , pour attacher
le
GUERRE , Liv. III . 179
le combat. Et parce que les armes
étant ainſi mêlées , elles tiennent de
l'une & de l'autre Nation , je veux
j
I
qu'elles en tiennent encore dans l'or
donnance ; j'ai donc établi pour cét
effet , que tout Bataillon aura à ſa
tête cinq Rangs de Piquiers, & le
refte d'Ecuiers., afin que la têtepuif
j
.
-
ſe foûtenir le choc de la Cavalerie ,
& pénétrer facilement dans les Ba.
taillons des Ennemis :
Car aiant des
Piquiers comme eux , cela me fervira
à les foûtenir d'abord & ces Ecuiers
à les vaincre. Si vous remarquez
bien la force de toutes ces armes ,
vous verrez qu'elles feront toutes fort
bien leur effet. Prémiérement parce
que les piques fontbonnes contre la
Cavalerie , qui lorſqu'elle donne ſur
l'Infanterie , eſt dans le commen .
cement d'un bon ſervice ; mais feu .
lement devant que l'on combatte de
prés , parce que dans la mêlée elle
eft inutile. C'eft ce qui fait que
les Suiſſes pour éviter cét inconvé .
nient, mettent un Rang d'Halebar
H
6
diers
180
DE L'ART DE LA
diers aprés trois rangs de Piquiers ,
afin de leur donner de l'eſpace , par
ce qu'ils en manquent beaucoup ";
mais cette métode ne donne pas en
core aſſez de terrein pour le mouve
ment de la pique.Poſtons donc nos Pi
quiers à la tête que nous épaulerons de
nos Ecuiers; les prémiers foûtiendront
le choc de la Cavalerie , & lorſque le
combat s'atache, ils ouvrent & incomo.
dent l’Infanterie ; mais dans la mêlée
lorſque les Piquiers ſeront inutiles ,
nous ferons ſuccéder les Ecuiers avec
leurs épées, qui peuvent aiſément ſe
manier dans les lieux les plus ferrez.
Alemanni. Nous ſouhaitrons avec
paſſion d'entendre à’préſent comment
vous conduirez l'Armée dans un jour
de Bataille ayec ces armes & cette or
donnance .
Colonne. Et moi , je ne prétens
pas vous montrer autre choſe pour
l'heure , que ceci. Vous devez
prémiérement favoir ; qu'une Ar
mée Romaineordinaire , qu'on appel
loit , Armée Conſulaire, n'étoit com.
po .
GUERRE , Liv. III.
181
poſée que de 2. Légionsde Citoiens
21
Romains, qui faiſoient en tout ſix
cens Chevaux & onze mille Fantaf.
ſins. Ils avoient outre cela , un pa
reil nombre de Troupes Auxiliaires
que leurs Confédérez leur envoioient,
qu'ils partageoient en deux Corps,
dont l'un s'appelloit, l'Aile Droite,
& l'autre l'Aile Gauche : Jamais ils
ne ſouffroient que l'Infanterie des
Confédérez ſurpaſſât en nombre cel.
le de leurs Légions ; mais pour la
Cavalerie , ils écoient fort aiſes que le
nombre en fût plus grand que le leur.
Avec une telle Armée qui n'ayoit que
vint deux mille Fantaſſins, & environ
deux mille Chevaux de fervice , un
Conſul Romain entreprenoit tout
ce qui fe pouvoit préſenter alors:
Mais quand les forces de leurs En
nemis étoient trop grandes , les deux
Conſuls s'unifloient avec leurs Ar
mées. Il faut que vous fçachiez
encore , que dans les trois princi
pales choſes que font lesArmées, qui
font, Marcher ,Camper,& Combatre;ilş
meco
182
DE L'ART DE LA
mettoient toûjours les Légions au
milieu , parce qu'ils vouloient que
les forces auſquelles ils avoient le
plus de confiance , fuflent toûjours
unies , comme je vous montrerai en
parlant de ces trois choſes là . Cette
Infanterie Auxiliaire étant éxercée
& conduite comme les Légions, ren
doit autant de ſervice qu'elles. Quand
on ſait comment les Romains diſpo
ſoient une Légion dans l'Armée pour
une Bataille , on fait comment ils
diſpoſoient toute l'Arméemême. Et
puiſque j'aidit qu'ils faiſoient trois
Corps de leurs Légions , & de quelle
maniére ces Corps donnoient retrai
te les uns aux autres , je vous ai ré
préſenté par là , toute l'ordonnance
d'une Armée dans un jour de Ba.
taille .
Si donc je veux donner bataille ſur
le modéle des Romains, comme ils
avoient deux Légions , je prendrai
aufli deux Régimens ; & quand je les
aurai 'rangez en bataille , on com
prendra aiſément toute l'ordonnance
d'une
GUERRE , Liv.III .
d'une Arméę :
183
Car lorſqu'on mettra
plusde gens , iln'y aura qu'à faire
les Rangs plus forts. Je ne penſe
pas qu'il ſoit néceſſaire que je répéte
ici, combien un Régiment a degens,
comment il eſt partagé en dix Ba
taillons; quels Officiers il y a dans
chacun , quelles ſont leurs armes, &
ce que c'eſt que les Piquiers & les
Vélites Ordinaires 6 Extraordinai.
res ; parce que je viens de vous les
expliquer diſtinctement ; en vous
priant de vous en ſouvenir comme
de choſe néceſſaire à entendre tout
le refte ; c'eſt pourquoi j'y viendrai
ſans répéter le ſurplus. On range
donc les dix Bataillons d'un Régi
ment à gauche, & les dix autres du
ſecond Régiment à droite. Les
Bataillons du Régiment qui eft fur
la gauche doivent étre rangez ainſi.
Poſtez cinq Bataillons à la tête ſur
les flancs l'un de l'autre , en forte
qu'il y ait huit pieds d’eſpace entre
eux ; que de front ils occupent un
terreinqui ait la longueur de qua
rante
184
DE L'ART DE LA
rante fept toiſes , & qu'ils en aient
de hauteur treize , & deux pieds.
Derriére ces cinq Bataillons , j'en
pofterois trois autres éloignez en li
gne droite des prémiers de la même
étendue de treize toifes & deux
pieds. Deux de ces derniers ſe
roient juſtement vis à vis les extré.
mitez des autres , & le troiſiéme
tiendroit le terrein entre deux . Ain
ſi ces trois ici occuperoient & de
front & de hauteur autant de terrein
que les cinq autres. Mais au lieu
que les premiers ne font éloignez
entre eux que de la longueur dehuit
pieds , ceux - ci le ſeroient d'onze
toiſes.
En ſuite , je poſterois les
deux derniers Bataillons derriére les
trois en ligne droite , mais dans la
diſtance de la longueur de treize
toiſes & deux pieds; & je poſtcrois
ceux-ci vis à vis des extrémitez des
autres , en forte que le terrein qui
refteroit entre ces deux ici , feroit
de la longueur de quinze toiſes &
deux pieds. Tous ces Bataillons
donc
GUERRE, Liv.IlI.
185
donc ainſi poſtez , occuperoient un
terrein de quarante-lept toiſes de
front , & de ſoixante-ſix & quatre
pieds de hauteur. J'étendrois les Pi
quiers Extraordinaires en flanc à gau
che de ces Bataillons , mais éloignez
d'eux de ſix toiſes & quatre pieds ; &
1
1
1
j'en ferois cent- quarante files de ſept
hommes chaque file , en ſorte qu'ils
couvriroient tout le Flanc gauche de
ces Bataillons rangez , commeje viens
de dire;il reſteroit deces Piquiers qua
rante files pour garder le bagage& le
train qui ſeroit à la queuë de l'Ar
mée ; en diftribuant les Dixeniers.,
& les Capitaines dans leurs Poſtes :
pour les trois Commandans , j'enmet
trois un à la tête , l'autre au mi
lieu , & le troiſiéme dans la der
niére file .
Mais pour revenir à
la tête de l'Armée , je vous di
rai , que je placerois auprés des
Piquiers Extraordinaires , les Vélia
tes Extraordinaires , qui ſont cinq
cents ; & je leur donnerois un ter
rein de treize toiſes & deux pieds
fur
186 DE L'ART DE LA
ſur le flanc à gauche de ces Vélites
je placerois les Gendarmes, à qui je
donnerois un terrein de ſoixante &
quinze toiſes. Derriere eux je po
ferois les Chevaux Légers , à qui
je donnerois le même terrein qu'aux
Gendarmes.
Je laiſſerois les Velites ordinaires au
prés de leurs Bataillons , & ils fe
roient poſtez dans le terrein que j'ai
laiſſé entre chacun deſdits Bataillons
deſquels ils ſeroient comme les Via
lets ; à moins que je ne les miſse à
couvert ſous les piquiers extraordi
naires ; ce que quelquefois je pour
rois faire , & quelquefois non , ſui
vant l'avantage que j'en pourrois ci
rir. Pour le Colonel, je le poſterois
dans le terrein qui eſt entre le pre
mier , & le ſecond rang des Batail.
ou bien à la tête & dans le
lons
terrein qui eſt entre le dernier des
cinq premiers Bataillons & les pi
quiers extraordinaires , ſelon que j'y
trouverois plus ou moins mon com
te : je mettrois auprés de la perſonne
tren
3
3
GUERRE , Liv.III. 187
trente ou ſoixante hommes choiſis ,
qui euſſent aſſez de jugement pour
bien éxécuter un ordre , aſſez de
valeur pour bien ſolltenir un Choc ;
je voudrois qu'avec cela il fût entre
le drapeau , & le tambour. Voila
l'ordonnance dans laquelle je met
trois un Regiment ſur la main gau.
che & ce ſeroic juſtement la moitié
de l'Armée qui ocuperoit en tout
quatre vint quinze toiſes, & deux
pieds de front: & pour la hauteur,
ce que j'ay dit cy -deſſus, en ne con
tant point le terrein qu'occuperoit
cette partie des piquiers extraordi
naires deſtinez pourgarder le bagage
& les gens fans deffence, ce qui fe
roit en tout environ trente trois toi.
ſes & deux pieds. Je pofterois l'au
tre Régiment ſur la droite , dans la
même ordonnance que le prémier ,
laiſſant de terrain entre les deux , la
largeur de dix toiſes ; & à la tête de
cet eſpace je mettrois quelques pie
ces d'Artillerie , derriere leſquelles
je
188
DE L'ART DE LA
je poſterois le Général de l'Armée ,
ayant autour de lui avec l'Enſeigne
Générale & ſes Inſtrumens de Muſi
que Militaire , au moins deux cents
hommes choiſis , & la plus - Part
àpied, entre leſquelsil faudroit qu'il
y en eût dix , ou plusi, propres à
éxécuter toutes ſortes de commande
ments: je voudrois que ce Général
fût à Cheval & armé d'une maniere
qu'il pût être , pied à terre & monté ,
toutes les fois que l'un ou l'autre ſe
roit néceſſaire.
Il ſuffiroit d'avoir
dans l'Armée pour battre les Villes ,
dix pieces de canon du poid d'en
viron trente ſix livres de Balle; dont
je me ſervirois en Campagne , plus
pour garder mes retranchements
que pourlivrer Bataille ; Pour le reſte
1
de l'Artillerie , il ſuffiroit qu'il fût
d'environ huit livres de Balle : & pour
celle-ci je la placerois à la tête de
toute l'Armée, ſi le terrein n'étoit
pas aſſez avantageux pour la placer
en flanc, dans quelque ſituation aſſez
ſûre
Régi
І.
75
ууууу
ууууу
ууууу
ууууу
ууууу
ууууу
ууууу
УУУУУ
,
2
2.
peut
1
1
GUERRE , Liv. III.
189
ſûre pour qu'elle ne reçût point d'é
chec de la contre -batterie de l'En
nemi. ( Fig. IV .
Cette ordonnance d'Armée ainſi
établie , peut en combattant ſuivre
l'ordre des Phalanges , & celui des
Légions: Carvous avez les Piquiers
à la tête , & tous les Fantallins
ſont poſtez de maniére dans les files,
que ceux de derriére peuvent rempla
cer ceux de devant ,comme dans les
Phalanges. D'autre côté s'ils reçoi
vent un choc aſſez furieux pour rom
pre leurs Rangs & pour étre obligez
de faire retraitte , ils peuvent la fai
re dans les intervales des ſeconds Ba
taillons , & réfaiſant de nouveaux
Corps, loûtenir l'Ennemi & le comba
tre: li cela ne ſuffiſoit pas,ils pouroient
encore faire retraitce une ſeconde fois
comme la prémiére , & combatre une
troiſiéme fois ; en forte que felon
cette métode on peut reprendre ſes
forces, & ſelon la maniére Gréque &
ielon la Romaine
Pour ce qui re
garde la force de cette Armée, elle ne
peut
190
DE L'ART DE LA
peut pas etre plus grande que fui.
yant cette ordonnance ; car les deux
ailes font bien munies d'Officiers &
de Soldats , n'y aiant rien de foible
que la queuë , qui eſt compoſée de
gens inutiles , encore ſont-ils bien
appuiez des Piquiers Extraordinai.
res :
Et de quelque côté que l'En
nemi attaque une Armée qui ſera
dans une telle ordonnance ,
il la
trouvera toûjours en trés- bonne dé.
fenſe , ne pouvant pas l'attaquer en
queuë ; parceque vous n'aurez pas un
Ennemi affez puiſſant , pour pou
voir vous attaquer de tous les còtez
avec d'égales forces ; & fi cela étoit,
je ne vous conſeillerois pas de tenir
la Campagne contre lui . Mais n'é .
tant que le tiers plus fort , & même
en auſli bonne ordonnance que vous ,
s'il s'affoiblit pour vous attaquer en
pluſieurs endroits, & que vous ve
niez à le rompre en un ſeul , tout le
reſte ira mal pour lui . A l'égard de
la Cavalerie , quand vôtre Ennemiy
feroit plus fort que vous , vous n'a
vez
GUERRE , Liv.III. 191
vez rien à craindre , parce que les
I
Rangs de vos Piquiers , qui vous
7
vous mettent à couvert de la furie
enýironnent comme une ceinture
0
3.
des chevaux , quand même les vôtres
auroient plié. De plus,les Officiers
ſont placez au large pour pouvoir
commander & obéir ; & le terrein
qui eſt entre chaque Bataillon , &
entre chaque Rang , non ſeulement
peut ſervir à s'entredonner retraitte
les uns aux autres , mais auſſi à laiſ
fer aller & venir ceux qui portent les
ordres du Général . Or je vous ai
dit que les Romains compoſoient
leur Armée d'environ vint- quatre
I
mille hommes: Il en faut donc faire
à préſent de même ; & comme les
1
V
Troupes Auxiliaires ſe conformoient
& pour l'ordonnance & pour le Com.
bat , à ceque pratiquoient les Lé
gions ;. Il faut aulli que les Trou.
pes, que vous joindrez à vos deux
I
. (C
12
Régimens , én prennent la forme 8
l'ordonnance. Vous aiant déja pro
poſé un exemple de toutes ces cho.
ſes .
192 DE L'ART DE LA
ſes- là , il eſt aiſé de l'imiter : parce
qu'en augmentant l'Armée de deux
Régimens , ou doublant le nombre
.
de Soldats , vous n'aurez qu'à dou.
bler les Rångs , ou à mettre dix Ba
taillons ſur la gauche au lieu de cing,
ce qui en produira vint de front; ou
bien vous étendrez & groſſirez les
Rangs , ſuivant que le terrein , ou
l'Ennemi vous y obligent.
Alemanni.
En vérité , Monſieur ,
je m'imagine en telle forte cette Ar
mée , qu'il me ſemble que je la vois
déja , & je brûle d'envie de la voir
attaquer l'Ennemi : Mais ce quime
chagrineroit , ſeroit ſi vous ſuiviez
la mécode de Fabius Maximus , en
tenant l'Ennemi en ſuſpens par des
rémiſes, & en différant le Combat;
parce que je ne pourrois pas m'em
pêcher dedire plus de mal de vous ,
que le Peuple Romain n'en diſoit de
ce Grand Homme.
Colonne. Ne craignez rien dece
côté- là , & n'entendez -vous pas dé .
ja l’Artillerie ? Nos gens ont tiré ,
mais
GUERRE , Liv.III . 193
mais ils n'ont pas fait grand malà
l'Ennemi ; & les Velites extraordi
naires avec la Cavalerie, courent déja ,
ſur lui , & ils l'attaquent de tous
côiez avec le plus de furie & le plus
de bruit qu'ils peuvent; Son Artil
lerie a déja fait une décharge , mais
elle a paſſé par deſſus la tête de nos
gens ; & pour l'empêcher d'en faire
d'autres , voila pos Vélites & nos
Chevaux Légers qui s'en font em
parez ; les ennemis d'autre côté ont
avancé pour la défendre , en forte
que ni la leur, ni la nôtre , ne peu
vent plus faire aucun effet.
Voiez
avec quelle valeur & dans quel bel
ordre nos gens combattent ; ils ont
aquis cette habitude par l'exercice,
& la confiance qu'ils ont dans notre
Armée leur donne du courage ; Vo
yez marcher cette Armée avec ſes
1
T
Gendarmes en flanc , ſans précipita
tion & dans une belle ordonnance ,
afin de joindre l'Ennemi de prés.
Obſeryez, que nôtre Artillerie pour
laiſſer le terrein libre à nos Gendar,
I
mes
194 DE L'ART DE LA
mes , a pris celui que les Vélites oc
cupoient : 'voyez comment le Gé
néral anime ſes ſoldats en leur mon
trant la Victoire aſſeurée . Remar
quez que les Chevaux Légers & les
Vélites ont étendu leurs rangs &
font retournez ſur les flancs de l'Ar
mée , pour voir s'ils ne pourroient
point en dommager l'Ennemi en le
prenant en flanc. Or voici à pré
fent les deux Armées aux mains ;
voyez avec qu'elle fermeté les nótres
ont ſoutenu le Choc des Ennemis ,
& fans faire de bruit: voiez comment
le Général commande aux Gendar
mes de foûtenir fans donner , & de
ne s'éloigner point des files de l'In
fanterie .
Voiez comment nos Che.
vaux Légers font tombez ſur une
troupe de Mouſquetaires ennemis ,
qui vouloient les prendre en flanc
voiez en même tems comment la
Cavalerie ennemie les a ſecourus ,
en ſorte qu'étant envelopez entre
les deux Cavaleries , ils ne peuvent
plus tirer & font retraitte derriere
leurs
GUERRE , Liv.IlI. 195
leurs Bataillons. Obſervez bien avec
quelle furie nos piquiers attaquent
les ennemis ; notre Infanterie & la
leur font fi proches que les uns &
les autres ne peuvent plus fe ſervir
de leurs piques ; de ſorte que ſui
vant les ordres que nous avons éta
blis , nos piquiers fe retirent les uns
aprés les autres au milieu des Ecuiers.
Remarquez cependant comment un
gros Eſcadron de Gendarmes enne
mis à chaffé les nôtres du flanc à
gauche, & comment ſuivant les rés
gles , ils ont fait retraitte ſous les pi
quiers extraordinaires ; par ce moien
ils ſe font ralliez ,
& ont encore
tourné tête à l'Ennemi, le repouffant
& en tuant une partie . Pendant
cela tous les piquiers ordinaires des
prémiers Bataillons fe font mis à
couvert entre nos Ecuiers , & leur
laiſſent foûtenir le combati; mais
1
1
regardez avec quellevigueur& quel
leaſſurance ils expedient leurs en
nemis , & combien ils ſe poſſédent.
Ne voiez vous pas combien lesrangs
$
I
2
ſe
196 DE L'ART DE LA
fe refférent en combattant , en forte
qu'à peine ont ils aſſez d'eſpace pour
bien manier l'épée ? Voiez avec quel
le furie les Ennemis ſe déménent,
car étant armez de la pique & de
l'épée , l'une ne leur ferc de rien à
ni l'autre
cauſe de ſa longueur
non plus ; par ce que leurs ennemis
font trop couvers , de forte qu'ils
tombent morts ou bleſſez , ou ils
prennent la fuite. Voiez comme ils
fuient du côté droit;
Ils fuient en
core du côté gauche. Enfin nous
avons vaincu fort heureuſemene.
Mais il y auroit bien plus de plaiſir
à vaincre en effet ſur le Champ de
Bataille. Vous voiez qu'on n'a eu
que faire des Bataillons du ſecond
& du troiſiéme rang , & que la tête
de noſtre Armée a été aſſez forte
pour remporter la Victoire. Là
deſſus je n'ai autre choſe à vous dire
fi non de voir s'il vous reſte quelque
difficulté.
Alemanni. Vous avez gagné cette
Bataille avec une telle furie y que
j'en
1
)
GUERRE , Liv. III. 197
j'en demeure en admiration , & fi és
tonné , que je ne croi pas pouvoir
bien vous dire , s'il me reſte enco .
re quelque doute dans l'eſprit. Ce
pendant , en me confianten vôtrepru .
dence , je prendrai la hardieſſe de vous
dire ma penſée.
Dites-moi , s'il
vous plait d'abord , pourquoi n'avez
vous fait qu'une décharge de votre
Artillerie ? Et pourquoi l'avez-vous
fait incontinent retirer à couvert de
l'Armée , la laiſſant là toûjours fans
en dire un ſeul niot? Il me ſemble
encore que vous avez bien- tôt fait
cefſer celle de l'Ennemi ; & que vous
l'avez fait donner où il vous a plû ,
ce qui peut fort bien étre. Cepen.
dant s'il arrivoit , comme je croi qu'il
arrive fouvent, qu'elle donnât dans
nos Rangs , Quel réméde y appor
teriez - vous ? Mais puiſque j'ai en .
tamé cette matiére d'Artillerie , je
veux m'éclaircir de toutes les diffi
cultez qui la regardent , afin de n'y
plus revenir. J'ai entendu bien des
gens ſe moquer desArmes & des Or
I
3
don
198 DE L'ART DE LA
donnances d'Armées des Anciens ;
difant , Qu'aujourdhui ils feroient
peu de choſe , ou même rien du tout ,
eu égard à la violence de l'Artillerie ;
parce que cela rompt les Rangs , & ne
trouve point d'armes à l'épreuves De
forte , qu'ils croient que c'eſt une
folie , d'ordonner qu'on ſe fatigue à
porter des armes ayec leſquelles on
ne peut pas étre à couvert.
Colonne.
Vôrre difficulté a beſoin
d'une longue réponſe ; car elle con
1
tient beaucoup de Chefs: lleſt vrai
que je n'ai fait faire qu'une déchar .
ge à l'Artillerie , encore ay-je balan.
çé fi je la ferois:
La raiſon de cela,
c'eſt qu'il eft de plus grande confé.
quence de parer les coups , que de
frapper l'Ennemi. Vous devez la
voir que pour que l'Artillerie ne vous
endommage point, il faut ou étre
hors de la portée , ou ſe mettre der
riére un Parapet, ou un Retranche
ment: Il n'y a que cela qui la puiſſe
arrêter , mais encore faut- il que l'un
& l'autre ſoit de grande réſiſtance,
Les
GUERRE, Liv .HI. 199
Les Généraux qui ont réſolu de don
ner Bataille ne ſe cacheront pas , ni
derriére une muraille , niderriére un
Retranchement ; ils ne demeureront
pas non plus hors de la portée dų ca
non;
Il faut donc ., puiſqu'ils ne
peuvent pas trouver les moiens de
ſe mettre à couvert , qu'ils trouyenç
au moins ceux de n'étre pas tant en
dommagez ; & le ſeul moien pour
cela eſt de donner deſlus l'Artillerie
le plûtôt qu'on peut , & au grand
galop ſans ſe mettre en pelottons ;
parce que quand vous uſez de cette
diligence , l'Ennemi ne peut pas ré
doubler les décharges ; & lorſqu'on
marche éloignez les uns des autres,
il ne peut pas emporter beaucoup de
Mais cela ne ſe peut faire par
gens.
une Troupe qui marche en ordon
nance, parce que ſi elle va vîte , elle
rompe ſes Rangs : ſielle marche fort
ouverte , elle épargnela peine à l'En-,
nemi de l'ouvrir.
C'eſt donc pour
cela que j'ai rangé l'Armée en telle
forte , qu'elle pût faire l'un & l'au .
I 4
tre ;
200 DE L'ART DE LA
tre ; parce qu'aiant poſté mille Vé
lites ſur les ailes , j'ai commandé ,
qu'auſi-tôt que nôtre Artillerie au.
roit fait la décharge ils atlaſſent
s'emparer de celle de l'Ennemi. C'eſt
ce qui eſt cauſe que je n'ai pas fait
faire d'autre décharge de peur de
donner du tems à l'Ènnemi, car il
m'étoit impoſible de prendre du
tems & de l'ô.cr aux autres tout à la
fois : Ainli je n'ai point fait faire
de feconde décharge , afin que le
Canon de l'Ennemin'eût pas le tems
de faire la premiére, puiſque ſi vous
youlez rendre une batterie des Enne.
mis inucile, il n'y a point d'autre ré.
méde que de courir deſſus : Car fi
l'Ennemi l'abandonne
VOUS VOUS
en emparez ; s'il la veut défendre ,
il faut qu'elle demeure derriére , où
érant embarraſſée par les deux Par
tis , elle ne peut tirer. Ces ſeules
raiſons pouroient fuffire ſans rappor
ter des exemples ; mais puiſque j'en
trouve chez les Anciens , je veux
yous les faire remarquer. Ventidiurs
VOU .
GUERRE , Liv. III.
201
voulant combattre les Parthes , done
la plus grande force confiftoit dans
leurs Arcs & leurs Fléches, il les laiſ
3.
3
fa venir fort proche de ſes Rétran
chemens, avant que d'en faire ſortir
fon Armée ; ce qu'il fit ſeulement
pour les embaraſſer prontement , &
me leur pas laiſſer lieu de tirer.
Ce
far rapporte qu'en France donnant
Bataille aux Ennemis , il en fut ata
taqué avec une telle violence , Que
les Romainsnepúrent pas darder leurs
:
javelots , ſelon leur coútume. Donc
3
pour faire qu'une choſe qui tire de
loin ne vous endommage point , le
feul réméde eſt de l'embaraſſer avec
toute la prontitude poſſible. Unau
tre motif qui me pouſſoit encore de
3
donner ſur l'Ennemi ſans faire faire
S
de décharge à l'Artillerie , & dont
2
&
N기
vous rirez peut-érre , quoi que je ne
croie pas qu'on doive le mépriſer.
C'eſt qu'il n'y a rien qui mette tant
de déſordre dans une Armée , que de
lui offuſquer la vûe ; C'eft de là que
tant de belles Armées ont été miſes
Is
en
202
DE L'ART DE LA
en déroute pour avoir été empêchées
de fe fervir de leurs yeux , ou par la
pouſſiére, ou par le Soleil. Iln'y a
rien aprés,cela qui vous offuſque da
Vantage que la fumée du Canon
c'eſt pourquoi je croirois qu'ily au
roit plus de prudence à laiſſer l'En
nemi s'aveugler de lui-même , que
de vouloir , étant vous-même aveu.
glé , aller à la rencontre. Je ne ti
ferois donc point mon Canon , ou ſi
je le failois , pour n'étre pas blâmé
à cauſe du cas qu'on en fait , je le
poſterois ſur les ailes de l'Armée, a.
fin que pendant qu'il tireroit il n'en
offuſquaſt point la têce , ce qui lè .
roit d'une grande importance pour
mes gens. Et pour vous montrer
combien il eſt avantageux d'aveugler
l'Ennemi , je vous rapporterai l'é.
xemple d'Epaminondas , quipour of
fufquer la vûe de l'Armée Ennemie ,
qui lui venoit livrer Bataille , fit
courir fes Chevaux Légers à la
tête de leur Armée , afin qu'élé
vant la pouſſiére , ils lui embarraf
ſal
1
e
3
2
GUERRE,Liv . III. 203
faſſent la vûe ; Ce qui lui fit rem
porter la Victoire.
Pour ce qu'il
vous ſemble que j'ai conduit la dé.
charge du Canon de l'Ennemi , où
j'ai trouvé à propos en la faiſant paf
fer par deſſus la tête à nos Fantaſſins,
je vousrépondrai, qu'il y a bien plus
fans comparaiſon tirez en
de coups
l'air par une groſſe Artillerie , que
de ceux qui donnent à travers l'In
fanterie ; Parce qu'eļle eſt d'ordi
naire fi bafle ‫ژ‬, & ces Machines font
ſi lourdes à manier , que quelque peu
que vous les hauffiez les coupspaſſent
par deſſus la têre de l'Ennemi ; & pour
peu que vous les baiſſiez , les coups en
portent à terre & ne viennent pas
juſqu'à lui. L'inégalité du terrein
couvre encore beaucoup; car il ne faut
que les moindres brouſſailles ou les
plus petites élévacions entre la baterie
& vous, pour ên rompre les coups.
Mais pour la Cavalerie , ſur tout
les Gendarmes , qui doivent érre
bien plus ferrez que les Chevaux
Légers , & qui font plus élevez que
I
6
le
204
DE L'ART DE LA
les Fancaflins , & par: conféquerre
plus expoſez , on peut pendant que
- le Canon jouë , les tenir à la queue
de l'Armée. lleſt vrai que lesMouf
quetaires & la petite Artillerie font
plus de mal que les gros Canons : Le
meilleur reméde qu'il y ait pour ce
la eſt de venir prontement aux mains,
& ſi dans le prémier feu il en tombe
quelques-uns , il faut toûjours qu'il
en meure , & une Armée ne doit pas
appréhender la perte de quelques
particuliers , mais la générale. En
quoi il faut imiter les Suiſſes , qui
n'ont jamais réfuſé de Bataille par
l'appréhenſion de l'Artillerie ; même
ils puniſſent de mort , ceux qui par
cette crainte , quittent leur Rang ,
ou donnent quelque marque exté.
rieure de peur.
Aprés dons la
prémiére décharge, j'ai fait retirer
mon Artillerie dans l'Armée , afin
que les Bataillons euſſent le terrein
plus libre. Je n'en ai plus parlé ;
comme étant choſe inutile aprés que
Le Combat eft attaché. Vous m'a
67
Yez
1
ut
5
SS
La
EX
GUERRE ,Liv . III . 203
vez encore objecté , qu'eu égard à
la violence de ces machines , pluſieurs
eſtiment que les armes & l'ordre des
Anciens ſont inutiles ; & il ſemble
de la maniére dont vous parlez , que
les Modernes aient trouvé des moiens
& des armes , qui les en mettent à
couvert . Si vous favez ce fécret 2
vous m'obligerez de me l'aprendre ,
parce que juſqu'à préſent , je n'en
vois aucun , & je ne croi pas qu'on en
puiſſe trouver : Ainſi je voudrois
demander à ces Cenſeurs , pourquoi
nos Fantaſlins portent le Corcelet &
nos Gendarmes ſont tout habillez de
fer ; Et puiſqu'ils blâment l'armure
ancienne comme inutile , par raport
à l'Artillerie , Pourquoi ne blâmient
ils pas aufli la nôtre? Je voudrois
bien encore ſavoir , pourquoi les Suiſ
ſes , ſuivant les Ordres Anciens , font
un Corps de Bataille ferré , de fix
ou huit mille Fantallins , & pour
quoi tout le monde les a imitez en
cela ; puiſque cette maniére n'eſt pas
moins expoſée à la fureur du Canon
que
1
206
DE L'ART DE LA
que les autres qu'on cient de l'Anti
quité. Je croi qu'ils auroient peine
à répondre : mais fi vous en deman
diez l'avis à des gens qui entendif
fent le mêtier , ils vous diroient ,
qu'encore que ces armures ne les cou
vrent pas contre 1Artillerie , elles les
défendent des arbalêtes , des piques,
des épées , des pierres , & de tout
autre coup qui vient de l'Ennemi .
Ils vous répondroient encore qu'ils
vont ferrez comme les Suiſſes , pour
faire un plus rude choc à l'Infante
rie Ennemie , pour mieux ſoûtenir
celui de la Cavalerie , & pour n'é
tre pas ſi aiſément rompus par les
Ennemis .
Ainſi l'on voit que les Sol.
dats ont bien d'autres choſes à crain
dre que l'Artillerie ; & c'eſt de ces
choſes-là qu'ils le défendent par les
Régles & avec l'armure des Anciens .
Il s'enſuit de là , que plus une Ar
mée eſt bien fournie de toutes ſortes
d'armes , so plus elle tient fes Rangs
ferrez & forts, moins elle a lieu de
craindre . Ainſi celui qui est de cet
1
k
11
GUERRE, LIV. III.
207
te opinion, doit étre peu expérimen.
té , ou bien il a fait peu de réflexion
à la chofe :
Car fi nous voions que
la moindre partie de la métode des
Anciens qu'on pratique aujourd'hui,
qui eſtde porter la pique & de fai
re des Bataillon's comme les Suiſſes,
nous apporte un fi grand avantage ,
& donne à nos Armées tant de for
ce ; pourquoi ne croirons nous pas ,
que tout le reſte ſeroit auſſi fort u.
tile? De plus fi la violence de l'Ar
tillerie ne nous fait pas apprehender
de nous ranger en Bataillons ferrez
1
comme les Suiſſes ; En quelle oc
caſion devons -nous la rédouter da
Vantage ? puiſqu'il n'y a point d'or
donnance qui nous la doive faire
tant craindre , que celle qui range
les gens en Troupes fi ferrées: Ou
tre cela , lorſqu'on aſſiége une Pla
ce , le Canon des Ennemis ne fait
point perdre la tramontane aux Af
fiégeans.
C'eſt cependant là qu'il
peut vous endommager avec plus de
fureté pour lui , puiſque vous ne
pou
208 DE L'ART DE LA
pouvez pas l'embarraſſer , étant dé.
fendu d'un Rempart , & tout ce que
vous pouvez faire , c'eſt de le dé.
monter avec bien du tems , pendant
lequel il a tout le loiſir de redoubler
ſes coups .
Doit-on aprés cela en
faire beaucoup de cas dans une Cam
pagne , où l'on peut aiſément le ren
dre inutile ? Je peux donc tirer cer
te concluſion , Que l'Artillerie n'eſt
pas une raiſon suffiſante pour empé
cherqu'on ne ſefervedes maniéresdes
Anciens , & qu'on ne donne encore des
preuves de l'ancienne Valeur : Et fi
je n'avois point déja parlé de ces
Machines * , je m'y étendrois davan.
tage ; mais je me rapporte à ce que
j'en ai déja dit.
Alemanni. Nous pouvons tous
facilement comprendre vos raiſonne
mens ſur l'Artillerie ; & enfin il me
femble que yous avez prouvé que
le meilleur reméde contre elle ; eſt de
l'em
1 * C'eſt dans ſes Diſcours Politiques sur la prés
mére Decade de Tite-Live
GUERRE, Liv. III. 209
l'embarraſſer prontement , lorſqu'on
eſt en Campagne, & qu'on a une
Armée en tête. Sur cela il me vient
une difficulté , qui eſt que l'Ennemi
pourroit la poſter à côté de ſon Ar
mée , en ſorte qu'elle vous endom
mageroit , & feroit ſi bien défendue
par ces mêmes côtez , qu'il ſeroit
difficile de l'embaraſſer. Si je m'en
fouviens bien , lorſque vous avez ran .
-gé votre Armée en Bataille , vous a
vez donne huit pieds d'intervalle en
tre chaque Bataillon , &. quarante
pieds enue ics Bataillons & les Pi.
quiers Extraordinaires. Si l'Enne
mi rangeoit ſon Armée comme la
vôtre , & qu'il portàt ſon Artillerie
bien avant dans ces intervalles , je
croi que de là elle vous endomma.
geroit beaucoup fans courre aucun
riſque , parce qu'on ne pourroit pas
paſſer au travers de toutes les Forces
Ennemies pour l'embarraſſer.
Colonne. L'objection que vous fai
tes eſt pleine de bon ſens & de pru
dence , & je ferai mon poſible pour
la
219
DE L'ART DE LA
la réſoudre ou pour y trouver le
reméde. Je vous ai dit que les Ba . '
taillons en marchant , ou en com
battant , ſont toûjours en mouve
ment , & naturellement ils viennent
toûjours à ſe reſſerrer , en ſorte que
fi yous faites les intervalles où vous
poſtez l'Artillerie , étroits , en peu
de tems ils ſe rérreciſſent encore fi
fort , que le canon ne pourra plus
jouër ; ſi vous faites ces eſpaces lar.
pour éviter un peril , vous
ges ,
tombez dans un plusgrand : car par
ces intervalles vous donnez moien à
l'ennemi d'embarraſſer votre Artil
lerie ou de vous rompre.
Mais il
fautque vous ſçachiez qu'il eſt im
poſſible de tenir l'Artillerie entre les
Bataillons particuliérement les gros
Canons , par ce qu'ils vont d'un
côté , & tirent de l'autre ; en forte
qu'aiant à marcher & à tirer, il faut
devant qu'ils puiſſent faire lenr de.
charge , qu'on les tourne , ce qu'on
ne peut faire qu'avec un fi grand
terrein , que cinquante affûcs de
canon
GUERRE, Liv . III. 211
canon mettroient en défordre toute
une Armée. Il faut donc tenir l'Ar
tillerie hors des Bataillons , & c'eſt
là où l'on peut l'attaquer de la ma
niére que nous avons dite. Mais
3
fuppofons qu'on la pùe tenir entre
5
les Bataillons , & qu'on pût trouver
un moyen qu'en les faiſant reſſerrer
ils n'en empéchaſſent point l'effet;
ni que l'eſpace ne fût point aflez
*
ouvert pour donner entrée à l'En
nemi, je dis qu'il eſt aiſé de remé
dier aux défordres que cette Artil .
1
W
lerie pourroit faire, en ouvrant vô.
tre Armée vis à vis d'elle , en forte
que les coupspaſfaffent par cette ou
verture ſans effer.
Et cela eſt trés
facile , par ce que fi l'Ennemi veut
que fon Artillerie foit en ſureté , il
faut qu'il la porte en queuë fur la
fin des eſpaces : & s'il ne veut pas
que fes propres gens en foient en
dommagés , il faut qu'elle cire en
ligne droite, de forte qu'en ouvrant
võtre Armée à l'oppoſite vous don.
nez le paſſage libre à tousſes coups.
Car
212 DE L'ART DE LA
Car voici une régle générale , qu'il
faut faire paſſageà tout ce qu'on ne
peut pas foûtenir , ainſi que faiſoient
les Anciens aux Elephans & aux
1
Chariots armez de faux. Je penfe
M
& même je ſuis ſur que vous trou
vez que j'ai accommodé & gagné la
Bataille comme il m'a plû ; cepen
dant je vous réitére encore, fi touc
ce que j'ai dit juſqu'ici ne ſuffit pas,
qu'il ſeroit impoſſible qu'une Armée
miſe dans l'ordonnance , & fournie
d'armes comme j'ai fait, ne deffit pas
du premier Choc, une autre Armée
difpofée comme on fait ordinaire
ment aujourd'hui; car la plû part ne
font qu'une face , ne donnent point
de Boucliers , & laiſſent leurs ſoldats
tellement découverts, qu'ils ne peu
vent ſe déffendre d'un ennemi pro.
che ; & ils les mettent en ordonnance
de Bataille d'une telle forte , qu'ils
.
ſe prennent en fianc les uns les au
tres , ils ne donnent point de face
ni de hauteur à leurs corps d'Ar
mées ; ils les poftent directement
l'un
GUERRE, Liv.III.
213
l'un derrière l'autre , ſans leur don .
per moien de ſe recevoir dans les
Rangs les uns des autres ; de forte
다.
que faiſant Retraitre , ils la font en
1
déſordre , & en état d'étre bien -toft
rompus ; & encore qu'ils donnent
trois noms à ces Corps d'Armées ,
EM
2
qu'ils partagent en trois , appellant
l'un l'Avantgarde , l'autre la Batail
le , & l'autre l' Arriéregar de. Néan
moins ils n'en tirent d'autre uſage
que dans la marche , & pour diſtin .
v 'guer les logements : Mais dans un
jour de Bataille , ilsles obligent tous
r
à attaquer tout à la fois , & à s'ex
poſer tous enſemble au prémier ca
price de la Fortune.
Alemanni. J'ai remarqué encore
que dans vôtre Bataille , vôrre Ca
3
yalerie a été repouſſée par celle de
l'Ennemi, ainſi elle a été contrainte
de faire Retraitte à couvert des Pi.
quier's Extraordinaires , par le ſecours .
1
i
1
deſquels elle a foûtenu & repouſſé
l'Ennemià ſon tour. Je penſe bien
que les Piquiers peuyent foûtenir la
Ca.
214
DE L'ART DE LA
Cavalerie dans un Batalllon gros &
folide comme ceux des Suiſſes ; mais
dans vôtre Armée , vous avez ſeule
ment en face vint Rangsde Piquiers,
& en flanc fept, en ſorte que je ne peux
comprendre comment ils peuvent
foûtenir .
Colonne. Encore que je vous aie dit
que dans les Falanges Macédonien
nes , fix Rangs de Piquiers agiſſoient
tout à la fois , il faut pourtant que
vous fachiez qu'un Régiment de Suiſ
ſes, eneut-il mille de ces Rangs;il n'en
peut emploier que quatre ou cinq au
plus à la fois , parce que les piques ne
ſont longues que de dix -huit pieds,
les mains en occupent trois ; ainſi
le premier Rang n'a de libres que
quinze pleds deles piques ; le ſe
cond Rabg , outre ce qu'il occupe
de ſes mains , en emploie trois pieds
à traverſer le terrein qui eſt entre une
file& l'autre ,ilne lui en reſte donc que
douze de libres pour le Combat. Le
troiſiéme Rang , pour les mêmes
raiſons
GUERRE , Liv.III. 215
raiſons n'a que neuf pieds de libres ,
le quatrième , que fix ; & lecinquié
me
ſeulement trois.
Les autres
Rangs ne ſervent de rien pour en
dommager l'Ennemi ;: mais ſeule
ment pour remplacer les prémiers
Rangs , comme nous avons déja dit,
& à ſervir de ſoutien & de Contre - fort
7
aux cinq prémiers. Si donc leurs
- cinq prémiéres files mettent bien la
Cavalerie à la raiſon , pourquoi les
21
cinq nôtres ne le feront - elles pas ?
Car elles ont aufli derriére elles d'au .
1
ires Rangs qui les foûtiennent & qui
1킵
les appuient; quoi qu'ils n'aient pas
1
de piques comme les prémiers.
Or
quand même les Rangs des Piquiers
Éxtraordinaires , qui font poſtez ſur
les flancs , vous paroitroient trop
minces , on les pourroit réduire en
e
un quarré , & les pofter en flanc aux
5
deux Corps que j'ai placez à la
e
E
queuë de l'Armée ; - & de ce pofteils
pourroient ſecourir également, & la
tête , & la queuë de l'Armée , &
don .
216 :DE L'ART DE LA
donner retraitte à la Cavalerie en cas
de befoin .
Alemanni. Vous ſerviriez - vous
toûjours de cette métode là , toutes
les fois que vous voudriez donner
Bataille?
Colonne. Nullement ; car ſelon la
diverſité du terrein & de la force des
Ennemis , vous devez auſli diverſi
fier l'Ordonnance de vôtre Armée ,
comme j'en donnerai quelque éxem
ple ayant que de finir ce diſcours.
Mais j'ai rangé l'Armée de cette ma
niére
non pas tant parce que c'eſt
la plus avantageuſe, quoi qu'elle le
ſoit beaucoup , parce qu'afin qu'elle
vous ferve de régle & de modele,
pour pouvoir donner la forme& l'ora
donnance à d'autres ; chaque Sience
a ſes Maximes générales, qui lui ſer
vent en partie de fondement & de
principes. Je vous répére encore u.
ne choſe , c'eſt que jamais vous ne
rangiez d'Armée en Bataille d'une
maniére , que ceux qui combattent
à
GUERRE, Liv . III.
217
à la têté ne puiſſent pas étre ſecou
3
rus par ceux qui ſont poſtez à la
queuë ; Parce que celui qui fait
cette faute , rend la plus - part de
ſon Armée inutile ; & quoi qu'el
le ait beaucoup de valeur , il ne
peut pas remporter la Victoire pour
cela .
Alemanna - Il vient de me naître
là - deſſus une difficulté. J'ai vû
que dans l'Ordonnance de votre Ar
mée , vous avez fait la tête de
Cing Bataillons, le milieu de Troisg
& la queue de Deux ; Et moi , je
tout le contraire , parce que je croi
qu'une Armée ſeroit bien plus dif .
croirois qu'il feroit mieux de faire
ficile à rompre , ſi celui qui lui don
neroit le premier choc , plus il i.
roit avant , plus il trouveroit d'é . .
paiſſeur , & de réſiſtance; & pour vô
tre Ordonnance, il ſemble que plus on
y entre , moins on y trouve deforce.
Codorne. Si vous vous étiez ſouve.
nu que les Triaires , qui font le troi
fiéme Corps d'une Légion Romaine ,
K
I
ne
218 DE L'ART DE LA
ne faifoient que fix cents hommes ,
vôtre difficulté vous auroit paru
moins forte
en conſidérant qu'on
les mettoit dans le dernier Poſte ; car
vous auriez vů que c'eſt ſur cét é.
xemple que j'ai mis deux Bataillons
dans cette Arriéregarde ; qui ſont
pourtant au nombre de neuf cents :
De forte que ſij'aimanqué avec les
Romains , c'eſt pourtant en faiſant
le Corps de Réſerve encore plus fort
qu'ils ne faiſoient. Mais quoir que
cér illuſtre éxemple dûr ſuffire pour
vous répondre , il vaut mieux enco
re vous en ajoûter la raiſon qui eſt
celle- ci ; 'La Tête de l'Armée doit
étre toûjours forte & ſolide , parce
qu'elle doie ſolltenir le plus grand
choc des Ennemis , & qu'elle n'a
point d'Amis à recevoir dans les
Rangs, ainſi il faut qu'elle foit mu
nie de quantité de Soldats ; Car le
petit nombre la rendroit foible , en
lui donnant trop peu de front , ou
en rendant les rangs trop clairs.
Mais le Second Corps doit avoir les
ef.
.
GUERRE, Liv . III. 219
· eſpaces larges ; & par conſéquent ne
doit pas avoir tant de gens , parce
que dans le beſoin il doit d'abord
recevoir les Amis , avant que de foû
Car ſi vous
tenir les Ennemis :
metriez plus de gens dans ce Second
Corps., ou même autant que dans
I
le Premier , vous ne pouriez laiſ
ſer dans le Second des eſpaces pour
recevoir le Premier , ce qui cau.
1
Yeroit un grand déſordre : ou en
0
les y laiſſant, il palleroit les alligne.
ments , ce qui rendroit la figure de
3
ET
1
À
l'Armée imparfaitre. Ce que vous
dites encore n'eſt pas vrai, Que plus
l'Ennemi entre dans ce Régiment ici ,
plus il le trouve foible , parce qu'il
ne peut jamais paſſer aſſez avant
pour venir au Combat avec le Se,
cond Corps, ſi le Prémier n'eſt joint
avec lui ; ainſi l'on trouvera le milieu
2
du Régiment plus vigoureux & non
2
pas plus foible , parce qu'on ſera 0
-S
& le Second Corps à la fois. Il en
arriyeroit de même ſi l'Ennemi paſ.
bligé de combatre avec le Premier
K
2
foit
220
DE L'ART DE LA
ſoit aſſez avant pour combatre avec
le Troiſieme Corps, parce qu'il n'au
roit pasſeulement affaire à deux Corps
de Troupes Fraiches, mais auſſi à tour
le Régiment. Et parce que le Der
nier Corps doit recevoir bien plus de
gens, que les deux Prémiers , il faut
auſſi que les eſpaces ſoient bien plus
larges, & par conſéquent que celui
qui reçoit ſoit en plus petit nom
bre .
Alemanni. J'approuve ce que
vous me dites , mais répondez moi
encore à ceci. Si les cinq Prémiers
Bataillons font Retraite dans les Trois
Seconds , & en ſuite les Huit dans les
Deux Troiſiémes , il ne ſemble pas
poſſible, que les Huit réduits enſem
ble., & en ſuite les Dix , puiſſent n'oc
cuper que le mêmeterrein que les Cinq
occupoient d'abord
Colonne. La première choſe que je
vous réponds , c'eſt que ce n'eſt
pas le même terrein , car les Cinq
Bataillons ont quatre eſpaces entre
eux,
!
1
GUERRE , Liv. III. 221
eux , qu'ils prennent en faiſant Re
traitre entre les Trois , ou entre les
Deux , il y a encore le terrein entre
les Deux Régiments ; & encore ce
lui qui eſt entre les Bataillons & les
Piquiers Extraordinaires , tous leſ
quels terreins joints enſemble font
une grande étendue. Ajoûtez à ce
la , Que le terrein qu'occupent les
Bataillons, quand chacun tient ſon
Rang
eſt bien différent de celui
qu'ils occupent quand ils ſont un peu
en déſordre , parce qu'ils ſe ferrent,
ou s'élargiſſent toujours. Ils s'é
fargiffent quand la peur les a faiſis
juſqu'à leur faire prendre la fuite :
Ils ſe reſſerrent lorſqu'ils ont peur ,
mais d'une manière à leur faire cher .
cher la défenſe & non la fuite ; & en
ce cas:là ils ſe reſſerrent & ne s'élar
gillent jamais.
Ajoutez y encore ,
Que les cinq Rangs des Piquiers qui
font à la tête , aprés avoir attaché le
Combat , font Retraitte à travers les
Bataillons à la queue de l'Armée , a
fin delaiſſer place aux Ecuiers pour
K
3
com
222
DE L'ART DE LA
combattre ; & pendant que ces Pi
quiers marchent vers la queuë , ils
peuvent étre emploiez où le Géné.
"Tal trouve à propos ; au lieu que de
puis qu'on en eſt aux mains , ils ſe
roicnt tout à fait inutiles.
Et c'eſt
pour cela que les eſpaces d'entre les
Rangs , peuvent fort bien recevoir
tout ce qu'il faut .
Enfin li ces ef.
paces-là nefuffifoient pas , les cctez
qui font les flancs de l'Armée font
des hommes,‫ & و‬non pas des murail
des ; ainſi en les faiſant ouvrir & s'é.
argir , ils peuvent faire un terrein
aſſez grand pour recevoir tout.25 .
: Alemanni. Voulez -vous que les
Piquiers Extraordinaires",que vous.
avez poſtez fur les flancs , faſſent
ferme pendant que les premiers Ba.
taillons font Rétraitté dans les Se .
conds, &
qu'ainſi ils deviennent
comme les deux ailes de l'Armée ?
Ou bien voulez -vous qu'ils faſſent
Retraitte comme les autres ?
Ce
comment
qui étant , je ne vois npas
aire
dera
GUERRE , Liv. III . 223
derriére eux de Bataillons avec des
files ouvertes pour les recevoir.
Colonne.
Si l'Ennemi ne les com
bat point quand il force les Batail
lons à faire Retraitte , ces Piquiers
là peuvent faire ferme dans leurs
Rangs , & prendre l'Ennemi en flanc,
aprés que les prémiers Bataillons au
roient fait leur Retraitre : Mais s'il
.
combattoit auſſi les Piquiers , com
me il y a apparence, puiſqu'il eſt af
fez fort pour obliger des Bataillons
à la Retraitte ; En tel.cas , ils de
vroient auſli faire Retraitte , ce qui
$
leur eſt facile , encore qu'ils n'ayent
perſonne derriére eux pour les rece
voir :
Cac du milieu en avant ils
$
1
peuvent Doubler leurs Rangs en li.
gne directe , ainſi que nous l'avons
expliqué , lorlque nous avons par
1
lé du moien de Doubler les Rangs.:
que ſi l'on veut les doubler en faiſant
Retraitre de la tête. à la queuë , il
1
faut ſuivre une autre métode que
celle que je vous ai enſeignée ; par
ce que je vous ai dit que la ſeconde
K
4
file
224 DE L'ART DE LA
file devoit entrer dans la prémiére , &
la quatriéme dans la troiſiéme,& c . Et
dans ce cas ici , il ne faudroit pas com
mencer à la tête , mais à la queue , afin
que les Rangs venant à fe doubler , on
n’avançaſt pas , mais que l'on fiſt Re
traitte . Afin de répondre à tout ce que
vous pourriez répliquer ſur cette Ba
taille , je vous repéte encore , Que
j'ai rangé cette Armée en Bataille
pour deux raiſons :
La prémiére',
pour vous montrer comment on doic
les ranger en général , lorſqu'il eſt
queſtion d'en venir aux mains : La
feconde , pour vous apprendre à
leur faire faire l’Exercice : Pour
1
l'Ordonnance , je croi que vous la
comprenez fort biert : Et four l'E.
xercice, je vous dis que le plus qu'ils
eſt poſſible, il faut diſpoſer de cette
maniére -là tous les Corps enſemble,
af
à bien mettre en bonne Ordonnance
feurs Bataillons, car c'eſt aux Soldats à
bien garder leurs Rangs , & aux Com
mandans à bien tenir leurs Bataillons
en
GUERRE ,Liv .III. 225
en ordonnanced'Armée , & à bier éxé.
cuter le commandement duGénéral.Il
faut donc qu'ils fachent joindreun Ba
taillon à l'autre , & prendre leur Poſte
1
tour d'un coup ; & pour cela il faut que
le Drapeau de chaque Bataillon ait ſon
nombre écrit en lieu viſible , tant pour
pouvoir mieux commander ces Ba.
į
taillonslà, que pour que leGénéral &
les Soldats les reconnoiſſent mieux.
Il faut auſſi que les Régiments aient
leur nombre marqué dans leur princi.
pale Enſeigne ; & qu’ainſi:l'on ſache
de quel nombre eſt le Regiment po
2
ſté à l' Aile droite , ou à l'Aile gauche,
de quel nombre font les Bataillons po
I
ftez à la Tête , ou dans le Second Corps,
12
& c.Il faut encore que ces nombres ſera .
ventd'échelons pour monter aux char
ges: Par exemple , le plus bas Officier
ſera un Caporal, celui qui le ſuivra ſera
le Capitaine des Cinquante Vélites , aus
l
s
7
deſſus ſeront les Capitainesdés Batail
lons , en ſuite ſera le Commandant du
Dernier Bataillon , & puis le Como
mandant du Neuv'éme , juſqu'au Pre
✓
5
mier
226
DE L'ART DE LA
prémier qui doit tenir Rang immé..
diatement aprés le Colonel, ou celui
qui commande l'un de nos Régi
ments ; & il faudroit faire en ſorte
qu'on ne parvint jamais à cette Char
ge-là , ſans avoir paſſé par tous les
dégrez. Mais parce qu'outre ces
deux Colonels , il y a trois Comman
dants des Piquiers Extraordinaires ,
& les deux des Vélites aufli Extra
ordinaires , je voudrois que ceux-ci
fuſſent de même Rang que le Com
mandant du dernier Bataillon ; & je
ferois bien aiſe d'avoir fix Officiers
de pareil Grade , afin qu'ils euſſent
tous de l'émulation à qui parvien
droit au Commandement du neuvié.
me Bataillon .
Chacun donc de tous
ces Commandans , fachant en quel
endroit ſeroit poſté ſon Bataillon , il
s'enſuivroit de néceſſité que l'Enſei
gne Générale étant arborée , dés la .
prémiére fanfare toute l'Armée oc
cuperoit tous ſes Poſtes.
Et c'est là
le premier Exercice à quoi il faut
accoûtumer une Armée , qui eſt de
fe
GUERRE ,Liv. III. 227
fe ranger prontement en Bataille ; &
pour y parvenir prontement , il faut
tous les jours , & même pluſieurs
t
fois le jour la rompre & la remet
4
tre.
S
Alemanni. Quelle marque vou
SS
driez-vous qu'euſſent les Enſeignes
outre celle du nombre.
Colonne. Je voudrois que l'Enſei
gne du Général eût l'Ecuſſon de ſon
Prince , toutes les autres pouroient
bien avoir le même Ecuſſon , mais
en variant le Champ , ou ajoûtant
F
1
quelque marque , comme il plairoit
au Prince, de qui dépendroit l'Ar
mée :
Car tout cela importe peu ,
pourvû qu'il produife l'éfet qu'on en
attend , qui eſt de ſe réconnoître les
uns les autres. Mais revenons à l'au
tre Exercice auquel il faut accoûtu
mer une Armée ; qui eſt de la met
tre en mouvement , & en marchant
ſelon les Régles , avoir foin qu'elle
conſerve bien fon Ordonnance.
1
2.
Le
troiſiéme Exercice qu'elle a faire',
eſt d'apprendre à le conduire com
K
6
me
1
228 DE L'ART DE LA
me elle doit faire un jour de Batail
le : Faire décharger le Canon , & le :
faire retirer ; Faire mettre en mouve
ment les Vélites Extraordinaires , &
les retirer aprés qu'ils auront éxécus
té l'ordre de donner une Fauffe- allar
me ; commander que les Premiers
Bataillons , comme s'ils étoient ré
pouſſez , Falent retraitte entre les:
Seconds , & tous enſemble entre les
Troifiémes; & de-là-les faire tousretour
nerchacun à leurpoſte. Il faudroit tela
lement les dreſler à cela , que chacun
connût ce qu'il doit faire & s'en , for
‘ mât l'habitude ; parce qu'une ehoſe:
qu'on fait fort bien , & dont on a l'ha ..
bitude , s'éxécute prontement. Le
quatriéme Exercice eſt deleur aprendre à connoître par le ſon du Tambouri
& de laTrompette, & par lemouvement
du Drapeau , les Commandemensde
leurs Oficiers;- Car on fait aſſez qu'ils
entendront bien ſans aucun Exercice
les Commandemens de.la yoix, Mais:
parce que l'importance de ce Com
mandement vientde la différence des ,
Sonsy
GUERRE , Liv. III.
229
3
Sons, je vous dirai quels étoient ceux
3
qu'emploioienc lesAnciens. Les Lacé.
e
démoniens , au rapport de Tucidide ,
emploioient la Flute dans leurs . Are
mées ; parce qu'ils croioient que cec
C
te muſique étoit plus propre à faire a
vancer leur Armée avec gravité , &
non avec précipitation. Pour la
!
même raiſon , les Cartaginois dans la
prémiére attaque emploioient le Ci
Stre*. Abiatte Roi de Lidie emplo.
ioic la Flüte & le Ciſtre : Mais . Alé
xandre & les Romains emploioient
les Cors & les Trompettes , penſant
que ces Inſtrumens avoient plus de
vertu pourréveiller le courage desSol
dats & les faire combatre avec plus de
vigueur. Cependant, comme en ar
mant nos gens, nous avonspris des ma
niéresGréques & des Romaines, pour
ce qui regarde la Mufique Militaire,
nous garderons auſſi les uſagesde ces2.
Nations. C'eſt pourquoije,mettrois
des Trompettes auprés du Général,
étant
* Vosez les Remo
230
DE L'ART DE LA
étant un ſon , non ſeulement propre
à animer l'Armée ; mais auſſi à fe
faire entendre au travers du bruit ‫ڈ‬
plus qu'aucun autre. Toutes les au
tres Muſiques qui feroientauprés des
Commandants des Bataillons & au
tres , je voudrois qu'elles ne fuſſent
compoſées que de petits Tambours &
de Flutes , qu'on feroit jouër com
me dans les Feſtins & non pas com
me on fait à préſent. Le Général
donc avec ſes Trompettes feroit en
tendre quand il faudroit faire halte ,
quand il faudroit marcher avant , ou
fa re Retraitte , quand il faudroieti.
rer le Canon , quand il faudroit fai.
re avancer les Vélites Extraordinai
res ; & avec la variété de ſes Fanfa.
res , il feroit faire à l'Armée tous les
mouvemens qu'elle doit faire. Il fau.
droit en ſuite que ces Trompettes fuf
fent ſuivies des Tambours; Et com .
me cér Exercice eſt aſſez de confé .
quence , il faudroit y bien dreſſer
1 Armée.
Pour la Cavalerie il faut
auſli des Trompettes , mais plus peti
tes
"
GUERRE , Liv.III. 231
tes & qui fonnaſſent autrement que
celles du Général. Voilà tout ce qui
!
m'eſt venu dans l'eſprit ſur la manié.
re d'ordonner une Armée & de lui
faire faire l'Exercice.
Alemanni. Je vous prie de trouver
bon que je vous demande, pourquoi
vous avez ordonné que la Cavalerie
Légére &'les Vélites Extraordinaires,
1
1
-
en attaquant', euſſent à fe jetter fue
l'Ennemiavec furie & avec de grands
cris ; & qu'en ſuite le reſte de l'Ar
mée venant aux mains , cela fe faiſoit
avec un ſi grandfilence ? ' Expliquez
moidonc cela je vous fupplie , carje.
n'en peux comprendre la raiſon.
Colonne. Les Anciens n'ont pas és
té bien d'accord , ſi l'on doit en ve
nant aux mains , le faire vîre & avec
de grands cris , ou ſi l'on doit avan
cer doucement & avec filence." Ceta
te derniére allure eſt plus propre pour
bien garder l'ordre & pour bien en
tendre le Commandement:
L'autre
eſt plus propre pour encourager les
gens. Or parce queje croi qu'il faut
tâ ,
232 DE L'ART DE LA
tâcher defaire l'un & l'autre, j'aicom
mandé que
les premiers marchaſlent
avec bruit & furie , & les autres dou
cement & ſans éclat. Car je ne trou
ve nullement à propos que ces grands
cris-là durent toûjours , puiſqu'ils
cmpêchent le Commandement , ce
qui eſt fort pernicieux.
Et il n'y a
point d'apparence que les Romains
aprés la premiére attaque continual
fent ces bruits- là ; Car l'on voit dans
leurs Hiſtoires, que les Soldats qui
fuioient , écoient encouragez par les
cxhortations & les diſcours des Offi
ciers , & que ſouvent les choſes ont
été changées au fortdu Combat, par
l'ordre du Général; ce qui ne ſeroit
pas arrivé ſi les bruits continuels a
voient étouffé fa. yoix ,
DE
233
DE ĽART
DE
L. A
GUERRE:
LIVRE QUATRIEME.
Alemanni.
P
UISQUE pendant que j'ai
été de jour , il s'eſt ga.
gné une fi glorieuſe Ba
taille , je croi qu'il eſt à
propos de ne plus tenter
la Fortune , connoiſſant comme je
fais , fa légéreté , & fon inconftan
ée. Je veux donc me démettre de la
Di.
234
DE L'ART DE LA
Dictature , & que Monſieur Buon- ' 2
delmonte entre àpréſent dans la char
ge de Faiſeur de Queſtions , puiſque
ce!
felon l'ordre établi cét Office regar
de le plus jeune. Je me perſuade 192
qu'il ne réfuſera pas cét honneur, ou
pour mieux dire , ce travail , tant
3
pour m'obliger , que parce qu'il eſt i
naturellement plus hardi que moi ;
& cela ne lui fera point de peine
d'entrer dans une lice , où il peut
vaincre & étre vaincu .
Buondelmonte. Je prendrai le Po
quoi que
j'euſſe plus de plaiſir à n'étre qu'Aų .
fte que vous me donnerez,
parce que vos demandes
m'ont bien plus fatisfait , que n'au
roient fait celles qui me font venuës
diteur
3
dans l'eſprit , pendant que j'écoutois
vos Difcours. Mais , Monſieur , je
penſe qu'il vaut mieux que le Séi.
gneur Colonne ne perde pas lon tems,
le priant de nous pardonner , ſi nous
l'avons ennuié avec nos cérémonies .
Colonne.
Bien loin de m'ennuier ,
cela me faic plaiſir , car ce change
nent
RD
GUERRE ,Liv. IV . 235
gement de Perſonnages me fait con
noître la différence de vos Eſprits ,
& celle de vos inclinations. Mais
trouvez- vous qu'il faille encore ajoûe
ter quelque choſe à la matiére que
nous venons de traiter ?
Buondelmonte. Je fouhaitte de fa
voir deux choſes avant de paſſer à
un autreſujet : La prémiére, ſi l'on
ne peut ranger une Armée en Batail.
le d'une autre maniera ? La fecon
de , à quoi doit principalement re
garder un Général devant que d'en
venir aux mains ? & s'il furvenoit
quelque accident pendant la mêlée ,
quels remédes il y faudroit appor
ter
Colonne. Je ferai mes éforts pour
vous fatisfaire. - Je ne répondrai
point diſtinctementà vos Queſtions,
parce que pendant queje répondrai
à l'une , il arrivera fouvent qu'il fau
dra répondre à l'autre. Je vousai
dit , que je vous donnois un Ordre
de Bataille ; afin que ſur celui-là vous
puiſſiez former , & prendre les me
fu .
( 236 DE L'ART DE LA
fures à quoi le terrein & l'Ennemi .
vous obligent ; parce qu'on dépend on
fouvent de l'un & de l'autre.
Mais
ſouvenez - vous ſur tout de ne pas trop 2
donner de front à vôtre Armée , fi
elle n'eſt pas trés - forte & trés- nom-.
breuſe ; Car autrement il vaut mieux
lui donner plus de hauteur & moins
de face.
Sur tout quand vous avez
peu de monde en comparaiſon de
l'Ennemi, il faut quevous cherchiez
quelque expédient , comme de fan
ger vôtre Armée', en forte qu'elle ſoit
Aanquée d'une Riviére , ou d'un Ma .
rais,afin que yousne puiſliez pas étre
environné de l'Ennemi; ou bien il
faut vous munir de bonnes Trenchées
ſur les flancs, comme fit Céſar en
France. Dans un tel cas , prenez pour
maxime de vous étendre , ou de vous
reſſerrer de front , ſelon la quantitéde
vos gens , ou de celle de l'Ennemi; qui
étant moindre que vous , tâchez de
l'attirer dans les Plaines , afin non
feulement de pouvoir l'environner
mais auſſi pour donner plus d'éten
due
ou
GUERRE , Liv.IV. 237
düe à la face de vôtre Armée ; &
ſur tout en cas que vos gens ſoient bien
diſciplinez , parce que dans les lieux
ſerrez & rudes vôtre nombre ne vous
fere de rien , ne pouvant pas donner
à vos Rangs toute l'étenduë qu'ils
pourroient avoir. C'eſt pour cela
que les Romains cherchoient tou
jpurs, les Plaines , & évitoient les
Montagnes. Mais il faut faire tout le
contraire , ſi vous avez peu de monde
& mal diſcipline ; Car en ce cas
vous devez chercher un terrein , où
la petite quantité ſoit à couvert , &
où le peu d'expérience ne vous ap
porte aucun préjudice.
Prenez aur
li, autant qu'il vous ſera poſſible ,
le Pofte le plus élevé , afin de
pouvoir plus facilement fondre fur
l'Ennemi : Ne vous poſtez pour
tant pas dans un , penchant rude ,
ni au pied d'une éminence , ſur
laquelle l'Armée Ennemie pourroit
venir , & à cauſe de l'Artillerie , cette
éminencevousnuiroit beaucoup ; car
l'Ennemi pourroit vous endommager
ex
238
DE L'ART DE LA
U
extrémement , ſans que vous puſſiez
y apporter reméde , & pour vous ,
vousne pouriez lui faire aucun mal,
étant embarraſſé par vos propres
gens. Celui qui range fon Armée ,
doit encore avoir égard au Soleil &
au Vent , afin que l'un & l'autre ne
vous donne pas en face ; car ils offuf
trop
op de lu.
quent la vûe , l'un par le tr
miére , & l'autre par la pouſſiére.
Outre cela le Vene diminue la force
/
des coups qu'on tire à l'Ennemi. Et
pour le Soleil , il ne ſuffit pas qu'il
ne vous nuiſe point dans le commen
cement du Combat ; il faut ſe pré
caucionner , en ſorte qu'en continuant
cela n'arrive pas .
C'eſt pour cela
qu'en rangeant vôtre Armée en ba
taille, il faudroit tâcher qu'elle l'eût
dans les épaules , car il ſe paſſeroit
bien du tems devant qu'il fût venu
à darder ſes raions dans les yeux .
Ce ſtratagéme fut prattiqué par An
nibal à la Journée de Cannes , & par
Marius contre les Cimbres.
Si vous
étes moins fort en Cavalerie que
l'En
OM
洲。
of
MU
GUERRE , Liv.IV.239
l'Ennemi, poftez votre Armée en
tre des Vignes, des Arbres , & au
tres embarras ; comme firent les Ef
pagnols , lorſqu'ils rompirent les
François à Cirignuola dans le Roiau
me de Naples. Même on a vû ſou
vent que les mêmes Troupes , en
changeant ſeulement d'ordonnance
& de ſituation , ont vaincu leurs
Vainqueurs ; comme les Cartaginois,
qui après avoir été vaincus bien des
fois par Regulus-, furent en ſuite
Vainqueurs par le conſeil de Xantip
pe Lacédémonien , qui leur fit pren
dre les Plaines , où ils battirent les
Romains , par la force de leur Ca
valerie & de leurs Eléfans. J'ai re
marqué par les exemples des An.
ciens , que lorſque l’Ennemi a fait
un côré de ſon Armée plus fort que
i l'autre , on ne lui a oppolé que le
plus foible , en oppoſant par conſé
quent au côté le plus foible de l'En
nemi , celui de l'Armée qui étoit le
plus fort, à qui l'on commandoit de
ſolltenir feulement les Ennemis , fans
re
240
DE L'ART DE LA
repouſſer le choc , & au plus foible
on lui ordonnoit de céder & de faire
Retraite dans le dernier Corps de
l'Armée. Ceci cauſe deux grands
déſordres à l'Ennemi : le premier ,
c'eſt que le Corps le plus
contidéra
ble de ſes Troupes ſe trouve par là
tout environné des autres ;
Le le
cond., c'eſt que s'imaginant avoir
eu la Victoire à bon marché , il arri
yera ſouvent qu'il ſe débandera , ce
qui le perdra auſli-tôt. Scipion é
tant en Eſpagne , contre Aſdrubal
Chef des Carthaginois , & ſachant
qu'Aſdrubal n'ignoroit pas que c'é
toit la coûtume des Romains de po
fter leurs Légions au milieu , qui fai
ſoit ainti la plus forte partie de l'Ar
mée , & que par conſéquent Aſdrubal
ſuivroir la même mécode ; quand le
jour de la Bataille fut venu , Scipion
changea de batterie , & forma ſes ai.
les de ſes Légions , faiſant le Corps
de Bataille de ſes moindres Troupes.
En ſuite venant aux mains', il fit mar
cher incontinent fes moindres Trou
pes ,
TE
GUERRE,LIV.IV. 241
pes , mais lentement ; pendant que
les ailes de l'Armée avancérent avec
prontitude , en ſorte que ce ne fuc
que les ailes de l'une & de l'autre
1
Armée qui combattirent, & les Corps
de Bataille étant trop éloignez , ne ſe
joignirent point : Ainſi tout ce que
Scipion avoitde plus fort , combattit
ce qu'Aſdrubal avoit de plus foible ,
ce qui fit gagner la Bataille aux Ro
Ce ſtratageme ſervit alors ,
mais aujourd'hui il ſeroit inutile à
cauſe de l'Artillerie ; parce que le ter
rein qui ſeroic entre les deux Corps de
Bataille , donneroir lieu à l'un & à
mains.
l'autre de tirer , ce qui eſt trés-per-,
nicieux , comme nous avons dit. Il
faut donc laiſſer là cette vieille ruſe, &
pratiquer celle que je diſois toute à
l'heure de faire battre toute l'armée,
& faire céder le côté le plus foible.
Quand un Général eſt plus fort en
monde que ſon Ennemi & qu'il veut
l'enfermer , fans qu'il le prévoie :
il ne doit pas donner plus de front
à fon Armée , que n'en a celle de
L
l'En
242
DE L'ART DE LA
l'Ennemi : Mais le Combat étant bien
attaché , il faut que l'Armée ſe bat
te en Retraitte , en faiſant étendre
les Flancs ; & alors l'Ennemi ſe
trouvera enfermé fans y penſer .
Quand un Général veut donner ba
taille avec une afſeurance preſque
entiére de n'étre point battu , qu'il
" range fon Armée dansun lieu proche
d'un Marais , ou de Montagnes , ou
d'une forte Place ; car en ce cas là
il ne peut être pourſuivi de l'Enne
mi, & lui le peut pourſuivre. Ce
fut de ce ſtratagéme dont ſe servic
Annibal quand la Fortune commen
1
ça à lui tourner le dos & qu'il appre
tendoit la
valeur
de Marcellus.
Quelques- uns pour faire rompre les
Rangs aux Ennemis , ont comman
dé aux gens légérement armez de
commencer & lier le Combat, & auſſi
tôt de ſe retirer dans les Rangs :
puis quand les deux Corps de Ba
taille ſont bien échauffez l'un contre
l'autre , on les fait derechef fortir
des Rangs , & donner en Flanc à
l'En
1
GUERRE,Lıy.IV. 243
l'Egnemi;
Ce qui les mettoit en
déſordre & en ſuite en déroute.
Si
un Général ſe trouve foible en Ca
valerie , il peut outre les expedients
dont j'ai déjà parlé , poſter un
Corps de Piquiers derriére fes Che
vaux , & au milieu du Combat les
faire ouvrir pour donner paſſage
aux Piquiers , ce qui lui donnera
l'avantage. Pluſieurs ont dreſſé des
Fantaſſins légérement armez à com.
battre entre les Chevaux , ce qui
leur a été un fort grand ſecours.
Entre tous ceux qui ont rangé des
Armées pour donner Bataille , il
n'en eſt point de plus eſtimez que
Scipion & Annibal, lors qu'ils com
battirent en Affrique ; & parce que
l'Armée d'Annibal étoit compoſée
de Cartaginois & de Troupes auxi
liaires de toutes eſpéces , il poſta à
la tête quatre-vint Eléfans; Enſui.
te il pofta les Troupes auxiliaires ,
& derriére eux les Cartaginois , &
enfin les derniers de tous furent les
Italiens , ſur qui il faiſoit peu de
L
2
fond .
244
DE L'ART DE LA
fond. , Etil diſpoſa tout cela ainfi , a
fin que fes Troupes Auxiliaires , aiant
en têrel’Ennemi& derriére les Carta .
ginois , elles ne půſſent pas prendre la
fuité ; de ſorte qu'écans par la con
1
traints decombatre,il eſpéroit qu'elles
vaincroient, ou au moinsqu'elles laſ
feroient les Romains, qui aprés cela ne
ſeroient pas malaiſez à défaire entiére
1
ment par le moien de ſes bonnesTrou
pes fraiches& vaillantes. D'autre cô
ré Scipion pofta lesGens deJavelot, les
Princes & les Triaires dans l'Ordon
nance accoûcumée, qui eſt de pouvoir
s'entredonner Retraitte dans les Rangs
Les uns des autres. Il fit la tête de fon
Armée pleine d'intervalles, mais afin
que cela ne parůtpas ', il les fit rem
plir de Vélites , à qui il commanda ,
qua ſitôt que les Elefuns viendroient,
ils ſe retiraffent , & que par les eſpa
ces ordinaires ils entraffent entre les
है
Légions ; & leur laillant nt le chemin
ouvert ; aing ten rendit l'efer inu
tile , puis étant velu aux mains il
bartit Annibaby
4
GUERRE , Liv.IV. 245
Buondelmonte. En m'alléguant
cette Bataille , vous m'avez fait fou.
yenir que Scipion ne fit point retirer
les Gens de Javelot dans les Rangs
: des Princes ; mais les aiant parta
gez , il les fit retirer ſur les Ailes de
ľ Armée , afin qu'ils fiffent place aux.
Princes lorſqu'il les fit avancer.
C'eſt pourquoi je voudrois bien
que vous me diſſiez la raiſon qui
l'obligea de ne pas ſuivre l'ordre
accoûtume ,
Colonne. Je vous le dirai. Anni
bal avoit mis toute la force de fon
Armée dans le Second Corps ; Sci
pion donc pour lui en oppoſer un au .
tre auſſi fort, n'en fit qu'un des Prina
ces & des Triaires , ainſi le terrein
d'entre les Rangs des Princes écant
occupé par les Triaires, il n'y en re .
ftoit plus pour les Gens de Javelot ;
Et c'eſt pour cela que les aiant par
tagez en deux , il les fit retirer für
les Ailes de l'Armée , & non pas
entre les Rangs des Princes. Mais
remarquez bien que cette mécode
L
3
d'ou
2:46 DE L'ART DE LA
.
d'ouvrir le prémier Corps pour laiſ
09
fer paſſer le Second , ne le peut pra
10
tiquer que lorſqu'on a l'avantage ,
parce qu'alors on le peut faire en ſu
reté, comme fit Scipion . Mais aiant
du deſſous, vous ne pouvez le faire
mi
ſinon avec un danger éminent ; c'eſt
pourquoi il faut toûjours avoir der
riére vous des Corps diſpoſez à vous
recevoir entre leurs Rangs . Mais
revenons à nôtre ſujet. Les Anciens
Aſiatiques , entre les autres moiens
qu'ils avoient trouvez pour endom
mager leurs Ennemis , fe fervoient
d'ordinaire de Chariots qui avoient
des Faulx attachées aux côtez ; en
ſorte qu'ils étoient bons, non ſeule .
ment pour faire paſſage au travers
des Rangs par leur impétuoſité,
mais auſſi pour tuer des Ennemis a
vec leurs faulx . On ſe défendoit
contre cette invention en trois ma
niérés: Ou l'on les foûtenoit par
l'épaiſſeur des Rangs ; ou on leslaiſ
ſoit paſſer au travers des Bataillons ,
comme les Eléfans , ou bien par
quel
6
GUERRE , Liv.IV. 247
quelque artifice on leur faiſoit une
vigoureuſe réſiſtance ; comme fit Sil.
la contre Archelaus , qui avoit aſſez
de cette eſpéce de Chariots , con
tre leſquelsSilla fit planter bien des
pieux en terre , derriére les prémiers
Rangs , en ſorte qu'étans artêtez par
là , ils perdoient toute leur impétuo
fité.
Il faut auſli remarquer la nou
velle metode qu'obſerva Silla contre
ce Prince , dans la diſpoſition de ſon
Armée ; car il poſta les Vélites & la
Cavalerie dans l’Arriéregarde, & tous
les gens peſamment armez à la tête
de l'Armée , laiſant entr'eux aſſez
d'intervalle pour pouvoir faire avan
cer ceux de derrière , en cas que la
néceſſiré y obligeât: Aiant donc com
mencé le Combat , & fait paſſer la Ca
valerie au travers des eſpaces qu'il a.
voit laiſſez dans les prémiers Rangs,
il remporta la victoire par ce moien -là.
Qui veutmettreſon Ennemien défor
dre au milieu du Combat , il faut faire
naître quelque choſe qui 'l'étourdiſſe ,
ou en faiſant courre le bruit, qu'il
L
4
Vient
248 DE L'ART DE LA
vient un renfort
3
ou en lui faiſant
voir quelque choſe qui frappe la
yuë , ainſi les ennemis furpris de ce
ſpectacle perdent la tramontane &
en fuice ſont bien tột battus .
Ce
fut de ces fortes de ſtratagémes que
ſe ſervirent Minutius Ruffus , &
Accilius Flabrio Confuls Romains.
Cajus Sufpitius fit monter pluſieurs
goujats & valets d'Armée fur des
mulets & il les équippa de telle ma
niere qu'il fembloit que ce fuſſent
des gendarmes, enſuite il les fit pa
roître ſur une éminence , pendant
qu'il étoit aux priſes avec les Gau
lois , ce qui les lui fit vaincre , la
même choſe arriva i Marius contre
les Allemans. Puis donc qu'au mi
lieu du combat , une fauſſe attaque
apporte un grand avantage , fans
que les verirables feront encore beau
coup mieux , ſur tout fi fans que
l'Ennemi le prevît on pouvoit tout
d'un coup lui donner en flanc ou en
queuë. Ce que vous ferez difficile
ment
GUERRE , Liv.IV. 249
ment ſi le terrein n'eſt pas diſpoſé
pour cela ; car ſi c'eſt une plaine,
vous ne pouvez pas cacher une partie
de vôtre monde, comme il faut faire
en telles attaques ; mais en pais boiſé ,
ou montueux , & par conſequent
propre aux embuſcades , vous pou
vez bien couvrir une partie de yos
gens qui tour d'un coup & à l'im
proyiſte donneront ſur l'Ennemi , &
toutes les fois que cela arrivera , vous
en cirerez toûjous un grand avantage .
Il eſt quelquefois de grand conſé .
quence au ſoir du Combar, de faire
courir le bruit que le Général des
ennemiseſt mort , ou que l'autre par
tie de vôtre Armée les a battus , ce
qui a quelquefois fait remporter la
Victoire à celui qui s'eſt ſervi de
cette ruſe.
Il eſt aiſé de mettre
en défordre la Cavalerie , ou par des
ſpectacles ou par des cris extraordi
naires ; ce que fic Créfus, qui op
poſa fes chameaux aux chevaux de
fon ennemi ; & Pirrus oppoſa auſſi
les éléfans à la Cayalerie Romaine
L
5
с
250 DE L'ART DE LA
ce qui l'épouvanta & la mit en dérou
te .
De nôtre tems, les Turcs défi
rent le Sophi de Perle & le Sultan
de Sirie avec le ſeul bruit de la mouſ.
"
quetterie , ce qui mit une telle épou
vante dans la Cavalerie de ces gens
SV
là , que celle du Turcen eut bon mar
ché. Les Eſpagnols, pour battre A
20
milcar , mirent à la tête de leur Ar
mée des Chariots pleins d'étoupe ti.
rez par des beufs ,& étant aux mains
ils у mirent le feu ; ainſi les beufs
voulant ſe fauver du feu , donnérent
dans l'Armée d'Amilcar & la rom
pirent. Comme nous l'avons déja
dit , on a accoutumé de ſurpren
dre l'Ennemi par embuſcades dans
un Pais propre pour cela : Mais dans
un terrein large & ouvert , quelques
uns ſe ſont aviſez de faire pluſieurs
tranchées & les ont couvertes légére .
ment de broſſailles & de terre , en laiſ
ſant des entre deux de terre ſolide ,
pour pouvoir faire Retraitte quand
le Combat étoit échaufé ; ainſi l'En
nemi les pourfuiyant , s'eſt quelque
fois
GUERRE, Liv. IV. 251
Si au milieu du
fois perdu par là .
Combat il vous ſurvient quelque ac
cident capable de ſurprendre vos gens,
la prudence veut qu'on le cache, ou
même s'il ſe peut , qu'on en tire avan
tage; comme firenc TulliusHoſtilius
& Sylla,qui voiant que pendant qu'on
étoit aux mains une partie de leur Ar
mée étoit paſſée du côtéde l'Ennemi,
& s'appercevant que cette nouveau
té étonnoit leurs gens , ils firent pron
tement courre le bruitque cela ſe fai
ſoit par leur ordre ; ainſi bien loin que
le reſte de leur Armée en fûr épouvan
tée , au contraire cela en augmenta
tellement le courage , qu'ils en rem
portérent la Victoire. Le même Sil
la aiant envoié quelques Troupes à
une Expédition ,où ils furent tuez ‫ر‬,a
fin d'empêcher que fon Armée n'en
prît l’alarme, il dit , qu'il les avoit
envoiez exprés à la boucherie ; par
ce qu'il ſoupçonnoit leur fidélité.
Sartorius donnant Bataille en Eſpagne
tua un de ſes gens qui lui raportoit la
nouvelle de lamort d'un des Chefs de
L
6
l’Ar
252
DE L'ART DE LA
l'Armée, ce qu'il fit pour empêcher
cét homme de répandre ce bruit par
mi les Troupes , quiauroit pû leur
faire prendre l'épouvante. Rien n'eſt
ſi difficile que d'arrêter une Armée
qui a pris la fuite, & de la ramener
au Combat.
Il faut dans cette con
joncture, faire cette diſtinction , Ou
elle eſt toute entiére en déroute ; en tel
cas il eſt impoſible de la rallier : Ouil
n'y en a qu'une partie , & alors il y a
quelqueréméde. Pluſieurs Généraux
Romains ;allant à la tête des fuiards,les
ont arrêtez en leur faiſanthonte de
leur lâcheté; c'eſt ce que fit Silla , qui
voiantqu'une partiede ſes Légions a --voir déja tourné le dos , étant preflée
de prés par Mitridate, alla à leur tête
l'épée à la main ; criant, Si quelqu'un
vous demande desnouvelles de vôtre Gén
néral, dites , Nous l'avons laiſſéles ar
mes à la main en Beotie. Le Conful At
tilius oppofa aux fuiards ceux qui fai
ſoient ferme; & leur dit , Qu'ils ſe
roient tuez és par les Amis 6 par
les
Ennemis , s'ils neretournoient au Com .
bat.
1
GUERRE ,Liv.IV.
bat .
253
Philippe de Macedoine , ap .
prenant que ſes Soldats, épouvan
tez par les Scytes, prenoient la fuites
pofta de la Cavalerie affidée derrié
re ſes Troupes avec ordre de tuer tous
les fuiards ; ce qui fit qu'aimant
mieux mourir en combattant qu'en
fuiant , ils remportérent la Victoire.
Pluſieurs Romains ont fouyent , au
milieu du Combat , arraché un Dra
peau des mains de leurs gens, & l'ont
jecté au milieu des Ennemis en propo
fant récompenſe à celui qui le retire
roit ; & ils faiſoient cela non pas tant
pour empêcher la fuite , comme pour
animer davantage leurs gens , & leur
faire faire un plus grand éfort. Je croi
qu'il fera aſſez à propos d'ajoûter à ce
diſcours,ce qui ſurvient aprés le Com
bat; puiſque ce ſont des choſes qui ne
ſont pas longues à déduire , ni qu'on
doive méprifer ;‫ & و‬que d'ailleurs elles
ont du raport à toutceci. Je dis qu'on
perd , ouque l'on gagne les Batailles :
quand on a remporté la victoire ,ilfaut
avec une diligence extreme pouſſer la
poin .
254 " DE L'ART DE LA
pointe comme faiſoit Céſar , & non
j
pas comme, fit Annibal , qui s'étant
arrêté , aprés avoir défait les Ro
mains à la journée de Cannes , en
perdit l'Empire de Rome. Pour Cé
far jamais il ne ſe repoſoit aprés la
Victoire , au contraire il pourſuivoit
& combattoit l'Ennemi déjà vaincu
ayec plus de violence & de furie ,
qu'il ne l'avoit fait en l'ataquant. Mais
lors qu'on a perdu la Bataille , il faut
qu'un Général voie s'il peut recirer
quelque avantagc de ſa défaite : Sur
1
--
M
tout s'il lui eſt reſté une partie de
ſon Armée , il peut lui naître quel
que belle occaſion de la négligence
NO
de ſon ennemi qui aprés la Victoire
tombe le plus ſouvent dans une certai
ne confiance , qui yous donne lieu
de le battre à ſon tour : C'eſt de cet.
te maniere que Marius défie les Car
taginois , qui ayant tué les deux Sci
pions & défait leurs armées conté
rent pour rien le reſte des gens qui
étoient demeurez avec Marius. Car
il eſt vrai qu'il n'y a rien qui donne
plus
GUERRE ,Liv. IV . 255
plus lieu à prendre une heureuſe re
vanche de la perte , que lors quel'en
nemi eſt perſuadé que vous n'oſeriez
plus rien entreprendre , les hommes
étant plus aiſez à ſurprendre par les
choſes qu'ils craignent le moins. En
fin un Général ne pouvantpas réuſſir
par cette voie , doit au moins faire
en ſorte que la perte ſoit le moins
prejudiciable qu'il ſe pourra : & pour
y parvenir il faut tâcher que l'Enne
mi ne puiſſe vous pourſuivre aiſé .
ment; ou bien il faut lui donner lieu
de s'arrêter. Au premier cas quel
ques Généraux s'apperçevant que la
Bataille étoit perdue pour eux , ont
commandé à leurs Lieutenants de ſe
retirer par différens endroits , en leur
donnant à tous un quartier d'aſſem
blée; d'où il arrivoit que l'Ennemi
apprehendant de partager ſon armée,
laiſſoit ſauver les fuiards ou la plus
grande partie d'entr'eux . Au ſecond
cas pluſieurs ont envoyé le meilleur
de leur butin au devant de l'Enne
mi ,
256 DE L'ART DE LA
mi, afin qu'étant occupé au pillage
il leur donnât plus de tems pour
s'échaper,
Titus Dimius ufa d'un
grand artifice pour cacher la perte
qu'il avoit faite dans le combat ; car
aiant combattu juſqu'à la nuit avec
grand perte de ſes gens , il les fie
i enterrer pendant l'obfcurité ; ainſi au
matin les Ennemis voiant tant de
corps morts des leurs , & fi peu de
croiant avoir
ceux des Romains
eu 'du déſavantage , ils prirent la
fuite. Je crois avoir ſatisfait en
bonne partie à vôtre demande quoi
qu'avec quelque confuſion ; il eſt
vrai que touchant la forme des ar
mées , il me reſte encor à vous dire,
que quelques Généraux en ont
ſouvent fait la tête en angle s'ima
ginant que cette figure pouvoir
plus aiſément ouvrir l'Ennemi. Les
autres
au contraire donnoient à
la téte de leur Armée la figure
de ciſeaux ouverts afin qu'en re
cevant cet angle , ils puſſent l'en
fer
GUERRE, Liv. IV. 257
fermer & l'attaquer de tous côtez.
Sur cela jeyeux que vous preniez cet
te maxime , Que le meilleur moien de
rendre inutile le deſſein de l'Enne
mi , c'eſt de faire de vous -même ce
qu'il prétend vous faire faire de force;
car le faiſant de cette maniére- là ,
c'eſt avec ordre , à vôtre avantage ,
& à ſon préjudice ; mais ſi vous é
tiez contraint de le faire , alors ce
feroit vôtre perte.
Pour appuier
cette maxime , je ne vous allégue
rai rien de ce qui a déja été dit.
Vôtre Ennemi marche ſur vous en
Pointe pour ouvrir vos Rangs ; Si
vous allez
en
forme de Ciſeaux
yous le mettez en déſor
ouverts
dre , & vous gardez votre ordon
nance. Annibal poſta ſes Eléfans à
la tête de ſon Armée , pour faire ou .
verture dans celle de Scipion ; Scipion
au contraire marcha à lui avec ſon
Armée toute ouverte , & cela lui
donna
la
Viêtoire
en
rendant
inutile le deſſein de ſon Enne
mi. Aſdrubal pofta les meilleures
Trou
258
DE L'ART DE LA
troupes dans ſon Corps de Bataille ,
afin de repouſſer les troupes de Sci
pion ; & Scipion commanda que les
ſiennes fillent retraitre d'elles mê.
mes , ce qui lui donna la Victoire.
Quand ces ſortes de ſtratagémes ſone
prevûs, celui contre qui on les ma
ehine en tire toûjours avantage.. Il
me ſemble qu'il me reſte encore à
vous dire quelles maximes doit ob
ſerver un Général , devantque d'en
trer au Combat ; ſur quoij'aià vous.
dire prémiérement qu'il ne faut ja
mais livrer Bataille que lors qu'on
voit fon avantage , ou qu'on y eſt
contraint.
L'avantage conſiſte dans
la bonté de ſon poſte, à avoir des
troupes mieux diſciplinées , ou en
plus grand nombre , ou plus braves
que celles de l'Ennemi . On eſt dans
la néceſſité de combattre lors qu'on
voic que ſon Armée , en ne le faiſant
pas , ne
ne laiſſera pas d'étre diflipée ,
le
par
manque de paye, ou parcelui
de vivres ; ou bien ſi vous ſçavez.
que l'Ennemi attend un renfort. Dans
ces
GUERRE , Liv.IV.
259
ces conjonctures , il faut toûjours
livrer Bataille quoi qu'à notre déſa.
Vantage : parce qu'il vaut bien mieux
tenter la fortune , quand il y a en
core eſpérance qu'elle peut vous être
favorable , qu'en ne la tentant point
voir votre perte aſſurée : & c'eſt une
auſſi groſſe faute à un Général de
ne pas combattre dans ces occaſions,
que d'avoir eu celle de vaincre &
l'avoir ignorée, ou l'ayant connuël'a
voir laiſſé paſſer par lâcheté. Quel.
queis l'Enn i vous donne de lui.
même de l'avantage ſur lui, quelque
fois vôtre prudence vous le procure.
Pluſieurs Armées ont été battuës aux
paſſages des riviéres par un ennemi
adroit , qui a laiſſé avancer tous les
Soldats juſqu'au milieu de l'eau, &
enſuite les a attaquez de tous còtez,
comme fit Céſar aux Suiſſes, qui tua
le quart de tout leur monde , parce
qu'il avoit eu l'adreſſe de mettre une
riviére entr'eux & lui. Quelquefois
vôtre ennemi ſe trouve las pour vous
avoir pourſuivi inconſidérement ;
pre .
260
DE L'ART DE LA
prevalés vous de cet avantage fi vous
étes frais & repoſé. De plus ſi l'En ;
nemi vous préſente Bataille de bon
.
matin , laiſſez le bien des heures fe
morfondre ſous le harnois ; & quand
vous voiez la prémiére ardeur ral
lentie , ſortez de vos retranchements
& le Combattez .
Voila la maniére
dont Scipion & Metellus combattirent
en Eſpagne, l'un concre Afdr ubal &
l'autre contre Sertorius. Si l'Ennemi
eft diminué de forces ou pour avoir
partagé fes troupes, comme firentles
Scipions en Efpagne , ou pour quel
qu'autre raiton , vous devez tenter la
fortune. La plus grande partie des
grands Capitaines aiment mieux rece
voir l'Ennemi que de tomber ſur lui ,
par ce que la furie eſt aiſément foûte
nuë Par des gens fermez & ſerrez ; &
quand elle eſt ſolltenuëelle dégénere
en lâcheté. C'eſt ainfi qu'en uſa Fa
bius contre les Samnites & contre les
Gaulois , ce qui lui donna la Victoire,
au contraire de Decius fon Collégue
qui fut tué . Quelques-uns redou
tant la valeur de leurs ennemis , ont
10
GUERRE, Liv. IV. 261
commencé la Bataille le ſoir, afin que
leurs gens aiant du pire , püſſent à la
faveur des ténébres ſe mettre en lieu
de ſureté. D'autres ſachant que leurs
Ennemis faíſoient ſcrupule de com
battre dans un tems , ils l'ont choiſi
pour commencer à en venir aux
mains , & les ont vaincus : C'eſt ce
que fit Céſar dans les Gaules contre
Ariavičte : & Veſpaſien en ufa de mê.
meen Syrie contre les Juifs. Mais la
plus grande & la plusimportante pré
Caution que doit avoir un Général ,
c'eſt de tenir auprés de foi des gens af
fidez , ſages & trés-entendus dans le
métier des Armes , avec qui il doit
toûjours tenir conſeil , & diſcourir
fans ceſſe de ſes Troupes, de cellesde
l'Ennemi; de quel côté eſt le plus
grand nombre , qui ſont lesmieux ar
mez , les mieux diſciplinez , les plus
forts en Cavalerie , les plus propres à
fuporter la farigue & la diſére ſur quoi
il doit faire plus de fond , ou ſur la
Cavalerie , ou ſur l'Infanterie .
En.
ſuite qu'ils examinent bien le Pais
où
DE L'ART DE LA
262
où ils font , & ſi l'Ennemi en peut ti
rer plus d'avantage qu'eux ; lequel
des deux Partis tire plus facilement
fes vivres & ſes munitions : s'il eft à
propos de donner ou de différer le
Combat ; car ſouvent les Soldats
perdent courage en yoiant la Guerre
tirer de longue, & ſe laſſant de fa
tiguer , ilsdéſertent. Il faut ſur tout
bien connoître le Général des Enne
mis , & ceux qui le conſeillent ; s'il
-eſt téméraire ou prudent , s'il eſt lâ
che ou hardi:
Voir ſi vous pouvez
-faire fond ſur les Troupes auxiliai
2
res .
Mais ſurtout prenez bien
garde de ne mener jamais au combat
une Armée qui craint, ou qui en
quelque maniere que ce ſoit , ſe déf.
fie de la Victoire :
Car on eſt à
demi battu quand on croit ne pou.
voir vaincre . Il faut donc en tel cas
éviter le Combat & faire comme
Fabius , qui fe campant toûjours
dans des Poſtes avantageux , ôtoit
la hardieſſe à Annibal de l'aller at
taquer : Ou ſi vous appréhendiez
que
.
GUERRE, Liv. IV.
263
que l'Ennemi vous vint encore aç
taquer dans yos Rétranchemens les
plus forts, quittez la Campagne &
diſperſez vos Troupes dans les Pla
ces
afin de le laſſer à faire des
Siéges.
Buondelmonte. Ne peut-on éviter
autrement le Combat , qu'en diſtri
buant ſon Armée dans les Places ?
Colonne. Je croi que d'autrefois j'ai
déja dit à quelqu'un de vous , que
tant qu'on tiene la Campagne , on
ne peut pas éviter de combattre a.
vec un Ennemi , qui a deſſein de le
faire , à quelque prix que ce ſoit ;
à quoi il n'y a point d'autre reméde
que de ſe tenir loin de lui , au moins
dix- huit ou vint lieues , afin d'avoir
le tems de décamper devant lui ,
loſqu'il entreprendroit de venir vous
forcer. Pour Fabius , il n'avoit pas
deſſein d'éviter le Combat avec An.
nibal , mais il vouloit le donner a.
vec avantage. Er Annibal ne cro
ioit pas pouvoir le battre en l'allant
attaquer dans ſes Rétranchements.
Que
264 DE L'ART DE LA
Que s'il avoit crû le vaincre de cet
11
te maniére , il eût falu que Fabius
eût combattu à quelque prix que ce
foit , ou eût abatidonné la Campag
ne. Philippe Roi de Macedoine pe
re de Perfés , étant en Guerre avec
les Romains le campa ſur une fort
haute Montagne , mais les Romains
allérent l'y attaquer & le battirent.
.
7
Vercingentorix Chef des Gaulois , ne
voulant .point en venir aux mains
avec Cejar qui avoit paſſé une Ri
viére contre l'eſpérance de l'Ennemi ,
il ſe retira avec ſon Monde bien
.
loin des Romains .
Si les Vénitiens ,
dans nos jours , ne vouloient point
en venir aux mains avec les François ,
ils ne devoient pas attendre qu'ils
euſſent paſſé l'Adda ; mais ils de
voient , en s'éloignant bien loin ,
imiter cet ancien Capitaine de la
même Nation : au contraire , aiant
4
trop attendu ils ne ſûrent pas prendre
leur avantage pendant que l'Ennemi
paſſoit la Riviere pour lui donner
Bataille , & ils n'eurent pas l'adreſſe
de
V
GUERRE , Liv.IV.' 265
de trouver les moiens de l'éviter, Car
les François étant trop proches de
l'Armée de cette République , ils
l'attaquérent & la défirent dans le
tems qu'elle décampoit . Enfin ,
quand l'Ennemi vous veut abſolu.
ment livrer bataille , il vous eſt im.
poſſible de l'éviter. Et ne m'allé
guez point Fabius, car ni lui , ni .
Annibal n'avoient
formé le def
fein de ne point ſe battre abſolu
ment .
Quelque fois il arrive que
vos gens ſouhaitent le Combat ;
quoi que vous fachiez bien & par la
quantité de Monde que vous avez ,
& par le Pais , ou par quelque au
tre raiſon , que vous étes fort infé
rieur à l'Ennemi ;
ainfi vous ſou
haittez de faire quitter cette penſée à
vos Troupes. Il arrive au contraire
quelquefois que la néceſſité ou la con
joncture vous oblige à en venir aux
mains , dans le tems que vos gens ne
font pas aſſurez , & qu'ilsſetrouvent
mal diſpoſez pour le Combat : Il
fautdonc qu'en l'une de ces occaſions
M
VOUS
266 DE L'ART DE LA
vous rabbattiez leur ardeur ; & dans
l'autre, vous leur releyiez le courage.
Dans le premier cas , lorſque les dif
cours n'y fontrien , le plusſûreſt d'en
faire bactre quclques uns par l'Enne
mi , afin queceux -lá & les autres qui
n'ont point combattu , vous croient.
On peut bien auſſi faire par artifice,ce
que Fabius fit par hazard : Vous ſa
vez bien que l'Armée de Fabius en
vouloit venir aux mains avec celle
d'Annibal, & que le Colonel Géné
ral de la Cavalerie étoit dans la même
penſée ; quoi que Fabius ne le jugeât
pas à propos ; & la différence d'avisalla
ſi loin , qu'ils partagérent l'Armée.
Fabius retint les liensdans ſes Rétran
chemens , & l'autre livra le Com
bat , où aiant eu du pire , il eût
été entiérement défait , fi Fabius
ne l'eût ſecouru .
Ce fut par cette
expérience , que le Général de la
Cavalerie , & toute l'Armée appri
rent , que le meilleur parti étoit d'o .
béir .á Fabius .
Pour ce qui regar
de les moiens d'animer yos Gens
çon
VIE
GUERRE , Liv. V. 267
contre l'Ennemi , il faut les piquer
contre lui , en leur faiſant entendre
qu'il parle d'eux comme de Canails
les ; que cependant on a de l'intelli
gence avec quelques-uns des liens ,
dont on a gagné une partie. Il faut
prendre des logemens en des endroits
d'où ils voient l'Ennemi, & viennent
quelquefois à eſcarmoucheravec lui ,
parce qu'on s'accoûtume à avoir
moins de peur de ce qu'on voit tous
les jours. Il faut auſſi marquer de
l'indignation , & dans quelque ha
rangue qui viendra à propos ; il faut
leur reprocher leur lâcheté , & pour
leur en faire honte ; dire , Qu'on ne
laiſera pas de Combattre ſeul, s'ils
Jont afez lâches pour ne vous pas ſui
vre .
Mais ſur toutes choſes , aiez
cette prudence, ſi vous voulez ren
dre vos gens obſtinez au Combat,
de ne ſouffrir pas qu'ils envoient leur
Butin chez eux , ou , en lieu ſûr
juſqu'à ce que la Guerre foit fi
nie ; afin qu'ils ſachent , que fi en
fuiant ils fauvent leur vie , au moins
M" 2
ils
268 DE L'ART DE LA
ils ne ſauveront pas leur bien , dont
l'amour qu'ils ont pour lui , ne les
rend pas moins obſținez à ſe bien
K。
battre , que l'envie de défendre leur
vie.
7
Buøndelmoute. Vous nous avez dit,
Que pour animer les gens au Combat,
il faut leur parler: Entendez- vous
qu'il faille effectivement parlerà tous,
ou ſeulementaux Chefs ?
Colonne.
diſſuader une choſe à un petit nom
bre, rien n'eſt plus aiſé à faire, parce
pouvez emolishes
que ſi les paroles neſuffiſent pas, vous
ce :Mais la difficulté eſt de faire chan .
ger à toute une Armée , une opinion
qui eſt contraire au bien commun, ou
à vôtre deffein ; & là vousne pouvez
emploier que les paroles qui aiant à
perſuader tout le monde,doivent étre
entenduës de tout le monde.
C'eſt
pour cela qu'il étoitnéceſſaire que les
grandsCapitainesfuſſent grands Ora
teurs, parce qu'onne peutque diffici .
lement opérer rien de bon dans ces
ren
1
GUERRE, Liv. IV.
269
rencontres , qu'en parlant à toute une
Armée ; mais c'eſt un uſage entiére,
ment perdu dans noſtre tems. Lilez
moi la Vie d'Alexandre le Grand', &
voiez combien de fois il fut obligé
d'haranguer ſon Armée ;‫ و‬fans cela il
ne l'auroit jamais conduite aux Indes,
en traverſant les Déſerts de l'Arabie
parce que cette Armée étoit chargée
de richeſſe & de pillage. Et il arrive
ſouvent qu'une Armée périt , parce
que le Généralne fait pas, ou n'a pas
accoûtumé de lui parler : Car par ces
diſcours ondonne du courage ; endi
minuant les ſujets de crainte;on aug,
mente l'opiniâtreté ; on découvre les
fourberies de l'Ennemi; on fait eſpé
rer des récompenſes ; on découvre les
dangers & les moiens de leséviter ; on
reprend; on prie ; on ménace; on rem-.
plic d'eſpérance ; on loüe ; on blame;
en un mot, on fait tout ce qu'ilfaut
pour exciter & allumer les paſſions
humaines. Ainfi tout Prince quifait
une Armée nouvelle , afin de rétablir
cette bonne coûtume , doit accoûtu ,
M
3
mer
270 DE L'ART DE LA
mer les Troupes à entendre parler
leur Général ; & le Général à favoir
N
141
ce que c'eſt que de parler à fon Aro
mée. C'étoit une choſe aſſez puif.
fante autrefois fur l'eſprit des Soldats,
que la Religion & le Serment qu'on leur
faiſoit prêter quand on les enrolloit ;
16
parce qu'à la moindre faute qu'ils fai
foient on les menaçoit , non ſeulement
de ce qu'ils avoient á craindre de la
part des Hommes , mais auſſi de ce
qu'ils devoientappréhender de la part
des Dieux.
Ecce moien la étant
accompagné d'autres cérémonies de
Religion, rendoit ſouvent toutes cho.
fes faciles aux Anciens, & le feroit en
core , dans les lieux où l'on reſpecteroit
& où l'on obſerveroit la Religion. Ser.
torius s'en fût bien prévaloir , en fei.
gnant de parler avec une Biche, qu'il
difoit , Que les Dieux lui envoioient
pour lui annoncer qu'il remporteroij
La Victoire: Sylla diſoit, Qu'il s'en
tretenoit avec une Image qu'il avoit
tirée du Temple d'Apollon. Pluſieurs
ont dit , Que Dieu leur étoit appa
713
GUERRE , Liv. V. 271
ru en fonge ,leur commandant de Com
battre. Du tems de nos Peres ;
Charles Sept Roi de France, dans la
Guerre contre les Anglois , diſoit ,
Qu'il recevoit tous les Conſeils d'une
jeune Vierge que Dieu lui avoit en
voiee , qui en fuite a été appellée
par tout , la Pucelle de France : ce
la aida ce Prince à remporter tant de
Victoires ſur le Roi d'Angleterre .
On peut eacore pratiquer des moiens
qui faſſent que vos gens mépriſent
l'Ennemi ; comme ce que fit Agefilaus
Lacédémonien , qui fit voir à ſes gens
quelques Corps dePerfansdeshabillez ,
afin quevoiant leur délicateſſe,ils n'en
euſent point de peur. D'autres les ont
contraint de ſe battre par néceſſité ,
leur orant toute efpérance de ſalut
hors de la Victoire: Et c'eſt là le plus
für & le plus fort moiende rendre vos
gens acharnez au Combat. Cette opi
niâtreté eſt encore augmentée par l'a.
mour de la Patrie , ou par celle de ſon
Général.cêre tendreſſe pourfonGéné
ral eft produite par la confiance qu'on
M
4
a
272 DE L'ART DE LA
a en lui , par l'eſtime qu'on en fait ,
par les bons Ordres qu'il donne , &
par les Victoires qu'il a remportées,
ſur tom
L’amour pour la Patrie vient de la
Nature ; celle du Général vient de
fa Valeur bien plus que de ſes bien
faits.
Il peut y avoir pluſieurs for
tes de néceſſitez , mais il n'en eſt
point de plus preſſantes que celle de
vaincre ou de mourir.
1
1
DE
273
DE
L' A R T
LA
DE
GUERRE
LIVRE CINQUIEME.
Colonne.
E vous ai montré quelle
Ordonnance il faut don .
ner à une Armée pour en
combattre une autre qui
auſſi
lui eft oppoſée ; Pjefvou
austail dit
:
a ba
ttre
En ſuite je vous ai entrete de dia
ver circ
qu penuu
fe
ſes
i
onſtance
sM.
vent
trou .
274
DE L'ART DE LA
trouver dans différens accidens qui
furviennent quelquefois. Ainfi je
penſe qu'il eft tems de vous faire
voir , comment il faut conduire une
Armée contre un Ennemi qu'on ne
voit pas , mais dont on craint à cout
moment d'étre attaqué; .C'eſt ce
qui arrive quand on marche en Pais
Ennemi, ou ſuſpect.
Prémiére.
ment , il faut ſavoir qu'en tel cas, les
Romains pour l'ordinaire , faiſoient
marcher devant quelques Troupes de
Cavalerie , pour faire la Découver
te des Routes.
En ſuite marchoit
l' Aile Droite , qui étoit fuivie de ſon
Bagage & de fes Fourgons. Aprés
marchoit l' AileGauche , aiant auſſi
en queue tour fon Equipage ; & en
fin ſuivoit le reſte de la Cavalerie :
Et s'il arrivoit que l'Armée fût at
taquée dans la marche ,ou de Front,
ou en Queue , ils faiſoient tour d'un
coup retirer tous les Equipages à
gauche , ou à droite , ſelon qu'on le
jugeoit plus à propos, ou que la fi
tuation le permettoit , & tout le
monde
GUERRE , Liv. V. 275
monde étant ainſi debarraſſé du ba
gage , faifoit tête , tout à la fois ,du
côré que yenoit l'atraque. Si on é .
toit attaqué en Flanc , on metroit
tout l'attirail en lieu de ſureté , &
l'on faifoit tếre de ce côté là .
Cet
te métode érant bonne & prudente,
je trouve qu'on devoit la ſuivre , en
envoiant devant les Chevaux Lé.
gers pour faire la Découverte du
Pais;
En fuite ſi l'on avoit quatre
Régiments , il faudroit les faire filer
avec chacun leur bagage en queue.
Et parce que dans une Arméeil y a
de deux ſortes de Charrois , les uns
au public de cette Armée , les autres
aux particuliers, je feroisquatre parts
des premiers ,& j'en donnerois une part
à chaque Regiment : je partageroisen.
core de même en quatre,l'Artillerie &
les Gens quine ſont pas dedéfenſe ,
afin que les Troupes euſſent cha.
cune leur part de l'embarras.Mais par-.
ce qu'il arrive quelquefois que vous
marchez en Pais tellement Ennemi ,
qu'il n'est point de moment où vous.
M
6
276 DE L'ART DE LA
ne craigniez d'étre furpris par quela
que attaque , vous éces. contraint',
pour marcher avec plus de ſureté ,,
de changer la forme de vôtre mar
1
W!
che, & d'étre toûjours en li bonne
Ordonnance , que vousne craigniez
ni les Païſans , ni les Troupes En
nemies. En telle conjoncture , les
Anciens Capitaines avoient accoû
tumé de marcher en Forme Quarrée,
c'eſt à dire , en maniére qu'ils puf:
fent étant attaquez , ſe défendre de
quatre Côtez; & ils difoient qu'avec
cette diſpoſition , Ils étoient diſpoſez
pour la Marche és pour le Combat.
Je ne prétens point m'éloigner de
cette métode; & je veux difpofer de
cette maniére les denx Régiments
que j'ai pris pour me ſervir de régle
à former une Armée. Voulant donc
1
pour cér effer marcher en toute ſur
Teré en Pais Ennemi , & pouvoir ré .
pondre de quatre côtez , à quicon
que m'attaqueroit ; je mettrois mon
Armée en Quarré, imitant les An
ciens , & j'y ferois au milieu un vui.
de
1
GUERRE, Liv. V. 277
de , qui auroit de tous fens , Soi
xante dix Toiſes : Je diſpoſerois
donc mes Flanes dans l'éloignement
l'un de l'autre de Soixante - dix Toim.
Jes , & à chaque Flanc je donne.
rois Cing Bataillions de File en 10
gueur ;laiſſant entre chaque Bataillon
une Toiſe ; ainfi tous ces . Bataillons
occuperoient un terrein de Soixante
dix Toiſes de long , y compris les in .
tervalles , parce que chaque Batail
lon doit occuper treize Toiſes de hau .
teur : je diſpoſerois en ſuite entre
la tête & la queuë de ces Flancs les
autres dix Bataillons, cinq à l'une
& cinq à l'autre, en les plaçant de
maniére que quatre fuſſent aux cô,
tez de la tête du Flanc à droite , 1 &
quatre à côté de la queue du Flanc
à gauche , éloignant ces quatre Ba.
taillons-là de huit- pieds l'un de l'au
tre. Pour les Cinquiémes Bataillons
j'en pofterois un à côté de la tête du
Flanc à gauche, & l'autre à côté de
la queuëdu Flanc àdroite ; &parce
que le terrein qui eſt d'un Flanc à
l'au.
!
1
278
DE L'ART DE LA
l'autre eſt de ſoixante dix toiſe ,, &
que ces Bataillons qui ſont diſpoſez
aux côtez des deux flancs , non pas
en longueur mais en largeur , occu
peroient par conſéquent avec leurs
intervalles quarante cinq toiles , il
fé trouveroit qu'entre lesquatre Ba
taillins qui feroient au long de la tére
du ffanc droit & le cinquiéme porté
au long de la tête du flanc gauche ,
il reſteroit un terrein de vingt cing
toiſes qui ſe trouveroit auſi entre les
Bataillons diſpoſez à la queue ; &
il n'y auroit d'autre différence, fi non
que le terrein vuide vers la queuë
feroit du côté de l Aile droite , &
l'autre même terrein vers la tête, ſe
trouyeroit du côté de l' Aile Gauche.
Dans le terrein vuide de la tête je
placerois tous les Vélites. Ordinai
TES , & dans celui de la queuë ,
tous les Extraordinaires , qui ne fe
roient pas tout à fait mille , pour
chaque terrein vuide.
Ou ſi vous
vouliez que l'eſpace du-milieu eût
de
GUERRE , Liv . V.
279
de , tous ſens, deux cears douze brai
fes, il faudroit que les cinq Batail
lons pour la tête , & les cinq autres
pour la queuë , ne priſlent rien du
terrein qu'occupent les fancs ; &
pour cela il faudroit , que les cing
Bataillons de la queuë touchaſſent
de la têce la queuë des Aancs , & que
les cing. Bataillons de la tête tou
chaſſent de leur queuë la tête des
flancs , ce qui feroit encore quatre
Angles vuides , aux quatre coins de
toute l'Armée , capables de contenir
chacun un Bataillon : j'y poſterois
donc quatre Enſeignes depiquiers ex
traordinaires , & pour les deux all
tres qui me reſteroient, je les place
rois au milieu du quarré de l'Armée,
& à leur tête le Général avec fes gens
Et parce que les
autour de lui .
Bataillons ainſi diſpoſez marchent
tous d'un ſens , quoi qu'ils aient fou .
yent à combattre de pluſieurs , il
faut lors qu'on les mec en Corps
d'Armée , les poſter de maniére , que
tous les côtez , qui ne ſont point
COU
280
DE L'ART DE LA
couverts des autres Bataillons , puiſ
ſent combattre. Sur ce pied.là , il
faut ſavoir que les Cinq Bataillons de
La Tête ſone couverts de tous côtez ,
excepté de front; il faut donc les ran
ger de ſorte qu'ils aient tous leurs Pin
guiers à la Tête. Les Cing Bataillons
en Queuë ſont couverts detoutesparts,
Hormis des Epaules, il faut donc les
ranger en ſorte que tous les Piquiirs.
faſſent les derniers Rangs.comme nous
Payons montré en ſon lieu . Les Cinq
- Bataillons du Flanc à droite ne font
découverts quede ce côré-là: Les cinq
autres du Flanc à gauche ne font auſli
découverts que par la gauche; En ran
geant donc l'Armée en Bataille tour:
nez toutes les pointes des Piques du
colté découvert.
Quand nous avons
parlé de la métode de ranger une Ar
mée en bataille, nous avons dit , com
ment il faloit poſter les Caporanx .
ou Dixeniers & à la têre , &
à la
queue , afin que lorſqu'il ſera que
fiion de combattre , les armes &
les gens fe trouvent tous dans leurs
poſtes.
GUERRE , Liv.V. - 281
Poſte : Je partagerois en deux l'E
quipage d'Artillerie , je. les poſte
rois tous deux en dehors ſur les deux
Flancs , & je ferois marcher devant
les Chevaux Légers à la découverte
du Païs.
Pour les Gendarmes je les
pofteroisla queue vers les deux an
gles du Flanc, à droite du Flanc à
gauche ; mais éloignez des Batail
lons de Treize Toiſes. Souvenez-vous
en rengeant une Armée en Bataille,
que c'eſt une maxime, qu'il faut
toûjours pofter la Cavalerie , ou en
queue , ou ſur les Flancs ; fi vous
la poſtez à la tête vis à vis de l'Ar
mée , il faut que vous faciez l'une
de ces deux choſes ; ou que vous l'é.
loigniez aſſez pour qu'elle puiffe é .
tant repouſſée,évitervoftre Infanterie
& ne pas tomber deſſus; ou rânger tel
tement voſtre Infanterie qu'elle puiſſe.
laiſſer paſſer la Cavalerie au travers de
ſes rangs fans les rompre. Au reſte ,
c'eſt ici un avis qu'il ne faut pas mé.
priſer ; car pluſieurs n'y ayant pas pen
ſé ſe ſont perdus, & fe font eux -mêmes
mis
282
DE L'ART DE LA
mis en déroute. Le Bagage & les gens
fans déffenſe ſont mis dans le quarré de
l'Armée , mais de relle façon qu'ilsne
nuiſent point au paſſage de ceux qui
vont de flanc en flanc ,ou de la tête à la
queuë. Tous ces Bataillons,ſansconter
i Artillerie & la Cavalerie , occupent
de terrein en dehors , de quelque côţé
qu'on les prenne ; quatre vint qua
torze toiſes. On parceque tout le
quarréeft compoféde deux Régiments,
il faut le parcager, pour fçavoir quelle
partie fait un Regiment&quelle partie
fait l'autre : & parce que ces Régi
ments ne ſont diftinguez que par un
nomde nombre, & qu'ils ſont compo
fez de dix Bataillons avec un Comaman
dant General, ou Colonel , je voudrois
que le premier Régiment eût les cinq
premiers Bataillons à la tête du quar
ré,& les cinqautres dans le flanc àGau
che; & leColoneldans l'angle de la tête
à Gauche. Le fecond Régiment enſuite
auroit ſes cinq premiers Bataillons
en Aanc à droite, & les cinq autres en
queuë à droire , & le Colonel dans
l'angle à droite, comme s'il conduiſoit
-
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C
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A
臺1
no
HUIT
GUERRE , Liv.V. 283
PArrieregarde. A préſent que cette
Armée eſt en ordonnance , il la faut
mettre en mouvement , & prendre
bien garde de n'y rien changer dans
la marche ; car avec ces précautions
on peut ne rien craindre des attaques
des gens du Pais. Il ne faut point
que le Général prenne d'autre meſu
res contre ces attaques tumultuaires,
que de commander à quelque Com
pagnie de Chevaux Legers , ou à
quelque Enſeigne deVelites , de les re
pouffer. Aprés tout,ne craignez point
quc ces ſortes de gens approchent à la
portée de l'épée ou de la pique, car les
Milices craignent toûjours les troupes
reglées& vous verrez qu'elles vous ara .
queront toûjours avec grand bruit ,fans
s'aprocher crop prés , comme tont les
petis chiens autour d'un mâtin . Quand
Annibalvint en Italie, au grand doma.
ge des Romains,il traverfa la Gaule, &
fe moqua toûjours des mouvemenstu.
multuaires desPailansGaulois.Quand
on marche il faut avoir des Pionniers,
& autres ouvriers devant vous , qui
VOUS
284 DE L'ART DE LA
vous faſſent le chemin ; mais il faut
les faire eſcorter de la Cavalerie que iſc
vous envoiez à la Découverte. Il "
faut que l'Armée gardant toûjours
JOT
certe Ordonnance, faſſe trois à quatre 4
lieues par jour , & qu'elle ait aſſez
de Soleil en arrivant au Camp , pour 1
20
fe loger & répaître : Car la mar
che ordinaire d'une Armée eft d'en 19
viron fept lieues par jour. S'il arri. :D
ve que vous ſoiez attaqué par une
25
GV
Armée en Ordonnance de Bataille ,
comme une telle Armée ne peut pas
naître tout d'un coup , carelles vont
un pas réglé ;. vous avez aſſez de
tems pour vous préparer au Com . !de
bat, & pour vous mettre dans l'Or.
dre de Bataille , que je vous ai mon de
tré ci- deffus. . Car ſi vous éces atta
qué à la tête , vous n'avez qu'a y
faire venir l' Artillerie qui eſt ſur les ;
ftancs , & la Cavalerie. qui eſt á la el
queue , & les mettre tous dans les cha
poſtes , que nous avons marquez id
ci-devant , en gardant toutes les dim i
ftances que nous avons dit. Les
mille
GUERRE , Liv. V.
285
mille Vélites qui ſont à la tête , doi
vent ſortir de leur poſte , & ſe par
tager en deux Corps de cinq cents
chacun , pour aller prendre poſteen
tre la Cavalerie & les Ailes de l'Ar .
mée :
Mais dans le yuide qu'ils laiſ
Jeront, poſtez y les deax Enſeignes
de Piquiers Extraordinaires , que j'a
vois poftez dans la Place de l'Armée.
Les mille Vélites que j'ai mis à la
queue la quitteront , & viendront
für les deux flancs des Bataillons
pour les fortifier ; puis faites ſortir
tout le Bagage par l'ouverture qu'ils
laiſſeront , aufli bien que les gens
ſans défenſe ; & mettez le tout à la
queuedes Bataillons. La placedonc
étant vuide, & chacun aiant pris fon
poſte ; que les Cinq Bataillons que
que j'avois mis à la queue de l'Ar
mée , avancent par le terrein vuide ,
qui eft entre les deux flancs, & que
des cinq il y en ait trois qui s'appro
chent de la tête , à Treizę toifes prés,
en laiſſant entr'elles des eſpaces é.
gaux , & que les deux de reſte de
mell .
286 DE L'ART DE LA
0
auſli de treize Toiſes.
%
meurent derriére les trois , éloignées
On peut en LUN
un inſtant mettre l'Armée ſous cette
forme, quiapprochede l'ordonnance
que nous avons démontrée ci-devant;
& fi elle eſt plus étroite de face , elle eſt
plus groſſe deflanc , ce qui ne la rend
pas moins forte. Mais parce que les
Bataillons qui étoienten queue,ont les
Piquiers dans les derniersRangspour
les raiſons que nous avons dites; il faut
les poſter dans les premiers , afin qu'ils
épaulent la tête de l'Armée. Or pour
cét effet,ilfaut leur faire faire un tour,
Bataillon aprés Bataillon , comme á
des Corps Solides , ou les faire entrer
prontement entre les Ecuiers , & les
fairemarcher ála tête : Cette dernié.
re métode eſt plus pronte & moins em
barraſſante , que de les faire tourner.
Vous devez vous conduire de même,
pour tous les Bataillons qui ſe trou .
vent a la queue, lorſque vous étes atta
qué de quelque maniere que ce ſoit ,
commeje vous le montrerai. Si l'En.
nemi ſe preſente ála queue,la prémié.
re
bre
1
GUERRE, Liv. V. 287
re choſe qu'on a á faire ; eſt que
chacun tourne de la face à l'épaule,
& par lá l'Armée a fait tout d'un
coup , de la Queue la Tête , & de la
Téte la queue . En fuite il faut ob.
ferver cour ce que j'ai dit , pour
mettre certe tête dans l'Ordonnan
ce qu'elle doit avoir. Si l'Ennemi
vient donner ſur le Flanc à Droi
te , il faut faire faire. Volte face à
toute l'Armée de ce côté là , en
fuite faire tout ce qu'on a dit ci
deflus, mettre cette Tête en défen
ſe , en ſorte que la Cavalerie , les
Vélites , & le Canon foient cha.
cun dans le Pofte où il doit étre ,
.par rapport à cette nouvelle Téa
Il n'y'a de la difficulté que
pour le plus & pour le moins , lors
qu'on fait ces changemens de Téte
& de Queue : Il eſt vrai qu'en faiſant
du Flanc à Droite la Téte , il fau .
droit que les Vélites entraſſent dans
les intervalles qui font entre les Ai.
les de l'Armée , & la Cavalerie feroit
plus proche du Flanc à Gauche
en
288
DE L'ART DE LA
en la Place de laquelle il faudroit
faire entrer les deux Enſeignes de
Piquiers Extraordinaires , qui é
toient rangez au milieu. Mais de
yant que de les y faire entrer , il
faudroit faire débarraſſer la place de
fourgons, des gens fans défence &
de tout le bagage, qu'il faudroit
pofter derriere le Flanc à gauche ,
qui alors ſeroit la queue de l'Armée:
Et les autres Vélites, qui ſelon la
principale diſpoſition de l’Armée,
écoient postezà la queue , ne doi
vènt point changer de poſte en ce
cas ici, afin que cet endroit là , qui
de queue deviendroit Flanc , ne fût
point découvert. Tout le reſte doit fe
réglerſurce qu'on a dit d'abord tou
chant la tête de l'Armée. ( Fig. V.)
Tout ce qu'on a dir pour faire du
Flanc à droite la tête , ſe doit ap
pliquer au Flanc à gauche, lors qu'on
en veut auſſi faire la tête , car c'eſt
la même métode . Sil'Ennemivenoit
fort de Monde , & en belle ordon
nance pour vous attaquer en deux
en
г.
Arma
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І.
150
- Туууууу
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>
GUERRE , Liv. V. 289
endroits , il faudroit fortifier ces
deux endroits là , des deux autres
côtez qui ne feroient pas attaquez ;
en Doublant les rangs des Premiers,
& en leurpartageant également l' Ar
tillerie , les Velites & la Cavalerie ..
Si l'Ennemi donne ſur vous par
trois ou quatre endroits , il faut que
lui ou vous manquiez de prudence;
parce que ſi vous en avez , vous ne
vous engagerez jamais dans un Pais
où l'on vous puiffe attaquer , en bel
le Ordonnance '& avec beaucoup de
force , en trois ou quatre endroits à
la fois ; parce que ſi on le veut fai.
11
re avec ſureté , il faut que de tous
les endroits dont on vous attaque ,
on ait en chacun , preſque autant
de Monde comme vous dans toute
vôtre Armée .
Et ſi vous étes ſi peu
fage, que d'entrer en Pais Ennemi ,
& au milieu de Forces trois fois
plus conſidérables que les vôtres
vous ne pouvez vous en prendre qu'à
vous- même , s'il vous en arrive acci
dent. Mais ſi vous recevez quelque
N
1
échec
290. DE L'ART DE LA
échec par un malheur , cela ne fera
point de tort à vôtre honneur, & il
ne vous arrivera que ce qui eſt arri
vé à Aſdrubal en Italie , & aux deux
Scipions en Eſpagne. Mais li l'En.
nemi n’aiant guéres plus de forces
que vous , veut cependant vous at
taquer en pluſieurs endroits à la fois,
ce ſera votre bonne Fortune qui lui
fera faire cette forciſe ; parce que
s'il veut entreprendre une telle cho
ſe , il ne le peut faire qu'en rendang
fes Bataillons ſi foibles , qu'il vous
ſera aiſé & de foûtenir d'un côté, &
d'enfoncer de l'autre ; & par conſé-.
quent de le mettre en déroute . Cer
te maniére de ranger une Armée en
vataille contre un Ennemi qu'on ne
roit pas encore , mais qui pourroic
le préſenter à l'improviſte , eſt né.
ceſſaire ; & même il fera fort avan
tageux , en mettant vos Troupes en
Corps d'Armée , de les accoûtumer
à marcher dans cette Ordonnance ;
Et dans la Marche il faudra diſpoſer
la Tête à Combattre , puis repren
dre
GUERRE , Liv. V.
291
dre la Marche ; Enſuite faire de la
Queue la Tête , puis reprendre la
Marche : Enfin faire des Flancs
la Tête , & reprendre encore la
Marche
Car fi vous voulez avoir
une Armée bien diſciplinée, il faut
l'inſtruire ſouvent , & lui faire pren.
dre l'habitude de toutes ces fortes
d'Exercices. C'eſt ſur tout là -deſ
ſus , que les Généraux & les Prin.
ces mêmes doivent prendre beau ,
coup de peine ; Car la Diſcipline
Militaire n'eſt autre choſe que de ſa :
voir ordonner & éxécuter toutes ces
choſes - là : & une Armée bien diſci.
plinée , c'eſt une Armée habituée à
tous ces mouvemens.
Or il ſeroit
impoſſible d'en mettre jamais en dé
route une , qui dans ce tems ici les
prattiqueroit comme il faut. Au
reſte , ſi certe Ordonnance de figure
quarrée , paroit un peu difficile , il
ſera néceſaire de la prendre pour u.
ne bonne Leçon d'Exercice ; parce
que quand on en aura pris l'habitu .
N
2
de ,
292 DE L'ART DE LA
deil ſera aizéapréscela de réuflir dans
les autres..
Bondelmonte. Jeſuis perſuadé.com
mevous ļe dites , que tous ces exerci.
ces font fort neceffaires, & pourmoi
j'avouë queje n'y vois rien à ajouter ,
ni à retrancher. Il eſt vrai que je vou
drois bien ſavoir de vous deux cho.
1
ſes ; L'ụne , quand vousvoulez des
flancs ou dela queuë faire la tête , &
que vous les commandez detourner,
ſavoir ſi vous faites ce Commande
ment ou de la Voix , ou par le Tam .
bour. L'autre choſe eſt de ſavoir , ſi
lors quevous envoiez faire eſplanader
lesChemins, vous y emploiez de vos
propres Soldats , ou d'autre forte de
gens deftinez à cela.
Colonne. Vôtre prémićre queſtion
eſt de conſéquence ; parce quelors
que les ordres d’un Général ne ſont
pasbien entendus , ou mal interpré
tez , ſouvent il en arrive du déſordre
dans les Armées : C'eſt pourquoi il
faụt qu'en lieu dangereux , le Com
man
GUERRE , Liv. V. 293
mandement ſoit ſur tout clair & in
telligible.Or ſi vousemploiez le Tam .
bour ou autreInſtrument pour faire le
Commandement il faut que d'union
à-l'autre il y ait une difference ſi fenſi
ble , qu'il ne ſoit pas poſſible d'y faire
équivoque: Et ſi vous Commandez
de vive Voix , prenez bien garde d'é
viter les termes généraux , n'emplo .
iant que ceux qui font propres, & en
core de ceux -ci , faut il éviter ceux
qui pourroientrecevoir une méchan
te interpretation . Souvent on a vů.
périr une armée pour ayoir dit , Ar
riére , Arriére , au lieu de dire , Rea
tirez-Vous. Si vous voulez faireTour
ner , pour-Faire Téte , ouen Flane , ou
en Queue , ne dites jamais Tournez
Vous , mais ſeulement Demi Tour à.
droitte , Demi Tour à Gauche. Il faut
donc que tous les termes du Com
mandement ſoient ſimples & clairs,
comme , Serrez les Rangs ; Prea
nez Garde * à Vous ; Marcbez ;
Red
N 3
*De Starefort, Voiez les Remarques,
294
DE L'ART DE LA
Retirez vous .
Mais que tout ce
qu'on pourra commander de vive
voix qu'on le faſſe , le reſte ſe Com
mandera par les Tambours & autres
Inſtruments.
Pour ce qui eſt des
Pionniers , je voudrois que ce fuſ
fent mes Soldats qui en fiſſent l'offi
ce , tant parce que les Romains le
prattiquoient ainſi, que pour avoir
ſe moins de bouches inutiles que je
pourrois , dans mon Armée , & j'en
tirerois de chaque Bataillon le nom.
bre qu'il m'en faudroit , en leur don .
nant les Pieuches & autres Inftru .
ments néceſſaires pour cela , leur
- faiſant laiſſer leurs Armes à ceux des
Files qui feroient les plusproches
d'eux , puis quand l'Ennemi paroî.
troit , les Pionniers reprendroient
leurs Armes & leurs rangs.
Bondelmonte. Qui eſtce qui por
teroit tous ces Inſtruments des Pion
niers.
Colonne. Les Charrettes deſtinées
pour cela .
Bondelmonte. Je doute que vous,
puiſſez
GUERRE , Liv. V.
295
puiſſez jamais faire réſoudre nos fola
dats à pieucher .
Colonne. Nous parlerons de tout
cela dans ſon lieu. Pour l'heure je
laiſſe toutes ces choſes , voulart vous
entretenir de la maniére de faire vi
vre l'Armée , car il me ſemble , qu'a
prés l'avoir tant travaillée ; il eft
tems de la rafraichir un peu. Il faut
que vous fçachiez qu'un Prince doit
fur tout faire en ſorte que ſon Armée
foit debarraſſée , aizée à manier ;
déchargée de Bagage & propre pour
les plus difficiles ,& les plus pron
tes expéditions:. Ce qui eſt le plus
difficile , c'eſt de la tenir toûjours
bien pourvuë de vivres.
Les An
ciens ne s'embarraſſoient pas pour le
bruvage, parce que n'aiane point de
Vin , ils buvoient de l'eau teinte
avec un peu de Vin aigre; Cela ne
vaudroit rien dans les Climats froids,
pour lui donner du goût. Ainſi dans
la liſte des munitions de l'Armée , on
ne mettoit que le Vinaigre & non
le Vin .
Ils ne cuiſoient point le
N
4
pain
296 DE L'ART DE LA
pain au four , comme il ſe pratique
dans les bonnes Villes ; mais on faifoit
proviſiondeFarine ; & chaque Soldat
faiſoit ce qu'il lui plaiſoit de la Por
tion : Pour l'affaifonner on leur don
noir du Lard & de la Graille, qui don
noit bon goût au Pain qu'ils faiſoient
& le rendoit plus nourriſſant. Ainli
par
toutes les Proviſions de Bouche de
l'Armée étoient, de la Farine , du
Lard & de la Graiſe ; & pour les Che
vaux de l'Orge. D'ordinaire (ils am
voient des Troupeaux de gros & deme
nuBétail, qui fuivoientl'Armée ,ce qui :
n'embarafſoit pas puiſqu'ils ſe portoi..
ent eux -mêmes. Avec deſ bons ordres
uneArméemarchoit ſouventpluſieurs
journées dans desdéſerts , fans ſouffrir :
de diſére,parce qu'on lanourriſſoit de
chofes aiſées à tranſporter partout. Il
arrive tout le contraire dans nos Ar
méesd'aujourdui quivoulant ne point
manquer de Vin ni de Pain cuit,comme
quand ils ſontdansde bonnes Villes ,
& ne pouvant pas en faire toute la pro
viſion néceſſaire, fouyent elles ſe trou
yent
GUERRE , Liv. V.
297
vent affamées : Ouſi elles ſont pour
vûes de tout , cela ſe fait avec une pei
ne & une dépenſe infinie. Jeréduirois
donc mon Armée à viyre ſur le pié des
Anciens, & lesSoldats n'auroient point
d'autre pain que celui qu'ils ſe cui
roient eux -mêmes : Pour le Vin, je ne
défendrois pas d'en boire , niqu'il en
viac au Camp;mais je ne me donnerois
ni foin ni peine pour l'y attirer,& pour
les autres provilions,je ſuivrois les An
ciens en tout. Faites bien réflexion ſur
tout cela , & vous verrez combien par
ces moiens on évite de difficultez , &
de combien d'ennuis & d'incommodi
tez un Général & une Armée ſe déli.
vrent par cette conduite , & combien
elle donne de facilitez pour quelque
entrepriſeque ce ſoit.
Bondelmonte. Nous avons battu
l’Ennemi em Campagne , & nous
ſommes entrez dans ſon Pais ; la tai
ſon veut que nous aions fait du Bum
tin , mis les Habitans à Contri.
bution , & fait des Priſonniers
Je voudrois donc ſavoir commeac
N
5
les
298
DE L'ART DE LA
les Anciens ſe gouvernoient dans tou .
tes ces affaires - là .
Colonne. Je vais vous ſatisfaire. Je
croi que vous avez remarqué, ſelon
ce que je penſe en avoir dit autrefois
à quelques uns de vous , que les
guerres d'aujourd'hui appauvriſſent
également les vainqueurs & les vain
cus ; car fi l'un perd ſon pais , l'au .
tre perd ſes finances & ce qu'il a de
plus liquide. C'eſt un déſordre qui
n'arrivoit pas du tems des Anciens,
21.
20
3
où le Victorieux devenoit toûjours ;
riche.
Cela vient de ce que l'on ne .
tourne pas à profit la dépouille des .
ennemis
comme on faifoit alors ;
mais on l'abandonne á la diſcrétion
du foldat. Cette mauvaiſe conduite
produit deux grands maux ; le pre
mier eſt celui que nous venons de
remarquer ; & l'autre que le ſoldat
en devient bien plus ardent au pil..
Jage, & bien moins foumis auxor.
dres de la diſcipline : or nous vous
avons fait voir bien des fois, com
ment, la paflion de piller a fait
per :
DE
GUERRE, Liv. V.
299
perdre la Victoire à celui qui la
tenoit déja. Les Romains , tant
qu'ils furent les maîtres , & comme
le modele de cet Art de la guerre ,
voulant prévenir ces deux inconvé.
nients , ordonnérent que la dépouil
le des vaincus , appartiendroit au
Public , qui la diſpenſeroit enſuite
comme il le trouveroit à propos.
C'eſt pour cela qu'ils avoient dans
leurs Armées leurs Thréſoriers entre
les mains deſquels on dépoſoit, &
les contributions & les priſes, du .
quel fond enfuite , le Conful paioit
l'Armée , entretenoit les bleſſez &
les malades & fuvenoit aux autres
Le Conſul
beſoins des troupes.
géantmoins ayoit le pouvoir de don
der le butia aux ſoldats , & fouvent
il le faifoit ; mais fans que cela pro
duiſit de déſordre ; parce que quand
les ennemis étoient entierement dé
faits., on mettoit toures leurs dé
pouilles au milieu de l'Armée , dont
on faiſoic enſuite le partage par tê:
te , ſelon le rang & la qualité des
N
.
6
gens ,
300
DE L'ART DE LA
gens.
Cette métode " rendoit les
Soldats . plus ſoigneux de vaincre ,
que de piller , & les. Légions-Ro
maines-battoient bien l'Ennemi,mais
v
elles ne le pourſuivoient pas ; car
jamais elles ne quittoient leurs Rangs;
il n'y avoit que la Cavalerie & les
Vélites avec ceux qui n'étoient pas
Soldats Légionnaires , qui couruſlent
aprés les 'fuiards. Que li le butin
eût appartenu à celui qui le faiſoit )
il n'eût pas été juſte , ni poiſible de
tenir les Légions dans leurs Poſtes ,
& cela eüt cauſé de grands inconvé
nients. Il arrivoit de la que le Pue
blic.scorichiſſoit & que le Conſul,.
en Triomphant , portoit encore dans
le Tréſor public ,de grandes Richel
fes provenuës des Contributions &
des dépouilles de l'Ennemi.
Les
Anciens faiſoient encore , une autre
choſe bien judicieuſe , C'eſt qu'ils
commandoient à chaque Soldat de
remertre le tiers de ſa païe entre
les mains de l'Enſeigne de fon Ba
taillon , qui ne le leur rendoit, ja
mais
1
GUERRE , Liv. V.
301
mais que la Guerre ne fût finie. Les
Romains faiſoient ceci pour deux
raiſons ; L'une afin que le Soldar fe
fit un fond de la paie ; car étant la
plus- part jeunes, & gens fansſouci,
il leur fúé fans cela arrivé ce qui ar
rive à ces fortes de gens-là , quiplus
ils ont , plus ils dépenſent. L'au
tre motif qui portoit les Anciens à
en uſer ainſi , c'étoit afin que le Solo
dat fachant que ſon argent étoit au
prés du Drapeau , fut obligé de le
défendreavec plus de foin & d'opi
niâtreté ; ainfi ces ordres le ren.
doient ménager & courageux . Tout
ce que je vous ai dit eft néceſſaire ,
lorſqu'on veut mettre une Milice ſur
le bon pied ..
Bondelmonte. Je croi qu'il eſt im.
poſſible qu'il n'arrive des accidents
dangereuxà une Armée qui marché
d'un lieu à un autre ; & là par con
ſéquenti, le ſavoir faire du Général
& la valeur du Soldat , font fort né.
ceſſaires pour s'en tirer : je ſouhai
terais donc que vous nous marqual.
liez
3o2 DE L'ART DE LA
fiez les principaux de ces accidens
qui pourroient ſurvenir.
Colonne. Je vous ſatisferai volona
tiers , puiſque cela eſt particuliére .
ment néceſſaire lorſqu'on veut don.
2
ner une parfaite connoiſſance de cér
Un Général doit ſur tout , é .
tant en marche , ſe donner bien de
Art.
garde des Embulcades:
Oron y
combe en deux maniéres , ou en
marchant ſimplement, elles ſe trou
yent ſur vôtre Route ; ou bien l'En.
nemi vous y attire avec adreſſe, lorf
que vous ne les avez pas prévues.
Pour rémédier au prémier cas, il
faut envoier devant vous une Dox .
A
ble Garde à la Découverte du Pais .
Mais ſur tout il faut emploier une
précaution extréme , lorſque le Pais
eft fort propre pour faire des Em
bufcades , comme lont les Pais boi.
fez , ou montuenx ; car c'eſt tou .
jours , ou dans un Bois , ou derrié .
re une hauteur , qu'on les place .
Or comme une Embuſcade impré
yûc eft trés dangereuſe , auſſi n'ap .
por
i
13
1
GUERRE , Liv. V. 303
porte-elle aucun préjudice lorſqu'el
le eſt éventée.
Les Oiſeaux & la
Pouſſiére ont fouvent fait découvrir
l'Ennemi, lorfqu'ilvientà vous.
Il
eſt arrivé auſſi fort ſouvent qu'un
Général voiant lever des Pigeons, ou
d'autres Oiſeauxqui vont par Compa
gnie , des endroits par où il devoit
marcher , & en ſuitte les voiant tour .
noier en l'air , ſans ſe remettre , il a.
jugé qu'il y avoit iá une Embuſca
de ; ainſi aiant envoié devant , il
s'eſt tiré d'affaire en endommageant
fon Ennemi .
Pour le ſecond cas ,
qui
d'étreétre
attiré
dans l'Embufca
de , eſt
il faut
des
.
pour les chofes qui n'ont pas beau.
coup de vrai ſemblance ; comme fi .
l'Ennemi vous expofe quelque B1
tin á faire , croiez que l'hameçon
eft caché ſous cér appas. De plus ,
fi un petit nombre des vôtres fait
fuir une groſſe Troupe d'Ennemis ;
ou ſi un petit nombre des leurs en
vient attaquer un grand des votres ;
Si l'Ennemi fans aucune raiſon prend
touc
304 DE L'ART DE LA
tout d'un coup la fuite , en tel cas;
défiez - vous toûjours de la ruſe ; &
ne vous mettez jamais dans l'eſprit
1
que l'Ennemi ne fait pas ce qu'il
fait is au contraire pour vous abufer
moins yous-même & courre . moins
de riſque , plus vous voiez vôtre
Ennemi vous paroitre foible & né.
gligent, plus vous le devez croire
ſur ſes gardes & en bon état. Dans
ces conjonctures , vous avez deux
choſes à faire ;
L'une d'en faire cas
dans votre eſprit , & en vous pré.
cautionnant bien par de bons or
dres ; mais dans l'extérieur & par
4
vos diſcours -faires : feinte de le mea
priſer;
Car cette derniére maxime
3
encourage vos Soldats , & la pré
miére vous rend plus prévoiant &
moins propre á étre trompé. Sur
tout , penſez bien qu'en marchant
(
A
en Pais Ennemi , vous courrez de
plus grands riſques & en plus grand
nombre
que
dans
une
Bataille .
C'eſt pour cela que le Général ,
dans ces Marches, doir rédoubler.
ſes
GUERRE , Liv. V. 305
fes ſoins & ſa diligence ; & la pré
miére choſe qu'il doit faire , c'eſt
d'ayoir une Carte exacte de tout le
Pais par où il doit paſſer ; En forte
qu'il fache au vrai, les Lieux , le
Nombre , les Diſtances, les RoutesS s
les Montagnes l, esRiviéres, les Ma.
rais , & toutes les qualitez de ces en
droits-là . Mais pour parvenir à ce.
but, il faut avoir diverſes perfon .
Des qui aient connoiſfance du Tere
rein , & les éxaminer diverſement &
féparément avec grand loin, & .con
fronter leursdiſcours , qui ſe rencon- ?
trant conformes, vous ſuffiront pour
faire vos Remarques. Il faut en
yoier deyant, de ha Cavalerie avec
des Chefs Prudents , non pas tant
pour reconnoitre l'Ennemi , que
pour faire la Découverte du Pais ;
afin de voir ſi le rapport qu'on*vous
en fera eft conforme avec la Carte
& la connoiffance que vous en da
vez déja.. Il vous faut encore en
voier les Guides que vous avez :,
en vous aſſurant bien d'eux, en leur
don
306 DE L'ART DE LA
donnant eſpérance d'étre récompen
fez , ou en les ménaçant de châti
ment .
Mais fur tout , que les Trou .
pes ne ſachent poine à quelle Expé
dition on les méne : car rien n'est fi
néceſſaire à l'Armée que de cacher
les deſſeins qu’on a. Er afin que
quelque Attaque imprévûe n'étonne
jamais vos gens , avertiſſez -les d'é.
tre toûjours bien ſur leurs Gardes ;
car une choſe à quoi l'on s'attend
porte moins de préjudice.
Plus
fieurs pour éviter les déſordres de la
Route, ont poſté auprés des Eten
darts , le Bagage & les Gens inutiles ,
& leur ont commandé de les ſuivre
coûjours : afin que dans la Route ,
lorſqu'on eſt obligé de faire Hatte
ou de faire Retraitte , on le puiffe
faire avec plus de facilité ; j'approu
ve aſſez cette conduite comme etano
aſſez utile . Il faut encore obſerver
que dans la Marche , une partie de
l'Armée ne fe détache pas de l'autre ,
ou que l'un marchant vîre , & l'au
tre doucement, les Corps ne devien
nent
W
GUERRE, Liv . V. 307
nent trop foibles , ce qui peut cau
fer du déſordre.
C'eſt pour cela
qu'il faut pofter les Officiers en Flanc
des Soldats , pour tenir la Marche
uniforme, en hàtant les uns & retar
dant les autres : Cette juſteſſe ſe
peut aiſément former au Son du Tam .
bour. Il faut faire élargir les Che
mins , en ſorte qu'un Bataillon , au
moins , puiſſe marcher en Ordre de
Bataille . Il faut auſſi éxaminer les
-maniéres & les qualitez de l’Enne
mi, s'il a deſſein de vous attaquer
Le Matin , á Midi , ou le Soir ; Si
ou en Infanterie
qu'il eſt le plus fort, & ſelon l'état
des choſes yous vous réglerez & vous
c'eſt en Cavalerie
prendrez vos précautions.
Mais
venons à quelque accident particu
lier. Il arrivequelquefois qu'on dé
campe devant l'Ennemi, parce qu'on
fe trouve trop foible pour en venir.
aux mains avec lui , qui vous pour
fuivant en Queue , vous rencontrez
fur vôtre Route une riviére, où vous
perdez du tems á la paſſer ; en ſorte
que
.J
308
DE L'ART DE LA
que l'Ennemi eſt ſur le poiñt devous
joindre & de vous livrer Bataille.
Quelques-uns en pareille rencontre
ont fait une Tranchée du côté qui
devoit érre attaqué , & l'aiant rem
plie d'Etoupes , y ont mis le feu ; a
prés quoi ils ſont paſſez avec leur
Armée , ſans qu'on les- en pût empê
cher, parce qu'on étoit arrêté par le
feu qui ſetrouvoit entredeux.
Bóndelmonte. Kai aſſez de peine
à croire que ce feu pût retenir l'En
nemi , ſur tout parce que je me
ſouviens que Hannon Chef des Car
taginois étant aſſiégé, fit un- Retran .
chement de Bois du côté dontilvou
loit faire ſortie , &- y mit le feu, ce
qui empêchant que l'Ennemi ne fût
en garde de ce côté- là ', ce Général
fit paſſer fon Armée par deſſus le
feu , en commandant àchaque Sol
dat de mettre ſon - Bouclier devant le
Viſage , afin de ſe garantir du feu &
de la fumée .
Colonne. Ce que vous dites eft
vrai,
1
to
7
GUERRE , Liv . V. 309
vrai , mais prenez bien garde à ce
que j'ai dit , & à ce que fit Han
non ; Car j'ai dit , qu'on fit une
Tranchée , qui fut remplie d'Etou
pes, Ainſi quiconque eut voulu pal
fer, avoit la Tranchée & le feu à
ſurmonter. Mais pour Hannon , il
fit du Feu ſans Tranchée , & même
aiant defein de paſſer par deſſus , il
Ae dut pas le faire gros , caril n'au
roit pas laiſſé de l'empêcher en
core fans cette précaution. Ne 1a
yez vous pas que Nabis étant aſſié
gé dans Lacédémone par les Ro
mains , mit le feu à une partie de
fa Place , pour empêcher le paílage
à fes Ennemis qui étoient déja entrez
dedans, & moiennant ce feu il lesem .
pêcha d'aller plus ayant ; & mêmes il
les repouſſa:Mais revenons à nôtre fu .
jet. Quirtus LutatiusRomain , aiant
les Cimbres à dos , & étant arrivé
auprés d'une Riviérc ; pour que
l'Ennemi lui donnât le temps de
paſſer , il lui fit croire qu'il lui
donneroit aſſez detems pourlui livrer
Ba.
310
DE L'ART DE LA
Bataille , en feignantde vouloir cam
per lá .
Pour cet effet il fit faire des
the
Retranchements & dreſler des Tentes ,
de plus il envoia quelque Cavalerie
au Fourage ; Enfin il fit ſi bien que
les Cimbres crurent qu'il campoit là ,
ce qui les y, fit camper auſſi; & ils
fe partagérent en deux pour aller
chercher des Vivres ; dont Lutatius
s'êtant apperceu , il paſſa la Riviére
ſans qu'ils puſſent l'en empêcher.
Quelques-uns voulant paſſer une Ri
viére ſans ayoir de Ponts, en ontdé.
tourné une partie , & rendu par là
l'autre Guéable. Quand les Riviéres
font rapides , afin de faire paſſer plus
ſurement l'Infanterie , il faut mettre
les plus gros Chevaux au deſſus pour
ſolltenir l'impétuoſité de l'eau , &
l'on met les autres au deſſous pour
ſecourir les Fantalſins qui fuccombe
roient à la violence du courant. ' On .
paſſe encore les Riviéres Non -guéa
bles avec des Barques , des Pontons ,
des Outres ,c. Ainſi il eſt bon d'étre
pourvû dans une Armée des moiens
de
“毒
GUERRE, Liv . V.
311
de faire tout cela. Il arrive quel.
quefois qu'au paſſage d'une Riviére
vous avez l'Ennemi de l'autre côté
pour vous l'empêcher: Si vous vou .
iez vaincre cét obſtacle , je ne con
nois point de meilleur éxemple à lui.
vre que celui de Céſar, qui dans les
Gaules, aiant ſon Armée le long d'ul
ne Riviére , dont le paſſage lui étoit
diſputé par Vercingentorix, qui étoic
de l'autre côté ; Céſar , dis-je,mar
cha le long de cette Riviére pluſieurs
journées , ce que l'Ennemi faiſoit
auſſi ; mais Ceſar aiant campé dans
une Forêt, propre à ôter la vûe de
ſes gens aux Gaulois , il tira trois Co.
hortes de chaque . Légion , & les fit
arrêter dans ce Camp-là , leur com
mandant , quefi-tót qu'il ſeroit par
ti, ils jettaſſent un Pont ſur cette ri.
viére ,& qu'ils de fortifiaßent ;& pour
de l'Armée . Ainſi Vercingentorix
lui , il ſuivit ſa Route avec le reſte
voiant toûjours la même quantité de
Légions , ne s'imagina pas qu'il fût
demeuré des gens dans la Forêt , ce
qui
312
DE L'ART DE LA
qui lui fit auſli ſuivre la Route, mais
lorſque Céfar crût que le pont étoit
fait & fortifié,il fit Volte Face& retour.
nant au même endroit , il trouvatou
tes choſes en ordre , & paffa fans ob
ſtacle.
Bondelmonte. Avez vous quelque
régle pour connoître les Guez
Colonne. Oui, nous en avons.
U
ne Riviére qui vous fait paroitre
comme une ligne, entre le fil de l'eau
& l'endroit le moinsrapide, eſt pour
l'ordinaire moins profonde en ce lieu
là , &. par conſequent plus guéable
qu'ailleurs ; par ce qu'elle a roulé da
vantage de gravier, & en a plusrécenů
en cér endroit là qu'ailleurs : Ceci
aiant été experimenté bien des fois ,
paſſe pour une choſefort aſſurée.
Bondelmonte. Si par hazard le
Gué eſt enfoncé, quel reméde yap
portez -vous ?
Colonne. Il faut faire une eſpéce
de grandes Grilles de Bois , les faire
décendre á fond & paffer par deſſus.
Mais continuons notre diſcours. S'il
arri
6
GUERRE , Liv . V. 313
arrive qu'un Général conduiſe fon
Armée entre deux Montagnes , &
qu'il n'ait que deux Chemins pour
ſe tirer d'affaire , qui eſt celui de
devant & celui de derriére , & que
tous deux ſoient occupez par les
ce Général n'a point
d'autre reméde que celui que quel
qu’un mit en uſage autrefois ; Qui
Ènnemis
faiſant faire derriere lui une grande.
Tranchée difficile à paſſer, pour per
fuader à l’Ennemi , qu'on vouloit
l'arrêter par là , afin de faire con
tre lui tour l'éfort du côté de la
Tête , où le Chemin étoit couvert ,
ſans avoir rien à craindre en Queuë:
će que l'Ennemi croiant en effet ,
il fit pafler toutes ſes Forces , pour
faire ſes Attaques du côté décou.
vert , abandonnant celui qu'il voioit
ſi bien retranché ; mais l'autre s'en
étant apperçu , jetta vîre ſur ſon
foſſé un Pont de bois préparé pour
cela , ſur lequel paſſant en toute di.
ligence , & mettant ce grand Retran .
O
chement
314 DE L'ART DE LA
chement entre lui Sifon Ennemi fans
fui laiffer fe Pont, ils'en délivra aife :
ment par ce tratagéme. Lucias Mi
nutius ConfulRomain , étant avec font
Armée renfermé par lesEnnemis en
tre certaines Montagnes, dont ilne
pouvoit ſe tirer ; s'aviſa d'envoier
quelqueCavaleriede Numidie qu'il a
voit dans ſes Troupes, & qui étoit
inalArméees mal Montée vers les Po.
ftes gardez par les Ennémis: Cette
Cavalerie leur fit prendre d'abord le
patri de luidiſputer le paffage,mais
voiant ces gens là en mauvais équipa
ge, & ſelon eux ,mal Montez , ils n'en
firent pasgrand étar , & fe relachérent
ſur les Gardes; Ce que les Numides
aiant remarquê, ils donnérent desdeux ,
& pafférent ſans qu'on pût les enem
pécher ; Enſuiteravageant& pillant
le.Pais,ils obligérent l'Ennemià laif
fer le paſſage libre à Lucius & à fon
Armée. Quelques Généraux fe trou
vans attaquez par une grande quanci.
té d'Ennemis , ont ramaffé tout leur
Monde en un Pelotton , & ont donné
məien
4
GUERRE, Lrv. V.
315
moien á PEnnemi de les environner
detous côrez ; puisépiant Pendroit
te plus foible, ilsl'ont forcé ; & par cét
endroit là ils ſe font fauvez. Marc
Antoine, faiſant Retraitte devantl'Ar
méedes Parthes , s'apperçut que les
Ennemis l'acraquoient toûjours à la
Pointe du jour lorſqu'il décampoit, &
toutle long du jourils le harceloient ;
Deſorte qu'il prit la réfolution de ne
décamper plus qu'à Midi: Ainſi les
Parthes, croiant qu'ilvouloit léjour
iner ,retournérentàleur Camp; ce qui
Jaiſa à Marc Antoine le tems de mar ,
cher tout cejour là ſansérreincommo.
dé. Le même Marc Antoine , pour
rendre inutiles toutes les Fléches des
Parthes , .commanda à ſesgens de ſe
mettre àgenoux , lorſqu'ils verroient
l'Ennemiprés d'eux ; & que le Second
Rong dans chaque Cohorte , mîc les
Boucliers ſur la tête des Soldats du
Premier ; que le Troiſiéme Rang en fit
autant à ceux du Second ; le Quatrième
avoit ordre d'en faire de même à ceux
du
316 DE L'ART DE LA
du Troiſiéme,& aiņſi deſuite ; en ſorte
que toute l'Armée étoit comme fous
un toit à couvert de cette nuée de-Flé.
ches que tiroient les Parthes.
Voila
tout ce que je peux vous dire pour
l'heure , touchant ce qui peut ſurve
nirà úne Armée qui eſt en Marche ; &
pourvous, ſi vous n'avez pas autre
choſe àmedemander , je paſſerai à une
autre partie de cette matiére.
‫ܝܐ‬
080115
aines ,
)
dre du
tent le
kale
pails
317
DE
L'ART
DE
L A
GUER R E.
LIVRE SIXIEME.
BiBondelmonte:
E croi qu'il eſt à propos ;
ST
puis qu'on va changer de
diſcours , que Monſieur
Della Palla entre en Char.
que moi j'en
ge & que
forre ; & en cez
cinous imiterons les Grands Capi
tâines , comme je le viens d'appren
dre du Seigneur Colonne ,
qui poa
ſtent leurs meilleurs Soldats à la Te.
te & à la Queue de leur Armée pirce
qu'ils trouvent à propos d'avoir des
O
3
gens
318
DE L'ART DE LA
gens quiſachent attaquer vigoureuſe .
ment, & d'autres quifacheat foûte
nir avec fermeté. Ainle , c'est
fort :
prudemment que Monſieur Rucellai
a commencé d'entrer en lice
&
ce
fera auſli une grande prudence de la.
faire fermer par Monſieur Della Pab
la , Monſieur Alemanni & moi avons .
tenu le milieu :
Et comme chacun
de nous s'eftchargé volopriers de fa
partie , je croi que Monleur Del
la Paths voudra bien aula tenir la
fienne .
Della Patta. Je me ſuis laiſſé
gouverner juſqu'à préſent ; j'en uſe
rai de méme pour l'avenir. Ainli ,
Monfieur , niez , s'il vous plait; la
3.
bonté de centinuer vos Inſtructions,
& nous pardonnez , la nous vous in ..
pou
terrompeas, felon l'uſage déja écara
bli,
Colonne. Je vous ai déja dir, que
vous me faires grand plaiſir ; parcelles
là ne confon
ilepen
que ces interruptions
dent point mes idées , au contraire. Pour
elles. Lesrégeillent. Mais pour pouc,
fui..
GUERRE, Liv. VI. 319
füiyre nôtre ſujer , Je dis , Qu'il eft
temi que nous logions nos Troupes ;
Carvous ſavez que toutes choſes de
mandent le repos & un repos aſſuré,
puiſque de ſe repoſer , fans étre en
ſureté, ce n'eſt pasſe repoſer parfai
tement. Je me figure que vous ay .
riez trouvé à propos que jevouseuf
fe fait premiérement Camper , puis
Yous mettre en Marche, & en fin
Combatine ; Mais nous avons fait
tout le contraire: C'eſt à quoi nous
a contraiat la néceſſité , parce que
youlant faire voir comment une Ar
mée doit le gouverner , quand écanç
en Marche , elle eft obligée d'en yen
nir aux mains , il a bien falų aupa
rävant montrer comment on faifoir
pour Se ranger en Bataille. Mais
pour revenir à nørre fujet", Je dis ,
Que pour faire qu'ux Camp foit alluré,
il fautqu'il foie Fort , & biea Ordon
né:
Er pour le bien ordonner , cela
dépend du ſavoir faire du Général.
Pour la Force, elle dépend de la Si.
tuation & de l' Art, Les Grecs cher.
AT04
choient
320 DE L'ART DE LA
choient toujours des Camps forts de
ſituation ; & jamais ils n'auroient
campé en licu où il n'y auroit eu ni
Cavernes, ni bords de Riviére , ni Bois ,
ni.autre moien naturel de ſe couvrir
1
Les Romains ne campoientjamais en
epû .donner
Pais , où ils n'euſfent
ffair
s
ecce
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s elon L es égles à e l eur
e
p
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lire R
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Diſcipl
Militaien.t C'eſutrs pour
s
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cela qu'il poeuvo èretofijo g
per
i
der une mêm maennt
de camjettir,
i
o
car ils nine voul
pas s'iaeſnſtu
ay terre , maistcîicls voulo
que
le terreins s'aľuje oiàenettux : Ceque
les Gerec ne puojuetvtiſſan pas faire ,
parc que s'aſſ nt
tions ; qui varie
aux fitue
oup
beauc e , felon
du
la forme & ſelon l'nétten , il faloit
e
auſſis qu'ils vareiarfl , & leurs mae .
niértes deme
casmp , & leaurisnscamp c
n
me
mê
: Les Rom
, don
s
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n
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o
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f re,ſiſle y f
pa l' & pa .
l'add u.rs Or parce que dans tmouis
ces diſco ici ; j'ai voulu qu'oni
tâu
le
ten
• Bita
lené
Ето
GUERRE, Liv.VI. 321
tât les Romains, je ne m'en départi
rai pas encore dans la manière de
camper , fans pourtant les ſuiyre en
tout , mais feulement dans les choſes
qu'on peut accommoder à nos tems.
Je vous ai dit bien des fois , Que
les Romains avoient dans leurs Ar
mées Confilaire's deux Légions de
Soldats de leur Nation , quifaiſoient
en tout environ onze mille Fantaſ
linis & fix cents Chevaux , de plus
ils avoient encore environ onze mil.
le autre Fantaiſins de Trompes Aixi
liaires, & jamais ils n'avoient dans
leurs Armées plus de Soldats Etran
gers que'de Romains; ſi ce n'eſt de :
la Cavalerie , dont ils ne fe fou
cioient pas que le nombre furpaſſaft
celui de la leur: Outre cela je vous
ai dit qu'ils faiſoient le Corps de
Bataille de leurs Légions, mettant
les Troupes Auxiliaires ſur les ailes
del'Armée. Ils conſervoient auſſi ceta
te métode dans les campements, com-
meyous l'aurcz pů iemarquerchez les
0.53
5
ALL
3226 DE L'ART DE LA
Auteurs qui en parlent. Je n’entre
rai doncpoing dans ledétail de leurs
Campements , n'aiant deſſein que .de
11
RE
2010
vous entretenir de quelle maniére je
ferois à préſent Camper nne Armée , &
alors vous verrez bien tout ce quç
j'aurai tiré des Romains... Vous lae
vez bien qu'au lieu de deux Légions.
Romaines , j'ai pris deuxRégiments
de chacun Gx milleFantaffins & trois
cents Chevaux de Combat. Vous fa
yez outre cela en combien de Bataila;
lons je les aipartagez , quels Noms &
quelles Armes je leur ai dannées.
Vous ſavez , enfin , qu'en rangeant
he , & pour le
la Marc
1 Armée pour la
Marche,
Combat , je n'ai point parlé d'autres
Troupes ; mais ſeulement j'ai fait voir
ur
que fi on avoit le double de Monde , il
n'y avoit qu'à Doubler les rangs.
Mais à préfeno:qu'il s'agir de vous ,
faire voir comment il faut Camper , il
me ſemble que ce n'eft pas aſſez de
d'avoir que deux Regimento; . C'eſt
9
pourquoi il faut mecete afez de gens
pour faire une juſteArmée ſur lemo
déle
d
GUERRE; Liv . VI:
323
déle de celles des Romains , que
nous compoferons par conſéquent
de deux Regiments, & d'autant de
Tronpes Auxiliaires. Ce que je fais
là , c'eſt pour rendre la forme du cam ,
pementplus parfaitte, ne m'aiant pas
pary néceſſaire d'avoir tant de Trou
pes , pour vous démontrer tout ce
que je vous ai fait voir juſqu'ici.
Voulang donc faire camper une Ara
mée de vingt-quatre mille Fantalſins
& -de deux mille ChevauxdeService;
qui feroient tous partagez en quatre
Regiments , dont deux feroient de
mes Sujets & deux d'Etrangers. Voi ..
ci la métode que j'obſerverois. " A.
iant trouvé une Situation où je vou,
drois Camper , j'arborerois la Bannie- :
ra Génerale , & tout à l'entour je
marquerois un Terrein en Quarré ,
3
qui de toutes faces feroit éloigné de
dix -ſept Toiſes de cette Banniere, &
2
je placerois chaque Face ſelon les
s
quatre parties du Ciel , comme du
Levent, du Couchart , du Midi, & *
du Nort' ; & je voudrois que ce
06
Quaras".
324
DE L'ART DE LA
Quarré fut le Quartier du Général.
Or parce que je croi qu'il y a de la
prudence , & que d'ailleurs c'étoit
l'uſage des Romains, je logerois fé
parément les gens armez & ceux
qui ne le feroient pas : je feparerois
auili les Malades & ceux qui feroient
incommodez d'avec les autres.
Jei
logerois tous les gens armez , ou du
moins la plus grande partie , vers le
Levant. Je placerois les gens qui ne
portent pointd'armes , & les Mala.
des , du côté du Couchant , fáifant ":
du Levant la tête', & du Couchant
la queue du Camp : &du Midi & du
Nort les Flancs.
Et afin de diſtin
guer les logements des gens armez , . ,
voila ce que j'obferverois; Je tire
róis une ligne depuis la Banniere
Générale , que je conduirois vers le
Levant l'eſpace de ſix cents quatre
yint pas. En fuite j'en tirerois deux
autres aux deux côtez de celle- là
& aulli longues qu'elle ; mais qui
en -feroient éloignées chacune de cinq
tors
PA
GUERRE,Liv. VI. 325
toiſes', & je voudrois qu'à l'extremité
de cette prémiére, fue poſée la por
te du Levant , & le terrein qui ſe
roit d'une des deux dernieres lignes
à l'autre , feroit le chemin qui me.
neroit au quartier du Général; ce
chemin aŭroit par conféquent dix
töifes de large , & fix cent's trente
pas de long, parce que le quartier
du Générat en emporteroit cinquan
te , de ſix.cents quatre vint que nous
avons marquez ci-deffus ; & je vou
drois qu'on nommâece chemin la rue
Genérale. Je voudrois enſuite qu'on
tirât un autre chemin de la porte de+
Midi à celle du Norr, & qu'il paſſat
tout joignant le Quartier du Général
à la rue Générale du côté du Levant:
Cette rue ici auroit de longeurmille
deux cents cinquante pas , parce
qu'elle occupercit toute la largeur
du Quartier du Général; & on l'ap
pelleroit la rue de la Croix , aiane
auſſi trente pas de largeur. Aprés
avoir deſligné le Quartier du Ge
né .
326 DE L'ART DE LA
néral & ces deux ruës , je commen
cerois à deſligaer les logements des
deux Régiments de nos propres
Troupes , & j'en logerois un dansun
des côtez de la rue Générale , & l'au .
tre de l'autre côte Ainſi au delà de
4
la largeur qu’occupe la rue de la
Croix , je ferois trente deux loge
mencs àmain droite de la rue Géné
rale , & frente deux à la gauche
laiſſant on Terrein de trente bralles ,
entrele ſeiziéme & le dix ſeptiéme
logement ; & ce Terrein fetviroit de
rue de Traverſe pour traverſer ſur
tous les logements des Regiments ,
comme on le verra dans le deffein
qu'on en donne. ( Fig.VI. )
Dans ces deux rangs de- logea ments ; je logerois d'abord les Com .
mandants de Gendarmes à la tête
quitomberoit préciſément fur la ruë
de la Croix. Et dans les quinze
logements qui reſteroient des deux
cộtez , je logerois lears Gendarmes,
de forte quechaqueRegiment aiunt :
cent cinquente Gendarmes, il y en »
auroit. 1
1
1
1
2ur
SHAL
Pusrathi
ADES
Hér
'be
GUERRE , Liv. VI. 327 ;
auroit dix pour chaque logement.
Je voudroisque les logements des
Officiers euſſent de largeur quarante
pas &dix de longeur : Mais Louve :
nez vous que par leterme de largeur,
j'entens l'eſpace qui va du Midi au
Nort ; & par celui de longueur , j'en
tens l'eſpace qni ya du Couchant au
Levant. Je donnerois aux loge.
ments des Gendarmes cinq coiſes de
longueur, & dix delargeur. Dans
les quinze autres logements ; qui
ſuivent des deux côtez de la ryë Gé
nérale , & qui commencent depuis
laruë deTraverſe , dont le terrein a
la même étenduë : que celui des
Gendarmes , j'y logerois les Che,
vaux Légers , qui étant au pombre
de cent cinquante, il y en auroic
dix pour chaque logement, & dans
lefeiliémequireſteroit, j'y logerois
leur Commandant en le mettantau
tant au large que le Commandant :
desGendarmes.. Ainſi les logemens
de la Cavalerie des deux Regiments
auroient au milieu d'eux la rue Gé.
ne
328 DE L'ART DE LA
néraleig: & ferviroient de régle pour
loger ? Infanterie", ſelon que je vais.
Vous avez réa
091
marqué comment j'ai logé les trois
C
vous le montrer .
cents Chevaux de chaque Régiment ,
avec leurs Commandants , en trente
deux logements ; fituez ſur la rue
Générale , encommençant à celle de
la Croix ; & comment j'ai laiſſé en
čre le feiziéme & dix ſeptiéme lo
gement un terrein de trente brafles,
pour faire une rue de Traverſe. Sii
donc je voulois loger les vint Bää
taillons dont font compofez les deux
Régiments Ordinaires; je mettrois
les logements de chaque couple de
Bataillóns derriére ceux des Cavaa
liers ; & ain't chaque logement au
roit cinq toiſes de long & dix de
large , comme ceux des Cavaliers ;
& ils:aboutiroient les uns ſur les
aurres par derriére :
Dans les pré
niers Logements , à commencer ſur
la rite de la Croix ; je logerois le
Commandant de chaque Batailloni ;
qui
2
GUERRE, Liv . VI. 329
qui ſeroit par conſéquent , fur la
même Ligne que celui du Commana
dant des Gendarmes , & je ne don
nerois à ce Logement que vint pas de
largeur & dix de longueur. Dans
les quinze autres Logements qui ſui
vroient de chaque côté juſqu'à la
rue de Traverſe , je logerois de part
& d'autre un Bataillon , qui étant
compoſé de quatre cent cinquante
Fantàſſins , il y en auroit: trente à
chaque Logement. Je ferois les ava
tres quinzeLogements de chaque cô
té , contigus à ceux des Chevaux Le
gers , dans les inêmes proportions
pour le terrein ; & de chaque côté
j'y logerois encore un
Bataillon .
Et dans ce dernier Logement , je
mettrois de part- & d'autre les Coma,
mandants de chaque Bataillon , qui
feroient joignants par derriére àceux
des Chevaux Légers, & je leur donne
rois un terrein de dix pas de long , &
de vino de large.
Aipfi ces deux
premiers Rangs de Logements ſeroient
partagez entre la Cavalerie- & l’In :
tan .
330 DE L'ART DE LA
fancerie. Mais parce queje vous ai
1
dit que je voulois que tous ces Ca.
valiers là fuffent propres au ſervice,
& par conléquent, n'a aptpoint de
Valets pour les fervir & pour penter
leurs chevaux, j'ordonnerois que
tous les Fantafons, qui logeroient
derriére eux; fuffent obligez de les
aidor & de les dérvir comme leurs
Maîtres , & que pour cette peine
ils fuflent exempts de courés facti
ORS& de tour fervice dans le Camp.
Voila comment les Romains en Wir
ſpient En ſuite en laiſſant, aprés
Ges logemenrs depart & d'autre , un
Terreix de dix toiſes pour faire de
chaque côté une ruë , qu'on appel
Leroitle premiere rue à droite , et la
ſeconde rueàgaache , je ferois encore
(ar chacune ,unrang detrente deux
logements doubles , quiſeroient con
tigue par dersióre , avec tous les mê.
mes eſpaces que ceux que j'ai déją
marquez & partagez aulli par les
leizièmes', pour faire la rue de Toc .
verfe : & dans ces deux nouveaux
rangsa
10
GUERRE, Liv. VI. 338
rangs, je logerois de chaque côté
quatre Bataillons avec leurs . Com
mandants dans les premicrs & les
derniers logements. En ſuite laiſant
encoredepart & d'autre un terrein de:
dix toiſes pour faire de chaque côté :
une nouvelle rue , qu'on appelleroit
La ſeconde rue à droitte , & la ſeconde
Tue à gauche , je mestrois encore far
chacune trepte deux logemens dou
bles avec les mêmes proportions &
diviçons que les autres, où je loge.rois encore de chaque côté quatre
Bataillons avec leurs Commandants.
Aingi la Cayalerie & l'Infanterie des
deux Regimens og dinaires ſe trouvent
logées en trois rangs de logements
de chaque cône de la rue Générale.
Pour les deux Regiments des Trosa
pes Auxiliaires , parce quejeles ſup
pofe.compoſez des memesfortes de
Milice que les deux ordinaires, je .
les logerois à leurs côčez de part &
d'autre avec des logements doubless:.
mettant premierement de chaque
Côté un rang de logements partagez
entre
332
DE L'ART DE LA
entre la Cavalerie & l'Infanterie , é_
loignez des autres de dix toiſes ; as
fin de faire deux Rưes , dont l'une
s'appelleroit' la troiſiéme à droite';
& Pautre la troiſierne à gauche. Et
enfin je ferois encore deux rangs de
Logements de chaque côté , placez
& partagez de même que ceux des
Regiments Ordinaires , ce qui feroit
encore deux rues de part & d'au
tre , qui ſeroient toutes nommées
de leur nombre & de la main de leur
ſituation.
Voila donc yộtre Armée toute ent
tiére campée dans douzę rangs de
Logements doubles ; & ' en treize rues',
en contant la rue Générale , & cel
le de la Croix : ' Aprés cela , je
voudrois que depuis les logements
juſqu'au retranchement, il reſtat un
terrein d'enviror cent pas.
Or fi :
vous contez bien tous ces eſpaces,
vous trouverez , que depuis le Quar
tier du Général , juſqu'à la Porte
du Levant , il y a ſix cents qua
tre
2
TA
GUERRE, Liv. VI . 333
tre vint pas.
Il rette encore deux
eſpaces , dont l'un eſt depuis le
Quartier du Général juſqu'à la
Porte du Midi ; & l'auțre depuis
le même Quartier juſqu'à la Porte
o
du Nort , &
chacun a de
n
gueur fix cents trente cinq pas , fi
vous les meſurez dés le point du
milieu . Orez aprés cela de cha .
cun de ces eſpaces cinquante pas
pour le Quartier du Général , plus
quarante cinq autres pas de chaque
côté, pour en faire une Place , &
trente pas pour la Rue ; . & enfin ,
cent pas qu'il faut laiſſer entre les
Logements & le Retranchement ,
il ne reſtera donc plus de part &
d'autre , qu'un Terrein de qua
tre cents pas de large , & long de
cent , en meſurant la longueur a
vec tout le Terrein qu’occupe le
Quartier du Général.
En parta
geant donc ainſi par le milieu
il y auroit
toutes ces longueurs
guarante Logements de chaque main
du
334 DE L'ART DE LA
du Général, quiauroient de lon
gueur cinquante pas & vinrde far .
geur, ce qui feroic en tout 80. lo .
gements , où l'on metroit les Colonels ,
ou Commandants des Regiments , les
Tréſoriers', les Meſtres deCamp; en
un mot, tous ceux qui auroient des
Charges dans l'Armée.
On laiſſe
roit cependant quelques-uns de ces
logements fans écrc occupez , pour
recevoir les Etrangers qui pourroient
furvenir, & pour les Volontaires qui
viendroienr à l'Armée , afin de faire
leur Cour au Gémérat.
Derriere fon
Quartier je tirerois une Rue du Mi
di au Nort , large de trente pas , &
on l'appelleroir la ruede la Tête.El.
le feroit tirée le long des quatre vint
| logements ; car cette Rue & celle de
ta Croix auroient dans Vefpace qui
feroit entre elles, le quartier du Gé.
Heral & les quatre vint logements qui
font à ſes côtez.
De cette ruede la
Tére, & vis à vis te logis du Géné
ral, je riretois uneRue,gai iroit de
puis certe prémiére juſqu'à la porte
du
GUERRE, LIV. VI. 335
du Couchant , aiant auffi de largeur
trente pas ; elle répondroit donc &
pour la ſituation ,& pourla longueur
à la rue Générale , on l'appelleroit
la rue de la Place. Ces derix rucs
là écant faires, jedefsignerois la Pla .
Ce pour faire le Marché que je mer
trois au commencement de cette rue
de la Place , vis à vis le logis du Gé.
Déral ,. & je voudrois que ce Marché
joignit laruefde la Teresaiant en quar
ré cent vint & on pas, aux côtez de
cette Place je tirerois deux rangs de
logemens.doubles , qui auroient de
longueur quatre coifes & de largeur
dix. Ainſide chaque côré de cette
Place it y auroic ſeize logements ,
qui feroient en tout trenre deux ,
au milieu deſquels elle fe trouve
roit. Or ces logements me fervi
roient à mettrela Cavalerie furnume.
raire desTroupes Auxiliaires : & fi
cela ne fuffifoit pas , je leur donne .
rois quelques uns deslogements qui
font aux deux côtez du quartier Gé.
néral, particuliérement de ceux qui
Te.
336
DE L'ART DE LA
feroient les plus proches des lignes
de
Circonvallation . Nous avons
encore à loger les Piquiers & lesVé
lites extraordinaires appartenants à
an
WIE
4
V
chaque Régiment ; Carvous ſcavez
bien , que ſuivant l'ordre que nous
avons établi, ces Régiments-lá , ou.
tre leurs dix Bataillons , ont encoſe
chacun mille Piquiers extraordinai,
res & cinq cents Vélites auſſi extra.
ordinaires : Ainſi les deux Régi
ments de nos propres Troupes ont
deux mille Piquiers & mille Vélites
extraordinaires ;& les Régimens des
Troupes Auxiliaires en aiant autant
cela fait encore ſix mille Fantaflins
à loger ; que je voudrois tous mer
tre du côté du Couchant & le long
des retranchements. Je ferois donc,
au bout de la rue de la Tête vers le
Nort, cinq logements doubles , fans
toucher au terrein de cent pas, que
je laiſſe entre les logements& les re
tranchements , & je donnerois à ces
cinq logements en tout vint cinq
toiſes de longueur ſur vint de lar
1
geur ,
>
GUERRE, Liv . VI. 337
geur , ainſi en partageant toute cetre
longueur en cinq , chacun de ces lo
gements en auroit cinq toiſes & dix
de largeur. Faiſant donc en tout dix
Logements, ce ſeroit pour mettre trois
cents Fantaſins à trente par chaque
logement: Puis en laiſant un terrein
de trente pas , je ferois de la même
maniére cinq autres Logements doil
bles , en fuite encore un autre rang ,
juſqu'à ce qu'il y en eût cinq en tout,
de cinq Logements doubles chacun, qui
feroient tous enſemble cinquante loge
ments, tirez en ligne droite du côté
du Nort , & éloignez de cent pas des
retranchements ; & dans ces cinquante
Logements j'aurois dequoiplacer quin
En tournant a.
ze cents Fantalſins.
prés cela ſur la gauche vers la Porte
du Couchant , je ferois encore dans
toute cette étendüequi va depuis ces
prémiers Logements juſqu'à ladite
Porte , cinq autres rangs de cing lo
gements doubles chacun , en obſervant
la même métode & les mêmes pro
portions : il eſt vrai que d'un rang à
P
l'au .
338
DE L'ART DE LA
Pautre il n'y auroit que cinq toiſes de
0
diſtance ; & dans ces rangs là je logem
pois encore quinze cents Fantaſſins :
Ainſi de la Porte du Nort juſqu'à
!
celle du Couchant , en ſuivant le tour
des retrancbements , je logerois tous
les Piquiers & tous les V élites Ex
fraordinaires des Regiments de nos
propres Troupes , en cent logements
partagez en dix rangs de cinq loge
ments doubles chacun. Et
Et pour les
Vélites & les Piquiers Extraordinai
res des Regiments Auxiliaires , je les
logerois de même en dix rangs de
cinq logements doubles chacun , en les
commençant fuivant le contour des
retranchements , depuis la Porte dù
Couchant juſqu'à celle du Midi. Les
Commandants de tous ces gens. li
pourroient prendre leurslogementsen
tre ceux qui leurparoitroient les plus
commodes vers le côté des retran
chements. Je pofterois l'Artillerie fur
les levées des retranchements , par tout
où elle paroitroit néceſſaire , & je
logerois les gens qui ne portent
point
GUERRE, Liv .VI. 339
point les armes, avec le Bagage ,
&
tour l'embarras de l'Armée
dans le terrein qui me reſteroit du
côté du Couchant.
Or vous favez
bien que les Anciens appelloient
Equipage & embarras d'Armée, tout
le train & toutes les choſes qui y
font néceſſaires , outre les Soldats ;
comme font les Charpentiers,les For .
gerons, les Maréchaux , les Tailleurs
de Pierre , les Ingénieurs , les Cano
niers , quoi que ces derniers púfferit
paſſer pour de véritables Guerriers ;
Il faut encore comprendre dans ce
nombre des Paſtres avec leurs Trou .
peaux de Moutons & de Beuts , qui
font néceſſaires pour fournir des vi.
vres à l'Armée , des Artiſans de tout
mêtier , ayec les Charrois, Publics, qui
portent lesMunitions de guerre & de
bouche. Au reſte, je ne feroispoint
de compartiments réguliers dans tous
ces logements-là , je cirerois ſeulement
les rues & leur défendrois de les oc
cuper ; & aprés celajeleur donnerois
tout ce qui ſeroit entre les rues , ce
P
2
qui
340 DE L'ART DE LA
quiformeroit quatre grands eſpaces , .
donc l'un ſeroit pour lesTroupeaux. !
& leurs Conducteurs ; l'autre pour
tous les gens de Mécier ; le troiſiéme ?
pour les Charrois publics des Munic si
tions de bouche ; & le dernier pour
ceux des Munitions de Guerre.
Les
rues queje voudrois qu'on laiſsât li
bres fonc la rue de la Place , ou du
Marché, la rue de la Tête ; de plus
une troiſiéme , qu'on appelleroit la
rue du Milieu , laquelle du côré du ;
Couchant, feroit le même efet que la
rue de Traverſe du côté du Levant ;.
a
& enfin autre ces trois-là , j'en ferois
une autre qui tourneroit par derrie-.
-re , le long des logements des Pi.
quiers & des Véliles Extraordinaires .
Toutes ces rues auroient trente pas
de largeur ; & je planterois tout mon
Capon le long des retranchements à
la: Queue du Camp.
Della Palla. J'ayouë que je ſuis
ignorant ſur cette mariére, & je ne
m'en fais pas un deshonneurs puis
que ce n'eſt pas ma profeſſion. Ce.
pen.
1
GUERRE , Liv. VI.
341
pendant coute cette diſpoſition me
paroit belle. Je vous prie feule
ment de me réſoudre ces difficultez.
La prémiere , pourquoi vous faites
les rues & les eſpaces d'alentour ſi
larges. L'autre qui m'embarraſſe le
plus , eft de ſcavoir comment on
doit ſe ſervir de ces terreins mêmes
que vous avez marquez pour les lo
gements .
Colonne.
Sachez que je fais toutes
les rues larges de dix toiſes ou tren
te pas, afin qu'un Bataillon tout
entièr y puiſſe marcher en Ordon
vance ; Car ſi vous vousen fouyenez,
j'ai dit que quand ils marchent ainſi
ils occupent un terrein de vint cing
à trente pas. Il faut aufli que leter .
rein qui eſt entre les logements & les
retranchements ait cent pas de large
afin que l'on y puiſſe donner tous les
mouvements néceſſaires aux Troupes
& à l'Artillerie , y voiturer les captu
res , & avoir aſſez d'étenduepour fai
re de nouveaux retranchements en cas
de beſoin . C'eſt encore une choſeu .
P 3
tile
342 DE L'ART DE LA
cile d'éloigner les logements des res.
tranchements, car ils ſont par là plus
éloignezdescoups & du feu de l'£ a
nemi. Pour votre feconde question ,
je n'ai pas eu intention que tous les.
00
ju
3.
terreins que j'ai marquez pour faire
des logements, necontinflent chacun :
qu'une tente , mais ceux qui y logo
ront doivent s'y arrangerleplus com
modément que bon leur ſemblera , a
vec plus oumoins de tentes qu'ils le
jugeront à propos, pourvû qu'ils ne
paffent point les bornes qu'on leur a ;
preſcrittes. Or.pour bien diſpoſer :
cous ces Quartiers là avec leursrues,
& la figurequ'ils doivent avoir, il faut qu'on ait des gens qui entendent les
Proportions & I Architectare., & quia
y foientbien habicuez, afin que ſitôt
quc le Général aura choiſi le lieu où il
* veut camper , ces gens-làle diſpoſent
& le partagent prontement avec le
cordeau & avec la pique. Même ,
pour éviter la confuſion , il eſt à pro..
pos d'Orienter toûjoursle Camp, afin
que chacun fache aufli-tôt de quel cô.
té.
14
ĠUERRE ,Liv,VI.
343
té & en quelle rue il doit étre loge.
Et ſur tout il faut pratiquer cette mé
tode en tout tems & en tout lieu , afin
que le Camp foit comme une Ville am.
bulante , quiporte par tout ſes mêmes
rues , lesmêmes maiſons & la même
ſituation .
C'eſt là ce que ne peuvent
pas faire , ceux qui ne veulent cam
per qu'en des ſituations fortes naturel
lement, parce que ſelon le terrein , il
faut qu'ils varient la forme de leurs
Camps . Pour les Romains , ils ren
doient leurs Camps forts par des re
trancbements & des Remparts ; Car
autour de leurs logements, ils laiſſoient
un terrein qu'ils couvroientd'un Fof
Té large pour l'ordinaire de lix pas,
& profond de trois ; Et ſelon qu'ils
vouloient faire léjour dans le Camp,
ou qu'ils apréhendoient davancage
l'Ennemi , il donnoient plus de lar
geur & plus de profondeur à ce fof
ſé. Pour moi à moins que je ne
vouluſſe hiverner dans un endroit ,
je ne Fraizerois point mes retran
chement s, dans ce tems ici; je me con
P
4
ten
344
DE L'ART DE LA
tenterois du Poſfé ,
& de la le
vée auſli grande que celle des Ro .
mains & même plus ſelon la ncecfi
té .
Pour ce qui regarde l’Artilles
rie , je ferois aux Angles du Camp.
un remparcen figure de Demi Cercle,
qui flanqueroit mes retranchements.
Il fera bon aufli de former les Soldats
à bien faire un campement , & avec
cela rendre ceux qui ont la conduitte
de faireles allignements & le deſſeini
de l'ouvrage, pronts- & diligents à
s'en bien aquitter , aufli bien queles
Soldats mêmes , pronts à reconnoî.
tre les endroits deſtinez pour eux .
Or il n'y a rien de difficile en touc
cela , commeje le dirai tantâr. Pour
Pheure , je veux parler de la- Garde
du Camp , parce que.ſi on ne diſpo
fe bien toutes les Gardes , les autres ,
foins qu'on prendroit feroient inuti
les.
Della
Palla .
Avant que vous
parliez de la Garde , je ſerois bien
aiſe que vous me diſſiez ce qu'il fau
droic obferver , ſi vous vouliez cam
per
GUERRE,Liv. VI. 345
per prés de l'Ennemi; car j'ai peine
à croire qu'on ait le tems de diſpo
fer touteschoſes fans courre aucun riſ .
que.
Colonne. Il faut que vous fachiez
Que jamais an Géné
ral ne va camper auprés de l’Enne
mi , ſinon lorfqu'il eſt en érat de lui
livrer Bataille toutes les fois qu'il
voudra l'accepter ; & lorſ queceGé
une choſe ·,
néral ſe trouve en cét érat , il court
fore peu de rifque' ; 'parce
que les
deux Armées fe diſpoſent au Combat;
& l'une d'elles formefon Camp. Dans
ce cas les Romains donnoient la
commillion aux Triaires de faire
les retranchements du Camp , pen . '
dant que les Princes & les Gens de
Hrvelot demeuroient ſous les armes.
Ils en ufoient ainſi ; parce que les
Triaires étant les derniers à
com
battre , ils avoient le tems , ſi les
Ennemis venoient , de quitter l'où
vrage , prendre les armes & entrer
dans leurs rangs, Or ſi vous vous
liez imiter en cela les Romains , il
P. 5
fau
346
DE L'ART DE LA
faudroit que vous donnafliez la ...
charge à , vos derniers Bataillons
qui tiennent lieu des Triaires , de :
fortifier le Camp. Mais revenons à
parler des Gardes. Je n'ai point re
marqué que chez les Anciens , pour :
garder le Camp lanuit , on tint des
Corps de Gardes avancées & poſtées
loin par delà les Retranchements
comme on fait aujourd'hui, & qu'on --
appelle Gardes Secrettes. Je penſe
qu'ils n'en uſaient pas , fe figuranti
qu'elles pouvoient tromper l'Armée,
à cauſe de la difficulté de les viſiter, &
parce qu'elles pouvoientétre gagnées ,
ou accablées par l'Ennemi; de ſortec
qu'ils croioient qu'il éçoit dangereux
de ſe fier áces gens-lá,ouen tout ou en
Partie.C'eſt pour cela que toute la for
ce de leurs Gardes étoit au dedans .
des retranchemens , & ils les faiſaient :
avec une diligence & un ordreextrês
me , puniſſant de mort tous ceux qui
nes'en aquitoient pas comme il faut.
Mais je ne vous ferai point le détail :
de tout cela , pour ne vous pas ena;
nuier ,
GUERRE,Liv.VI. 347
nuier , puiſque vous pouvez l'apren
dre de vous- mêmes , li juſqu'ici vous
•ne l'avez point vů. Je ne vous dirai
donc que ce qui regarde à prélent
mon deſſein . Toutes les nuits je
tiendrois le tiers de l'Armée fous les
armes ; de ce tiers j'en tiendrois le
quart toûjours ſur pied , & ces gens
là feroient diſtribuez par tous les Re
tranchemens & par tous les Poſtes du
Camp , avec Doubles Gardes à tous
les Angles ; & les uns fe tiendroiene
fixes , & les autres marcheroient con.
tinuellement d'un des bouts du Quar
tier à l'autre. Jegarderois encore le :
même ordre en plein jour , ſi j'écois
proche de l'Ennemi. Pour ce qui
concerne le Mot du Guet , fon renou .
vellement tous les foirs, & autres telles
bagatelles qui appartiennent á la Gar
de, je ne vous en entretiendrai passi
comme étant choſes connues de tout
le Monde. Je vous ferai ſouvenir
feulement d'une choſe fort importan
te , qui porte grand préjudice quand
on la néglige ', & qui eſt trés avanta
P. 6
geus
348 DE L'ART DE LA
geuſe quand on l'obfervę bien , C'eſt
qu'il faut étre fort exact à remar
quer ceux qui ne fe retirent pas le
Soir au Camp, & ceux qui y viennent
de Nouveau :
Rien n'oft plus aiſé a
vec l'ordre que nousavonsétabli,que
de voir tout ce qui eſt logé , parce
que chaque Quartier aiani fon nom
bre établi, il eſt aiſé de voir s'il en
manque , ou s'il y en a de trop ; &
+
lorſqu'il en manque , ſans qu'on leur
ait donné congé , il faut les chatier
comme Déſerteurs , & s'il y en a de
1
trop , ſavoir qui ils font, ce qu'ils
font , & autres choſes de cette natu .
Cette éxactitude fait que l'En .
nemi ne peut avoir correſpondance
avec vos Officiers , ni pénétrer vos
re
defleins.
Si les Romains avoient né:
gligé cér ordre , Claude Neron , étant
11. proche d'Annibal , n'auroit pas pû.
quitter le lieu de fon Campen - Luca
nie, & aller & retourner de la Marche,
fans qu' Annibal s'en apperçût le
moins du monde.
Mais il ne fert de
rien d'établir de bons ordres , fi on
ne .
事
GUERRE, Liv.VI.
349
ne les fait obſerver avec la derniere
rigueur : Car toutce qui concerne
une Armée , doit fur toutes choſes
étre fort exact. C'eſt pourquoi il
faut lorſqu'on la veut fairecamper ,
établir des Loix trés- ſévéres pour la
bien retrancher ; & ceux qui ont
inſpection là - deffus , doivent étre
fans miſéricorde . Les Romains pu
niſſoient de mort ceux quimanquoient
aux Gardes', ceux qui abandon
noien : leur Poste dans le Combat,ceux
qui portoientquelque choſeen cachec
te horsdu Camp, ceuxquiſevantoient
à faux de quelque belle action dans la
mêlée ‫ر‬,‫ ا‬ceux qui combatoient ſans les ,
ordres du Général , & ceux à qui la là . .
cheté faifoit mettre basles armes. Et
lors qu'il arrivoit, ou qu'une Cobor
te ou qu’une Légion entiére tomboit
dans quelqu'une de ces fautes lá , '
ils la faiſoient toute tirer au Billet ,
& faiſoient mourir le: Dixiéme. Car
fi tous n'en - fentoient pas la peine ;
au moins tous la craignoienr: Or
parce que là où il y a de grands chá.
ti.
3.50
DE ĽART DE LA
ciments à craindre , il faut qu'il y 0
aic aufli des récompentes à eſpérer ,
afin que les hommes foient excitez ,
& par l'appréhenſion & par l'eſpé.
VI
rance tout enſemble ; Les mêmes An
ciens. avoient auſſi établi'des "prix , si
pour les belles actions , comme fe
3
roit celle de ſauver la vie à fon ,
121
Gompatriote dans le Combat ; celle
de monter le prémier fur la .Muraille .
d'une Place ennemie , celle d'entrer
le premier dans leCamp des Ennemis, ,
celle d'avoir ou Bleſſé ou Tue un En.
remi dans le Combat, ou de l'avoir
mis bas de ſon Cheval. Ainſi toutes
les belles actions étoient reconnues .
& recompenſées par les Conſuls &
louées de tout le Monde: & ceux :
qui remporroientdes prix pour quel .
qu'une de ces belles Actions , outre
la réputation & l'honneur qu'ils en
aquéroient parmi leurs Camarades ,
lorſqu'ils croient retournezchez eux,
ils en faiſoient parade avecbeaucoup
de pompe & d'éclar entre leurs Amis
& leurs Parens.
Ne nous étonnons
donc..
GUERRE,Liv. Vi. 351 :
donc pas ſi ce Peuple faiſoit de
ſi grandes Conquêtes , puiſqu'il ré
compenſoit & puniſſoit ſi bien ceux ,
qui le méritoient ; & de tout cela il
ſeroit fort à propos; d'en obſerver la 4
meilleure partie. Il me ſemble en ..
core que je ne dois pas obmettre un
genre de punition qu'ils obfervoient,
Qui eſt; que l'Accuſé étant convain
Cu , il étoit mené devantſon Comman
ou le Conſul méme , .. qui lui:
aiant donné un petit coup de Bagueta
te , il lui étoit permis de s'enfuir ,
en même tems tous les autres Soldats
avoient la permiſſion de. be tuer. De
forte . qu'incontinent.,, ou on lui
lançoit des Dards, ou on le frappoit :
d'autres Armes : Ainſi il n'alloit pas
bien loin , & rien n'étoit plus rare:
que d'en voir échapper ; & fi quel..
qu’un le faifoit par hazard , il n'a :
voit pas, la permiilion de retourner :
chez lui , fi ce n'eft avec tant d'in..
commoditez & chargé de tant d'i
gnominie , . que la mort lui étoit :
beaucoup plus douce. C'eſt un u.
fan
352 DE L'ART DE LA
fage que les Suiffes gardent encore
en ce tems ici , faiſant paller par les
Armes des autres Soldats ; ceux qui ..
ſont condamnez par le Conſeil deGuer
re. Rien n'eſt plusjudicieux ni pra
tiqué plus à propos ; car pour ém
pêcher qu'un homme ne veuille pro .
téger un Accuſé , le meilleur reméde :
eft de le lui donner à chacier :
Car
lorſqu'il doit te punir lui- même, il n'a
1
pas les mêmes mouvemens pour ſou ..
İraiter ſa peine ou fa délivranceycomme quand un autre a cette commiſ.
fron. Si vous voulez donc qu'un :
Criminel ne ſoit pas favoriſé par tout :
un Peuple , le grand reméde eſt de :
faire tout le Peuple Juge de ſon crime.
Pourmieux foriifier cerce penſée ,je
vous apporterai l'exemple de Manlius
Capitolinus , qui étant acculé par le
Sénat , fut défendu par le Peuple, juſ
qu'à ce que le Peuple lui-même en :
eût été établi Juge; mais dés que la ,
Cauſe fut miſe devant lui , il le con.
damna à mort. C'eſt donc là une
maniére de punir les Coupables dans
crain
GUERRE , Liv. VI. 353
traindre lamutinerie , & avec aſſuran
ce de bien faire obſerver la Juſtice.
Or parce que pour tenir en bride des i
gens de Guerre , la crainte des Loix
& celle des hommes ne luffit pas , les
Anciens avoienr ajoûté à cela l'Auto
rité Divine ; C'eſt pour cela qu'ils
faiſoient jurer à leursSoldats avec de
trés-grandes cérémonies de bien ob.
ſerver la "Diſcipline Militaire , afin
que s'ils y contrevenoient, ils n'euffent
pas ſeulement à craindre les Loix &
les hommes , mais la Divinité méme;
& ils prenoient un grand ſoin de leur
mettrela Religionau cæur.
Della Palla . Les Romains fouf..
froient-ils qu'il y elle des Femmes
dans leurs Armées , ou qu'on s'y a-..
musât à ces Jeux oiſifs où l'on s'occu
pe aujourd'hui?
Colonne.
Ils défendoient l'un & :
l'autre , ce qui leur étoit aiſé, parce *
qu'ils occupoient tous les joursleurs Soldats à faire tant de Factions &
d'Exercices, tantôt publics ' , tantôt
particuliers , qu'ils n'avoient pas le ,
tems
354 DE L'ART DE LA
tems de penſer ni aux Jeux , ni aux
Femmes , commefontnos Soldats or
ſifs & mutins
11
Della Palla . Rien n'eſt plus juſte
que ce que vous dites- là : Mais appre
nez-moi, s'il vous plait , quel ordre .
l'Armée gardoit quand elle décam.
12
poit ?
Colonne :
Le Général faiſoit fone
ner trois fois la Trompetre; au pré
mier coup , on kevoit les Tentes
on
F
plioit Bagage : & au fecond , on le
chargeoit ; & autroiſiéme on marcboit
de lamaniére queje vous aidit cideſa
ſus', chaque partie des
Troupes
aiant une partie du Bagage, & les
Légions marchant au milieu . Ainſi
vous auriez d'abord à faire marcher ,
un Régiment de Troupes Arxiliaires ,
qui auroit en Queue tout fon Bagage;
1
& outre celaune quatrieme partiede
celui de l'Armée , qui ſeroit tout ce
lui que nous avons logé dans un des
Quartiers que nousvous avons mon
1
trez tantôt.
Il faudroit doncen don .
ner un à chaqueRégiment , afin que
l'Armée
GUERRE, Liv. VI. 355
l'Armée marchant , chacun ſûrle rang
qu'il doit tenir dans la Marche. Ain .
li chaque Régiment doit marcherayec
fon propreBagage & la quatriémepar .
tie de celui de l'Armée en queue ; &
c'eft de cette façon que l'Armée Ro
maine marchoir.
Delle Palla. Lorſqu'il s'agiſſoit
de former un Camp ,avoient-ilsd'au
tres régles que celles que vous avez
marqueész
Colonne. Jevous dis encore queles
Romains formoient leurs Campes
ments toûjours ſur le même modele,
& devantque de regarder à d'autres
choſes , ils s'attachoient d'abord là.
Du refte ils obſervoient deux autres :
points principaux ; l'un de choiſir.
un lieu fain , & l'autre de fe pofter
dans un endroit où l'Ennemi ne pûc.
les Affieger , ni leur couper l'Eau , ou
les Convois. Pour prévenir lesma.
ladies, ils évitoienc les lieux Maré.
cageux , & ceux où il regnoit des
mauvais Vents : Ce qu'ils récon
noiſſoient, non pas tant par la ſitua
tion
356 DE L'ART DE LA
tion du lieu ", que par la Conſtitution
& le teint des Habitans.
Si donc ils
les voioient d'une méchante couleurs
1
ou aſtmatiques , ou aiant quelque au
tre incommodité régnante , ils ne
campoient pas là.
Pour la ſeconde
précaution qu'ils prenoiene, Quié
toit de n'étre pas Afiégez , ils éxa.
minoient de quel côté étoient les
Amis , & de quelcôté étoient des En
nemis ; & ſur cela ils jugeoient s'ils
étoient en danger d'étreaſſiégez ou
mon .
C'eſt pourquoi il faut qu'un
Général, non ſeulement connoiſſe bien
le Pais , mais qu'il aitde plus bien du
mondeauprés de lui fort intelligent là
deſſus.
On évite encore les maladies
&la famine, en ne fouffrantpas dedé.
fordres ni d'excés dans une Armée;car
pourla conforver en-ſanté , il faut fai.
' re en ſorte que les Soldats couchent
à couvert de leurs Tenres , qu'ils -
eampent dans un lieu ; où il y ait
des arbres pour faire de l'ombre ; & du
bois pour faire cuire les viandes; qu'ils
ne faileac pas , s'il ſe peut., de gran
des
GUERRE ,Liv.VI.
357
des Marches dans le grand chaud;
Els
Par conſéquenc il faut mettre l'Ar
mée en Campagne avant l'Eté , & ſe
donner bien de garde l'Hiver de la
ne
faire marcher dans les neiges & dans
de
les glaces, ſi vous n'avez la commo .
dité de faire du feu , & que vos gens
ne foienc bien couverts : Il faut auſſi
les
prendre garde qu'ils ne boivent point
-11
de mauvaiſes Eaux ; & pour ceux
ils
qui tombent malades , il faut avoir
CO
des Medecins ſavants pour les trait
ter , car unGénéral ne peut pas com.
VI
20
du
battre tour à la fois & l'Ennemi &
les Maladies. Mais de tous les re
é.
médes il n'en eſt point de fi bon que
l'Exercice pour prévenir les Mala:
dies dans une Armée : c'eſt pour cela
que lesAnciens le faiſoient faire tous
221
les jours à leurs Troupes. Jugez
donc par là,
de quelle conſéquence
eft l'Exercice , puiſqu'il conſerve la
ſanté dans les campements, & donne la
du
victoire dans les Conibars.
ils
qui regarde les Vivres , prenez bien
D.
garde que l'Ennemi ne vous coupe vos
es
Con
:
Pour ce
35 %
DE L'ART DE LA
Convois,mais précautionnez vous de
bonne heure pour pouvoir les tirer ai
fément des lieux dont vous pouvez
les avoir , & ménagez bien ceux que
vous avez déja. Aiez: en donc avec
vôtre Armée pour un mois , & mar
quez à vos Vaifins , qui ſont dans
vôtre Alliance, la quantité qu'ils doi
vent vous en fournir tous les jours. )
Enfin faites en un bon Magazin dans
quelque Place force ; mais fur tout
diſpenſez vos Munitions avec une
exactitude extréme, donnant tous
les jours à chaque Soldat une Ra
tion fuffiſante , en prévenant tous
les inconvéniens qui pourroient vous
ſurvenir à cetégard ; car tous les au
tres fe peuvent ſurmonter à la Guer
re avec le tems ; mais pour ceux qui
pourroient naître dans le mauvaismé
nage des Vivres , vous ſurinontent
& vous détruiſent vous-même avec
le tems. Sur tout ne penſez pas
qu'un Ennemi qui ſaura pouvoir
vous vaincre par la famine , hazarde
jamais de le faire par le fort des ar
mes ;
GUERRE , Liv. VI. 359
mes ; Car fi la Victoire eſt moins
glorieuſe, elle eſt plus certaine &
moins dangereuſe. Une Armée
donc qui ne garde point de régles fur
les Vivres & qui les laiſſe conſumer ſe
lon le caprice desgens , ne peut pas é
viter detomber dans la diferte ; parce
que le déſordre d'un côté , ne donne
pas lieu aux Convois d'arriver fure
ment; & de l'autre , il laiſſe conſumer
mal à propos les Provifions qu'on a
déja.
C'eſt pour cela que les Anciens
ordonnoient qu'on conſumât celles
qu'ils vous donnoient & dans le
tems qu'ils vous marquoient; car
les Troupes ne repaiſſoient que dans
le tems que le Général mangeoit.
Or chacun fait de quelle maniére
tout ceci eſt réglé dans nos Armées
d'aujourdhui qui bien loin de pot
voir s'appeller des Armées bien ré
glées pour la fobrieté comme celles
des Anciens, font compoſées de
gens dont la vie eſt licentieuſe &
pleine de débauches.
Della
360 DE L'ART DE LA
Della Palla.
Vous ayez dit dans
le commencement que vous avez la
parlé du campement , que vous ne de
veuliez pas vous contenter de deux
Régiments; mais que vous en vou 10.
liez prendre quatre , pour mieux
faire voir comment un Corps d'Ar
HC
mée , de juſte grofleur, doit cam.
per. Je voudrois donc que vous
me diſliez deux
choſes ; L'une
Quand j'aurois plus ou moins de
gens , ce qu'il faudroit que j'obſer
valle dans la metode de caniper :
l'autre , Quelle quantité de Soldats
vous ſuffiroit, pour combattre quel
que Ennemi quece půc étrç.
Colonne. A la premiere queſtion ,je
répons , Que li l'Armée eſt plus ou
moins forte de quatre ou ſix mille
hommes , on ajoute, ou on retranche
des rangs des logements à propor
tion ; de forte qu'en ſuivant cette
métode on peut aller à l'infini. Ce
pendant lorſque les Romains joi
gnoient deux Armées Conſulaires,
ils
'n
0
1
n
GUERRE, Liv. VI. 361
ils faiſoient deux "Camps, en obſer
vant que les Quartiers du Bagage &
des gens ſans détence , fuſſent tour.
nez l'un contre l'autre. Pour la ſe
conde queſtion , je répons, Qu'une
Armée ordinaire chez les Romains
étoit compoſée d'environ vint quatre
mille hommes ; mais lors qu'ils ſe
voioient preſſez , le plus qu'ils mec
toient enſemble étoit cinquante-mille
hommes.
C'eſt avec ce nombre
qu'ils s'oppoſérent à deux cents mil
le Gaulois , qui vinrent fondre ſur
eux aprés la premiére Guerre de
Carthage : & ce fut encore avec ce
nombre qu'ils s'oppoſérent à Anni
bal. Vous devez bien remarquer
que les Grecs Es les Romains ont toû .
jours fait la Guerre avec un petit
nombre , mais fortifié par la bonne
conduitte & par la ſience des Armes:
Les Occidentaux & les Orientaux l'ont
toûjours, faite avec de grandes Ar
mées ; mais les uns qui ſont les Oc
| cidentaux , n'avoient point d'autre
$ conduitte, que la Furie que la Na.
tu
362 DE L'ART DE LA
ture leura donnée ; & les Orientaux
ne ſe conduiſoient que par la grande
foumiſſion qu'ils ont toûjours euë
pour leurs Souverains. Et pour les
Grecs & les Italiens , comme ils n'avoi
ent point naturellement certc Fureur
Martiabł , ni certe grande ſoumiſſion
pourleursSupérieurs ; il a faiu qu'ils
fe ſoient tournez du côté de la Diſci.
pline Militaire , quia tantde pouvoir,
que le petit nombre bien conduit à
vaincu la multitude de ceux qui ne
fuivoient que leur impétuoſité & leur
opiniâtreté naturelle . C'eſt pour
quoije vous dis , Que fi vous voulez
imiter les Grecs & les Romains , vous
ne devez jamais paſſer le nombre de
Cinquante mille Hommes ; & même
en prendre moins ; car la quantité
apporte la confuſion , & ne permec
pas d'obſerver la Diſcipline Militai
re , & de faire practiquer aux Sol.
dats les mieux dreſſez , les bons Or
dres qu'ils ont appris . Pirrus , ſur
cela , diſoit ordinairement , Qu'il
attaqueroit toute la Terre avec Quin
ze
GUERRE , Liv. Vl. 363
ze mille Hommes.
Mais paſſons à
une autre matiére.
Nous avons fait
gagner une Bataille à nôtre Armée , &
fait voir les inconvéniens qui peuvent
ſurvenir au milieu du Combat ; Nous
l'avons fait marcher ; nous avons re
고
marqué les embarras qu'elle peut ren
contrer ſur la Route '; & enfin nous l'a.
vons faitcamper ; & c'eſt icioù il faut
un peu ſe repoſer des fatigues paſſées,
& penſer auſli aux moiens de termia
ner la Guerre : Car pendant qu'on
eſt campé , on doit penſer à bien des
choſes ; ſur tout s'il yoüs reſte des
Ennemis en Campagne , & s'il y a
des Places dont les unes ſoient ſuſpec
tes, & lesautres déclarées Ennemies,il
faut s'aſſurer des unes , & forcer les au
tres.C'eſt pourquoi il fautvous inſtrui
re là -deſſus, & ſurmonter toutes cesdi
ficultez auſſi glorieuſement, comme
nousavons fait la Guerre juſqu'à pré
1
fent. Pour donc décendre dans le
détail , je dis · Que s'il arrivoit
que pluſieurs Peuples , fiffent des
choſes à leur préjudice , & dont
Q
2
VOUS
364 DE L'ART DE LA
vous pulliez tirer avantage , comme
s'ils Raſoient leurs Places , ou Ban
niſoient leurs meilleurs Officiers , il
faut que yous les trompiez en forte,
que chacun de ces Peuples- là ne s'i
M
magine pas que vous penſez à lui ;
Ainfi ne ſe liguant point les uns a
yec les autres , ils ſe trouveront ac
cablez tous à la fois fans y pouvoir
11
apporter de remêde : Ou bien , fi
yous les ſommez tous à la fois & .
dans un même jour , de faire ce que
vous voulez qu'ils faſſent , comme
ils croiront chacun étre les ſeuls qui
3青
ſone Sonmez , ils penſeront plutôt à
ſe ſoumettre qu'à chercher les moiens
de ſe délivrer ;
Ainſi vos Ordres
feront éxécutez par eux tous, fans
bruit & ſans difficulté.
Si vous vous :
déffiïez de la bonne foi de quelque
Peuple , & que vous vouluſſiez vous
en aſſurer , en le prévénant à l'im
provifte, afin de mieux cacher vô..
tre deſſein , vous ne pouyez pas
mieux faire que de lui en communi.
quer quelqu'autre , lui demanderſon
all
A
-1
5
]
GUERRE, Liv. VI . 365
aſliſtance , & feindre d'avoir tou
te autre penſée dans l'eſprit que cel-.
le d'entreprendre quelque choſe con
tre lui : Cette conduite l'empêchera
de penſer à ſa défenſe , ne s'imagi
nant pas que vous en vouliez à lui:
Ainſi il vous donnera lui même les
moiens d'éxécuter vos projets. Si
vous vous doutiez qu'il y eût quel
qu’un dans votre Armée, qui entre
tint correſpondance avec l'Ennemi,
pour lui donner avis de vos Démar-.
ches; la meilleure Politique que vous
puiſſiez avoir pour vous préyaloir
de ſa Trahiſon , c'eſt de lui commu
niquer ce que vous n'avez pas en
vie de faire , & de lui cacher vos
véritables Defleins ; de lui marquer
de plus, que vouscraignez certaines
chojes , dont vous étes aſſuré , en lui
cachant celles que vous appréhen .
dez efectivement ; car tout cela
pourra faire entreprendre quelque
choſe à vôtre Ennemi , ſur ce qu'il
s'imaginera érre bien informé de tou
tes vos penſées , ce qui le fera tom
Q 3
ber
366 DE L'ART DE LA
ber dans quelque faute dont vous
pourrez tirer un grandavantage. Si
vous aviez deſſein de partager vos
Troupes , pour en ſecourir quelque
Confédéré , & que vous le vouluf
fiez cacher à l'Ennemi , comme fic
Claude Néron à Annibal , il ne faut
point diminuer le nombre de vos
Tentes , ni changer aucun des or
dres. & des apparences extérieures
que vous aviez auparavant , faiſant
toûjours la même quantité de Feux
& le même nombre de Gardes que
vous aviez coûtume de faire,
D'au
tre côté , s'il vous venoit du Ren
fort , & que vous vouluſliez que
l'Ennemi ne s'en apperceût pas , il
ne faut point augmenter le nombre
des Țentes : Car quand- on fait can
cher ſes deſſeins, & fes Démarches ,
on en tire bien ſouvent un
trés
grand avantage. C'eſt par cette raie
fon que Metellus , qui Commandoit
les Troupes en Eſpagne , étant in
terrogé ce qu'il voulait faire le len .
demain ,
GUERRE , Liv.VI. 367
demain ; répondit , Que li fa Che
miſé Javoit ſon Deflein , il la jetteroit
au feu . Marcus Crafus répondit à
un hommequi lui demandoit, quand
il feroit marcher l'Armée ; Appréhen
dez vous , dit-il , d'étre ſeul , & de
n'entendre pas le Boute - Selle ? Si
vous aviez intention de pénétrer les
defleins de vôtre Ennemi & de voir
ſa contenance ,
vous pourriez meca
tre en uſage ce qui a quelquefois
réuſſi en telle conjoncture , qui eſt
d'enyoier un Ambaſſadeur , accom
pagné de gens fort intelligents. &
bien entendus au Mérier de la Guer
re ,
qui prenants l'occaſion de voir
l'Armée Ennemie , & d'en éxami.
ner le fort & le foible
ont don
né aprés cela les moiens de la baca
tre .
D'autres ont banni un de
leurs Confidents , . qui paſſant pour:
Transfuge ,, avertiſſoit lon Maitre
de
toutes les allûres de l'Eone .
mi. L'on apprend auſſi beaucoup de
choſes des Priſonniers de Guerre.
Q. 4
Marius
368 DE L'ART DE LA
Marius dans la Guerre contre lesi
Cimbres', aiant deſſein de ſavoir s'il
TO
pouvoir fe fier aux Gaulois , qui oc
gu
cupoient alors la Lombardie , leur
cel
envoia des Lettres Cachettées S &
le
d'autres qui étoient ouvertes , dans
TO
leſquelles illeur mandoit de ne point
decachetter les autres qu'à un certain
tems marqué ; mais avant qu'il fûc
échú , il les redemanda , & les trou ...
15
vant onvertès, il vit bien qu'il ne fa
loit pas trop fe fier à eux. De grands
Capitaines ſe voiant attaquez, n'ont
point pris parti d'aller au devant de
C
l'Ennemi ; mais au lieu de cela , ils
fone entrez à main ' armée dans ſon
Pais ,& l'ont obligé par là de retour
ner chez lui pour garder ſa maiſon.
C'eſt la une choſe quia fouvent réuſ.
fi , parce que vos Soldats ont com .
'mencé leur Guerre par la Victoire &
par la Dépouille des autres ; ce qui
leur a donné du courage, & écourdi
l'Ennemi , qui s'imagine par là d’é
tre bárcu aprés avoir eu l'avantage.
Ceux donc qui ont fait cette Diver ...
fion :
4
GUERRE, Liv . VI. 369
fion ont fort ſouvent réufli. Mais
vous ne la pouvez faire , que lorf
que vôtre Pais eſt plus fortifié que
celui des gens à qui vous avez affai-.
re ; car ſans cela c'eſt le chemin de
vous perdre. Il s'eſt trouvé quel
quefois , qu'un Général aſſiégé &
preſſé dans ſon Camp, eſt entré en
Négociation, & a conclu une Tréve
de quelques jours , qui rendant l'En
nemi plus négligent , lui a procuré
l'occaſion d'échapper de ſes mains.
C’elt par ce chemin là que Sylla
s'eſt tiré deux fois d'afaire avec ſes
Ennemis : Et par la même ruſe
Aſdrubai en Eſpagne ſortit des mains
de Claude Néron ,qui le tenoit aſlié.
gé. On ſe délivre encore de ſon En
nemi par quelques autres moiens que
ceux- ci, qui peuvent l'amuſer: L'on
peut y parvenir en deux maniéres ,
ou en l'attaquant avec une partie de
vos Troupes , pendant que le reſte
décampe , voiant l'autre Armée oc
cupée à fe battre ; ou en faiſant ſur
venir quelque accident imprévû qui
Q5
puif .
370 DE L'ART DE LA
puiſſe le ſurprendre par la nouveau
té du cas , & le tenir en ſuſpens & :
ſans rien entreprendre. Vous ſavez .
que c'eſt ainſi qu'en ufa Annibal, qui.
érant ferré de prés par Fabius , mit
entre les Corues d'une grande quanti
té de Beufs , des Fafcines allumées i,
& cette nouveauté aiant furpris Fa
bius, il ne penſa point à lui fermer :
le paffage. Ce qu'un Général peul.
faire de meilleur , c'eſt d'emploier.
tous les ſoins à mettre la divifion :
chez ſon Ennemi, ou en lui rendan
ſuſpects les gensen quiil ſe fie, ou en
l'obligeant à léparer fes Troupes &
par conſéquent à s'affoiblir. On :
vient à boue du prémier , en ména
geant les intérêts . de quelqu'un de
ceux qui font le mieux auprés de
lui , ou en conlervant les Terres ,
ou en lui rendant ſes Enfans & albe .
tres perſonnes chéres fans Rançon.
Vous ſavez bien qu'Annibal , aiant
fait le dégât dans toute la Campa
gne Romaine , n'épargna que les
Terres de Fabius.
Vous ſavez auf.
ľ
GUERRE,Liv . VI. 371
ſi que Coriolanus venant avec fon
Armée contre Rome , conſerva les
Terres des Nobles , & brûla & lacca
gea toutes celles du Peuple. Metela
lus Commandant l'Armée contre Ju
gurta , follicita tous les Envoiez de
ce Prince , de le lui livrer Priſon
vier ;
& en fuite leur écrivant à
tous des Lettres qui ne parloient
que de cela ,
il lui rendit tous les
Conſeillers fi ſuſpects, qu'il ſe defit
d'eux ſous diférens prétexces. Annibal
s'étant réfugié auprés d'Antiochus ,
les Ambaſſadeurs Romains ſe rendi
rent fi familiers avec lui ; qu'Antio
chus le ſoupçonnant, ne voulut plus
écouter ſes Conſeils.
Pour divifer
les Forces de vôtre Ennemi , le meil.
leur expédient est d'envoier une par
tie de vôtre monde attaquer ſon Pais ;
car quand il ſera contraint de l'aller
deffendre , il faut qu'ilvous laiſſeen
paix . Ce fue l'addreſſe qu'eut Fa
bius , aiant en tête les Gaulois , les
Tofcans, les Ombres & les Samnites.
Q.6
Titus
372 DE L'ART DE LA
Titus Didius aiant peu de gens en :
comparaiſon des autres ; & attendant
une Légion de Rome, il s'apperceut
que les Ennemis vouloient aller au :
devant ; & pour les en empêcher ,,
il fit courre le bruit , que le lende ,
main 'il en vouloit venir aux mains ;
& enſuite, il fit en ſorte de laiſſer é.
chapper, comme par mégarde, quel
ques Priſonniers qu'il tenoit , qui:
rapportant le deſſein du Conſul de
livrer Bataille le lendemain , firent
changer l » réſolution que leurs gens
ayoient priſe , de peur de diminuer
leurs forces , en envoiant au-devant
1
de cette Légion ; ce qui fit qu'elle ar
riva à bon port : Cette rufe ne ſer
vit pas à Titus Didius à diviſer les
forces de ſon Ennemi , mais à dou.
bler les fiennes propres . Il y en a :
qui ont eu la fineſſe , pour diminuer
les forces de leur Ennemi, de le laiſ
fer entrer effectivement dans leur
Pais & de lui laiſſer prendre plefieurs
Places , où aprés avoir mis Garni
fon , il lui est reſtéune Armée fi foie
ble,
GUERRĖ, Liv. VI.
373
ble , qu'ils ont eu aſſez de facilité
à l'attaquer & à la vaincre. Quel.
ques autres voulant entrer dans un
Rais , ont feinc d'en vouloir à un
$
autre , & fe font comportez avec
tant d'adreſſe dans cette ruſe , qu'ils.
fe font emparez de ce qu'ils ſouhait
toient , devant qu'on eût le temsd’y :
apporter du ſecours.
Car vôtre En
nemi ne pouvant pas ſavoir ſi vous
ne retournerez point au Pais que.
vous avez ménacé d'abord ; eſt con
traint de n'abandonner pas un lieu
pour en deffendre un autre , & ainſi
fort ſouvent il ne garde ni l'un ni
Pautre. Outre tout ce que deſſus ,
il eſt de grandeimportance à un Gé.
néral d'avoir l'addreſſe d'aſſoupir
toutes les diviſions qui arrivent dans
les Troupes. Le meilleur pour ce
la eſt de châtier les Chefs de la Mu
tinerie , mais il faut le faire en forte
qu'ils ſoient accablez devant qu'ils
aient preſſenti vôtre deſſein .
Le
meilleur moien d'en venir à bouteſt,
s'ils ſont éloignez de vous., de faire.
ve .
374 DE L'ART DE LA
venir toue à la fois les Coupables &
les Innocents ; car cela les empê.
chera de croire que ce foit en inten
tion de les châtier , ce qui les tien
dra encore dans le devoir & facilitera
leur punition. Lorſqu'ils ſont venus,
il faut ſe fortifier de ceux qui ſont fi
déles & lesemploierà faire juſticedes
autres .
Quand la diviſion ne vient
1
que pour des diferentsparticuliers il
faut les mener à l'occaſion , car le pé
ril & la peur de la u
jours les gens qui font en diviſion .
Mais ce qui entretient bien l'union &
la bonne intelligence dans les Trou
pes, c'eit la réputation duGénéral
quine provient jamais que de fonmė
rite ; car ni la naiſſance, ni l'autorité
ne l'ont jamais fait naître ſans la ver
tu .
Or la premiére choſe qu'un
Général doit faire ,
c'eſt de bien
G
diſcipliner fes gens , &c de les bien
paier ; car tant que la Solde man
que , il n'eſt pas poſſible de con
ferver la Diſcipline & la Sévéri.
té:
17
1
0
GUERRE,Liv. VI.
té.
375
Comment en éfet , puniriez
vous un Soldat qui vole , ſi vous ne
le paiez pas ? Ec ce pauvre miſé .
rable qu'on ne paie pas , comment
peut il vivre s'il ne vole ?
Mais
ſi étant paié il vole , & que vous ne
le puniffiez pas , il deviendra info.
lenc en toutes chofe's ; Parce qu'il
perdra l'eſtime pourvous, Et quand
vous en étes venu là , vous ne pou
vez plus garder vôžre autorité , ce qui
produira la Mutinerie & les Diviſions,
qui font toûjours la perte des Armées.
Les Anciens Capitaines avoient une
peine, dont ceux d'anjourd'hui font
prefque éxempts; Qui étoit de don
ner un ſens qui les accommodat à
tous les mauvais Augures ; Car fi
une Fléche tomboit dans une . Ar
mée ; Si le Soleil , ou la Lune s'és
clipfoient ; S'il arriyoit un Tremble
ment de Terre ;
Si le Général fai
foit quelque Chûte, ou en montant ,
ou en décendant de cheyal ;
Tout
cela étoit pris pour mauvais préfage
par les Soldats , ce qui les jettoit dans
une
376
DE L'ART DE LA
une ſi grande terreur , que: ſi on les
eût mencz au Combat , ils auroient
été aiſément défaits. Auſſi dés qu'un
Général voioit ſurvenir quelqu'un
de ces accidents , ou il leur en mar
quoit la raiſon , ou il faifoit voir
que c'étoit une choſe naturelle , ou
il l'interprétoit à fon avantage. Cé
far mettant pied à terre en Affrique,
tomba par mégarde , & pour effa
cer la mauvaiſe impreſlion que cét
accident eût pû faire dans l'eſprit des
Troupes , il eut la préfence d'en fai.
re un bon préſage par ce mot , Af
frique , je t'ai priſe. Pluſieurs au.
tres ontexpliquéles raiſons desEclip
ses de Lune, & des Tremblemens de
Terre ; Mais il ne faut rien crain-..
dre , dans le siécle où nous fommes ,
de ces fortes de Prépages ; tant par
ce que nos gens ſont moins ſuperſti.
tieux que les Anciens ; que parce
que nôtre Réligion détruit toutes ces
illuſions. Mais en cas que cela n'ar
rivât pas , prenez les expedients que
prenoient les Anciens. Quand la
Fas
GUERRE , Liv.VI .
377
Famine , ou quelqu'autre raiſon pref
fante , a mis vôtre Ennemi au défefe
poir & la reduit à chercher le Com
bat à quelque prix que ce foit ;demeu .
rez dans vos Retranchements & tant
que vous pourez n'en venez point aux
mains. C'eſt ainſi qu'en uſérent les
Lacédémoniens contre les Melléniens;
& Céſar contre Afranius & Petreius.
Le Conſul Fulvius , Commandant
l'Armée Romaine contre les Cimbres,
les fit attaquer pluſieurs jours de ſui
te par ſa Cavalerie, en remarquant
qu'ils quittoient leur Camp pour la
pourſuivre , & profitant de l'occa
fion il entra dedans & le faccagea.
Il eſt arrivé qu'un grand Capitaine
a tiré un avantage conſidérable , fe.
voiant proche de l'Ennemi, qui fut
d'envoier lui-même de ſes gens avec
des Enſeignes Ennemies , piller ſon .
propre Pais:
De ſorte que les au .
tres le figurant que ces Drapeaux é.
toient de leurs gens , qui venoient à
leur fecours , font auſi fortis de leurs
Retranchements pour leur aider à pil.
ler::
378
DE L'ART DE LA
ler , & s'étant mis par là en déſordre,
ont donné lieu á ce ruſé Capitaine
de les défaire.
Ce fut de ce ſtrata
géme dont uſa Aléxandre d? Epire
contre les Illyriens ; & Lepteme de
Syracuſe contre les Carthuginois се
qui leur réuſſit à tous deux.
Plu
fieurs ſont venus à bout de leurs En
nemis , en les faiſant créyer de boi
re & de manger ; car feignant d'a
voir peur , ils abandonnoient tout
d'un coup leurs Retranchements ',
où ils ayoient laiſſé une grande abon
dance de Vin & de Viandes , dont
l'Ennemi ufane par excés , fe trou-.
voit ſurpris dans ce mauvais état &
battu . C'eſt
C'eſt ce que fit la Reine Ta
miris à Cyrus , & Tiberius Gracchus
aux Eſpagnols .
Quelques -uns ont
empoiſonné le Vin & les Viandes ,
pour battre plus facilement leurs
Ennemis . Je vous diſois n'aguéres ,
Que je ne trouvois point chez les
Anciens, qu'ils euſſent la nuit des
Gardes Secrettes hors de leur Camp;
&
1
GUERRE, Liv.VI.
379
Cre,
& que je croiois qu'ils le faiſoient
EILE
pour éviter les inconvénients qui en
pourroient ſurvenir ; car même on a
5
di
CE
PIL
bobo
yû que les Vedettes qu’on avoit po
fées de jour pour épier l'Ennemi, ont
été quelquefois la ruine de ceux qui
les avoient poſées, par la raiſon qu'é
tant priſes, on leur a fait découvrir
par force le Signal qu'ils devoient
donner pour faire venir leurs gens' ,
TORE
e
protesta
dos
qui venant en effet ſans rien ſoupçon
ner, ont été ou pris , ou tuez . On
peut quelquefois tirer ayantage , en
changeant quelqu'une de nos coûtu
mes , fur laquelle l’Ennemi faiſant
fond ſe trouve trompé à ſon grand
TH
des
leus
préjudice ; comme fic un certain Gé.
néral , lequel ajant accoûtumé. de
marquer à fes gens la venuë de.l'Enne
mi par des Feux la puit , & par de la
Fumée le jour ; commanda que ſans
anig
aucune relâche on fit toûjours le
Feu & la Fumée , & que quand
on verroit approcher l'Ennemi , on
ne fit ni l'un ni l'autre , ce qui lui
8
faiſant
las
de
380
DE L'ART DE LA
faiſant croire qu'on ne l'appercevoit
pas , marcha avec confiance & en dé.
fordre , & rendit par là ſa défaite ai.
fée à cet habile Capitaine. Memnon
Rhodien voulant tirer ſon Ennemi des
Poſtes avantageux qu'il occupoit , lui
envoia un homme contrefaiſant le
Transfuge , qui l'aſfuroit que ſon Ar
mée étoit en divifion & que la plus
grande partie abandonnoit ce Géné.
ral; & afin de le lui perſuader mieux,
ce Transfuge fit ſigne à fon Maitre de
faire faire grand bruit dans ſes Retran
chements ; ce qui faiſant eſpérer à
l'Ennemi qu'il pourroit vaincre, il
alla l'attaquer & fut vaincu lui-mês
me.
On doit outre toutesles précau
tions ci - deſſus ; regarder bien. à ne
pas pouſſer au déſeſpoir ſon Ennemi: :
C'eſt ce que pratiquaCéſar , combat
tant contre les Allemans , qui voiant
que l'impoſſibilitéde fuir les rendoit
plus furieux , leur ouvrit un paſſage,
aimant mieux avoir la peinedeles
pourſuivre dans lenr d'éroute, que de
courre le riſque de les yaincre , pen
dant :
GUERRE, Liv. VI. 381
dant qu'ils ſe défendroient. Lucullus
voiant que quelque Cavalerie Macé
donienne qu'il ayoit dansſes Troupes
paſſoit dans l'autre Armée , il fit aufli .
tôt ſonner la Charge, & commandaque
le reſte de fon Armée ſuivît ces Défer
teurs , ce qui perſuadant l'Ennemi,
que Lucullus vouloit commencer le
Combat , il donna avec tant de furie
ſur les Macédoniens, qu'ils furent con .
traints de le défendre ; ce qui les obli
gea malgré eux de ſervir en combatant
au lieu de Déſerter . lleſt encore de
conſéquence de s'aſſurer d'une Place
dont la fidélité vous eſt ſuſpecte , foit
aprés la Bataille gagnée , ſoit avant:
C'eſt ce que vous allez apprendre de
quelques exemples anciens. Pompée
ſe défiant des Habitans de Catina , les
pria de vouloir bien recevoir chez eux
les Malades de fon Armée , & aiant
fait entrer les plus Braves qu'il eût ;
déguiſez en Malades , il s'empara de
la Place . Publius Valerius, apréhen :
dant que la Ville d'Epidaurene lui fût
pas fidéle , fic venir une Indulgence
( ce
382
DE L'ART DE LA
(ce qui étoit auſſil'uſage des.Paiens )
à un de leurs Temples qui étoit hors de
la Ville , & tout lePeuple y étant al
lé pour gagner les Pardons , il fit fer
mer les Portes , & ne laiſſa r'entrer
que ceux dont il étoit aſſuré. Aléa
xandre le Grand , voulant aller en
Alie & s'allurer de la Thrace , il em
mena avec lui tous les principaux de
cette Province là , à qui il donnoit
penfion , & mit fur les peuples des
gensmépriſables ; ainſi il contenta les
premiers en leurdonnant penſion ; &
tint les peuples en repos n’ajant point
de Chefs pour ſe révolter. Mais en
tre toutes les bonnes qualitez par lef
quelles un Généralgagne les peuples ,
c'eſt aſſurement la juſtice & la chatte
té ; comme fut l'exemple qu'en don
na Scipionen Eſpagne , qui rendit au
pere.& au mari la plus belle Captive
qu'on eût jamais vue , & cette con
duite luifit plus faire de conquêtes en
ce pais là , que la force desArmes. Ce
far aiant fait paier le bois dont il fit
les paliſades autour de ſon Camp,
dans
TA
GUERRE,Liv.VI.
383
dans les Gaules , s'acquit tellemenc
la réputation d'obſervateur de la juf
tice , que cela lui aidabeaucoup à fe
rendre Maitre de ces peuples . Je
n'ai plus rien à dire ſur tous ces diffé .
rents accidents ; & il ne nousreſte au
cure partie de cette matiére que nous
n'aions traittée. Nons n'avons donc
plus qu'a parler de la maniere de pren
dre & dedeffendre les Places ; ce que
je ferai volontiers fi cela ne vous ca.
naie point.
Della Pallá.
Vôtre bonté eſt fi
grande, qu'elle nous accorde tout ce
que nous ſouhaitrons de vous , fans
que nous puiſſions craindre de pal
ſer pour trop hardis ; car vous nous
prévenez honnêtement dans les cho .
ſes que nous n'oſerions pas vous de.
mander. Nous vous dirons donc feule .
ment,que vous ne pouvez pas nous o
bliger plus ſenſiblement que d'achever
ces diſcours .Mais devant quedequitep
le précédent ſujet ; refolvez nous , s'il
vous plait cette dificulté, lequel eſt le
plusavantageux de continuer la guer,
re
384 DE L'ART DE LA
re juſques dans l'Hiver , comme on
le prattique aujourd'hui, ou de ne la
faireque l'Eté , & le reſte du tems ſe
retirer dans les Quartiers d'Hiver ,
commefaiſoient les Anciens.
Colonne. Voici une queſtion con
ſidérable que nous aurions ômiſe ,ſans
la prudence de celui qui la fait. Je
vous repéterai donc encore , Que
les Anciens faiſoient tout mieux & a.
vec plus de prudence que nous : & fi
dans toutes les autres choſes , nous
faiſons des fautes , dans ce qui regar
de la Guerre , nous les faiſons toutes.
Rien n'eſt plus dangereux & nemar
que tant l'imprudence d'un Général
que de faire la Guerre l'Hiver; & celui
qui la fait , court bien plus de riſque
que celuiqui la foûtient . En voici la
raiſon ; : Tous les ſoins qu'on prend
à faire bien obſerver toutes les régles
de la Diſcipline Militaire , netenderit
qu'à mettre vôtre Armée en état de
bien livrer Bataille à vôtre Ennemi ;
car c'eſt là la fin qu'un Général doit ſe
propoſer , puiſque la perte, ou le gain
d'us
GUERRE,Liv.VI. 385
d'une Bataille vous donne preſque
le deſſus , ou le deſſous dans une
Guerre. Celui donc qui fait mieux
régler & conduire une Armée , &
qui a la mieux diſciplinée , & la
mieux formée à faire l'Exercice
2
ſans doute plus d'avantage à la Guer
re , & plus d'eſpérance d'y rempor
ter la Victoire.
D'autre part rien
n'eſt plus contraire à bien obſerver
les régles que les Situations rudes &
les Tempsfroids & bumides; car une
Situation rude ne vous permet pas de
donner l'étenduë à vos Bataillons telle
que les Loix de l'Exercice le deman-.
dent ; & les tems froids & humides,
vous empêchent de tenir toutes vos
Troupes en un Corps & de pouvoir
vous préſenter en cer état à l'Enne
mi ; parce qu'il faut que vous logicz
vos gens ſéparez les uns des autres
& fans ordre , la rigueur de la fai
fon vous aſſujettiſſant à loger dans
les Villages, les Châteaux & les Ter
res .
Ainſi vous perdez par là tous
R
les
386 DE L'ART DE LA
les ſoins que vous avez pris à bien
diſcipliner vôtre Armée. Ne yous
éconnez pas au reſte , ſi l'on fait au
jourd'hui la Guerre l'Hiver ; parce
que les Armées n'étant pas diſcipli
nées , on ne fait pas le préjudice
qu'elles reçoivent de loger les Trou .
pes ſéparées , car les Généraux de
ce tems ici , ne peuvent ſe faire dela
peine , de ne pas obſerver des Régle .
mens qu'ils ne connoiſſent pas . Ils
devroient pourtant bien s'appercevoir
quel préjudice ils reçoiventde camper
l'Hiver , & le ſouvenir que les François
furent défaits auprés de Gariglian ,
non par les Eſpagnols , mais par la ri
gueur de la Saiſon : Car comme je
vous aidit , Celui qui Attaque a en
core plus de déſavantage , recevant
plus d'incommodité du mauvais
tems , puiſqu'il eſt chez les autres
à qui il veut faire la Guerre :
Il eſt
donc contraint , s'il veutdemeureren
Corps d'Armée , d'eſſuier toutes les
incommoditez des pluies & du froid ;
&
GUERRE,Liv. VII. 387
& s'il veut les éviter , il faut nécef.
ſairement qu'il partage ſes Troupes.
Mais celui qui n'eſtque ſur la Défen
five , ſe loge où il lui plaît , en at
tendant les Ennemis avec des Trou
pes Fraiches , qu'il peut auſſi amaſſer
en un inſtant , & aller donner ſur un
de leurs Quartiers , qui ne peuvent
pas reſiſter à une telle Attaque.
C'eſt là la raiſon pourquoi les Fran
çois furent défaits ; Et par cette
même raiſon , tous ceux qui attaque
ront l'Hiver , un Ennemi qui aura
de la prudence , ne doivent pasatten
dre un meilleur ſuccés. Ceux donc
qui voudront rendre inutiles leurs fot
ces, leurs bons réglemens , l'expérien
ce de leurs Troupes & leur bravoure,
n'ont qu'à ſe mettre en campagne l'hi
ver. Et parce que les Romainsvouloi
ent ſe prévaloir detous ces avantages
là , pour leſquels ils ſe donnoienttant
1
de peines ;ils n'évitoient pas avec plus
į
de ſoin la rigueur de l'Hiver , que l'â
| preté des Montagnes les plus rudes, &
R
2
des
388 DE L'ART DE LA
des lieux difficiles ; En un mor , tout
ce qui les empèchoit de mettre en u.
ſageleur addreſſe & leur valeur. Voi
la tout ce quej'ai à répondre à votre
queſtion ; parlons à préſent de la pri.
fe & de la défenſe des Places & des Po
ftes ; & des moiens de lesfortifier.
Fin du Sixième Livre.
DE
389
2
D
ĽART
E
D E
I.
A
GUERRE.
LIVRE
SEPTIÈME.
Colonne.
Ous devez ſavoir que les
Places peuvent érre fortes
par la Nature
ou par
1 Art. Les Places fortes na
turellement, ſont celles qui ſont envi..
ronnées deFleuves ou deMarais, com
me Mantoue & Ferrare ; ou qui ſont
fituées ſur un Rocher , ou ſur une
R
E
3
Mon
390 DE L'ART DE LA
Montagne Eſcarpée, comme Monaco
& San Leo; car celles qui ſont ſituées
fur des Eminences d'une pente douce ,
ſont aujourd'hui fort foibles, eu égard
C'eſt pour
' quoi quand il s'agit à préſent de faire
au Canon & aux Mines.
une nouvelle Place de défenfe
on
choiſit un Terrein uni; pour le fortifier
felon les régles de l'Art. La prémié
re choſe à obſerver eſt de faire les mu.
railles bien défendues & ffanquées par
des Angles,par des Cafemates & pardes
Retranchemens , ce qui empêche l'En
nemid'en pouvoir approcher , parce
qu'il peutécre pris& de Face & de
Flanc.
Si les murailles font fort hau.
tes, elles ſont trop expoſées aux coups
de Canon ;
Si vous les faites baſies,
on peut aiſément les Eſcalader : Si
yous faites un Foſſé au devant pour
rendre l'Eſcaladedifficile, & que l'En
nemi vienne à le combler , ce qui eſt
bien- tôt fait par une groſſe Armée, vô-.
tre muraille eft aprés cela à fa difcré .
tion . C'eſt pourquoi je croi ( ſauf
les meilleurs avis ) que pour pré
yé.
GUERRE, Liv.VII.
391
vénir tous ces inconvénients ; il faut
faire les murailles hautes
& les
Foſſez par dedans , & non pas par
dehors .
C'eſt là la Fortification de
la meilleure défenfe qui ſe faſſe ;
parce que par là vous étes à couvert
de l'Artillerie & de l'Eſcalade , &
l'Ennemi ne peut pas combler vôtre
Foſfé.
Il faut donc que vôtre mu
raille ſoit la plus haute que yous pour
rez & qu'elle n'ait pas moins de fix
piedsd'épaiſſeur , afin qu'il ſoit plus
difficile d'y faire Bréche , il faut met
tre deux cents pas entre chacune des
Tours. Il faut que le Foſſé que vous fe
rez au dedans , ait au moins trente
pas d'ouverture & douze de pro
fondeur , & toute la Terre qu'on
en tire doit étre jertée du côté de la
Ville ; mais il faudra la ſoûtenir d'un
Mur ,quicommençant dés le fond du
Foſfé ,monte aſſez haut pour qu'un
homme puiſſe érre à couvert derrié
re , & cela rendra encore le Foffe
plus profond. Il faut que dans le fond
du Foſſé il y ait des Caſemates de
R
4
deux
392 DE L'ART DE LA
deux cents pas en deux cents pas ,
afin que le Canon puiſſe donner ſur
tous ceux qui voudroient y décen
dre.
Il faut mettre derriére la mu .
raille qui ferme le Foſſé , les gros.
Canons qui défendent la Place , çar
la muraille de devant étant haute , ne
peut étre défendue que par les mo.
iennes ou les petites. Si l'Ennemi
vient pour vous Eſcalader , la hau
teur de la premiére muraille vous.
défend.
S'il vient avec de l'Artil .
lerie , il faut qu'il batte d'abord la
prémiére muraille , qui écant abba
tue a rendu le Foffé qui eſt dérrié ..
re encore plus profond ; parce que
la chute d'un mur ſe fait toûjours du
côté dont il eſt batcu :
Or il n'y a
point de Foſſé au devant pour rece.
voir ou cacher ces ruines -là ; ainſi il
n'eſt pas poſſible d'aller plus avant ,
trouvant ces ruines qui vous arrê .
tent , un Foſfé que vous ne pouvez
franchir , & une Artillerie qui don
ne ſans ceſſe ſur vous .
Le ſeul rea
méde à cela eſt de Combler le Foré ,
ce
GUERRE, Liv. VII .
393
ce qui eſt fort difficile , tant à cauſe
de la grandeur , que de la difficulté
d'en approcher , les murailles étant
flanquées de Tours & d’Angles Sail
lins , où par conſéquent il eſt dange
reux de ſe fourrer ; aiant de plus à
monter à l'Alaut , par deſſus des rui.
nes qui augmentent beaucoup les dif
ficultez ; j'eſtime donc qu'une Ville
ainſi fortifiée eſt imprénable .
Della Palla .
Si outre le Foffé
qu'on fait au dedans , on en faiſoit
encore un au dehors , n'en ſeroit- elle
pas plus forte ?
Colonne. Qui ſans doute , mais j'ai
voulu dire que n'en voulant faire
qu’un , il eſt mieux de le faire dedans
que dehors.
Della Palla. Voudriez-vous que
lés Foſſez fuſſent ſecs , ou pleins
d'eau ?
Colonne.
Les avis ſont partagez ;
parce que les Foſſez pleins d'eau vous
gardent contre la Mine ; ; & les Fof
ſez fecs font plus difficiles à combler .
Mais après avoir bien conſidéré le
R
5
touts
394
DE L'ART DE LA
tout , je les voudrois ſans eau , car ils
font plus aſſurez , mêmeon a vû l'Hi
ver ceux qui étoient pleins d'eau ſe gê
ler , comme il arriva à la Mirandole
quand le Pape Jule l'afliégeoit : &
pour vous munir contre les Mines ,
je ferois les Foſſez li profonds , que
qui voudroit aller plus bastrouveroit,
l'eau.
Pour les places ſituées ſur une
Roche, je les fortifierois de la mênie
maniére à l'égard des Foſſez & des
Murailles ; afin qu'elles fuſſent auſhi
bien défendues par là que les autres.Je
veux ſeulement avertir ceux qui de
fendent les Places d'une choſe, Qui eſt
de ne point faire de Baſtions dehors &
éloignez de la muraille. Je donne
rai auſſi un avis à ceux qui font des
Places fortes ſur des Hauteurs ‫و‬, Qui
1
eft de n'y faire jamais au dedans au
cun Retranchement , où l'on puif
ſe ſe mettre à couvert , quand on a
perdu la premiére. Muraille. Ce
qui me fait vous donner le prémier
avis , C'eſt qu'il ne faut jamais fai
re une chofe , qui puiſſe diminuer
fans.
GUERRE , Liv. VII. 395
fans reſſource la réputation que vous
vous éces aquiſe : Car li tôt que
cela arrive , on commence à neplus
faire de cas de tous les autres Ordres
que vous avez donnez ; & ceux qui
font dans votre parti , commencent à
prendre l'épouvante . C'eſt ce qui
ne manquera pas de vous arriver tou
tes les fois que vous ferez des Bd
ſtions dans les Dehors d'une Place,
que vous voudrez garder vous - mê.
me.; car il eſt certain que vous les
perdrež toûjours , les petites piéces
ne pouvant pas aujourd'hui ſe dé .
fendre de la fureur du Canon , De
forte que fi tôt qu'elles ſont perdues,
eiles deviennent un grand achemine
ment à votre ruine totale. Lorſque
Gennes fe
Révolta
contre Louis
Douziéme , on fit bâtir quelques
Baſtions lur ces Collines qui les en
vironnent ; qui fi tôt qu'ils furent pris,
ce que les François eurent bien- tôt
fait , ils fervirent incontinent à pren
dre la Ville.
Pour le ſecond avis ,
R
5.
je
396
DE L'ART DE LA
je ſoûtiens qu'il n'y a rien de pluss
dangereux pour une place ſituée ſur
une Roche , que d'y faire pluſieurs
Retranchements, où l'on puiſſe en cas
de befoin fe mettre à couvert :
Car
depuis que les Soldats eſpérent de
trouver une Retraitte , en abandon .
nant le premier Poſte qu'ils ont dé
fendre , cela fait qu'ils le perdent en
éfet ; & fi tôt que cela eſt fait , la
Place eſt perdüe. Nous en avons
un éxemple tout récent dans la per
te de la Fortereſſe de Furli, lorſque
la Comteffe Catcrine la défendoit
contre:Alexandre Borgia fils du Pape
Aléxandre Six , qui l'aſſiégeoit avec :
l'Armée du Roi de France.
Cette
Place écoit toute pleine de Rétranche
ments , où l'on pouvoit ſe retirer de
l'un à l'autre : Car prémiérement
il y avoit la Cittadelle , entre laquel
le & le Corps de la Place, il y avoit
un' Foſé qu'on paſſoit avec un Pont
levis ; Et quand on eroit entréde
dans , il y avoit encore trois Retran ..
chements tous feparez les uns des au- :
tres
1
GUERRE , Liv. VII. 397
tres par des Foſſez pleins d'eau qu'on
paſloit auili avec des Ponts le
vis : Les François battant un de ces-
Retranchements, y firent Bréche, que
Jean de Caſal , qui défendoit cette
Place , négligeant de garder, ſe reti
ra dans les autres Retranchements ;
Ainſi les Aſſiégeants , y érant mon
tez ſans trouver de réfittance , fe ren
dirent bien -tôt Maitres du tout; par
ce qu'ils s'emparérent des Ponts qui
menoient d'un Retranchement à l'au
tre . Cette Place donc qu'on croioic
imprénable , périt par deuxdéfauts:
Le premier pour avoir eu tant de
Er l'autre parce
Retranchements
Retranchements .
chacun
ces
de
que
là , n'étoit pas Maitre de ſes Ponts ;
Et les défauts de la Place , avec le
peu de prudence du Gouverneur, ô .
térent tout l'honneur à la courageu
fe entrepriſe de la Comteſe , qui a
voir eu la réſolution d'attendre là .
dedans une Armée , devant laquelle
le Roi de Naples & le Duc de Milan
n'avoient pas oſé paroitre. Et quoi
que
398 DE L'ART DE LA
que ſes éforts n'euſſent pas un bort
fuccés , elle ne laiſſa pasd'en rempor
ter lagloire que méritoit ſon courage ;
ce que l'on marqua par pluſieurs Epi..
grammes faits alors à ſa louange. Si
je fortifiois donc un lieu élevé , je fe
rois de fortes & grandes murailles &
des Foffez comme nous avons dit ; &
dans le dedansje ne ferois que desmai
fons baſſes & foibles, en ſorte qu'elles
n'empêcheroient point ceux qui ſe
roient au milieu de la Forterelle
d'en voir tout le circuit , afin que
le Gouverneur pât diſcerner de la
vuë tous les endroits qui auroient
beſoin de Secours ; & quedeplus cha
cun ſûr que quand une fois la murail.
le & le Foſſé ſeroient pris , il n'y au
roit plus de reſſource. Mais ſi j'y
faifois des Retranchements , j'en fe
rois les Ponts levis partagez d'une
maniére , que chacun en feroit Mai.
tre de ſon côcé , les faiſant en for .
te qu'ils appuiaſſent ſur des piliersau
milieu du Follé.
Della
GUERRE , Liv.VII .
Della Palla.
399
Vous avez dit que
les petites piéces ne ſe peuvent plus
gardér aujourd'hui; mais il me ſemble
avoir oui dire , que plus une Place
eft petite , plus elle est aiſée à dé
fendre .
Colonne. Onne vous a pas bien dit;
car on ne peut pas appeller une Pla
ée Forte , dans laquelle ceux qui la
défendent n'ont pas du Terrein aflez
pour faire de nouveaux Retranche
ments avec d'autres Foſſez & d'autres
Remparts ;
Car la fureur du Canon
eit ſi terrible , que quifait fond pour
fa défenfe fur une feule Muraille &
fur un ſeul Fogé, ſe trompe. Et par
ce que les Baſtions fe conſtruifent
d'une maniére à ne s'y pouvoir re
trancher , à moins que vous n'en faf.
fiez comme des Châteaux & des
Places mêmes , ils ſont bientôt
perdus. C'eſt donc une prudence
de ne point penſer à des Baſtions ,
& de bien fortifier l'entrée & les Por
tes des Places avec des Ravelins , en
forte
400
DE L'ART DE LA
force qu'on ne puiſſe y entrer , ni en
ſortir en ligne droite : il faut de plus
qu'entre le ravelin & la Porte il y ait
un Foſſé avec un Pont levis. On
fortifie encore les Portes avec des
Couliſſes afinde retirer ſes gens, aprés
qu'ils ont fait une Sortie ; & s'il arri
voit queles Ennemis les repouſfaſſent,
ces Herſes là empêchent que les Amis
& les Ennemis n'entrent pêle-mêle.
C'eſt pour cela qu'on a inventé ces
Machines , que les Anciens appel
loient des Cataractes qui en tombant',
laillent dehors les Ennemis & mettent
à couvert l'entrée ; Car dans ces con
jonctures, vous ne pouvez diſpoſer
ni de la Porte , ni du Pont Levis ,
l'un & l'autre étant aſſujettis par la
foule .
Della Palla...J'ai vû de ces Cous
liſſes en Allemagne, faites de piéces
de chevron en forme de Grille , &
pour les nôtres elles ſont faites de
planches toutesjointes enſemble. Je
voudrois bien ſavoir d'où vient cet
te
GUERRE,Liv .VII. 401
te différence , & leſquelles ſont les
plus fortes.
Colonne. Il faut que je vous dife
encore , Que toutes les bonnes coû.
tumes & les beaux ordres de Guerre
des Anciens font prefque évanouis
dans tour le monde ; mais pour l'Ita
lie ils y ſont entiérement perdus ; &
s'il y a quelque choſe de bon , nous
l'ayons tirédes Vltramontains. Vous
avez pû entendre dire , & ces Mef.
fieurs peuvent fe ſouvenir de quelle
foibleſſe en faifoit les Places en ces
Pais -ici , avant que le Roi Charles
Huit y vint dans l'année mille quatre
cents quatre vint quatorze . On fai.
foit en ce tems-là les Créneaux épais:
d'un pied , les Embraſures des Ca.
nons & des Arbalêres étoient étroites
au dehors & larges au dedans ; enfin il
y avoit mille défauts dont je ne parlem
rai pas de peur de vous ennuier ; car
quand les Créneaux ſont minces, il
eft aité d'abbatre une telle défence ,
& les Embraſures qui y ſont faites
font bien - tôt toutes ouvertes .
А.
pré .
402. DE L'ART DE LA
préſent les François nous ontappris
à faire les Créneaux forts & larges ,
& les Embraſures avec beaucoup
d'ouverture par dedans, qui ſe rétré
eit vers le milieu, en s'élargiſſant enco
re depuis là jufqu'au dehors : Ces pré
cautions font que le Canon de l'En
nemi a peine de vous êter cette dé
fenſe . Les François ont encore beau
coup de bons uſages ſur leſquels nos
gens n'ont point fait de réféxion
parce' qu'ils ne les ont jamais vûs
Entre ces bons uſages ſont ces Cou
Billes en forme de Grille , qui font de
beaucoup meilleures que les vôtres;
Car ſi vous avez des Couliſes tout
d'une piéce comme les vôtres , lorf
que vous les faites tomber vous vous
enfermez au dedans " ; & vous ne
pouvez rien faire au trayers á vôtre
Ennemi , qui peut ou avec un pé.
tard , ou à coups de hache l'enfon
cer fans péril . Mais quand elle eft
faire comme uneGrille , eranr baiſſée ,
vous la pouvez défendre avec les Lana
les Arbaletes , & autres for.
tes
GUERRE,'Liv.VII. 463
tes d'armes , au travers des mailles qui
y lont.
Della Palla. L'ai vû en Italie une
autre coûtume Vltramontaine , quié.
toit de faire les raions des affus de Ca.
non , courbez vers les moieux : Je
voudrois bien ſavoir pourquoi ils les
font ainſi
car il me ſembleroit
qu'ils ſeroient bien plus fores, ſi on
les faiſoit droits comme à nos roues
ordinaires.
Colonne. Ne yous imaginez pas que
ce ſoit par caprice qu'on quitte les u.
ſages ordinaires; & ſi vous vous figurez
que c'eſt pour l'ornement qu'on les
fait ainſi , vous vous trompez; car
quand il s'agit de force ; l'on nc
cherche pas l'embelliſſement ; mais
tout cela ſe fait , parce qu'ils font plus
forts & plus furs que les nôtres :
En
yoici la raiſon.Quand l'afus eft chargé
ou il porte également des deux côrez ,
ou il panche de l'un des deux : quand
il porte également , les deux roues
ne ſont pas plus chargées l'une quie
l'autre
& ainſi elles ne le ſont
pas
404
DE L'ART DE LA
pas beaucoup , parce que la charge
eſt partagée juſtementen deux; quand
il panche d'un des côtez, alors toute
la charge porte ſur la roue du côté.
dont elle panche : & fi les rayons en
ils peuyent aiſément
plier ; car ſi la roue panche , il faut
que les raions panchent auſſi & qu'ils
ne ſoûriennent plus la charge à plomb .
Ainſi quand l'afus marche droit , &
que les roues n'ont pas'trop de charfont droits
ge elles font aſſez torres : mais quand
l'affas panche, & que l'une des roues
eſt plas chargée que l'autre ; alorsel
les ſont trop foibles. Il arrive tout le
contraire aux affus à la mode de
France , car l'affuspanchant d'un cô
té, porte en lignedroite für ces raions,
qui étant courbez , viennent alors à
faire comme s'ils étoient droits , &
à foûtenir vigoureuſement toute la
charge ; mais quand l'affus marche
& que les raions font courbez , ils ne
portent que lamoitié de la charge &
ils font aſſez forts pour cela. Mais re
yenons à nos Villes& à nos Fortereſ
Jes.
GUERRE, Liv. VII . 405
ſes. Les François pour rendre les por
tes de leursPlaces plusſeures , & pour
pouvoir faire aiſément des Sorties ,
& retirer leurs gens en tems de Siége ,
ont outre les précautions ci-deſſus un
autre uſage , dont jen'ai point encore
vû d'exemple en Italie : C'eſt de dreſ
ſer deux Poteaux au dehors du Pont
leyis , & ſur chacun deces Piliers ils
font balancer une Poútre , dont la
moitié porte ſur le Pont levis & l'autre
moitié en dehors .
En ſuite ces deux
bouts de Poútres qui portent en de
hors , ſont joints enſemble. par un
treillis de Chevrons comme une grille ,
& aux bouts qui portent au deſſus du
Pont , ils attachent à chacun une
Chaine : Quand donc ils veulent fer,
mer le Pont par le dehors , ils lâchent
les Chaines & laiſſent tomber toute
cette moitié treilliſſée comme une
grille ; & quand ils le veulent ouvrir,
ils tirent les Chaines à eux , & élévent
ce treillis tant qu'un homme à pied y
puiſſe paſſer deſſous , & s'ils veulent
tant qu'un homme à cheval y puiſſe
pal
406
DE L'ART DE LA
paſſer auſli, enfuite ils peuvent refer
mer le paſſage juſte, ce treillis fe hauf
fant & fe baillant comme les Venteaux
de nos * Créneaux, Cét utage eſt plus
ſur que la Couliſſe ; parce qu'il eſt
plus difficile que l'Ennemi l'empêche
de fermer le paſſage ; car ce treillis
ne tombe pas en ligne droite comme
une Herfe qu'on peut aiſément étan
conner .
Il faut donc que ceux qui
voudront fortifier une Place , met.
tent en uſage tout ce qu'on vient de
dire ; de plus il faudroit laiſſer au
moins un bon quart de lieue autour
des Fortifications , où l'on ne bâtît ,
ni ne plantât ; mais qu'on fit de ce
Terrein comme une plaine unie , où
l'on ne laiſſeroit rien qui bornât la vûe ,
& qui pût épauler l'Ennemi lorſqu'il
ſeroit campe. Remarquez encore
qu'une Place ,dont les Foſſez de dehor's
ont leurs douves plus hautes que le
Terrein ordinaire, eſt fort aiſée à pren
dre ; car elles couvrent l'Ennemi qui
vous
* Veiez les Remarques.
GUERRE,Liv. VII. 407
yous attaque , fans vous mettre à cou
vert contre lui , puiſqu'il peut les ou
vrir aiſément pour faire voie à ſon Ca
non . Mais entrons dans ía Place. Je
ne perdrai pas de temsà vous appren
dre , qu'outre toutes les precaucions
dont nous venons de parler , il fauten
core avoir bonne proviſion de Munie
tions de Guerre de Bouche ; car cha..
cun fait que ſans cela tout le reſte eft
inutile. En général il faut faire deux
choſes, Vous munir de tout ce dont
vous avez beſoin , & empêcher que
l'Ennemi ne tire rien de vôtre Pais .
C'eſt pourquoi il faut faire le Dégát
de tout le Bétail , le Grain 6s le Four .
rage que vous ne pouvez pas mettre à
Couvert .
Un Gouverneur de Place
doit encore pourvoir à ce que rien ne
ſe face avec bruit & dans la confuſion;
& faire en ſorte que quelque choſe qui
arrive , chacun ſache ce qu'il a à faire.
Il faut donc que les Femmes
les
Vieillards , les Infirmes 6 les Gens
inutiles , ſe tiennent en fermez au de
dans, & laiſſent la Place libre aux gens
vi
408
DE L'ART DE LA
vigoureux & jeunes , qui étant bien
armez doivent érre poſtez pour ladé
fenſe , les uns aux Fortifications ; les
autres aux Portes ; les autres dans
les places de la Fortereſſe , afin c'é.
tre prêtsà remédier aux inconvéniens
qui pourroient ſuryenir au dedans : Il
faut qu'ily enait encore quine ſoient
deſtinez pour aucune fonction parti
culiére , mais qu'ils ſoient toûjours en
état de ſecourir tout ce quien pourroit
avoir beſoin .
Les choſes étant ainſi
établies , il ſeroit difficile qu'il ſurvint
quelque déſordre capable de vous
troubler. Je veux que vous remar
quiez encore avec ſoin , Que quand
il eſt queſtion deprendre oude défen
dre une Place , il n'y a rien qui don.
ne plus d'eſpérance à l'Ennemi d'en
pouvoir venirà bout , que lorſqu'il
ſait qu'elle n'eſt pas accoûtumée d'en
voir ; car ſouvent la ſeule appréhen
fion fait rendre les Places , ſans met
tre leurs forces à l'épreuve . Il faut
donc lorſqu'on veut alliéger une Pla
ce de cette nature , imprimer autant
de
d
GUERRE,Lıv.VII.
409
de terreur & d'épouvante qu'il eil
poſſible. Il faut auſſi d'autre part,
que celui qui eft attaqué , mette du
côté qu'on l'attaque des gens vigou
reux qui n'aient pas peur des paro
les ; car fi le premier coup ne fait
que blanchir , " les Alliégez repren
nent courage , ce qui oblige l'Allié.
geant à ne fonder ſes eſpérances que
ſur la valeur , & non pas ſur le bruit.
Les armes dont les Anciens défen
doient leurs Places , étoient de bien
des ſortes , ils ſe fervoient d'Arbale
test de pluſieurs efpeces, de Fondes ,
& c.
Ils en avoienr auſſi de bien des
façons pour attaquer , par exemple
des Béliers , des Tours , des Mante
lets , des Gabions , des Faux , des Tor
tues , & c.
Au lieu de tout cela ,
l'on a aujourd'hui les Armes à feu ,
qui ſervent également & aux Aficio
geants & auxAſiégez ; c'eſt pour
quoi je ne m'écendrai pas là- deſſus.
Mais revenons à nôtre ſujet & par
S
i
Voiez les Remarques
, lons
410
DE L'ART DE LA
lons des Attaquesparticuliéres.Il faut
ſe donner bien de garde d'étre pris par
la Famine,ou d'Alaut. Pour la Fami
ne on a dit , Qu'avant d'être Aſsiégé , il
faut faire de bonnesproviſions:Maislors
que par la longueur du Siege , elles
viennentà manquer, on a quelquefois
vû des moiens extraordinaires d'en é.
tre pourvû par les Amis ; ſur tout s'il
paſſe une Riviére dans le milieu de la
Ville : C'eſt ce que firent lesRomains
à Caſaline une deleurs Fortereſſes , qui
étoit alliégée par Annibal : Car ne
pouyant pas envoier aux Aſsiégez par
la Riviére d'autre forte de proviſion ,
ils y jertérentgrande quantité de Noix
qui nageant ſur l'eau , arrivérent dans
la Ville , & la firent ſubfifter long
tems. Il s'eſt trouvé des gens aflié.
gez , qui pour fairevoirqu'ils avoient
du Bled de reſte & pour faire perdre
Peſpérance à leurs Ennemis de les
prendre parFamine ‫;ر‬ontjetté du Pain
par deſſus les murailles ; ou ont fait
manger à un'Beufbeaucoup de Grain,
& l'ont laiſſé prendre , afin qu'aprés ·
läror
GUERRE, Liv. VII. 411
l'avoir cué, & avoir vû qu'il étoi rem
pli de Grain , l'Ennemi pût ſe perſua
der facilement qu'il y avoit une gran
de abondance dans une Ville dont les
bêtes étoient ſi bien nourries . D'autre
Côté, pluſieurs Grands Capitaines ſe
ſont ſervi de diverſes addreſſes pour
incommoder l'Ennemi .
Fabius laiſ
ſa faire les Semailles dans la Campanie ,
afin de leur faire diminuer par là leur
proviſion de Bled .
Denis alliégeant
Regio, fit ſemblantde vouloir faire la
Paix avec eux , & durant la Négocia
tion , il ſe faiſoit fournir des Vivres ;
mais quand il les eut épuiſez de cet
te maniére , il les reſſerra de prés &
les affama.
Aléxandre le Grand voul
lant prendre Leicade , s'empara de
tous les Forts d'alentour , & obligea
tous ceux qui étoient dedans à ſe
retirer dans la Ville , où la foule
croiſſant , il l'eut bien tot affamée .
Pour ce qui regarde les Affauts ,
nous avons dit , Qu'il faut ſe gara
der de cette Prémiére Furie , avec la
S 2
quelle
412 DE L'ART DE LA
quelle les Romains ont li fouyent
remporté tout d'un coup pluſieurs
Places , en donnant un Afaut Géné
ral, & par tous les endroits , com
me fit Scipion quand il emporta Car.
thagéne en Eſpagne : Car ſi vous
ſoutenez bien ce prémier Affaut, il
eſt difficile aprés cela de venir à
bout de vous.
Et quand même
l'Ennemi aiant forcé les Murailles ,
ſeroit déja dans la Ville , les Habi
tans ne laiſſent pas d'avoir encore
quelque reſſource , s'ils ne s'aban
donnent pas eux -mêmes ; car on a
vû bien des fois des Armées déja en
trées dans des Places, qui ont été
repouſſées & fort mal traitrées.
Pour y réuſlir il faut que les Habi.
tans faffent ferme ſur les Hauteurs
dans les Maiſons dans les Tours ;
& combatent de là l'Ennemi. Mais
ceux qui font entrez , ont ſouvent
cherché les moiens de ſurmonter ces
difficultez , ce qu'ils ont tâché de
faire en deux maniéres :
L'une en
ouvrant les Portes , afin de donner
lieu
GUERRE, Liv. VII. 413
lieu aux Habitans de pouvoir fuir
en toute fureté :
L'autre de faire
courre un bruit qu'on ne fera du mal
qu'à ceux qu'on trouvera les'Armes
à la main ; mais que l'on fera bona
Quartier à ceux qui les mettront bas :
Cette conduite a facilité la priſe de
bien des Villes. Il eſt encore aiſé.
d'emporter une place , ſi vous tom .
bez deffus à l'improviſte. On y
réuſſit lorſqu'étantéloigné avec vô
tre Armée , les Ennemis ne peuvent
s'imaginer que vous aiez deſſein
d'entreprendre une telle Attaque , ou
même que vous ſoiez en état de le
faire , ſans qu'on en ait le vent, vû
l'éloignement où vous étes.
Ainſi
vous l'emporterez preſque infailli
blement , fi vous l'entreprenez avec
bien du ſecret & beaucoup de dili
gence . Je ne parle qu'avec peine
des choſes arrivées en nos jours ; car
de parler de moi & des miens , je
ne le pourrois faire fans m'expoſer
à en étre blâmé '; & de parler des
autres , je ne ſai ce quej'en pourrois
S
3
dire.
414
DE L'ART DE LA
dire. Je ne peux pourtant pas m'em
pêcher à ce propos de rapporter l'é
xemple de Cefar. Borgia , qu'on ap
pelle le Duc de Valentinois
qui
ſe trouvant à Nocera avec ſes gens ,
9
& feignant d'aller ravager Cameri
no , le tourna tout d'un coup yers
l'Etat d'Vrbin , & s'empara ſans pei
ne & dans un ſeul jour d'une Princi
pauté , qu'en un autre tems il auroit
eu beaucoup de peine à conquérir a
vec bien du tems& de la dépenſe. Il
eſt encore fort néceſſaire que ceux qui
font aſſiégez ſe gardent bien des rules
& des fourberies de l'Ennemi ;
C'eſt
pourquoi ils ne doivent point faire de
fond ſur une choſe qu'ils lui voient
faire continuellement , mais qu'ils
aient toûjours dans l'eſprit que c'eſt
pour les tromper, & qu'il pourra
bien la changer à leur préjudice.
DomitiusCaluinus alliégeantune Pla
ce , prit pour coûtumed'en fairetous
les jours le tour avec une bonne par
tie de ſes Troupes : Les Habi.
tans ſe figurant qu'il le faiſoit par
maniére
GUERRE ,Liv.VII. 415,
maniére d'Exercice , fe négligérent
fur les Gardes , dont lui s'étant ap.
perceu leur livra l’Afaut & les em
porta. Quelques Généraux aiant
ſceu qu'il venoit du Secours aux Af
fiégez , ontfait habiller de leurs gens
& prendre des Enſeignes comme les
Ennemis ; & ſous cette figure étans.
receus dans la Place , ils s'en font
Cimon Capitai
ne Athénien , mit pendant la nuit ,
le feu à un Temple d'une Ville qu'il
rendus
Maitres.
vouloit prendre , & les Habitans al
lans pour l'éteindre , laifférent la Pla
çe à la diſcrétion des Alliégeants .
Quelques -úns aprés avoir tué des
Coureurs Ennemis , en ont fait pren
dre les habits à leurs Soldats , qui é
tans entrez dans la Ville , l'ont livrée
à ceux qui les y avoient faic entrer .
Les anciens Capitaines ont inventé
encore pluſieurs autres moiens pour
faire dégarnir des Places de leurs
Garniſons , afin de les pouvoir prendre
plus aiſément. Scipion étant en Af
frique, & voulant prendre quelques
: S
4
Châteaux
416
DE L'ART DE LA
Châteaux où les Carthaginois avoient
mis Garnifon , feignit pluſieurs fois
de les vouloir prendre ; & enfuite il
feignit auſſi d'avoir peur des Trou
pes qui y éroient , & par conſé
quent , qu'il faloit non ſeulement re
noncer à ce deſſein ., mais même ſe
retirer. Ce qu'Annibal s'imaginant
étre fa: véritable penſée , afin de
pourſuivre fon Ennemi avec plus d'a.
vantage, il tira toutes ces Garniſons
là i dont Scipion s'étant apperceu, il
y envoya Maffiniſa qui Commandoit
fous lui , pour s'en emparer. Pir
rus alliégeant la Capitale de PEX
clavonie
où il y avoit une forte
Garniſon , il feignit de n'eſpérer plus
de la pouvoir prendre ; & s'étant
tourné vers les autres endroits , il fit
en ſorte que pour les ſecourir, cette
Ville-là ſe dégarnit de ſon monde &
fe mit en étatd'étre aiſément empor
tée.
Pluſieurs ont empoiſonné les
Eaux & détourné les Rivieres pour
prendre les Villes , ce qui n'a pas
toûjours réuſſi. On diſpoſe encore
les
GUERRÈ, Liv.VII. 417
lés Afiégez à ſe rendre , en les épou
vantant par le bruit qu'on fait courre
que leurs gens ont été battus , ou
que le Camp eft rafraîchi d'un nou
veau Renfort.
Les Anciens ont ten
té auſſi bien des fois de prendre des
Villes par intelligence , en gagnant
quelqu'un dedans; mais ils ont em
ploié pour cela différents moiens.
Quelquefois ils ont envoié de leurs
Confidents , qui fous couleur d'étre
Transfuges , fe font aquis du crédit
chez les Ennemis , dont ils ont en
fuite tiré ayantage. Quelques-uns
ont encore appris avec cette eſpéce :
de Transfuges , de quelle maniére
l'Ennemi fait ſes Gardes ; & avec
cette connoiffance on a trouvé moien
de prendre la Place. D'autres ont :
embarraſſé la Porte ou par des Pouer
tres , ou par des Chariots qu'on y fai
foit entrer fous quelque prétexte , en
forte que les Aſſiégez ne la pouvant
fermer , "Ennemi y eſt entré aiſé .
ment. Annibal perſuada au Gou
verneur d'un Château des Romains
Si5.
de :
418
DE L'ART DE LA
de le lui livrer lous prétexte de ſortir
la nuit pour aller à la challe:Cét hom.
me donc feignant de n'oſer ſortir le
jour à cauſe desEnnemis , & retour
nant enſuite avec ſon gibbier , il fic
entrer beaucoup de Carthaginois avec
lui , & aiant tué les Soldats du Corps
de Garde,il livra la porte à ce Général.
On trompe encore les Alliégez en les
tirant hors de leur Ville , & en les éloi.
gnant , lorſqu’aiant faitune Sortie ſur
vous , vous faites feinte de lâcher le
pied. Pluſieurs même entre leſ
quels fut Annibal, les ont laiſlé ſe
rendre Maitres de leur Camp pour am
voir occaſion de les couper & de s'em
parer de leur Ville.
D'autres trom
pent encore les Afliégez en feignant
de lever le Siege , comme fit Formion .
Chef Athénien , qui aiantravagé le
Pais de la Calcide , receut enſuite leurs
Ambaſſadeurs , par le moien deſquels
il remplit la Ville d'aſſurance & de
belles promeſſes, à l'ombre deſquel
les ces gens s'étansrepoſez avecpeu
de prudence , ils furent peu de tems:
aprés
GUERRE,Liv.VII. 419
aprés opprimez. Les Afliégez doi
fuſ.
vent toûjours s'aſſurer des gens
pects qui ſont parmi eux ; & fou .
vent on y réuſlit autant par les bien
faits, comme par la punition . Mar
cellus ſachant que Lucius Bancius de
Nole étoit porté à favoriſer Annibal ,
illui donna tant de marques de bonté
& lui fit tant de largeſſes , que d'Enne
mi il s'en fit un trés- grand Ami. Il
eſt néceſſaire auſſi que les Alliégez
ſoient encore bien plus ſur leurs gar
des quand l'Ennemi eſt loin , que
quand il eſt fort prés.
Et ils doi
vent fur tout , mettre en meilleure
défenſe les lieux qu'ils croient les
moins expoſez aux Atraques ; Car
on a bien ſouvent perdu des Places ,
pour avoir éré attaquées par les ens
droits où l'on ne s'attendoit pas.
Cette mépriſe vient de deux cauſes ,
ou parce que l'endroit eſt fort,& paſſe
pour inacceſſible: ; Ou parce que
l'Ennemi a l'adreſſe de donner avec
éclar une fauſle Allarme d'un côté ,
S.
6.
pendant
420) DE L'ART DE LA
pendant qu'à la ſourdine il pouſſe
vigoureuſement la pointe de l'autre.
Ilfaut donc que les Affiegez ufent:
de grande précaution là deſſus , &
qu'en tout tems , mais ſur tout la .
Nuit , ils faſſent toûjours bonne gar
de autour de leurs Fortifications ‫ ;ر‬ài
quoi ils doivent non feulement em
ploier des gens , mais auſlides chiens.
qui ſoient trés méchans & trés vi
goureux , car de l'odorat ils éventea.
ront l'Ennemi; & . de l'abboy ils le :
feront découvrir. Mais ce n'eſt pas
ſeulement les Chiens qui éventent:
l'Ennemi; de fimples Oües ont quel
quefois empêché une Place d'étre
emportée par ſurpriſe , comme cela
s'eft vů à Rome lorſque les Gaulois ,
afliégeaient le Capitole . Alcibiade
voulant s'aſſeurer fi toutes les Senti
nelles faiſoient bien leguet , pendant
que les Lacédémoniens aſſiégeoient
Athéne , ordonna fous des peines ,
que toutes les fois qu'il éléveroid
Eine Lumiére la Nuit , toutes les Sen.
tinelles en fiffent autant.
Ificra
GUERRE , Liv. VII: 4213
te Chef Athénien , trouvant une Sen ..
tinelle endormie , la tua , diſant;Qu'il
Lavoit laiſſée comme il l'ivoit trouvée..
Les Aſſiégez ont trouvé. auſli plu
fieurs moiens pour faire favoir de
leurs nouvelles à leurs Amis , ce que :
ne pouvant pas faire par des Ambar
fadeurs ,,ils : écrivoient des Lettres :
en Chifres , qu'ils- faiſoient aprés cela;
tenir par pluſieurs. voies ſecrettes.
Les Chifres dépendent de la maniére :
dont on convient les uns avec les aula
tres ; les moiens de les faire rendre
fecrettement ſont différents. Les uns
ont écrit dans le Foureau d'une Epée..
D'autres ont mis les Lettres dans un
Pain non encore cuir, puis l'aiant fait
cuire , ils le donnoient pour ſervir de :
proviſion à celui qui ſe chargeoitdu :
meſſage. D'autres les ont cachées
dans les endroits les plus fecrets de
leurs Corps. Quelques-uns les oner
couluës dans le Colier d'un Chien ,
qui appartenoit à l'homme qu'on fai
foit couler au travers des Ennemis...
On s'eſt auſſi aviſé quelquefois d'é
crire
422 DE L'ART DE LA
crire dans une lettre des choſes com .
munes; & entre les lignes on écrivoit
ſes ſecrets avec de certaines eaux qui
paroiſſoienten les mouillant, ou enles
montrant au Feu .
Cette derniére in .
vention a été pratiquée trés adroitte
meat dans nosjours , où une perſonne
voulant faire ſavoir à fes Amis enfer
mez dans une Place , des choſes fe.
cretes qu'elle ne vouloit confier à qui
que ce loit , elle leur adreſſoit des
Actes d'Excommunication écrits dans
la forme ordinaire , & entre les lignes
elle mettoit ce qu'elle vouloit qu'on
ſûr , & elle ordonnoit aux gens éta
blis pour cela de les afficher aux Por
tes des Egliſes, qui enſuite étans re
connuës & entenduës par ceux qui a
voient le ſecret , ils les faiſoient déta
cher pour les déchiffrer. Cette méto.
deefttrés fine, car celuiqu'on en char
ge peut n'y entendre point fineſſe , & il
ne court aucun riſque. Enfinil y a une
infinité de ces ſortes de ruſes que cha
cun peut apprendre ou inventer.
Mais il eſt plus aiſé d'écrire aux
GUERRE , Liv.VII.
423
Aſſiégez , qu'à eux de vous écrire ;car
ils ne peuvent yous faire ſavoir de leurs
nouvelles que parquelque Soldat qui
contrefait le Déſerteur , ce qui eſt in
certain & dangéreux quand l'Ennemi
eſt un peu rufe: Mais ceux qui écrivent
auxAſiégez, peuvent ſous différents
prétexteş faire entrer un homme dans
le Camp des Afiégeants , & à la pré
miére occaſion ilſe fourre dans la Pla.
ce.
Parlons un peu à préſent de la
maniére de prendre aujourd'hui les
Villes . Je dis donc que ſi yous étes
battu dans une Place où il n'y ait point
de Foſſé par le dedans , comme nous
avons dit ci-devant ; & ſi yous ne vou
lez pas que l'Ennemi y entre par la
Bréche que ſon Canon y aura faite , il
faut pendant que l'on bat cet endroit
là , que vous faſſiez une Trenchée der
riére , large au moins de trente pas ,
en faiſant le jet de toute la terreque
vous en pourrez tirer , du côté de la.
Ville , afin que la Trenchée en ſoit par
ce moien plus profonde.; mais il
faut у faire travailler avec tant de
dili.
424 DE L'ART DE LA
diligence , que lorſque la Bréche fem
ra faire , votre Trenchée ſoit profonde, au moins de dix ou douze pieds;
& pendant qu'on la fait , il faut la
flanquer par les deuxbouts de deux
bonnes Cafemattes : Car quand la ·
muraille, eft * aſſez forte pour tenir
tout le tems qui eft néceſſaire pour
achever cér ouvrage , alors cet en
droit-là eſt plus en deffenfe que tout "
le reſte, parce que cette Trenchée a
2
entiérement la forme que nous avons
établie pour le Foſſédu dedans. Mais fi vôtre muraille eſt trop foible pour
vous donner le tems defaire tout cela, .
c'eſt alors qu'ilfaut faire voir votre
bravoure , & vous oppofer aux Enne
mis qui montent à la Bréche,avec tout
ce que vous avez de gens en état de
faire réſiſtance . Les Piſantins prat- -
tiquérent cetre maniére de fe retran
cher lorſque vous-les allâtes alliéger ;
ce qu'ils pouvoient aiſément faire ,
parce que leurs murailles étoientaſſez
bonnes pour réſiſter long -tems , &
que d'ailleurs leurTerrein eft folide -
GUERRE,Liv.VII.. 425,
& propre à élever , & à faire des
Remparts ;. Car s'ils n'euſſent pas eu
ces avantages ils étoient perdus. Ili
ſera donc toûjours bon de ſe précau .
tionner de bonne heure , en faiſant
un Foffé par le dedans de la Place ,
qui aille tout à l'entour , comme nous
Pavons établi tantôt ; Car en tel cas
&
yous attendez l'Ennemi en repos :
fûreté , vos Retranchements ſe trou .
vant déja tout faits ,
Les Anciens
prenoient quelquefois les Villes par:
des Chemins Souterrains en deux ma .
niéres ; ou bien ils faiſoient un Che.
min caché , qui aboutiſſoit dans la
Place & qui leur ſervoit de porte :
pour y entrer ; & c'eſt ainſi que les
Romains prirent la Ville des Veien
tins: Ou bien avec les mêmes Mines :
qu'ils faiſoient ſous le mur, ils le fai..
foient tomber.
Cette derniére mé..
tode fe fait aujourd'hui plus pronte.
ment & plus violemment ; c'eſt ce.
qui rend les Places ſur les Hauteurs
moins fortes, parce qu'il eſt plusai..
fé de les miner, & lorſqu'on a char
gé:
426 DE L'ART DE LA
géla Mine depoudre , quiprend feu
en un moment , non ſeulement vous
faites ſauter la Muraille , mais vous
fendez les Rochers , & les Cittadelles
mêmes s'entr'ouvrent en pluſieurs
endroits. Pour prévenir ces incon
vénients , il faut bâtir les Places dans
les Plaines , & faire vos Foſſez ſi
profonds que l'Ennemi ne puiſſe pas
miner plus bas ſans trouver l'eau , qui
eſt le ſeul reméde contre les Mines.
Si donc vôtre Place eſt ſur une émi
nence , vous ne pouvez faire autre
choſe que de creuſer, bien des Puits
dans vos Fortifications , qui feront
éventer les Mines qu'on y fera. Il
y a encore un autre expédient qui
et de Contreminer ; pourvû que vous
puiſliez découvrir l'endroit où l'on
vous mine : Cette précaution eſt trés
bonne , mais il eſt difficile de décou.
vrir les endroits qu'on mine ſi vous
avez affaire à un Ennemi ruſé .
Il
faut ſur tout, que les Aſſiégez pren
nent bien garde de n'étre point ſur
pris dans un tems.qui paroit de re
pos
GUERRE,Liv.VII. 427
pos , commeaprés un Combat , aprés
qu'on a monté la Garde , qaieft ordi.
nairement le matin à la pointe du
jour , & le ſoir entre Chien & Loup ;
mais ſur tout quand les gens repail
fent , car c'eſt dans ce tems- là qu'on
a. pris bien des Places , & que les
Aſiégez ont ſouvent auſſi ſurpris &
endommagé des Armées.
Il faut
donc de part & d'autre étre toûjours
bien ſur ſes gardes , & tenir une bon
ne partie des gensen même tems ſous
les armes. Je neveux pas oublier de
vous dire , que ce qui rend une Place
ou un Camp difficile à garder , C'eſt
que vous étes obligé departager tou
tes les Forces que vous y avez ; car
l'Ennemi pouvant vous attaquer par
où il- lui plait , il faut ſur tout que
vous foiez bien ſur vos gardes par
tout
& que vous ſouteniez tou
tes ſes Forces avec une partie des
vôtres . De plus un Afiégé eſt ſou
vent en riſque de périr fans reſſour
ce , & l'Aſiégeant n'a à craindre que
d'étre repouſſe. C'eſt pour cela
qu'il
428
DE L'ART DE LA
qu'il s'eſt rencontré quelquefois des
gens alliégez , qui bien que moins
forts , font fortis de leurs Retran
chements tour à la fois & ont battu
leur Ennemi. Marcellus en uſa ain.
fià Nole , & Céſar dans-les Gaules,,
où voiant que ſon Camp étoit acca
qué par une grande quantité d'En
nemis, & qu'il ne pouvoit le deffen
dre , à cauſe qu'il faloit partager ſes ,
Troupes ;‫ ز‬D'ailleursdemeurant dans fes Retranchements , il ne pouvoit
pas donner fortement fur eux ; il
fortit ayec tous ſes gens , par une
Ouverture qu'il fit à ſon Camp , &
donnant vigoureuſement avec tout
fon monde ſur les Gaulois , il les dé
fit par cette adreſſe. La fermeté &
c
la patience des Affiégez , ennuie
quelquefois & étonne lesAffiégeans.
Pompée aiant en tête Céſar , dont
PArmée ſouffroit une grande Diſet
te ; on alla lui préſenter du pain que :
les Troupes de Céfar mangeoient ;
qui étoit fait d'Herbes , ce qu'il dé.
fendit fort.de faire voir à ſes Soldats
pour
1
GUERRE,Liv.VII. 429
pour ne les pas épouvanter en yoiant
à quelles fortes de gens ils avoient
affaire. Rien n'aquit tant de gloire
aux Romains que la conſtance qu'ils
firent voir dans la Guerre qu'ils eu .
rent contre Annibal ; car quelque a
verſité & quelques déſavantages qu'ils
euſſent , jamais ils ne demandérenc
la Paix , ni ne doonérent jamais au
cune marque d'épouvante : Au con
traire pendant qu'Annibal étoit aux
environs de Rome , les Terres où il
étoit campé furent venduës plus ché.
rement qu'elles ne l'auroient été dans
un temsordinaire.
Ils furent d'ail.
lcurs fi attachez à leurs entrepriſes ,
qu'ils ne voulurent jamais lever le
Siége de devant Capoüe , pour venir
ſecourir Rome qu'Annibal tenoit af.
ſiégée pendant qu'ils faiſoient ce
Siége-là. Je fai bien que je vous ai
entretenus de pluſieurs choſes que
vous auriez pû ſavoir de vous-mê.
mes
& qui vous ſeroicnt venuës
dans l'eſprit auſſi bien qu'à moi :
Cependant je l'ai fait , comme je
vous
430 DE L'ART DE LA
yous ai déja dit , afin de vous faire
mieux voir les utilitez de cér Exerci.
ce Militaire ; & afin auffi de ſatisfaire
ceux qui n'auroient pas eu le moien de
l'entendre comme vous .
Il me ſem
ble à préſent que je n'ai plus rien à
vous dire que quelques Maximes gé.
qui vous ſont trés-connuës , & que
voici. Ce qui ſert à vôtre Ennemi
vous nuit , & ce qui vous fert nuit
auſli à vôtre Ennemi. Celui qui
dans la Guerre eſt plus vigilant à dé
couvrir les intentions de fon Enne .
mi , & plus propre à faire ſupporter
à fes Troupes les Fatigues de l'E
xercice , ne courra pas tant de riſ.
que que lui , & aura plus lieu d'ef
pérer la Victoire. Ne menez ja
mais vos Soldats à l'Occaſion , ſi yous
ne les avez un peu aguerri & reconnu
braves & adroits à l'Exercice ; de
plus ne les préſentez jamais à l’Enne
mi, que lorſque vous les voiez dans
l'eſpérance de vaincre . Il vaut mieux
détruire ſon Ennemi par la Faim que
par les Armes qui ſont journaliéres,
GUERRE , Liv. VII . 431
& dont le ſuccez dépend ſouvent plus
du caprice de la Fortune que de la Va .
leur. Vous ne pouvez rien faire de
meilleur contre vôtre Ennemi que
de lui cacher vos deſleins juſqu'à l'é.
xécucion.
Rien n'eft meilleur à la
Guerre que de ſavoir bien connoitre
l'Occaſion & la prendre aux cheveux .
La Nature fait bien peu de Braves,
mais l'éducation & l'expérience en
font beaucoup.
La Conduite eſt bien
meilleure á l'Armée que la Furie.
Lorſqu'il paſſe des gensde vôtre En
nemi dans votre parti
pourvů
qu'ils ſoient fidéles , c'eſt une gran
de Conquête ; Car les Forces En
nemies diminuent beaucoup plus
par les Transfuges , que par ceux
qu'on peut tuer , quoi que le nom
de Transfuge toit bien ſuſpect aux
nouveaux Amis , & odieux aux an
ciens.
Dans une Bataille , il vaut
mieux mettre un gros Renfort der
riére la Téte , que pour lui donner plus
de Front, étendre trop vos Troupes . Il
eſt
432
DE L'ART DE LA
eſt difficile de battre un Général qui
connoit bien fes Forces & celles de
l'Ennemi .
La Valeur des Soldats
fait beaucoup plus de bien que la
quantité.
Les choles nouvelles &
qui ſurviennent prontement, épou
vantent les Armées ; mais elles font
peu de cas des choſes ordinaires &
lentes : C'eft pourquoi vous de
vez faire connoitre à vos gens un
Ennemi Nouveau par quelques peti
tes Rencontres , devant que d'en ve.
nir à un Combat général. Celui qui
marche en Défordre aprés un Eone
mi qu'il vient de mettre en Déroute,
ne paroit point avoir d'autre inten
tion que de ſefaire battre aprés a-.
voir vaincu . Celui qui ne fait pas
bonne proviſion de Munitions de
Bouche , ſera vaincu ſans qu'on y em.
ploie la force des Armes. Ceux qui
font plus de fond ſur la Cavalerie
que ſur l'Infanterie ; ou ceux qui ſe
fient plus à l'Infanterie qu'à la Ca
valerie , doivent ſelon ces différen
tes
433
tes diſpoſitions , prendre bien leur
GUERRE,Liv.VII .
Terrein . Si vous voulez voir pen
dant le jour s'il n'eſt point venu quel
que Eſpion dans yôtre Camp, vous
n'avez qu'à commander à chacun
d'aller dans ſa Tente. Changez de
deſſein fi tôt que vous avez apperceu
que l'Ennemi l'a éventé.
Conſultez
les choſes que vous devez faire avec
bien des gens; mais pour celles que
vous ayez deſſein d'éxécuter en effet,
conférez en avec un trés petit nom
bre .
On retient les Soldats dans l'or
dre parla crainte & parle châtiment,
tant qu'ilsſont en Garniſon ; mais en
Campagne , vous ne les retenez que
par l'eſpérance & la récompenſe. Un
bon Général n'en vient jamais aux
mains ſi la néceſſité ne l’y oblige , ou
fi l'occaſion ne l'y convie. Tâchez
que vôtre : Ennemi
ne ſache point
quelle Ordonnance vous donnerez à
vôtre Armée pour la Bataille ‫ ;ر‬mais
de quelque maniére que yous la dif
poſiez , faites toûjours en ſorte que
T
les
434
DE L'ART DE LA
les Premiers Corps puiſſent étre receus
dans les Seconds & dans les Troiſiémes.
Dans la Mêlée n’emploiez jamais un
Bataillon qu'à ce que vous l'aviez au
paravant deſtiné, à moins que vous
ne vouliez tomber dans le déſordre.
Il faut beaucoup de peine pour re
médier aux accidents impréyûs ‫ ;ز‬mais
pour les autres rien n'eſt fi aiſé. Les
hommes , les armes , l'argent & les
munitions font le Nerf de la Guerre;
Mais les deux prémiéres choſes-font
les plus néceffaires : Car des hom .
mes avec des armes , foot bien troul
ver de l'argent & des munitions ; mais
de l'argent & des proviſions ne font
pas toujours trouver des hommes &
des armes.
L'homme qui vit en paix
& qui eſt riche doit contribuer pour la
récompenſe du pauvre Soldat. Ac
coûtumez vos Soldats à mépriſer la
bonne chére & les beaux habits . Voi
la en général ce quime vient dans l'ef
prie à vous dire : Je ſai pourtant
bien que dans tous ces diſcours ici ,
on
i
GUERRE,Liv.VII. 435
on auroic pû ajoûter beaucoup de
choſes : Comme par exemple , en
quelle façon , & de combien de ma
niéres les Anciens diſpoſoient leurs
Troupes ; comment ils les habilloient ;
comment ils s'occupoient hors des
Factions & de l'Exercice Militaire ,
& beaucoup d'autres particularitez ,
dont je n'ai pas trouvé à propos de
vous entretenir ; tant parce que vous
pouvez les voir vous-mêmes chez les
Auteurs , que parce que je n'ai paseu
intention de vous inſtruire juſtement
de toutes les maniéres de l'Ancienne
Milice ; mais ſeulement de vous fai
re voir comment on pourroit faire
en ce tems ici des Troupes de ineil
leur ſervice que celles que nous a
vons. Ainſi je n'ai pas crû devoir.
parler des Anciens , qu'autant qu'il
étoit néceſſaire pour l'inſtruction
préſente. Je fai quej'aurois dû m'é .
tendre davantage ſur la Cavalerie ,
& en ſuite parler de la Marine ; par
ce que qui diſtingue la Milice , la
T
2
dis
436 DE L'ART DE LA
diſtingue d'ordinaire en Armées Na
vales & en Armées de Terre ; en In
fanterie & en Cavalerie. Pour la
Marine , je n'entreprendrai pas d'en
parler puiſque je n'en ai aucune con
noiſſance ; mais il en faut laiſſer par
ler aux Génois & aux Venitiens , qui
s'érant attachez à cette forte de Guer
re , y ont fait autrefois de ſi grandes
choſes .
A l'égard de la Cavalerie ,
je n'en diraipasdavantage que ce que
j'en ai dit ci-deſſus ; parce que com
meje l'ai dit , cette partie de la Mi
lice n'eſt pas ſigátée que l'autre ; ou
tre cela quandl'Infanterie eſt une fois
ſur le bon pied , ce qui eſt alors le
Nerf de la Guerre , on ne peut pas
qu'on ne faffe de bonne Cavalerie.
J'avertirai ſeulement d'une choſe ceux
qui voudroient faire des Milices d'Or
donnance dans leurPais ; Qui eſt que
pour faire de la Cavalerie , ils eur
! .
ſent ſoin de deux choſes ;
L'une de
peupler leurs Pais de bonnes races
de Chevaux , & d'accoûtumer les
gens
GUERRE, Liv.VII .
437
gens à faire trafic de Poulains , com
me on fait ici de Veaux & de jeunes
Mulets: Et afin que celui qui en au
roit fait emplette , trouvát à s'en dé.
faire , je défendrois à qui que ce fûc
d'avoir un Mulet s'il n'avoit un Che
valavec. Ainſi celui qui ne voudroit
qu’une monture ſeroit obligé d'avoir
un Cheval . Deplus , Qu'il n’y au
roit que ceux qui auroient des Che
vaux qui púñent s'habiller d'étoffe de
Svie. Jai appris qu'un Prince de nô
tre tems , aiant établi cét ordre, trou
va bien - tôt ſon Pais rempli de forc
bonne
Cavalerie.
Pour les autres
choſes qui regardent les Cavaliers, je
vous renvoie à tout ce que je vousen
ai dit aujourd'hui & à l'uſage receu .
Vous ſouhaitteriez peut- core à pré
ſent d'apprendre quelles qualitez doit
avoir un Général ; Je vais vous fa
tisfaire en peu de mots ; parce que
je ne pourrois pas choiſir un autre
homme , que
celui qui ſauroit faire
tout ce que nous avons die juſqu'ici;
T
3
438
DE L'ART DE LA
& tout cela ne luffiroit pas encore, fi
.
de lui même il ne pouvoic trouver
d'autres choſes , dont nous n'avons
point parlé: Car un homme qui n'eſt
pas inventif , ne peut jamais étre un
grand Hommedans la profeſion : Ec
fi les nouveaux expedients font de
l'honneur par tout ailleurs , on peut
dire que dans le fujet dont il s'agit,
ils vous comblent de gloire. On
voit même que les Hiſtoriens font
l'éloge des plus petites découvertes
dans le Métier des Armes , comme
lors qu’Aléxandrele Grand,pourdé
camper à la Sourdine , ne faiſoit point
fonner le Boute-Selle par les Trom
pettes , mais faiſoit mettre pour ſignal
un Chapeau au bout d'une Lance. On
le louë encore d'avoir donné ordre à
ſes Soldats de mettre le genouil 8aft -
che en terre en commençant le Com
bat , afin de foûtenir plus fermement
l'attaque de l'Ennemi; ce qui lui
aiant fait remporter la Victoire , lui
aquic en niême tems tant de gloire ;.
que
GUERRE, Liv. VII. 439
que les Statuës qu'on lui érigeoit , e
toient toutes dans cette poſture. Mais
parce qu'il eſt tems de tinir ce diſ
cours , je veux revenir à l'endroit d'où
je ſuis parti , & par là j'éviterai une
partie de la peine qu'on impoſe en ce
Pais , à ceux qui ne retournent pas
chez eux .
S'il vousen ſouvient bien,,
Monſieur Rucellai, vous m'avez de
mandé dés le commencement , d'où
venoit qu'étant d'un côté admirateur
de l'Antiquité, en blâmane ceux qui
dans les grandes choſes', ne la pre
noient pas pour modéle ; & que de
l'autre m'étant fort attaché au Métier
des Armes ', je ne l'avois imitée en
rien dece quiregarde cette profeſſion ?
A quoi je vous ai répondu , que les
gens quivouloient entreprendre une
choſe , devoient fe difpofer aupara
vant à la ſavoir faire , pour s'en bien
aquitter en ſuitte dans l'occaſion . Je
vous prens pour Juges , à préſent que
vous m'avez entendu ſur ces matié.
res , li je pourrois bien mettre la Mi
T
4
lice
440 DE L'ART DE LA
lice ſur le pied des Anciens , ou non:
Ceci doit vous faire, voir combien
j'ai fait de réféxions ſur ce ſujet :
Je croi même que vous éces aſſez
perſuadez de la pailion que j'aurois
de mettre tout cela en pratique ;
Ainſi vous pouvez bien juger ſi j'ai
jamais pû le faire ; ou s'il s'en eſt
préſenté l'occaſion. Cependant pour
vous en convaincre mieux , & me
juſtifier encore davantage , je yeux
vous en faire voir les occafions, afin
de vous tenir en partie ce que j'ai
promis de vous démontrer , aſavoir
les facilitez & les difficultez qu'on
trouveroit à préſent à vouloir faire
des Armées fur ce pied - là . . Je dis
donc , Qu'il n'y a rien dans le mon
de fi aiſé à remettre ſur l'ancien pied,
que la Milice ; mais ſeulement pour
un Prince qui pourroit oppoſer à ſon
Ennemi une Armée de quinze ou
yint mille Jeunes gens de fes Sujets.
D'autre côté rien ne ſeroit ſi difficile
que cette entrepriſe à ceux qui n'au .
roient
GUERRE,Liv.VII.
roient pas cér
441
avantage . Mais afin
que vous comprenież mieux ceci , il
faut que vous fachiez qu'il y a dans
le monde deux eſpéces de Généraux
qui ont de la réputation: Les uns
font ceux , qui avec une Armée bien
Diſciplinée, ont fait de grandes cho
fés ; comme ont été les Bourgeois de
Rome & d'autres Républiques , qui
ont commandé des Armées, dont ils
ne devoient prendre d'autre ſoin que
de les entretenir dans leur bonté, &
de les conduire furement.
L'autre
eſpéce de Généraux , ſont ceux qui
ont eu prémiérement à vaincre leurs
Einemis ; mais devant que d'en ye
nir là , il a falu qu'ils aient bien for
mé & bien difcipliné leurs Armées ;
& ceux - là méritent aſſurément plus
de louange , que ceux qui avec les
Armées Anciennes , & bonnes d'el
les-mêmes ont fait de belles Actions:
On peut mettre au nombre de ces
derniers , Pélopidas , Epaminondas,
Tullus. Hoftilius , Philippe de Macé
T
5
doine
442
DE L'ART DE LA
doine Pere d'Alexandre , Cyrus Roi
des Perſes , 5 Gracchris Romain .
Tous ceux - ci ont eu d'abord à for
mer & à dreſſer leurs Armées pour
s'en fervir en ſuite ; Ce qu'ils pûrent
bien faire , tant par leur prudence ,
que par la diſpoſition qu'ils trou
voient dans les gens à bien appren.
dre ces Exercices-là : Et jamais il
n'auroit été poſſible qu'aucun de ces
Grands Hommes , quoi que remplis
de mérite, eût pû faire quelque cho
te de bon dans un Païs Etranger's
plein de Canaille toute corrompuë ',
& qui n'eſt foûmiſe à aucune honnê
te obéiſſance. Il ne ſuffit donc pas
en Italie , de ſavoir Commander une
1
Armée déja toute formée ; mais il
faudroit d'abord la favoir faire & la
diſcipliner , puis la favoir comman .
der. Or pour ea venir à bout , il
faudroit que cela fût entrepris par
les Princes qui ont aſſez d'Etats &
de Peuples pour cela; Et c'eſt ce
que je ne peux pas faire moi quin'ai
jamais
GUERRE , Liv. VII. 443
jamais commandé & qui ne peux
commander en effet que des Armées
Etrangeres , & obligées à d'autres
qu'à moi. Je vous laiſſe à juger a
prés cela , s'il eſt poſlible d'y intro
duire toutes les bonnes choſes dont
je vous ai entretenus aujourd'hui.
Quand eſt- ce que je pourrois faire
porter à un de nos Soldats , plus
d'armes qu'à l'ordinaire , & outre fes
armes , des municions de bouche
pour deux ou trois jours , & une
pieuche pour remuer la terre ? Quand
eſt- ce que je pourrois l'obliger à ce
travail ; & le tenir tous les jours ſous
les armes pendant pluſieurs heures ?
à l'exercer dins une Guerre feinte ,
pour le former & m'en préyaloir dans
la véritable ? Quand eſt -ce qu'on
viendroit à bout de faire quitter á
des gens de cette nature , le jeu , la
débauche , les blaſphèmes & les in
folences qu'ils font depuis le matin
juſqu'au ſoir ? Quand eſt -ce qu'on
Ies rendroit aſez diſciplinez & aſſez
T
6
fou .
444 DE L'ART DE LA
foûmis,pour qu'il ne touchaſſent point à un Arbre chargé de fruit , qui ſe
trouveroit au milieu du- Camp, com
me on lit qu'il eſt arrivé pluſieurs,
fois chez les Anciens ?
Avec quel
les promeſſes attirerai-je leur reſpect,
leur amitié & leur crainte ; puiſque
dés que la Guerre eſt finie , ils n'ont
plus aucune rélation avec moi ? De
quoi leur ferai-je honte , puiſqu'ils
fonc nez , &
élevez fans honneur ?
Pourquoi me reſpecteront-ils , puil.
qu'ils ne me connoiſlent pas ? Par
quelle Divinité , ou par quels Saints
les ferai-je jurer :? Eſt -ce par ceux
qu'ils adorent , ou par ceux qu'ils
blafphement ? Je ne ſai pas s'ils en
adorent aucun, mais je ſai bien qu'ils
les blasphêment tous. Comment
croirai -je qu'ils tiendront leur Ser
ment á un Dieu , dont ils parlent á .
tous moments avec indignité ? Ec .
comment , mépriſant Dieu , peuvent
ils reſpecter les honrmes ? Quelle
bonne forme pourroit -on donc don
ner
GUERRE,Lıy. VII. 445
ner à une telle matiére ?
Et fi vous
m'alléguez que les Suiſſes & les Ef
pagnols ont une aſſez bonne diſcipli
ne : Je ne vous nierai pas qu'ils ſur
paffent de beaucoup les Italiens; mais
li yous faites réflexion ſur ce que je
vous ai dit & ſur leur métode , vous
verrez qu'il leur manque bien des
choſes pour arriver à la perfection
des Anciens. A l'égard des Suiſſes,
leurs régles font aſſez bonnes par un
certain uſage naturel venu de ce que
je vous ai dit , qu'ils n'avoient point
deCavalerie ; mais les Eſpagnols font
devenus de bonnes Troupes par né
cellité ; parce que combattant dans
un Pais Etranger , ils ont vû.qu'il
faloir vaincre ou mourir ; & ainſi ne
voiant point de lieu à la fuite , ils
ſont devenus Braves malgré eux.
Mais ce qu'ils ont de bon eſt accom :
pagné de bien des défauts ; n'aiant
en effet de bon , que la maxime d'at
tendre l'Ennemi juſqu'à la portée de
la Pique & de l’Epée. Et pour ce
qui
446 DE L'ART DE LA
qui leur manque il n'y a perſonne
capable de le leur enſeigner, ſur tout
s'il ne parle pas leur langue .
Mais
revenons à nos Italiens, qui n'aiant
point eu de Princes prudents , n'ont
point pris ce que les autres ont de
bon dans la Diſcipline Militaire ;
& n'aiant été contraints par aucune
néceſſité , ils ne s'y ſont pas fororez
d'eux mêmes , de forte que les voila
demeurez l'opprobre du genre hu
main . Mais ce n'eſt pas la faute des
; Peuples, il nes'en faut prendre qu'à
leurs Princes , qui en ont été aſlez
bien cháriez , portant la peine duë à
leur ignorance , en perdant láchement
leurs Etats & ſans donner la moindre
réſolution .
marque de réſolution.
Voulez vous
voir ſi ce que je vous dis eſt vrai ?
Regardez combien il y a eu deGuer
res en Italie depuis l'expédition de
Charles Huit juſqu'à préſent ; & au
lieu que les Guerres rendent les Peu
ples Braves & leur aquiérent de la
réputation ; toutes celles- ci au comra
trai ,
GUERRE, Liv. VII . 447
traire , plus elles ont duré , plus elles
ont été cruelles, & plus elles ont fait
mépriſer & nos Genéraux & nos
Troupes . Il faut bien que cela vien
ne de ce que la conduitte ordinaire
n'eſt pas bonne, & de ce qu'il ne s'eſt
trouvé perſonne qui ait ſû profiter
des maniéres nouvelles . Aprés tout,
ne croiez pas que jamais les Italiens
rétabliſſent leur réputation dans le
Métier des Armes , que par laméto
de que je vous ai enſeignée , & par
le ſecours de ceux d'entre nos Prin
ces qui poſſédent des Etats conſidé.
rables. Car il eſt aiſé de former ſur
le pied que je vous ai dit , des hont
mes ſimples , groſſiers , & qui font
de vos Sujets ; mais il n'eſt pas aiſé
d'y mettre des Fripons , des gensmal
diſciplinez & des Ecrangers ; Puiſ
qu'il eſt vrai que vous ne trouverez
jamais un bon Sculpteur qui puiſſe
faire une belle Statuë d'une mauvai
ſe ébauche ; mais il en fera fort bien
une d'une piéce de marbre toute bru
te .
448
DE L'ART DE LA
te . Nos Princes Italiens , devant
que d'avoir tácé de la Guerre que
font les Vltramontains , s'imaginoiene
que c'étoit aſlez à un Souverain de
ſavoir mettre par écrit une réponſe
bien prudente & bien penſée ; faire
de belles Lettres ; faire paroitre de
l'eſprit & de la vivacité dans de bons
mois & dans la converſation ; ſavoir
bien conduire une fourberie ; ſe parer
de dorure & de pierreries ; étre logez
& fe traitrer plus ſplendidement que
les autres ; paſſer le tems aux débau
ches de la galanterie , gouverner ſes
Sujets avec orgueuil & avec avarice;
croupir dans l'oiſiveté ; diſtribuer les
emplois de la Milice ; inépriſer les
gens qui leur voudroient faire pren
dre une conduite honnête ; prétendre
que leurs paroles fuſſent des répori
fes d'Oracles.
Mais les malheureux
qu'ils étoient , ils ne s'apperceyoient
pas que par cette conduite, ils ſe dif
pofoient à devenir la proie de ceux
qui viendroient les attaquer. De là
yint
GUERRE , Liv. VII . 449
vint qu'en 1494. les François rempli
rent tout d'épouvante , mirent tout
en déroute & firent des Conquêtes
furprenantes ; & ainſi trois Etats trés
puiſſants en Italie ont été bien des fois.
faccagez & déſolez: Mais ce qu'il
y a de pire en ceci, C'eſt que ce qui
reſte de Princes libres vivent dans le
même abus & dans les mêmes déſor
dres ;‫ و‬Et ne veulent pas faire réflé .
xion ſur ce que ceux qui vouloient
autrefois conſerver leurs Etats , pra
tiquoient tout ce dont je viens de
vous entretenir , mettant toute leur
application à s'endurcir le corps à la
fatigue, & à ſe mettre le coeur au
deſſus de la crainte & du péril : De
là vient que Céſar, Aléxandre & tous
ces autres grands Princes , fe trou
voient en perſonne les armes à la main
dans les prémiers rangs , mettoient
même pied à terre quoi que chargez
d'armes ; & fi quelques- uns avoient
le malheur de perdre leurs Etats , ils
nevouloient pas ſurvivre à cette in
famie .
450
famie .
DE L'ART DE LA
Ainſi leur vie &
leur mort
étoient toûjours glorieuſes : Car en
core que quelques uns d'entr'eux
puiſſent étre accuſez de trop d'am
bition , au moins ne pourra -on pas
leur reprocher aucune molleffe , ni
de s'étre jettez dans les plaiſirs qui
rendent les hommes delicats & efté .
minez .
Si nos Princes liſoient & é
toient perſuadez de tout cela , il fe
roit impoſſible qu'ils ne changeaſient
pas leur train de vie , & que leurs
Peuples par conſéquent ne forciffent
deleurs miſeres. Mais parce quedés
le commencement de ces diſcours,
vous vous étes plaints de vos Milices
Réglées , je vous dirai que ſi vous les
avez miſes ſur le pied que je viens
de vous marquer , & que vous n'en
aiez pas eu de ſatisfaction , vous a
vez juſte ſujet de vous en plaindre;
Mais ſi elles ne font pas formées &
exercées , comme nous avons dit ,
c'eſt à elles à fe plaindre de vous,
qui n'avez fait qu'un avorton , au
- lieu
GUERRE, Liv.VII .
451
lieu d'une production parfaite. Les
Venitiens aulli, & le Duc de Ferrare
avoient commencé ce bon établiſſe .
ment , fans avoir le courage de le
pouſer juſqu'au bout ; mais c'eſt
leur faute , & non pas celle de leurs
gens. Pour moi , je ſoutiensque le
prémier Prince d'Italie qui pratique
ra cette mécode , fera en état plus
qu'aucune autre Puiſſancede conqué.
rir les autres Etats ; & il arriyera- au
ſien , ce qui arriva au Roiaume de
Macédoine, lorſqu'il comba entre les
mains de Philippe , qui avoit ſi bien
appris le Métier des Armes ſous la
conduitte d'Epaminondas Général des
Thébains ; que pendant que tout le
reſte de la Gréce croupiſſoit dans l'oi.
ſiveté , paſſant fon cems à aller à la
Comédie , ce Monarque devint par
cette belle Diſcipline, ſi puiſſant qu'en
peu de tems il ſoll mit tout ce beau
Pais , & ouvrit le chemin de la Con
quête de l'Univers , à ſon Fils Alé
xandre le Grand .
Tous ceux dont
qui
452
DE L'ART DE LA
qui négligeront ces avis & ces re.
marques que je vous donne , mar
queront avoir peu de foin des Etats
qui ſeront confiez à leur conduite.
Pour moi , je me plains de la Naru
re , laquelle ne devoit pas me don
ner tant de connoiſſance
fans me
donner en même tems les moiens de
la mettre en uſage. Je ne penſe pas
même étant déja vieux , en pouvoir
jamais trouver l'occaſion , ainſi je
vous ai volontiers communiqué mes
penſées là -deſſus , parce que comme
vous étes jeunes & qualifiez , ſi vous
les approuvez , vous pourrez dans .
l'occaſion , les propoſer & les con
feiller à vos Princes : Ern'aiez point
‫و‬
d'appréhenſion que cette conjonctu
re favorable ne naiſſe pas un jour ;
car même il me ſemble que ces Pais
ici font deitinez à faire revivre les
cholis mortes , comme cela a paru à
l'égard de la Poéſie , de la Peinture ,
& de la Sculpture. Pour ce qui me
regarde , je ne me flatte pas de voir
ces ,
GUERRE, Liv.VII.
453
ces tems bien - heureux , vû l'âge ou
je ſuis: Mais ſi la Fortune m'avoit
donné un Etat aſſez grand pour for
mer une telle entrepriſe , j'aurois af
ſurément fait voir à toute la Terre ,
combien l'ordre ancien eſt préféra
ble à celui d'aujourd'hui, & j'aurois
par là conquis les Etats de mes En
nemis avec gloireIN , ou perdu le mien
ſans honte .
LYON
F
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N.
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