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TRADUCTION NOUVELLE. A AMSTERDAM , Chez HENRI DESBORDES, dans laKalver-Straat , prés le Dam , M. DC. XCIII, 7 PREFACE DE NICOLAS MACHIAVEL, Sur le Livre DE L'ART DE LA GUERRE ; Adreſsé à LAURENT STROZZI Gentilhomme Florentin . Ien des gens ſont per BI qui ſoit fi oppoſé, que ſuadez qu'il n'y a rien la Vie Militaire & la Vie Cia * 3 vile, PREFACE vile . C'eſt pour cela que nous voions tous les jours , qu'un homme qui prend le parti des Armes , commence d'abord à changer d'habits , de maniéres , de mours, & de langage même ; ne gardant rien qui ait l'appa rence de la premiére vie : Car un homme qui veut étre diſpo lé à exécuter prontement quel que expédition vigoureuſe , ne croit pouvoir le faire aiſément, dans un habit de Ville : Et il ne faut pas eſpérer de trouver de la politeſſe & des maniéres honnêtes ) chez des gens qui croient que cela ne convient qu'à des efféminez , & qu'il n'y a rien de plus diſproportionné à la Valeur ; Ainſi n'attendez pas DE L'AUTEUR. pas un extérieur & des diſcours ordinaires, de la part d'un home me qui croit , qu'il doit épou vanter tout le monde avec ſa barbe & ſes blaſphêmes : C'eſt donc, cette conduite qui perſua de qu’un Soldat eſt extreme ment different d'un autre hom me . Mais ſi nous tournons les yeux du côté des Anciens , nous trouverons que ces conditions font extrêmement liées entr'el les par mille rapports ; & que par conſequent , ceux qui font engagez dans ces différentes maniéres de vivre , doivent ê tre fort unis entr'eux : Car tous les Arts qu'on a introduits dans la Societé , pour le bien public ; tous les Ordres établis * pour PREFACE pour maintenir le Service de Dieu , & la foûmiſſion aux Loix, feroient des choſes entiérement inutiles, fi la République étoit ſans défenſe : Et quand les Armes ſont en bon état , ela les peuvent même tenir en fu reté un Peuple , dont les au tres Loix ne feroient pas d'ail Au Con leurs fort bonnes . traire ) les meilleurs Régle mens du monde ne tardent guére à être renverſez , s'ils ne ſont pas ſolltenus , comme il faut , par la force des Ar mes : A peu prés ; comme les Appartemens d'un ſuper be Palais , quand ils ſeroicnt enrichis d’or & de pierreries , ne laiſſeroient pas de périr en рец . DE L'41UTEUR. peu de temps , ſi rien ne les tenoit à couvert de la pluie , & de toutes les injures de l'air. Si donc , dans tous les autres Ordres qui compoſent un E. tat, les Anciens ont cherché avec beaucoup de ſoin , tous les moiens imaginables pour retenir les hommes dans les devoirs de la fidelité , de l'amour de la Paix , & du reſpect pour les choſes Sacrées ; ils redoubloient leurs ſoins , pour que leursGuer riers furpaſſaſſent le reſte des hommes dans ces bonnes difpo fitions. En effet , de qui une République doit-elle exiger ane fidelité plus incorruptible , que de la part d'un homme qui lui jure de nourir pour elle ? Quel ** 5 lc PREFACE les ſortes de gens doivent davan-. tage aimer la Paix , que ceux qui ſont ſi expoſez en tems de Guerre ? Enfin , qui eſt-ce qui doit reſpecter & aimer la Divi nité , ſi ce n'eſt celui qui ſe trou . vant tous les jours en mille ha zards , a plus de beſoin de la protection Celeſte, que les autres hommes . Les Legiſlateurs & les Generaux d'Armées s'appli quans à la conſideration de cet te neceſſité , où les Gens de Guerre ſe trouvent , de s'attirer autant qu'ils peuvent , la faveur Divine , ils ont fait en ſorte que la vie des Soldats fût en édifica tion aux Peuples , & leur pût ſervir de modéle pour régler leur Mais la Diſcipline conduite . Mili 2 DE L'AUTEUR. Militaire êtant tombée dans la derniére corruption , & êtant devenue comme l'Antipode de celle des Anciens ; la profeſſion des Armes n'eſt plus que l'objet de l'averſion des honnêtes gens , qui fuient ceux qui y ſont enga gez , comme des gens indignes d'avoir part à la Societé, & au commerce des autres hommes. Cependant aprés une grande le cture, & un véritable examen de la choſe , je ſuis perfuadé qu'il n'eſt pas impoſſible de r’amener l'uſage des Anciens ; & de faire revivre dans le cour de nos gens , quelques mouvements de la Valeur de nos Ancêtres : C'eſt ce qui m'a fait réſoudre d'écrire ſur l'Art de la Guerre ; 6 afin PREF.4.0 E afin de ſatisfaire ceux qui aiment les grandes Actions des · An ciens & ;زafin de ne paſſer pas dans une continuelle oiſiveté , le repos dont je joüis à préſent. Et bien que ce ſoit un deſſein hardi ; d'écrire ſur une matiére que perſonne n'a traittée de pro pos déliberé ; je ne croi pour tant pas , qu'il ſoit blâmable de prévenir les gens par un ſimple diſcours , pendant que d'autres ont eu la témérité de le faire par leurs actions : Car les fau . tes que je peux commettre dans fexécution de ce Projet , peu vent bien être rectifiées, fans faire tort à perſonne. Mais dans la Prattique & đans les Exécu cions Militaires , ſi l'on ſe trom pe , DE L'AUTEUR pe , ce ne peut êtrequ'au préa. judice d'un Etat. Vous donc, MONSIEUR , aprés avoir examiné cét Ouvrage , aiez la bonté d'en déclarer la juſte va .. leur ; car je vous le conſacre, afin de vous donner des mar ques publiques de ma reconnoiſ fance , quoi qu'il ne ſoit pas en mon pouvoir de m'acquiter de ce que je vous dois : Et afin de ſatisfaire aux juſtes devoirs , dont on honore ceux qui ſe di. ſtinguent par leur naiſſance leurs richeſſes , leur eſprit , & leurs largeſles. Je ſai que vous avez peu d'égaux en opulence , & en qualité ; que le nombre de ceux qui vous égalent du cô té de l'eſprit eſt encore plus pe tit ; PREFACE, ETC. , tit ; & que perſonne n'approche de vous à l'égard de la libéra lité. AVIS 2 AVIS DU TRADUCTEUR: Voi que la manière de faire la Guerre foit ex trémement différente au jourd'hui, de celle qui e toit en uſage du tems de l'Auteur ر fon Livre ne laiſe pas d'être d'u ne trés - grande utilité : Préa miérement , parce qu'un Génie du premier ordre ne peut rien produire qui ne porte fon caractére ; Que ! . d'ailleurs , il y a des Principes géa néraux qui sont de tous les tems ; Et qu'enfin , outre le plaiſir de voir la AVIS DU ' la différence des tems , cette oppofi tion peut donner d'utiles ouvertures aux habiles Gens , 65 particuliére ment à ceux qui s'appliquent au Mé tier des Armes. Il y a encore dans cét Ouvrage , un grand nombre de Réfléxions", qui plairont ſans doute beaucoup aux Connoiſſeurs : Et ſur la fin du Second Livre , l' Auteur fait une eſpèce d'Epiſode , dans la quelle il traitte en habile Homme des Cauſes qui font la rareté , ou la quantité des Grands Capitai Hes. Dans cette Traduction , j'ai au tant que j'ai pú , accommodé les termes de l' Auteur aux nótres 2 Sans changer la penſée. Par exem ple , il appelle Batailles , ce que nous appellons Bataillons : Et au contraire, il appelle Bataillons , ce que nous appellons Régiments : Mais il faut ſavoir qu'il régle ces fortes de Corps , qu'il appelle Ba TRADUCTEUR . Bataillons , ou Groſſes Batailles , Sur le pied des Légions Romaines , 1 î 1 & qui étoient d'environ fix mille hom mes , entre leſquels il y avoit trois cents Chevaux ; ce qui n'eſt pas de l'uſage de nos Régiments d'au jourd'hui, qui ne ſontcompoſez que d'une forte de Milices 6 dont le nombre n'eſt point fixe, comme é toit celui des Légions. 1 . Cependant j'ai gardé les noms an ciens des choſes dont nous n'avons pliis. l'üjäge : Teleſt le terme d'E. S 9 cuiers , pour fignifier des Soldats qui portent un Ecu , ou un Bou clier ; 6 le mot de Vélites , quiſi gnifioient des Fantaſſins armez à la légere , & qui ne gardoient point de rang dans le Combat. J'ai encore exprimé par le terme de Caporal 2 celui de Chef de Dixaine de l'Au . teur : Quand il l'applique à la Cavalerie , je l'explique par le mot de Brigadier. Je me fers auſſi die ter' . AVIS DU terme de Muſique Militaire , quoi gute ce ne ſoit pas côtre maniére de parler ; mais je n'ai pu en trouver une plus propre, pour exprimer tout ce que l' Auteur entend par celui de Son , qui comprend les Tambours, les Fifres, les Trompettes, & c. A l'égard des noms des. Pais , je les ai laiſez comme ils étoient dans mon Original , ainſi je n'ai point changé le Péloponeſe en Morée ; ni 1 les Illyriens en Eſclayons : je ſuis meme alla politicus loin que Machiavel ſur cet article ; Car il appelle du nom de François les anciens Gau. lois ; juſqu'à ceux qui habitoient ceta te partie de l'Italie , qu'on appelle aujourd'hui la Lombardie : Coma ii eſt le ſeul qui en ait ujé de cette maniere, j'ai crit être en droit de pouvoir redonner l'ancien nom , à des gens qui ne me paroiſoient pas devoir être mis ſi fortà la Mode. 1 Fe 2 1 TRADUCTEUR . Je n'ai point voulu non plus, em ploier quelques mots & quelques phraſes Latine's , qui sont dans le 3 Texte Italien ; comme Tergiductor: 4 ) V Aggredi Urbem Coronâ , & c. cela déplait trop en nôtre Langue , qui ne tolére aucune licence', pendant que des Langues Etrangeres ont une indulgence charmante pour leurs Au teurs, qui ont le privilége de placer les mots au commencement ou à la fin de la période, comme il leur plaſt; de faire des parentheſes ; de donner, ji bonleur jembie , des tours équivo ques ; d'emploier de vieux mots , quand même ils ſeroient inintelligis bles ; de repéter , tant qu'ils veulent, les mémes termes ; 6 deprendre en fin , toutes les commoditez qu'ils ju gent à propos , ſoit en vers , foit en proſé. Ce ſont là des prérogatives dont les Frunçois ne jouiſſentpoint : Et un homme qui écriroit les meilleu res choſes du monde en nótre Langue, dans í AVIS DU daus un ſtile auſſi antique ; que celui de Bocace & de Petrarque , par és xemple , ilſe rendroit auſſi ridicule , que s'il alloit à la Cour avec une Fraize , une grande Barbe , & un Chapeau pointu : . Cependant tous les Italiens admirent encore aujour d'hui, ces deux anciens Auteurs , quoi qu'ils n'en entendent plus le langa ge. J'ai encore à avertir le Lecteur, que le terme de Braccio ſi fréquent dans l’Original , eſt une meſure de donne niedo do Da pieds de Rui , ou environ siteja. à dire , de 2 4.pouces : chaque pou ce contient douze lignes , qui font chacune de la largeur d'un graind'or ge , à peu prés. Par la Toife , j'entens une meſure de lix pieds. J'appelle ſouvent cette meſure de deux pieds ,un pas , ceux que l'on fait d'ordinaire étans de cette étenduë. Al'égard du terme de Claſſe des an. ciens Romains, il ne veut dire autre chole TRADUCTEUR . chofe,que des Compagnies Réglées.com poſées de ceux qui étoient capables de porter les Armes, & qu'on exerçoit à cela .On ſeſert aujourd'hui dece terme en France , pour ſignifier les Compa gnies de Matelots qu'onéléve & qu'on engage à ſervir ſur les Flottes du Roi de France ,quandil lui plaît. Leterme de Ciftre ,ſignifie une eſpécede Harpe. Ces mots deCréneaux 6 Venteaux, & ce qu'ilsſignifient , nefont plus en uſage à préſent : L'expérience de la violencedu Canon a faitſuccéder à cet sfage , celui des Embraſures & des Gabions. Cette même expérience eft cauſeauſſiqu'on ne ſe fert plus de mille machinesd'Arbalètes, & c.que j'aicrú, par conſéquent , nedevoirni nommerni expliquer, comme étant abſolument inutiles aujourd'hui. Enfin , la Phalange qu'on appel loit Macédonienne , étoit un gros Bataillon quarré , armé de Piques & de Boucliers , dont l'Ordonnance étoitfort preſée : il contenoit d'ordis naire buit mille hommes. NI estea au CONOSC.com fost Word NICOLAS MACHI AVEL A U L E C T E U R Our bien entendre l'Ordon nance d'une Bataille , celle d'u . ne Armée , & la maniére de Cam per , je croi qu'il eſt néceſſaire de vous en donner des deſſeins' & des Plans , qui ſe rapportent aux en droits , où il en eſt parlé. Mais, devant que d'aller plus avant , il eſt à propos de vous marquer ici, les différents caractéres avec lef. quels je déſigne les Fantaſlins , les Cavaliers , & toutes les autres parties, qui compoſent un Corps d'Armée. Ex Explication des Caractéres des F 0. d. e. I G U R E S. Repréſente les Ecuiers. Les Piquiers Ordinaires. Les Piquiers Extraordinairesa Les Caporaux des Ecuiers. * Les Caporaux desPiquiers. r. Les Vélites Ordinaires. Les Vélites. Extraordinaires. t. C. Les Capitaines d'un Bataillon. B. Le Commandant d'un Bataillon : P. Le Colonel , ou Commandant d'un G. Le Général de l'Armée. Régiment. Z. Les Enſeignes. Le Son, ou la Muſique Militaire . Les Gendarmes, ou Cavalerie pe Jamment armée. Q. LeursCapitaines. y Les Chevaux Légers. I. Leurs Capitaines. OO . L'Artillerie . Les Figures ſont au nombrede huit. ER E RR AT A. Et Art de la Guerre n'aiant pas été imprime CEC yeux du Traducteur, il s'y eft gliſſé quelques fautes , dont on remarquera ici celles ſeulement, qui peuvent faire torc au ſens. Prémiérement , par tout où on a imprimé, Voiez les Rem . Liſez , Voiez l’Avis. Page 42. ligne 4. La première choſe , lifez , Pré . miérement. Page 112. 1.6 craint de faire , effacez faire. 119. 1. 20. dix , liſez , fix . 156. 1.dern . tout ,liſez , fort, 189. 1. 3. ( Fig . IV .) lifez , (Fig . IV .& -V .) 248. 1. 20. ſans que , liſez , lans doute que, 279. 1.17. autresquime , liſez , aucrcs Enſei gnes qui me. 288. 1. 19. (Fig . V.) lifez , ( Fig.VII .) 326. 1.17 . (Fig .VI.) lifez , (Fig .VIII ) DE S DE L'ART DE LA GUERRE LY3 LIVRE PREMIER . Tant perſuadé qu'aprés la mort , on peut donner des louanges à qui l'on veut , faós encourir de bla.. me , parce qu'il ne reſte plus au cun ſoupçon de flaterie : je ne fe rai point de difficulté de dire du bien de Coſme Rucellai , que je ne peux jamais nommer ſans verfer des larmes ; l'aiant toûjours connu par А fair DE L'ART DE LA fait Ami& bon Cicoien. Car pour ſes Amis , il eût tout facrifié juſqu'à fa propre vie : & pour ſa Patrie , il n'eſt point d'entrepriſe ſi hardie qui eúr pû l'étonner , pouryû qu'il vît qu'il s'agiſſoit du bien de l'Etat. J'avouë qu'entre tant de grands Hommes que j'ai connus & fréquen tez , je n'en ai jamais trouvé aucun dont le coeur fût plus porté que le ſien , aux grandes actions & à la vé ritable gloire. Toute la plainte que cer illuſtre Ami fit en mourant , fut d'écre né pour mourir jeune, dans ſa propre maiſon ſans gloire, & fans a voir pû ſervir perſonne comme il l'eût bien ſouhaitté : Car ilcroioic qu'on ne pouvoit dire autre cho ſe , ſinon qu'on perdoit en lui un bon Ami. Cela n'empêche pas que nous , ou d'autres qui le connoiſ ſoient comme nous ne puiſſions rendre témoignage de les bonnes qualitez , puiſque les actions ne par lent pas. La Fortune ne lui fut ce pendant pas toûjours fi contraire qu'il GUERRE , Liv . I. : 3 qu'il n'eût l'occaſion de laiſſer quel ques marques de la délicateſſe de 3 - fon génie ; comme cela paroit par quelques ouvrages & quelques poé fies dont l'Amour faifoit le ſujet. Il s'exerçoit à cela dans ſa premiére S jeuneffe , quoi qu'il ne fûc point amoureux ; c'étoit ſeulement pour 1 n'étre pas oiſif & en attendant que la Fortune le mie en chemin de fai. 2 Ć 1 ] 5 re de plus grandes choſes. L'on peut connoitre par ces ouyrages com bien heureuſement il exprimoit ſes penſées , & quelle réputation il au roit aquiſe dans la Poéſie , s'il l'eût 1. regardée comme la fin de ſes tra vaux . Ne poſſédant donc plus ,par nôtre malheur un Ami d'un di grand mérite ; il me ſemble que nous ne pouvons pas mieux faire pour adoucir notre ennui, que de nous en rafraichir ſouvent la mémoire ; & de faire une recherche de tout ce qu'il a dit de plus ſpirituel , & des ma tiéres qu'il a tra trées avec le plus d'eſprit & de jugement. A 2 Et 4 DE L'ART DE LA Et parce qu'il n'ya rien de plus récent de lui que la converſation qu'il cut avec le Seigneur Fabrice Colonne , dans laquelle ce Prince fit un long diſcours ſur les matiéres de la Guerre , nôtre Ami lui faiſant di verſes queſtions ſpirituelles & qui marquoient beaucoup de pénétra tion ; j'ai jugé à propos de mettre ce diſcours par écrit , aiant été moi même de cet entretien avec quel. ques- uns de nos Amis , afin qu'en le liſant , ces Amis , qui étoient pré ſens, remettent dans leur eſprit l'i dée des belles qualitez du Défunt ; & que ceux qui n'y étoient pas , aient en partie du regret de ne s'y étre pas trouvez ; & en partie ap prennent mille belles choſes, non -ſeu lement avantageuſes pour la vie Mi. litaire , mais auſli fort utiles pour la vie Civile : & qui ont été traittées avec beaucoup d'intelligence , par un Prince" trés prudent & trés-expéri menté . Je dis donc que le Seigneur Fa. brice GUERRE , Liv. I. 5 brice Colonne revenant de Lombar die , où il avoit long-tems & glo rieuſement fait la Guerre pour le Roi Catholique , réſolut en paſſant par Florence , de ſe délaffer quelques jours dans cette Ville pour viſiter le Grand Duc. , & rénouveller con noiſſance avec quelques Cavaliers dont il avoit receu autrefois des mar ques d'amitié. Ce fut alors que no tre défunt Ami fit la réſolution de le régaler dans ſon jardio ; non pas tant pour fatisfaire ſon humeur bien faiſante , que pour avoir l'occaſion de s'entretenir long - tems avec ce í Seigneur ; & par conſéquent d'ap 1 prendre de lui mille chofes qu'on peut raiſonnablement attendre d'un ſi grand Homme ; jugeant qu'il ne . 1 pouvoit pas trouver une occaſion plus favorable , pour parler à fond des choſes qui étoient le plus de ſon goût. Le Seigneur Colonne vint ſe: lon le ſouhait de Mr. Rucellai , qui le receut avec quelques-uns de ſes meilleurs Amis , entre leſquels ſe A 3 trou . 6 DE L'ART DE LA trouyérent Meflicurs Zanobe Bon delmonte , Batiſte della Palla , 6 Louis Alamanni , tous jeunes Cava liers chéris de lui , & aiant les mê . : mes - inclinacions : mais parce que leurs bonnes qualitez font l'entretien de tous les honnêtes gens , je me dil penferai d'en parler ici. Le Seigneur Colonne receut là toutes les marques d'honneur & de reſpect qu'il pouvoit attendre & du lieu & du tems . Mais aprés que le feftin fut fini , ce qui ſe fait d'ordi. naire promtement chez lis grands Hommes , qui ne rempliſſent pref que jamais leur efprit que de choſes dignes d'eux-mêmes ; Mr. Rucellai trouva à propis, pour éviter la cha leur , de menir la Compagnie dans · l'endroit le plus ombragé & le plus frais de fon jardin ", où tous s'étans rendus , les uns s'aſlircnt fur l'herbe, qui eſt fort fraiche en ce lieu -là , les autres fur des ſiéges placez à l'om bre de tres grands arbres. Le Seie i gneur Colonne fit l'éloge du lieu , & GUERRE , Liv. I. 7 & s'attachant à conſidérer les arbres, il demeura un peu en ſuſpens , par ce qu'il y en avoit qu'il ne connoif foit pas : Dont Mr. Rucellai s'é. e tant apperçû , lui dit , peut étre ne n connoiſſez -vous pas tous ces arbres ici ; mais ne vous en étonnez pas, puiſqu'il y en a quelques unsqui 1 e e S S S S j ont été plus recherchez chez les Anciens que parmi nous : & aprés lui avoir dit le nom , & comment ſon grand Pére s'étoit attaché à les cul. tiver , le Seigneur Colonne repli qua ; Jeme figurois bien qu'il fa loit que les choſes fuſſent comme vous dites , parce que le lieu & les arbres m'ont fait ſouvenir de certains Princes du Royaume de Naples qui ont auſſi de l'inclination pour ſe don ner de ces ſortes d'ombrages: En ſuite s'étant un peu arrêté là-deſſus, & demeuré quelque tcms comme en ſuſpens , il ajoûta , Si je croiois n'offenſer perſonne , j'en dirois mon avis : mais je ne dois pas avoir cer te appréhenſion avec des Amis ; ſur A 4 tout 8 DE L'ART DE LA tout aiant plûtôt deſſein d'éxaminer les choſes que de les blâmer. O que ces gens là ( ce qui ſoit dit fans offenſer perſonne ) auroient bien mieux fait de tâcher d'imiter les An ciens dans les choſes difficiles & courageuſes , que dans les délicates & les voluptueuſes ; & dans celles qu'ils faiſoient en plein Soleil , & non pas à l'ombre : & à prendre les belles maniéres de la bonne & de la parfaite Antiquité , & non pas cel les de la fauſſe & de la corrompuë ; parce que fi.tôt que les Romains donnérent dans ces fortes d'inclina tions , ma pauvre Patrie alla en dé. cadence. À quoi Mr. Rucellai ré pondit , ( mais pour éviter le cha grin de répéter fi fouvent , Celui-ci dit , l'autre répondit ; on mettra feu lement le nom des perſonnes fans a joûter autre choſe. Rucellai. Vous avez juſtement entrepris la matiére que je fouhait tois , & je vous prie de parler fans égards , parce que je fuis bien aife auf . GUERRE , Liv. I. 9 auſſi de n'en point avoir à mon tour, en vous faiſant des queſtions ou en répondant ; Et ſi dans l'un ou dans ser 0 ans bien An. qu'un , ce ne fera nullement dans la cates penſée de paroitre homme d'eſprit ou de critiquer ; mais pour apren celles dre de vous la vérité. l'autre je blâme ou je défens quel Colonne. 1,& Et moi je ſerai ravi de omains vous dire tout ce que je ſaurai des choſes que vous me demanderez de la vérité deſquelles je m'en rap porterai à vôtre jugement. Ce le ra quelque choſe d'agréable pour inclina. moi que vous me faſſiez des que are les de la as cela mpuë; en de ſtions ; parce que j'eſpére, autant cellai ré. le cha Celui.ci ettra leu. es fans a apprendre de vous dans vos de mandes , comme vous pourrez ap-. juſteumheanitt prendre de moi dans les réponſes que je vous ferai ; puis que ſouvent une perſonne qui queſtionne avec prudence , fait faire des réflexions, & connoitre bien des choſes qui ne parler fans feroient jamais venuës dans l'Eſprit ſi on n'avoit pas été interrogé. 5 bien aile A 5 e ſo aul. Rucellai. 10 DE L'ART DE LA Rucellai. Je veux reyenir à ce que vous diſiez d'abord ; Quemon grand Pére & vos Princes Napoli tains auroient bien mieux fait d'i miter les Anciens dans les choſes laborieuſes que dans les delicates ; Ec moi je veux défendre la partie où j'ai intérêt , vous laiſſant le ſoin de défendre l'autre. Je ne croi pas que dans ſon temps il y eût un hom me , qui déteftaſt autant que mon grand Pére , cette vie yoluptueule dont vous parlez , & qui eſtimaſt davantage la vie laborieuſe , dont vous faites l'éloge ; Cependant il voioit bien qu'il étoit impoſſible & à lui & à ſes enfans de s'y donner entièrement ; parce qu'il étoit né dans un Siécle fi corrompu , que fi quelqu'un avoit voulu s'éloigner des maniéres ordinaires , il auroit fans doute paſſé pour infame dans l'eſprit de tout le monde : Car un homme , qui en plein midi & au caur de l'Eiré , fe feroit roulé ſur le fable tout nud à la grande chaleur du, GUERRE, Liv. I. II i du Soleil ; Ou un autre , qui comme Diogene , ſe ſeroit au coeur de l'Hiver roulé ſur la neige , au roit fans doute paſſé pour fol. Si aujourd'hui un homme , ſelon l'u fage des Lacédémoniens élevoit 1 ſoir dormir au ſerein , aller nuds 1 S $ t 5 ſes enfans à la Campagne , les fai pieds & nuë tête ; وfe baigner dans l'eau froide ; pour les accoûtumer à fupporter la fatigue , & pour leur diminuer l'amour de la vie , & la crainte de la mort . , on ſe moque . roit ſans doute de cet homme , & on le regarderoit plûrôt comme une bêre féroce : que comme une créa ture douée de raiſon . Si l'on en voioit un autre ne vivre que de lé gumes , & mépriſer l'or comme fai loir Fabrice ; peu de gens en fe roient étae , & nul ne l'imiteroit . Ainſi mon grand Pére étant épouvan té de la maniére de vivre de ces Siée cles ;ſe vitpourtant obligé d'abandon . ner celle des Anciens , ſe contentant A 6 d'in DE L'ART DE LA d'imiter l'Antiquité dans les choſes où il pourroit le faire avec moins d'é. IZ clar. Colonne. Vous l'avez vivement dé . fendu à cet égard , & en vérité ce que yous dites eſt véritable ; maisje n'en tendois pas tant parler de ces manié . res de vivre dures & difficiles , com me d'autres plus douces , qui ont plus de rapport aux maniéres d'aut jourd'hui , & que je croi que les plus conſidérables perſonnes d'un E tat pourroient fort bien ſupporter. Pour moi , il n'y a point d'exemple qui puiſſe me faire abandonner mes chers anciens Romains : Sil'on con fidéroit bien leur vie & l'ordre de leur République , on y verroit bien des choſes qu'il ſeroit facile d'intro duire dans un Etat qui ne ſeroit pas tout à fait corrompu . Rucellai. Quelles ſont les choſes qui ont du rapport aux Anciens , que vous voudriez ramener aujour dºhui ? Colonne. GUERRE , Liv. I. 13 Colonne. Refpe &ter & récompen ofes d'éc ſer le Mérite ; ne point méprifer la Pauvreté ; faire état de la maniére t dé. & des Ordonnances de la Diſcipline eque n'en. janié. Militaire ; obliger les Concitoiensà s'entr'aimer ; à vivre ſans Factions ; à préférer le bien Public au Parti. ui ont culier , & autres choſes de cette na ture , qu'on pourroit aifément ac s d'au commoder aux tems préſens . Ec que les ces maniéres là ne ſont pas difficiles d'un E. pporter à perſuader , lors qu'on s'y prend -, COM . comme il faut & qu'on y apporte éxemple de l'attention ; parce qu'elles paroif nner mes fent fi conformes à la lumiére natu. l'oncon 'ordre de relle , que l'eſprit le plus commun en eſt trés-capable. Et ceux qui crroit bien le d'intro ſeroit pas établiront ces chofes , planteront des les choſes mes ici . arbres dont l'ombre donnera plus de plaiſir & plus de véritable bonheur , que ceux fous leſquels nous ſom Anciens Rucellai. Je ne veux point répli . cocr aujour quer à tout ce que vous avez dit , mais j'en veux laiſſer faire le juge Colone ment 14 DE L'ART DE LA ment à ceux qui en fonccapables ; & je m'addreſſerai à vous -même qui étes l'Accuſateur de ceux quin'i mitent pas les Anciens dans les bel les & dans les grandes actions , .me figurant que par-là je ſerai plus aiſé mene ſerisfait dans ce que je ſouhai te. Je voudrois donc favoir de vous , d'où vient que d'un coſté, vous blamez tant ceux qui n'imitent pas les Anciens ; & que de l'autre , vous dont la Guerre eſt la profeflion, dans laquellevous avez aquis tant de réputation , n'imitez néanmoins en aucune manière les Anciens dans cet Art ? Colonne. Vous étes juſtement ve. nu où je vous attendois , parce que mon diſcours me devoit attirer cette queſtion, & moi , je ne demandois pas mieux qu'on me la fit. Et quoi que je paſſe fortir de ce pas par u ne défaite aiſee , j'aime poustant micux approtondir la choſe, pour vôtre ſatisfaction & pour la mien ? ne , S u e j GUERRE , Liv. I.' 15 d'autant plus que nous ſom mes fort dans le tems de parler de cette matierę. Les hommes qui entreprennent une choſe , doivent ne emploier tous leurs ſoins , pour ſe trouver bien diſpoſez dans l'occa fion , à ſe bien aquitter de ce qu'ils ont préſuppoſé devoir faire. Et parce que c'eſt ordinairement hors I de la veuë du monde qu'on ſe pré j pare pour ce qu'on veut entrepren dre , on ne peut pas accuſer per ] fonne de négligence , à moins que cela n'ait paru dans l'occaſion ;رoù lors qu'on ne remplit pas ſon de voir , on fait voir , ou que l'on ne sleft.pas préparé autant qu'il étoit néceſſaire , ou même qu'on n'anul. . lement penſé à la choſe. Et parce que je n'ai jamais eu lieu de faire voir, comment je m'étois diſpoſe à remettre la Milice ſur le pied des Anciens.; fi je ne l'y ai pas miſe en effet , il me ſemble que ni vous ni d'autres , n'avez aucun jufte tujer de m'en blâmer. Je croi que cela ſeul 1 16 DE L'ART DE LA ſeul ſuffiroit pour me juſtifier de vô. tre accuſation . Rucellai. Cela ſuffiroit en effet, pourvû que je fuſſe aſſuré que vous n'avez jamais eu les moiens de ré. former les abus que les modernes ont laiſſé gliſſer dans la Difcipline Mili. taire. Colonne. Mais parce que je fai que vous pouvez ignorer ſi l'occa . fion s'eſt préſentée , ou non ; pour vû que vous aiez la patience de m'é. courer je veux vous expliquer comment il faut fe diſpoſer d'abord; en quelle conjoncture il faut qu'on ſe trouvc ; quelles difficultez empê chent que les diſpoſitions ne ſervent de rien , & que l'occaſion ne fe préa ſente pas ; & comment cette choſe tout à la fois eſt fort aiſée & fort difficile à faire , quoi que cela pa roiſe contradictoire. Rucellai. . Ces Meſſieurs & moi ne pouvons rien entendre de plus agréableque tout cela. Et ſi vous ne vous laffez point de parler ; nous ne GUERRE , Liv. I. 17 6. ne nous laſſeronsjamais de vous en tendre. Mais parce que cediſcours el doit étre long , je vous ſuplie au DU nom de mes Amis & de moi , que ré vous ne trouviez pas mauyais ſi nous vous interrompons quelquefois par li quelques queſtions importunes. di Colonne. Je ſerai trés . fatisfait , Monſieur , que vous & ces jeunes Meffieurs me faſſiez des queſtions ; parce que je croi que la jeunefle vous donne plus d'inclination pour ce qui e regarde la Guerre , & plus de défé. di rence à ce que je vous dirai. Il y a 21 - j 5 bien des gens, qui pour avoir les cheveux blancs & le ſang glacé dans les veines , ſont en partie ennemis de la Guerre , & en partic auſſi ils font é incorrigibles , s'imaginant que c'eſt le siécle , & non les mauvaiſes coû. tumes qui font vivre les hommes comme ils vivent. Mais à mon é . gard , demandez moi en aſſurance & fans ſcrupule tout ce que vous voudrez ; ce que je vous prie de fai. re , tant parce que cela me ſervira 18 DE L'ART DE LA un peu à prendre haleine ; que par ce que je ſerai bien aiſe de ne vous laiſſer aucun doute dans l'eſprit. Je veux commencer par ce que vous venez de me dire ; D'où vient que faiſant profeſſion des Armes , je n'i mitois les Anciens en rien ? A qnoi je répons , Que la Guerre érant un Art duquel les hommes ne peuvent pas vivre honnêtement en tout tems; Il n'y a que les Monarchies , ou les Républiques qui en puiſſent faire un métier ; & quand l'un ou l'autre de ces Etats ſera bien gouverné , il ne permettra jamais à fes Sujets d'en faire leur unique profeſſion ; & au cun homme de bien ne peut jamais la regarder comme telle : parce que jamais l'on ne fera conſidéré comme un homme de bien , lors que pour tirer en tout tems du profit d'une choſe , l'on ſera contraint d'étre ra. yifleur , violent , fourbe , & avoir pluſieurs qualitez qui empêchent d'étre honnêre homme. Cependant tous ceux qui ſe font un métier de la GUERRE , Liv. I. 19 ar la Guerre, tant grands que petits , DUS ne peuvent pas faire autrement, par le ce qu'elle n'apporte rien pendant la DUS Paix . Ainfi ils font contraints d'a. que gir , comme ſi on n'éroit point en s'i 701 Paix ; ou de faire ſi bien leur main un en tems de Guerre , qu'ils aient de quoi fubſiſter lors qu'elle eſt termi. ent née. 715 res n'entre point dans l'eſprit d'un les homme de bien : parce que pour un de pouvoir vivre de ce métier en tout tems , il faut dans l'occaſion , piller ne & Pen Amis qu'aux Ennemis ; & pour évi ter la Paix , il n'eſt point de four BU. als L'une & l'autre de ces manié faire mille violences autant aux berie que les Chefs n’imaginent, & que ne faſſent à leurs Supérieurs pour me allonger la Guerre. Si nonobitant QUI 120 cela , la Paix revient ſouvent , il faut que ces Chefs , n'aiant plus ni leurs gages , ni la liberté de vi ne lli vre licentieuſement , arborent en COI fin l'Etendart de la bonne Avantu . DE re de la ſans aucune humanité , ſaccager des & comme des Bandits , aillent Pro zo DE L'ART DE LA Provinces entieres . Ne vous fou . vient - il point du tems que l'Italie étant remplie de Soldats ſans paie , parce que la Guerre étoit finie ; ces gens firent plufieurs Brigades qu'ils appelloient des Compagnies , & al loient rançonnant les Bourgs & les Villages & ravageant la Campagne , fans qu'on y pût apporter de remé de ? N'avez vous point lû que les Soldats Cartaginois , ſous la condui te de Mathon & de Spendius, deux Chefs qu'ils ſe donnérent tumul tuairement , firent aux Cartaginois mêmes , aprés la premiére Guerre qu'ils eurent contre les Romains , une autre Guerre plus dangéreu fe , que celle - là qu'ils venoienc de terminer avec Rome ? Du tems de nos Péres , François Sforce , afin de pouvoir vivre en grand Seigneur en tems de paix , non ſeulementtrompa les Milanois qui le tenoient à leur Solde ; mais il leur ôta aulli la lic berté , & devint leur Souverain . Tous les autres Guerriers d'Italie , qui GUERRE , Liv. I. qui ont fait de la Guerre leur métier, reſſemblent à ce Général : Et s'ils 2 n'ont pas eu l'adreſſe de devenir $ tous comme les Ducs de Milan ; ils es R'en méritent que le blâme, puiſque ſans parvenir à quelque choſe de fi conſidérable . , . tous coux qui liront leurs Vies , verront bien qu'ils n'ont pas eu l'intention plus droite . Stor ce Pere de François contraignit la Reine Jeanne de ſe jetter entre les bras du Roi d'Arragon , l'aiant tout $ d'un coup abandonnée & laiſſée ſans défenſe au milieu de fes Ennemis ; It le tout ſeulement pour ſatisfaire la 51 paſſion qu'il avoit , ou de lui ravir la Couronne , ou du moins d'extor quer d'elle de grands tréſors. Brac cio emploia les mêmes artifices pour en UI lie 22 LUI s'emparer du Roiaume de Naples ; & s'il n'eût été défait & tué auprés d'Aquila , il réufliſſoit dans la tra me qu'il avoit formée. Tous ces déſordres ne venoient que de ce que ces gens-là ne s'étoient jamais pro poſé d'autre métier que celui des Armes DE L'ART DE LA Armes . N'avez- vous pas ici un Proyer . 22 be qui fortifie ma penſée : Carvous dites La Guerre fait les Voleurs , mais la Paix les fait pendre , parce qu'ils ne peuvent pas gagner leur vie à un autre Emploi, & qu'ils ne trou vent perſonne qui les faffe fubGfter dans celui qu'ils ont choifi. D'ail leurs , n'aiant pas aſſez de vertu pour ſe réduire à une honnête ſervitude , la néceſſité les contraint de violer les Loix , & ceux qui ſont établis pour les maintenir , contraints de punir ceux qui les violent . Rucellai. Vous nous mettez bien bas cette profeſſion des Armes : Et moi , je me l'étois figurée comme la plus noble & la plus excellente qui fût au monde , en ſorte que je ne peux pas étre content ſi vous ne la relevez davantage ; parce que fice que vous dites eſt vrai , je ne ſai pas ſur quel fondement on publiera tant la gloire des Céſars , des Pompées, des Sçipions , des Marcellus & de tant d'autres Capitaines Romains , dont GUERRE , Liv. I. 23 . dont on parle comme d'autant de S Divinitez . 9 Colonne. Je n'ai pas encore ache = vé de dire tout ce que j'ai propoſé d'abord , qui ſont deux choſes ; l'u ne , Qu'un homine de bien ne peut 1 r pas s'attacherà cette profeſſion com me à fon unique métier ;رl'autre , Qu'une République , ou une Mo narchie bien gouvernée , n'a jamais 11 permis que les Sujets s'y appliquaſ.. fent comme à leur ſeule profeſion. Sur le premier article , j'ai dir tout ce que j'avois à dire. Reſte à par ler du ſecond, où je répons à vôtre 1 derniere queſtion , en vous diſant ; $ Que Céſar , Pompée , & preſque 1 tous ces autres Capitaines qui fu rent à Rome aprés la dernièreGuer re de Cartage , aquirent de la ré 5 bien , mais comme des gens d'une 1 e putation , non comme des gens de t grande valeur : Et ceux qui a voient vécu avant eux , aquirent la e gloire non · ſeulement de grands Guerriers , mais auſſi de gens de pro 24 DE L'ART DE LA probité. Et cela n'eſt venu que de ce que ceux- ci ne s'attachérent pas à la Guerre comme à leur propre métier, au contraire des autres qui la regardérent comme telle. Et tant que la République ne ſe trouva point dans la corruption , jamais on ne vit aucun de ſes Citoiens , quelque puiſ ſant qu'il fût , ſe prévaloir de la fien . ce de la Guerre au milieu de la Paix ; en violant les Loix ; pillant les Pro vinces ; tiranniſant l'Etat ; en un mot ſe prévalant de la force ; & jamais les petites gens n'eurent la penlée de violèr leur Serment , en ſuivant la Révolte de quelques Particuliers ; en mépriſant les Ordres du Sénat ; ou en faiſant des violences , pour pouvoir vivre en tout tems du mé tier de la Guerre. Mais les Chefs ſc contentant de l'honneur du Triom. fe , recommençoient avec joie à vi. yre en particuliers ; leurs inférieurs quittoient les Armes plus volontiers qu'ils ne les avoient priſes ; & cha. cun retournoit à ſon occupation or dipaire , GUERRE , Liv. I. 5 de t 1 25 dinaire ; ainſi jamais on n'en vit au cun qui ſe proposât de ſubſiſter tou. te ſa vie, & de guerre & de pillage. L'on yit une preuve claire de cela dans la perſonne de Regulus , le quel Commandant les Armès Ro. inaines en Affrique, & aiant preſque ſoûmis les Cartaginois , demanda au Sénat la.permiſſion de retourner chez lui, pourrétablir fes héritages , que les ouvriers avoient gâtez. D'où il paroit plus clair que le jour, que ſi IS . e ce Capitaine avoit regardé la Guer re comme ſon métier , il auroit per a ſé à y faire la maiſon : & pouyant ; piller tant de riches Pais , il n'au. roit pas demandé congé d'aller con ſerver ſes héritages ; aiant pû en un feul jour gagner beaucoup plus qu'ils ne yaloient. Mais parce que les honnêtes gens , qui ne regardent point la Guerre comme leur métier, $ S n'en veulent tirer autre avantage que la fatigue , les périls & la gloiie; lorſqu'ils s'en voient comblez , ils demandent avec inſtance de retour B ner 26 DE L'ART DE LA ner chez eux , & de vivre commeils vivoient auparavant. Pour ce qui eſt maintenant des ſimples Soldats; il eſt clair qu'ils gardoient la même conduite , quittant cet éxercice avec joie : Car quand ils n'étoient poiņt fous les Armes , ils prenoient Parti volontiers ; & lorſqu'ils étoient en gagez , ils ne demandoient pas mieux que d'avoir leur Congé. L'on voit bien des preuves de ceci ; & ſur tout, fi l'on remarque, qu'entre les prin cipaux priviléges , que le Peuple Romain accordoit à ceux à qui il donnoit le droit de Bourgeoiſie , ce lui- ci tenoit un des premiers rangs , Qu'ils n'iroient point à la Guerre contre leur volonté. Romé donc , pendant qu'elle fut bien gouvernée , [ ce qui dura juſqu'au tems des Grac ques ] n'eut aucun Soldat qui fit de la Guerre fon métier ; & c'eſt pour cela qu'elle en avoit ſi peu de fri pons , qui de plus , étoient ſévére Loix .. Il faut ment chatiez par les les Loix donc qu'un Etat bien gouverné, en tems t Le 11 GUERRE , Liv. I, 27 tems de paix , regarde les Armes comme un éxercice ; & qu'en tems de guerre, il les mette en uſage pour ر la néceſſité & pourla gloire , lans permettre que d'autres que le Public regardent comme un véritable métier , & c'eſt ce que Romenea bien Car tout Citoi , qui obſervé : dans cér éxercice fe propoſe une au tre fin , n'eſt pas homme de bien ; & tout Etat , qui fe gouverne autre ment , n'eſt pas bien gouverné. Rucellai. Je ſuis ſatisfait de tout ce que vous avez dit juſqu'à préſent, je trouve fort juſte la concluſion quc vous en avez tirée ; & à l'égard d'u € ne République , je la croivéritable ; mais quand à un Roi, je ne fai pas pourquoi il ne devroit point avoir 2) auprés de lui des gens , qui s'atta ED 23 chaſſent particuliérement au métier des Armes . Colonne. Un Roiaume réglé par de bonnes Loix ; doit encore plus é viter d'avoir de telles gens ; parce qu'eux ſeuls font les Corrupteurs de B 2 leur 28 DE L'ART DE LA leur Roi , & coûjours les Miniſtres de la Tirannie.Et ſur tout ne m'alléguez pointles Monarchies d'aujourd'hui, parceque je yous nierai d'abord qu'el. les ſoient bien gouvernées : Les Ro iaumes bien réglez ne donnent point l'autorité Souveraine à leurs Rois , ſinon dans les Armées ; parce que c'eſt là ſeulement où une pronte dé. libération et néceſſaire ; Et pour cela il faut qu'il n'y ait qu'une ſeu . le autorité : dans les autres affaires, le Roi ne doit rien faire ſans le con . ſentement de l'Etat . C'eſt pour quoi les Sujets ont à craindre qu'il n'y ait auprés de lui des gens , qui en tems de paix , ſouhaitcent la guer re , par la raiſon qu'ils ne pourroient pas ſubfifter fans elle. Mais je ne veux pas étre ſi exact , ni chercher un Royaume dont le Gouvernement foit parfait. Contentons-nous de le préſupoſer ſemblable à ceux que nous voions aujourdui; dans cette diſpo fition même les Rois doivent tenir pour ſuſpects ceux qui n'ont point d'au . I GUERRE , Liv. I. 29 d'autre métier que la Guerre ; parce que le nerf & la force des Armées , c'eſt ſans doute l'Infanterie : De maniére que ſi un Roi ne fait pasen ſorte que ſes Fantafſins en rems de Paix , ſoient contens de retourner chez eux , & de vivre de leur véri. table métier , il faut abfolument qu'il ſe ruine , parce qu'il n'y a point de plus dangereuſe Infanterie que celle qui eſt compoſée de gens , qui re gardent la Guerre comme leur mé tier ; puiſqu'il faut que vous faciez toûjours la Guerre , ou que vous les paiiez toûjours , ou que vous vous mettiez en péril d’érre dépouillé de vôtre autorité par eux : Or il n'eſt [ pas poſſible de faire toàjours la Guer ľ re , encore moins de payer vos Trou pes continuellement : Vous voilà 1 doncen danger d'étre dépoſſédé de yos Etats . Mes chers Romains , comme j'ai dit , pendant qu'ils fu renc gens de bien& fages , ne per mirent jamais à leurs Citoiens de ſe faire de la Guerre un métier , enco . B 3 re 30 DE L'ART DE LA re qu'ils euffent,pů les entretenir en tout tems, parce qu'ils avoient toll jours la Guerre , mais pour éviter les accidents qui auroient pû leur ſurvenir de la continuation d'un cel exercice , puiſque les tems ne chan geoient point , ils changeoient au moins les gens; & diſpoſoient ſi bien les tems de leurs Légions , qu'en quinze ans ils les avoient toutes re nouvellées ; & ainſi ils ne prenoient que des hommes dans la fleur de leur âge , qui eft depuis dix- huit ans juſques à trente-cinq , dans lequel la viteſſe du pied , la vigueur du bras & la vivacité de l'ail répondent fort bien l'un à l'autre ; & ils ſe don noient bien de garde , de leur laiſſer diminuer les forces , & croitre la malice , comme cela arriva depuis dans les tems corrompus ; , Car Au . guſte, & en ſuite Tibére , aiant plus de ſoin d'augmenter & de conſerver leur pouvoir , que de s'attacher au bien public , commencérent à deſar mer le Peuple Romain , pour en é tre GUERRE , Liv ." I. 31 étre plus aiſément Maitres , & à te 7 nir toûjours les mêmes Armées ſur I les Frontiéres de l'Empire : & parce qu'ils crûrent que ce n'étoit pas en r 1 1 core affez que cela , pour tenir le Peuple & le Sénat en bride , ils mi rent fur pied une Armée qu'on ap pelloit les Troupes Prétoriennes , ou les Gardes de l'Empereur, qu'on te noit toûjours prés des murailles de I e US la Ville , & qui en étoit comme la Citadelle pour la commander . En fuite , parce qu'alors , ils commen , cérent à donner pleine liberté à tous 12 ceux qui étoient dans leurs Armées , ES de faire de la Guerre leur métier ; 1 Ces gens devinrent auſſi - tổr info lens , formidables au Sénat , & Mai 1 er 12 S $ tres des Empereurs mêmes , dont pluſieurs furent affaſſinez par les mu tineries de ces Troupes-là , qui don noient & ôtoient l’Empire à qui bon leur ſembloit. Quelquefois même er l'on a vû des tems où il y avoit plu 고 fieurs Empereurs à la fois ; l'un és tant proclamé par une Armée , l'au В 4 tre 32 DE L'ART DE LA tre par une autre . Ces déſordres produiſirent bien- tôt la diviſion de l’Empire , & en fuite ſa ruïne. Les Rois donc , aiant deſſein de vivre en repos de ce côté - là , doivent a voir leur Infanterie compoſée de gens , qui en tems de Guerre , y ail lent volontiers ; & qui plus volon tier encore s'en retournent chez eux en tems de Paix ; ce qui arri vera infailliblement lorſqu'ils n'en rolleront que des gens qui fachent bien yivre d'autre choſe que de la Guerre. Ainſi il eſt à ſouhaitter qu'au retour de la Paix , les Princes reprennent le Gouvernement de leurs Etats ; les Gentilshommes , le ſoin de leurs Terres ; les Soldats retour nent à faire leurs métiers ; & qu'en général , tous faſſent volontiers la Guerre pour avoir la Paix , & ne ſe plaiſent point à troubler la Paix pour avoir la Guerre . Rucellai. Véritablement tout vôtre diſcours me paroit bien ſenſé ; cepen dant commej'ai eu juſqu'à préſent des pen GUERRE , Liv. I. 33 penſées bien différentes,je n'ai pas en core l'eſprit dégagé de toute difficul. té : parce que jevois pluſieurs perſon nes vivre en tems de Paix des fruits de la Guerre , comme ſont les gens de vôtre forte , qui ont des penſions, & des Princes & des Républiques : Je vois outre cela , preſque tous les Sol dars demeurer à la gardedes Places fortes , en ſorte qu'il me ſemble que chacun trouve ſon emploi même en tems de Paix . Colonne. Je ne peux croire que vous ſoiez perſuadé de cette penſée, qu'en tems de paix chacun trouve ſon emploi ; parce que quand même on n'auroit pas d'autre choſe à vous dire , le petit nombre qui reſte à garder les Places dont vous parlez, ſeroit une ré ponſe qui renverſeroit votre objection. Quelle proportion y a -t - il de ř'Infan terie qu'on garde en rems de Paix , à celle qui eſt néceſſaireen tems de guer re ? Car on ſait que les Places qu'on garde en tems de Paix , ont be ſoin de l'étre bien davantage dans B 5 1a 34 DE L'ART DE LA la guerre ; à quoi il faut ajouter le nombre des Soldats qui tiennent la Campagne , qui font 'en 'grande quantité , mais qu'on licentie tous lorſqu'on a la Paix. Touchant ceux qui gardent les Etats , le Pape Jule , & võtre Etat , ont fervi d'exemple à tout le monde , pour faire voir com bien on doit craindre des gens qui ne veulent fe mêler d'autre métier que de celui des Armes ; & à cauſe de leur inſolence , vous avez été contraints de les licentier & de met tre des Suiſſes en leur place , com me étant d'une Nation élevée ſous les Loix ; & étans enrollez par une République dans les formes & felon les bons Réglemens de l'Art Mili taire : Ainſi ne nous dites plus que dans la Paix chacun trouve ſon em pour les Troupes, qui loieffet, . Mais pen demeurent en tems de Paix avec leur folde ordinaire , il eſt vrai que c'eſt une difficulté qui paroit plus forte. Néanmoins en exami Aant bien tout , la réponſe eſt facile, parce GUERRE , Liv. I. 35 parce que cét uſage de conſerver des gens armez en tems de Paix , eſt mau vais & tient du Siécle de la corrup tion : La raiſon de cela , c'eſt que ces gens font de la guerre leur métier $ d'où il naitroir mille inconvéniens -> dans les Etats où ils ſe trouvent , s'ils d étoient en aſſez grand nombre ; mais étant peu de gens , & ne pouvant C feuls former un Corps d'Armée , ils ne ſont pas en état de faire fi fou . TE vent du déſordre ; Cependant ils to en ont fait quelquefois , comme je Et 11 ZS l'ai remarqué de François & de Sfor ce ſon pere , auſſi bien que de Bra . cio de Perouſe : En forte que cette 1. IN coûtume de conſerver des gens ſous 16 les armes , 'ne me plait pas , étant du Siécle de la corruption & ſujecte 7). à de grands inconvénients. Rucellai. Voudriez - vous que l'on JI s'en paſſait tout à fait ? ou en cas qu'on en conſervaſt comment les youdriez -vous tenir ? Colonne. Comme des Troupes les d'Ordonnance , non pas comme cel В B 6 les 36 DE L'ART DE LA les du Roi de France , parce qu'el les ſont dangereuſes & inſolentes au tant que les nôtres; mais comme cel. les des Anciens , qui faiſoient de la Cavalerie de leurs Sujets , & qui en tems de Paix , les renvoioient chez eux vivre de leur métier , comme je le ferai voir plus amplement devant que de finir ce diſcours. Si donc cette ſorte de Troupes , même en tems de Paix ſubſiſte encore de ſon premier é. xercice, c'eſt un déſordre dans le Gou vernement. Or touchant les penſions qu'on nous conſerve à noas autres Gé néraux , je vous dirai que c'eſt encore une fort grande corruption ; parce qu’une République prudemment gouvernée, ne doit donnerde penſions à perſonne, mais elle doit prendre des Généraux entre ſes propres Citoiens; & en tems de Paix leur ordonner de re. tourner à leurs premiers emplois. Un Roi auſli, qui ſera prudent & lage , ne doit point non plus ,donner de pen fions,ſi ce n'eſt pourrécompenſerquel que belle action ,ou pour conſerver un hom GUERRE , Liv. I. 37 homme à ſon ſervice, ſoit en Paix , ſoit en Guerre. Mais parce que vous m'a. vez cité moi-même,je veux bien ſeryir. d'exemple , & je vous dirai que je n'ai jamais fait de la Guerre mon métier , parce quema véritable occupation eſt de bien gouverner mes Sujets , & de les 2 défendre : Enfin pour pouvoir bien les 2 protéger ,j'aime la Paix , & j'ai tâché E de ſavoir faire la Guerre:Et mon Prin . ce ne me conſidére. & ne me récom penſe pas tant pour mon ſavoir faire dans la Guerre , comme pour le con ſeiller en tems de Paix. Un Roi donc t $ 7 2 qui ſe gouverne ſagement, n'entretien dra perſonne auprés de lui , qui ne ſoit de ce caractére ; parce que s'il tient des gens prés de la perſonne qui aiment trop la Paix , ou qui aiment trop la Guerre , lans doute ils lui feront faire des fautes. Suivant mon deffein & tou chant cette matiére je ne peux pas vous dire autre choſe ; & si cela ne vous ſuffit pas , cherchez des gens qui vous contentent mieux . Vous aurez pû connoitre de ceci , quedif. lle 1 38 DE L'ART DE LA difficulté il y a de rétablir l'uſage ancien dans les Guerres, d'aujour d'hui , quels préparatifs un homme prudent doit faire pour cela , & quelles occaſions on peut eſpérer pour les mettre en pratique. Mais fi ce diſcours ne vous ennuie point , il ſera plus aiſé de vous faire con noitre toutes choſes. là dans le dé. tail , en comparant chaque partie des ordres anciens avec les nôtres. Rucellai. Si d'abord nous fouhai. tions de vous entendre, devant que vous euſliez traitté ces matiéres, on peut aſſurer que tout ce que vous en venez de dire , a rédoublé , l'envie que nous en avions déja : C'eſt pour quoi en vous rendant graces de ce que vous nous avez donné juſqu'à préſent , nous vous conjurons de eontinuer à nous inſtruire. Colonne. Puis donc que vous le fouhaitez , je veux commencer à traicter cette matiére dés le commen cement , afin que vous puiſſiez mieux la comprendre ; car par ce moien el le GUERRE , Liv. I. 39 } le pourra s'éclaircir davantage. La 1. fin de celui qui fait la Guerre, eſt & de pouvoir combattre en Campagne toute forte d'ennemis, & de pouvoir er gagner une Bataille. Pour en venir à bout , 'il faut mertre ſur pied une 1, Do Armée ; pour la mettre fur pied , il faut trouver des gens , les armer , les é dreſſer ; les éxercer en petites & en groſſes Troupes , وles loger , & en fuite les oppoſer à l'Ennemi , en al 11 lant au deyant de lui , ou en l'atten ule dant de pied ferme. Voila tout le fecret de la Guerre qui ſe fait en JA 21 pleine Campagne , qui eſt la plus néceſſaire & la plus glorieuſe. Et M ' un homme qui fait bien livrer Ba taille , feroit facilement excuſé dans quelques autres fautesqu'il pourroit Et . j . faire dans cette noble Profeflion : Mais celui qui ignore cette belle partie de l'Art Militaire ne peut jamais eſpérer de conduire une Guer re avec ſuccés , quoi qu'il ait d'ail leurs beaucoup de connoiſſance & de - conduite. Parce que gagnez une Ba . 40 DE L'ART DE LA Bataille , vous effacez par-là toutes les fautes que vous avez faites en d'autres rencontres ; & au contraire ſi vous la perdez, cela éface toutes les belles ac tions que vous aurez faites aupara vant. " Etant donc néceſſaire d'abord de trouver des gens , il faut venir en ſuite au choix qu'on en doit faire , & pour nous ſervir d'un terme plus ho norable & plus approchant de celui des Anciens , nous les appellerons Gens d'Elite . Ceux qui ont établi les Régles de la Guerre, veulent qu'on prenne des gens d'un climat tempé. ré; afin qu'ils aient tout enſemble de la prudence & de la force ; parce qu'un Païs chaud les produit véritablement prudens , maispeu courageux , & un Païs froid les produit au contraire courageux , mais non pas prudents. Ces Régles ſont bonnes pour un Prin ce Maitre du Monde entier , car par là il peut choiſir commeil lui plait ; mais lorſqu'on veut donner une Ré gle, ilfautque chacun la puiſſe mettre en ufage , parce qu'il faut qu'un Etat prea GUERRE , Liv. I. 41 les res EC 14. ord en & Oo ui nas Les prenne desgens de ſon Païs , ſoit qu'il ſoit froid , chaud ou tempéré: Parce qu'on voit par les éxemples des An ciensqu'une bonne Diſcipline faitde bons Soldats de quelque Pais qu'ils foient ; car l'Art ſupléeau défaut dela Nature, qui dans cette occaſion le cé de à l'Art : Et lorſqu'on les choiſit en Pais étranger , cela ne peut plus s'ap peller Gens d'Elite; parce qu'Elite,ſu poſe qu'on a le pouvoir de prendre les meilleurs d'une Province ,& de pou. 00 voir diftinguer entre ceux qui ſont de bonne volonté, & ceux quine le ſont la pas . On ne peut donc faire cette Elite 7기 prendre ceux qu'il vous plait dans un Pais étranger , mais ſeulement ceux 1 qu'on veut bien vous donner . que dans unPais à foi,ne pouvant pas -2 . Rucellai. Cependant de ceux " qui veulent bien venir , on peut I j en prendre , & en laiſſer ; Et par conſéquent , on peut appeller cela l'Elite. Colonne. Vous dites yrai , à le prendre en un ſens ; mais il faut conſi ) 42 DE L'ART DE LA conſidérer les déf, uts auſquels eft fu jecte une telle Eli: e ; parce que bien ſouvent il arrive que ce n'eſt pas une véritable Elite la jremiere choſe c'eſt qu'ils ne ſont pas vos Sujets , & c les Volontaires qui s'enrollent ne font pas les meilleurs d'une Provin ce , au contraire , ce ſont les pires : Parce que s'il y en a de ſcandaleux , de fainéants , de réfractaires , de li bertins , d'échappez de la maiſon paternelle, de blafphémateurs , de joueurs , en un mot de mal élevez ; Ce ſont ceux-là qui veulent aller à la Guerre , & tous ces défauts font une fort méchante Milice. Quand il ſe préſente de cette ſorte de gens plus que vous n'en voulez , رvous pouvez faire un choix ; mais le tout n'en valant rien , il eſt impoſſible d'en faire une bonne Elite. De plus , il arrive ſouvent qu'il ne s'en préſente pas la quantité que vous ſouhaitrez ; ainfi étant contraint de les enroller tous il arrive que cela ne peut plus s'appeller , faire une Elite , GUERRE, Liv. I. 43 Elite , mais ſeulement une Leyée de gens au hazard. " C'eſt avec ce dé ſordre qu'on met des Armées fur pied en Italie & ailleurs , excepté en 8 Allemagne , parce que dans cesautres . Païs on n'y enrolleperſonne par or dre du Prince , mais ſeulement du I I confentement de ceux qui veulent bien ſervir. Penſez donc aprés ce. a la , quelles maniéres des Anciens on G peut introduire dans une Armée com poſée d'un tel amas de gens. I Rucellai. Quelleroute faudroit -il donc prendre ? Colonne. Celle que je vous ai dite; Les prendre d'entre fes Sujets,& par l'autorité du Prince. Rucellai. Pouroit - on introduire l'ancienne Diſcipline parmi des gens ainſi choiſis. Colonne. Vous ne devez pas en douter , pourvû que celui qui les commanderoit fût leur Prince ou un Seigneur ordinaire , aiant le titre de Prince , ou même un Citoien , mais fait Général pour le tems , s'a giſant 44 DE L'ART DE LA giſſant d'une République' , autre ment il eſt difficile de faire quelque chofe de bon . Rucellai. Pourquoi ? Colonne. Je vous le dirai đans fon tems ; pour l'heure qu'il vous fuffi ſe qu'on ne peut pas réuſſir par d'au tres moiens. Rucellai Aiant donc à faire cet te Elite dans ſon propre Pais ; De quel endroit croyez - vous qu'il fût plus à proposde les prendre? Eſt-ce de la Ville , ou de la Campagne ? Colonne. Tous ceux qui ont écrit conviennent , qu'il vaut mieux les prendre de la Campagne , les Paiſans étant des gens endurcis aux incom moditez , élevez dans la fatigue,acoû tumez d'étre au Soleil ; de fuir l'om. bre , de Caveir manier les outils de fer de faire un foſſé , porter un fardeau , & érre fans fineſſe & fans malice. Mais mon avis feroit, que lesTroupesétant compoſées de Cavalerie & d'Infante rie , on prît les Cavaliers dans lesVil. les, & les Fantaſſins à la Campagne . Ra . P 9 N GUERRE , Liv. I. 45 Rucellai. A quelle âge les voudriez. vous enroller ? Colonne. Si j'avois à faire de nou. velles Troupes, je les choiſirois de For puis dix -ſept ans juſqu'à quarante ; f. & quand les Troupes ſeroient déja e formées , je ne ferois des Récruës que de ceux de dix -ſept ans. Rucellai. Je ne comprens pas bien Di cette diſtiction . Colonne. Je vous l'expliquerai. Si ů j'avois à mettre ſur pied des Trou - ? pes dans un Etat où il n'y en auroit point , il faudroit bien que je priſſe les tous ceux qui y ſeroient lesplus pro i pres, pouryû qu'ils fuſſent en âge qu'on pût les dreſſer, comme je di ou rai : Mais lorſque j'aurois à faire - l’Elite dans des lieux , où il yau .. 1 roit deja des Troupes ſur pied ; * Je ne prendrois que des gens de as dix - ſept ans , pour en faire les Réeruës , parce qu'il s'en trouvé. M lle roit aſſez de plus âgez qui ſeroient 1 déja enrollez. Rucellar. Vous voudriez donc met tre 46 DE L'ART DE LA tre les Troupes ſur le pied qu'elles ſont dans nôtre Pais? Colonne, Fort bien : il eſt yrai que je les armerois , je les comman derois , je les éxercerois, & je les or donnerois d'une manière , qui peut étre , ſeroit différente de la vôtre. Rucellai. Vous approuvez donc nos Milices réglées ? Colonne. Pourquoi les blamerois je ? Rucellai. Parce que pluſieurs per ſonnes fages les ont blamées .. Colonne. C'eſt dire une choſe con tradictoire de dire qu'un homme blame des Troupes réglées , il peut bien paſſer pour ſage , mais c'eſt à tort . Rucellai. Lesmauvais ſuccésqu'el . les ont toûjours eu , nous attirérent cette réputation. Colonne. Prenez bien garde que ce ne ſoit votre défaut , & non pas celui de ces Troupes ; ce que vous pourrez appercevoir ayant la fin de ce diſcours . Rucellai. GUERRE, Liv. I. Rucellai. Vous 47 me ferez fort grand plaiſir; Cependant je veux M vous dire les défauts qu'on trouve en elles , afin que vous puiſſiez mieux BE 01 les juſtifier. Voici donc ce qu'ils diſent ; Ou elles ne valent rien , & par conſéquent ſe fiant ſur elles + on perdra l'Etat : Qu elles ſont bon RES , & partant celui qui les com mandera pourra l'uſurper. Et pour cela , ils citent les Romains, qui a Yec leurs propres Troupes , perdi rent la Liberté : Ils alléguent les 2 001 Venitiens , & le Roi de France , en 1 tre leſquels ceux-là ,pour ne pas o béir à un de leurs Concitoiens , fe ſervent de Troupes Etrangeres ; & le Roi a délarmé fes Sujets , afin d'en étre mieux le Maitre. Mais ce qu'ils craignent le plus, c'eſt que ces Trou TE pes réglées ſoient de méchantes que Troupes , dont ils apportent deux raiſons ; L'une , parce qu'elles ſont ſans expérience : Et l'autre , parce OL qu'elles vont à la Guerre par force. Car , diſent - ils , ce n'eſt point des ܃ Grunds 48 DE L'ART DE LA Grands, dont on apprend les choſes , & par la force on nefaitjamais rien de bien . Colonne. Toutes ces raiſons, que vous alléguez , font de gens dont les vûës font courtes , comme je le prouverai clairement. Et premiére ment, pour ce qui regarde leurinu tilité , je vous foûtiens qu'on ne peut avoir de meilleures Troupes que celles du Pais même ; & l'on ne peut pas les établir autrement que de la maniére que nous avons dite. Et parce que cela eſt hors de con teſte , je n'y veux pas perdre beau coup de tems : tous les éxemples de l'Hiſtoire Ancienne faiſant pour nous. Mais pour ce qu'ils alléguent leman que d'expérience, & la contrainte ; je dis , qu'il eſt vrai que le manque d'expérience empêche d'avoir du cæur , & la contrainte fait des mé. contents : mais on leur donne & du cæur & de l'expérience , ſelon la maniére de les armer , de les com mander , & de les éxercer ; comme VOUS GUERRE , Liv. I. SA 49 vous verrez par la ſuite de ce diſ cours . A l'égard de la contrainte , il faut que vous ſachiez , que les gens 16 le 7. qu'on mene à la Guerre par le con mandement du Prince , n'y doivent point étre menez, ni tout à fait par force , ni tout à fait de leur bon gre ; parce que l'entiére liberté d'aller ou CS - de n'aller pas, produiroit les inconvé. niens que j'ai remarquez ci-deſſus: 26 ainſi ce ne ſeroit pas des gens d'Elite ; 10 Zbog & l'on en trouveroit peu qui vouluſ ſent aller : d'autre part une entiére ciin- : trainte produiroit de méchans effets. Il faut donc prendre une route entre les deux , qui ne ſoit pas toutà fait vo jo lontaire, ni tour à fair forcée ; mais il faut que les gens qu'on choiſit , mar $ € chent par le reſpect qu'ils ont pour le Prince apréhendant plus d'encourir ſa 1 diſgrace , quede s'expoſarà la fatigue U une contrainte tellement mêléede bon 5 & au péril;& ainſi il arrivera queceſera ne volonté,qu'il n'en naitra jamais de mécontentement capable de produire de mauyais éfets. Je ne dis pourtant с pas 50 DE L'ART DE LA pas qu'une telle Armée ſoit invinci . ble , puiſqu'on a vû celles des Ro mains défaites tant de fois ; aufli bien que celles d'Annibal . Ainſi il ne faut pas préſumer qu'on puiſſe faire une Armée qui ne puiſſe jamais étre miſe en déroute. C'eſt pour quoi vos habiles Raiſonneurs ne doi vent point conclure l'inutilité d'une Armée , de ce qu'elle aura eu du pi re une fois ; mais ils doivent croire , que comme ilspeuvent perdre , ils peuvent auſſi gågner , en ſe précau. tionnant contre ce qui les a fait per drę. Et quand ils viendroient à en . faire recherche , ils trouveroient que ce n'étoit pas par la faute de cette forte de Milice ; رmais manque d'u ne conduite plus parfaite. Ainſi , comme je l'ai dit , ils doivent y pourvoir , non en blâmant cér or dre- là , mais en le corigeant. Dans peu de tems , je vous enſeignerai comment il s'y faut prendre . Pour ce qui eſt de l'appréhenſion qu'on a que cette ſorte de Troupes érant dé . S GUERRE , Liv. I. SI débauchées par un Général infidé. le , ne vienne à vous dépouiller de vôtre Etat. Je vous répondrai , Que les Armes miſes à la main des Ci. toiens ou des Sujets avec ordre , & ſelon la diſpoſition des Loix , n'ap portérent jamais aucun dommage ; Au contraire , on en a tiré toûjours un grand avantage, & les Républi. ques ſe conſervent plus long- temsen leur entier par cette forte de Trou pes que ſans elles . Rome demeura libre quatre cens ans , & elle étoit Armée : Lacédémone s'eſt conſer vée huit cent ans dans cet état : Plu . € ſieurs autres Républiques ont été 2 ſans Armes , & ne font pas demeu rées libres quarante ans . Car il faut que les Républiques ſoient Armées ; & quand elles ne le peuvent étre de leurs propres Sujets , il faut qu'elles ES prennent des Etrangers , qui fonc 21 inoins affectionnez au bien public 1 que les Sujets , & bien plus aiſez à corrompre ; Par conſequent , un Ci toien puiſſant & ambitieux s'en peut C 2 mieux 52 DE L'ART DE LA mieux prévaloir , outre qu'il tire un grand avantage de ce qu'il n'a que des peuples défarmez à oprimer. Une Ré publique doit plus craindredeux enne mis qu’un: celle qui ſe ſertd'étrangers, doit craindre tout à la fois & l'étran. ger quelle paie , & lecitoien : & pour preuye que cette crainte eft bien fon dée,vousn'avez qu'à vous ſouvenir de ce quej'ai dit tantôtde François Sfor ce. Pour uneRépublique qui ne ſe ſert point d'autre milice que de ſes ſujets, elle n'a au moins que ceux-là à crain dre. Mais au lieu d'alléguer toutes les raiſons qui fe peuvent dire fur ce ſujet , je me ſervirai ſeulement de celleci ;c'eſt que tous ceux , qui ont établi des Ré publiques ou desMonarchiës ;ont cru que ceux qui les habitoient , étoient obligez à les défendre : & fi les Véni tiens euſſent été auſſi fages en cela comme dans tous leurs autres régle ments , ils auroient établi un cinquié me Empire dans le monde ; en quoy ils méritent d'autant plus de blâme , . que leurs premiers légiſlateurs les a. voien GUERRE , Liv . I. voient armez : 53 Mais n'aiant point C! d'Etats en terre ferme, ils étoient feu 3 lement armez ſur mer , où ils firent leurs guerres avec valeur , & augmen térent leur République les Armes à $ la main : Mais quand il falut faire la 1. guerre en terre ferme pour défendre Vicence , au lieu qu'ils devoient у envoier -un de leurs citoiens , pour He commander leurs Troupes ; ils pri rent à leurs gages pour leur Géné Ert ral le Marquis de Mantouë. Ce $ fat ce malheureux choix qui lesem Die pêcha de s'élever & de s'accroître : & s'ils le firent par la défiance qu'ils eurent ,que fçachant ſeulement la guerre de mer , ils n'entendoient rien e à celle de terre , cette défiance n'é-. to toit pas de gens fages: par ce qu'un Il Général de Mer , qui eft accoûtumé de combattre les vents , les vagues la & les hommes , deviendra plusfaci. 201 lement Général de terre où il n'y 08 a que des hommes à combattre , qu'un Général de terre ne pourra devenir Général de mer : & mes * C 3 bons 54 DE L'ART DE LA bons Amis les Romains , qui fa voient fe battre ſur Terre & non ſur Mer , étant obligez de faire la Guerre aux Cartaginois, qui étoient puiſſans fur Mer , ne s'aviſérent pas de foudoier des Eſpagnols ou des Grecs accoûtumez à la Mer : mais ils impoſérent ce ſoin à leurs Ci toiens , qui commandoient d'ordi. naire ſur Terre , & ils remportérent la Victoire . Si d'ailleurs , les Vé. nitiens prirent ce Parti, pour empê cher qu'un de leurs Citoiens nes'em parât du Pouvoir Abfolu.Sans répéter ce quej'ai dit ci-deſſus à ce ſujet ; Eft il à croire , que fi jamais aucun de leurs Citoiens diſpoſant des Forces Maritimes , ne s'eſt rendu Maitre d'une Ville ſituée dans la Mer mê me, ces mêmes Citoiens pûſſent mieux réuſlir dans ce projet avec les Armées de Terre ? Si donc ils euſ fent fait ces réfléxions , ils auroient bien connu , que ce n'eſt pas dans le tems que les Ciroiens ont les Armes entre leurs mains, qu'il faut appré hen . GUERRE , Liv. I. 1 : 55 hender l'uſurpation de l'AutoritéSou veraine , mais ſeulement lorſque le Gouvernement eſt mauvais. Or les Vénitiens aiant un bon Gouverne. ment , ils 'p'avoient rien à craindre § s des Armes de leurs Sujets ; c'eſt pourquoi ils prirent un méchant Par ti , qui diminua beaucoup leur gloi re & leur bonne Fortune. Quand 1 1 5 à la faute que fait le Roi de France de n'exercer pas ſes Peuples à la Guerre , ce que nos gens citent com me un éxemple à fuiyre. Il n'eſt aucun ( excepté ceux qui font me nez par quelque paſſion particulié re ) qui ne juge que c'eſt un défaut dans ce Roiaume- là , & que cette feule négligence l’affoiblit. Mais j'ai fait une trop grande digreſſion , & peut - être ai - je abandonné mon . deſfein ; Cependane je ne l'ai fait que pour vous répondre , & pour vous faire voir , qu'on ne peut point faire fond fur d'autres Milices que fur celles de ſon Pais , & ces Trou pes là ne peuvent écre miſes ſur pied C4 que 56 DE L'ART DE LA que par voie d'ordonnance , n'y aiant point d'autre moien pour éca blir de bonnes armées dans un païs, ni pour y introduire une bonne di ſcipline militaire. Si vous avez bien lâ les Réglements que les premiers Rois firent à Rome, ſur tout Servius Tullius ; vous trouverez que l'éta bliſſement des Claſſes , * n'étoit autre choſe qu'une ordonnance pour pou voir mettre promptement une Armée ſur pied, capable de défendre la Vila le. Mais pour revenir à nos Troupes d'Elite , je vous répéte qu'aiant à faire un corps d'Armée tout nou. veau , je les prendrois de tous â ges entre dix- tepe & quarante ans , pour pouvoir m'en ſervir tout auſli tôr . Rucellai. Mais dans le choix que vous en feriez, prendriez vous donc garde aux métiers qu'ils fe roient ? Colon Voirz les rem .ſur Clafe. GUERRE , Liv. I. 57 Colonne. La plus part des Auteurs font de la différence ; car ils ne veu. lent point qu'on prenne d'oiſeleurs , de pêcheurs , de cuiſiniers , de ces gens qui font un fale commerce de femmes impudiques , & tous ceux dont le métier ne regarde que la vo lupté : Mais il veulent , qu'outre les gens qui travaillent à la terre , on prenne encore des forgerons, des ma réchaux , des charpentiers , des bou chers , des chaſſeurs & autres ſembla bles. Mais pour moi j'en ferois peu de différence , quand il s'agiroit de juger dela bonté de l'homme par ſon métier ; & ſi j'en faifois , ce ſeroit par rapport au beſoin que j'en aurois : C'eſt pour cette raiſon que les paiſans , qui font accoûtumez à travailler à la terre , font plus propres que tous les au . tres àla guerre ; par ce que de tous les métiers celui là eſt le plus néceſ. faire de tous , dans les Arméës: A prés. les paiſans', je voudrois des forge fons des charpentiers ,des maréchaux, e , dont il eſt des tailleurs de pierr beſoin C S DE L'ART DE LA beſoin d'avoir un bon nombre , par :58 ce qu'il eſt fort avantageux d'avoir un Soldat dont on puiſſe cirer dou ble ſervice . Rucellai. Comment peut-on con noitre ceux qui ſont propres à la Guerre d'avec ceux qui ne le ſont pas ? Colonne. Je veux d'abord vous entretenir du moien de faire de nou. velles Levées , pour en compoſer en ſuite une Armée, parce qu'il ſe trou vera en même tems l'occaſion de dit courir du choix qu'il fautfaire pour les. Récruës des Vieux Corps. Je dis donc , Que la bonté d'un hom me , dont vous voulez faire un Sol dat, fe connoit ou par l'expérience, ܪ lorſqu'il a fait quelque belle action , Our par conjecture. La preuve du mérite ne le trouve pas dans les Le vées de gens qui n'ontjamais étéen rollez , car pour les vieux Routiers, il s'en trouve fort pcu , ou point du toutdans les nouvelles Troupes qu'on fait. Il eſt donc néceſſaire quand on n'a % 3 GUERRE , Liv. I. 52 n'a pas cette expérience de récourir à la conjecture qui ſe forme ſurl'a. ge , le métier & la taille. Nous a vons parlé des deux premiéres qua litez , il reſte à parler de la troiſiê me .. Je vous dirai donc,que quelques-uns ont voulu que le Soldatfût grand , & 1 c'étoit la penſée de Pirrus : D'au . Jo tres les choiſiſfoient ſeulement à la force du corps , comme faifoit Cé. far : & cette force du corps & du courage , le juge de la proportion 11 de la taille & de la bonne mine: C'eſt 1 Qu'ilfaut qu'il ait les yeux vifs & 3 pourquoi ceux qui en écrivent diſent, gais , le col nerveux , la poitrine lar ge , les bras avec de gros muſcles , les doigts longs , peu de ventre , les côtes rondes, la jambe & le pied fecs. Toutes ces parties ainſi diſpoſées mürquent d'ordinaire un homme agi le & fort, qui ſont les deux plus bel les qualitez que puiſſe avoir un Sol dat. L'on doitſur tout regarder aux meurs , & qu'il y ait en lui de la C 6 mo бо DE L'ART DE LA modérarion & de l'honnétecé ; autre ment c'eſt prendre un inſtrument de déſordres, & un modéle de débau che : Car perſonne ne fe perfuadera que dans une éducation mal-honnêre, & dans un caur bas & fale il ſe puif. fe jamais rencontrer aucune bonne qualité. Et il me ſemble qu'il n'eſt pas inutile , pour vous faire mieux entendre l'importance de ce choix , de vous dire la metode que les Con fuls Romains , en entrant dans leurs charges, obfervoient pour faire les Légions . Dans cette Elite , ceux qu'on devoit choiſir étans mêlez de Vererans & de jeunes Soldats و, à cauſe des guerres continuelles que la République étoit obligée de foûte nir , l'on pouvoit choiſir les vieux far l'experience, & les jeunes par la conjecture. Mais il faut remarquer çeci, que certe Elite fe fait , ou pour s'en ſervir auſfi- tôt , ou pour les di fcipliner & s'en ſervir à l'occaſion . J'ai déja parlé , & je parlerai enco fe GUERRE , Liv. I. 61 re de tout ce qu'il faut faire pour s'en ſervir dans le beſoin aprés qu'ils ſont leyez ;زpar ce que j'ai deſſein de vous montrer comment on peut établir une Armée , dans un Pais où n'y en a point : Or dans ces fortes de Pais , l'on ne peut pas faire une Elite pour s'en ſervir ſur le champ. Mais dans les Pais où l'on a accoû. tumé de faire des Armées par l'au . torité du Prince , on peut bien en 5 s 2 3 faire pour les emploier fur l'heure , comme cela ſe pratiquoit à Rome , & comme il ſe pratique encore au jourd'hui chez les Suiſſes : Par ce que dans ces Elites , s'il y en a de Novices , il y en a tant d'autres qui font accoûtumez à la Diſci pline Militaire . , que les Novices 2 & les Diſciplincz mêlez enſemble, ET font un corps uniforme & de trés I bon ſervice : Nonobſtant cela les ܘܠ Empereurs , aprés qu'ils eurent D. commencé à tenir des Soldats dans 0 · des Garniſons fixes; ils y établirent des te ! 62 DE L'ART DE LA des Mitres d'Excrcices pour les nouveaux Soldats , qu'ilsappelloient Apprentifs , comme cela fe voit dans la Vie de l'Empereur Maxime: Ce qui pendant que Rome fut Li bre , écoit établi non pas dans les Armées , mais dans les Villes , & les jeunes gens étans forcez à l'Exerci. ce dans les lieux où ils l'apprenoient; lorſqu'en fuite on les enrolloit pour aller à la Guerre , ils étoient relle ment dreſſez à la faire en peinture , pour ainſi dire; qu'ils n'avoient pas de peine à la faire d'abord en Cam pagne contre leurs plus rédoutables Ennemis. Or les Empereurs aiant dans la ſuite aboli ces Exercices-là , on fut obligé d'emploier les moiens que je vous ai expliquez. Mais enfin , revenons à la maniére de fai. re l'Elite Romaine. Aprés que les Conſuls deſtinez à commander les Troupes , eroient entrez dans leurs Charges ; comme les Armées Ro maines devoient avoir pour fonde . ment & pour nerf deux Légions de Ron 12 대 Ei 5 GUERRE , Liv. I. 63 Romains Naturels ; ces Généraux en les mettant ſur pied , créoient d'abord 24. Tribuns Militaires & ils en mettoient ſix dans chaque Légion , qui faiſoient la fonction que font aujourd'hui ceux qui com mandent des Bataillons . En ſuite ils faiſoient aſſembler tous les Ro mains capables de porter les Armes, & mettoient les Tribuns de chaque Légion éloignez les uns des autres. Aprés cela , on tiroit au ſort les Tri bus du Peuple , dans leſquelles on devoit faire l'Elite ; & dans la Tri bu , ſur laquelle le fort tomboit , on choiſiſſoit quatre des meilleurs hom mes , deſquels les Tribuns de la pre miére Légion en choiſiſſoient un : dans les trois hommes de reſte , les Tribuns de la ſeconde Légion en choifiſſoient auſſi un ; en ſuite ceux de la troiſiême Légion choiſiffoient; & le dernier étoit pour la quatriệ: me Légion. Aprés ces quatre là , l'on en faiſoit l'Elite de quatre au tres , dont les Tribuns de la quatriể. me 64 DE L'ART DE LA me Légion avoient le choix ; en ſui te ceux de la troiſième Légion en re montant , & la premiére Légion re cevoit celui qui reſtoit des quatre. Aprés on faifoit encore une Elite de quatre autres hommes ; & وc'étoit la troiſiéme Légion qui avoit le choix, en ſuite la quatriême ; aprés la pre miére prenoit le troiſiême de ces hommes , & le dernier étoit pour le fecond. Ainſi l'on varioit ſucceſſi vement le droit de choiſir , en telle forte que chacun l'ayoit à ſon tour, & que les Légions étoient égales. Et comme nous avons dit .ci-deſſus on pouvoit dés l'heure même faire, fervir une telle Elite ; parce qu'on la faiſoit de gens dont la plupart a voient du ſervice , & les autres é. toient au moins difciplinez: Ainſi cette Elite fe pouvoir faire & par expérience & par conjecture. Mais s'il faloit établir des Milices tout de nouveau , qui par conſéquent , ne pourroient ſervir qu'aprés un tems ; on ne pourroit faire certe Elite que par 2 GUERRE , Liv. I. 65 . par conjecture , qu'on peut faire ſur l'âge & la taille , & c. Rucellai. Je ne doute nulle ment de tout ce que vous venez de dire : Mais devant que vous traittiez quelque autre matiére , je veux vous demander une choſe , de laquelle vous m'avez fait ſouvenir, $ en difant , 2 ne Elite dans un Pais , où l'on ne Le 5 e 0 Ei 18 Ć Que s'il falloit faire u. trouvat perſonne qui eût porté les Armes , il faudroit la faire par con jecture : Ce qui me fait vous in terrompre , c'eſt que j'ai entendu blamer en pluſieurs lieux nôtre Mili . ce , & particuliérement ſur le nom bre ; parce que pluſieurs diſent, qu'il faudroit en prendre moins dont on ci reroit cét avantage , qu'ils ſeroient meilleurs & mieux choiſis : De plus, on ne fatigueroit pas tant de gens à la fois : On pourroit outre cela leur donner quelque choſe , moiennant quoi ils feroient plus fatisfaits & plus ſoầmis . Je voudrois donc bien ſavoir votre avis là -deſſus ; fi vous ai me 66 DE L'ART DE LA meriez mieux le petit nombre que le grand. Et de quelle maniére vous voudriez yous y prendre pour en fai re l’Elite , ſoit pour le petit , ſoit pour le grand nombre ? Colonne . Sans doute les groſſes Troupes valent toûjours mieux que les petites ; & même pour dire la vé. rité, on ne peut pas faire de bonnes Milices dans un Pais où l'on ne peut en avoir beaucoup ; ſur quoi j'eſpé. re facilement faire voir la foibleffe des raifons de vos gens. Je dis donc en premier lieu ; Que là où il y a bien du Peuple , comme en vôtre Toſcane parexemple, le petit nombre ne fait rien pour la bonne Elite , car ſi vous les prenez fur l'expérience, il s'en trouvera trop peu , vôtre Pais manquant de gensqui aient porté les Armes ; & encore parmi ce petit nom bre vous aurez peine à en trouver quelques - uns qui aient donné des marques de leur valeur, & par con ſéquent qui méritent d'étre préférez aux autres : Il faut donc que ceux qui GUERRE , Liv. I. 다. 67 qui voudront faire des Milices Ré glées dans un Pais comme le vôtre , ne s'attachent point à l'expérience des gens , fe contentants de les choi fir ſur les apparences. Cela étant , je voudrois bien qu'on me dit com TE ment je devrois faire, s'il ſe préſen toit devant moi vingt jeunes hom mes tous bien tournez ; je croi qu'il eſt hors de doute , que le meilleur feroit de les prendre tous, de les ar mer & de leur faire faire l'Exercice, r C U e DAN K puiſqu'il eſt impoſſible de connoitre les meilleurs ; & les aiant gardez juſqu'à ce qu'ils fuſſent bien Diſci plinez , alors on pouroit faire une bonne Elite en ne prenant que les plus adroits & les plus vigoureux. Ainſi tout bien conté , il eſt faux qu'on les eût meilleurs en n'en pre nant qu'un petit nombre . Pour ce qui regarde le plus ou le moins de fatigue des gens d'un Pais : Je dis, O Que la Milice Réglée , en petit ou en -grand nombre , ne leur donne au cune peine , parce que cet ordre nę dé. 68 1 DE L'ART DE LA détourne perſonne de ſon ouvra ge , ne' lie perſonne , en forte que cela les empêche d'aller & de venir à leurs affaires s par ce qu'on exi. ge d'eux de s'aſſembler , ſeulement dans les jours où l'on ne travaille point , ce qui ne porte aucun préju dice , ni au Pais ni aux gens: au con traire c'eſt un divertiſſemenr pour les jeunes , qui au lieu de croupir dans l'oiſiveté les jours de Fêtes , dans les lieux où ils ſe rencontrent , ils iroient ſe divertir à ces exerci . ces : Car comme le maniment des armes & l'exercice Militaire fait un beau ſpectacle , l'on peut dire auſſi qu'il plaît beaucoup aux jeunes gens. Pour ce qu'ils diſent , qu'on pourroit paier le petit nombre, ce qui les contenteroit d'avantage , & les rendroit plus ſollmis , le répons , que l'on ne peut.pas faire une mili ce réglée d'un ſi petit nombre , qu'on puiſſe les contenter en les paiant continuellement : Par exemple fup poſons une milice de cinq mille hom mes: 1 GUERRE, Liv. I. 69 mes ; qui voudroit leur donner ce mi qu'on croiroit les de voir contenter, il faudroit que cela allât du moins à dix mille Ducats par mois : Mais premié. rement cinq mille hommes ne iuffiſent e pas pour garder le Pais, de plus cet te paie luiferoit inſupportable , & ou d'ailleurs elle ne ſeroit pas ſuffiſante à contenter les gens & à les mettre ſur le pied qu'on pût s'en ſervir comme TË l'on voudroit. Ainſi , en faiſant ce CH qu'ils diſent, on dépenſeroit beaucoup d &. on auroit peu de gens capables de défendre un Pais , ou d'attaquer les ennemis. Si vous leur donniez une FUB plus groſſe païe , ou que vousen priſ fiez un plus grand nombre , il vous ſeroit encore plus impoflible de les entretenir. Mais ſi vous en preniez DOM moins , ou que vous leur donnafliez M une plus petite païe ; vous les conten 211 Dar teriez encore moins , & vous en tire riez moins de ſervice. Donc ceux qui parlent de faire des milices réglées, & de les païer pendant que chacun a le pouvoir de demeurer chez ſoi, ceux -là nous 70 DE L'ART DE LA nous diſent des choſes ou impofli bles , ou inutiles. Il faut faut pourtant bien les paier quand on les léve pour les mener à la Guerre . Mais ſuppo . fez qu'un tel Réglement fatiguâr un peu en tems de paix ceux qu'on au roit enrollez ; ce que je ne vois pas qui pût arriver ; N'eſt - on pas bien dédommagé de ce petit mal, par tou te l'utilité qui revient à un Pais d'a voir des Milices Réglées ; parce que ſans cela on ne peut pas écre en ſû . reté . Je conclus donc , que ceux qui ne veulent qu'un petit nombre pour pouvoir les paier , ou pour les autres raiſons qu'ils alléguent, n'en tendent rien dans cette affaire : Car j'ai encore une forte raiſon à dire ; C'eſt que le nombre diminuë roll jours par mille inconvénients qui ſur viennent aux hommes , en ſorte que ſouvent votre petit nombre devien droit à rien . Aprés tout quand vos Milices Réglées ſont nombreuſes, vous pouvez vous ſervir du grand nombre , ou du petit felon vôtre be foin . GUERRE , Liv, I. foin. 71 De plus ces Milices vousſer vent & pour la néceſſité & pour la 3 réputation ; or le grand nombre vous a fera bien plus reſpecter que le petit. T Ajoûrez à cela que li vous n'enrollez u qu'un petit nombre dans un grand Pais , afin de leur apprendre l'Exer cice ; ils ſont fi loin les uns des au . tres , que ce leur eſt une grande fa tigue de s'aſſembler dans les jours deftinez à cela ; Et pourtant ſi vous ne leur faites pas faire l'Exercice, ces Milices fonc inutiles , comme nous dirons en ſon lieu . Rucellai. Je ſuis content de tout ce que vous venez de répondre à ma 1 e a derniére queſtion ; Mais il faut , s'il vous plait , que vous réſolviez une autre difficulté. C'eſt que ces gens-là difent, Que le grand nombre de gens armez faiç de la confuſion , & du déſordre dans un Pais. Colonne. C'eſt encore là une er. reur , comme je vais vous le faire voir . Ces gens armez ne peuvent apporter du déſordre qu'en deuxma ma. 72 DE L'ART DE LA nieres , ou entr'eux , ou contre les autres : mais il eſt aiſé de remedier à ces deux inconvenients , pourvû que l'ordre qu'on auroit établi fût aflez bon, pour n'y être pas lui même. un obſtacle ; par ce que touchant les déſordres qui peuvent arriver en tr'eux , cet établiſſement les aſſou-. pit bien loin de les entretenir : Car en mettant ces gens ſur pied , vous leur donnez des Armes & des Chefs. Si le Païs où yous faites vos milices réglées eſt ſi peu aguerri , que les habitans n'aient aucunes Armes : & s'ils ſont ſi unis enſemble , qu'ils n'aient aucuns Chefs : l'ordre que vous établirez l’es rendra bien plus courageux contre l'ennemi , inais non pas plus déſunis entr'eux ; parce que des gens bien gouvernez crai gnent les loix , ſoit qu'ils aient les armes à la main , ou qu'ils ſoient déf. armez ; & ils demeureront toujours diſpoſez de la ſorte , ſí les Chefs que vous leur donnezº ni apportent du changement. Or nous dirons tantôt com GUERRE , Liv. I. 73 comment ils'yfautprendre pourl'em pêcher. Mais ſi le Pais où vous faites vos Milices eſt aguéri & partagéen IT 1 Factions , cét ordre ſeul eſt capable de les ruiner ; parce que ces gens-là ont des armes & des Chefs qu'ils le font faits eux -mêmes ; mais leurs are mes ſont inutiles pour la Guerre , & C leurs Chefs ne ſont propres qu'à en tretenir les querelles : au lieu que l'ordre que nous diſons leur donne des armes propres pour la Guer. re, & des Chefs qui afſoupiſſent les diſſenſions : Car les gens d'un Pais ainſi diviſé , Ti-tôt qu'ils ont quelques mécontentemens , s'en vont trouver leur Chef de Parti jaqui pour ſemain tenir en réputation , les animeà la vena geance, & ne lesportejamais à l'acom. modement : au lieu qu’un Chef établi par l'ordre public fait le contraire; En ſorte que par ce moien on ôre tout . lieu à la méſintelligence , & l'on ra Well , les meine les gens à l'union. e Ainli, ſ ſ e e n s l g i l ù a é o a a & l mes P loigenrce l emnt l d e r r t pa ces bons pe in D '. or 74 DE L'ART DE LA ordres leur poltronnerie & confer vent l'union ;& ce même bon ordre , dans les Pais où régnent les quérel les & les violences, fait' tourner à l'avantage & au bien public , cette férocité qui étoit la caule de tant de défordres. Pour ce qui eſt de ce qu'on dit , qu'ils ne ſont pas pro pres contre les Etrangers, il faut fa voir que ſi cela arrive , c'eſt la fau te des Chefs qui les commandent. Pour ne rien craindre de la part de ces Chef-là , il faut faire en forte qu'ils n'aient point trop d'autorité fur leurs gens : Et cette autorité s'acquiertou naturellement ou par accident. Pour ce qui regarde le premier moien d'aquérir de l'autori té ſur les Milices , & pour y remé dier, il faut empêcher qu'un homme né dans lin Pais , commande les gens qu'on y aura levez ; mais il faut lui donner la conduite des endroits où il n'a aucune rélation naturelle : pour prévénir les accidens ,il faut établir les choſes en ſorte que les Commandans chan 3 I 1 GUERRE , Liv. I. 75 changent tous les ans de Troupes; parce que le commandement trop fait continué ſur les mêmes gens , naître entr'eux une ſi grande intelli gence , qu'elle pourroit fe tourner aiſément au Préjudice du Prince . Et pour voir combien ces changements font utiles à ceux qui les pratiquent , & préjudiciables à ceux qui les née gligent, il n'y a qu'à regarder le Réa * gne des Affyriens , & l'Empire des de Romains , ou l'on voit que ce Régne T là dura mille ans ſans trouble & fans aucune Guerre Civile ; ce qui n'eſt venu d'autre cauſe que de ce que l'on changeoit tous les ans les Com mandans de leurs Troupes. C'eſt pour une raiſon oppoſée que dans l'Empire Romain (aprés l'extinction de la maiſon de Céſar ) on vit naître tant de Guerres Civiles entre les ER Chefs des Armées , & tant de con jurations des mêmes Chefs contre les Empereurs : Et ſi quelques uns de ces Empereurs , & mêmede ceux qui gouvernérent l'Empire avec ré D2 puta 76 DE L'ART DE LA réputation, comme Adrian ,Marc Au réle , Séyére & autres , euſſenteu aſlez de prudence pour introduire l'uſage de changer les Chefs dans cét Empire, fans doute qu'ils l'euſſentrendu& plus tranquile & plusdurable ,parce que les Chefs auroient moins eu d'occaſion d'exciter des troubles ; les Empereurs moins de ſujet de crainte : & le Sénat, dans les Succeflions vacantes , auroit eu plus de pouvoir à élire les Empe. reurs, & par conſéquent ces élections auroientété plusjudicieuſes. Mais les méchantes coûtumes ne ſe changent point,ni pour lesmauvais , ni pour les bons exemples; ſoit que cela vienne de l'ignorance, ou de la négligence des hommes . Rucellai. Je ne ſai ſi mes queftions -font cauſe que vous aiez quitté vôtre premier deſſein,parce que du chapitre de l'Elite,nous ſommes paſſez à un au tre diſcours ; & ſije n'en avois d'abord fait mes excuſes ,je croirois avoir don né lieu à m'en faire des reproches. Colonne. Ne vous mettez point en peine GUERRE , Liv. I. 17 peine à cet égard , parce que tout ce diſcours'étoitnéceſſaire , aiant deſſein 22 de parler de vos Milices d'ordonnan 14 ce, leſquelles étant déſaprouvées de US bien des gens , il faloit que je lesjufti fiafle pour faire valoir tout ce qui EOS ON val Of regarde l'Elite. Mais devant que de venir aux autres parties , raiſonnons premiérement de l'Elite des gens de cheval. Chez les Ancienson la faiſoit dės gensles plus Riches , mais on re OD gardoit à l'âge & aux qualiter perſon nelles du Cavalier;: & on en éliſoit trois cens pour chaque Légion , en -4 forte que dans les Armées Contulaires, - le nombre des Cavaliers Romains ne paſſoit pas ſix cens: Rucellai. Feriez -vous de la Ca. . One valerie pour lui apprendre l'Exerci ce chez vous, & la faire ſervir dans TO l'occaſion ? UNI Colonne: Cela eſt néceſſaire , & on ne peut faire autrement , ſi- VOUS voulez avoir des gens à vous , & non pas de ces gens qui font métier de fer vir tout le monde. D 3 RH 78 DE L'ART DE LA Rucellai. Comment vous y pren driez vous pour en faire l’Elite ? Colonne. J'imiterois les Romains,je prendrois des plus Riches,je leur don . nerois des Oficiers , commeon fait au-' jourd'hui aux autres , je les armerois & leur apprendrois l'Exercice. 'Rucellai. Pour ceux là ne faudroit. il point leur donner quelque paie ? Colonne. Oui bien : mais ſeulement pour nouſir le cheval, parce que les Sujets auroientlieu de ſe plaindre , fi on les obligeoit à faire de la dépenſe: c'eſt pourquoi il faudroit leur paier le cheval & ſa nourriture. Rucellai. Quelle quantité en vou driez-yous mettre ſur pied , & com ment les armeriez- vous? Colonne. C'eſt paſſer à une autre ma tiére : je vous le diraien ſon lieu; c'eſt à dire, aprés queje vous aurai dit com. ment il faut armer les Fantaflins, & comment il les faut inſtruire pour les rendre propres au Combat. Fin du Premier Livre. DE ) 79 DE L'ART DE LA GU ER RE. LIVRE SECOND. 1 Colonne, 가. I E croi qu'ileſt néceſſaire fi -tôt qu'on a des Soldats de penſer à leur donner des armes ; & quand cela eſt réſolu , il faut auſſi éxaminer de quel les armes les Anciens fe fervoient, & en choiſir celles qui conviennent le mieux aujourd'hui. Les Romains partageoient leur Infanterie en Solo D 4 dats 80 DE L'ART DE LA dats péſamment armez, & en ceux qui étoient armez à la légére. Sous ces derniers étoient compris tous ceux qui tiroient de la fronde & de l'arbalê. te , & qui lançoient le javelot; & la plupart d'entr'eux pour armes défen fiyes , avoient le caſque en tête & une rondache au bras. Ceux - ci combat toient hors des rangs, & éloignez des gens peſammentarmez , qui de leur Côté portoient-un caſque qui décen doit juſques ſur les épaules , une cui raſle , qui avec ſes Baſtest décendoit juſqu'au génouil ; & ils avoient les bras & les jambes couvertes de brar farts & de jambieres avec un écu qui éroit de la longueur de quatre pieds , & de la largeur de deux , aiant un cercle de fer au haut pour l'affermir contre la violence des coups , & un autre au bas, pour l'empêcher de s'u fer,en froccantcontre rerre. Pour ara mes offenſives , ils avoient une épée au côté gauche,longue de trois pieds, & au côté droit un poignard . Ils aa t Vos. Rem , voient 5 GUERRE , Liv. II. 81 voient auſſi un dard à la main , qu'ils lançoient à l'Ennemi au commence ment du Combat. C'etoit là toute la force des armes des Romains avec lef quelles ils conquirent l'Univers : Et quoi que quelques-uns des anciens Auteurs leur donnent ' , outre les ar mes ci-deſſus , encore une halebarde à la main ; faite en quelque maniére comme un épieu ; je ne ſai pas come ment's porrant un bouclier , on peut avec cela manier une arme ſi péfante ; car le bouclier empêche qu'on ne la puiſſe manier à deux mains; & il eſt impollible de ſe ſervir d'une arme fi : peſante , avec une ſeule main : Vu tre que c'est une choſe inutile de com barre avec des armes à hampe dans les Rags.; fi cen'eſtdans le prémier, où l'on a l'eſpace libre, pourdonner tou te l'érenduë néceſſaire au mouvement de telles armes , ce qui ne peut ſe faire dans les Rangs du milieu; L'ordre dans une Bataille écant ( comme je vous dirai lorſqu'il s'agira de fon or donnance deſe reſſerrer toûjours,par Di: 5 се 82 DE L'ART DE LA ce qu'il y a bien moins à craindre , quoi qu'il y ait de l'inconvénient, qu'à ſe mettre trop au large où le danger eſt tout évident . Ainſi tou. tes les armes qui ont plus de quatre pieds de longueur ſont 'inutiles dans la mêlée : Parce qu'aiant cette forte d'armest ſuppoſequelebouclier ne vous embaraſſe pas ] vous ne pou vez pas en offenfer un Ennemi qui eft ſur vous : Si vous la prenez avec une main afin de vous ſervir de vô tre bouclier , il faut que vous la pre niez par le milieu ; & alors vous en avez tant de reſte par derriére , que ceux qui y ſont vous empêchent de la manier . Mais afin de vous faire voir que les Romains n'avoient point cette forte d'armes , وou que l'aiant ils s'en fervoient fort peu ; liſez tou tes les Batailles qui font rapportées dans Tite- Live , & vous y appren-. drez qu'il y eſt fort rarement parlé d'halebardes ; au contraire il dit toû . jours que fi-tôt qu'on ayoit lancé le javelot, on mettoit l'épée à la main. Je GUERRE , Liv. II. 83 Je veux donc qu'on laiſſe là cette ſorte d'armes , & je veux m'en tenir avec les Romains à l'épée , pour ar E mes offenſives ; & au bouclier avec le reſte mentionné ci-deſſus , pour ar mes défenſives. 5 Les Grecs ne s'ar moient pas ſi peſamment pour la dé. fenſe comme les Romains , mais pour l'attaque ils faiſoient plus de fond ſur la pique que fur l'épée, par c ticulièrement la Falange, ou Infan terie Macédonienne , laquelle étoit armée de piques qui étoient bien longues de vingt pieds ; & c'eſt avec ces armes qu'ils ouvroient les Rangs 1 des Ennemis en ſe conſervant en or dre dans leurs Bataillons. Et bien que quelques Auteurs diſent , qu'ils portoient encore avec cela le bou. clier , c'eſt ce que j'ai peine à croi re , pour les raiſons que j'ai alléguées ci-deſſus. Outre cela je me ſouviens que dans la Bataille que Paul Emile 1 li livra à Perſe Roi de Macédoine , il n'eſt point parlé de boucliers , mais de cette ſorte de piques qui donnê. D 6 rent 84. DE L'ART DE LA renc tant de peine aux Romains . Je , me figure donc, queles Falanges Ma cedoniennes étoient à peu prés, ce que : font aujourdhui les Bataillons Suiſ , (es , qui ont toutes leurs forces dans leurs piques, · Les Romains , outre les armes , ornoient leurs fantaſlins de panaches ; & cela ſert à rendre la vụë des Troupes plus belle aux amis, , & plus terrible aux Ennemis. Les . armes de la Cavalerie Romaine , dans cette prémiére antiquité , éroient un bouclier rond , avec la têcę couverte , & le reſte étoit fans. défence. Ils avoient l'épée & une Javeline longue & menųë , qui étoit ferrée par un des ; bouts. Cetre arme les empêchoit de : tenir le bouclier ferme ; Ele fe rom poit même en fe tournant & en feré. muant , & étant ainſi découverts ils demeuroient expoſez aux coups. En ſuite avec le tems ils s'armérent comme l'Infanterië , mais ils avoient le bouclier.plus court & quarré ., la Javeline plus folide & ferrée, par les de ux 3 EUERRE ,, Liv . II. 85 TE deux bouts, afin que l'uo fe defer rant , ils puſfent ſe ſervir de l'au.. ne tre : Avec F. pied qu'à cheval ', mes Illuſtres An.. ES e 3 toutes ces armes tant à cêtres conquirent tout le: Monde : d'où il eſt aiſé de croire ; vû le . ſuc. cés , que leurs Armées étoient en i meilleur ordre qu'aucunes qu'on eût : jamais vües . Tite Live le marque es allez dans ſon Hiſtoire , où en par. lànt dés Armées des Ennemis , il dit ; 0 Mais les Romains ; par leur bra . voure, i par la forte d'armes dont : ils ſe fervoient : par leur Diſci. pline, l'emportoient ſur eux : : C'eft pourquoi j'ai plus parlé des armes 1 des vainqueurs que de celles dess vaincus: : Il faut parler à cette heu. re ſéparément :des armes d'aujour dhui. Les fantaſſins ont pour armes S 1 71 1 défenſives , une cuiraſſe de fer ſur l'eſtòmac , & pour offenſives , une pi-, que longue de dix buit pieds,ayec une : épée aucôté moins pointuëque ronde. Voilà comme on arme l'Infanterie àà pree > 86 DE L'ART DE LA à préſent pour l'ordinaire , parce qu'il y en a peu qui aient le dos & les bras couverts, & pas un la tête; & ce petit nombre dont on couvre les bras & la tête , porte au lieu d'u ne pique , une halebarde , dont la hampe eſt longue de ſix pieds , & le fer a la figure d'une hache d'armes. Ils font entremêlez de Mouſquetai res , qui avec la furie du feu , font ce que faiſoient Anciennement les tireurs de fronde & d'arbalète. Cette maniére de s'armer a été in. ventée par les Peuples d'Allemagne, ſur tout par les Suiſſes , qui étant pauvres, & voulant vivre en liberté, étoient & font encore obligez de fe défendre contre l'ambition des Prin. ces d'Allemagne , qui étant Riches peuyent entretenir de la Cavalerie , ce que ces Peuples-ici n'ont pas le moien de faire ; .. Ainſi étant à pied & voulant ſe défendre de leurs En . nemis qui étoient à cheval , il a falu qu'ils aient recherché chez les An ciens, & trouvé l'ordonnance & les ar GUERRE , Liv. II. 87 63 armes propres pour ſe défendre con tre. l'impétuoſité de la Cavalerie. ere Cette néceſſité leur a fait conſerver, ou renouvelier cette ancienne méto. D de , ſans laquelle comme des gens I expérimentez l'aſſurent , l'Infante . ch rie cít tout à fait inutile. 16 EN donc pour cela qu'ils ont pris les pi ques , armes trés propres , non ſeu ODI ſement pour ſolltenir la Cavalerie , C'eſt Ete. mais auſſi pour la vaincre. Et les Ale lemans envertu de ces armes , ſont ID devenus ſi aſſurez que quinze , ou ney vingt mille de leurs Fantaſſins atta le fût de Cavalerie , dont on a vû bien 18 queroient quelque nombre que ce des preuves depuis vingt-cinq ans. 10 Les éxemples de leur valeur , fon les dée ſur ces armes & ſur cette ordon nance , ont été fi grands, que de le puis que Charles Huit paffa en Ita lie , toutes les Nations les ont imi. D. tez ; En forte que par là les Armées lu Eſpagnoles ont aquis une grande ré. 0. putation . ef to Ru 88 DE’L'ART DE LA Rucellai. Qu'elle maniere approu. vez vous le plus, ou celle ci des Al. lemans , ou celle des Anciens Ro. mains ? : Colonne. C'eſt celle des Romaitis aſſurément , & je vais vous dire le fort & le foible de l'une & de l'au. tre maniére. L'Infanterie Allemande : peut foûtenir;& même défaire la Caor valerie : : Ils ſont plus propres " pour la marche & pour ſe mettre en or dre de Bataille , n'étant point char gez d'armes . D'autre côté , ils font expoſez à tous les coups & de prés & de loin ; n'étant point : couverts d'armes défenfives : Ils ſont inutiles pour attaquer les places , & pourtout : Combat. où la réſiſtance eſt vigoureuſe. Au contraire les Romains faûtenoient & défaiſoient · la Cava . lerie ; commeles Allemans: de plus étans couverts d'armes défenſives , ils étoient à couvert de coups de prés & de loin : Ils pouvoient bien mieux donner le choc & le foûte nirs GUERRE , Liv. II. 89 Dans la 1 nir , aiant des boucliers. b mêlée ils pouvoient ſe ſervir plus aiſément , de l'épée que les Alle 1 e . : 1 mans de la pique ; & même quoi que ceux.ci aient auſſi l'épée , elle ne leur ſeri de rien , n'aiant point de Les Romains pouvoient bouclier. bien mieux donner l'aſſaut aux pla ces , aiant le corps couvert , & le pou voient encor mieux couvrir avec le 1 bouclier . Ainſi ils n'avoient point d'au tre incommodité , que la peſanteur des armes , 8 la fatigue de les porter, ce qu'ils ſurmontoient en ſe formant aux incommoditez , & en -s'endirciſ: fant à la fatigue : Car vous ſçavez que les choſes accoûtumées nous , font bien peu de peine. De plus a l'Infanterie peut avoir affaire , ou di d'autre Infanterie, ou à la Cavalerie , & ceux qui ne peuvent qu'à peine folltenir la Cavalerie , auront encore · à craindre de l'Infanterię mieux armée ; & mieux conimandée qu'eux :, & l'on 1 peut dire que ce ſont des Troupes qui : ne fervent ſouventde rien, A préſent 90 DE L'ART DE LA ſi vous éxaminez l'Infanterie Alle . mande & celle des Romains , vous trouverez que l'Allemande eſt pro pre à défaire la Cavalerie : mais en revanche elle a un grand déſavanta, ge quand elle a afaire à une Infan cerie ordonnée comme la leur , & armée comme la Romaine : En ſorte que la différence de l'une à l'autre ſera ,, Que les Romains pouront yaincre & l'Infanterie & la Cavalerie ; Mais les Alle mans pouront ſeulement vaincre la Cavalerie. Rucellai. Je voudrois bien que vous vinſſiez à quelque éxemple plus particulier afin de mieux compren dre la choſe. Colonne. Je dis donc que vous trouverez en mille endroits de l'Hi ſtoire Romaine Que leur Infan. terie a deffait bien des fois la Cava . lerie , mais jamais vous ne verrez qu'ils aient été battus par d'autre Infanterie , quelque défaut qu'ils euflent dans leurs armes , ou quel que GUERRE, Liv. II. 8 91 que avantage que les Ennemis euf ſent dans les leur. Car fi leur ma. niére de s'armer avoit eu quelque défaut , il faloit qu'il s'en enſuivît de deux choſes l'une ; ou que trou vant des gens mieux armez qu'eux , & ils ne fiffent plus de Conquêtes , ou qu'ils laiſſaſſent leur maniére pour 1 prendre celle des Etrangers ; 1 parce qu'il n'arriva ni l'une , ni l'au 3 2 Et tre de ces deux choſes-là , il eſt fa . cile de conjecturer que leur métode étoit meilleure que celle de tous les autres. Mais il n'eſt pas arrivé la même choſe à l'Infanterie Alleman. de , parce qu'ils ont eu de mauvais fuccés toutes les fois qu'ils ont eu à combattre d'autre Infanterie aufli ferme qu'eux , & qui ſuivoient la même ordonnance ; ce qui n'eſt ve nu que de l'avantage que leurs En. nemis ont eu par le moien de leurs armes. Philippe Viſconti Duc de Milan étant attaqué par dix -huit mille Suiſſes, leur oppoſa le Comte Carmignole ſon Général; qui avec fix DE L'ART DE LA 92 fix mille Chevaux & peu d'Infantea rie alla à leur rencontre , & étant yenu aux mains avec eux , il fut re pouſſé avec grand perte. De forte que ce Comte , qui étoit un homme fage ,, connût d'abord la force des armes de fes Ennemis , quels avan tages ils avoient ſur la Cavalerie , & : combien la Cavalerie étoit peu de chofe contre de l'Infanterie en telle ordonnance : Ainfi aprés avoir rallié: ſes gens , il retourna à la charge con treles Suiſſes.,dont étantproche , il fit mettre pied à terre à ſes Gendarmes,, & les combattant de cette derpiére façon , il les tailla tous en pieces, à la reſerye de trois milles , qui ſe rendi rent en mettant bas- les armes', par : ce qu'il fe voioient tous détruire,, {ans y. pouvoir apporter de . remé de.. Rucellai: D'où peut venir un fi grand défa avantage ? Colona GUERRE , Liv . II. 93 To Colonne. Il n'y a pas long tems que, je It yous l'ai dit , mais puiſque vous ne l'avez pas entendu je le ré. de peterai. L'infanterie Suiſſe ( com I me vous avez vû n'agueres) n'aiant prefque "point d'armes défenſives , à pour armes offenſiyes l'épée & la pique; Et marchant ayec ces armes el E! & dans ſon ordonnance , elle vient à la rencontre de l'Ennemi, quiétant auſſi bien muni d'armes défenſives, comme étoient les Gend'armes de Carmignole, qu'il fit mettre pied à terre , n'a qu'à mettre l'épée à la main , en gardant bien ſes rangs ; & toute la difficulté qu'il a , c'eſt de joindre les Suiſſes ; car dés-qu'il les a joint il les combat en toute lure té; parce que le Suiſſe ne peut ſe ſervir de la pique, qui eſt trop lon gue contre un Ennemi ſi prés de lui ; de forte qu'il faut qu'il mette l'épéc à la main , de laquelle il ne tire i aucun 94 DE L'ART DE LA aucun avantage , étant tout décou. vert & ſon Ennemi armé de toutes pié ces, Si donc vous examinez bien le fort & le foible de l'un & de l'autre , vous verrez que celui qui n'a point . d'armes offenſivesn'a point de refour ce ; & un corps bien armé n'aura point de peine à ſurmonter le premier choc & à paſſer les premieres pointes des piques : car les corps de Bataille marchant toûjours ( comme vous le verrez mieux, lors que je vous aurai enſeigné comment on les diſpoſe ) & en marchant ils s'approchent les uns des autres fi prés qu'il ſe pren nent effectivement au corps ; & files piques en renverſent quelques uns , ceux qui reſtent ſont en ſigrand nom bre qu'ils ſuffiſent pour remporter la victoire. C'eſt ce qui fit que Car mignole vainquit avec ſi peu de perte de ſon côté , & une ſi grande boucherië du côté des Suiſſes. Rucellai. Faites réflexion , que les gens de Carmignole étoient des gens d'armes , leſquels , وencore qu'ils luis ſent 1 2 GUERRE , Liv. II. 95 fent à pied , étoient tous couvertsde fer , ainſi ils n'eurent pas de peine à faire ce qu'ils firent , je penſerois donc que pour faire la méme choſe qu'eux , il faudroit armer l'Infante rië de la même maniere: 1 C s Ĉ Colonine. Si vous vous ſouveniez comment je vous ai dir que les Ro. mains s'armoient , vous n'auriez pas cette penſée : Parce qu'un fantaiſin qui ale caſque en tête, le corps dé fendu par la cuiraſſe & le bouclier : aiant de plus les bras & les jambes 3 j 1 . couvertes , eft plus propre pour le défendre contre les piques , & paſſer au travers , que n'eſt un gendarme qui a mis pied à terre . Je veux vous en donner quelque exemple moder 1 ne. On avoit débarqué de Sicile dans Ć le Roiaume de Naples', de l'In fanterie Eſpagnole qu'on envoioit à Conſalve , qui étoit alliegé dans Bar 3 $ 1 lette par les François ; Monſieur d'Au bigni leur alla au devant avec les gendarmes , & avec environ quatre mille fantaſlins Suiſſes : les Suiſſes vin 96 DE L'ART DE LA vinrent aux mains, & avec leurs pi. ques bafles , firent jour au traversde l'Infanterie Eſpagnole ; mais ceux ci à l'aide de leur rondache & par leur agilité , ſe mêlérent avec les Suif. ſes, en forte qu'ils pouvoient les join . dre avec l'épée ; D'où s'enſuivit la défaite de ceux -ci, & la Victoire des Eſpagnols. Chacun fait combien furent tuez des mêmes Suiſſes à la Bataille de Ravenne , ce qui arriva pour la même raiſon ; parce que 'Infanterie Eſpagnole vint l'épée à la main ſur eux , & ils auroient été tous taillez en piéces ; s'ils n'euſſent pas été fecourus par la Cavalerie Françoiſe: Cepeodant les Efpagnols s'écant bien reſſerrez enſemble , ſe retirérent en lieu de ſûreté. Jecon clus donc , qu'une bonne Infanterie doit non ſeulement ſolltenir la Ca. valerie , mais elle ne doit pas non plus craindre d'autre Infanterie ; ce qui ne dépend que de la maniére de l'armer, & de la mettre en ordonnance , commeje l'ai déja diz bien des fois. Rucellai . 2 1 S 1 1 GUERRE , Liv . II. 07 Rucellai. Dices- nous donc comment vous les armeriez. Colonne. Je prendrois des armes des Romains & de celles des Alle. mans , & je voudrois que la moitié fût armée comme les derniers , & l'autre moitié comme les Romains. Car fi dans ſix mille Fantaſſins (com me je vous dirai bien - tôi ) j'en avois trois mille avec les boucliers à la Ro maine , & deux mille Piquiers, & mille Mouſquecaires à l'Allemande , j'en aurois aſſez ; parce que je pla cerois mes Piquiers de front, ou dans l'endroit où je craindrois le plus la Cavalerie ; & j'épaulerois ces Pi quiers de l'autre Infanterie , afin de gagner la Bataille comme je vous moncrerai.: . Car je croi qu'une In fanterie en telle ordonnance , pou ' roit vaincre aujourd'hui toute autre Infanterie. Rucellai. Tout ce que vous a vez dit juſqu'ici , nous ſuffit pour l'Infanterie : Mais pour la Cavale rie , nous voudrions bien ſavoir quel. E le 88 DE L'ART DE LA le maniére d’armer vous paroit la meilleure , ou la nôtre , ou l'an cienne . Colonne. Je croi que dans ce tems ici , eu égard aux felles qui ont des arçons & aux étriers , inconnus aux Anciens , l'on eſt plus ferme à che. "ر val que dans ce tems - là. Je croi même que les armes ſont plus af feurées ; en ſorte qu'à préſent un Eſcadron de Gendarmes peſant beaucoup , eſt plus dificile à loûte nir que la Cavalerie ancienne . Ce pendant je ne croi pas qu'on doive faire plus de fond ſur la Cavalerie qu'autrefois ; parce que comme je l'ai remarqué ci-devant , elle a fou vent perdu ſon honneur dans nos jours contre l'Infanterie ; & ils le perdront toûjours contre de l'Infan terie armée & ordonnée comme je l'ai dit. Tigrane Roid'Arménie a voit cent cinquante mille Chevaux , dont pluſieurs étoient armiez de tou tes piéces comme nos Gendarmes : Lucullus qui commandoit l'Armée Ro GUERRE , Liv. II . 99 Romaine n'avoit que « fix mille Che . vaux & quinze mille Faorallins: 'En forte que Tigrane les voiant dit ; $ 5 Voila aſez de Chevaux pour une Ain . baffade. Cependant étant venu aux mains il fut defait : Et celui qui fuit I Hiſtoire de cette Bataille en donne le blâme à cette Cavalerie pe famment armée 1 qui parut inuti. le ; Parce , dit-il , que ces Gens -ld aiant le viſage couvert ils étoient peu propres àvoir 6 d attaquer l'En . nemi; 6 étant chargez d'armes , ils Ć Ć e Ć -) to ne pouvoient pas ſe rélever étant tom . bez , ni ſe manier eux -mêmes en at . : cune forte. Je ſoûtiens donc que les Etats qui conſidéreront plus la Ca. - valerieque l'Infanterie , ſeront toû jours plus foibles que les autres , & plus expoſez aux pertes , comme ce la s'eft vû de notre tems en l'Ira . lie , qui a été ravagée par les Etran gers , non pour autre défaut , que pour avoir négligé l'Infanterie & fait trop d'étar de la Cavalerie . Il faut pourtant avoir de la Cavalerie , non E 2 pour DE L'ART DE LA pour premier , mais pour ſecond fon 100 dement de fon Armée ; parce que la Cavalerie eſt fort propre à faire les découvertes , à courir & ravager le Pais Ennemi, à fatiguer ſes Troupes & les tenir en allarme , à couper les Convois & à d'autres choſes ſembla bles . Mais pour les Batailles , ou les Combats en raſe Campagne , qui ſont tout ce qu'il y a de conſidéra ble à la Guerre , & pourquoi on met des Armées ſur pied , la Cava lerie eſt plus propre à pourſuivre un Ennemi défait qu'à faire autre choſe dans les rencontres s où elle eſt in férieure de beaucoup á l’Inſante . rie. Rucellai. 9출 Il me vient deux diffi cultez dans l’elprit. L'une que je fai que les Parthes faiſoient toutes leurs expéditions Militaires avec de la Cavalerie ; & cependant ils parta gérent l’Empire du Monde avec les Romains. L'autre que je voudrois bien que vous me diſſiez comment l’Infanterie peut ſe défendre contre la 5 GUERRE, Liv. II. 3. IOI la Cavalerie ; & d'où vient que la " prémiére eſt fi excellente & l'autre fi peu . Colonne. Je vous ai dit ou du moins j'ai eu deſfein de vous dire , que je ne prétendois point traitter des affaires de la Guerre , qu'à l'é gard de ce qui ſe paſſe en Europe: Et cela étant je ne ſuis pas obligé de vous rendre raiſon de ce qui ſe paſſe en Afie. Cependant j'ai à vous dire que la maniére de combatre des Parthes étoit toute contraire à celle des Romains , parce que les Parthes combattoient tous à cheval, & dans le Combat ils marchoient ſans ordre & comme des gens en déroute ; & cette maniére n'étoit ni ftable , ni réglée. Les Romains au contraire? étoient preſque tous à pied & com battoient ſerrez enſemble & de pied ferme ; & ſelon que le terrein étoit large ou étroit , ils avoient tantòr · les uns & tantôt les autres , l'avan tage chacun à leur tour : Car dans un terrein étroit les Romains avaient du E 3 TOZ DE L'ART DE LA du meilleur ; & dans un autre, c'é, toit les Parthes , qui pouvoient fai re des merveilles par rapport au Pais qu'ils avoient à défendre ; car il eſt extremément large , étant éloigné de la Mer d'environ quatre cents lieuës ; les Riviéres font diftantes l'une de l'autre de deux ou trois jour nées, les Villages auſſi & les Flabi tans font rares : De forte qu'une De forte Armée Romaine peſante & lente, ne pouvoit pas y faire des Courſes fans grand péril ; parce que ce Pais.là : étoit défendu par de la Cavalerie légere & pronte , de forte qu'elle é. toit un jourproche ,& le lendemain à vidt lieües. Aind les Parthes pou. voient tirer de grands avantages par leur Cavalerie , comme il paroit par la défaite de Craſſus, & par les péa rils qu'a courus Marc Antoine. Mais, comme je vous ai dit , je ne prétens point parler dans tout, ce diſcours de ce qui regarde la Milice qui eft hors de l'Europe ; C'eſt pourquoi je m'en tiens a ce qu'en ont établi les Grecs GUERRE , Liv . II. 103 Grecs & les Romains , & à ce que pratiquent aujourd'hui les Allemans. Mais venons à vôtre autre queſtion , aſſavoir par quel bon ordre , ou par quelle valeur naturelle l’Infanterie l'emporte ſur la Cavalerie ? Je vous dirai d'abord que les Cavaliers ne peuvent pas aller par tout comme les Fantafſins ; Ils ſont plus lents à é. ' xécuter les ordres , lorſqu'il en faut donner pluſieurs differens , que ne font lus Fantaflins : Car s'il eſt né. ceſſaire en marchant avant , de re tourner bride ; ou quand on a tour ne le dos de faire face ; ou de faire des mouvemens lorſqu'on a fait hal. te ; ou en marchant de faire ferme ; il eſt fans doute que la Cavalerie ne le fera pas fi à point nommé que l'Infanterie : Lorſque la Cavalerie eft en déſordre par quelque forte at taque , quoi que cecre attaque ceſſe , elle ne reprendra ſes Rangs qu'avec peine ; ce qui arrive fort rarement à l'Infanterie . Il arrive outre cela , qu'un homme de courage fera fou.., E 4 vent 104 DE L'ART DE LA vent monté ſur un méchant cheval , & un lâche aura un chevalde cæur , & cette diſproportion fera ſans doute du défordre . Il ne faut pas s'étonner qu'un peloton de Fantaſlins fo @ tien ne le choc d'une troupe de Cava liers, parce que le cheval étant un animal qui fent le péril , il ne s'y jette pas volontiers ; car fi vous rea. gardez bien à ce qui le fait avançer . & à ce qui le fait réguler , vous ver- , rez que ce qui l'arrête eſt plus fort que ce qui le pouſſe ; puiſque ce n'eſt que l'éperon qui le pouſſe , mais ce font les piques & les épées qui l'ar.. récent : En ſorte qu'on a vû dans notre siécle & dans celui des Anciens , .qu'un peloton d'Infante rie eſt en fûreté ou même inſurmon . table à la Cavalerie. Et ſi vous m'o . poſez à cela que la fougue avec la quelle il vient , le rend plus furieux à comber ſur ceux qui prétendroient le ſolltenir , & à mépriſer davantage la pique que l'éperon: Je répons que ſi le cheval , quoi qu'en haleine, con GUERRE , Liv. II. 105 commence à voir qu'il faut le jeeter ſur les pointes des piques, de lui-mê. me il rallentira ſon impétuoſité ;* en forte qu'il s'arrêtera tout court dés qu'il ſe ſentira piqué ; ou enfin étant tout prés il tournera à droite ou àgauche. Mais ſi vous en voua lez faire l'expérience , pouſſez un cheval contre un mur , vous en trou. verez fort peu , de quelque fougue qu'ils marchent, qui veuillent bien у donner. - Céſar aiant à combattre les Suiſſes dans les Gaules , mit pied à rerre & le fit mettre à tout le mon. de, faiſant éloigner les chevaux des Eſcadrons , comme étans plus pro pres à fuir qu’à combattre. Mais pourtant quoi que les chevaux aient naturellement ces défauts , un Chef qui conduit de l'Infanterie , doit en core choiſir ſes marches par des lieux où il y ait le plus qu'il fe pourra d'embarras pourla Cavalerie , & di ficilement arrivera t- il que le Fan tallin ne fe puiſſe couvrir parla qua. lité du Pais. Si vous marchez en E s Pais 106 DE L'ART DE LA Pais de Collines , la ſituation vous mer à couvert de ce que vous appré hendez . Si vous marchez en Pais u ai , vous trouverez peu de plaines qui ne vous fourniſſent quelque maien de vous défendre de la Cava .. lerie ., ou par des buiſſons , ou par des lieux plantez ; car le moindre taillis , ou une levée quoi que peti te, rallentit la fougue du cheval, & tout lieu planté de vignes & d'arbres l'embaraſſe. Dans un jour de Batail le vous avez tous les mêmes avanta ges que dans la marche ; parce que le moindre obftacle que trouve un cheval , cela lui rallentit ſa fougue. Il faut pourtant que je vous dife , . que les Romains faiſoient tant de fond ſur leur belle Ordonnance & ز fe confioient fi fort dans la bonté de leurs armes ; que s'ils éroient en pou . voir de fe pofter dans un lieu aſſez fort pour fe garder contre la Cava lerie Mais où ils n'auroient pas pû étendre leurs Bataillons ; & qu'ils euſſent pû en même tems prendre un au . GUERRE , Liv.II. 107 autre Poſte, où ils auroient eu plus à craindre de la Cavalerie , mais où ils auroient pů étendre & mieux diſ poſer leur Infanterie , ils ne man quoient jamais de préférer ce dernier à l'autre. Mais puiſqu'il eſttems de venir á l'Exercice , aprés avoir armé l'Infanterie & à la moderne & à l'ana rique, nousverrons quels Exercices lui faiſoient faire les Romains avant que de la mener en Campagne pour donner Bataille. Quoi qu'on ait fait une bonne Elite , & qu'elle foie encore mieux pourvûe de toutes ſor tes d'armes , il faut pourtant outre cela leur apprendre l'Exercice avec beaucoup de foin , parce que fans cela jamais on ne peut tirer bon ſer yice d'un Soldar. Il faut diviſer ces Exercices en trois ; L'un pour en durcir le Corps , le rendre plus ca pable de ſupporter toutes fortes d'incommoditez , & lui donner plus 5 d'agilité & d'adreſſe . L'autre pour apprendre aux Soldats à bien ma ។ nier les armes. Le troiſiéme pour 5 ; E 6 lur 108 DE L'ART DE LA lui apprendre à bien éxécuter le Commandement á l'Armee , ſoit dans la marche , dans le Combat OU dans le Campement & lorſqu'il felo . ge . Ce font là les trois principales actions que les Troupes doivent fai, re : Car pourvû qu'une Armée mar che , campe & combatte en gardant fes, Rangs & obſervant bien ce qu'el le a appris, le Général ne laiſſe pas d'en remporter de l'honneur, encore qu'il n'eût pas d'avantage dans la Bataille . C'eſt donc pour cela que toutes les anciennes Républiques ont ſi bien pourvû à ces Exercices & par la pratique & par les bonnes or , donnances qu'elles faiſoient, en ſor. te qu'on n'en a jamais négligé la moindre partie . Les Anciens donc éxerçoient leur jeuneſſe pour leur donner la viteſſe du corps , l'adreſſe à ſauter , la force à arracherles pieux d'une paliſſade, ou à faire la lurce. Ces trois qualitez ſont preſques né ceſſaires dans un Soldat : Car la vj. teſſe le rend propre à prévenir l'En nemi GUERRE , Liv. II. 109 nemi dans la priſe d'un Poſte , à étre ſur lui lorsqu'il vous croit loin , & à le pourſuivre lorſqu'il eſt une fois en déroure. L'adreſſe le rend propre à parer le coup , à ſauter un foſſé , à monter une digue . La force le rend propre à porter les armes & le baga ge , & à bien donner , ou bien ſoll. tenir le choc. Mais ſur tout pour leur former le Corps à ſupporter de grandes farigues, il les faur accoû. tumer à porter de grands fardeaux. Cette coûtume eſt fort néceffaire , parce que dans les Expéditions difi. ciles , il faut que le Soldat , outre ſes armes , porte encore dequoivivre pluſieurs jours ; & fi on ne l'avoit fora mé à certe fatigue il y ſuccomberoit, & cela feul ſeroit cauſe qu'on ne pou roit ſortir d'un mauvais pas , ou aqué rir la gloire d'une Victoire. Pour ce qui eſt de la méto dedont les Anciens ſe fervoient pour inſtuire leur jeuneſſe à manier les armes , voici comment ils s'y prenoient. Ils vouloient que les jeunes gens ſe couvriſſent d'armes plus IIO DE L'ART DE LA plus peſantes au double que celles qu'ils portoient à la Guerre ; & pour épée ils leur donnoient un bâton gar ni de. plomb qui peſoit bien davan tage : ils leur faiſoient ficher chacun un pieu en terre , qui en forroit à la hauteur de fix pieds ; Mais ce pieu devoir étre fi ſolide , que les coups: ne devoient ni le rompre , ni le ren yerfer: le jeune Soldat donc s'éxer çoit contre ce pieu avec le bouclier & le bâton ', comme ſi ç'eût été con tre l'Ennemi , & tantôt il lui portoit une botte , comme pour le bleſſer à la tête ou au viſage , tantor comme pour le prendre en flanc , quelque fois comme pour le fraper par les jambes ; tantòt il réculoit , en fuite il avançoit. Er.dans cét Excrcice il faloir qu'il obfervât tout à la fois à fe rendre adroit à porter le coup , & à fe mettre à couvert de celui de l'Ennemi ; & comme leurs fauſſes ar. mes étoient bien plus pefantes , cela leur faiſoit paroitre les véritables fort légéres.. Les Romains vouloient que 5 1 * GUERRE , Liv. II. III que leurs Soldats frapaſſent deſtoc, & non de taille ; tant parce que le coup eſt plus dangereux & le défaut des armes plus aiſé à trouver , que parce que celui qui porte une efto cade ſe découvre moins & peut porter plus de coups que s'il fra poit du trenchant Ne vous é. tonnez pas fi les Anciens dêcen doient dans tout ce nenu détail ; parce que quand on penſe que des hommes ont á en venir aux mains 1 l'on fait que le plus petit ayantage eft de grande conféquence , & fou E venez-vous que les Auteurs en diſent encore plus que je ne vous en enfei gne ici : Car les Anciens croioient qu'il n'y avoit point de plus grand bonheur pour une République, que de la voir remplie de gens bien éxer cez aux armes; puiſque ce n'eft pas Péclat de l'or & des pierreries quifait que vos Ennemis fe foûmettent à vous , mais la terreur des armes . De plus , les fautes que l'on fait ailleurs, fe peuvent quelquefois réparer'; mais non IIZ DE L'ART DE LA as non pas celles que l'on fait à la Guer re , parce que la peine s'enſuit fur le champ . Outre cela rien ne rend les gens plus courageux que de ſavoir comment il faut combattre , parce que perſonne ne craint de faire met. tre en pratique une choſe où il s'eſt fort exercé.' Et c'eſt pour cela que les Anciens vouloient que leurs Su jets s'exerçaſſent dans tous les Exer . cices Militaires . : Pour cela ils leur faiſoient darder des javelots contre ce pieu plus peſans que les véritables , parce qu'outre l'adreſſe qu'ils aqué roient en tirant ſouvent , cette pelan teur augmentoit la force de leurs bras & les dénouoit mieux . Ils leur apprenoient encore à tirer de l'arc & de la fronde , & ſur tout cela , ils a voient erabli des Maitres d'Exerci. се , En ſorte que quand il étoit queſtion d'aller à l'Armée ,ils étoient . déja Soldats & de cæur & d'adreſe. Ilsn'avoientdonc plus rien à appren dre qu'à marcher dans leurs Rangs & à les garder , ſoit dans la marche, foit GUERRE, Liv.II . 113 foit dans le Combat ; ce qu'ils ap . prenoient aiſément en ſe mêlant 2. vec ceux qui aiant plus de ſervice ſavoient mieux ce qu'il faloit faire pour cela . Rucellai. Quels Exercices leur fea riez- vous faire à préſent? Colonne. Pluſieurs de ceux dont nous venons de parler , comme de : les faire courir , de les faire lutter , 1 de les faire ſauter , de les accoûtu. mer à la fatigue avec des armies plus peſantes que les ordinaires , de les faire tirer de l'arc & de l'arbalête ; j'y joindrois le mouſquet, qui eſt u } ne nouvelle invention , comme vous ſavez , & qui eſt néceſſaire; Et j'aca ' 1 coûtumerois toute la jeuneſſe d'un Etat à de tels Exercices : Mais je m'appliquerois bien davantage à cel 1 1 le dont j'aurois fait l'Elite , pour remplir les Milices d'Ordonnance, & je leur ferois faire l'Exercice tous les jours de Fête. Je voudrois auſſi i qu'ils appriſſent á nager , ce qui eſt une choſe fort utile , car on ne trou ve . 114 DE L'ART DE LA ve pas toûjours des Ponts pour paf fer les Riviéres , & ' on n'a pas toû. jours les Batteaux néceſſaires pour ſe faire , en forte que vos gens ne ſachant pas nager , vôtre Armée perd de grands avantages , & de bel les occaſions de faire quelque gran de expédition. C'eſt pour cela que les Romains vouloient que leur jeu . neſſe s'exercât dans le champ de Mars , parce que le Tibre étant pro che , lorſqu'ils étoient las de s'éxer cer ſur terre , ils ſe rafraichiffoient dans l'eau , & par occaſion ils s'é xorçoient à la nage. Je ferois en. core comme les Anciens en exerçant la Cavalerie , ce qui eſt fort nécef faire : Car outre qu'ils apprenoienc á manier un cheyal , cér Exercice les accoûtumoit encore á étre mai. tres d'eux mêmes quand ils étoient montez . C'eſt donc pour cela qu'ils avoient fait dreſſer des chevaux de bois , ſur leſquels ils ſe formoient, voltigeant deſſus , وarmez & défarmez, fags avantage , & à toutes mains . Ain. GUERRE, Liv. II. ins Ainſi au premier ordre du Commans dant , la Cavalerie étoit en un mo I ment toute à pied , & à un autre or * dre elle étoit auffi- cot remontée. # Or comme ces Exercices á pied & dá cheval étoient aiſez alors , á pré lent auſſi un Etat qui voudroit les faire prattiquer aux jeunes gens d'en . 3. tre fes Sujets, en viendroit aiſémeno # á bour , comme cela ſe voit par ex 3. périence en quelques Villes du Cou * chant, où on le pratique comme il I ſuit. Ils -merrent tous leurs Habi. é tans en pluſieurs Compagnies , & á ſ chaque Compagnie ils donnent le & nom de l'eſpéce d'armes dont cha | cune fe fert á la Guerre : Et parce qu'ils y emploient des Piques, des Halebardes , des Arcs, & des Mouf quets , Ils diſent, les Compagnies de Piquiers , d'Halebardiers, de Mouf quetaires , & d'Archers. Il faut donc que chaque Habitant déclare dans quelle Compagnie il veut pren. 2 dre Parti : Mais parce que tout le Monde n'eſt pas capable de porter les 0 ar 116 DE L'ART DE LA armes , ſoit à cauſe de la vieilleffe ou de quelqu'autre raiſon ; ils font parmi cét enrollement général, une Elite de chaque ſorte qu'ils appellent des Jurez , qui aux jours de Fête fontobligez de s'éxercer avec cette forte d'armes dont ils ont pris leur dénomination , aians tous leurs lieux d'exercice marquez par le Public , & ceux qui font de la même Com ., pagnie , mais non pas des Jurez contribuent de leurs bourſes pour les frais qu'il faut faire dans ces éxerci. ces . Donc ce que ces gens-lá font ne pourrions- nous pas le faire aufli ? Mais nôtre peu de prudence ne nous permet pas de prendre aucun bon parti. Ces exercices étoient cauſe que les Anciens avoient de bonne In fanterie , & qu'aujourd'hui les Na . cions du côté du Couchant en ont de meilleure que nous ; parce que les Anciens dreſſoient leurs gens chez eux comme les Républiques, ou dans les Armées comme les Empereurs , pour les raiſons que nous avonsdites ci. T GUERRE , Liv. II. 117 ci- deſſus. Mais pour nous , nous ne voulons pas leur apprendre l’E. xercice chez nous ; & en Campa . gne nous ne pouvons le faire , par. ce que n'étant pas nos Sujets, nous ne pouvons pas leur faire faire d'au tre Exercice que celui qu'ils veulent . bien faire eux- mêmes . Et tout ceci a été cauſe qu'enfin , en négligeant les Exercices & les ordres mêmes , - il eſt arrivé que les Etats ; & fur tout ceux d'Italie , font tombez dans < une ſi grande foibleſſe. Mais reve. nons á nos. Milices d'Ordonnance , & pourſuivant cette matière des E. xercices ; je dis que ce n'est pas ara ſez pour faire de bonnes Armées , d'avoir endurci les hommes , de les avoir rendu forts , adroits & vîtes ; il faut encore qu'ils apprennent á garder leurs Rangs ; á obéir aux Commandemens des Officiers ; á ſuivre le Drapeau & le Tambour même ; & ſur tout à faire bien tout cela , en faiſant ferme , en faiſant D retraitte , en marchant avant & en com . 13 118 DE L'ART DE LA combattant , & même juſques dans la marche ordinaire ; parce que fans cirte Li'c pline tres - diligemment obfervée & pratiquée ; une Armée ne peut pas etre bonne ; Car rien n ' it li vrai que les gens les plus bra ves, mais ſuns Régle & fans Diſci. pline, font plus toibles que les cimi. des qui fonc bien Diſciplinez : parce que le bon orure donne de la con. fiance ; & la confufion au contraire abbat le courage. : Mais afin que -vous compreniez mieux ce que j'ai à dire ci- apres , vous devez ſavoir que chaque Nation dans les Milives à toûjours fait des Corps principaux , qui quoi qu'ils leur aient impoſé di férens noms , étoient pourtant com poſez á peu prés du même nombre, parce que preſque tous les ont for mez de ſix à huit mille hommés : & c'eſt ce que les Romains appelloient Legion , les Grecs Phalanges, lesGau lois d'un terme, qui en Larin revient á celui de Caterve , & les Suiſſes d'aujourd'hui, qui ſont les ſeuls qui aient 1 GUERRE , Liv . II. 119 3 aient retenu quelqu'ombre de l'An. cienne Ordonnance , l'appellent en 2 leur Langue d'un terme , qui dans le nô re , revient à celui de Régiment. Il eſt vrai qu'apres cla , ces Peuples l'ont partagé en pluſicurs I'roupes propres aux deſſeins qu'ils avoient. Il me ſmile donc que nuus devons former notre diſcours ſur ce terme qui eſt plus connut, en ſuite nous donnerons à ce Corps de Milice, la 1 I meilleure forme que nous pourons , fuivant les meilleures diſpoſitions des Anciens & des Modernes. Et par ce que les Romains partageoient. leur Légion , qui étoit compoſéede cin4 á lix mille hommes , en dix Co. hortes , je veux auſli que nous par tagions nôtre Régiment ( qui ſera compoſé de dix mille hommes, de pied ) en dix Baraillons de quatre. cent cinquante hommes chacun, dont au il y en aura quatre cent peſamment ar. 20 mez & cinquante armez à la légére: de ces To Il MA 1 t Voicz les R marques. 120 DE L'ART DE LA ces quatre cents il y en aura trois cents avec l'epée & le bouclier', qu'on appellera Ecuiers *, ou.Gensde Bou clier ; Et les cent autres porteront la pique , & feront appellez Piguiers Ordinaires : Les gens - légérement armez porteront des moulquets , des arbalêtes , des pertuiſannes & des rondaches , & ils conſerveront leur ancien nom de Velitest : Par con ſéquent les dix Bataillons feront trois mille Ecuiers,mille Piquiers Or dinaires , & cinq cents Vélites auſſi Ordinaires ; ce qui en tout fera qua tre mille cinq cents. Mais parce que nous avons dit que nous ferions nòtre Régiment de fix mille hom mes il faut ajoûter á tout ceci mille Piquiers Extraordinaires , & cinq cens Vélites auſſi Extraordinaires : Ainſi toute mon Infanterie feroit compoſée moitié de Gens à Bouclier, ou Ecuiers , & moitié de Piquiers & autres Milicés. A chaque Batail lon, * Voiez les Remarqués. f V.les Rem . GUERRE , Liv. II . I21 lon , je donnerois un Comman . dant , quatre Capitaines & cinquan te Caporaux * ; & de plus aux Vélie tes Ordinaires , je donnerois un Ca. piraine avec cinq Caporaux. Pour les mille Piquiers. Extraordinaires, j'établirois trois Commandans ; dix Capitaines & cent Caporaux ; & aux Vélites Extraordinaires , je leur 5 donnejois deux Commandans , cinq Capitaines & cinquante Caporaux. Enfin par deſſus tout cela , je met trois un Chef Général de tout le 1 Régiment . Je voudrois que chaque Commandant de Bataillon eût un Drapeau & la Muſique † Militaire. Partant un Régiment feroit compo ľ A -$ ſé de dix Bataillons , de trois mille Ecuiers , de mille Piquiers ordinai res d'autant d'extraordinaires ; de cinq cens Vélites auſſi ordinaires , & de cinq cens autres extraordinaires : Tout cela feroit vôtre nombre de fix mille Fantafſins و, entre leſquels il y àu . * Voiez les Remarques. † V.les Rem . E 1 122 DE L'ART DE LA auroit ſix cens Caporaux , quinze Commandans avec chacun fon Dra. peau & là Muſique Militaire ; foi. xante -cinq Capitaines , & par deſſus tout cela , le Colonel avec ſon Dra peau particulier & auſſi fa Muſique. Je vous ai répété volontiers toute cette Ordonnance , afin que vous ne confondiez rien quand je yien drai à vous enſeigner comment il faut ranger les Armées en Bataille. Je dis donc qu'un Princeou une Ré publique, devroient régler de cette maniére tous leurs Sujets , dont ils voudroient faire des Milices d'Or donnance , & faire autant de Régi mens dans leur Pais qu'il s'en pour roit faire ; & aprés qu'on les auroit établis felon l'ordre ci-deſſus , vou . lant les former au Commandement , il ſuffiroit de les éxercer Bataillon a. prés Bataillon. Et encore que le nombre de chacun de ces Bataillons ne pût pas faire la figure d'une juſte Armée , chaque Soldat cepen dant peut apprendre tout ce qui le GUERRĖ , Liv. II. 123 regarde en ſon particulier ; parce que dans les Armées il y a deux Ordres à obſerver. L'un ce que chaque Sol dat doit faire dans ſon Bataillon . Et l'autre ce que chaque Bataillon doit faire quand il eſt en Corps d'Ar mée ; & les gens qui ſavent bien le premier , obfervent aiſément le fe cond : Mais on ne peut jamais ob ſerver ce dernier ſans ſavoir l'autre. Chaque Bataillon donc , comme j'ai deja dit, peut apprendre lui ſeul à garder les Rangs & les Files dans toutes ſortes de mouvemens & de lieux ; & enſuite il apprendroit à ſe ferrer , à entendre & á bien diſcerner ce qu'on ſonne ſur le Tambour , ou autre Inſtrument, car c'eſt par là que fe fait le Commandement pendant que l'on eſt aux mains. De force . qu'il faut diſcerner par le Tambour comme ſur lesGaléres par le Siflet ) ce qu'on doit éxécuter , ſoit que l'on commande de faire ferme , ou de marcher ayant , ou arriére ; de tour ner à droite , ou à gauche . Ainſi i . F 2 lor . 124 DE L'ART DE LA lorſqu'on ſait tenir les Files de ma niére qu'elles ne tombent point dans la confuſion ni par le terrein , ni par le mouvement ; lorſqu'on entend bien les Ordres du Commandant , par le moien du Tambour , & lorſqu'on fait reprendre promptement ſon poſte, ces gens- là peuvent enſuite facile ment apprendre tout ce qu'ils ſont obligez de ſavoir, lorſqu'ils ſonten ſemble en aſſez grande quantité pour faire une juſte Armée. Mais parce qu'une pratique générale n'eſt nulle ment à mépriſer , on pouroit en tems de Paix aſſembler une ou deux fois par an , tout le Régiment , & lui donner la figure d'une Armée, en lui faiſant faire l'Exercice quelques jours , comme s'il avoit à donner Ba . taille , en mettant le Front, les Flancs, & le Corps de Réſerve chacun dans ſon poſte. Or parce qu'un Général met fon Armée en Bataille , ou ſelon l'Ennemi qu'il voit , ou ſelon celui qu'il ſoupçonne , il faut dreſſer une Armée ſelon l'une & l'autre de ces vûës , en forte qu'elle puiſſe mar 5 5 5 7 e GUERRE , Liv. II. 125 cher , & dans la marche même com battre en cas de beſoin , en montrant à vos Soldats ce qu'ils auroient à fai re en cas qu'ils fuſſent attaquez par tel , ou tel côté . Mais lorſqu'on leur apprend á livrer bataille à l’En. nemi qu'ils voient , il faut leurmon trer comment le Combat doit com mencer ; où ils doivent faire Retrait te , s'ils ſont répouſſez ; qui ſont ceux qui doivent rentrer dans les Poſtes abandonnez ; á quels ordres & quelles touches d'Inſtrumens Mi litaires cela ſe doit faire ; à quelles voix ils ont à obéir ; en un mor il faut les éxercer ſi bien aux Batailles & aux Attaques feintes , que cela leur falſe naitre l'envie de ſe trouver aux véritables . Car.ſi une Armée eſt remplie de courage , ce n'eſt pas par ce qu'elle eſt remplie de gens déter minez ; mais parce qu'elle eſt bien diſciplinée & bien commandée ; par ce que ſi je ſuis des premiers à com battre , & que je fache où je dois fai re Retraitte , lorſque j'aurai du pire, F 3 & 126 DE L'ART DE LA & qui doit reprendre mon Poſte, je combaterai toûjours avec courage, ſentant le lecours ſi prés de moi : Si je fuis du ſecond rang des Combat tans , je ne perdrai point la Tramon tane pour voir les premiers répouſ ſez , parce que je m'y ſerai préparé, & je l'aurai méme ſouhaitté , afin d'avoir la gloire de faire remporter la Victoire à mon Prince , ſans que ceux -là y contribuent. Ces Exerci ces font d'une néceflité abfoluë lorf qu'on mer ſur pied: une Armée tou te nouvelle , & ils font néceſſaires dans les vieilles Troupes ; car on voit qu'encore que les Romains ſûffent PExercice dés leur enfance , cepen dant leurs Généraux , devant que de ſe préſenter à l'Ennemi , le leur fai ſoient continuellement répéter . Et Joſephe dit dans fon Hiſtoire Que Les continuels Exercices qu'on faiſoit dans les Armées Romaines , rendoient utile dans la Bataille même cette racaille , qui ne ſuit le Camp que pour gagner quelque choſe , parce qu'ils ſa . voient GUERRE , Liv. II. 127 voient tous garder leurs Rangs & com battre ſans les perdre. Mais pour les Armées compoſées de nouvelles Le vées , ſoit que vous les aiez miſes ſur pied pour combattre auſſi-tôt ; ou que vousen faſſiez des Milices d'Or donnance pour l'occaſion , ſi elles ne font point dreſſées à ces Exercices lá , vous n'en ferez jamais rien , ſoit en vous ſervant des Bataillons ſépa rez , ou de toute l'Armée en Corps; parce que comme il eſt impoſſible de ſe paſſer de la connoiſſance de l'Exercice , il faut entretenir ceux qui le ſavent déja , & prendre dou ble peine pour l'enſeigner aux autres; ainſi qu'on yoit que pluſieurs excel lens Généraux ſe ſont donnez des peines exceſſives & pour l'un & pour l'autre . Rucellai. Il me ſemble que ce diſcours vous a un peu éloigné de vòrre matiére , parce que n'aiant point encore déclaré les moiens de diſcipliner les Bataillons , vous vous F 4 étes 1 128 DE L'ART DE LA étes mis à traitrer des Armees entié. rts & des Batailles . Colonne. Vous dites vrai , & ce qui en eſt cauſe , c'eſt la forte paſ. fion quej'ai pour ces Réglemens, & le chagrin que j'ai de voir qu'on ne les met pas en pratique ; cependant ne doutez pasque je ne retourne fous mon Drapeau. Comme je vous ai deja dit , le point le plus important qu'on doit obſerver dans l'Exercice des Bataillons , c'eſt de leur faire bien garder leurs Files ; & pour bien faire cela il faut les éxercer ſelon l'ordre qu'on appelle de Limaçon. Mais parce que je vous ai dit, que chaque Bataillon doit étre compoſé de quatre cens hommes peſamment armez , je m'arrêterai ſur ce nom bre . Il faut donc les mettre en qua tre - vingt Files de cinq à chaque File: Enſuite , ſoit que vous mar chiez vîte , ou doucement , il faut. les lier enſemble , & les féparer ;mais pour bien faire comprendre com ment cela ſe fait , il faudroit plâtôt le GUERRE , Liv . I I. 129 le faire voir à l'ail que le dire ; Ce pendant cela n'eſt pas fort néceſſai. re , parce que tous ceux qui ont un peu d'expérience , favent comment cela ſe pratique , ce qui n'eſt bon à autre choſe qu'aapprendre aux Sol dats à bien tenir les Files. Mais mettons enſemble un de ces Batail. lons. Je dis qu'on leur donne trois formes principales. La premiére & la meilleure eſt de le faire épaix , en lui donnant une forme qui faſſe la valeur de deux quarrez . La ſecon de eſt de faire le quarréavec le front cornu . La troiſiéme eſt de le faire avec un vuide au milieu qu’on ap . pelle Place. Le moien de l'aſſem-. bler ſous la premiére forme peut é. tre de deux ſortes. 1 L'une c'est de faire doubler les Rangs ; c'eſt à di re, que le ſecond entre dans le pre mier , le quatriéme dans le troiſié me ; le ſixiéme dans le cinquiéme ; & ainſi de ſuite ; En ſorte qu'au lieu de quatre- vint Files à cinq Sol. dats par File , elles ſoient réduites à F 5 quas 130 DE L'ART DE LA quarante de dix hommes par File. Énfuite il faut les doubler encore u ne fois de la même maniére , en met tant un Rang dans l'autre ; & رainſi vous avez vint Rangs á vint hom. mes par . File . Cela fait la valeur de deux quarrez á peu prés ; parce qu'encore qu'il y ait aurant d'hom. mes d'un ſens que de l'autre , ce pendant ils ſe touchent par les cô. : Mais de l'autre ſens , ils ſont éloignez l'un de l'autre de la lon. gueur au moins de quatre pieds ; de forte que vôtre quarré eſt plus long de l'épaule au front que d'un flanc 2 á l'autre. Mais parce que nous au rons ſouvent à parler du devant, du derriére , & des côtez de ce Batail. lon , & de toute l'Armée enſemble , Souvenez vous que quand je dirai la tête , ou le front, je voudraidire la partie de devant ; quand je dirai l'épaule , j'entendrai le derriére ; & quand je dirai les flancs , ce ſont les Les cinquante Soldats ar côtez . mez à la légére , ou les Vélites Or dinaires, GUERRE, Liv. II. 131 dinaires du Bataillon , ne fe mêlent point dans les autres Rangs ; mais ils s'étendent ſur les Ailes du Batail lon , quand il eſt rangé en bataille. L'autre maniére pour ranger ces Corps- là en bataille eſt la ſuivante ; & comme elle eſt la meilleure , je veux vous repréſenter au juſte de quelle maniére on doit s'y conduire. Je croi que vous vous ſouvenez de combien d'hommes & de quels Ofi ciers le Bataillon eſt compofé , & quelle forte d'armes nous lui avons données . La forme donc qu'il doit avoir , étant rangé en bataille , eft , comme je l'ai déja dir , de vint files de vint hommés chacune ; c'eſt à dis re , de cinq files de Piquiers à la tê te, & quinze d'Ecuiers pour le re ſte : deux Capitaines feront à la tê te , & deux à la queuë ; le Com mandant avec ſon Drapeau & fes Tambours fera entre les cinq files de Piquiers & les quinze d'Ecuiers : les Caporaux doivent étre ſur les deux flancs un à chaque file ; en force F 6 que 132 DE L'ART DE LA que chacun ait tes dix hommes à côté de lui ; lesCaporaux qui ſeront à gauche auront leurs hommes á leur main droite , & ceux qui ſeront á droite les auront ſur leur gauche. Les cinquante Vélites ſeront ſur les flancs & à la queue de la baraille. Si vous voulez à préſent , que l'In fanterie allant fa marche ordinaire , le -Bataillon ſe mette en bataille dans la forme que nous venons de voir , il faut faire ainſi ; Aiant réduit les Fantaſlins en quatre-vint files , com me nous avons dit ci-deſſus, à cinj pour file ; & laiſſant les Vélites ou à la têtc , ou à la queuë , mais hors des Rangs ; il faut commander à chaque Capitaine de ſe mettre à la têre de chaque Compagnie , aiant immédiatement derriére lui cinq fi les de Piquiers , & le reſte d'Ecuiers; que le Commandant , avec le Dra. peau & le Tambour , ſoit dans l'ef pace qui eſt entre les Piquiers & les Ecuiers du ſecond Capitaine , & qu'ils occupent le terrain de trois Ecuiers: des 5 GUERRE,Liv .II. 133 des Caporaux , vint demeureront ſur les ffancs des files du premier Capi-. taine á fa main gauche : Et les vint autres ſur les flancs des files du der. nier Capitaine à la main droite. Re marquez qu'un Caporal , qui a la conduite des Piquiers , doit porterrla pique ; & ceux qui ont des Ecuiers à conduire , doivent avoir les mê. mes armes que les Ecuiers . Les fi. les étant donc en cét ordre , & vou lant dans la marche les mettre en ba. taille , pour faire face , il faut que vous ordonniez que le premier Ca. pitaine faſſe ferme avec ſes vint files, & que le ſecond continuë ſa marche en tournant ſur la droite , qu'il aille ſur les flancs des vint files qui ont fait ferme., juſqu'à ce qu'il ſe ren contre ſur lamême ligne du premier Capitaine , & alors il fera ferme com me le premier ; que le troiſiéme auſ ſi continuant ſa marche , tourne de même ſur la droite des Rangs qui ont fait ferme, & marche juſqu'à ce qu'il ſoit en même ligne que les deux au 134 DE L'ART DE LA autres Capitaines : que le quatrié. me faſſe encore la même choſe en tournant auſſi ſur la droite des autres Rangs , juſqu'à ce qu'il arrive ſur la même ligneque les autres Capitai nes , où il fera ferme comme eux ; & que tout auſſi-tôt les deux Capi. taines des deux extrémitez de la fa . ce , quittent la tête du Bataillon pour aller à la queue ; & alors il ſe ra dans l'ordre de bataille que nous vous avons démontré n'aguéres. Que les Vélites s'étendent fur fes flancs , comme nous avons fait dans la prémiére maniere de ranger en ba taille \; Or cette premiére maniére s'appelle , Doubler les Rangs en li gne droite ; & celle- ci s'appelle, Dou bler. les Kangs par les flancs. La premiére maniére eſt la plus aiſée la ſeconde eſt plus dans les régles , & plus á propos , & vous pouvez mieux l'accommoder ſelon votre in tention . Car dans la premiére , il faut s'aſſujettir au nombre ; cing , vous produiſant dix ; dix , produi ſant rrrtroo rrrrroo rrrrroo rrrrroo) rrrrxX { Ci 2 te . .. . fant GUERRE,Liv. II. fant yint , vint , quarante : 135 En for te qu'en doublant en ligne droite , vous ne pouvez pas faire une face de quinze , ni de vint -cinq , ni de trente ni de trente- cinq , mais il faur aller comme le nombre vous méne. Cependant il arrive tous les jours dans les Factions particuliéres faudra faire une tête de fix , ou huit cens Fantaſſins ; en ſorte qu il que ſi vous doubliez les Rangs en ligne droite , cela vous mettroir en C'eſt pourquoi cette ſeconde Ordonnance me plait plus que la premiére , au défaut de la . quelle on peut remédier par la pra tique & l'Exercice de celle - ci . ( 1. confuſion : Figure . ) Je vous récommande donc , con. me une choſe qui importe plus que tout le reſte , d'avoir des Soldats qui fachent prendre leurs Rangs' pronte ment , & il faut les tenir en ces Ba. taillons , les y éxercer , & les faire marcher vîte , ſoit avant, ſoit arrié. re ; les faire paſſer par des lieux difi ci DE L'ART DE LA 136 ciles ſans perdre les Rangs ; car les Soldats qui ſavent bien faire cela font des Troupes expérimentées; & ) quoi qu'ils n'aient jamais vû l'Enne mi en face, ils peuvent paſſer pour étre aguéries. Au contraire , ceux qui ne ſavent pas obſerver tous ces Ordres , paſſeront toûjours pour No vices. C'eſt la la maniére de mettre les Soldats en Corps de bataille quand ils ſont en marche par petites files : Mais lors qu'étant ainſi diſ. poſez ; ils viennent à étre rompus و par quelque accident , ou par l'En nemi , ou par le mauvais terrain , fi l'on veut leur faire reprendre pron. tement leurs Rangs ; C'eſt là où ſe trouve la difficulté , & ce qu'il y a de plus important , & où il faut bien poſſéder l'Exercice , & l'avoir bien des fois pratiqué ; وc'eſt auſli á quoi les Anciens s'attachoient beaucoup . Pour cela il faut faire deux choſes : La prémiére, d'avoir chaque Batail lon rempli de marques pour ſe ré connoitre. L'autre , d'obſerver toll jours GUERRE , Liv . II. 137 jours cét ordre , que les mêmes Fan tallins aient à prendre toûjours les mêmes Rangs. Par exemple , ſi un Soldat a commencé d'étre une fois dans la ſeconde file , qu'il continuë toûjours d'y étre, & non ſeulement dans la même file , mais encore dansle même Poſte qu'il a commencé d’ocu per ; Et pour cela , comme jel'ai déja dit ,il faut beaucoup de marques par ticuliéres . Premiérement il faut que le Drapeau foit tellement contremar qué , qu'en convenant avec ceux des autres Bataillons, pour le principal, il puiſſe pourtant étre diſtingué d'a vec eux , par les Soldats qui doivent le ſuivre. 2. Que le Commandant & les Capitaines aient des plumes au cha. peau différentes de celles des autres, & aiſées à reconnoître ; & ce qui eſt en core de plus grande conſéquence , il faut ordonner que les Caporaux ſoient auſli réconnoiflables. C'est ce que les Anciens obſervoient avec tant d'éxac titude , que les Soldats n'avoient rien autre choſe marqué ſur leur caſqueque leur 138 DE L'ART DE LA leur nombre , s'appellant, Premier , Second , Troiſiéme &c. Mais , ou tre cela , ils avoient encore écrit ſur leur bouclier non ſeulement la file mais auſſi le rang même qu'ils de. voient tenir dans cette file. Tous les Soldats donc érant ainſi contremar quez , & accoûtumez à garder cha cun ces rangs- là , il ne ſera pas difficile , étant rompus de les ral. lier auſſi -tôt ; parce que le Dra peau étant fixe en ' unmêmelieu , les Capitaines & les Caporaux peuventà l'ail connoître leur pofte ,& ceux de la gauche s'étant remis à gauche ; & ceux de la droite , à droite dansles die ſtances qu'ils ont accoûtumé d'avoir , les Soldats auſſi étant réglés par leurs contremarques , peuvent incon tinent reprendre leurs poftes , a peu prés de la même maniere que ſi vous défaites un tonneau dont vous aurez marqué les douves , il vous fera fa cile de le refaire , ce qui vous ſera fort difficile ſi vous ne les marquez pas . Ces choſes -là avec un peu de foin & de de 11 ES GUERRE, Liv . II. 139 de prattique , fe montrent aiſément & s'apprennent de même ; & étant une fois appriſes elles s'oublient dif. ficilement, parce que les jeunes Sol dars ſont conduits par les vieux & ;و avec le tems tout un pais ,, en faiſant l'exercice de cette façon , deviendroit adroit au mêtier de la guerre . Il faut encor leur apprendre à tourner tout d'un tems , & à faire quand il le faudra des flancs & de la queue , la tête ; & de la tête les Aancs ou la queüe : Rien n'eſt plus facile , car chaque Soldat n'a qu'à ſe tourner du côté qu'il eſt commandé , & là où ils font volte face , là eſt la tête. Il eſt vrai que quand ils cournent par les fancs , les rangs viennent à per dre leur proportion , parce qu'un homme a plus de largeur d'un côté à l'autre que d'épeſſeur , ce qui pro duit un effet tout contraire à celui qui eſt ordinaire dans une ordonnan ce de bataille: Ainſi il faut que ce ſoit l'uſage & le jugement qui les r'a juſte. Et ce n'eſt pas-là un grand déſor . 140 DE L'ART DE LA déſordre parce que les Soldats y re . medient fort bien d'eux mêmes . Mais ce qui eſt de plus grande importan ce & où il faut une plus grande pratti que , c'eſt quand un Corps de Ba taille ſe veuttourner tout d'un coup comme ſi ce n'étoit rien qu'un corps Solide. C'eſt ici qu'il faut avoir bien de l'uſage & du jugement : parce que par exemple ſi vous le voulez tour ner ſur la gauche , il faut que l'aile gauche ne face pas le moindre mou vement , & ceux qui ſont les plus proches de ceux qui font ferme , doi vent marcher ſi doucement que ceux qui ſont à l'aile droite ne ſoient pas obligez de courir , parce qu'autre ment tout tomberoit dans la confu . ſion . Mais parce qu'il arrive toûjours, lors qu'une Armée eſt en marche pour aller d'un lieu à l'autre , que les corps qui ne ſont pas de front-font obligez de combattre , non de front , mais de flanc ou de queue , en ſorte qu'un Bataillon eſt obligé de faire en un in ſtant GUERRE , Liv .II. 141 ſtant ou de la queue ou du flanc la têre ;زſi vous voulez que ces Batail lons gardent l'ordonnance que nous avons marquée cy -deſſus, il faut pla cer les Piquiers du côté qui doit être la tête & les Caporaux , les Capitai . nes & le Commandant chacun dans ſon poſte , à la même proportion de la premiere ordonnance. Or pour faire cela , lors que vous formez vô. tre Bataille , il faut faire vos quatre vint files de cinq hommes chacune , mettre tous les Piquiers ſur les vine S premieres files ; & de leurs Capo raux vous en mettrez cinq à côté des 3 j S cinq premiers rangs , & les cinq au. tres à côté des cinq derniers ; les au. tres ſoixante files qui viennent enſui te , font toutes d'Ecuiers qui font trois cents hommes. Il faut donc que la premiere & la derniere file de chaque Compagnie ſoient compoſées de leurs Caporaux : le Commandant avec le Drapeau & le Tambour doit être au 5 milieu de la premiere Compagnie des 1 Ecuiers , & les Capitaines rangez cha , 142 DE L'ART DE LA ch..cun à la tête de la Compagnie. Tout étant en relle ordonnance ſi vous voulez que les Piquiers tour nent ſur le flanc à gauche , il faut que vous doubliez les rangs dans cha que Compagnie du côté du flanc à droite , ſi vous voulez qu'ils vien nent ſur la gauche. Ainſi tout ce Corps de Bataille marche , aiant ſur un des flancs les Piquiers & les Ca poraux à la tête , & à la queue les Capitaines étant à la tête de leurs Compagnies & le Commandant au milieu . C'eſt donc dans cette or donnance que le Bataillon marche ; mais lorſque l'ennemi paroît و, & qu'on veut faire du flanc la tête , tout ce qui eſt néceſſaire , c'eſt de faire faire volte face à tous les Sol. dats du côté où ſont les Piquiers , & alors tout le Corps tourne ayec, les files & les Caporaux de la maniere qu'on a vû cy -deſſus, parce que cha cun ſe trouve dans ſon poste, excépré les Capitaines qui les reprennent prontement & ſans peine. Mais GUERRE , Liv. II. 143 Mais lors que ce même Bataillon doit combattre de la queuë il fauc mettre les files d'une telle ordonnan 1. ce que lors qu'on les mettra en Ba taille les Piquiers ſe rencontrent à la ..queuë ; & pour en venir à bout , il n'y a qu'à faire en ſorte que chaque ce Compagnie ait cinq. files de Piquiers en queuë , au lieu de les avoir en tê. te ſelon l'ordonnance ordinaire , & % pour le reſte il faut obſerver le mê. me ordre que j'ai déja marqué . Rucellai. Je me ſouviens bien que vous avez dit , . que cette manière d'Exercice , eſt pour pouvoir rédui re tous ces Bataillons en Corps d'Ar mée , & certe pratique fert á pou voir les mettre en ordonnance pour cela. Mais ſi le cas arrivoit que ces quatre cens cinquante hommes euf 8 ſent à ſe battre étans ſéparez des au tres Corps ; comment les diſpoſe riez -vous ? Colonne. Le Commandant doit en tel cas regarder où il doit placer les Piquiers , & les y , placer ; ce qu'il 1 144 DE L'ART DE LA qu'il faut entiérementexécuter com me ci-deſſus ; parce qu'encore que ce ſoit la maniére qu'on obſerve pour donner Bataille quand on eſt jointa vec les autres Corps ; C'eſt cepen dant auffi une régle qui s'obſerve, dans toutes les rencontres , où il en faut venir aux mains . Mais lorſque je vous montrerai les deux autres moiens que j'ai propolez pour faire l'ordonnance d'un Bataillon , رje ſa tisferai encore mieux à vôtre que ſtion , parce que ces moiens ne ſe pratiquent jamais ; ou s'ils ſe prati quent , c'eſt quand un Bataillon eſt ſeul. ( II. Figure .) A préſent pour ſe mettre en ba-. taille avec deux Ailes , il faut for mer vos quatre - vint files de cinq 1 hommes chacune; mettre au milieu un Capitaine , & aprés lui , vint cinq files , qui foient de deux Pi quiers ſur la gauche , & de trois E cuiers ſur la droite ; & aprés les cinq prémiéres , vous mettrez ſur les vint autres vint Caporaux , tous poſtez entre SEC rx O TXOO Ix00 rx 00 txООО xr ООХГ ХОО TXO O oxrCrxop OOX OOOQUOXr TXOO TXOO . 4 . و ینام 013 NO AV ! Ta 100 I If ND Odd IUX will000.00 Df GUERRE, Liv.:II. 145 entre les Piquiers & les Ecuiers ; ex cepté ceux des Caporaux qui por tent la pique , qu'on peut poſter a vec les Piquiers. Aprés ' ces vint cinq files miſes en telle ordonnance, il faut poſter un autre Capitaine , qui aura derriére lui quinze files d'E cuiers. Entre ceux-ci ſera le Com mandant entre ſon Drapeau & ſon Tambour, qui aura encore derriére lui quinze autres, files d'Ecuiers. Aprés le Commandant vous pofte rez le troiſiéme Capitaine , qui doit avoir derriére lui vint-cinq files, dans chacune deſquelles il y aura trois E cuiers ſur la gauche , & deux Pi quiers ſur la droite ; & à la queuë des cinq premiéres files , poſtez ſur les vint autres, vint Capciaux qui feront entre les Piquiers & les E cuiers. Aprés ces files , vous pla cerez le dernier Capitaine. Si donc vous voulez mettre en Corps de ba taille , qui ait deux ailes , toutes ces files ainfi diſpoſées ; il faut que le premier Capitaine avec ſes vint- cinq G files 146 DE L'ART DE LA files faffe fernie. Enſuite il faut que le ſecond Capitaine avec ſes quinze files d'Ecuiers , ſe mettel en mouve ment, en tournant ſur la droite des yint-cinq premiéres files, & qu'il mar che juſqu'à ce qu'il arrive à la hau. teur des quinze , & que là il faſle halte. Aprés cela , le Commandant avec tes quinze files d'Ecuiers qu'il a en queüe , doit en tournant ſur la droite des quinze files qui viennent de marcher, marcher auſſi lui, juf qu'à ce qu'il foit venu à leur tête où il doit faire halte . * Enfin que le troiſiéme Capitaine , avec les vint cinq files , & le quatriéme Capitai ne qui étoit à leur queuë , marche aufli en tournant à droite en flanc des quinze files d'Ecuiers qui ont marché les derniers ; & fans faire halte à leur tête , qu'il marche juſ qu'à ce que les derniéres files de ſes vint-cinq, ſoient en même ligneque les derniéres de ces quinze-là. Quand cela ſera fait , que le Capitaine qui écoit à la tête des quinze prémién res GUERRE , Liv. II. 147 rés files d’Ecuiers , quitte fon poſte, & s'en aille á la queuë de l'angle à gauche. Ainſi on aura un Corps de bataille de vint- cinq files fermes, à vint Fantaſlins par file , avec deux ailes aux deux angles de la face, & chacune de ces ailes aura dix files de cinq hommes chacune . ; & il re ſtera entre les deux ailes un eſpace aſſez grand , pour que dix hommes de front y puiſſent tourner: Acha que angle de la queuë du Bataillon, il y aura encore un Capitaine. Il y . aura auſſi deux files de Piquiers & vinc Caporaux à chaque flanc . Ces deux ailes ſervent à tenir au milieu 은 į l'Artillerie, quand on en a , le Ba gage & les Fourgons. Il faut que les Vélites ſoient ſur les flancs à couvert des Piquiers . Mais ſi vous youlez de cet eſpace faire une place dans le Bataillon , prenez trois files des quinze qui ont vingt hommes par file , & les poſtez entre les an 1 gles des deux ailes , qui par là de viendront les flancs de la place dont G 2 ils 148 DE L'ART DE LA ils étoient avant cela les ailes. C'eſt dans cette place où le poſte le Com mandant & la Banniére avec l'Equi page & les Fourgons ; mais non pas I'Artillerie , qu'on place ou en tête, ou en flanc. Ce font là les manié. res d'ordonner un Bataillon, quand il a à paſſer ſeul dans des lie x ſuſpects. Cependant il eſt mieux de n'ayoir ni place , ni ailes', à moins que ce ne ſoit pour mettre à couvert ceux qui ne ſont pas en état de combat. tre . Les Suiſſes donnent encore plu ſieurs formes à leurs Bataillons , en tre leſquelles il y en a une en forme de croix : parce qu'ils tiennent leurs Mouſquetaires à couverc du choc des forment dans les eſpacesque Ennemis Ma pa les bras de la croix . Mais qu is rce e ces ordonnances -là ſont bonnes pour combattre ſéparément , & que mon intention eſt de vous faire voir com ment pluſieurs Corps enſemble com battent l'Ennemi , je ne veux pas me donner la peine de vous en faire une démonſtration exacte. Rue TROISI Cette Figure démontre comm & 49 000 000 aſ. 00000 000i'on оо * X X X X X X X X X XOX O O XOOX0oXoolans dddddddddd ***** ddddddddd OU dddddddddddddddd dddddddd itre rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr au Front. idi. Crrir i rrrrrrrrrrrrrrrr ruſli dddddddddddddddddddd ous dddddddddd ***** d d d ddux XXXXXXXX0000000000xxx 00000000000000000000 (un 00000000000000000000 ers. SBZ 00 000 000 oopar 00000000 00000000 OOOOOOOO 00000000 ooor oomc oo ré 0o3a 00000000 Ooon 00 0 00 0 0 0 Ooire 0000000'O 00000000 00000000 ooles ooije ooet 0000000000000000000 oon 00 0000 000 0000 000 0000 il X X X X X X X X OO 0000 XXXin dddddddddd ***** dddddcp dddddddddddddddd dddd Crrrrrrrrrrrrrrr rrrrr G 9 1 1 ils d fez m doi: ра Dorini Vine . . lesd οι re Regi 11 naire 7 a '. Extr C. ni . ! ne 1 pas a مرام .۱۰ C: Co ſoin la,je q! tro ſie chaos tro PM de M Ei les donn 16520 tend caill tion ce ini Elco ſumb mi les é ba da dé lation n'eft СО ree 3 GUERRE , Liv. II. Rucellai. 149 Il me ſemble avoir aſ. fez bien compris la métode qu'on doit tenir pour éxercer les gens dans ces Bataillons ; mais ſi je m'en ſou yiens bien , vous avez dit , qu'outre les dix Bataillons , vous ajoutiez au Régiment mille Piquiers Extraordi naires , & quatre cent Vélites aufli Extraordinaires. Ne voudriez ous pas auffi faire fairel'Exercice à ceux ci ! ( III. Figure. ) Colonne. Sans doute & avec un foin extréme ; & pour ces Piquiers. là , je les éxercerois au moins par chaque Drapeau dans la même or donnance que les Bataillons comme les autres Piquiers ; parce que je pré tendrois m'en ſervir plus que des Ba taillons mêmes dans toutes les fon . ctions extraordinaires , commeà faire Eſcorte , à faire le Pillage & choles ſemblables. Mais pour les Vélites , je les éxercerois chez eux , ſans les met tre en Corps ; parce que leur fon etion étant de combattre ſéparez il n'eſt pas néceſſaire qu'ils aient aucun rap G 3 150 DE L'ART DE LA rapport avec les autres dans leurs Exercices. Il faut donc comme je vous l'ai dit , & comme il me ſem , ble le devoir répéter ; il faut, dis-je, éxercer ces gens dans les Bataillons , en forte qu'ils fachent garder leurs Rangs , connoître leurs Poſtes , fe rallier prontement , fi l'Ennemi , ou le terrein les met en défordre : Car quand on fait bien faire tout cela , on apprend aiſément quel Poſte doit tenir un Bataillon , & ce qu'il doit faire quand il eſt en Corps d'Ar mée. Et toutes les fois qu'un Prin ce , ou une République prendra la peine d'établir ces Ordres & ces E xercices avec foin , ils s'apperce vront bien - tót , qu'il y aura de bon nes Troupes dans leurs Pais , qu'ils . feront plus puiſſans que leurs Voi fins , & en état de donner , & non pas de receyoir la Loi des autres hommes . Mais comme je vous ai dit , le peu d'ordre dans lequel on vit , fait qu'on néglige cela ; & c'eſt pour cette raiſon que nos Armées font GUERRE, Liv . II. 15 I'I ſont ſi peu de choſe ; car quand mê. me on auroit eu un Chef expéri menté , ou des Soldats naturellement braves , ils ne pourroient pas y ré. médier . INS fe 01 Rucellai. Combien de Fourgons donneriez-vous à chaque Bataillon ? Colonne. Avant que d'en marquer le nombre , je vous dirai, que je ne voudrois pas qu'aucun Capitaine , ni a, DIE 21 at 10 Subalterne montật à cheval ; & fi le Commandant vouloit y aller,je vou drois qu'il moncât un mulet & non pas un cheval. Pour lui , je lui ac corderois deux Fourgons, à chaque Capitaine un , & à trois Subalternes ces j'en. accorderois deux ; parce qu'à ils trois enſemble , comme nous dirons res 21 Jn chaque logement nous en' mettons tantòt. Ainſi, chaque Bataillon aura trente-ſix Fourgons , qui devroient porter les tentes , les utenſiles de cui fine, les coignées , les.pics pour fai. re les logemens , en fùite tout ce qu'on pourroit y mettre commodé . ment . es 11 G 4 Com 152 DE L'ART DE LA Rucellai. Je croy bien que les Officiers que vous établiſſez dans chaque Bataillon ſont à peu prés né ceſſaires : mais ne ſeroit-il point à craindre que la quantité n'apportât de la confuſion . Colonne. Cela arriveroit s'ils n'é. toient pas ſoumis à un ſeul ; mais y étant soumis ils apportent l'ordre, & l'on ne pourroit pas conduire le Bataillon ſans cela ; car une muraille qui panche de tous côtez a plus be foin de pluſieurs petits appuis , que d'un petit nombre de gros ; parce que la force de l'un ne peut pas remédier à un endroit éloigné. C'eſt pour cela qu'il eſt néceffaire dans une Armée , entre chaque dixaine de ſoldats qu'il y en ait un de plus de force , de plus de courage , ou au 1 moins de plus d'autorité que les au tres , qui de cæur , de paroles & d'exemple , tienne les autres dans le devoir & diſpoſez à . the actre. Mais - pour montrer que tout que j'ai dit 4 1 GUERRE , Liv. II. 153 dit eſt néceflaire dans une Armée , comme les Officiers , les Drapeaux & les Tambours , c'est quenousayons tout cela dans les nòtres , mais pas un ne fait ſon devoir. Prémiérement les Caporaux , afin qu'ils faſſent le dû de leur Charge , il faut , comme j'ai dit , qu'ils ſoient à côté deleurs Soldats, qu'ils logent avec eux , qu'ils aillent I en Fa &tion , qu'ils ſe tiennent dans les files avec eux ; parce que lorſqu'ils font dansleurs Poſtes, ils fervent de régle pour tenir les lignes droites ; Ainſi il eſt impoſſible qu'étant rom pües , elles ne ſe rallient auſſi-tôt. Mais nous ne nous en ſervons aui . jourd'hui que pour leur donner plus de paie qu'aux autres , & à leur faire faire quelque Faction différente. C'eſt la même choſe des Enſeignes , parce qu'on les tient plûtôt pour la belle aparence , que pourjaucun uſa ge Militaire. Mais les Anciens s'en ſer voient comme de Guides & pour étre en état de ſervir aux Soldats à ſe ral G5 lier ; 154 DE L'ART DE LA lier ; parce que l'Enſeigne faiſant ferme , chacun ſavoir le Poſte qu'il re. occupoit auprés de lui , & il y . tournoit toûjours. On ſavoit enco .. refi on avoit à faire un mouvement, ou à faire ferme, ſelon qu'on voioit l'Enſeigne étre en mouvement ,. Ou étre fixe. Il eſt donc néceſſaire que dans une Armée il y ait pluſieurs . Corps, & que chaque Corps air fon Drapeau , parce qu'avec cela il a af ſez d'ame , & par conſéquent affez de vie . Ainſi les Fantallins doivent fuivre les mouyemens de l'Enſeigne; & l'Enſeigne , celui du Tambour : car quand il bat juſte , il commande . á l'Armée , laquelle marchant dans cette cadence, tous marchent égale ment ; & dent leurs Rangs. C'eſt pour cela que les Anciens avoient des Flûtes , des Fifres , & autres eſpéces deMu -fique Militaire parfaitement réglée ; parce que comme celui qui danſe, marche felon les tons des Inſtru mens , ce qui l'empêche de faire de faux I GUERRE , Liv. II. 155 faux pas ; ainſi une Armée ne perd jamais ſes Rangs , quand elle fait les mouvemens du Tambour. auſli C'eſt pour cela qu'ils varioient les tons , ſelon qu'ils vouloient animer , appaiſer , ou arrêter le courage de leurs gens. Et comme les fons é. toient différens , ils leur donnoient auffi différens noms. Le Son Dorin que , faiſoit naître la Fermeté ; le Frigien , la Furie : D'où l'on dit , qu'Aléxandre étant à table , & enten dant battre la Frigienne , il ſe ſentit fi animé , qu'il mit les armes à la main . . Il faudroit tâcher de retrou . ver toutes ces maniéres- là ; & s'il é . toit trop difficile, il ne faudroit pas au moins oublier ces fons qui apren droient au Soldat à obéir ; chacun les peut varier & accommoder à fon goût , pourvů qu'il forme l'oreille de ſes Soldats à les diſtinguer. Mais aujourd'hui tout ce qu'on retire de ces fons Militaires , ce n'eſt rien que le bruit des fanfares. G6 Rita 156 DE L'ART DE LA Rucellai. Je voudrois fçavoir de fi jamais vous y avez fait réflexion , d'où vient une ſi grande lâcheté , un ſi grand déſordre & une fi grande négligence de l'exercice VOUS dans ces tems- ici ? Colonne. Je vous dirai volontiers ce que j'en penſe. Vous fçavez qu'il y a eu d'exellents guerriers & en grand quancité , en Europe, peu en Affrique, encore moins en Afië. Cela vient de ce que ces deux der nieres parties du monde ont été ſans une ou fous deux Monarchies ; & ont eu peu de Républiques: Mais l'Europe n'a eu que quelques Mo narchies & beaucoup de Républi ques. Or les hommes ne dévien. nent habiles gens & ne montrent leur valeur, que ſelon qu'ils ſont em ployez & animez par leur Prince ou par leurRépublique. Il faut donc que là où il y a plufieurs Puiſſances, il y naille pluſieurs grands hommes , & ou il y ena peu ,qu'il s'y produiſe auſſi tout peu de braves gens. Dans l'A fie . GUERRE , Liv. II. 157 fie vous avez Ninus, Cyrus , Artaxir. ces , Mithridate', & peu d'autres qui leur tiennent compagnie. En Affri que, fans parler desAntiquitez E syptiennes , vous avez Maffiniſſe , Jugurta ; & les autres Généraux , produits par la République de Car tage ; mais qui ſont en fort petic nombre eu égard à ceux de l'Eu rope : Car en Europe , il y a eu une infinité de Grands Hommes dont le nombre feroit encore plus grand , fi l'injure des tems n'en avoit ฯ point enteveli pluſieurs dans l'ou. j bli ; Parce que dans les Pais , où il уаeu plus d'Etats pour éléver le . mérite , foit par néceſſité , ou par quelque autre motif; là il s'eſt trou. } vé plus d'habiles gens. Il eſt donc ſorti peu d'Hommes diſtinguez d'A fie parce que ce Pais étant foll mis à un ſeul Empire , qui la plus part du tems , à caufe de ſon éren. duë , croupiſſoit tout à fait dans Poiſiveté ; il ne pouvoit s'y for mer des Gens propres pour les gran 158 DE L'ART DE LA grandes actions. que , Dans l’Affri . il eſt arrivé , la même choſe mais il y en a eu pourtant un peu plus à cauſe de la République de Cartage: Car les Républiques pro duiſent plus de Grands Hommes que les Monarchies , parce que chez el les le plus ſouvent on réconnoit le mérite; mais dans les Monarchies , on le craint; D'où il arrive que dans une République ; on éléve les Grands Hommes , & dans les Mo narchies on s'en défait. En confi. dérant donc l'Europe , on verra , qu'elle a été remplie deRépubliques & de Monarchies , leſquelles étant en jalouſie les unes des autres , é. toientobligées de ſe tenir ſur leurs gardes , & de faire cas de cette ſorte de gens qui excelloient le plus pour la Guerre . Car en Gréce , outre le Roiaume de Macédoine , il y avoit pluſieurs Républiques , qui toutes produiſirent de trés - Grands Hom mes . Dans l'Italie il у avoit les Ro mains , les Samuites , les Toſcans , 6 lai GUERRE , Liv. II. 159 la Gaule Ciſalpine. . La France & l'Allemagne étoient pleines de Ré publiques &de Princes. L'Eſpagne de même. Et quoi qu'en comparai ſon des Romains , on ne voie pas . qu'il y ait eu dans ces trois Pais là beaucoup de Gens Illuſtres , cela vient de la malice des Auteurs qui fuivent la Fortune , & ſouvent illeur fuffit d'honorer les Vainqueurs. Mais il n'y a pointde raiſon dedire que par miles Samnites & les Toſcans, qui eurent la Guerre cent- cinquante ans avec les Romains , devant que d'é tre vaincus , il n'y ait pas eu un grand nombre de braves gens : : Il en eft de même de la France & de l'Ef pagne. Mais les belles qualitez que les Hiſtoriens ne loüent point dans les Particuliers , ils- les loüent fort dans les Peuples entiers , lorſqu'ils élévent juſqu'aux Cieux, l'opiniâtre té avec laquelle ils défendoient leur liberté. Puis donc qu'il eſt vrai que là où il y a plus de Puiſſances, il s'y produit auſli plus de Grands Hom mes 160 DE L'ART DE LA mes ; il s'enfuit de néceſſité que quand ces Etats viennent à s'abolir , le mérite vient incontinent à s'y é teindre aufli; les occaſions qui font les Grands Hommes étant moins fréquentes. C'eſt ce qui a été cau Romain s'étant ac, cru , & aiant aboli toutes les Répu bliques & les autres Etats d'Europe & d'Affrique , & grande partie de ceux d'Aſie , il n'eft plus reſté de porte ouverce à la vertu que Rome ſeule. D'où il s'enſuivit , que les fe que l'Empire Grands Hommes commencérent à étre rares en Europe , conime en A fie , & le mérite vint en fuite dans une grande décadence ; parce qu'é tant enfermé dans l'enceinte de Ro. me , lorſqu'elle vint à ſe corrom pre , tout le Monde tomba auſſi dans la corruption : de ſorte queles Scytes n'eurent pas de peine à venir ravager cet Empire , qui aiant éceint la ver n'eût pas la forie de conſerver la ſienne. En itu de tous les autres fuite quoi que véc Empire ſe vît dé. GUERRE, Liv. II. 161 démembré en pluſieurs morceaux par l'inondation de ces Barbares , la vail lance pourtant ne s'y rénouvella pas ; tant parce qu'on eſt long - tems à reprendre les bons Ordres , lorf qu'on eſt dans la confuſion ; que parce que la maniére de vivre d'au. jourd'hui , fondée ſur la Religion Chrétienne, n'oblige pas les gens à ſe défendre comme on faiſoit autre. fois : Car on tuoit les Vaincus ou on les faiſoit Eſclaves pour tou jours ; ce qui rendoit leur vie miſé rable ; les Pais Conquis étoient dé ſolez , ou les- Habitans en étoient chaſſez , dépouillez de leurs biens , . & envoiez vagabonds par le Mon de ; En ſorte qu'un Peuple ſurmon 1 té en Guerre' , ayoit à ſouffrir les 1 derniéres miférés. Certe terreur faifant une forte impreſſion ſur leſ prit des gens , cela les rendoit crés. vigilans dans tous les Exercices i de la Guerre , & leur faiſoit beau : loient. coup reſpecter ceux qui y excel 1 Mais aujourd'hui cette ter 162 DE L'ART DE LA terreur eſt preſque diſſipée ; car de vint à peine en cuë-t-on un , & au cun ne garde long-tems. la Priſon , parce qu'on les déliyre aiſément. On ne détruit plus les Villes qui ſe ré volcent ; on laiſſe les gens dans leurs biens , & le plus grand mal qu'ils ont à craindre , c'eſt une Contribu tion ; Tellement qu'on ne veut plus fe foûmettre aux Ordres de la Guer re , ni en ſouffrir toutes les fatigues, pour éviter un péril qui n'épouvan te pas beaucoup. Deplus, ces Pro vinces d'Europe font aſſujetties à un petit nombre de Souverains , eu é: gard au tems paſſé. Car toute la France eft follmiſe à un ſeul Roi ; toute l'Eſpagne à un autre ; l'Italie n'eſt pas fort partagée ; de ſorte que les petits Etats fe defendent en s'ap puiant ſur le plus fort : & les grands Etats ne craignent pas une derniére déſolation , par les raiſons que nous ayons dites . Rucellai. On a pourtant vû de puisvint-cinq ans beaucoup de lieux faç. GUERRE , Liv. II. 163 faccagez & des Royaumes perdus ; & cée éxemple devroit bien appren dre aux autres à vivre , & à remet tre un peu ſur pied les anciens Ré. glémens . Colonne. Ce que vous dites eſt vrai ; mais ſi vous remarquez bien quels lieux ont été ſaccagez , vous verrez que ce ne ſont pas les princi pales Villes des Etats, mais plûtôt les Dépendances : Ainſi l'on voit que Tortone fut faccagée , & non pas Milan ; Capoio, & non pas Na ples ; Breſce , & non pas Venize ; Rayenne , & non pas Rome. Ces Š exemples-là ne font point changer les meſures de ceux qui ont l'autori té en main; au contraire cela les af. fermit dans leur opinion , parce qu'ils eſpérent ſe dédommager par les Con tributions qu'ils feront paier aux au. tres : Et c'eſt pour cela qu'ils ne veulent point ſe foûmettre à la peine de faire faire les Exercices Militai. res , qui leur ſemblentd'un côté рец : néceſſaires ; & de l'autre un embar. ras. 164 DE L'ART DE LA ras qu'ils n'entendent pas. Les au tres qui ſont dans la dépendance , & à qui de ſi terribles exemples de vroienc faire peur , n'ont pas le pou voir d'y rémédier. A l'égard des Princes qui ont perdu leur Etat , il n'eſt plus tems de penſer aux moiens de leconſerver : & ceuxqui en font encore les Maitres ſavent , & ne font pas ; parce qu'ils veulent , fans ſe donner aucune peine , dépendre de la Fortune , & non pas de leur Va leur ; car ils voientqu'y aiant peu de mérite dans le Monde , c'eſt la Fortune qui gouverne tout ; de for te qu'ils veulent en dépendre , & non pas qu'elle dépende d'eux. Mais pour vous montrer que tout ce que je vous ai dit eſt vrai , regardez l'Al lemagne , quipour" étreremplie de différens Etats, eſt en poſſeſſion de beaucoup de Valeur ; & tout ce qu'on a de bon dans la Milice au jourd'hui vient de l'éxemple de ces Peuples , qui étans tous jaloux de leurs Etats , ils ſe précautionnent CON 2 GUERRE , Liv. II. 165 contre l’Eſclavage qu'on n'appréhen de pas aſſez ailleurs , ils ſe maintien nent libres & ils le font reſpecter. Or cela doit ſuffire , ſelon mon fens, pour faire voir la cauſe de la lâche té d'aujourd'hui. Je ne ſai pas fi vous étes de mon ſentiment , ou ſi vous avez quelque doute ſur tout ce diſcours . Rucellai. Aucun و, au contraire j'en tens parfaitement bien tout cela . Je ſouhaitie feulement , qu'en reprenant notre principal ſujec , vous me difiez comment vous diſpoſeriez la Cavale rie avec ces Bataillons ; combien vous en meteriez ſur pied , quels Offi. ciers , & quelles armes vous leur don neriez. Colonne. Croiez - vous que je les aie laiſſez -là ? Cependant je yous en parlerai peu , pour deux rai ſons ; la prémiére , C'eſt que la for ce d'une Armée eſt dans l'Infante C'eſt que cette rie : la ſeconde partie de la Milice n'eſt pas gâtée comme l'autre , car ſi elle n'eſt pas plus 166 DE L'ART DE LA plus forte quecelle des Anciens , el le va du moins au pair . J'ai pour tant parlé ci-devant des moiens de lui faire faire l'Exercice : Mais pour ce qui regarde les Armes , je n'en voudrois point d'autres , que celles qu'on a aujourd'hui , tant dans la Cavalerie Légére , que dans les Gen darmes. Je voudrois pourtant que les Chevaux Légers fuſſent tous Ar balêtiers , avec quelques Mouſque tons entr'eux ; Car quoi que ces ar mes ſoient preſque inutiles dans tou tes les autres. Expéditions Militai res , elles ſont fort néceſſaires ici , pour épouvanter les Paiſans , & les chaſſer d'un Paſſage qu'ils garde roient ; car un Mouſquetaire leur fe ra plus de peur que vint autres Sol dats. A l'égard du nombre , puiſ que nous avons pris à tâche d'imiter la Milice Romaine ; je ne voudrois pour chaque Régiment * , que trois cent Chevaux ', dont il faudroit qu'il у * Ce Terme eft expliqué dans les Remarques. GUERRE, Liv. II. 167 y eût cent cinquante Gendarmes , & cent cinquante Chevaux Légers ; & di à chaque ſorte de Cavalerie , je don. verois un Chef , faiſant enſuite en . 1 DS tr'eux quinze Dixeniers par chaque Troupe , en donnant à chacune un Guidon & un Trompette. Je vou drois que chaque Dixaine de Gen darmes eût cinq Fourgons, &que cha que Dixaine de Chevaux Légers n'en eût que deux , qui comme ceux des Fantaſſins, ſerviſſent à tranſporter les tentes , les utenſiles de cuiſine , les haches , & les pics ; & en cas qu'il y eût de la place de reſte , on y met troit encore leur bagage. Ne vous imaginez pas que tout cét équipage ſoit un déſordre ; Car cela ne ſe peut autrement , les Gendarmes aiant chacun quatre chevaux pour leur ſer vice . Il eſt vrai que c'eſt un abus ; puiſque nous voions en Allemagne un Gendarme marcher ſeul , n'aiant que ſon cheval , & vint n'avoir qu'un ſeul Fourgon , qui traîne aprés eux ce dont ils ont beloin. Les Cava. liers 168 DE L'ART DE LA liers Romains en uſoient de même , il eſt vrai que les Fantaſſins qu'on apel loit Triaires, logeoient auprés d'eux , & étoient obligez de penſer & de gou verner leurs chevaux ; ce que nous pourrions aiſément imiter , commeje ferai voir en parlant des logemens. Ce que les Romains donc faiſoient, & ce que font encore les Allemans , nous pouvons le faire auſli , & même c'eſt un défaut de ne le pas faire. Cette Ca valerie ainſi établie , ſe pourroit auſſi mettre en Eſcadrons dans le tems qu'on éxerceroit les Bataillons, & leur faire faire quelque ſorted'ataque, plû tôt pour apprendre à ſe connoître les uns les autres, que pour aucune nécef lité. Mais en voiciaſſez pour l'heu. re : il faut à préſent former une Ar mée pour pouvoir livrer bataille , & pouvoir ſe promettre la Victoire qui eſt la fin de ceux qui établiſſent des Milices , & qui aportent tant de foin à les mettre en bon état. Fin du Livre Second . LE 169 I DE L'ART D E LA AP GUERRE LIVRE TROISIEME. Rucellai. UISQue nous changeons P de diſcours , je prétens quenous changions auſſi de faiſeurs d'objections & de deman les ; car je ne voudrois pas paſſer pour préſomptueux ; défaut que j'ai toûjours blâmé chez les au C'eſt pourquoi je me démets de cette charge entre les mains de tras . HΗ ce 170 DE L'ART DE LA celui de ces Meſſieurs qui voudra l'accepter. 1 Zanobe. Nous étions trés - con tents que vous continuaſſiez ; mais puiſque vous ne le voulez plus, nom mez au moins vôtre ſucceſſeur. Rucellai. Je donne cette commiſ ſion au Seigneur Colonne lui-même. Colonne. Je l'accepte volontiers , &j'ordonne que nous ſuivions la coû. tume de Veniſe , Que le plus jeu . ne parle le premier ; parce que c'eſt ici l'exercice de la Jeuneſſe. Je me perſuade qu'elle eſt auſſi propre à en bien parler , comme elle eſt pronte à en bien faire les éxécutions. Rucellai. C'eſt donc vôtre tour , Seigneur Alemanni ; Et comme je fuis fort aiſe qu'il ſoit mon fuccef ſeur , je croi, Meſſieurs , que vous en ſerez aufli fort contents. Mais ne perdons point de tems , je vous prie , & retournons à nôtre ſujet: Colonne. Je ſuis aſſuré , que qui voudroit faire voir la meilleure or donnance d'une Armée pour donner Ba. 21 HI GUERRE, Liv . III. 171 Bataille , il faudroit rapporter com ment les Grecs & les Romains diſ poſoient leurs Troupes dans les Ar mées . Néanmoins comme vous pou vez vous - mêmes vous en éclaircir chez les Auteurs , je paſſerai par def fus beaucoup de choſes, &je ne par lerai que de ce qu'il me ſemblera qu'on doit imiter pour donner quel que ſorte de perfection à nôtre Mili. Ce qui fera que fans perdre de tems , je montreraicomment une Ar ce . mée peut étre miſe en ordonnance pour une Bataille ; ce qu'elle aura à faire dans un véritable Combat ; & comment on la doit éxercer dans un Combat fimulé. Le plus grand dé faut où tombent ceux qui mettent une Armée en bataille , pour en ve nir aux mains ; c'eſt de ne lui don ner qu'une tête , de la mettre en é. tat de ne donner qu'un choc , & dedé. pendre du prémier caprice de la For tune . Ce défaut vient de ne prati. quer plus ' la métode des Anciens , qui conſiſtoit à faire rentrer un Ba. H 2 tail. 172 DE L'ART DE LA taillon dans un autre ; par ce que ſans cela on ne peut ni ſecourirles prémiers , ni les deffendre , ni pren dre leur Place dans le combat ; Ce que les Romains faiſoient parfaitte ment bien . Pour donc vous enſei. gner cette métode , je vous dirai comment les Romains partageoient leurs Légions en trois ;les premiers étoient des gens de javelot , qu'on metroit à la tête de l'Armée, dans des rangs fort ſerrez & fermes ; ceux qui ſuivoient , & qu'on appelloit Princes , étoient arrangez plus large ment ; & les derniers detous , qu'on appelloit Triaires tenoient leurs rangs ſi ouverts qu'en cas de beſoin ils pou yoient recevoir au milieu d'eux , & les gens de javelot & les Princes . Outre ces trois ſortes de gens, ils avoient des frondeurs , des Arbalêtiers & autres armez à la legere,qui n'entroient point dansles rangs de ceux- ci , mais ils é toient portez à la téce de l'Armée entre l'Infanterie & la Cavalerie . C'étoit donc ces gens armez à la légeri qui atta . GUERRE , Liv . III. 173 5 attachoient le combat ; & s'ils avoient l'avantage (ce qui arrivoit rarement) ils pouſſoient leur pointe; s'ils avoient du pire , ils faiſoient retraite ſur les flancs de l'Arméc ; ou dans des eſpaces ordonnez pour cela,où ils ſe mettoient 1 avec les Valets & autres non -combat tans de l'Armée. Aprés cette retraite, Ć les gens de javelot yenoient aux mains , quis'ilslevoyoient les moins forts , ſe retiroyent doucement dans les rangs des Princes , & s'étant tous ralliez , ils recommençoient le combat. Si ceux çi , quoi que joints enſemble venoient encore à être forçez , ils ſe retiroient dans les rangs des Tiiaires & faiſant les uns & les autres un gros corps , ils recommençoient encore le com bat; Dans lequel s'ils étoient vain cus il n'y avoit plus de reſſource car il n'y avoit plus dequoi rempla cer & rafraichir les troupes qui a voient eu du pire. La Cavalerie étoit ſur les angles de l'Armée én forme d'ailes , & tantôt ils com H.3 bat 174 DE L'ART DE LA battoient contre la Cavalerie Enne mie , tantôt ils ſecouroient l'Infante . rie ſelon le beſoin. Cette maniére de fe rafraichir trois fois , eſt preſque invincible ; parce qu'il faut que la Fortune vous abandonne trois fois , & que l'Ennemi ait aſſez de bravoure pour pouvoir vous vaincre autant de fois. Les Grecs n'avoient pas dans leurs Falanges cette manière de les rafraichir ,& bien qu'ils y euſſent beaucoup d'Officiers & de trés-bons Ordres , néanmoins ils ne faiſoient de ces Falanges qu'un Corps , ou u ne Tête. La métode qu'ils avoient pour ſubvenir les uns aux autres , n'étoit pas comme celle des Ro. mains , en faiſant r'entrer un Rang dans l'autre , mais de faire r’entrer un homme en la place de l'autre ; ce qu'ils éxécutoient ainfi : Quand leur Falange étoit ordonnée en files, que nous poſerons de cinquante hommes chacune , ils venoient de la tête de cette Falange attaquer l'Ennemi avec toutes leurs files , dont les ſix pré mié. GUERRE, Liv. III. 175 8 miéres pouvoient combattre , parce que leurs piques étoient fi longues , que le fer des piques de la ſixiéme file alloit juſqu'au delà de la pré miére. Pendant le combat donc , li dans la prémiére file , quelqu'un tomboit mort , ou bleffé , auſſi-tót IS celui de la ſoconde , qui étoit der riére le défunt , rempliſſoit ſon po ſte ; & le poſte vacant de cette le conde file étoit rempli par un autre Soldat , qui étoit juſtement derriére dans la troiſiéme file : & ainſi fuc 3 ceſſivement, & en un inſtant, les fi . les de derriére réparoient les pertes de celles de devant , en ſorte qu'el 7 les étoient toujours entiéres , & l'on n'y voioit aucun poſte dégarni de Combattans , excepté dans le der nier Rang , qui diminuoit toûjours , n'y aiant perſonne derriére pour le remplir. Ainſi les pertes des pre miers Rangs détruiſoient les der. niers , pendant que par ce moien les premiers demeuroient toûjours en tiers : Cequi faiſoit que ces Falan H 4 ges 176 DE L'ART DE LA ges , par un tel ordre , étoient plûtôt conſumées que rompuës , parce que la groſſeur de ces corps les rendoit plus fermes. Au commencement les Romains mirent en pratique cette ordonnance , aiant mis leurs Légions ſur le pied des Falanges: Depuis cet ordre ne leur plut pas , & ils parta gérent leurs Légions en pluſieurs corps ; aſſavoir en Cohortes , & en Pelotons ; parce que , côme je l'ai déja dit , ils penſérent qu'un corps qui avoit plus d'une ame , avoit plus de vie ; ce qui arrive lors qu'aiant pluſieursparties , chacune eſt munie de ce qu'il lui faut pour la gouver Les Régiments Suiſſes gardent en ce tems tout l'ordre des Falanges, ner . tant pour ce qui regarde l'ordonnan ce d'être toûjours gros & entiers , que pour fe foûtenir les uns les autres ; & dans une journée , ils poftent leurs Bataillons ſur les flancs & à la queuë les uns des autres . Ce n'eſt pas leur metode , que l'un faiſant retraitte, entre dans les rangs de l'autre , mais pour GUERRE,Liv. III. 177 pour ſe foûtenir les uns les autres voiez I'ordre qu'ils obſervent : ils poſtent un Régiment devant , & l'autre der riere vers le flanc à droite , en ſorte que ſi le premier a beſoin de ſecours, ce ſecond ici marche avant & le foû . tient. Ils poſtent le troiſiémé Ré giment derriere ces deux ici , mais éloignez de la portée du mouſquet. Ils font cela , afin que fi les deux prémiers ſont repouſſez , ce troiſié. me puiſſe marcher avant ; & afin auſſi qu'ils aient aſſez de terrein & les uns & les autres , pour que ceux qui ſont repouſſez netombent point fur ceux qui les doivent foûtenir ; car un gros corps ne peut pas être reçu comme un petit : & c'eſt pour cela que les petits corps fi diſtincts & ſibien partagez, quicompoſoient Line Légion Romaine, pouvoientbien ſe poſter enſorte qu'ils puſſent ſe re cevoir les uns les autres & ainſi ſe ſolltenir avec facilité. Mais pour faire voir que cette metode des Hş Suif 1 178 ' DE L'ART DE LA Suiſſes n'eſt pas ſi bonne que celle de l'Ancienne Rome ;وil n'y a qu'à ſe ſouvenir que toutes les fois que les Légions en font venuësaux mains avec les Falanges ; ces derniéres ont toûjours été défaites , parce que les armes dont fe fervoient les Romains & leur maniére de s'entrefoûtenir étoient ſans comparaiſon meilleures que la groſſeur desFalanges , & les armes dont elles ſe fervoient. Si donc j'avois à former un Corps d'Ar mée ſur tous ces modéles , je vou . drois prendre les armes & les manié . res en partie des Grecs , & en partie des Romaios , c'eſt pourquoi j'aidit, que dans un Régiment il faudroit avoir deux mille piques qui font les armes des Falanges Macédoniénes ; & trois mille boucliers & épées, qui font les armes des Romains. J'ai partagé le Régiment en dix Batail. Ions , comme les Romains parta-, geoient la Légion en dix Cohortes. J'ai diſpoſé les gens armez à la légére comme leurs Ñ élites , pour attacher le GUERRE , Liv. III . 179 le combat. Et parce que les armes étant ainſi mêlées , elles tiennent de l'une & de l'autre Nation , je veux j I qu'elles en tiennent encore dans l'or donnance ; j'ai donc établi pour cét effet , que tout Bataillon aura à ſa tête cinq Rangs de Piquiers, & le refte d'Ecuiers., afin que la têtepuif j . - ſe foûtenir le choc de la Cavalerie , & pénétrer facilement dans les Ba. taillons des Ennemis : Car aiant des Piquiers comme eux , cela me fervira à les foûtenir d'abord & ces Ecuiers à les vaincre. Si vous remarquez bien la force de toutes ces armes , vous verrez qu'elles feront toutes fort bien leur effet. Prémiérement parce que les piques fontbonnes contre la Cavalerie , qui lorſqu'elle donne ſur l'Infanterie , eſt dans le commen . cement d'un bon ſervice ; mais feu . lement devant que l'on combatte de prés , parce que dans la mêlée elle eft inutile. C'eft ce qui fait que les Suiſſes pour éviter cét inconvé . nient, mettent un Rang d'Halebar H 6 diers 180 DE L'ART DE LA diers aprés trois rangs de Piquiers , afin de leur donner de l'eſpace , par ce qu'ils en manquent beaucoup "; mais cette métode ne donne pas en core aſſez de terrein pour le mouve ment de la pique.Poſtons donc nos Pi quiers à la tête que nous épaulerons de nos Ecuiers; les prémiers foûtiendront le choc de la Cavalerie , & lorſque le combat s'atache, ils ouvrent & incomo. dent l’Infanterie ; mais dans la mêlée lorſque les Piquiers ſeront inutiles , nous ferons ſuccéder les Ecuiers avec leurs épées, qui peuvent aiſément ſe manier dans les lieux les plus ferrez. Alemanni. Nous ſouhaitrons avec paſſion d'entendre à’préſent comment vous conduirez l'Armée dans un jour de Bataille ayec ces armes & cette or donnance . Colonne. Et moi , je ne prétens pas vous montrer autre choſe pour l'heure , que ceci. Vous devez prémiérement favoir ; qu'une Ar mée Romaineordinaire , qu'on appel loit , Armée Conſulaire, n'étoit com. po . GUERRE , Liv. III. 181 poſée que de 2. Légionsde Citoiens 21 Romains, qui faiſoient en tout ſix cens Chevaux & onze mille Fantaf. ſins. Ils avoient outre cela , un pa reil nombre de Troupes Auxiliaires que leurs Confédérez leur envoioient, qu'ils partageoient en deux Corps, dont l'un s'appelloit, l'Aile Droite, & l'autre l'Aile Gauche : Jamais ils ne ſouffroient que l'Infanterie des Confédérez ſurpaſſât en nombre cel. le de leurs Légions ; mais pour la Cavalerie , ils écoient fort aiſes que le nombre en fût plus grand que le leur. Avec une telle Armée qui n'ayoit que vint deux mille Fantaſſins, & environ deux mille Chevaux de fervice , un Conſul Romain entreprenoit tout ce qui fe pouvoit préſenter alors: Mais quand les forces de leurs En nemis étoient trop grandes , les deux Conſuls s'unifloient avec leurs Ar mées. Il faut que vous fçachiez encore , que dans les trois princi pales choſes que font lesArmées, qui font, Marcher ,Camper,& Combatre;ilş meco 182 DE L'ART DE LA mettoient toûjours les Légions au milieu , parce qu'ils vouloient que les forces auſquelles ils avoient le plus de confiance , fuflent toûjours unies , comme je vous montrerai en parlant de ces trois choſes là . Cette Infanterie Auxiliaire étant éxercée & conduite comme les Légions, ren doit autant de ſervice qu'elles. Quand on ſait comment les Romains diſpo ſoient une Légion dans l'Armée pour une Bataille , on fait comment ils diſpoſoient toute l'Arméemême. Et puiſque j'aidit qu'ils faiſoient trois Corps de leurs Légions , & de quelle maniére ces Corps donnoient retrai te les uns aux autres , je vous ai ré préſenté par là , toute l'ordonnance d'une Armée dans un jour de Ba. taille . Si donc je veux donner bataille ſur le modéle des Romains, comme ils avoient deux Légions , je prendrai aufli deux Régimens ; & quand je les aurai 'rangez en bataille , on com prendra aiſément toute l'ordonnance d'une GUERRE , Liv.III . d'une Arméę : 183 Car lorſqu'on mettra plusde gens , iln'y aura qu'à faire les Rangs plus forts. Je ne penſe pas qu'il ſoit néceſſaire que je répéte ici, combien un Régiment a degens, comment il eſt partagé en dix Ba taillons; quels Officiers il y a dans chacun , quelles ſont leurs armes, & ce que c'eſt que les Piquiers & les Vélites Ordinaires 6 Extraordinai. res ; parce que je viens de vous les expliquer diſtinctement ; en vous priant de vous en ſouvenir comme de choſe néceſſaire à entendre tout le refte ; c'eſt pourquoi j'y viendrai ſans répéter le ſurplus. On range donc les dix Bataillons d'un Régi ment à gauche, & les dix autres du ſecond Régiment à droite. Les Bataillons du Régiment qui eft fur la gauche doivent étre rangez ainſi. Poſtez cinq Bataillons à la tête ſur les flancs l'un de l'autre , en forte qu'il y ait huit pieds d’eſpace entre eux ; que de front ils occupent un terreinqui ait la longueur de qua rante 184 DE L'ART DE LA rante fept toiſes , & qu'ils en aient de hauteur treize , & deux pieds. Derriére ces cinq Bataillons , j'en pofterois trois autres éloignez en li gne droite des prémiers de la même étendue de treize toifes & deux pieds. Deux de ces derniers ſe roient juſtement vis à vis les extré. mitez des autres , & le troiſiéme tiendroit le terrein entre deux . Ain ſi ces trois ici occuperoient & de front & de hauteur autant de terrein que les cinq autres. Mais au lieu que les premiers ne font éloignez entre eux que de la longueur dehuit pieds , ceux - ci le ſeroient d'onze toiſes. En ſuite , je poſterois les deux derniers Bataillons derriére les trois en ligne droite , mais dans la diſtance de la longueur de treize toiſes & deux pieds; & je poſtcrois ceux-ci vis à vis des extrémitez des autres , en forte que le terrein qui refteroit entre ces deux ici , feroit de la longueur de quinze toiſes & deux pieds. Tous ces Bataillons donc GUERRE, Liv.IlI. 185 donc ainſi poſtez , occuperoient un terrein de quarante-lept toiſes de front , & de ſoixante-ſix & quatre pieds de hauteur. J'étendrois les Pi quiers Extraordinaires en flanc à gau che de ces Bataillons , mais éloignez d'eux de ſix toiſes & quatre pieds ; & 1 1 1 j'en ferois cent- quarante files de ſept hommes chaque file , en ſorte qu'ils couvriroient tout le Flanc gauche de ces Bataillons rangez , commeje viens de dire;il reſteroit deces Piquiers qua rante files pour garder le bagage& le train qui ſeroit à la queuë de l'Ar mée ; en diftribuant les Dixeniers., & les Capitaines dans leurs Poſtes : pour les trois Commandans , j'enmet trois un à la tête , l'autre au mi lieu , & le troiſiéme dans la der niére file . Mais pour revenir à la tête de l'Armée , je vous di rai , que je placerois auprés des Piquiers Extraordinaires , les Vélia tes Extraordinaires , qui ſont cinq cents ; & je leur donnerois un ter rein de treize toiſes & deux pieds fur 186 DE L'ART DE LA ſur le flanc à gauche de ces Vélites je placerois les Gendarmes, à qui je donnerois un terrein de ſoixante & quinze toiſes. Derriere eux je po ferois les Chevaux Légers , à qui je donnerois le même terrein qu'aux Gendarmes. Je laiſſerois les Velites ordinaires au prés de leurs Bataillons , & ils fe roient poſtez dans le terrein que j'ai laiſſé entre chacun deſdits Bataillons deſquels ils ſeroient comme les Via lets ; à moins que je ne les miſse à couvert ſous les piquiers extraordi naires ; ce que quelquefois je pour rois faire , & quelquefois non , ſui vant l'avantage que j'en pourrois ci rir. Pour le Colonel, je le poſterois dans le terrein qui eſt entre le pre mier , & le ſecond rang des Batail. ou bien à la tête & dans le lons terrein qui eſt entre le dernier des cinq premiers Bataillons & les pi quiers extraordinaires , ſelon que j'y trouverois plus ou moins mon com te : je mettrois auprés de la perſonne tren 3 3 GUERRE , Liv.III. 187 trente ou ſoixante hommes choiſis , qui euſſent aſſez de jugement pour bien éxécuter un ordre , aſſez de valeur pour bien ſolltenir un Choc ; je voudrois qu'avec cela il fût entre le drapeau , & le tambour. Voila l'ordonnance dans laquelle je met trois un Regiment ſur la main gau. che & ce ſeroic juſtement la moitié de l'Armée qui ocuperoit en tout quatre vint quinze toiſes, & deux pieds de front: & pour la hauteur, ce que j'ay dit cy -deſſus, en ne con tant point le terrein qu'occuperoit cette partie des piquiers extraordi naires deſtinez pourgarder le bagage & les gens fans deffence, ce qui fe roit en tout environ trente trois toi. ſes & deux pieds. Je pofterois l'au tre Régiment ſur la droite , dans la même ordonnance que le prémier , laiſſant de terrain entre les deux , la largeur de dix toiſes ; & à la tête de cet eſpace je mettrois quelques pie ces d'Artillerie , derriere leſquelles je 188 DE L'ART DE LA je poſterois le Général de l'Armée , ayant autour de lui avec l'Enſeigne Générale & ſes Inſtrumens de Muſi que Militaire , au moins deux cents hommes choiſis , & la plus - Part àpied, entre leſquelsil faudroit qu'il y en eût dix , ou plusi, propres à éxécuter toutes ſortes de commande ments: je voudrois que ce Général fût à Cheval & armé d'une maniere qu'il pût être , pied à terre & monté , toutes les fois que l'un ou l'autre ſe roit néceſſaire. Il ſuffiroit d'avoir dans l'Armée pour battre les Villes , dix pieces de canon du poid d'en viron trente ſix livres de Balle; dont je me ſervirois en Campagne , plus pour garder mes retranchements que pourlivrer Bataille ; Pour le reſte 1 de l'Artillerie , il ſuffiroit qu'il fût d'environ huit livres de Balle : & pour celle-ci je la placerois à la tête de toute l'Armée, ſi le terrein n'étoit pas aſſez avantageux pour la placer en flanc, dans quelque ſituation aſſez ſûre Régi І. 75 ууууу ууууу ууууу ууууу ууууу ууууу ууууу УУУУУ , 2 2. peut 1 1 GUERRE , Liv. III. 189 ſûre pour qu'elle ne reçût point d'é chec de la contre -batterie de l'En nemi. ( Fig. IV . Cette ordonnance d'Armée ainſi établie , peut en combattant ſuivre l'ordre des Phalanges , & celui des Légions: Carvous avez les Piquiers à la tête , & tous les Fantallins ſont poſtez de maniére dans les files, que ceux de derriére peuvent rempla cer ceux de devant ,comme dans les Phalanges. D'autre côté s'ils reçoi vent un choc aſſez furieux pour rom pre leurs Rangs & pour étre obligez de faire retraitte , ils peuvent la fai re dans les intervales des ſeconds Ba taillons , & réfaiſant de nouveaux Corps, loûtenir l'Ennemi & le comba tre: li cela ne ſuffiſoit pas,ils pouroient encore faire retraitce une ſeconde fois comme la prémiére , & combatre une troiſiéme fois ; en forte que felon cette métode on peut reprendre ſes forces, & ſelon la maniére Gréque & ielon la Romaine Pour ce qui re garde la force de cette Armée, elle ne peut 190 DE L'ART DE LA peut pas etre plus grande que fui. yant cette ordonnance ; car les deux ailes font bien munies d'Officiers & de Soldats , n'y aiant rien de foible que la queuë , qui eſt compoſée de gens inutiles , encore ſont-ils bien appuiez des Piquiers Extraordinai. res : Et de quelque côté que l'En nemi attaque une Armée qui ſera dans une telle ordonnance , il la trouvera toûjours en trés- bonne dé. fenſe , ne pouvant pas l'attaquer en queuë ; parceque vous n'aurez pas un Ennemi affez puiſſant , pour pou voir vous attaquer de tous les còtez avec d'égales forces ; & fi cela étoit, je ne vous conſeillerois pas de tenir la Campagne contre lui . Mais n'é . tant que le tiers plus fort , & même en auſli bonne ordonnance que vous , s'il s'affoiblit pour vous attaquer en pluſieurs endroits, & que vous ve niez à le rompre en un ſeul , tout le reſte ira mal pour lui . A l'égard de la Cavalerie , quand vôtre Ennemiy feroit plus fort que vous , vous n'a vez GUERRE , Liv.III. 191 vez rien à craindre , parce que les I Rangs de vos Piquiers , qui vous 7 vous mettent à couvert de la furie enýironnent comme une ceinture 0 3. des chevaux , quand même les vôtres auroient plié. De plus,les Officiers ſont placez au large pour pouvoir commander & obéir ; & le terrein qui eſt entre chaque Bataillon , & entre chaque Rang , non ſeulement peut ſervir à s'entredonner retraitte les uns aux autres , mais auſſi à laiſ fer aller & venir ceux qui portent les ordres du Général . Or je vous ai dit que les Romains compoſoient leur Armée d'environ vint- quatre I mille hommes: Il en faut donc faire à préſent de même ; & comme les 1 V Troupes Auxiliaires ſe conformoient & pour l'ordonnance & pour le Com. bat , à ceque pratiquoient les Lé gions ;. Il faut aulli que les Trou. pes, que vous joindrez à vos deux I . (C 12 Régimens , én prennent la forme 8 l'ordonnance. Vous aiant déja pro poſé un exemple de toutes ces cho. ſes . 192 DE L'ART DE LA ſes- là , il eſt aiſé de l'imiter : parce qu'en augmentant l'Armée de deux Régimens , ou doublant le nombre . de Soldats , vous n'aurez qu'à dou. bler les Rångs , ou à mettre dix Ba taillons ſur la gauche au lieu de cing, ce qui en produira vint de front; ou bien vous étendrez & groſſirez les Rangs , ſuivant que le terrein , ou l'Ennemi vous y obligent. Alemanni. En vérité , Monſieur , je m'imagine en telle forte cette Ar mée , qu'il me ſemble que je la vois déja , & je brûle d'envie de la voir attaquer l'Ennemi : Mais ce quime chagrineroit , ſeroit ſi vous ſuiviez la mécode de Fabius Maximus , en tenant l'Ennemi en ſuſpens par des rémiſes, & en différant le Combat; parce que je ne pourrois pas m'em pêcher dedire plus de mal de vous , que le Peuple Romain n'en diſoit de ce Grand Homme. Colonne. Ne craignez rien dece côté- là , & n'entendez -vous pas dé . ja l’Artillerie ? Nos gens ont tiré , mais GUERRE , Liv.III . 193 mais ils n'ont pas fait grand malà l'Ennemi ; & les Velites extraordi naires avec la Cavalerie, courent déja , ſur lui , & ils l'attaquent de tous côiez avec le plus de furie & le plus de bruit qu'ils peuvent; Son Artil lerie a déja fait une décharge , mais elle a paſſé par deſſus la tête de nos gens ; & pour l'empêcher d'en faire d'autres , voila pos Vélites & nos Chevaux Légers qui s'en font em parez ; les ennemis d'autre côté ont avancé pour la défendre , en forte que ni la leur, ni la nôtre , ne peu vent plus faire aucun effet. Voiez avec quelle valeur & dans quel bel ordre nos gens combattent ; ils ont aquis cette habitude par l'exercice, & la confiance qu'ils ont dans notre Armée leur donne du courage ; Vo yez marcher cette Armée avec ſes 1 T Gendarmes en flanc , ſans précipita tion & dans une belle ordonnance , afin de joindre l'Ennemi de prés. Obſeryez, que nôtre Artillerie pour laiſſer le terrein libre à nos Gendar, I mes 194 DE L'ART DE LA mes , a pris celui que les Vélites oc cupoient : 'voyez comment le Gé néral anime ſes ſoldats en leur mon trant la Victoire aſſeurée . Remar quez que les Chevaux Légers & les Vélites ont étendu leurs rangs & font retournez ſur les flancs de l'Ar mée , pour voir s'ils ne pourroient point en dommager l'Ennemi en le prenant en flanc. Or voici à pré fent les deux Armées aux mains ; voyez avec qu'elle fermeté les nótres ont ſoutenu le Choc des Ennemis , & fans faire de bruit: voiez comment le Général commande aux Gendar mes de foûtenir fans donner , & de ne s'éloigner point des files de l'In fanterie . Voiez comment nos Che. vaux Légers font tombez ſur une troupe de Mouſquetaires ennemis , qui vouloient les prendre en flanc voiez en même tems comment la Cavalerie ennemie les a ſecourus , en ſorte qu'étant envelopez entre les deux Cavaleries , ils ne peuvent plus tirer & font retraitte derriere leurs GUERRE , Liv.IlI. 195 leurs Bataillons. Obſervez bien avec quelle furie nos piquiers attaquent les ennemis ; notre Infanterie & la leur font fi proches que les uns & les autres ne peuvent plus fe ſervir de leurs piques ; de ſorte que ſui vant les ordres que nous avons éta blis , nos piquiers fe retirent les uns aprés les autres au milieu des Ecuiers. Remarquez cependant comment un gros Eſcadron de Gendarmes enne mis à chaffé les nôtres du flanc à gauche, & comment ſuivant les rés gles , ils ont fait retraitte ſous les pi quiers extraordinaires ; par ce moien ils ſe font ralliez , & ont encore tourné tête à l'Ennemi, le repouffant & en tuant une partie . Pendant cela tous les piquiers ordinaires des prémiers Bataillons fe font mis à couvert entre nos Ecuiers , & leur laiſſent foûtenir le combati; mais 1 1 regardez avec quellevigueur& quel leaſſurance ils expedient leurs en nemis , & combien ils ſe poſſédent. Ne voiez vous pas combien lesrangs $ I 2 ſe 196 DE L'ART DE LA fe refférent en combattant , en forte qu'à peine ont ils aſſez d'eſpace pour bien manier l'épée ? Voiez avec quel le furie les Ennemis ſe déménent, car étant armez de la pique & de l'épée , l'une ne leur ferc de rien à ni l'autre cauſe de ſa longueur non plus ; par ce que leurs ennemis font trop couvers , de forte qu'ils tombent morts ou bleſſez , ou ils prennent la fuite. Voiez comme ils fuient du côté droit; Ils fuient en core du côté gauche. Enfin nous avons vaincu fort heureuſemene. Mais il y auroit bien plus de plaiſir à vaincre en effet ſur le Champ de Bataille. Vous voiez qu'on n'a eu que faire des Bataillons du ſecond & du troiſiéme rang , & que la tête de noſtre Armée a été aſſez forte pour remporter la Victoire. Là deſſus je n'ai autre choſe à vous dire fi non de voir s'il vous reſte quelque difficulté. Alemanni. Vous avez gagné cette Bataille avec une telle furie y que j'en 1 ) GUERRE , Liv. III. 197 j'en demeure en admiration , & fi és tonné , que je ne croi pas pouvoir bien vous dire , s'il me reſte enco . re quelque doute dans l'eſprit. Ce pendant , en me confianten vôtrepru . dence , je prendrai la hardieſſe de vous dire ma penſée. Dites-moi , s'il vous plait d'abord , pourquoi n'avez vous fait qu'une décharge de votre Artillerie ? Et pourquoi l'avez-vous fait incontinent retirer à couvert de l'Armée , la laiſſant là toûjours fans en dire un ſeul niot? Il me ſemble encore que vous avez bien- tôt fait cefſer celle de l'Ennemi ; & que vous l'avez fait donner où il vous a plû , ce qui peut fort bien étre. Cepen. dant s'il arrivoit , comme je croi qu'il arrive fouvent, qu'elle donnât dans nos Rangs , Quel réméde y appor teriez - vous ? Mais puiſque j'ai en . tamé cette matiére d'Artillerie , je veux m'éclaircir de toutes les diffi cultez qui la regardent , afin de n'y plus revenir. J'ai entendu bien des gens ſe moquer desArmes & des Or I 3 don 198 DE L'ART DE LA donnances d'Armées des Anciens ; difant , Qu'aujourdhui ils feroient peu de choſe , ou même rien du tout , eu égard à la violence de l'Artillerie ; parce que cela rompt les Rangs , & ne trouve point d'armes à l'épreuves De forte , qu'ils croient que c'eſt une folie , d'ordonner qu'on ſe fatigue à porter des armes ayec leſquelles on ne peut pas étre à couvert. Colonne. Vôrre difficulté a beſoin d'une longue réponſe ; car elle con 1 tient beaucoup de Chefs: lleſt vrai que je n'ai fait faire qu'une déchar . ge à l'Artillerie , encore ay-je balan. çé fi je la ferois: La raiſon de cela, c'eſt qu'il eft de plus grande confé. quence de parer les coups , que de frapper l'Ennemi. Vous devez la voir que pour que l'Artillerie ne vous endommage point, il faut ou étre hors de la portée , ou ſe mettre der riére un Parapet, ou un Retranche ment: Il n'y a que cela qui la puiſſe arrêter , mais encore faut- il que l'un & l'autre ſoit de grande réſiſtance, Les GUERRE, Liv .HI. 199 Les Généraux qui ont réſolu de don ner Bataille ne ſe cacheront pas , ni derriére une muraille , niderriére un Retranchement ; ils ne demeureront pas non plus hors de la portée dų ca non; Il faut donc ., puiſqu'ils ne peuvent pas trouver les moiens de ſe mettre à couvert , qu'ils trouyenç au moins ceux de n'étre pas tant en dommagez ; & le ſeul moien pour cela eſt de donner deſlus l'Artillerie le plûtôt qu'on peut , & au grand galop ſans ſe mettre en pelottons ; parce que quand vous uſez de cette diligence , l'Ennemi ne peut pas ré doubler les décharges ; & lorſqu'on marche éloignez les uns des autres, il ne peut pas emporter beaucoup de Mais cela ne ſe peut faire par gens. une Troupe qui marche en ordon nance, parce que ſi elle va vîte , elle rompe ſes Rangs : ſielle marche fort ouverte , elle épargnela peine à l'En-, nemi de l'ouvrir. C'eſt donc pour cela que j'ai rangé l'Armée en telle forte , qu'elle pût faire l'un & l'au . I 4 tre ; 200 DE L'ART DE LA tre ; parce qu'aiant poſté mille Vé lites ſur les ailes , j'ai commandé , qu'auſi-tôt que nôtre Artillerie au. roit fait la décharge ils atlaſſent s'emparer de celle de l'Ennemi. C'eſt ce qui eſt cauſe que je n'ai pas fait faire d'autre décharge de peur de donner du tems à l'Ènnemi, car il m'étoit impoſible de prendre du tems & de l'ô.cr aux autres tout à la fois : Ainli je n'ai point fait faire de feconde décharge , afin que le Canon de l'Ennemin'eût pas le tems de faire la premiére, puiſque ſi vous youlez rendre une batterie des Enne. mis inucile, il n'y a point d'autre ré. méde que de courir deſſus : Car fi l'Ennemi l'abandonne VOUS VOUS en emparez ; s'il la veut défendre , il faut qu'elle demeure derriére , où érant embarraſſée par les deux Par tis , elle ne peut tirer. Ces ſeules raiſons pouroient fuffire ſans rappor ter des exemples ; mais puiſque j'en trouve chez les Anciens , je veux yous les faire remarquer. Ventidiurs VOU . GUERRE , Liv. III. 201 voulant combattre les Parthes , done la plus grande force confiftoit dans leurs Arcs & leurs Fléches, il les laiſ 3. 3 fa venir fort proche de ſes Rétran chemens, avant que d'en faire ſortir fon Armée ; ce qu'il fit ſeulement pour les embaraſſer prontement , & me leur pas laiſſer lieu de tirer. Ce far rapporte qu'en France donnant Bataille aux Ennemis , il en fut ata taqué avec une telle violence , Que les Romainsnepúrent pas darder leurs : javelots , ſelon leur coútume. Donc 3 pour faire qu'une choſe qui tire de loin ne vous endommage point , le feul réméde eſt de l'embaraſſer avec toute la prontitude poſſible. Unau tre motif qui me pouſſoit encore de 3 donner ſur l'Ennemi ſans faire faire S de décharge à l'Artillerie , & dont 2 & N기 vous rirez peut-érre , quoi que je ne croie pas qu'on doive le mépriſer. C'eſt qu'il n'y a rien qui mette tant de déſordre dans une Armée , que de lui offuſquer la vûe ; C'eft de là que tant de belles Armées ont été miſes Is en 202 DE L'ART DE LA en déroute pour avoir été empêchées de fe fervir de leurs yeux , ou par la pouſſiére, ou par le Soleil. Iln'y a rien aprés,cela qui vous offuſque da Vantage que la fumée du Canon c'eſt pourquoi je croirois qu'ily au roit plus de prudence à laiſſer l'En nemi s'aveugler de lui-même , que de vouloir , étant vous-même aveu. glé , aller à la rencontre. Je ne ti ferois donc point mon Canon , ou ſi je le failois , pour n'étre pas blâmé à cauſe du cas qu'on en fait , je le poſterois ſur les ailes de l'Armée, a. fin que pendant qu'il tireroit il n'en offuſquaſt point la têce , ce qui lè . roit d'une grande importance pour mes gens. Et pour vous montrer combien il eſt avantageux d'aveugler l'Ennemi , je vous rapporterai l'é. xemple d'Epaminondas , quipour of fufquer la vûe de l'Armée Ennemie , qui lui venoit livrer Bataille , fit courir fes Chevaux Légers à la tête de leur Armée , afin qu'élé vant la pouſſiére , ils lui embarraf ſal 1 e 3 2 GUERRE,Liv . III. 203 faſſent la vûe ; Ce qui lui fit rem porter la Victoire. Pour ce qu'il vous ſemble que j'ai conduit la dé. charge du Canon de l'Ennemi , où j'ai trouvé à propos en la faiſant paf fer par deſſus la tête à nos Fantaſſins, je vousrépondrai, qu'il y a bien plus fans comparaiſon tirez en de coups l'air par une groſſe Artillerie , que de ceux qui donnent à travers l'In fanterie ; Parce qu'eļle eſt d'ordi naire fi bafle ژ, & ces Machines font ſi lourdes à manier , que quelque peu que vous les hauffiez les coupspaſſent par deſſus la têre de l'Ennemi ; & pour peu que vous les baiſſiez , les coups en portent à terre & ne viennent pas juſqu'à lui. L'inégalité du terrein couvre encore beaucoup; car il ne faut que les moindres brouſſailles ou les plus petites élévacions entre la baterie & vous, pour ên rompre les coups. Mais pour la Cavalerie , ſur tout les Gendarmes , qui doivent érre bien plus ferrez que les Chevaux Légers , & qui font plus élevez que I 6 le 204 DE L'ART DE LA les Fancaflins , & par: conféquerre plus expoſez , on peut pendant que - le Canon jouë , les tenir à la queue de l'Armée. lleſt vrai que lesMouf quetaires & la petite Artillerie font plus de mal que les gros Canons : Le meilleur reméde qu'il y ait pour ce la eſt de venir prontement aux mains, & ſi dans le prémier feu il en tombe quelques-uns , il faut toûjours qu'il en meure , & une Armée ne doit pas appréhender la perte de quelques particuliers , mais la générale. En quoi il faut imiter les Suiſſes , qui n'ont jamais réfuſé de Bataille par l'appréhenſion de l'Artillerie ; même ils puniſſent de mort , ceux qui par cette crainte , quittent leur Rang , ou donnent quelque marque exté. rieure de peur. Aprés dons la prémiére décharge, j'ai fait retirer mon Artillerie dans l'Armée , afin que les Bataillons euſſent le terrein plus libre. Je n'en ai plus parlé ; comme étant choſe inutile aprés que Le Combat eft attaché. Vous m'a 67 Yez 1 ut 5 SS La EX GUERRE ,Liv . III . 203 vez encore objecté , qu'eu égard à la violence de ces machines , pluſieurs eſtiment que les armes & l'ordre des Anciens ſont inutiles ; & il ſemble de la maniére dont vous parlez , que les Modernes aient trouvé des moiens & des armes , qui les en mettent à couvert . Si vous favez ce fécret 2 vous m'obligerez de me l'aprendre , parce que juſqu'à préſent , je n'en vois aucun , & je ne croi pas qu'on en puiſſe trouver : Ainſi je voudrois demander à ces Cenſeurs , pourquoi nos Fantaſlins portent le Corcelet & nos Gendarmes ſont tout habillez de fer ; Et puiſqu'ils blâment l'armure ancienne comme inutile , par raport à l'Artillerie , Pourquoi ne blâmient ils pas aufli la nôtre? Je voudrois bien encore ſavoir , pourquoi les Suiſ ſes , ſuivant les Ordres Anciens , font un Corps de Bataille ferré , de fix ou huit mille Fantallins , & pour quoi tout le monde les a imitez en cela ; puiſque cette maniére n'eſt pas moins expoſée à la fureur du Canon que 1 206 DE L'ART DE LA que les autres qu'on cient de l'Anti quité. Je croi qu'ils auroient peine à répondre : mais fi vous en deman diez l'avis à des gens qui entendif fent le mêtier , ils vous diroient , qu'encore que ces armures ne les cou vrent pas contre 1Artillerie , elles les défendent des arbalêtes , des piques, des épées , des pierres , & de tout autre coup qui vient de l'Ennemi . Ils vous répondroient encore qu'ils vont ferrez comme les Suiſſes , pour faire un plus rude choc à l'Infante rie Ennemie , pour mieux ſoûtenir celui de la Cavalerie , & pour n'é tre pas ſi aiſément rompus par les Ennemis . Ainſi l'on voit que les Sol. dats ont bien d'autres choſes à crain dre que l'Artillerie ; & c'eſt de ces choſes-là qu'ils le défendent par les Régles & avec l'armure des Anciens . Il s'enſuit de là , que plus une Ar mée eſt bien fournie de toutes ſortes d'armes , so plus elle tient fes Rangs ferrez & forts, moins elle a lieu de craindre . Ainſi celui qui est de cet 1 k 11 GUERRE, LIV. III. 207 te opinion, doit étre peu expérimen. té , ou bien il a fait peu de réflexion à la chofe : Car fi nous voions que la moindre partie de la métode des Anciens qu'on pratique aujourd'hui, qui eſtde porter la pique & de fai re des Bataillon's comme les Suiſſes, nous apporte un fi grand avantage , & donne à nos Armées tant de for ce ; pourquoi ne croirons nous pas , que tout le reſte ſeroit auſſi fort u. tile? De plus fi la violence de l'Ar tillerie ne nous fait pas apprehender de nous ranger en Bataillons ferrez 1 comme les Suiſſes ; En quelle oc caſion devons -nous la rédouter da Vantage ? puiſqu'il n'y a point d'or donnance qui nous la doive faire tant craindre , que celle qui range les gens en Troupes fi ferrées: Ou tre cela , lorſqu'on aſſiége une Pla ce , le Canon des Ennemis ne fait point perdre la tramontane aux Af fiégeans. C'eſt cependant là qu'il peut vous endommager avec plus de fureté pour lui , puiſque vous ne pou 208 DE L'ART DE LA pouvez pas l'embarraſſer , étant dé. fendu d'un Rempart , & tout ce que vous pouvez faire , c'eſt de le dé. monter avec bien du tems , pendant lequel il a tout le loiſir de redoubler ſes coups . Doit-on aprés cela en faire beaucoup de cas dans une Cam pagne , où l'on peut aiſément le ren dre inutile ? Je peux donc tirer cer te concluſion , Que l'Artillerie n'eſt pas une raiſon suffiſante pour empé cherqu'on ne ſefervedes maniéresdes Anciens , & qu'on ne donne encore des preuves de l'ancienne Valeur : Et fi je n'avois point déja parlé de ces Machines * , je m'y étendrois davan. tage ; mais je me rapporte à ce que j'en ai déja dit. Alemanni. Nous pouvons tous facilement comprendre vos raiſonne mens ſur l'Artillerie ; & enfin il me femble que yous avez prouvé que le meilleur reméde contre elle ; eſt de l'em 1 * C'eſt dans ſes Diſcours Politiques sur la prés mére Decade de Tite-Live GUERRE, Liv. III. 209 l'embarraſſer prontement , lorſqu'on eſt en Campagne, & qu'on a une Armée en tête. Sur cela il me vient une difficulté , qui eſt que l'Ennemi pourroit la poſter à côté de ſon Ar mée , en ſorte qu'elle vous endom mageroit , & feroit ſi bien défendue par ces mêmes côtez , qu'il ſeroit difficile de l'embaraſſer. Si je m'en fouviens bien , lorſque vous avez ran . -gé votre Armée en Bataille , vous a vez donne huit pieds d'intervalle en tre chaque Bataillon , &. quarante pieds enue ics Bataillons & les Pi. quiers Extraordinaires. Si l'Enne mi rangeoit ſon Armée comme la vôtre , & qu'il portàt ſon Artillerie bien avant dans ces intervalles , je croi que de là elle vous endomma. geroit beaucoup fans courre aucun riſque , parce qu'on ne pourroit pas paſſer au travers de toutes les Forces Ennemies pour l'embarraſſer. Colonne. L'objection que vous fai tes eſt pleine de bon ſens & de pru dence , & je ferai mon poſible pour la 219 DE L'ART DE LA la réſoudre ou pour y trouver le reméde. Je vous ai dit que les Ba . ' taillons en marchant , ou en com battant , ſont toûjours en mouve ment , & naturellement ils viennent toûjours à ſe reſſerrer , en ſorte que fi yous faites les intervalles où vous poſtez l'Artillerie , étroits , en peu de tems ils ſe rérreciſſent encore fi fort , que le canon ne pourra plus jouër ; ſi vous faites ces eſpaces lar. pour éviter un peril , vous ges , tombez dans un plusgrand : car par ces intervalles vous donnez moien à l'ennemi d'embarraſſer votre Artil lerie ou de vous rompre. Mais il fautque vous ſçachiez qu'il eſt im poſſible de tenir l'Artillerie entre les Bataillons particuliérement les gros Canons , par ce qu'ils vont d'un côté , & tirent de l'autre ; en forte qu'aiant à marcher & à tirer, il faut devant qu'ils puiſſent faire lenr de. charge , qu'on les tourne , ce qu'on ne peut faire qu'avec un fi grand terrein , que cinquante affûcs de canon GUERRE, Liv . III. 211 canon mettroient en défordre toute une Armée. Il faut donc tenir l'Ar tillerie hors des Bataillons , & c'eſt là où l'on peut l'attaquer de la ma niére que nous avons dite. Mais 3 fuppofons qu'on la pùe tenir entre 5 les Bataillons , & qu'on pût trouver un moyen qu'en les faiſant reſſerrer ils n'en empéchaſſent point l'effet; ni que l'eſpace ne fût point aflez * ouvert pour donner entrée à l'En nemi, je dis qu'il eſt aiſé de remé dier aux défordres que cette Artil . 1 W lerie pourroit faire, en ouvrant vô. tre Armée vis à vis d'elle , en forte que les coupspaſfaffent par cette ou verture ſans effer. Et cela eſt trés facile , par ce que fi l'Ennemi veut que fon Artillerie foit en ſureté , il faut qu'il la porte en queuë fur la fin des eſpaces : & s'il ne veut pas que fes propres gens en foient en dommagés , il faut qu'elle cire en ligne droite, de forte qu'en ouvrant võtre Armée à l'oppoſite vous don. nez le paſſage libre à tousſes coups. Car 212 DE L'ART DE LA Car voici une régle générale , qu'il faut faire paſſageà tout ce qu'on ne peut pas foûtenir , ainſi que faiſoient les Anciens aux Elephans & aux 1 Chariots armez de faux. Je penfe M & même je ſuis ſur que vous trou vez que j'ai accommodé & gagné la Bataille comme il m'a plû ; cepen dant je vous réitére encore, fi touc ce que j'ai dit juſqu'ici ne ſuffit pas, qu'il ſeroit impoſſible qu'une Armée miſe dans l'ordonnance , & fournie d'armes comme j'ai fait, ne deffit pas du premier Choc, une autre Armée difpofée comme on fait ordinaire ment aujourd'hui; car la plû part ne font qu'une face , ne donnent point de Boucliers , & laiſſent leurs ſoldats tellement découverts, qu'ils ne peu vent ſe déffendre d'un ennemi pro. che ; & ils les mettent en ordonnance de Bataille d'une telle forte , qu'ils . ſe prennent en fianc les uns les au tres , ils ne donnent point de face ni de hauteur à leurs corps d'Ar mées ; ils les poftent directement l'un GUERRE, Liv.III. 213 l'un derrière l'autre , ſans leur don . per moien de ſe recevoir dans les Rangs les uns des autres ; de forte 다. que faiſant Retraitre , ils la font en 1 déſordre , & en état d'étre bien -toft rompus ; & encore qu'ils donnent trois noms à ces Corps d'Armées , EM 2 qu'ils partagent en trois , appellant l'un l'Avantgarde , l'autre la Batail le , & l'autre l' Arriéregar de. Néan moins ils n'en tirent d'autre uſage que dans la marche , & pour diſtin . v 'guer les logements : Mais dans un jour de Bataille , ilsles obligent tous r à attaquer tout à la fois , & à s'ex poſer tous enſemble au prémier ca price de la Fortune. Alemanni. J'ai remarqué encore que dans vôtre Bataille , vôrre Ca 3 yalerie a été repouſſée par celle de l'Ennemi, ainſi elle a été contrainte de faire Retraitte à couvert des Pi. quier's Extraordinaires , par le ſecours . 1 i 1 deſquels elle a foûtenu & repouſſé l'Ennemià ſon tour. Je penſe bien que les Piquiers peuyent foûtenir la Ca. 214 DE L'ART DE LA Cavalerie dans un Batalllon gros & folide comme ceux des Suiſſes ; mais dans vôtre Armée , vous avez ſeule ment en face vint Rangsde Piquiers, & en flanc fept, en ſorte que je ne peux comprendre comment ils peuvent foûtenir . Colonne. Encore que je vous aie dit que dans les Falanges Macédonien nes , fix Rangs de Piquiers agiſſoient tout à la fois , il faut pourtant que vous fachiez qu'un Régiment de Suiſ ſes, eneut-il mille de ces Rangs;il n'en peut emploier que quatre ou cinq au plus à la fois , parce que les piques ne ſont longues que de dix -huit pieds, les mains en occupent trois ; ainſi le premier Rang n'a de libres que quinze pleds deles piques ; le ſe cond Rabg , outre ce qu'il occupe de ſes mains , en emploie trois pieds à traverſer le terrein qui eſt entre une file& l'autre ,ilne lui en reſte donc que douze de libres pour le Combat. Le troiſiéme Rang , pour les mêmes raiſons GUERRE , Liv.III. 215 raiſons n'a que neuf pieds de libres , le quatrième , que fix ; & lecinquié me ſeulement trois. Les autres Rangs ne ſervent de rien pour en dommager l'Ennemi ;: mais ſeule ment pour remplacer les prémiers Rangs , comme nous avons déja dit, & à ſervir de ſoutien & de Contre - fort 7 aux cinq prémiers. Si donc leurs - cinq prémiéres files mettent bien la Cavalerie à la raiſon , pourquoi les 21 cinq nôtres ne le feront - elles pas ? Car elles ont aufli derriére elles d'au . 1 ires Rangs qui les foûtiennent & qui 1킵 les appuient; quoi qu'ils n'aient pas 1 de piques comme les prémiers. Or quand même les Rangs des Piquiers Éxtraordinaires , qui font poſtez ſur les flancs , vous paroitroient trop minces , on les pourroit réduire en e un quarré , & les pofter en flanc aux 5 deux Corps que j'ai placez à la e E queuë de l'Armée ; - & de ce pofteils pourroient ſecourir également, & la tête , & la queuë de l'Armée , & don . 216 :DE L'ART DE LA donner retraitte à la Cavalerie en cas de befoin . Alemanni. Vous ſerviriez - vous toûjours de cette métode là , toutes les fois que vous voudriez donner Bataille? Colonne. Nullement ; car ſelon la diverſité du terrein & de la force des Ennemis , vous devez auſli diverſi fier l'Ordonnance de vôtre Armée , comme j'en donnerai quelque éxem ple ayant que de finir ce diſcours. Mais j'ai rangé l'Armée de cette ma niére non pas tant parce que c'eſt la plus avantageuſe, quoi qu'elle le ſoit beaucoup , parce qu'afin qu'elle vous ferve de régle & de modele, pour pouvoir donner la forme& l'ora donnance à d'autres ; chaque Sience a ſes Maximes générales, qui lui ſer vent en partie de fondement & de principes. Je vous répére encore u. ne choſe , c'eſt que jamais vous ne rangiez d'Armée en Bataille d'une maniére , que ceux qui combattent à GUERRE, Liv . III. 217 à la têté ne puiſſent pas étre ſecou 3 rus par ceux qui ſont poſtez à la queuë ; Parce que celui qui fait cette faute , rend la plus - part de ſon Armée inutile ; & quoi qu'el le ait beaucoup de valeur , il ne peut pas remporter la Victoire pour cela . Alemanna - Il vient de me naître là - deſſus une difficulté. J'ai vû que dans l'Ordonnance de votre Ar mée , vous avez fait la tête de Cing Bataillons, le milieu de Troisg & la queue de Deux ; Et moi , je tout le contraire , parce que je croi qu'une Armée ſeroit bien plus dif . croirois qu'il feroit mieux de faire ficile à rompre , ſi celui qui lui don neroit le premier choc , plus il i. roit avant , plus il trouveroit d'é . . paiſſeur , & de réſiſtance; & pour vô tre Ordonnance, il ſemble que plus on y entre , moins on y trouve deforce. Codorne. Si vous vous étiez ſouve. nu que les Triaires , qui font le troi fiéme Corps d'une Légion Romaine , K I ne 218 DE L'ART DE LA ne faifoient que fix cents hommes , vôtre difficulté vous auroit paru moins forte en conſidérant qu'on les mettoit dans le dernier Poſte ; car vous auriez vů que c'eſt ſur cét é. xemple que j'ai mis deux Bataillons dans cette Arriéregarde ; qui ſont pourtant au nombre de neuf cents : De forte que ſij'aimanqué avec les Romains , c'eſt pourtant en faiſant le Corps de Réſerve encore plus fort qu'ils ne faiſoient. Mais quoir que cér illuſtre éxemple dûr ſuffire pour vous répondre , il vaut mieux enco re vous en ajoûter la raiſon qui eſt celle- ci ; 'La Tête de l'Armée doit étre toûjours forte & ſolide , parce qu'elle doie ſolltenir le plus grand choc des Ennemis , & qu'elle n'a point d'Amis à recevoir dans les Rangs, ainſi il faut qu'elle foit mu nie de quantité de Soldats ; Car le petit nombre la rendroit foible , en lui donnant trop peu de front , ou en rendant les rangs trop clairs. Mais le Second Corps doit avoir les ef. . GUERRE, Liv . III. 219 · eſpaces larges ; & par conſéquent ne doit pas avoir tant de gens , parce que dans le beſoin il doit d'abord recevoir les Amis , avant que de foû Car ſi vous tenir les Ennemis : metriez plus de gens dans ce Second Corps., ou même autant que dans I le Premier , vous ne pouriez laiſ ſer dans le Second des eſpaces pour recevoir le Premier , ce qui cau. 1 Yeroit un grand déſordre : ou en 0 les y laiſſant, il palleroit les alligne. ments , ce qui rendroit la figure de 3 ET 1 À l'Armée imparfaitre. Ce que vous dites encore n'eſt pas vrai, Que plus l'Ennemi entre dans ce Régiment ici , plus il le trouve foible , parce qu'il ne peut jamais paſſer aſſez avant pour venir au Combat avec le Se, cond Corps, ſi le Prémier n'eſt joint avec lui ; ainſi l'on trouvera le milieu 2 du Régiment plus vigoureux & non 2 pas plus foible , parce qu'on ſera 0 -S & le Second Corps à la fois. Il en arriyeroit de même ſi l'Ennemi paſ. bligé de combatre avec le Premier K 2 foit 220 DE L'ART DE LA ſoit aſſez avant pour combatre avec le Troiſieme Corps, parce qu'il n'au roit pasſeulement affaire à deux Corps de Troupes Fraiches, mais auſſi à tour le Régiment. Et parce que le Der nier Corps doit recevoir bien plus de gens, que les deux Prémiers , il faut auſſi que les eſpaces ſoient bien plus larges, & par conſéquent que celui qui reçoit ſoit en plus petit nom bre . Alemanni. J'approuve ce que vous me dites , mais répondez moi encore à ceci. Si les cinq Prémiers Bataillons font Retraite dans les Trois Seconds , & en ſuite les Huit dans les Deux Troiſiémes , il ne ſemble pas poſſible, que les Huit réduits enſem ble., & en ſuite les Dix , puiſſent n'oc cuper que le mêmeterrein que les Cinq occupoient d'abord Colonne. La première choſe que je vous réponds , c'eſt que ce n'eſt pas le même terrein , car les Cinq Bataillons ont quatre eſpaces entre eux, ! 1 GUERRE , Liv. III. 221 eux , qu'ils prennent en faiſant Re traitre entre les Trois , ou entre les Deux , il y a encore le terrein entre les Deux Régiments ; & encore ce lui qui eſt entre les Bataillons & les Piquiers Extraordinaires , tous leſ quels terreins joints enſemble font une grande étendue. Ajoûtez à ce la , Que le terrein qu'occupent les Bataillons, quand chacun tient ſon Rang eſt bien différent de celui qu'ils occupent quand ils ſont un peu en déſordre , parce qu'ils ſe ferrent, ou s'élargiſſent toujours. Ils s'é fargiffent quand la peur les a faiſis juſqu'à leur faire prendre la fuite : Ils ſe reſſerrent lorſqu'ils ont peur , mais d'une manière à leur faire cher . cher la défenſe & non la fuite ; & en ce cas:là ils ſe reſſerrent & ne s'élar gillent jamais. Ajoutez y encore , Que les cinq Rangs des Piquiers qui font à la tête , aprés avoir attaché le Combat , font Retraitte à travers les Bataillons à la queue de l'Armée , a fin delaiſſer place aux Ecuiers pour K 3 com 222 DE L'ART DE LA combattre ; & pendant que ces Pi quiers marchent vers la queuë , ils peuvent étre emploiez où le Géné. "Tal trouve à propos ; au lieu que de puis qu'on en eſt aux mains , ils ſe roicnt tout à fait inutiles. Et c'eſt pour cela que les eſpaces d'entre les Rangs , peuvent fort bien recevoir tout ce qu'il faut . Enfin li ces ef. paces-là nefuffifoient pas , les cctez qui font les flancs de l'Armée font des hommes, & وnon pas des murail des ; ainſi en les faiſant ouvrir & s'é. argir , ils peuvent faire un terrein aſſez grand pour recevoir tout.25 . : Alemanni. Voulez -vous que les Piquiers Extraordinaires",que vous. avez poſtez fur les flancs , faſſent ferme pendant que les premiers Ba. taillons font Rétraitté dans les Se . conds, & qu'ainſi ils deviennent comme les deux ailes de l'Armée ? Ou bien voulez -vous qu'ils faſſent Retraitte comme les autres ? Ce comment qui étant , je ne vois npas aire dera GUERRE , Liv. III . 223 derriére eux de Bataillons avec des files ouvertes pour les recevoir. Colonne. Si l'Ennemi ne les com bat point quand il force les Batail lons à faire Retraitte , ces Piquiers là peuvent faire ferme dans leurs Rangs , & prendre l'Ennemi en flanc, aprés que les prémiers Bataillons au roient fait leur Retraitre : Mais s'il . combattoit auſſi les Piquiers , com me il y a apparence, puiſqu'il eſt af fez fort pour obliger des Bataillons à la Retraitte ; En tel.cas , ils de vroient auſli faire Retraitte , ce qui $ leur eſt facile , encore qu'ils n'ayent perſonne derriére eux pour les rece voir : Cac du milieu en avant ils $ 1 peuvent Doubler leurs Rangs en li. gne directe , ainſi que nous l'avons expliqué , lorlque nous avons par 1 lé du moien de Doubler les Rangs.: que ſi l'on veut les doubler en faiſant Retraitre de la tête. à la queuë , il 1 faut ſuivre une autre métode que celle que je vous ai enſeignée ; par ce que je vous ai dit que la ſeconde K 4 file 224 DE L'ART DE LA file devoit entrer dans la prémiére , & la quatriéme dans la troiſiéme,& c . Et dans ce cas ici , il ne faudroit pas com mencer à la tête , mais à la queue , afin que les Rangs venant à fe doubler , on n’avançaſt pas , mais que l'on fiſt Re traitte . Afin de répondre à tout ce que vous pourriez répliquer ſur cette Ba taille , je vous repéte encore , Que j'ai rangé cette Armée en Bataille pour deux raiſons : La prémiére', pour vous montrer comment on doic les ranger en général , lorſqu'il eſt queſtion d'en venir aux mains : La feconde , pour vous apprendre à leur faire faire l’Exercice : Pour 1 l'Ordonnance , je croi que vous la comprenez fort biert : Et four l'E. xercice, je vous dis que le plus qu'ils eſt poſſible, il faut diſpoſer de cette maniére -là tous les Corps enſemble, af à bien mettre en bonne Ordonnance feurs Bataillons, car c'eſt aux Soldats à bien garder leurs Rangs , & aux Com mandans à bien tenir leurs Bataillons en GUERRE ,Liv .III. 225 en ordonnanced'Armée , & à bier éxé. cuter le commandement duGénéral.Il faut donc qu'ils fachent joindreun Ba taillon à l'autre , & prendre leur Poſte 1 tour d'un coup ; & pour cela il faut que le Drapeau de chaque Bataillon ait ſon nombre écrit en lieu viſible , tant pour pouvoir mieux commander ces Ba. į taillonslà, que pour que leGénéral & les Soldats les reconnoiſſent mieux. Il faut auſſi que les Régiments aient leur nombre marqué dans leur princi. pale Enſeigne ; & qu’ainſi:l'on ſache de quel nombre eſt le Regiment po 2 ſté à l' Aile droite , ou à l'Aile gauche, de quel nombre font les Bataillons po I ftez à la Tête , ou dans le Second Corps, 12 & c.Il faut encore que ces nombres ſera . ventd'échelons pour monter aux char ges: Par exemple , le plus bas Officier ſera un Caporal, celui qui le ſuivra ſera le Capitaine des Cinquante Vélites , aus l s 7 deſſus ſeront les Capitainesdés Batail lons , en ſuite ſera le Commandant du Dernier Bataillon , & puis le Como mandant du Neuv'éme , juſqu'au Pre ✓ 5 mier 226 DE L'ART DE LA prémier qui doit tenir Rang immé.. diatement aprés le Colonel, ou celui qui commande l'un de nos Régi ments ; & il faudroit faire en ſorte qu'on ne parvint jamais à cette Char ge-là , ſans avoir paſſé par tous les dégrez. Mais parce qu'outre ces deux Colonels , il y a trois Comman dants des Piquiers Extraordinaires , & les deux des Vélites aufli Extra ordinaires , je voudrois que ceux-ci fuſſent de même Rang que le Com mandant du dernier Bataillon ; & je ferois bien aiſe d'avoir fix Officiers de pareil Grade , afin qu'ils euſſent tous de l'émulation à qui parvien droit au Commandement du neuvié. me Bataillon . Chacun donc de tous ces Commandans , fachant en quel endroit ſeroit poſté ſon Bataillon , il s'enſuivroit de néceſſité que l'Enſei gne Générale étant arborée , dés la . prémiére fanfare toute l'Armée oc cuperoit tous ſes Poſtes. Et c'est là le premier Exercice à quoi il faut accoûtumer une Armée , qui eſt de fe GUERRE ,Liv. III. 227 fe ranger prontement en Bataille ; & pour y parvenir prontement , il faut tous les jours , & même pluſieurs t fois le jour la rompre & la remet 4 tre. S Alemanni. Quelle marque vou SS driez-vous qu'euſſent les Enſeignes outre celle du nombre. Colonne. Je voudrois que l'Enſei gne du Général eût l'Ecuſſon de ſon Prince , toutes les autres pouroient bien avoir le même Ecuſſon , mais en variant le Champ , ou ajoûtant F 1 quelque marque , comme il plairoit au Prince, de qui dépendroit l'Ar mée : Car tout cela importe peu , pourvû qu'il produife l'éfet qu'on en attend , qui eſt de ſe réconnoître les uns les autres. Mais revenons à l'au tre Exercice auquel il faut accoûtu mer une Armée ; qui eſt de la met tre en mouvement , & en marchant ſelon les Régles , avoir foin qu'elle conſerve bien fon Ordonnance. 1 2. Le troiſiéme Exercice qu'elle a faire', eſt d'apprendre à le conduire com K 6 me 1 228 DE L'ART DE LA me elle doit faire un jour de Batail le : Faire décharger le Canon , & le : faire retirer ; Faire mettre en mouve ment les Vélites Extraordinaires , & les retirer aprés qu'ils auront éxécus té l'ordre de donner une Fauffe- allar me ; commander que les Premiers Bataillons , comme s'ils étoient ré pouſſez , Falent retraitte entre les: Seconds , & tous enſemble entre les Troifiémes; & de-là-les faire tousretour nerchacun à leurpoſte. Il faudroit tela lement les dreſler à cela , que chacun connût ce qu'il doit faire & s'en , for ‘ mât l'habitude ; parce qu'une ehoſe: qu'on fait fort bien , & dont on a l'ha .. bitude , s'éxécute prontement. Le quatriéme Exercice eſt deleur aprendre à connoître par le ſon du Tambouri & de laTrompette, & par lemouvement du Drapeau , les Commandemensde leurs Oficiers;- Car on fait aſſez qu'ils entendront bien ſans aucun Exercice les Commandemens de.la yoix, Mais: parce que l'importance de ce Com mandement vientde la différence des , Sonsy GUERRE , Liv. III. 229 3 Sons, je vous dirai quels étoient ceux 3 qu'emploioienc lesAnciens. Les Lacé. e démoniens , au rapport de Tucidide , emploioient la Flute dans leurs . Are mées ; parce qu'ils croioient que cec C te muſique étoit plus propre à faire a vancer leur Armée avec gravité , & non avec précipitation. Pour la ! même raiſon , les Cartaginois dans la prémiére attaque emploioient le Ci Stre*. Abiatte Roi de Lidie emplo. ioic la Flüte & le Ciſtre : Mais . Alé xandre & les Romains emploioient les Cors & les Trompettes , penſant que ces Inſtrumens avoient plus de vertu pourréveiller le courage desSol dats & les faire combatre avec plus de vigueur. Cependant, comme en ar mant nos gens, nous avonspris des ma niéresGréques & des Romaines, pour ce qui regarde la Mufique Militaire, nous garderons auſſi les uſagesde ces2. Nations. C'eſt pourquoije,mettrois des Trompettes auprés du Général, étant * Vosez les Remo 230 DE L'ART DE LA étant un ſon , non ſeulement propre à animer l'Armée ; mais auſſi à fe faire entendre au travers du bruit ڈ plus qu'aucun autre. Toutes les au tres Muſiques qui feroientauprés des Commandants des Bataillons & au tres , je voudrois qu'elles ne fuſſent compoſées que de petits Tambours & de Flutes , qu'on feroit jouër com me dans les Feſtins & non pas com me on fait à préſent. Le Général donc avec ſes Trompettes feroit en tendre quand il faudroit faire halte , quand il faudroit marcher avant , ou fa re Retraitte , quand il faudroieti. rer le Canon , quand il faudroit fai. re avancer les Vélites Extraordinai res ; & avec la variété de ſes Fanfa. res , il feroit faire à l'Armée tous les mouvemens qu'elle doit faire. Il fau. droit en ſuite que ces Trompettes fuf fent ſuivies des Tambours; Et com . me cér Exercice eſt aſſez de confé . quence , il faudroit y bien dreſſer 1 Armée. Pour la Cavalerie il faut auſli des Trompettes , mais plus peti tes " GUERRE , Liv.III. 231 tes & qui fonnaſſent autrement que celles du Général. Voilà tout ce qui ! m'eſt venu dans l'eſprit ſur la manié. re d'ordonner une Armée & de lui faire faire l'Exercice. Alemanni. Je vous prie de trouver bon que je vous demande, pourquoi vous avez ordonné que la Cavalerie Légére &'les Vélites Extraordinaires, 1 1 - en attaquant', euſſent à fe jetter fue l'Ennemiavec furie & avec de grands cris ; & qu'en ſuite le reſte de l'Ar mée venant aux mains , cela fe faiſoit avec un ſi grandfilence ? ' Expliquez moidonc cela je vous fupplie , carje. n'en peux comprendre la raiſon. Colonne. Les Anciens n'ont pas és té bien d'accord , ſi l'on doit en ve nant aux mains , le faire vîre & avec de grands cris , ou ſi l'on doit avan cer doucement & avec filence." Ceta te derniére allure eſt plus propre pour bien garder l'ordre & pour bien en tendre le Commandement: L'autre eſt plus propre pour encourager les gens. Or parce queje croi qu'il faut tâ , 232 DE L'ART DE LA tâcher defaire l'un & l'autre, j'aicom mandé que les premiers marchaſlent avec bruit & furie , & les autres dou cement & ſans éclat. Car je ne trou ve nullement à propos que ces grands cris-là durent toûjours , puiſqu'ils cmpêchent le Commandement , ce qui eſt fort pernicieux. Et il n'y a point d'apparence que les Romains aprés la premiére attaque continual fent ces bruits- là ; Car l'on voit dans leurs Hiſtoires, que les Soldats qui fuioient , écoient encouragez par les cxhortations & les diſcours des Offi ciers , & que ſouvent les choſes ont été changées au fortdu Combat, par l'ordre du Général; ce qui ne ſeroit pas arrivé ſi les bruits continuels a voient étouffé fa. yoix , DE 233 DE ĽART DE L. A GUERRE: LIVRE QUATRIEME. Alemanni. P UISQUE pendant que j'ai été de jour , il s'eſt ga. gné une fi glorieuſe Ba taille , je croi qu'il eſt à propos de ne plus tenter la Fortune , connoiſſant comme je fais , fa légéreté , & fon inconftan ée. Je veux donc me démettre de la Di. 234 DE L'ART DE LA Dictature , & que Monſieur Buon- ' 2 delmonte entre àpréſent dans la char ge de Faiſeur de Queſtions , puiſque ce! felon l'ordre établi cét Office regar de le plus jeune. Je me perſuade 192 qu'il ne réfuſera pas cét honneur, ou pour mieux dire , ce travail , tant 3 pour m'obliger , que parce qu'il eſt i naturellement plus hardi que moi ; & cela ne lui fera point de peine d'entrer dans une lice , où il peut vaincre & étre vaincu . Buondelmonte. Je prendrai le Po quoi que j'euſſe plus de plaiſir à n'étre qu'Aų . fte que vous me donnerez, parce que vos demandes m'ont bien plus fatisfait , que n'au roient fait celles qui me font venuës diteur 3 dans l'eſprit , pendant que j'écoutois vos Difcours. Mais , Monſieur , je penſe qu'il vaut mieux que le Séi. gneur Colonne ne perde pas lon tems, le priant de nous pardonner , ſi nous l'avons ennuié avec nos cérémonies . Colonne. Bien loin de m'ennuier , cela me faic plaiſir , car ce change nent RD GUERRE ,Liv. IV . 235 gement de Perſonnages me fait con noître la différence de vos Eſprits , & celle de vos inclinations. Mais trouvez- vous qu'il faille encore ajoûe ter quelque choſe à la matiére que nous venons de traiter ? Buondelmonte. Je fouhaitte de fa voir deux choſes avant de paſſer à un autreſujet : La prémiére, ſi l'on ne peut ranger une Armée en Batail. le d'une autre maniera ? La fecon de , à quoi doit principalement re garder un Général devant que d'en venir aux mains ? & s'il furvenoit quelque accident pendant la mêlée , quels remédes il y faudroit appor ter Colonne. Je ferai mes éforts pour vous fatisfaire. - Je ne répondrai point diſtinctementà vos Queſtions, parce que pendant queje répondrai à l'une , il arrivera fouvent qu'il fau dra répondre à l'autre. Je vousai dit , que je vous donnois un Ordre de Bataille ; afin que ſur celui-là vous puiſſiez former , & prendre les me fu . ( 236 DE L'ART DE LA fures à quoi le terrein & l'Ennemi . vous obligent ; parce qu'on dépend on fouvent de l'un & de l'autre. Mais ſouvenez - vous ſur tout de ne pas trop 2 donner de front à vôtre Armée , fi elle n'eſt pas trés - forte & trés- nom-. breuſe ; Car autrement il vaut mieux lui donner plus de hauteur & moins de face. Sur tout quand vous avez peu de monde en comparaiſon de l'Ennemi, il faut quevous cherchiez quelque expédient , comme de fan ger vôtre Armée', en forte qu'elle ſoit Aanquée d'une Riviére , ou d'un Ma . rais,afin que yousne puiſliez pas étre environné de l'Ennemi; ou bien il faut vous munir de bonnes Trenchées ſur les flancs, comme fit Céſar en France. Dans un tel cas , prenez pour maxime de vous étendre , ou de vous reſſerrer de front , ſelon la quantitéde vos gens , ou de celle de l'Ennemi; qui étant moindre que vous , tâchez de l'attirer dans les Plaines , afin non feulement de pouvoir l'environner mais auſſi pour donner plus d'éten due ou GUERRE , Liv.IV. 237 düe à la face de vôtre Armée ; & ſur tout en cas que vos gens ſoient bien diſciplinez , parce que dans les lieux ſerrez & rudes vôtre nombre ne vous fere de rien , ne pouvant pas donner à vos Rangs toute l'étenduë qu'ils pourroient avoir. C'eſt pour cela que les Romains cherchoient tou jpurs, les Plaines , & évitoient les Montagnes. Mais il faut faire tout le contraire , ſi vous avez peu de monde & mal diſcipline ; Car en ce cas vous devez chercher un terrein , où la petite quantité ſoit à couvert , & où le peu d'expérience ne vous ap porte aucun préjudice. Prenez aur li, autant qu'il vous ſera poſſible , le Pofte le plus élevé , afin de pouvoir plus facilement fondre fur l'Ennemi : Ne vous poſtez pour tant pas dans un , penchant rude , ni au pied d'une éminence , ſur laquelle l'Armée Ennemie pourroit venir , & à cauſe de l'Artillerie , cette éminencevousnuiroit beaucoup ; car l'Ennemi pourroit vous endommager ex 238 DE L'ART DE LA U extrémement , ſans que vous puſſiez y apporter reméde , & pour vous , vousne pouriez lui faire aucun mal, étant embarraſſé par vos propres gens. Celui qui range fon Armée , doit encore avoir égard au Soleil & au Vent , afin que l'un & l'autre ne vous donne pas en face ; car ils offuf trop op de lu. quent la vûe , l'un par le tr miére , & l'autre par la pouſſiére. Outre cela le Vene diminue la force / des coups qu'on tire à l'Ennemi. Et pour le Soleil , il ne ſuffit pas qu'il ne vous nuiſe point dans le commen cement du Combat ; il faut ſe pré caucionner , en ſorte qu'en continuant cela n'arrive pas . C'eſt pour cela qu'en rangeant vôtre Armée en ba taille, il faudroit tâcher qu'elle l'eût dans les épaules , car il ſe paſſeroit bien du tems devant qu'il fût venu à darder ſes raions dans les yeux . Ce ſtratagéme fut prattiqué par An nibal à la Journée de Cannes , & par Marius contre les Cimbres. Si vous étes moins fort en Cavalerie que l'En OM 洲。 of MU GUERRE , Liv.IV.239 l'Ennemi, poftez votre Armée en tre des Vignes, des Arbres , & au tres embarras ; comme firent les Ef pagnols , lorſqu'ils rompirent les François à Cirignuola dans le Roiau me de Naples. Même on a vû ſou vent que les mêmes Troupes , en changeant ſeulement d'ordonnance & de ſituation , ont vaincu leurs Vainqueurs ; comme les Cartaginois, qui après avoir été vaincus bien des fois par Regulus-, furent en ſuite Vainqueurs par le conſeil de Xantip pe Lacédémonien , qui leur fit pren dre les Plaines , où ils battirent les Romains , par la force de leur Ca valerie & de leurs Eléfans. J'ai re marqué par les exemples des An. ciens , que lorſque l’Ennemi a fait un côré de ſon Armée plus fort que i l'autre , on ne lui a oppolé que le plus foible , en oppoſant par conſé quent au côté le plus foible de l'En nemi , celui de l'Armée qui étoit le plus fort, à qui l'on commandoit de ſolltenir feulement les Ennemis , fans re 240 DE L'ART DE LA repouſſer le choc , & au plus foible on lui ordonnoit de céder & de faire Retraite dans le dernier Corps de l'Armée. Ceci cauſe deux grands déſordres à l'Ennemi : le premier , c'eſt que le Corps le plus contidéra ble de ſes Troupes ſe trouve par là tout environné des autres ; Le le cond., c'eſt que s'imaginant avoir eu la Victoire à bon marché , il arri yera ſouvent qu'il ſe débandera , ce qui le perdra auſli-tôt. Scipion é tant en Eſpagne , contre Aſdrubal Chef des Carthaginois , & ſachant qu'Aſdrubal n'ignoroit pas que c'é toit la coûtume des Romains de po fter leurs Légions au milieu , qui fai ſoit ainti la plus forte partie de l'Ar mée , & que par conſéquent Aſdrubal ſuivroir la même mécode ; quand le jour de la Bataille fut venu , Scipion changea de batterie , & forma ſes ai. les de ſes Légions , faiſant le Corps de Bataille de ſes moindres Troupes. En ſuite venant aux mains', il fit mar cher incontinent fes moindres Trou pes , TE GUERRE,LIV.IV. 241 pes , mais lentement ; pendant que les ailes de l'Armée avancérent avec prontitude , en ſorte que ce ne fuc que les ailes de l'une & de l'autre 1 Armée qui combattirent, & les Corps de Bataille étant trop éloignez , ne ſe joignirent point : Ainſi tout ce que Scipion avoitde plus fort , combattit ce qu'Aſdrubal avoit de plus foible , ce qui fit gagner la Bataille aux Ro Ce ſtratageme ſervit alors , mais aujourd'hui il ſeroit inutile à cauſe de l'Artillerie ; parce que le ter rein qui ſeroic entre les deux Corps de Bataille , donneroir lieu à l'un & à mains. l'autre de tirer , ce qui eſt trés-per-, nicieux , comme nous avons dit. Il faut donc laiſſer là cette vieille ruſe, & pratiquer celle que je diſois toute à l'heure de faire battre toute l'armée, & faire céder le côté le plus foible. Quand un Général eſt plus fort en monde que ſon Ennemi & qu'il veut l'enfermer , fans qu'il le prévoie : il ne doit pas donner plus de front à fon Armée , que n'en a celle de L l'En 242 DE L'ART DE LA l'Ennemi : Mais le Combat étant bien attaché , il faut que l'Armée ſe bat te en Retraitte , en faiſant étendre les Flancs ; & alors l'Ennemi ſe trouvera enfermé fans y penſer . Quand un Général veut donner ba taille avec une afſeurance preſque entiére de n'étre point battu , qu'il " range fon Armée dansun lieu proche d'un Marais , ou de Montagnes , ou d'une forte Place ; car en ce cas là il ne peut être pourſuivi de l'Enne mi, & lui le peut pourſuivre. Ce fut de ce ſtratagéme dont ſe servic Annibal quand la Fortune commen 1 ça à lui tourner le dos & qu'il appre tendoit la valeur de Marcellus. Quelques- uns pour faire rompre les Rangs aux Ennemis , ont comman dé aux gens légérement armez de commencer & lier le Combat, & auſſi tôt de ſe retirer dans les Rangs : puis quand les deux Corps de Ba taille ſont bien échauffez l'un contre l'autre , on les fait derechef fortir des Rangs , & donner en Flanc à l'En 1 GUERRE,Lıy.IV. 243 l'Egnemi; Ce qui les mettoit en déſordre & en ſuite en déroute. Si un Général ſe trouve foible en Ca valerie , il peut outre les expedients dont j'ai déjà parlé , poſter un Corps de Piquiers derriére fes Che vaux , & au milieu du Combat les faire ouvrir pour donner paſſage aux Piquiers , ce qui lui donnera l'avantage. Pluſieurs ont dreſſé des Fantaſſins légérement armez à com. battre entre les Chevaux , ce qui leur a été un fort grand ſecours. Entre tous ceux qui ont rangé des Armées pour donner Bataille , il n'en eſt point de plus eſtimez que Scipion & Annibal, lors qu'ils com battirent en Affrique ; & parce que l'Armée d'Annibal étoit compoſée de Cartaginois & de Troupes auxi liaires de toutes eſpéces , il poſta à la tête quatre-vint Eléfans; Enſui. te il pofta les Troupes auxiliaires , & derriére eux les Cartaginois , & enfin les derniers de tous furent les Italiens , ſur qui il faiſoit peu de L 2 fond . 244 DE L'ART DE LA fond. , Etil diſpoſa tout cela ainfi , a fin que fes Troupes Auxiliaires , aiant en têrel’Ennemi& derriére les Carta . ginois , elles ne půſſent pas prendre la fuité ; de ſorte qu'écans par la con 1 traints decombatre,il eſpéroit qu'elles vaincroient, ou au moinsqu'elles laſ feroient les Romains, qui aprés cela ne ſeroient pas malaiſez à défaire entiére 1 ment par le moien de ſes bonnesTrou pes fraiches& vaillantes. D'autre cô ré Scipion pofta lesGens deJavelot, les Princes & les Triaires dans l'Ordon nance accoûcumée, qui eſt de pouvoir s'entredonner Retraitte dans les Rangs Les uns des autres. Il fit la tête de fon Armée pleine d'intervalles, mais afin que cela ne parůtpas ', il les fit rem plir de Vélites , à qui il commanda , qua ſitôt que les Elefuns viendroient, ils ſe retiraffent , & que par les eſpa ces ordinaires ils entraffent entre les है Légions ; & leur laillant nt le chemin ouvert ; aing ten rendit l'efer inu tile , puis étant velu aux mains il bartit Annibaby 4 GUERRE , Liv.IV. 245 Buondelmonte. En m'alléguant cette Bataille , vous m'avez fait fou. yenir que Scipion ne fit point retirer les Gens de Javelot dans les Rangs : des Princes ; mais les aiant parta gez , il les fit retirer ſur les Ailes de ľ Armée , afin qu'ils fiffent place aux. Princes lorſqu'il les fit avancer. C'eſt pourquoi je voudrois bien que vous me diſſiez la raiſon qui l'obligea de ne pas ſuivre l'ordre accoûtume , Colonne. Je vous le dirai. Anni bal avoit mis toute la force de fon Armée dans le Second Corps ; Sci pion donc pour lui en oppoſer un au . tre auſſi fort, n'en fit qu'un des Prina ces & des Triaires , ainſi le terrein d'entre les Rangs des Princes écant occupé par les Triaires, il n'y en re . ftoit plus pour les Gens de Javelot ; Et c'eſt pour cela que les aiant par tagez en deux , il les fit retirer für les Ailes de l'Armée , & non pas entre les Rangs des Princes. Mais remarquez bien que cette mécode L 3 d'ou 2:46 DE L'ART DE LA . d'ouvrir le prémier Corps pour laiſ 09 fer paſſer le Second , ne le peut pra 10 tiquer que lorſqu'on a l'avantage , parce qu'alors on le peut faire en ſu reté, comme fit Scipion . Mais aiant du deſſous, vous ne pouvez le faire mi ſinon avec un danger éminent ; c'eſt pourquoi il faut toûjours avoir der riére vous des Corps diſpoſez à vous recevoir entre leurs Rangs . Mais revenons à nôtre ſujet. Les Anciens Aſiatiques , entre les autres moiens qu'ils avoient trouvez pour endom mager leurs Ennemis , fe fervoient d'ordinaire de Chariots qui avoient des Faulx attachées aux côtez ; en ſorte qu'ils étoient bons, non ſeule . ment pour faire paſſage au travers des Rangs par leur impétuoſité, mais auſſi pour tuer des Ennemis a vec leurs faulx . On ſe défendoit contre cette invention en trois ma niérés: Ou l'on les foûtenoit par l'épaiſſeur des Rangs ; ou on leslaiſ ſoit paſſer au travers des Bataillons , comme les Eléfans , ou bien par quel 6 GUERRE , Liv.IV. 247 quelque artifice on leur faiſoit une vigoureuſe réſiſtance ; comme fit Sil. la contre Archelaus , qui avoit aſſez de cette eſpéce de Chariots , con tre leſquelsSilla fit planter bien des pieux en terre , derriére les prémiers Rangs , en ſorte qu'étans artêtez par là , ils perdoient toute leur impétuo fité. Il faut auſli remarquer la nou velle metode qu'obſerva Silla contre ce Prince , dans la diſpoſition de ſon Armée ; car il poſta les Vélites & la Cavalerie dans l’Arriéregarde, & tous les gens peſamment armez à la tête de l'Armée , laiſant entr'eux aſſez d'intervalle pour pouvoir faire avan cer ceux de derrière , en cas que la néceſſiré y obligeât: Aiant donc com mencé le Combat , & fait paſſer la Ca valerie au travers des eſpaces qu'il a. voit laiſſez dans les prémiers Rangs, il remporta la victoire par ce moien -là. Qui veutmettreſon Ennemien défor dre au milieu du Combat , il faut faire naître quelque choſe qui 'l'étourdiſſe , ou en faiſant courre le bruit, qu'il L 4 Vient 248 DE L'ART DE LA vient un renfort 3 ou en lui faiſant voir quelque choſe qui frappe la yuë , ainſi les ennemis furpris de ce ſpectacle perdent la tramontane & en fuice ſont bien tột battus . Ce fut de ces fortes de ſtratagémes que ſe ſervirent Minutius Ruffus , & Accilius Flabrio Confuls Romains. Cajus Sufpitius fit monter pluſieurs goujats & valets d'Armée fur des mulets & il les équippa de telle ma niere qu'il fembloit que ce fuſſent des gendarmes, enſuite il les fit pa roître ſur une éminence , pendant qu'il étoit aux priſes avec les Gau lois , ce qui les lui fit vaincre , la même choſe arriva i Marius contre les Allemans. Puis donc qu'au mi lieu du combat , une fauſſe attaque apporte un grand avantage , fans que les verirables feront encore beau coup mieux , ſur tout fi fans que l'Ennemi le prevît on pouvoit tout d'un coup lui donner en flanc ou en queuë. Ce que vous ferez difficile ment GUERRE , Liv.IV. 249 ment ſi le terrein n'eſt pas diſpoſé pour cela ; car ſi c'eſt une plaine, vous ne pouvez pas cacher une partie de vôtre monde, comme il faut faire en telles attaques ; mais en pais boiſé , ou montueux , & par conſequent propre aux embuſcades , vous pou vez bien couvrir une partie de yos gens qui tour d'un coup & à l'im proyiſte donneront ſur l'Ennemi , & toutes les fois que cela arrivera , vous en cirerez toûjous un grand avantage . Il eſt quelquefois de grand conſé . quence au ſoir du Combar, de faire courir le bruit que le Général des ennemiseſt mort , ou que l'autre par tie de vôtre Armée les a battus , ce qui a quelquefois fait remporter la Victoire à celui qui s'eſt ſervi de cette ruſe. Il eſt aiſé de mettre en défordre la Cavalerie , ou par des ſpectacles ou par des cris extraordi naires ; ce que fic Créfus, qui op poſa fes chameaux aux chevaux de fon ennemi ; & Pirrus oppoſa auſſi les éléfans à la Cayalerie Romaine L 5 с 250 DE L'ART DE LA ce qui l'épouvanta & la mit en dérou te . De nôtre tems, les Turcs défi rent le Sophi de Perle & le Sultan de Sirie avec le ſeul bruit de la mouſ. " quetterie , ce qui mit une telle épou vante dans la Cavalerie de ces gens SV là , que celle du Turcen eut bon mar ché. Les Eſpagnols, pour battre A 20 milcar , mirent à la tête de leur Ar mée des Chariots pleins d'étoupe ti. rez par des beufs ,& étant aux mains ils у mirent le feu ; ainſi les beufs voulant ſe fauver du feu , donnérent dans l'Armée d'Amilcar & la rom pirent. Comme nous l'avons déja dit , on a accoutumé de ſurpren dre l'Ennemi par embuſcades dans un Pais propre pour cela : Mais dans un terrein large & ouvert , quelques uns ſe ſont aviſez de faire pluſieurs tranchées & les ont couvertes légére . ment de broſſailles & de terre , en laiſ ſant des entre deux de terre ſolide , pour pouvoir faire Retraitte quand le Combat étoit échaufé ; ainſi l'En nemi les pourfuiyant , s'eſt quelque fois GUERRE, Liv. IV. 251 Si au milieu du fois perdu par là . Combat il vous ſurvient quelque ac cident capable de ſurprendre vos gens, la prudence veut qu'on le cache, ou même s'il ſe peut , qu'on en tire avan tage; comme firenc TulliusHoſtilius & Sylla,qui voiant que pendant qu'on étoit aux mains une partie de leur Ar mée étoit paſſée du côtéde l'Ennemi, & s'appercevant que cette nouveau té étonnoit leurs gens , ils firent pron tement courre le bruitque cela ſe fai ſoit par leur ordre ; ainſi bien loin que le reſte de leur Armée en fûr épouvan tée , au contraire cela en augmenta tellement le courage , qu'ils en rem portérent la Victoire. Le même Sil la aiant envoié quelques Troupes à une Expédition ,où ils furent tuez ر,a fin d'empêcher que fon Armée n'en prît l’alarme, il dit , qu'il les avoit envoiez exprés à la boucherie ; par ce qu'il ſoupçonnoit leur fidélité. Sartorius donnant Bataille en Eſpagne tua un de ſes gens qui lui raportoit la nouvelle de lamort d'un des Chefs de L 6 l’Ar 252 DE L'ART DE LA l'Armée, ce qu'il fit pour empêcher cét homme de répandre ce bruit par mi les Troupes , quiauroit pû leur faire prendre l'épouvante. Rien n'eſt ſi difficile que d'arrêter une Armée qui a pris la fuite, & de la ramener au Combat. Il faut dans cette con joncture, faire cette diſtinction , Ou elle eſt toute entiére en déroute ; en tel cas il eſt impoſible de la rallier : Ouil n'y en a qu'une partie , & alors il y a quelqueréméde. Pluſieurs Généraux Romains ;allant à la tête des fuiards,les ont arrêtez en leur faiſanthonte de leur lâcheté; c'eſt ce que fit Silla , qui voiantqu'une partiede ſes Légions a --voir déja tourné le dos , étant preflée de prés par Mitridate, alla à leur tête l'épée à la main ; criant, Si quelqu'un vous demande desnouvelles de vôtre Gén néral, dites , Nous l'avons laiſſéles ar mes à la main en Beotie. Le Conful At tilius oppofa aux fuiards ceux qui fai ſoient ferme; & leur dit , Qu'ils ſe roient tuez és par les Amis 6 par les Ennemis , s'ils neretournoient au Com . bat. 1 GUERRE ,Liv.IV. bat . 253 Philippe de Macedoine , ap . prenant que ſes Soldats, épouvan tez par les Scytes, prenoient la fuites pofta de la Cavalerie affidée derrié re ſes Troupes avec ordre de tuer tous les fuiards ; ce qui fit qu'aimant mieux mourir en combattant qu'en fuiant , ils remportérent la Victoire. Pluſieurs Romains ont fouyent , au milieu du Combat , arraché un Dra peau des mains de leurs gens, & l'ont jecté au milieu des Ennemis en propo fant récompenſe à celui qui le retire roit ; & ils faiſoient cela non pas tant pour empêcher la fuite , comme pour animer davantage leurs gens , & leur faire faire un plus grand éfort. Je croi qu'il fera aſſez à propos d'ajoûter à ce diſcours,ce qui ſurvient aprés le Com bat; puiſque ce ſont des choſes qui ne ſont pas longues à déduire , ni qu'on doive méprifer ; & وque d'ailleurs elles ont du raport à toutceci. Je dis qu'on perd , ouque l'on gagne les Batailles : quand on a remporté la victoire ,ilfaut avec une diligence extreme pouſſer la poin . 254 " DE L'ART DE LA pointe comme faiſoit Céſar , & non j pas comme, fit Annibal , qui s'étant arrêté , aprés avoir défait les Ro mains à la journée de Cannes , en perdit l'Empire de Rome. Pour Cé far jamais il ne ſe repoſoit aprés la Victoire , au contraire il pourſuivoit & combattoit l'Ennemi déjà vaincu ayec plus de violence & de furie , qu'il ne l'avoit fait en l'ataquant. Mais lors qu'on a perdu la Bataille , il faut qu'un Général voie s'il peut recirer quelque avantagc de ſa défaite : Sur 1 -- M tout s'il lui eſt reſté une partie de ſon Armée , il peut lui naître quel que belle occaſion de la négligence NO de ſon ennemi qui aprés la Victoire tombe le plus ſouvent dans une certai ne confiance , qui yous donne lieu de le battre à ſon tour : C'eſt de cet. te maniere que Marius défie les Car taginois , qui ayant tué les deux Sci pions & défait leurs armées conté rent pour rien le reſte des gens qui étoient demeurez avec Marius. Car il eſt vrai qu'il n'y a rien qui donne plus GUERRE ,Liv. IV . 255 plus lieu à prendre une heureuſe re vanche de la perte , que lors quel'en nemi eſt perſuadé que vous n'oſeriez plus rien entreprendre , les hommes étant plus aiſez à ſurprendre par les choſes qu'ils craignent le moins. En fin un Général ne pouvantpas réuſſir par cette voie , doit au moins faire en ſorte que la perte ſoit le moins prejudiciable qu'il ſe pourra : & pour y parvenir il faut tâcher que l'Enne mi ne puiſſe vous pourſuivre aiſé . ment; ou bien il faut lui donner lieu de s'arrêter. Au premier cas quel ques Généraux s'apperçevant que la Bataille étoit perdue pour eux , ont commandé à leurs Lieutenants de ſe retirer par différens endroits , en leur donnant à tous un quartier d'aſſem blée; d'où il arrivoit que l'Ennemi apprehendant de partager ſon armée, laiſſoit ſauver les fuiards ou la plus grande partie d'entr'eux . Au ſecond cas pluſieurs ont envoyé le meilleur de leur butin au devant de l'Enne mi , 256 DE L'ART DE LA mi, afin qu'étant occupé au pillage il leur donnât plus de tems pour s'échaper, Titus Dimius ufa d'un grand artifice pour cacher la perte qu'il avoit faite dans le combat ; car aiant combattu juſqu'à la nuit avec grand perte de ſes gens , il les fie i enterrer pendant l'obfcurité ; ainſi au matin les Ennemis voiant tant de corps morts des leurs , & fi peu de croiant avoir ceux des Romains eu 'du déſavantage , ils prirent la fuite. Je crois avoir ſatisfait en bonne partie à vôtre demande quoi qu'avec quelque confuſion ; il eſt vrai que touchant la forme des ar mées , il me reſte encor à vous dire, que quelques Généraux en ont ſouvent fait la tête en angle s'ima ginant que cette figure pouvoir plus aiſément ouvrir l'Ennemi. Les autres au contraire donnoient à la téte de leur Armée la figure de ciſeaux ouverts afin qu'en re cevant cet angle , ils puſſent l'en fer GUERRE, Liv. IV. 257 fermer & l'attaquer de tous côtez. Sur cela jeyeux que vous preniez cet te maxime , Que le meilleur moien de rendre inutile le deſſein de l'Enne mi , c'eſt de faire de vous -même ce qu'il prétend vous faire faire de force; car le faiſant de cette maniére- là , c'eſt avec ordre , à vôtre avantage , & à ſon préjudice ; mais ſi vous é tiez contraint de le faire , alors ce feroit vôtre perte. Pour appuier cette maxime , je ne vous allégue rai rien de ce qui a déja été dit. Vôtre Ennemi marche ſur vous en Pointe pour ouvrir vos Rangs ; Si vous allez en forme de Ciſeaux yous le mettez en déſor ouverts dre , & vous gardez votre ordon nance. Annibal poſta ſes Eléfans à la tête de ſon Armée , pour faire ou . verture dans celle de Scipion ; Scipion au contraire marcha à lui avec ſon Armée toute ouverte , & cela lui donna la Viêtoire en rendant inutile le deſſein de ſon Enne mi. Aſdrubal pofta les meilleures Trou 258 DE L'ART DE LA troupes dans ſon Corps de Bataille , afin de repouſſer les troupes de Sci pion ; & Scipion commanda que les ſiennes fillent retraitre d'elles mê. mes , ce qui lui donna la Victoire. Quand ces ſortes de ſtratagémes ſone prevûs, celui contre qui on les ma ehine en tire toûjours avantage.. Il me ſemble qu'il me reſte encore à vous dire quelles maximes doit ob ſerver un Général , devantque d'en trer au Combat ; ſur quoij'aià vous. dire prémiérement qu'il ne faut ja mais livrer Bataille que lors qu'on voit fon avantage , ou qu'on y eſt contraint. L'avantage conſiſte dans la bonté de ſon poſte, à avoir des troupes mieux diſciplinées , ou en plus grand nombre , ou plus braves que celles de l'Ennemi . On eſt dans la néceſſité de combattre lors qu'on voic que ſon Armée , en ne le faiſant pas , ne ne laiſſera pas d'étre diflipée , le par manque de paye, ou parcelui de vivres ; ou bien ſi vous ſçavez. que l'Ennemi attend un renfort. Dans ces GUERRE , Liv.IV. 259 ces conjonctures , il faut toûjours livrer Bataille quoi qu'à notre déſa. Vantage : parce qu'il vaut bien mieux tenter la fortune , quand il y a en core eſpérance qu'elle peut vous être favorable , qu'en ne la tentant point voir votre perte aſſurée : & c'eſt une auſſi groſſe faute à un Général de ne pas combattre dans ces occaſions, que d'avoir eu celle de vaincre & l'avoir ignorée, ou l'ayant connuël'a voir laiſſé paſſer par lâcheté. Quel. queis l'Enn i vous donne de lui. même de l'avantage ſur lui, quelque fois vôtre prudence vous le procure. Pluſieurs Armées ont été battuës aux paſſages des riviéres par un ennemi adroit , qui a laiſſé avancer tous les Soldats juſqu'au milieu de l'eau, & enſuite les a attaquez de tous còtez, comme fit Céſar aux Suiſſes, qui tua le quart de tout leur monde , parce qu'il avoit eu l'adreſſe de mettre une riviére entr'eux & lui. Quelquefois vôtre ennemi ſe trouve las pour vous avoir pourſuivi inconſidérement ; pre . 260 DE L'ART DE LA prevalés vous de cet avantage fi vous étes frais & repoſé. De plus ſi l'En ; nemi vous préſente Bataille de bon . matin , laiſſez le bien des heures fe morfondre ſous le harnois ; & quand vous voiez la prémiére ardeur ral lentie , ſortez de vos retranchements & le Combattez . Voila la maniére dont Scipion & Metellus combattirent en Eſpagne, l'un concre Afdr ubal & l'autre contre Sertorius. Si l'Ennemi eft diminué de forces ou pour avoir partagé fes troupes, comme firentles Scipions en Efpagne , ou pour quel qu'autre raiton , vous devez tenter la fortune. La plus grande partie des grands Capitaines aiment mieux rece voir l'Ennemi que de tomber ſur lui , par ce que la furie eſt aiſément foûte nuë Par des gens fermez & ſerrez ; & quand elle eſt ſolltenuëelle dégénere en lâcheté. C'eſt ainfi qu'en uſa Fa bius contre les Samnites & contre les Gaulois , ce qui lui donna la Victoire, au contraire de Decius fon Collégue qui fut tué . Quelques-uns redou tant la valeur de leurs ennemis , ont 10 GUERRE, Liv. IV. 261 commencé la Bataille le ſoir, afin que leurs gens aiant du pire , püſſent à la faveur des ténébres ſe mettre en lieu de ſureté. D'autres ſachant que leurs Ennemis faíſoient ſcrupule de com battre dans un tems , ils l'ont choiſi pour commencer à en venir aux mains , & les ont vaincus : C'eſt ce que fit Céſar dans les Gaules contre Ariavičte : & Veſpaſien en ufa de mê. meen Syrie contre les Juifs. Mais la plus grande & la plusimportante pré Caution que doit avoir un Général , c'eſt de tenir auprés de foi des gens af fidez , ſages & trés-entendus dans le métier des Armes , avec qui il doit toûjours tenir conſeil , & diſcourir fans ceſſe de ſes Troupes, de cellesde l'Ennemi; de quel côté eſt le plus grand nombre , qui ſont lesmieux ar mez , les mieux diſciplinez , les plus forts en Cavalerie , les plus propres à fuporter la farigue & la diſére ſur quoi il doit faire plus de fond , ou ſur la Cavalerie , ou ſur l'Infanterie . En. ſuite qu'ils examinent bien le Pais où DE L'ART DE LA 262 où ils font , & ſi l'Ennemi en peut ti rer plus d'avantage qu'eux ; lequel des deux Partis tire plus facilement fes vivres & ſes munitions : s'il eft à propos de donner ou de différer le Combat ; car ſouvent les Soldats perdent courage en yoiant la Guerre tirer de longue, & ſe laſſant de fa tiguer , ilsdéſertent. Il faut ſur tout bien connoître le Général des Enne mis , & ceux qui le conſeillent ; s'il -eſt téméraire ou prudent , s'il eſt lâ che ou hardi: Voir ſi vous pouvez -faire fond ſur les Troupes auxiliai 2 res . Mais ſurtout prenez bien garde de ne mener jamais au combat une Armée qui craint, ou qui en quelque maniere que ce ſoit , ſe déf. fie de la Victoire : Car on eſt à demi battu quand on croit ne pou. voir vaincre . Il faut donc en tel cas éviter le Combat & faire comme Fabius , qui fe campant toûjours dans des Poſtes avantageux , ôtoit la hardieſſe à Annibal de l'aller at taquer : Ou ſi vous appréhendiez que . GUERRE, Liv. IV. 263 que l'Ennemi vous vint encore aç taquer dans yos Rétranchemens les plus forts, quittez la Campagne & diſperſez vos Troupes dans les Pla ces afin de le laſſer à faire des Siéges. Buondelmonte. Ne peut-on éviter autrement le Combat , qu'en diſtri buant ſon Armée dans les Places ? Colonne. Je croi que d'autrefois j'ai déja dit à quelqu'un de vous , que tant qu'on tiene la Campagne , on ne peut pas éviter de combattre a. vec un Ennemi , qui a deſſein de le faire , à quelque prix que ce ſoit ; à quoi il n'y a point d'autre reméde que de ſe tenir loin de lui , au moins dix- huit ou vint lieues , afin d'avoir le tems de décamper devant lui , loſqu'il entreprendroit de venir vous forcer. Pour Fabius , il n'avoit pas deſſein d'éviter le Combat avec An. nibal , mais il vouloit le donner a. vec avantage. Er Annibal ne cro ioit pas pouvoir le battre en l'allant attaquer dans ſes Rétranchements. Que 264 DE L'ART DE LA Que s'il avoit crû le vaincre de cet 11 te maniére , il eût falu que Fabius eût combattu à quelque prix que ce foit , ou eût abatidonné la Campag ne. Philippe Roi de Macedoine pe re de Perfés , étant en Guerre avec les Romains le campa ſur une fort haute Montagne , mais les Romains allérent l'y attaquer & le battirent. . 7 Vercingentorix Chef des Gaulois , ne voulant .point en venir aux mains avec Cejar qui avoit paſſé une Ri viére contre l'eſpérance de l'Ennemi , il ſe retira avec ſon Monde bien . loin des Romains . Si les Vénitiens , dans nos jours , ne vouloient point en venir aux mains avec les François , ils ne devoient pas attendre qu'ils euſſent paſſé l'Adda ; mais ils de voient , en s'éloignant bien loin , imiter cet ancien Capitaine de la même Nation : au contraire , aiant 4 trop attendu ils ne ſûrent pas prendre leur avantage pendant que l'Ennemi paſſoit la Riviere pour lui donner Bataille , & ils n'eurent pas l'adreſſe de V GUERRE , Liv.IV.' 265 de trouver les moiens de l'éviter, Car les François étant trop proches de l'Armée de cette République , ils l'attaquérent & la défirent dans le tems qu'elle décampoit . Enfin , quand l'Ennemi vous veut abſolu. ment livrer bataille , il vous eſt im. poſſible de l'éviter. Et ne m'allé guez point Fabius, car ni lui , ni . Annibal n'avoient formé le def fein de ne point ſe battre abſolu ment . Quelque fois il arrive que vos gens ſouhaitent le Combat ; quoi que vous fachiez bien & par la quantité de Monde que vous avez , & par le Pais , ou par quelque au tre raiſon , que vous étes fort infé rieur à l'Ennemi ; ainfi vous ſou haittez de faire quitter cette penſée à vos Troupes. Il arrive au contraire quelquefois que la néceſſité ou la con joncture vous oblige à en venir aux mains , dans le tems que vos gens ne font pas aſſurez , & qu'ilsſetrouvent mal diſpoſez pour le Combat : Il fautdonc qu'en l'une de ces occaſions M VOUS 266 DE L'ART DE LA vous rabbattiez leur ardeur ; & dans l'autre, vous leur releyiez le courage. Dans le premier cas , lorſque les dif cours n'y fontrien , le plusſûreſt d'en faire bactre quclques uns par l'Enne mi , afin queceux -lá & les autres qui n'ont point combattu , vous croient. On peut bien auſſi faire par artifice,ce que Fabius fit par hazard : Vous ſa vez bien que l'Armée de Fabius en vouloit venir aux mains avec celle d'Annibal, & que le Colonel Géné ral de la Cavalerie étoit dans la même penſée ; quoi que Fabius ne le jugeât pas à propos ; & la différence d'avisalla ſi loin , qu'ils partagérent l'Armée. Fabius retint les liensdans ſes Rétran chemens , & l'autre livra le Com bat , où aiant eu du pire , il eût été entiérement défait , fi Fabius ne l'eût ſecouru . Ce fut par cette expérience , que le Général de la Cavalerie , & toute l'Armée appri rent , que le meilleur parti étoit d'o . béir .á Fabius . Pour ce qui regar de les moiens d'animer yos Gens çon VIE GUERRE , Liv. V. 267 contre l'Ennemi , il faut les piquer contre lui , en leur faiſant entendre qu'il parle d'eux comme de Canails les ; que cependant on a de l'intelli gence avec quelques-uns des liens , dont on a gagné une partie. Il faut prendre des logemens en des endroits d'où ils voient l'Ennemi, & viennent quelquefois à eſcarmoucheravec lui , parce qu'on s'accoûtume à avoir moins de peur de ce qu'on voit tous les jours. Il faut auſſi marquer de l'indignation , & dans quelque ha rangue qui viendra à propos ; il faut leur reprocher leur lâcheté , & pour leur en faire honte ; dire , Qu'on ne laiſera pas de Combattre ſeul, s'ils Jont afez lâches pour ne vous pas ſui vre . Mais ſur toutes choſes , aiez cette prudence, ſi vous voulez ren dre vos gens obſtinez au Combat, de ne ſouffrir pas qu'ils envoient leur Butin chez eux , ou , en lieu ſûr juſqu'à ce que la Guerre foit fi nie ; afin qu'ils ſachent , que fi en fuiant ils fauvent leur vie , au moins M" 2 ils 268 DE L'ART DE LA ils ne ſauveront pas leur bien , dont l'amour qu'ils ont pour lui , ne les rend pas moins obſținez à ſe bien K。 battre , que l'envie de défendre leur vie. 7 Buøndelmoute. Vous nous avez dit, Que pour animer les gens au Combat, il faut leur parler: Entendez- vous qu'il faille effectivement parlerà tous, ou ſeulementaux Chefs ? Colonne. diſſuader une choſe à un petit nom bre, rien n'eſt plus aiſé à faire, parce pouvez emolishes que ſi les paroles neſuffiſent pas, vous ce :Mais la difficulté eſt de faire chan . ger à toute une Armée , une opinion qui eſt contraire au bien commun, ou à vôtre deffein ; & là vousne pouvez emploier que les paroles qui aiant à perſuader tout le monde,doivent étre entenduës de tout le monde. C'eſt pour cela qu'il étoitnéceſſaire que les grandsCapitainesfuſſent grands Ora teurs, parce qu'onne peutque diffici . lement opérer rien de bon dans ces ren 1 GUERRE, Liv. IV. 269 rencontres , qu'en parlant à toute une Armée ; mais c'eſt un uſage entiére, ment perdu dans noſtre tems. Lilez moi la Vie d'Alexandre le Grand', & voiez combien de fois il fut obligé d'haranguer ſon Armée ; وfans cela il ne l'auroit jamais conduite aux Indes, en traverſant les Déſerts de l'Arabie parce que cette Armée étoit chargée de richeſſe & de pillage. Et il arrive ſouvent qu'une Armée périt , parce que le Généralne fait pas, ou n'a pas accoûtumé de lui parler : Car par ces diſcours ondonne du courage ; endi minuant les ſujets de crainte;on aug, mente l'opiniâtreté ; on découvre les fourberies de l'Ennemi; on fait eſpé rer des récompenſes ; on découvre les dangers & les moiens de leséviter ; on reprend; on prie ; on ménace; on rem-. plic d'eſpérance ; on loüe ; on blame; en un mot, on fait tout ce qu'ilfaut pour exciter & allumer les paſſions humaines. Ainfi tout Prince quifait une Armée nouvelle , afin de rétablir cette bonne coûtume , doit accoûtu , M 3 mer 270 DE L'ART DE LA mer les Troupes à entendre parler leur Général ; & le Général à favoir N 141 ce que c'eſt que de parler à fon Aro mée. C'étoit une choſe aſſez puif. fante autrefois fur l'eſprit des Soldats, que la Religion & le Serment qu'on leur faiſoit prêter quand on les enrolloit ; 16 parce qu'à la moindre faute qu'ils fai foient on les menaçoit , non ſeulement de ce qu'ils avoient á craindre de la part des Hommes , mais auſſi de ce qu'ils devoientappréhender de la part des Dieux. Ecce moien la étant accompagné d'autres cérémonies de Religion, rendoit ſouvent toutes cho. fes faciles aux Anciens, & le feroit en core , dans les lieux où l'on reſpecteroit & où l'on obſerveroit la Religion. Ser. torius s'en fût bien prévaloir , en fei. gnant de parler avec une Biche, qu'il difoit , Que les Dieux lui envoioient pour lui annoncer qu'il remporteroij La Victoire: Sylla diſoit, Qu'il s'en tretenoit avec une Image qu'il avoit tirée du Temple d'Apollon. Pluſieurs ont dit , Que Dieu leur étoit appa 713 GUERRE , Liv. V. 271 ru en fonge ,leur commandant de Com battre. Du tems de nos Peres ; Charles Sept Roi de France, dans la Guerre contre les Anglois , diſoit , Qu'il recevoit tous les Conſeils d'une jeune Vierge que Dieu lui avoit en voiee , qui en fuite a été appellée par tout , la Pucelle de France : ce la aida ce Prince à remporter tant de Victoires ſur le Roi d'Angleterre . On peut eacore pratiquer des moiens qui faſſent que vos gens mépriſent l'Ennemi ; comme ce que fit Agefilaus Lacédémonien , qui fit voir à ſes gens quelques Corps dePerfansdeshabillez , afin quevoiant leur délicateſſe,ils n'en euſent point de peur. D'autres les ont contraint de ſe battre par néceſſité , leur orant toute efpérance de ſalut hors de la Victoire: Et c'eſt là le plus für & le plus fort moiende rendre vos gens acharnez au Combat. Cette opi niâtreté eſt encore augmentée par l'a. mour de la Patrie , ou par celle de ſon Général.cêre tendreſſe pourfonGéné ral eft produite par la confiance qu'on M 4 a 272 DE L'ART DE LA a en lui , par l'eſtime qu'on en fait , par les bons Ordres qu'il donne , & par les Victoires qu'il a remportées, ſur tom L’amour pour la Patrie vient de la Nature ; celle du Général vient de fa Valeur bien plus que de ſes bien faits. Il peut y avoir pluſieurs for tes de néceſſitez , mais il n'en eſt point de plus preſſantes que celle de vaincre ou de mourir. 1 1 DE 273 DE L' A R T LA DE GUERRE LIVRE CINQUIEME. Colonne. E vous ai montré quelle Ordonnance il faut don . ner à une Armée pour en combattre une autre qui auſſi lui eft oppoſée ; Pjefvou austail dit : a ba ttre En ſuite je vous ai entrete de dia ver circ qu penuu fe ſes i onſtance sM. vent trou . 274 DE L'ART DE LA trouver dans différens accidens qui furviennent quelquefois. Ainfi je penſe qu'il eft tems de vous faire voir , comment il faut conduire une Armée contre un Ennemi qu'on ne voit pas , mais dont on craint à cout moment d'étre attaqué; .C'eſt ce qui arrive quand on marche en Pais Ennemi, ou ſuſpect. Prémiére. ment , il faut ſavoir qu'en tel cas, les Romains pour l'ordinaire , faiſoient marcher devant quelques Troupes de Cavalerie , pour faire la Découver te des Routes. En ſuite marchoit l' Aile Droite , qui étoit fuivie de ſon Bagage & de fes Fourgons. Aprés marchoit l' AileGauche , aiant auſſi en queue tour fon Equipage ; & en fin ſuivoit le reſte de la Cavalerie : Et s'il arrivoit que l'Armée fût at taquée dans la marche ,ou de Front, ou en Queue , ils faiſoient tour d'un coup retirer tous les Equipages à gauche , ou à droite , ſelon qu'on le jugeoit plus à propos, ou que la fi tuation le permettoit , & tout le monde GUERRE , Liv. V. 275 monde étant ainſi debarraſſé du ba gage , faifoit tête , tout à la fois ,du côré que yenoit l'atraque. Si on é . toit attaqué en Flanc , on metroit tout l'attirail en lieu de ſureté , & l'on faifoit tếre de ce côté là . Cet te métode érant bonne & prudente, je trouve qu'on devoit la ſuivre , en envoiant devant les Chevaux Lé. gers pour faire la Découverte du Pais; En fuite ſi l'on avoit quatre Régiments , il faudroit les faire filer avec chacun leur bagage en queue. Et parce que dans une Arméeil y a de deux ſortes de Charrois , les uns au public de cette Armée , les autres aux particuliers, je feroisquatre parts des premiers ,& j'en donnerois une part à chaque Regiment : je partageroisen. core de même en quatre,l'Artillerie & les Gens quine ſont pas dedéfenſe , afin que les Troupes euſſent cha. cune leur part de l'embarras.Mais par-. ce qu'il arrive quelquefois que vous marchez en Pais tellement Ennemi , qu'il n'est point de moment où vous. M 6 276 DE L'ART DE LA ne craigniez d'étre furpris par quela que attaque , vous éces. contraint', pour marcher avec plus de ſureté ,, de changer la forme de vôtre mar 1 W! che, & d'étre toûjours en li bonne Ordonnance , que vousne craigniez ni les Païſans , ni les Troupes En nemies. En telle conjoncture , les Anciens Capitaines avoient accoû tumé de marcher en Forme Quarrée, c'eſt à dire , en maniére qu'ils puf: fent étant attaquez , ſe défendre de quatre Côtez; & ils difoient qu'avec cette diſpoſition , Ils étoient diſpoſez pour la Marche és pour le Combat. Je ne prétens point m'éloigner de cette métode; & je veux difpofer de cette maniére les denx Régiments que j'ai pris pour me ſervir de régle à former une Armée. Voulant donc 1 pour cér effer marcher en toute ſur Teré en Pais Ennemi , & pouvoir ré . pondre de quatre côtez , à quicon que m'attaqueroit ; je mettrois mon Armée en Quarré, imitant les An ciens , & j'y ferois au milieu un vui. de 1 GUERRE, Liv. V. 277 de , qui auroit de tous fens , Soi xante dix Toiſes : Je diſpoſerois donc mes Flanes dans l'éloignement l'un de l'autre de Soixante - dix Toim. Jes , & à chaque Flanc je donne. rois Cing Bataillions de File en 10 gueur ;laiſſant entre chaque Bataillon une Toiſe ; ainfi tous ces . Bataillons occuperoient un terrein de Soixante dix Toiſes de long , y compris les in . tervalles , parce que chaque Batail lon doit occuper treize Toiſes de hau . teur : je diſpoſerois en ſuite entre la tête & la queuë de ces Flancs les autres dix Bataillons, cinq à l'une & cinq à l'autre, en les plaçant de maniére que quatre fuſſent aux cô, tez de la tête du Flanc à droite , 1 & quatre à côté de la queue du Flanc à gauche , éloignant ces quatre Ba. taillons-là de huit- pieds l'un de l'au tre. Pour les Cinquiémes Bataillons j'en pofterois un à côté de la tête du Flanc à gauche, & l'autre à côté de la queuëdu Flanc àdroite ; &parce que le terrein qui eſt d'un Flanc à l'au. ! 1 278 DE L'ART DE LA l'autre eſt de ſoixante dix toiſe ,, & que ces Bataillons qui ſont diſpoſez aux côtez des deux flancs , non pas en longueur mais en largeur , occu peroient par conſéquent avec leurs intervalles quarante cinq toiles , il fé trouveroit qu'entre lesquatre Ba taillins qui feroient au long de la tére du ffanc droit & le cinquiéme porté au long de la tête du flanc gauche , il reſteroit un terrein de vingt cing toiſes qui ſe trouveroit auſi entre les Bataillons diſpoſez à la queue ; & il n'y auroit d'autre différence, fi non que le terrein vuide vers la queuë feroit du côté de l Aile droite , & l'autre même terrein vers la tête, ſe trouyeroit du côté de l' Aile Gauche. Dans le terrein vuide de la tête je placerois tous les Vélites. Ordinai TES , & dans celui de la queuë , tous les Extraordinaires , qui ne fe roient pas tout à fait mille , pour chaque terrein vuide. Ou ſi vous vouliez que l'eſpace du-milieu eût de GUERRE , Liv . V. 279 de , tous ſens, deux cears douze brai fes, il faudroit que les cinq Batail lons pour la tête , & les cinq autres pour la queuë , ne priſlent rien du terrein qu'occupent les fancs ; & pour cela il faudroit , que les cing Bataillons de la queuë touchaſſent de la têce la queuë des Aancs , & que les cing. Bataillons de la tête tou chaſſent de leur queuë la tête des flancs , ce qui feroit encore quatre Angles vuides , aux quatre coins de toute l'Armée , capables de contenir chacun un Bataillon : j'y poſterois donc quatre Enſeignes depiquiers ex traordinaires , & pour les deux all tres qui me reſteroient, je les place rois au milieu du quarré de l'Armée, & à leur tête le Général avec fes gens Et parce que les autour de lui . Bataillons ainſi diſpoſez marchent tous d'un ſens , quoi qu'ils aient fou . yent à combattre de pluſieurs , il faut lors qu'on les mec en Corps d'Armée , les poſter de maniére , que tous les côtez , qui ne ſont point COU 280 DE L'ART DE LA couverts des autres Bataillons , puiſ ſent combattre. Sur ce pied.là , il faut ſavoir que les Cinq Bataillons de La Tête ſone couverts de tous côtez , excepté de front; il faut donc les ran ger de ſorte qu'ils aient tous leurs Pin guiers à la Tête. Les Cing Bataillons en Queuë ſont couverts detoutesparts, Hormis des Epaules, il faut donc les ranger en ſorte que tous les Piquiirs. faſſent les derniers Rangs.comme nous Payons montré en ſon lieu . Les Cinq - Bataillons du Flanc à droite ne font découverts quede ce côré-là: Les cinq autres du Flanc à gauche ne font auſli découverts que par la gauche; En ran geant donc l'Armée en Bataille tour: nez toutes les pointes des Piques du colté découvert. Quand nous avons parlé de la métode de ranger une Ar mée en bataille, nous avons dit , com ment il faloit poſter les Caporanx . ou Dixeniers & à la têre , & à la queue , afin que lorſqu'il ſera que fiion de combattre , les armes & les gens fe trouvent tous dans leurs poſtes. GUERRE , Liv.V. - 281 Poſte : Je partagerois en deux l'E quipage d'Artillerie , je. les poſte rois tous deux en dehors ſur les deux Flancs , & je ferois marcher devant les Chevaux Légers à la découverte du Païs. Pour les Gendarmes je les pofteroisla queue vers les deux an gles du Flanc, à droite du Flanc à gauche ; mais éloignez des Batail lons de Treize Toiſes. Souvenez-vous en rengeant une Armée en Bataille, que c'eſt une maxime, qu'il faut toûjours pofter la Cavalerie , ou en queue , ou ſur les Flancs ; fi vous la poſtez à la tête vis à vis de l'Ar mée , il faut que vous faciez l'une de ces deux choſes ; ou que vous l'é. loigniez aſſez pour qu'elle puiffe é . tant repouſſée,évitervoftre Infanterie & ne pas tomber deſſus; ou rânger tel tement voſtre Infanterie qu'elle puiſſe. laiſſer paſſer la Cavalerie au travers de ſes rangs fans les rompre. Au reſte , c'eſt ici un avis qu'il ne faut pas mé. priſer ; car pluſieurs n'y ayant pas pen ſé ſe ſont perdus, & fe font eux -mêmes mis 282 DE L'ART DE LA mis en déroute. Le Bagage & les gens fans déffenſe ſont mis dans le quarré de l'Armée , mais de relle façon qu'ilsne nuiſent point au paſſage de ceux qui vont de flanc en flanc ,ou de la tête à la queuë. Tous ces Bataillons,ſansconter i Artillerie & la Cavalerie , occupent de terrein en dehors , de quelque côţé qu'on les prenne ; quatre vint qua torze toiſes. On parceque tout le quarréeft compoféde deux Régiments, il faut le parcager, pour fçavoir quelle partie fait un Regiment&quelle partie fait l'autre : & parce que ces Régi ments ne ſont diftinguez que par un nomde nombre, & qu'ils ſont compo fez de dix Bataillons avec un Comaman dant General, ou Colonel , je voudrois que le premier Régiment eût les cinq premiers Bataillons à la tête du quar ré,& les cinqautres dans le flanc àGau che; & leColoneldans l'angle de la tête à Gauche. Le fecond Régiment enſuite auroit ſes cinq premiers Bataillons en Aanc à droite, & les cinq autres en queuë à droire , & le Colonel dans l'angle à droite, comme s'il conduiſoit - > ಉಊ & & D C E 2 dig kuga YPY > ir * A 臺1 no HUIT GUERRE , Liv.V. 283 PArrieregarde. A préſent que cette Armée eſt en ordonnance , il la faut mettre en mouvement , & prendre bien garde de n'y rien changer dans la marche ; car avec ces précautions on peut ne rien craindre des attaques des gens du Pais. Il ne faut point que le Général prenne d'autre meſu res contre ces attaques tumultuaires, que de commander à quelque Com pagnie de Chevaux Legers , ou à quelque Enſeigne deVelites , de les re pouffer. Aprés tout,ne craignez point quc ces ſortes de gens approchent à la portée de l'épée ou de la pique, car les Milices craignent toûjours les troupes reglées& vous verrez qu'elles vous ara . queront toûjours avec grand bruit ,fans s'aprocher crop prés , comme tont les petis chiens autour d'un mâtin . Quand Annibalvint en Italie, au grand doma. ge des Romains,il traverfa la Gaule, & fe moqua toûjours des mouvemenstu. multuaires desPailansGaulois.Quand on marche il faut avoir des Pionniers, & autres ouvriers devant vous , qui VOUS 284 DE L'ART DE LA vous faſſent le chemin ; mais il faut les faire eſcorter de la Cavalerie que iſc vous envoiez à la Découverte. Il " faut que l'Armée gardant toûjours JOT certe Ordonnance, faſſe trois à quatre 4 lieues par jour , & qu'elle ait aſſez de Soleil en arrivant au Camp , pour 1 20 fe loger & répaître : Car la mar che ordinaire d'une Armée eft d'en 19 viron fept lieues par jour. S'il arri. :D ve que vous ſoiez attaqué par une 25 GV Armée en Ordonnance de Bataille , comme une telle Armée ne peut pas naître tout d'un coup , carelles vont un pas réglé ;. vous avez aſſez de tems pour vous préparer au Com . !de bat, & pour vous mettre dans l'Or. dre de Bataille , que je vous ai mon de tré ci- deffus. . Car ſi vous éces atta qué à la tête , vous n'avez qu'a y faire venir l' Artillerie qui eſt ſur les ; ftancs , & la Cavalerie. qui eſt á la el queue , & les mettre tous dans les cha poſtes , que nous avons marquez id ci-devant , en gardant toutes les dim i ftances que nous avons dit. Les mille GUERRE , Liv. V. 285 mille Vélites qui ſont à la tête , doi vent ſortir de leur poſte , & ſe par tager en deux Corps de cinq cents chacun , pour aller prendre poſteen tre la Cavalerie & les Ailes de l'Ar . mée : Mais dans le yuide qu'ils laiſ Jeront, poſtez y les deax Enſeignes de Piquiers Extraordinaires , que j'a vois poftez dans la Place de l'Armée. Les mille Vélites que j'ai mis à la queue la quitteront , & viendront für les deux flancs des Bataillons pour les fortifier ; puis faites ſortir tout le Bagage par l'ouverture qu'ils laiſſeront , aufli bien que les gens ſans défenſe ; & mettez le tout à la queuedes Bataillons. La placedonc étant vuide, & chacun aiant pris fon poſte ; que les Cinq Bataillons que que j'avois mis à la queue de l'Ar mée , avancent par le terrein vuide , qui eft entre les deux flancs, & que des cinq il y en ait trois qui s'appro chent de la tête , à Treizę toifes prés, en laiſſant entr'elles des eſpaces é. gaux , & que les deux de reſte de mell . 286 DE L'ART DE LA 0 auſli de treize Toiſes. % meurent derriére les trois , éloignées On peut en LUN un inſtant mettre l'Armée ſous cette forme, quiapprochede l'ordonnance que nous avons démontrée ci-devant; & fi elle eſt plus étroite de face , elle eſt plus groſſe deflanc , ce qui ne la rend pas moins forte. Mais parce que les Bataillons qui étoienten queue,ont les Piquiers dans les derniersRangspour les raiſons que nous avons dites; il faut les poſter dans les premiers , afin qu'ils épaulent la tête de l'Armée. Or pour cét effet,ilfaut leur faire faire un tour, Bataillon aprés Bataillon , comme á des Corps Solides , ou les faire entrer prontement entre les Ecuiers , & les fairemarcher ála tête : Cette dernié. re métode eſt plus pronte & moins em barraſſante , que de les faire tourner. Vous devez vous conduire de même, pour tous les Bataillons qui ſe trou . vent a la queue, lorſque vous étes atta qué de quelque maniere que ce ſoit , commeje vous le montrerai. Si l'En. nemi ſe preſente ála queue,la prémié. re bre 1 GUERRE, Liv. V. 287 re choſe qu'on a á faire ; eſt que chacun tourne de la face à l'épaule, & par lá l'Armée a fait tout d'un coup , de la Queue la Tête , & de la Téte la queue . En fuite il faut ob. ferver cour ce que j'ai dit , pour mettre certe tête dans l'Ordonnan ce qu'elle doit avoir. Si l'Ennemi vient donner ſur le Flanc à Droi te , il faut faire faire. Volte face à toute l'Armée de ce côté là , en fuite faire tout ce qu'on a dit ci deflus, mettre cette Tête en défen ſe , en ſorte que la Cavalerie , les Vélites , & le Canon foient cha. cun dans le Pofte où il doit étre , .par rapport à cette nouvelle Téa Il n'y'a de la difficulté que pour le plus & pour le moins , lors qu'on fait ces changemens de Téte & de Queue : Il eſt vrai qu'en faiſant du Flanc à Droite la Téte , il fau . droit que les Vélites entraſſent dans les intervalles qui font entre les Ai. les de l'Armée , & la Cavalerie feroit plus proche du Flanc à Gauche en 288 DE L'ART DE LA en la Place de laquelle il faudroit faire entrer les deux Enſeignes de Piquiers Extraordinaires , qui é toient rangez au milieu. Mais de yant que de les y faire entrer , il faudroit faire débarraſſer la place de fourgons, des gens fans défence & de tout le bagage, qu'il faudroit pofter derriere le Flanc à gauche , qui alors ſeroit la queue de l'Armée: Et les autres Vélites, qui ſelon la principale diſpoſition de l’Armée, écoient postezà la queue , ne doi vènt point changer de poſte en ce cas ici, afin que cet endroit là , qui de queue deviendroit Flanc , ne fût point découvert. Tout le reſte doit fe réglerſurce qu'on a dit d'abord tou chant la tête de l'Armée. ( Fig. V.) Tout ce qu'on a dir pour faire du Flanc à droite la tête , ſe doit ap pliquer au Flanc à gauche, lors qu'on en veut auſſi faire la tête , car c'eſt la même métode . Sil'Ennemivenoit fort de Monde , & en belle ordon nance pour vous attaquer en deux en г. Arma at І. 150 - Туууууу А ТУууууу С. ГРУуууу уу уууу Уууууу . уууууу E) ссор , ( Е ! ! р ! т 3 3. Ооо () + } .. 1. “, . () С. () : " ( ОС СОТ 2 4 1. 1. 1 I 10 DI j ili ܐܝ I. o 2지 7 7 3 1. 70000 12.10 7 1 PO ) ovol * QoLib . I. C 6 ين > GUERRE , Liv. V. 289 endroits , il faudroit fortifier ces deux endroits là , des deux autres côtez qui ne feroient pas attaquez ; en Doublant les rangs des Premiers, & en leurpartageant également l' Ar tillerie , les Velites & la Cavalerie .. Si l'Ennemi donne ſur vous par trois ou quatre endroits , il faut que lui ou vous manquiez de prudence; parce que ſi vous en avez , vous ne vous engagerez jamais dans un Pais où l'on vous puiffe attaquer , en bel le Ordonnance '& avec beaucoup de force , en trois ou quatre endroits à la fois ; parce que ſi on le veut fai. 11 re avec ſureté , il faut que de tous les endroits dont on vous attaque , on ait en chacun , preſque autant de Monde comme vous dans toute vôtre Armée . Et ſi vous étes ſi peu fage, que d'entrer en Pais Ennemi , & au milieu de Forces trois fois plus conſidérables que les vôtres vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous- même , s'il vous en arrive acci dent. Mais ſi vous recevez quelque N 1 échec 290. DE L'ART DE LA échec par un malheur , cela ne fera point de tort à vôtre honneur, & il ne vous arrivera que ce qui eſt arri vé à Aſdrubal en Italie , & aux deux Scipions en Eſpagne. Mais li l'En. nemi n’aiant guéres plus de forces que vous , veut cependant vous at taquer en pluſieurs endroits à la fois, ce ſera votre bonne Fortune qui lui fera faire cette forciſe ; parce que s'il veut entreprendre une telle cho ſe , il ne le peut faire qu'en rendang fes Bataillons ſi foibles , qu'il vous ſera aiſé & de foûtenir d'un côté, & d'enfoncer de l'autre ; & par conſé-. quent de le mettre en déroute . Cer te maniére de ranger une Armée en vataille contre un Ennemi qu'on ne roit pas encore , mais qui pourroic le préſenter à l'improviſte , eſt né. ceſſaire ; & même il fera fort avan tageux , en mettant vos Troupes en Corps d'Armée , de les accoûtumer à marcher dans cette Ordonnance ; Et dans la Marche il faudra diſpoſer la Tête à Combattre , puis repren dre GUERRE , Liv. V. 291 dre la Marche ; Enſuite faire de la Queue la Tête , puis reprendre la Marche : Enfin faire des Flancs la Tête , & reprendre encore la Marche Car fi vous voulez avoir une Armée bien diſciplinée, il faut l'inſtruire ſouvent , & lui faire pren. dre l'habitude de toutes ces fortes d'Exercices. C'eſt ſur tout là -deſ ſus , que les Généraux & les Prin. ces mêmes doivent prendre beau , coup de peine ; Car la Diſcipline Militaire n'eſt autre choſe que de ſa : voir ordonner & éxécuter toutes ces choſes - là : & une Armée bien diſci. plinée , c'eſt une Armée habituée à tous ces mouvemens. Or il ſeroit impoſſible d'en mettre jamais en dé route une , qui dans ce tems ici les prattiqueroit comme il faut. Au reſte , ſi certe Ordonnance de figure quarrée , paroit un peu difficile , il ſera néceſaire de la prendre pour u. ne bonne Leçon d'Exercice ; parce que quand on en aura pris l'habitu . N 2 de , 292 DE L'ART DE LA deil ſera aizéapréscela de réuflir dans les autres.. Bondelmonte. Jeſuis perſuadé.com mevous ļe dites , que tous ces exerci. ces font fort neceffaires, & pourmoi j'avouë queje n'y vois rien à ajouter , ni à retrancher. Il eſt vrai que je vou drois bien ſavoir de vous deux cho. 1 ſes ; L'ụne , quand vousvoulez des flancs ou dela queuë faire la tête , & que vous les commandez detourner, ſavoir ſi vous faites ce Commande ment ou de la Voix , ou par le Tam . bour. L'autre choſe eſt de ſavoir , ſi lors quevous envoiez faire eſplanader lesChemins, vous y emploiez de vos propres Soldats , ou d'autre forte de gens deftinez à cela. Colonne. Vôtre prémićre queſtion eſt de conſéquence ; parce quelors que les ordres d’un Général ne ſont pasbien entendus , ou mal interpré tez , ſouvent il en arrive du déſordre dans les Armées : C'eſt pourquoi il faụt qu'en lieu dangereux , le Com man GUERRE , Liv. V. 293 mandement ſoit ſur tout clair & in telligible.Or ſi vousemploiez le Tam . bour ou autreInſtrument pour faire le Commandement il faut que d'union à-l'autre il y ait une difference ſi fenſi ble , qu'il ne ſoit pas poſſible d'y faire équivoque: Et ſi vous Commandez de vive Voix , prenez bien garde d'é viter les termes généraux , n'emplo . iant que ceux qui font propres, & en core de ceux -ci , faut il éviter ceux qui pourroientrecevoir une méchan te interpretation . Souvent on a vů. périr une armée pour ayoir dit , Ar riére , Arriére , au lieu de dire , Rea tirez-Vous. Si vous voulez faireTour ner , pour-Faire Téte , ouen Flane , ou en Queue , ne dites jamais Tournez Vous , mais ſeulement Demi Tour à. droitte , Demi Tour à Gauche. Il faut donc que tous les termes du Com mandement ſoient ſimples & clairs, comme , Serrez les Rangs ; Prea nez Garde * à Vous ; Marcbez ; Red N 3 *De Starefort, Voiez les Remarques, 294 DE L'ART DE LA Retirez vous . Mais que tout ce qu'on pourra commander de vive voix qu'on le faſſe , le reſte ſe Com mandera par les Tambours & autres Inſtruments. Pour ce qui eſt des Pionniers , je voudrois que ce fuſ fent mes Soldats qui en fiſſent l'offi ce , tant parce que les Romains le prattiquoient ainſi, que pour avoir ſe moins de bouches inutiles que je pourrois , dans mon Armée , & j'en tirerois de chaque Bataillon le nom. bre qu'il m'en faudroit , en leur don . nant les Pieuches & autres Inftru . ments néceſſaires pour cela , leur - faiſant laiſſer leurs Armes à ceux des Files qui feroient les plusproches d'eux , puis quand l'Ennemi paroî. troit , les Pionniers reprendroient leurs Armes & leurs rangs. Bondelmonte. Qui eſtce qui por teroit tous ces Inſtruments des Pion niers. Colonne. Les Charrettes deſtinées pour cela . Bondelmonte. Je doute que vous, puiſſez GUERRE , Liv. V. 295 puiſſez jamais faire réſoudre nos fola dats à pieucher . Colonne. Nous parlerons de tout cela dans ſon lieu. Pour l'heure je laiſſe toutes ces choſes , voulart vous entretenir de la maniére de faire vi vre l'Armée , car il me ſemble , qu'a prés l'avoir tant travaillée ; il eft tems de la rafraichir un peu. Il faut que vous fçachiez qu'un Prince doit fur tout faire en ſorte que ſon Armée foit debarraſſée , aizée à manier ; déchargée de Bagage & propre pour les plus difficiles ,& les plus pron tes expéditions:. Ce qui eſt le plus difficile , c'eſt de la tenir toûjours bien pourvuë de vivres. Les An ciens ne s'embarraſſoient pas pour le bruvage, parce que n'aiane point de Vin , ils buvoient de l'eau teinte avec un peu de Vin aigre; Cela ne vaudroit rien dans les Climats froids, pour lui donner du goût. Ainſi dans la liſte des munitions de l'Armée , on ne mettoit que le Vinaigre & non le Vin . Ils ne cuiſoient point le N 4 pain 296 DE L'ART DE LA pain au four , comme il ſe pratique dans les bonnes Villes ; mais on faifoit proviſiondeFarine ; & chaque Soldat faiſoit ce qu'il lui plaiſoit de la Por tion : Pour l'affaifonner on leur don noir du Lard & de la Graille, qui don noit bon goût au Pain qu'ils faiſoient & le rendoit plus nourriſſant. Ainli par toutes les Proviſions de Bouche de l'Armée étoient, de la Farine , du Lard & de la Graiſe ; & pour les Che vaux de l'Orge. D'ordinaire (ils am voient des Troupeaux de gros & deme nuBétail, qui fuivoientl'Armée ,ce qui : n'embarafſoit pas puiſqu'ils ſe portoi.. ent eux -mêmes. Avec deſ bons ordres uneArméemarchoit ſouventpluſieurs journées dans desdéſerts , fans ſouffrir : de diſére,parce qu'on lanourriſſoit de chofes aiſées à tranſporter partout. Il arrive tout le contraire dans nos Ar méesd'aujourdui quivoulant ne point manquer de Vin ni de Pain cuit,comme quand ils ſontdansde bonnes Villes , & ne pouvant pas en faire toute la pro viſion néceſſaire, fouyent elles ſe trou yent GUERRE , Liv. V. 297 vent affamées : Ouſi elles ſont pour vûes de tout , cela ſe fait avec une pei ne & une dépenſe infinie. Jeréduirois donc mon Armée à viyre ſur le pié des Anciens, & lesSoldats n'auroient point d'autre pain que celui qu'ils ſe cui roient eux -mêmes : Pour le Vin, je ne défendrois pas d'en boire , niqu'il en viac au Camp;mais je ne me donnerois ni foin ni peine pour l'y attirer,& pour les autres provilions,je ſuivrois les An ciens en tout. Faites bien réflexion ſur tout cela , & vous verrez combien par ces moiens on évite de difficultez , & de combien d'ennuis & d'incommodi tez un Général & une Armée ſe déli. vrent par cette conduite , & combien elle donne de facilitez pour quelque entrepriſeque ce ſoit. Bondelmonte. Nous avons battu l’Ennemi em Campagne , & nous ſommes entrez dans ſon Pais ; la tai ſon veut que nous aions fait du Bum tin , mis les Habitans à Contri. bution , & fait des Priſonniers Je voudrois donc ſavoir commeac N 5 les 298 DE L'ART DE LA les Anciens ſe gouvernoient dans tou . tes ces affaires - là . Colonne. Je vais vous ſatisfaire. Je croi que vous avez remarqué, ſelon ce que je penſe en avoir dit autrefois à quelques uns de vous , que les guerres d'aujourd'hui appauvriſſent également les vainqueurs & les vain cus ; car fi l'un perd ſon pais , l'au . tre perd ſes finances & ce qu'il a de plus liquide. C'eſt un déſordre qui n'arrivoit pas du tems des Anciens, 21. 20 3 où le Victorieux devenoit toûjours ; riche. Cela vient de ce que l'on ne . tourne pas à profit la dépouille des . ennemis comme on faifoit alors ; mais on l'abandonne á la diſcrétion du foldat. Cette mauvaiſe conduite produit deux grands maux ; le pre mier eſt celui que nous venons de remarquer ; & l'autre que le ſoldat en devient bien plus ardent au pil.. Jage, & bien moins foumis auxor. dres de la diſcipline : or nous vous avons fait voir bien des fois, com ment, la paflion de piller a fait per : DE GUERRE, Liv. V. 299 perdre la Victoire à celui qui la tenoit déja. Les Romains , tant qu'ils furent les maîtres , & comme le modele de cet Art de la guerre , voulant prévenir ces deux inconvé. nients , ordonnérent que la dépouil le des vaincus , appartiendroit au Public , qui la diſpenſeroit enſuite comme il le trouveroit à propos. C'eſt pour cela qu'ils avoient dans leurs Armées leurs Thréſoriers entre les mains deſquels on dépoſoit, & les contributions & les priſes, du . quel fond enfuite , le Conful paioit l'Armée , entretenoit les bleſſez & les malades & fuvenoit aux autres Le Conſul beſoins des troupes. géantmoins ayoit le pouvoir de don der le butia aux ſoldats , & fouvent il le faifoit ; mais fans que cela pro duiſit de déſordre ; parce que quand les ennemis étoient entierement dé faits., on mettoit toures leurs dé pouilles au milieu de l'Armée , dont on faiſoic enſuite le partage par tê: te , ſelon le rang & la qualité des N . 6 gens , 300 DE L'ART DE LA gens. Cette métode " rendoit les Soldats . plus ſoigneux de vaincre , que de piller , & les. Légions-Ro maines-battoient bien l'Ennemi,mais v elles ne le pourſuivoient pas ; car jamais elles ne quittoient leurs Rangs; il n'y avoit que la Cavalerie & les Vélites avec ceux qui n'étoient pas Soldats Légionnaires , qui couruſlent aprés les 'fuiards. Que li le butin eût appartenu à celui qui le faiſoit ) il n'eût pas été juſte , ni poiſible de tenir les Légions dans leurs Poſtes , & cela eüt cauſé de grands inconvé nients. Il arrivoit de la que le Pue blic.scorichiſſoit & que le Conſul,. en Triomphant , portoit encore dans le Tréſor public ,de grandes Richel fes provenuës des Contributions & des dépouilles de l'Ennemi. Les Anciens faiſoient encore , une autre choſe bien judicieuſe , C'eſt qu'ils commandoient à chaque Soldat de remertre le tiers de ſa païe entre les mains de l'Enſeigne de fon Ba taillon , qui ne le leur rendoit, ja mais 1 GUERRE , Liv. V. 301 mais que la Guerre ne fût finie. Les Romains faiſoient ceci pour deux raiſons ; L'une afin que le Soldar fe fit un fond de la paie ; car étant la plus- part jeunes, & gens fansſouci, il leur fúé fans cela arrivé ce qui ar rive à ces fortes de gens-là , quiplus ils ont , plus ils dépenſent. L'au tre motif qui portoit les Anciens à en uſer ainſi , c'étoit afin que le Solo dat fachant que ſon argent étoit au prés du Drapeau , fut obligé de le défendreavec plus de foin & d'opi niâtreté ; ainfi ces ordres le ren. doient ménager & courageux . Tout ce que je vous ai dit eft néceſſaire , lorſqu'on veut mettre une Milice ſur le bon pied .. Bondelmonte. Je croi qu'il eſt im. poſſible qu'il n'arrive des accidents dangereuxà une Armée qui marché d'un lieu à un autre ; & là par con ſéquenti, le ſavoir faire du Général & la valeur du Soldat , font fort né. ceſſaires pour s'en tirer : je ſouhai terais donc que vous nous marqual. liez 3o2 DE L'ART DE LA fiez les principaux de ces accidens qui pourroient ſurvenir. Colonne. Je vous ſatisferai volona tiers , puiſque cela eſt particuliére . ment néceſſaire lorſqu'on veut don. 2 ner une parfaite connoiſſance de cér Un Général doit ſur tout , é . tant en marche , ſe donner bien de Art. garde des Embulcades: Oron y combe en deux maniéres , ou en marchant ſimplement, elles ſe trou yent ſur vôtre Route ; ou bien l'En. nemi vous y attire avec adreſſe, lorf que vous ne les avez pas prévues. Pour rémédier au prémier cas, il faut envoier devant vous une Dox . A ble Garde à la Découverte du Pais . Mais ſur tout il faut emploier une précaution extréme , lorſque le Pais eft fort propre pour faire des Em bufcades , comme lont les Pais boi. fez , ou montuenx ; car c'eſt tou . jours , ou dans un Bois , ou derrié . re une hauteur , qu'on les place . Or comme une Embuſcade impré yûc eft trés dangereuſe , auſſi n'ap . por i 13 1 GUERRE , Liv. V. 303 porte-elle aucun préjudice lorſqu'el le eſt éventée. Les Oiſeaux & la Pouſſiére ont fouvent fait découvrir l'Ennemi, lorfqu'ilvientà vous. Il eſt arrivé auſſi fort ſouvent qu'un Général voiant lever des Pigeons, ou d'autres Oiſeauxqui vont par Compa gnie , des endroits par où il devoit marcher , & en ſuitte les voiant tour . noier en l'air , ſans ſe remettre , il a. jugé qu'il y avoit iá une Embuſca de ; ainſi aiant envoié devant , il s'eſt tiré d'affaire en endommageant fon Ennemi . Pour le ſecond cas , qui d'étreétre attiré dans l'Embufca de , eſt il faut des . pour les chofes qui n'ont pas beau. coup de vrai ſemblance ; comme fi . l'Ennemi vous expofe quelque B1 tin á faire , croiez que l'hameçon eft caché ſous cér appas. De plus , fi un petit nombre des vôtres fait fuir une groſſe Troupe d'Ennemis ; ou ſi un petit nombre des leurs en vient attaquer un grand des votres ; Si l'Ennemi fans aucune raiſon prend touc 304 DE L'ART DE LA tout d'un coup la fuite , en tel cas; défiez - vous toûjours de la ruſe ; & ne vous mettez jamais dans l'eſprit 1 que l'Ennemi ne fait pas ce qu'il fait is au contraire pour vous abufer moins yous-même & courre . moins de riſque , plus vous voiez vôtre Ennemi vous paroitre foible & né. gligent, plus vous le devez croire ſur ſes gardes & en bon état. Dans ces conjonctures , vous avez deux choſes à faire ; L'une d'en faire cas dans votre eſprit , & en vous pré. cautionnant bien par de bons or dres ; mais dans l'extérieur & par 4 vos diſcours -faires : feinte de le mea priſer; Car cette derniére maxime 3 encourage vos Soldats , & la pré miére vous rend plus prévoiant & moins propre á étre trompé. Sur tout , penſez bien qu'en marchant ( A en Pais Ennemi , vous courrez de plus grands riſques & en plus grand nombre que dans une Bataille . C'eſt pour cela que le Général , dans ces Marches, doir rédoubler. ſes GUERRE , Liv. V. 305 fes ſoins & ſa diligence ; & la pré miére choſe qu'il doit faire , c'eſt d'ayoir une Carte exacte de tout le Pais par où il doit paſſer ; En forte qu'il fache au vrai, les Lieux , le Nombre , les Diſtances, les RoutesS s les Montagnes l, esRiviéres, les Ma. rais , & toutes les qualitez de ces en droits-là . Mais pour parvenir à ce. but, il faut avoir diverſes perfon . Des qui aient connoiſfance du Tere rein , & les éxaminer diverſement & féparément avec grand loin, & .con fronter leursdiſcours , qui ſe rencon- ? trant conformes, vous ſuffiront pour faire vos Remarques. Il faut en yoier deyant, de ha Cavalerie avec des Chefs Prudents , non pas tant pour reconnoitre l'Ennemi , que pour faire la Découverte du Pais ; afin de voir ſi le rapport qu'on*vous en fera eft conforme avec la Carte & la connoiffance que vous en da vez déja.. Il vous faut encore en voier les Guides que vous avez :, en vous aſſurant bien d'eux, en leur don 306 DE L'ART DE LA donnant eſpérance d'étre récompen fez , ou en les ménaçant de châti ment . Mais fur tout , que les Trou . pes ne ſachent poine à quelle Expé dition on les méne : car rien n'est fi néceſſaire à l'Armée que de cacher les deſſeins qu’on a. Er afin que quelque Attaque imprévûe n'étonne jamais vos gens , avertiſſez -les d'é. tre toûjours bien ſur leurs Gardes ; car une choſe à quoi l'on s'attend porte moins de préjudice. Plus fieurs pour éviter les déſordres de la Route, ont poſté auprés des Eten darts , le Bagage & les Gens inutiles , & leur ont commandé de les ſuivre coûjours : afin que dans la Route , lorſqu'on eſt obligé de faire Hatte ou de faire Retraitte , on le puiffe faire avec plus de facilité ; j'approu ve aſſez cette conduite comme etano aſſez utile . Il faut encore obſerver que dans la Marche , une partie de l'Armée ne fe détache pas de l'autre , ou que l'un marchant vîre , & l'au tre doucement, les Corps ne devien nent W GUERRE, Liv . V. 307 nent trop foibles , ce qui peut cau fer du déſordre. C'eſt pour cela qu'il faut pofter les Officiers en Flanc des Soldats , pour tenir la Marche uniforme, en hàtant les uns & retar dant les autres : Cette juſteſſe ſe peut aiſément former au Son du Tam . bour. Il faut faire élargir les Che mins , en ſorte qu'un Bataillon , au moins , puiſſe marcher en Ordre de Bataille . Il faut auſſi éxaminer les -maniéres & les qualitez de l’Enne mi, s'il a deſſein de vous attaquer Le Matin , á Midi , ou le Soir ; Si ou en Infanterie qu'il eſt le plus fort, & ſelon l'état des choſes yous vous réglerez & vous c'eſt en Cavalerie prendrez vos précautions. Mais venons à quelque accident particu lier. Il arrivequelquefois qu'on dé campe devant l'Ennemi, parce qu'on fe trouve trop foible pour en venir. aux mains avec lui , qui vous pour fuivant en Queue , vous rencontrez fur vôtre Route une riviére, où vous perdez du tems á la paſſer ; en ſorte que .J 308 DE L'ART DE LA que l'Ennemi eſt ſur le poiñt devous joindre & de vous livrer Bataille. Quelques-uns en pareille rencontre ont fait une Tranchée du côté qui devoit érre attaqué , & l'aiant rem plie d'Etoupes , y ont mis le feu ; a prés quoi ils ſont paſſez avec leur Armée , ſans qu'on les- en pût empê cher, parce qu'on étoit arrêté par le feu qui ſetrouvoit entredeux. Bóndelmonte. Kai aſſez de peine à croire que ce feu pût retenir l'En nemi , ſur tout parce que je me ſouviens que Hannon Chef des Car taginois étant aſſiégé, fit un- Retran . chement de Bois du côté dontilvou loit faire ſortie , &- y mit le feu, ce qui empêchant que l'Ennemi ne fût en garde de ce côté- là ', ce Général fit paſſer fon Armée par deſſus le feu , en commandant àchaque Sol dat de mettre ſon - Bouclier devant le Viſage , afin de ſe garantir du feu & de la fumée . Colonne. Ce que vous dites eft vrai, 1 to 7 GUERRE , Liv . V. 309 vrai , mais prenez bien garde à ce que j'ai dit , & à ce que fit Han non ; Car j'ai dit , qu'on fit une Tranchée , qui fut remplie d'Etou pes, Ainſi quiconque eut voulu pal fer, avoit la Tranchée & le feu à ſurmonter. Mais pour Hannon , il fit du Feu ſans Tranchée , & même aiant defein de paſſer par deſſus , il Ae dut pas le faire gros , caril n'au roit pas laiſſé de l'empêcher en core fans cette précaution. Ne 1a yez vous pas que Nabis étant aſſié gé dans Lacédémone par les Ro mains , mit le feu à une partie de fa Place , pour empêcher le paílage à fes Ennemis qui étoient déja entrez dedans, & moiennant ce feu il lesem . pêcha d'aller plus ayant ; & mêmes il les repouſſa:Mais revenons à nôtre fu . jet. Quirtus LutatiusRomain , aiant les Cimbres à dos , & étant arrivé auprés d'une Riviérc ; pour que l'Ennemi lui donnât le temps de paſſer , il lui fit croire qu'il lui donneroit aſſez detems pourlui livrer Ba. 310 DE L'ART DE LA Bataille , en feignantde vouloir cam per lá . Pour cet effet il fit faire des the Retranchements & dreſler des Tentes , de plus il envoia quelque Cavalerie au Fourage ; Enfin il fit ſi bien que les Cimbres crurent qu'il campoit là , ce qui les y, fit camper auſſi; & ils fe partagérent en deux pour aller chercher des Vivres ; dont Lutatius s'êtant apperceu , il paſſa la Riviére ſans qu'ils puſſent l'en empêcher. Quelques-uns voulant paſſer une Ri viére ſans ayoir de Ponts, en ontdé. tourné une partie , & rendu par là l'autre Guéable. Quand les Riviéres font rapides , afin de faire paſſer plus ſurement l'Infanterie , il faut mettre les plus gros Chevaux au deſſus pour ſolltenir l'impétuoſité de l'eau , & l'on met les autres au deſſous pour ſecourir les Fantalſins qui fuccombe roient à la violence du courant. ' On . paſſe encore les Riviéres Non -guéa bles avec des Barques , des Pontons , des Outres ,c. Ainſi il eſt bon d'étre pourvû dans une Armée des moiens de “毒 GUERRE, Liv . V. 311 de faire tout cela. Il arrive quel. quefois qu'au paſſage d'une Riviére vous avez l'Ennemi de l'autre côté pour vous l'empêcher: Si vous vou . iez vaincre cét obſtacle , je ne con nois point de meilleur éxemple à lui. vre que celui de Céſar, qui dans les Gaules, aiant ſon Armée le long d'ul ne Riviére , dont le paſſage lui étoit diſputé par Vercingentorix, qui étoic de l'autre côté ; Céſar , dis-je,mar cha le long de cette Riviére pluſieurs journées , ce que l'Ennemi faiſoit auſſi ; mais Ceſar aiant campé dans une Forêt, propre à ôter la vûe de ſes gens aux Gaulois , il tira trois Co. hortes de chaque . Légion , & les fit arrêter dans ce Camp-là , leur com mandant , quefi-tót qu'il ſeroit par ti, ils jettaſſent un Pont ſur cette ri. viére ,& qu'ils de fortifiaßent ;& pour de l'Armée . Ainſi Vercingentorix lui , il ſuivit ſa Route avec le reſte voiant toûjours la même quantité de Légions , ne s'imagina pas qu'il fût demeuré des gens dans la Forêt , ce qui 312 DE L'ART DE LA qui lui fit auſli ſuivre la Route, mais lorſque Céfar crût que le pont étoit fait & fortifié,il fit Volte Face& retour. nant au même endroit , il trouvatou tes choſes en ordre , & paffa fans ob ſtacle. Bondelmonte. Avez vous quelque régle pour connoître les Guez Colonne. Oui, nous en avons. U ne Riviére qui vous fait paroitre comme une ligne, entre le fil de l'eau & l'endroit le moinsrapide, eſt pour l'ordinaire moins profonde en ce lieu là , &. par conſequent plus guéable qu'ailleurs ; par ce qu'elle a roulé da vantage de gravier, & en a plusrécenů en cér endroit là qu'ailleurs : Ceci aiant été experimenté bien des fois , paſſe pour une choſefort aſſurée. Bondelmonte. Si par hazard le Gué eſt enfoncé, quel reméde yap portez -vous ? Colonne. Il faut faire une eſpéce de grandes Grilles de Bois , les faire décendre á fond & paffer par deſſus. Mais continuons notre diſcours. S'il arri 6 GUERRE , Liv . V. 313 arrive qu'un Général conduiſe fon Armée entre deux Montagnes , & qu'il n'ait que deux Chemins pour ſe tirer d'affaire , qui eſt celui de devant & celui de derriére , & que tous deux ſoient occupez par les ce Général n'a point d'autre reméde que celui que quel qu’un mit en uſage autrefois ; Qui Ènnemis faiſant faire derriere lui une grande. Tranchée difficile à paſſer, pour per fuader à l’Ennemi , qu'on vouloit l'arrêter par là , afin de faire con tre lui tour l'éfort du côté de la Tête , où le Chemin étoit couvert , ſans avoir rien à craindre en Queuë: će que l'Ennemi croiant en effet , il fit pafler toutes ſes Forces , pour faire ſes Attaques du côté décou. vert , abandonnant celui qu'il voioit ſi bien retranché ; mais l'autre s'en étant apperçu , jetta vîre ſur ſon foſſé un Pont de bois préparé pour cela , ſur lequel paſſant en toute di. ligence , & mettant ce grand Retran . O chement 314 DE L'ART DE LA chement entre lui Sifon Ennemi fans fui laiffer fe Pont, ils'en délivra aife : ment par ce tratagéme. Lucias Mi nutius ConfulRomain , étant avec font Armée renfermé par lesEnnemis en tre certaines Montagnes, dont ilne pouvoit ſe tirer ; s'aviſa d'envoier quelqueCavaleriede Numidie qu'il a voit dans ſes Troupes, & qui étoit inalArméees mal Montée vers les Po. ftes gardez par les Ennémis: Cette Cavalerie leur fit prendre d'abord le patri de luidiſputer le paffage,mais voiant ces gens là en mauvais équipa ge, & ſelon eux ,mal Montez , ils n'en firent pasgrand étar , & fe relachérent ſur les Gardes; Ce que les Numides aiant remarquê, ils donnérent desdeux , & pafférent ſans qu'on pût les enem pécher ; Enſuiteravageant& pillant le.Pais,ils obligérent l'Ennemià laif fer le paſſage libre à Lucius & à fon Armée. Quelques Généraux fe trou vans attaquez par une grande quanci. té d'Ennemis , ont ramaffé tout leur Monde en un Pelotton , & ont donné məien 4 GUERRE, Lrv. V. 315 moien á PEnnemi de les environner detous côrez ; puisépiant Pendroit te plus foible, ilsl'ont forcé ; & par cét endroit là ils ſe font fauvez. Marc Antoine, faiſant Retraitte devantl'Ar méedes Parthes , s'apperçut que les Ennemis l'acraquoient toûjours à la Pointe du jour lorſqu'il décampoit, & toutle long du jourils le harceloient ; Deſorte qu'il prit la réfolution de ne décamper plus qu'à Midi: Ainſi les Parthes, croiant qu'ilvouloit léjour iner ,retournérentàleur Camp; ce qui Jaiſa à Marc Antoine le tems de mar , cher tout cejour là ſansérreincommo. dé. Le même Marc Antoine , pour rendre inutiles toutes les Fléches des Parthes , .commanda à ſesgens de ſe mettre àgenoux , lorſqu'ils verroient l'Ennemiprés d'eux ; & que le Second Rong dans chaque Cohorte , mîc les Boucliers ſur la tête des Soldats du Premier ; que le Troiſiéme Rang en fit autant à ceux du Second ; le Quatrième avoit ordre d'en faire de même à ceux du 316 DE L'ART DE LA du Troiſiéme,& aiņſi deſuite ; en ſorte que toute l'Armée étoit comme fous un toit à couvert de cette nuée de-Flé. ches que tiroient les Parthes. Voila tout ce que je peux vous dire pour l'heure , touchant ce qui peut ſurve nirà úne Armée qui eſt en Marche ; & pourvous, ſi vous n'avez pas autre choſe àmedemander , je paſſerai à une autre partie de cette matiére. ܝܐ 080115 aines , ) dre du tent le kale pails 317 DE L'ART DE L A GUER R E. LIVRE SIXIEME. BiBondelmonte: E croi qu'il eſt à propos ; ST puis qu'on va changer de diſcours , que Monſieur Della Palla entre en Char. que moi j'en ge & que forre ; & en cez cinous imiterons les Grands Capi tâines , comme je le viens d'appren dre du Seigneur Colonne , qui poa ſtent leurs meilleurs Soldats à la Te. te & à la Queue de leur Armée pirce qu'ils trouvent à propos d'avoir des O 3 gens 318 DE L'ART DE LA gens quiſachent attaquer vigoureuſe . ment, & d'autres quifacheat foûte nir avec fermeté. Ainle , c'est fort : prudemment que Monſieur Rucellai a commencé d'entrer en lice & ce fera auſli une grande prudence de la. faire fermer par Monſieur Della Pab la , Monſieur Alemanni & moi avons . tenu le milieu : Et comme chacun de nous s'eftchargé volopriers de fa partie , je croi que Monleur Del la Paths voudra bien aula tenir la fienne . Della Patta. Je me ſuis laiſſé gouverner juſqu'à préſent ; j'en uſe rai de méme pour l'avenir. Ainli , Monfieur , niez , s'il vous plait; la 3. bonté de centinuer vos Inſtructions, & nous pardonnez , la nous vous in .. pou terrompeas, felon l'uſage déja écara bli, Colonne. Je vous ai déja dir, que vous me faires grand plaiſir ; parcelles là ne confon ilepen que ces interruptions dent point mes idées , au contraire. Pour elles. Lesrégeillent. Mais pour pouc, fui.. GUERRE, Liv. VI. 319 füiyre nôtre ſujer , Je dis , Qu'il eft temi que nous logions nos Troupes ; Carvous ſavez que toutes choſes de mandent le repos & un repos aſſuré, puiſque de ſe repoſer , fans étre en ſureté, ce n'eſt pasſe repoſer parfai tement. Je me figure que vous ay . riez trouvé à propos que jevouseuf fe fait premiérement Camper , puis Yous mettre en Marche, & en fin Combatine ; Mais nous avons fait tout le contraire: C'eſt à quoi nous a contraiat la néceſſité , parce que youlant faire voir comment une Ar mée doit le gouverner , quand écanç en Marche , elle eft obligée d'en yen nir aux mains , il a bien falų aupa rävant montrer comment on faifoir pour Se ranger en Bataille. Mais pour revenir à nørre fujet", Je dis , Que pour faire qu'ux Camp foit alluré, il fautqu'il foie Fort , & biea Ordon né: Er pour le bien ordonner , cela dépend du ſavoir faire du Général. Pour la Force, elle dépend de la Si. tuation & de l' Art, Les Grecs cher. AT04 choient 320 DE L'ART DE LA choient toujours des Camps forts de ſituation ; & jamais ils n'auroient campé en licu où il n'y auroit eu ni Cavernes, ni bords de Riviére , ni Bois , ni.autre moien naturel de ſe couvrir 1 Les Romains ne campoientjamais en epû .donner Pais , où ils n'euſfent ffair s ecce eur s elon L es égles à e l eur e p u o r T lire R d l ine, ſ Diſcipl Militaien.t C'eſutrs pour s ar cela qu'il poeuvo èretofijo g per i der une mêm maennt de camjettir, i o car ils nine voul pas s'iaeſnſtu ay terre , maistcîicls voulo que le terreins s'aľuje oiàenettux : Ceque les Gerec ne puojuetvtiſſan pas faire , parc que s'aſſ nt tions ; qui varie aux fitue oup beauc e , felon du la forme & ſelon l'nétten , il faloit e auſſis qu'ils vareiarfl , & leurs mae . niértes deme casmp , & leaurisnscamp c n me mê : Les Rom , don s t s n n o fę trouva dans des ſituati peu ient r art r o é s l e p t r p s o u f re,ſiſle y f pa l' & pa . l'add u.rs Or parce que dans tmouis ces diſco ici ; j'ai voulu qu'oni tâu le ten • Bita lené Ето GUERRE, Liv.VI. 321 tât les Romains, je ne m'en départi rai pas encore dans la manière de camper , fans pourtant les ſuiyre en tout , mais feulement dans les choſes qu'on peut accommoder à nos tems. Je vous ai dit bien des fois , Que les Romains avoient dans leurs Ar mées Confilaire's deux Légions de Soldats de leur Nation , quifaiſoient en tout environ onze mille Fantaſ linis & fix cents Chevaux , de plus ils avoient encore environ onze mil. le autre Fantaiſins de Trompes Aixi liaires, & jamais ils n'avoient dans leurs Armées plus de Soldats Etran gers que'de Romains; ſi ce n'eſt de : la Cavalerie , dont ils ne fe fou cioient pas que le nombre furpaſſaft celui de la leur: Outre cela je vous ai dit qu'ils faiſoient le Corps de Bataille de leurs Légions, mettant les Troupes Auxiliaires ſur les ailes del'Armée. Ils conſervoient auſſi ceta te métode dans les campements, com- meyous l'aurcz pů iemarquerchez les 0.53 5 ALL 3226 DE L'ART DE LA Auteurs qui en parlent. Je n’entre rai doncpoing dans ledétail de leurs Campements , n'aiant deſſein que .de 11 RE 2010 vous entretenir de quelle maniére je ferois à préſent Camper nne Armée , & alors vous verrez bien tout ce quç j'aurai tiré des Romains... Vous lae vez bien qu'au lieu de deux Légions. Romaines , j'ai pris deuxRégiments de chacun Gx milleFantaffins & trois cents Chevaux de Combat. Vous fa yez outre cela en combien de Bataila; lons je les aipartagez , quels Noms & quelles Armes je leur ai dannées. Vous ſavez , enfin , qu'en rangeant he , & pour le la Marc 1 Armée pour la Marche, Combat , je n'ai point parlé d'autres Troupes ; mais ſeulement j'ai fait voir ur que fi on avoit le double de Monde , il n'y avoit qu'à Doubler les rangs. Mais à préfeno:qu'il s'agir de vous , faire voir comment il faut Camper , il me ſemble que ce n'eft pas aſſez de d'avoir que deux Regimento; . C'eſt 9 pourquoi il faut mecete afez de gens pour faire une juſteArmée ſur lemo déle d GUERRE; Liv . VI: 323 déle de celles des Romains , que nous compoferons par conſéquent de deux Regiments, & d'autant de Tronpes Auxiliaires. Ce que je fais là , c'eſt pour rendre la forme du cam , pementplus parfaitte, ne m'aiant pas pary néceſſaire d'avoir tant de Trou pes , pour vous démontrer tout ce que je vous ai fait voir juſqu'ici. Voulang donc faire camper une Ara mée de vingt-quatre mille Fantalſins & -de deux mille ChevauxdeService; qui feroient tous partagez en quatre Regiments , dont deux feroient de mes Sujets & deux d'Etrangers. Voi .. ci la métode que j'obſerverois. " A. iant trouvé une Situation où je vou, drois Camper , j'arborerois la Bannie- : ra Génerale , & tout à l'entour je marquerois un Terrein en Quarré , 3 qui de toutes faces feroit éloigné de dix -ſept Toiſes de cette Banniere, & 2 je placerois chaque Face ſelon les s quatre parties du Ciel , comme du Levent, du Couchart , du Midi, & * du Nort' ; & je voudrois que ce 06 Quaras". 324 DE L'ART DE LA Quarré fut le Quartier du Général. Or parce que je croi qu'il y a de la prudence , & que d'ailleurs c'étoit l'uſage des Romains, je logerois fé parément les gens armez & ceux qui ne le feroient pas : je feparerois auili les Malades & ceux qui feroient incommodez d'avec les autres. Jei logerois tous les gens armez , ou du moins la plus grande partie , vers le Levant. Je placerois les gens qui ne portent pointd'armes , & les Mala. des , du côté du Couchant , fáifant ": du Levant la tête', & du Couchant la queue du Camp : &du Midi & du Nort les Flancs. Et afin de diſtin guer les logements des gens armez , . , voila ce que j'obferverois; Je tire róis une ligne depuis la Banniere Générale , que je conduirois vers le Levant l'eſpace de ſix cents quatre yint pas. En fuite j'en tirerois deux autres aux deux côtez de celle- là & aulli longues qu'elle ; mais qui en -feroient éloignées chacune de cinq tors PA GUERRE,Liv. VI. 325 toiſes', & je voudrois qu'à l'extremité de cette prémiére, fue poſée la por te du Levant , & le terrein qui ſe roit d'une des deux dernieres lignes à l'autre , feroit le chemin qui me. neroit au quartier du Général; ce chemin aŭroit par conféquent dix töifes de large , & fix cent's trente pas de long, parce que le quartier du Générat en emporteroit cinquan te , de ſix.cents quatre vint que nous avons marquez ci-deffus ; & je vou drois qu'on nommâece chemin la rue Genérale. Je voudrois enſuite qu'on tirât un autre chemin de la porte de+ Midi à celle du Norr, & qu'il paſſat tout joignant le Quartier du Général à la rue Générale du côté du Levant: Cette rue ici auroit de longeurmille deux cents cinquante pas , parce qu'elle occupercit toute la largeur du Quartier du Général; & on l'ap pelleroit la rue de la Croix , aiane auſſi trente pas de largeur. Aprés avoir deſligné le Quartier du Ge né . 326 DE L'ART DE LA néral & ces deux ruës , je commen cerois à deſligaer les logements des deux Régiments de nos propres Troupes , & j'en logerois un dansun des côtez de la rue Générale , & l'au . tre de l'autre côte Ainſi au delà de 4 la largeur qu’occupe la rue de la Croix , je ferois trente deux loge mencs àmain droite de la rue Géné rale , & frente deux à la gauche laiſſant on Terrein de trente bralles , entrele ſeiziéme & le dix ſeptiéme logement ; & ce Terrein fetviroit de rue de Traverſe pour traverſer ſur tous les logements des Regiments , comme on le verra dans le deffein qu'on en donne. ( Fig.VI. ) Dans ces deux rangs de- logea ments ; je logerois d'abord les Com . mandants de Gendarmes à la tête quitomberoit préciſément fur la ruë de la Croix. Et dans les quinze logements qui reſteroient des deux cộtez , je logerois lears Gendarmes, de forte quechaqueRegiment aiunt : cent cinquente Gendarmes, il y en » auroit. 1 1 1 1 2ur SHAL Pusrathi ADES Hér 'be GUERRE , Liv. VI. 327 ; auroit dix pour chaque logement. Je voudroisque les logements des Officiers euſſent de largeur quarante pas &dix de longeur : Mais Louve : nez vous que par leterme de largeur, j'entens l'eſpace qui va du Midi au Nort ; & par celui de longueur , j'en tens l'eſpace qni ya du Couchant au Levant. Je donnerois aux loge. ments des Gendarmes cinq coiſes de longueur, & dix delargeur. Dans les quinze autres logements ; qui ſuivent des deux côtez de la ryë Gé nérale , & qui commencent depuis laruë deTraverſe , dont le terrein a la même étenduë : que celui des Gendarmes , j'y logerois les Che, vaux Légers , qui étant au pombre de cent cinquante, il y en auroic dix pour chaque logement, & dans lefeiliémequireſteroit, j'y logerois leur Commandant en le mettantau tant au large que le Commandant : desGendarmes.. Ainſi les logemens de la Cavalerie des deux Regiments auroient au milieu d'eux la rue Gé. ne 328 DE L'ART DE LA néraleig: & ferviroient de régle pour loger ? Infanterie", ſelon que je vais. Vous avez réa 091 marqué comment j'ai logé les trois C vous le montrer . cents Chevaux de chaque Régiment , avec leurs Commandants , en trente deux logements ; fituez ſur la rue Générale , encommençant à celle de la Croix ; & comment j'ai laiſſé en čre le feiziéme & dix ſeptiéme lo gement un terrein de trente brafles, pour faire une rue de Traverſe. Sii donc je voulois loger les vint Bää taillons dont font compofez les deux Régiments Ordinaires; je mettrois les logements de chaque couple de Bataillóns derriére ceux des Cavaa liers ; & ain't chaque logement au roit cinq toiſes de long & dix de large , comme ceux des Cavaliers ; & ils:aboutiroient les uns ſur les aurres par derriére : Dans les pré niers Logements , à commencer ſur la rite de la Croix ; je logerois le Commandant de chaque Batailloni ; qui 2 GUERRE, Liv . VI. 329 qui ſeroit par conſéquent , fur la même Ligne que celui du Commana dant des Gendarmes , & je ne don nerois à ce Logement que vint pas de largeur & dix de longueur. Dans les quinze autres Logements qui ſui vroient de chaque côté juſqu'à la rue de Traverſe , je logerois de part & d'autre un Bataillon , qui étant compoſé de quatre cent cinquante Fantàſſins , il y en auroit: trente à chaque Logement. Je ferois les ava tres quinzeLogements de chaque cô té , contigus à ceux des Chevaux Le gers , dans les inêmes proportions pour le terrein ; & de chaque côté j'y logerois encore un Bataillon . Et dans ce dernier Logement , je mettrois de part- & d'autre les Coma, mandants de chaque Bataillon , qui feroient joignants par derriére àceux des Chevaux Légers, & je leur donne rois un terrein de dix pas de long , & de vino de large. Aipfi ces deux premiers Rangs de Logements ſeroient partagez entre la Cavalerie- & l’In : tan . 330 DE L'ART DE LA fancerie. Mais parce queje vous ai 1 dit que je voulois que tous ces Ca. valiers là fuffent propres au ſervice, & par conléquent, n'a aptpoint de Valets pour les fervir & pour penter leurs chevaux, j'ordonnerois que tous les Fantafons, qui logeroient derriére eux; fuffent obligez de les aidor & de les dérvir comme leurs Maîtres , & que pour cette peine ils fuflent exempts de courés facti ORS& de tour fervice dans le Camp. Voila comment les Romains en Wir ſpient En ſuite en laiſſant, aprés Ges logemenrs depart & d'autre , un Terreix de dix toiſes pour faire de chaque côté une ruë , qu'on appel Leroitle premiere rue à droite , et la ſeconde rueàgaache , je ferois encore (ar chacune ,unrang detrente deux logements doubles , quiſeroient con tigue par dersióre , avec tous les mê. mes eſpaces que ceux que j'ai déją marquez & partagez aulli par les leizièmes', pour faire la rue de Toc . verfe : & dans ces deux nouveaux rangsa 10 GUERRE, Liv. VI. 338 rangs, je logerois de chaque côté quatre Bataillons avec leurs . Com mandants dans les premicrs & les derniers logements. En ſuite laiſant encoredepart & d'autre un terrein de: dix toiſes pour faire de chaque côté : une nouvelle rue , qu'on appelleroit La ſeconde rue à droitte , & la ſeconde Tue à gauche , je mestrois encore far chacune trepte deux logemens dou bles avec les mêmes proportions & diviçons que les autres, où je loge.rois encore de chaque côté quatre Bataillons avec leurs Commandants. Aingi la Cayalerie & l'Infanterie des deux Regimens og dinaires ſe trouvent logées en trois rangs de logements de chaque cône de la rue Générale. Pour les deux Regiments des Trosa pes Auxiliaires , parce quejeles ſup pofe.compoſez des memesfortes de Milice que les deux ordinaires, je . les logerois à leurs côčez de part & d'autre avec des logements doubless:. mettant premierement de chaque Côté un rang de logements partagez entre 332 DE L'ART DE LA entre la Cavalerie & l'Infanterie , é_ loignez des autres de dix toiſes ; as fin de faire deux Rưes , dont l'une s'appelleroit' la troiſiéme à droite'; & Pautre la troiſierne à gauche. Et enfin je ferois encore deux rangs de Logements de chaque côté , placez & partagez de même que ceux des Regiments Ordinaires , ce qui feroit encore deux rues de part & d'au tre , qui ſeroient toutes nommées de leur nombre & de la main de leur ſituation. Voila donc yộtre Armée toute ent tiére campée dans douzę rangs de Logements doubles ; & ' en treize rues', en contant la rue Générale , & cel le de la Croix : ' Aprés cela , je voudrois que depuis les logements juſqu'au retranchement, il reſtat un terrein d'enviror cent pas. Or fi : vous contez bien tous ces eſpaces, vous trouverez , que depuis le Quar tier du Général , juſqu'à la Porte du Levant , il y a ſix cents qua tre 2 TA GUERRE, Liv. VI . 333 tre vint pas. Il rette encore deux eſpaces , dont l'un eſt depuis le Quartier du Général juſqu'à la Porte du Midi ; & l'auțre depuis le même Quartier juſqu'à la Porte o du Nort , & chacun a de n gueur fix cents trente cinq pas , fi vous les meſurez dés le point du milieu . Orez aprés cela de cha . cun de ces eſpaces cinquante pas pour le Quartier du Général , plus quarante cinq autres pas de chaque côté, pour en faire une Place , & trente pas pour la Rue ; . & enfin , cent pas qu'il faut laiſſer entre les Logements & le Retranchement , il ne reſtera donc plus de part & d'autre , qu'un Terrein de qua tre cents pas de large , & long de cent , en meſurant la longueur a vec tout le Terrein qu’occupe le Quartier du Général. En parta geant donc ainſi par le milieu il y auroit toutes ces longueurs guarante Logements de chaque main du 334 DE L'ART DE LA du Général, quiauroient de lon gueur cinquante pas & vinrde far . geur, ce qui feroic en tout 80. lo . gements , où l'on metroit les Colonels , ou Commandants des Regiments , les Tréſoriers', les Meſtres deCamp; en un mot, tous ceux qui auroient des Charges dans l'Armée. On laiſſe roit cependant quelques-uns de ces logements fans écrc occupez , pour recevoir les Etrangers qui pourroient furvenir, & pour les Volontaires qui viendroienr à l'Armée , afin de faire leur Cour au Gémérat. Derriere fon Quartier je tirerois une Rue du Mi di au Nort , large de trente pas , & on l'appelleroir la ruede la Tête.El. le feroit tirée le long des quatre vint | logements ; car cette Rue & celle de ta Croix auroient dans Vefpace qui feroit entre elles, le quartier du Gé. Heral & les quatre vint logements qui font à ſes côtez. De cette ruede la Tére, & vis à vis te logis du Géné ral, je riretois uneRue,gai iroit de puis certe prémiére juſqu'à la porte du GUERRE, LIV. VI. 335 du Couchant , aiant auffi de largeur trente pas ; elle répondroit donc & pour la ſituation ,& pourla longueur à la rue Générale , on l'appelleroit la rue de la Place. Ces derix rucs là écant faires, jedefsignerois la Pla . Ce pour faire le Marché que je mer trois au commencement de cette rue de la Place , vis à vis le logis du Gé. Déral ,. & je voudrois que ce Marché joignit laruefde la Teresaiant en quar ré cent vint & on pas, aux côtez de cette Place je tirerois deux rangs de logemens.doubles , qui auroient de longueur quatre coifes & de largeur dix. Ainſide chaque côré de cette Place it y auroic ſeize logements , qui feroient en tout trenre deux , au milieu deſquels elle fe trouve roit. Or ces logements me fervi roient à mettrela Cavalerie furnume. raire desTroupes Auxiliaires : & fi cela ne fuffifoit pas , je leur donne . rois quelques uns deslogements qui font aux deux côtez du quartier Gé. néral, particuliérement de ceux qui Te. 336 DE L'ART DE LA feroient les plus proches des lignes de Circonvallation . Nous avons encore à loger les Piquiers & lesVé lites extraordinaires appartenants à an WIE 4 V chaque Régiment ; Carvous ſcavez bien , que ſuivant l'ordre que nous avons établi, ces Régiments-lá , ou. tre leurs dix Bataillons , ont encoſe chacun mille Piquiers extraordinai, res & cinq cents Vélites auſſi extra. ordinaires : Ainſi les deux Régi ments de nos propres Troupes ont deux mille Piquiers & mille Vélites extraordinaires ;& les Régimens des Troupes Auxiliaires en aiant autant cela fait encore ſix mille Fantaflins à loger ; que je voudrois tous mer tre du côté du Couchant & le long des retranchements. Je ferois donc, au bout de la rue de la Tête vers le Nort, cinq logements doubles , fans toucher au terrein de cent pas, que je laiſſe entre les logements& les re tranchements , & je donnerois à ces cinq logements en tout vint cinq toiſes de longueur ſur vint de lar 1 geur , > GUERRE, Liv . VI. 337 geur , ainſi en partageant toute cetre longueur en cinq , chacun de ces lo gements en auroit cinq toiſes & dix de largeur. Faiſant donc en tout dix Logements, ce ſeroit pour mettre trois cents Fantaſins à trente par chaque logement: Puis en laiſant un terrein de trente pas , je ferois de la même maniére cinq autres Logements doil bles , en fuite encore un autre rang , juſqu'à ce qu'il y en eût cinq en tout, de cinq Logements doubles chacun, qui feroient tous enſemble cinquante loge ments, tirez en ligne droite du côté du Nort , & éloignez de cent pas des retranchements ; & dans ces cinquante Logements j'aurois dequoiplacer quin En tournant a. ze cents Fantalſins. prés cela ſur la gauche vers la Porte du Couchant , je ferois encore dans toute cette étendüequi va depuis ces prémiers Logements juſqu'à ladite Porte , cinq autres rangs de cing lo gements doubles chacun , en obſervant la même métode & les mêmes pro portions : il eſt vrai que d'un rang à P l'au . 338 DE L'ART DE LA Pautre il n'y auroit que cinq toiſes de 0 diſtance ; & dans ces rangs là je logem pois encore quinze cents Fantaſſins : Ainſi de la Porte du Nort juſqu'à ! celle du Couchant , en ſuivant le tour des retrancbements , je logerois tous les Piquiers & tous les V élites Ex fraordinaires des Regiments de nos propres Troupes , en cent logements partagez en dix rangs de cinq loge ments doubles chacun. Et Et pour les Vélites & les Piquiers Extraordinai res des Regiments Auxiliaires , je les logerois de même en dix rangs de cinq logements doubles chacun , en les commençant fuivant le contour des retranchements , depuis la Porte dù Couchant juſqu'à celle du Midi. Les Commandants de tous ces gens. li pourroient prendre leurslogementsen tre ceux qui leurparoitroient les plus commodes vers le côté des retran chements. Je pofterois l'Artillerie fur les levées des retranchements , par tout où elle paroitroit néceſſaire , & je logerois les gens qui ne portent point GUERRE, Liv .VI. 339 point les armes, avec le Bagage , & tour l'embarras de l'Armée dans le terrein qui me reſteroit du côté du Couchant. Or vous favez bien que les Anciens appelloient Equipage & embarras d'Armée, tout le train & toutes les choſes qui y font néceſſaires , outre les Soldats ; comme font les Charpentiers,les For . gerons, les Maréchaux , les Tailleurs de Pierre , les Ingénieurs , les Cano niers , quoi que ces derniers púfferit paſſer pour de véritables Guerriers ; Il faut encore comprendre dans ce nombre des Paſtres avec leurs Trou . peaux de Moutons & de Beuts , qui font néceſſaires pour fournir des vi. vres à l'Armée , des Artiſans de tout mêtier , ayec les Charrois, Publics, qui portent lesMunitions de guerre & de bouche. Au reſte, je ne feroispoint de compartiments réguliers dans tous ces logements-là , je cirerois ſeulement les rues & leur défendrois de les oc cuper ; & aprés celajeleur donnerois tout ce qui ſeroit entre les rues , ce P 2 qui 340 DE L'ART DE LA quiformeroit quatre grands eſpaces , . donc l'un ſeroit pour lesTroupeaux. ! & leurs Conducteurs ; l'autre pour tous les gens de Mécier ; le troiſiéme ? pour les Charrois publics des Munic si tions de bouche ; & le dernier pour ceux des Munitions de Guerre. Les rues queje voudrois qu'on laiſsât li bres fonc la rue de la Place , ou du Marché, la rue de la Tête ; de plus une troiſiéme , qu'on appelleroit la rue du Milieu , laquelle du côré du ; Couchant, feroit le même efet que la rue de Traverſe du côté du Levant ;. a & enfin autre ces trois-là , j'en ferois une autre qui tourneroit par derrie-. -re , le long des logements des Pi. quiers & des Véliles Extraordinaires . Toutes ces rues auroient trente pas de largeur ; & je planterois tout mon Capon le long des retranchements à la: Queue du Camp. Della Palla. J'ayouë que je ſuis ignorant ſur cette mariére, & je ne m'en fais pas un deshonneurs puis que ce n'eſt pas ma profeſſion. Ce. pen. 1 GUERRE , Liv. VI. 341 pendant coute cette diſpoſition me paroit belle. Je vous prie feule ment de me réſoudre ces difficultez. La prémiere , pourquoi vous faites les rues & les eſpaces d'alentour ſi larges. L'autre qui m'embarraſſe le plus , eft de ſcavoir comment on doit ſe ſervir de ces terreins mêmes que vous avez marquez pour les lo gements . Colonne. Sachez que je fais toutes les rues larges de dix toiſes ou tren te pas, afin qu'un Bataillon tout entièr y puiſſe marcher en Ordon vance ; Car ſi vous vousen fouyenez, j'ai dit que quand ils marchent ainſi ils occupent un terrein de vint cing à trente pas. Il faut aufli que leter . rein qui eſt entre les logements & les retranchements ait cent pas de large afin que l'on y puiſſe donner tous les mouvements néceſſaires aux Troupes & à l'Artillerie , y voiturer les captu res , & avoir aſſez d'étenduepour fai re de nouveaux retranchements en cas de beſoin . C'eſt encore une choſeu . P 3 tile 342 DE L'ART DE LA cile d'éloigner les logements des res. tranchements, car ils ſont par là plus éloignezdescoups & du feu de l'£ a nemi. Pour votre feconde question , je n'ai pas eu intention que tous les. 00 ju 3. terreins que j'ai marquez pour faire des logements, necontinflent chacun : qu'une tente , mais ceux qui y logo ront doivent s'y arrangerleplus com modément que bon leur ſemblera , a vec plus oumoins de tentes qu'ils le jugeront à propos, pourvû qu'ils ne paffent point les bornes qu'on leur a ; preſcrittes. Or.pour bien diſpoſer : cous ces Quartiers là avec leursrues, & la figurequ'ils doivent avoir, il faut qu'on ait des gens qui entendent les Proportions & I Architectare., & quia y foientbien habicuez, afin que ſitôt quc le Général aura choiſi le lieu où il * veut camper , ces gens-làle diſpoſent & le partagent prontement avec le cordeau & avec la pique. Même , pour éviter la confuſion , il eſt à pro.. pos d'Orienter toûjoursle Camp, afin que chacun fache aufli-tôt de quel cô. té. 14 ĠUERRE ,Liv,VI. 343 té & en quelle rue il doit étre loge. Et ſur tout il faut pratiquer cette mé tode en tout tems & en tout lieu , afin que le Camp foit comme une Ville am. bulante , quiporte par tout ſes mêmes rues , lesmêmes maiſons & la même ſituation . C'eſt là ce que ne peuvent pas faire , ceux qui ne veulent cam per qu'en des ſituations fortes naturel lement, parce que ſelon le terrein , il faut qu'ils varient la forme de leurs Camps . Pour les Romains , ils ren doient leurs Camps forts par des re trancbements & des Remparts ; Car autour de leurs logements, ils laiſſoient un terrein qu'ils couvroientd'un Fof Té large pour l'ordinaire de lix pas, & profond de trois ; Et ſelon qu'ils vouloient faire léjour dans le Camp, ou qu'ils apréhendoient davancage l'Ennemi , il donnoient plus de lar geur & plus de profondeur à ce fof ſé. Pour moi à moins que je ne vouluſſe hiverner dans un endroit , je ne Fraizerois point mes retran chement s, dans ce tems ici; je me con P 4 ten 344 DE L'ART DE LA tenterois du Poſfé , & de la le vée auſli grande que celle des Ro . mains & même plus ſelon la ncecfi té . Pour ce qui regarde l’Artilles rie , je ferois aux Angles du Camp. un remparcen figure de Demi Cercle, qui flanqueroit mes retranchements. Il fera bon aufli de former les Soldats à bien faire un campement , & avec cela rendre ceux qui ont la conduitte de faireles allignements & le deſſeini de l'ouvrage, pronts- & diligents à s'en bien aquitter , aufli bien queles Soldats mêmes , pronts à reconnoî. tre les endroits deſtinez pour eux . Or il n'y a rien de difficile en touc cela , commeje le dirai tantâr. Pour Pheure , je veux parler de la- Garde du Camp , parce que.ſi on ne diſpo fe bien toutes les Gardes , les autres , foins qu'on prendroit feroient inuti les. Della Palla . Avant que vous parliez de la Garde , je ſerois bien aiſe que vous me diſſiez ce qu'il fau droic obferver , ſi vous vouliez cam per GUERRE,Liv. VI. 345 per prés de l'Ennemi; car j'ai peine à croire qu'on ait le tems de diſpo fer touteschoſes fans courre aucun riſ . que. Colonne. Il faut que vous fachiez Que jamais an Géné ral ne va camper auprés de l’Enne mi , ſinon lorfqu'il eſt en érat de lui livrer Bataille toutes les fois qu'il voudra l'accepter ; & lorſ queceGé une choſe ·, néral ſe trouve en cét érat , il court fore peu de rifque' ; 'parce que les deux Armées fe diſpoſent au Combat; & l'une d'elles formefon Camp. Dans ce cas les Romains donnoient la commillion aux Triaires de faire les retranchements du Camp , pen . ' dant que les Princes & les Gens de Hrvelot demeuroient ſous les armes. Ils en ufoient ainſi ; parce que les Triaires étant les derniers à com battre , ils avoient le tems , ſi les Ennemis venoient , de quitter l'où vrage , prendre les armes & entrer dans leurs rangs, Or ſi vous vous liez imiter en cela les Romains , il P. 5 fau 346 DE L'ART DE LA faudroit que vous donnafliez la ... charge à , vos derniers Bataillons qui tiennent lieu des Triaires , de : fortifier le Camp. Mais revenons à parler des Gardes. Je n'ai point re marqué que chez les Anciens , pour : garder le Camp lanuit , on tint des Corps de Gardes avancées & poſtées loin par delà les Retranchements comme on fait aujourd'hui, & qu'on -- appelle Gardes Secrettes. Je penſe qu'ils n'en uſaient pas , fe figuranti qu'elles pouvoient tromper l'Armée, à cauſe de la difficulté de les viſiter, & parce qu'elles pouvoientétre gagnées , ou accablées par l'Ennemi; de ſortec qu'ils croioient qu'il éçoit dangereux de ſe fier áces gens-lá,ouen tout ou en Partie.C'eſt pour cela que toute la for ce de leurs Gardes étoit au dedans . des retranchemens , & ils les faiſaient : avec une diligence & un ordreextrês me , puniſſant de mort tous ceux qui nes'en aquitoient pas comme il faut. Mais je ne vous ferai point le détail : de tout cela , pour ne vous pas ena; nuier , GUERRE,Liv.VI. 347 nuier , puiſque vous pouvez l'apren dre de vous- mêmes , li juſqu'ici vous •ne l'avez point vů. Je ne vous dirai donc que ce qui regarde à prélent mon deſſein . Toutes les nuits je tiendrois le tiers de l'Armée fous les armes ; de ce tiers j'en tiendrois le quart toûjours ſur pied , & ces gens là feroient diſtribuez par tous les Re tranchemens & par tous les Poſtes du Camp , avec Doubles Gardes à tous les Angles ; & les uns fe tiendroiene fixes , & les autres marcheroient con. tinuellement d'un des bouts du Quar tier à l'autre. Jegarderois encore le : même ordre en plein jour , ſi j'écois proche de l'Ennemi. Pour ce qui concerne le Mot du Guet , fon renou . vellement tous les foirs, & autres telles bagatelles qui appartiennent á la Gar de, je ne vous en entretiendrai passi comme étant choſes connues de tout le Monde. Je vous ferai ſouvenir feulement d'une choſe fort importan te , qui porte grand préjudice quand on la néglige ', & qui eſt trés avanta P. 6 geus 348 DE L'ART DE LA geuſe quand on l'obfervę bien , C'eſt qu'il faut étre fort exact à remar quer ceux qui ne fe retirent pas le Soir au Camp, & ceux qui y viennent de Nouveau : Rien n'oft plus aiſé a vec l'ordre que nousavonsétabli,que de voir tout ce qui eſt logé , parce que chaque Quartier aiani fon nom bre établi, il eſt aiſé de voir s'il en manque , ou s'il y en a de trop ; & + lorſqu'il en manque , ſans qu'on leur ait donné congé , il faut les chatier comme Déſerteurs , & s'il y en a de 1 trop , ſavoir qui ils font, ce qu'ils font , & autres choſes de cette natu . Cette éxactitude fait que l'En . nemi ne peut avoir correſpondance avec vos Officiers , ni pénétrer vos re defleins. Si les Romains avoient né: gligé cér ordre , Claude Neron , étant 11. proche d'Annibal , n'auroit pas pû. quitter le lieu de fon Campen - Luca nie, & aller & retourner de la Marche, fans qu' Annibal s'en apperçût le moins du monde. Mais il ne fert de rien d'établir de bons ordres , fi on ne . 事 GUERRE, Liv.VI. 349 ne les fait obſerver avec la derniere rigueur : Car toutce qui concerne une Armée , doit fur toutes choſes étre fort exact. C'eſt pourquoi il faut lorſqu'on la veut fairecamper , établir des Loix trés- ſévéres pour la bien retrancher ; & ceux qui ont inſpection là - deffus , doivent étre fans miſéricorde . Les Romains pu niſſoient de mort ceux quimanquoient aux Gardes', ceux qui abandon noien : leur Poste dans le Combat,ceux qui portoientquelque choſeen cachec te horsdu Camp, ceuxquiſevantoient à faux de quelque belle action dans la mêlée ر, اceux qui combatoient ſans les , ordres du Général , & ceux à qui la là . . cheté faifoit mettre basles armes. Et lors qu'il arrivoit, ou qu'une Cobor te ou qu’une Légion entiére tomboit dans quelqu'une de ces fautes lá , ' ils la faiſoient toute tirer au Billet , & faiſoient mourir le: Dixiéme. Car fi tous n'en - fentoient pas la peine ; au moins tous la craignoienr: Or parce que là où il y a de grands chá. ti. 3.50 DE ĽART DE LA ciments à craindre , il faut qu'il y 0 aic aufli des récompentes à eſpérer , afin que les hommes foient excitez , & par l'appréhenſion & par l'eſpé. VI rance tout enſemble ; Les mêmes An ciens. avoient auſſi établi'des "prix , si pour les belles actions , comme fe 3 roit celle de ſauver la vie à fon , 121 Gompatriote dans le Combat ; celle de monter le prémier fur la .Muraille . d'une Place ennemie , celle d'entrer le premier dans leCamp des Ennemis, , celle d'avoir ou Bleſſé ou Tue un En. remi dans le Combat, ou de l'avoir mis bas de ſon Cheval. Ainſi toutes les belles actions étoient reconnues . & recompenſées par les Conſuls & louées de tout le Monde: & ceux : qui remporroientdes prix pour quel . qu'une de ces belles Actions , outre la réputation & l'honneur qu'ils en aquéroient parmi leurs Camarades , lorſqu'ils croient retournezchez eux, ils en faiſoient parade avecbeaucoup de pompe & d'éclar entre leurs Amis & leurs Parens. Ne nous étonnons donc.. GUERRE,Liv. Vi. 351 : donc pas ſi ce Peuple faiſoit de ſi grandes Conquêtes , puiſqu'il ré compenſoit & puniſſoit ſi bien ceux , qui le méritoient ; & de tout cela il ſeroit fort à propos; d'en obſerver la 4 meilleure partie. Il me ſemble en .. core que je ne dois pas obmettre un genre de punition qu'ils obfervoient, Qui eſt; que l'Accuſé étant convain Cu , il étoit mené devantſon Comman ou le Conſul méme , .. qui lui: aiant donné un petit coup de Bagueta te , il lui étoit permis de s'enfuir , en même tems tous les autres Soldats avoient la permiſſion de. be tuer. De forte . qu'incontinent.,, ou on lui lançoit des Dards, ou on le frappoit : d'autres Armes : Ainſi il n'alloit pas bien loin , & rien n'étoit plus rare: que d'en voir échapper ; & fi quel.. qu’un le faifoit par hazard , il n'a : voit pas, la permiilion de retourner : chez lui , fi ce n'eft avec tant d'in.. commoditez & chargé de tant d'i gnominie , . que la mort lui étoit : beaucoup plus douce. C'eſt un u. fan 352 DE L'ART DE LA fage que les Suiffes gardent encore en ce tems ici , faiſant paller par les Armes des autres Soldats ; ceux qui .. ſont condamnez par le Conſeil deGuer re. Rien n'eſt plusjudicieux ni pra tiqué plus à propos ; car pour ém pêcher qu'un homme ne veuille pro . téger un Accuſé , le meilleur reméde : eft de le lui donner à chacier : Car lorſqu'il doit te punir lui- même, il n'a 1 pas les mêmes mouvemens pour ſou .. İraiter ſa peine ou fa délivranceycomme quand un autre a cette commiſ. fron. Si vous voulez donc qu'un : Criminel ne ſoit pas favoriſé par tout : un Peuple , le grand reméde eſt de : faire tout le Peuple Juge de ſon crime. Pourmieux foriifier cerce penſée ,je vous apporterai l'exemple de Manlius Capitolinus , qui étant acculé par le Sénat , fut défendu par le Peuple, juſ qu'à ce que le Peuple lui-même en : eût été établi Juge; mais dés que la , Cauſe fut miſe devant lui , il le con. damna à mort. C'eſt donc là une maniére de punir les Coupables dans crain GUERRE , Liv. VI. 353 traindre lamutinerie , & avec aſſuran ce de bien faire obſerver la Juſtice. Or parce que pour tenir en bride des i gens de Guerre , la crainte des Loix & celle des hommes ne luffit pas , les Anciens avoienr ajoûté à cela l'Auto rité Divine ; C'eſt pour cela qu'ils faiſoient jurer à leursSoldats avec de trés-grandes cérémonies de bien ob. ſerver la "Diſcipline Militaire , afin que s'ils y contrevenoient, ils n'euffent pas ſeulement à craindre les Loix & les hommes , mais la Divinité méme; & ils prenoient un grand ſoin de leur mettrela Religionau cæur. Della Palla . Les Romains fouf.. froient-ils qu'il y elle des Femmes dans leurs Armées , ou qu'on s'y a-.. musât à ces Jeux oiſifs où l'on s'occu pe aujourd'hui? Colonne. Ils défendoient l'un & : l'autre , ce qui leur étoit aiſé, parce * qu'ils occupoient tous les joursleurs Soldats à faire tant de Factions & d'Exercices, tantôt publics ' , tantôt particuliers , qu'ils n'avoient pas le , tems 354 DE L'ART DE LA tems de penſer ni aux Jeux , ni aux Femmes , commefontnos Soldats or ſifs & mutins 11 Della Palla . Rien n'eſt plus juſte que ce que vous dites- là : Mais appre nez-moi, s'il vous plait , quel ordre . l'Armée gardoit quand elle décam. 12 poit ? Colonne : Le Général faiſoit fone ner trois fois la Trompetre; au pré mier coup , on kevoit les Tentes on F plioit Bagage : & au fecond , on le chargeoit ; & autroiſiéme on marcboit de lamaniére queje vous aidit cideſa ſus', chaque partie des Troupes aiant une partie du Bagage, & les Légions marchant au milieu . Ainſi vous auriez d'abord à faire marcher , un Régiment de Troupes Arxiliaires , qui auroit en Queue tout fon Bagage; 1 & outre celaune quatrieme partiede celui de l'Armée , qui ſeroit tout ce lui que nous avons logé dans un des Quartiers que nousvous avons mon 1 trez tantôt. Il faudroit doncen don . ner un à chaqueRégiment , afin que l'Armée GUERRE, Liv. VI. 355 l'Armée marchant , chacun ſûrle rang qu'il doit tenir dans la Marche. Ain . li chaque Régiment doit marcherayec fon propreBagage & la quatriémepar . tie de celui de l'Armée en queue ; & c'eft de cette façon que l'Armée Ro maine marchoir. Delle Palla. Lorſqu'il s'agiſſoit de former un Camp ,avoient-ilsd'au tres régles que celles que vous avez marqueész Colonne. Jevous dis encore queles Romains formoient leurs Campes ments toûjours ſur le même modele, & devantque de regarder à d'autres choſes , ils s'attachoient d'abord là. Du refte ils obſervoient deux autres : points principaux ; l'un de choiſir. un lieu fain , & l'autre de fe pofter dans un endroit où l'Ennemi ne pûc. les Affieger , ni leur couper l'Eau , ou les Convois. Pour prévenir lesma. ladies, ils évitoienc les lieux Maré. cageux , & ceux où il regnoit des mauvais Vents : Ce qu'ils récon noiſſoient, non pas tant par la ſitua tion 356 DE L'ART DE LA tion du lieu ", que par la Conſtitution & le teint des Habitans. Si donc ils les voioient d'une méchante couleurs 1 ou aſtmatiques , ou aiant quelque au tre incommodité régnante , ils ne campoient pas là. Pour la ſeconde précaution qu'ils prenoiene, Quié toit de n'étre pas Afiégez , ils éxa. minoient de quel côté étoient les Amis , & de quelcôté étoient des En nemis ; & ſur cela ils jugeoient s'ils étoient en danger d'étreaſſiégez ou mon . C'eſt pourquoi il faut qu'un Général, non ſeulement connoiſſe bien le Pais , mais qu'il aitde plus bien du mondeauprés de lui fort intelligent là deſſus. On évite encore les maladies &la famine, en ne fouffrantpas dedé. fordres ni d'excés dans une Armée;car pourla conforver en-ſanté , il faut fai. ' re en ſorte que les Soldats couchent à couvert de leurs Tenres , qu'ils - eampent dans un lieu ; où il y ait des arbres pour faire de l'ombre ; & du bois pour faire cuire les viandes; qu'ils ne faileac pas , s'il ſe peut., de gran des GUERRE ,Liv.VI. 357 des Marches dans le grand chaud; Els Par conſéquenc il faut mettre l'Ar mée en Campagne avant l'Eté , & ſe donner bien de garde l'Hiver de la ne faire marcher dans les neiges & dans de les glaces, ſi vous n'avez la commo . dité de faire du feu , & que vos gens ne foienc bien couverts : Il faut auſſi les prendre garde qu'ils ne boivent point -11 de mauvaiſes Eaux ; & pour ceux ils qui tombent malades , il faut avoir CO des Medecins ſavants pour les trait ter , car unGénéral ne peut pas com. VI 20 du battre tour à la fois & l'Ennemi & les Maladies. Mais de tous les re é. médes il n'en eſt point de fi bon que l'Exercice pour prévenir les Mala: dies dans une Armée : c'eſt pour cela que lesAnciens le faiſoient faire tous 221 les jours à leurs Troupes. Jugez donc par là, de quelle conſéquence eft l'Exercice , puiſqu'il conſerve la ſanté dans les campements, & donne la du victoire dans les Conibars. ils qui regarde les Vivres , prenez bien D. garde que l'Ennemi ne vous coupe vos es Con : Pour ce 35 % DE L'ART DE LA Convois,mais précautionnez vous de bonne heure pour pouvoir les tirer ai fément des lieux dont vous pouvez les avoir , & ménagez bien ceux que vous avez déja. Aiez: en donc avec vôtre Armée pour un mois , & mar quez à vos Vaifins , qui ſont dans vôtre Alliance, la quantité qu'ils doi vent vous en fournir tous les jours. ) Enfin faites en un bon Magazin dans quelque Place force ; mais fur tout diſpenſez vos Munitions avec une exactitude extréme, donnant tous les jours à chaque Soldat une Ra tion fuffiſante , en prévenant tous les inconvéniens qui pourroient vous ſurvenir à cetégard ; car tous les au tres fe peuvent ſurmonter à la Guer re avec le tems ; mais pour ceux qui pourroient naître dans le mauvaismé nage des Vivres , vous ſurinontent & vous détruiſent vous-même avec le tems. Sur tout ne penſez pas qu'un Ennemi qui ſaura pouvoir vous vaincre par la famine , hazarde jamais de le faire par le fort des ar mes ; GUERRE , Liv. VI. 359 mes ; Car fi la Victoire eſt moins glorieuſe, elle eſt plus certaine & moins dangereuſe. Une Armée donc qui ne garde point de régles fur les Vivres & qui les laiſſe conſumer ſe lon le caprice desgens , ne peut pas é viter detomber dans la diferte ; parce que le déſordre d'un côté , ne donne pas lieu aux Convois d'arriver fure ment; & de l'autre , il laiſſe conſumer mal à propos les Provifions qu'on a déja. C'eſt pour cela que les Anciens ordonnoient qu'on conſumât celles qu'ils vous donnoient & dans le tems qu'ils vous marquoient; car les Troupes ne repaiſſoient que dans le tems que le Général mangeoit. Or chacun fait de quelle maniére tout ceci eſt réglé dans nos Armées d'aujourdhui qui bien loin de pot voir s'appeller des Armées bien ré glées pour la fobrieté comme celles des Anciens, font compoſées de gens dont la vie eſt licentieuſe & pleine de débauches. Della 360 DE L'ART DE LA Della Palla. Vous ayez dit dans le commencement que vous avez la parlé du campement , que vous ne de veuliez pas vous contenter de deux Régiments; mais que vous en vou 10. liez prendre quatre , pour mieux faire voir comment un Corps d'Ar HC mée , de juſte grofleur, doit cam. per. Je voudrois donc que vous me diſliez deux choſes ; L'une Quand j'aurois plus ou moins de gens , ce qu'il faudroit que j'obſer valle dans la metode de caniper : l'autre , Quelle quantité de Soldats vous ſuffiroit, pour combattre quel que Ennemi quece půc étrç. Colonne. A la premiere queſtion ,je répons , Que li l'Armée eſt plus ou moins forte de quatre ou ſix mille hommes , on ajoute, ou on retranche des rangs des logements à propor tion ; de forte qu'en ſuivant cette métode on peut aller à l'infini. Ce pendant lorſque les Romains joi gnoient deux Armées Conſulaires, ils 'n 0 1 n GUERRE, Liv. VI. 361 ils faiſoient deux "Camps, en obſer vant que les Quartiers du Bagage & des gens ſans détence , fuſſent tour. nez l'un contre l'autre. Pour la ſe conde queſtion , je répons, Qu'une Armée ordinaire chez les Romains étoit compoſée d'environ vint quatre mille hommes ; mais lors qu'ils ſe voioient preſſez , le plus qu'ils mec toient enſemble étoit cinquante-mille hommes. C'eſt avec ce nombre qu'ils s'oppoſérent à deux cents mil le Gaulois , qui vinrent fondre ſur eux aprés la premiére Guerre de Carthage : & ce fut encore avec ce nombre qu'ils s'oppoſérent à Anni bal. Vous devez bien remarquer que les Grecs Es les Romains ont toû . jours fait la Guerre avec un petit nombre , mais fortifié par la bonne conduitte & par la ſience des Armes: Les Occidentaux & les Orientaux l'ont toûjours, faite avec de grandes Ar mées ; mais les uns qui ſont les Oc | cidentaux , n'avoient point d'autre $ conduitte, que la Furie que la Na. tu 362 DE L'ART DE LA ture leura donnée ; & les Orientaux ne ſe conduiſoient que par la grande foumiſſion qu'ils ont toûjours euë pour leurs Souverains. Et pour les Grecs & les Italiens , comme ils n'avoi ent point naturellement certc Fureur Martiabł , ni certe grande ſoumiſſion pourleursSupérieurs ; il a faiu qu'ils fe ſoient tournez du côté de la Diſci. pline Militaire , quia tantde pouvoir, que le petit nombre bien conduit à vaincu la multitude de ceux qui ne fuivoient que leur impétuoſité & leur opiniâtreté naturelle . C'eſt pour quoije vous dis , Que fi vous voulez imiter les Grecs & les Romains , vous ne devez jamais paſſer le nombre de Cinquante mille Hommes ; & même en prendre moins ; car la quantité apporte la confuſion , & ne permec pas d'obſerver la Diſcipline Militai re , & de faire practiquer aux Sol. dats les mieux dreſſez , les bons Or dres qu'ils ont appris . Pirrus , ſur cela , diſoit ordinairement , Qu'il attaqueroit toute la Terre avec Quin ze GUERRE , Liv. Vl. 363 ze mille Hommes. Mais paſſons à une autre matiére. Nous avons fait gagner une Bataille à nôtre Armée , & fait voir les inconvéniens qui peuvent ſurvenir au milieu du Combat ; Nous l'avons fait marcher ; nous avons re 고 marqué les embarras qu'elle peut ren contrer ſur la Route '; & enfin nous l'a. vons faitcamper ; & c'eſt icioù il faut un peu ſe repoſer des fatigues paſſées, & penſer auſli aux moiens de termia ner la Guerre : Car pendant qu'on eſt campé , on doit penſer à bien des choſes ; ſur tout s'il yoüs reſte des Ennemis en Campagne , & s'il y a des Places dont les unes ſoient ſuſpec tes, & lesautres déclarées Ennemies,il faut s'aſſurer des unes , & forcer les au tres.C'eſt pourquoi il fautvous inſtrui re là -deſſus, & ſurmonter toutes cesdi ficultez auſſi glorieuſement, comme nousavons fait la Guerre juſqu'à pré 1 fent. Pour donc décendre dans le détail , je dis · Que s'il arrivoit que pluſieurs Peuples , fiffent des choſes à leur préjudice , & dont Q 2 VOUS 364 DE L'ART DE LA vous pulliez tirer avantage , comme s'ils Raſoient leurs Places , ou Ban niſoient leurs meilleurs Officiers , il faut que yous les trompiez en forte, que chacun de ces Peuples- là ne s'i M magine pas que vous penſez à lui ; Ainfi ne ſe liguant point les uns a yec les autres , ils ſe trouveront ac cablez tous à la fois fans y pouvoir 11 apporter de remêde : Ou bien , fi yous les ſommez tous à la fois & . dans un même jour , de faire ce que vous voulez qu'ils faſſent , comme ils croiront chacun étre les ſeuls qui 3青 ſone Sonmez , ils penſeront plutôt à ſe ſoumettre qu'à chercher les moiens de ſe délivrer ; Ainſi vos Ordres feront éxécutez par eux tous, fans bruit & ſans difficulté. Si vous vous : déffiïez de la bonne foi de quelque Peuple , & que vous vouluſſiez vous en aſſurer , en le prévénant à l'im provifte, afin de mieux cacher vô.. tre deſſein , vous ne pouyez pas mieux faire que de lui en communi. quer quelqu'autre , lui demanderſon all A -1 5 ] GUERRE, Liv. VI . 365 aſliſtance , & feindre d'avoir tou te autre penſée dans l'eſprit que cel-. le d'entreprendre quelque choſe con tre lui : Cette conduite l'empêchera de penſer à ſa défenſe , ne s'imagi nant pas que vous en vouliez à lui: Ainſi il vous donnera lui même les moiens d'éxécuter vos projets. Si vous vous doutiez qu'il y eût quel qu’un dans votre Armée, qui entre tint correſpondance avec l'Ennemi, pour lui donner avis de vos Démar-. ches; la meilleure Politique que vous puiſſiez avoir pour vous préyaloir de ſa Trahiſon , c'eſt de lui commu niquer ce que vous n'avez pas en vie de faire , & de lui cacher vos véritables Defleins ; de lui marquer de plus, que vouscraignez certaines chojes , dont vous étes aſſuré , en lui cachant celles que vous appréhen . dez efectivement ; car tout cela pourra faire entreprendre quelque choſe à vôtre Ennemi , ſur ce qu'il s'imaginera érre bien informé de tou tes vos penſées , ce qui le fera tom Q 3 ber 366 DE L'ART DE LA ber dans quelque faute dont vous pourrez tirer un grandavantage. Si vous aviez deſſein de partager vos Troupes , pour en ſecourir quelque Confédéré , & que vous le vouluf fiez cacher à l'Ennemi , comme fic Claude Néron à Annibal , il ne faut point diminuer le nombre de vos Tentes , ni changer aucun des or dres. & des apparences extérieures que vous aviez auparavant , faiſant toûjours la même quantité de Feux & le même nombre de Gardes que vous aviez coûtume de faire, D'au tre côté , s'il vous venoit du Ren fort , & que vous vouluſliez que l'Ennemi ne s'en apperceût pas , il ne faut point augmenter le nombre des Țentes : Car quand- on fait can cher ſes deſſeins, & fes Démarches , on en tire bien ſouvent un trés grand avantage. C'eſt par cette raie fon que Metellus , qui Commandoit les Troupes en Eſpagne , étant in terrogé ce qu'il voulait faire le len . demain , GUERRE , Liv.VI. 367 demain ; répondit , Que li fa Che miſé Javoit ſon Deflein , il la jetteroit au feu . Marcus Crafus répondit à un hommequi lui demandoit, quand il feroit marcher l'Armée ; Appréhen dez vous , dit-il , d'étre ſeul , & de n'entendre pas le Boute - Selle ? Si vous aviez intention de pénétrer les defleins de vôtre Ennemi & de voir ſa contenance , vous pourriez meca tre en uſage ce qui a quelquefois réuſſi en telle conjoncture , qui eſt d'enyoier un Ambaſſadeur , accom pagné de gens fort intelligents. & bien entendus au Mérier de la Guer re , qui prenants l'occaſion de voir l'Armée Ennemie , & d'en éxami. ner le fort & le foible ont don né aprés cela les moiens de la baca tre . D'autres ont banni un de leurs Confidents , . qui paſſant pour: Transfuge ,, avertiſſoit lon Maitre de toutes les allûres de l'Eone . mi. L'on apprend auſſi beaucoup de choſes des Priſonniers de Guerre. Q. 4 Marius 368 DE L'ART DE LA Marius dans la Guerre contre lesi Cimbres', aiant deſſein de ſavoir s'il TO pouvoir fe fier aux Gaulois , qui oc gu cupoient alors la Lombardie , leur cel envoia des Lettres Cachettées S & le d'autres qui étoient ouvertes , dans TO leſquelles illeur mandoit de ne point decachetter les autres qu'à un certain tems marqué ; mais avant qu'il fûc échú , il les redemanda , & les trou ... 15 vant onvertès, il vit bien qu'il ne fa loit pas trop fe fier à eux. De grands Capitaines ſe voiant attaquez, n'ont point pris parti d'aller au devant de C l'Ennemi ; mais au lieu de cela , ils fone entrez à main ' armée dans ſon Pais ,& l'ont obligé par là de retour ner chez lui pour garder ſa maiſon. C'eſt la une choſe quia fouvent réuſ. fi , parce que vos Soldats ont com . 'mencé leur Guerre par la Victoire & par la Dépouille des autres ; ce qui leur a donné du courage, & écourdi l'Ennemi , qui s'imagine par là d’é tre bárcu aprés avoir eu l'avantage. Ceux donc qui ont fait cette Diver ... fion : 4 GUERRE, Liv . VI. 369 fion ont fort ſouvent réufli. Mais vous ne la pouvez faire , que lorf que vôtre Pais eſt plus fortifié que celui des gens à qui vous avez affai-. re ; car ſans cela c'eſt le chemin de vous perdre. Il s'eſt trouvé quel quefois , qu'un Général aſſiégé & preſſé dans ſon Camp, eſt entré en Négociation, & a conclu une Tréve de quelques jours , qui rendant l'En nemi plus négligent , lui a procuré l'occaſion d'échapper de ſes mains. C’elt par ce chemin là que Sylla s'eſt tiré deux fois d'afaire avec ſes Ennemis : Et par la même ruſe Aſdrubai en Eſpagne ſortit des mains de Claude Néron ,qui le tenoit aſlié. gé. On ſe délivre encore de ſon En nemi par quelques autres moiens que ceux- ci, qui peuvent l'amuſer: L'on peut y parvenir en deux maniéres , ou en l'attaquant avec une partie de vos Troupes , pendant que le reſte décampe , voiant l'autre Armée oc cupée à fe battre ; ou en faiſant ſur venir quelque accident imprévû qui Q5 puif . 370 DE L'ART DE LA puiſſe le ſurprendre par la nouveau té du cas , & le tenir en ſuſpens & : ſans rien entreprendre. Vous ſavez . que c'eſt ainſi qu'en ufa Annibal, qui. érant ferré de prés par Fabius , mit entre les Corues d'une grande quanti té de Beufs , des Fafcines allumées i, & cette nouveauté aiant furpris Fa bius, il ne penſa point à lui fermer : le paffage. Ce qu'un Général peul. faire de meilleur , c'eſt d'emploier. tous les ſoins à mettre la divifion : chez ſon Ennemi, ou en lui rendan ſuſpects les gensen quiil ſe fie, ou en l'obligeant à léparer fes Troupes & par conſéquent à s'affoiblir. On : vient à boue du prémier , en ména geant les intérêts . de quelqu'un de ceux qui font le mieux auprés de lui , ou en conlervant les Terres , ou en lui rendant ſes Enfans & albe . tres perſonnes chéres fans Rançon. Vous ſavez bien qu'Annibal , aiant fait le dégât dans toute la Campa gne Romaine , n'épargna que les Terres de Fabius. Vous ſavez auf. ľ GUERRE,Liv . VI. 371 ſi que Coriolanus venant avec fon Armée contre Rome , conſerva les Terres des Nobles , & brûla & lacca gea toutes celles du Peuple. Metela lus Commandant l'Armée contre Ju gurta , follicita tous les Envoiez de ce Prince , de le lui livrer Priſon vier ; & en fuite leur écrivant à tous des Lettres qui ne parloient que de cela , il lui rendit tous les Conſeillers fi ſuſpects, qu'il ſe defit d'eux ſous diférens prétexces. Annibal s'étant réfugié auprés d'Antiochus , les Ambaſſadeurs Romains ſe rendi rent fi familiers avec lui ; qu'Antio chus le ſoupçonnant, ne voulut plus écouter ſes Conſeils. Pour divifer les Forces de vôtre Ennemi , le meil. leur expédient est d'envoier une par tie de vôtre monde attaquer ſon Pais ; car quand il ſera contraint de l'aller deffendre , il faut qu'ilvous laiſſeen paix . Ce fue l'addreſſe qu'eut Fa bius , aiant en tête les Gaulois , les Tofcans, les Ombres & les Samnites. Q.6 Titus 372 DE L'ART DE LA Titus Didius aiant peu de gens en : comparaiſon des autres ; & attendant une Légion de Rome, il s'apperceut que les Ennemis vouloient aller au : devant ; & pour les en empêcher ,, il fit courre le bruit , que le lende , main 'il en vouloit venir aux mains ; & enſuite, il fit en ſorte de laiſſer é. chapper, comme par mégarde, quel ques Priſonniers qu'il tenoit , qui: rapportant le deſſein du Conſul de livrer Bataille le lendemain , firent changer l » réſolution que leurs gens ayoient priſe , de peur de diminuer leurs forces , en envoiant au-devant 1 de cette Légion ; ce qui fit qu'elle ar riva à bon port : Cette rufe ne ſer vit pas à Titus Didius à diviſer les forces de ſon Ennemi , mais à dou. bler les fiennes propres . Il y en a : qui ont eu la fineſſe , pour diminuer les forces de leur Ennemi, de le laiſ fer entrer effectivement dans leur Pais & de lui laiſſer prendre plefieurs Places , où aprés avoir mis Garni fon , il lui est reſtéune Armée fi foie ble, GUERRĖ, Liv. VI. 373 ble , qu'ils ont eu aſſez de facilité à l'attaquer & à la vaincre. Quel. ques autres voulant entrer dans un Rais , ont feinc d'en vouloir à un $ autre , & fe font comportez avec tant d'adreſſe dans cette ruſe , qu'ils. fe font emparez de ce qu'ils ſouhait toient , devant qu'on eût le temsd’y : apporter du ſecours. Car vôtre En nemi ne pouvant pas ſavoir ſi vous ne retournerez point au Pais que. vous avez ménacé d'abord ; eſt con traint de n'abandonner pas un lieu pour en deffendre un autre , & ainſi fort ſouvent il ne garde ni l'un ni Pautre. Outre tout ce que deſſus , il eſt de grandeimportance à un Gé. néral d'avoir l'addreſſe d'aſſoupir toutes les diviſions qui arrivent dans les Troupes. Le meilleur pour ce la eſt de châtier les Chefs de la Mu tinerie , mais il faut le faire en forte qu'ils ſoient accablez devant qu'ils aient preſſenti vôtre deſſein . Le meilleur moien d'en venir à bouteſt, s'ils ſont éloignez de vous., de faire. ve . 374 DE L'ART DE LA venir toue à la fois les Coupables & les Innocents ; car cela les empê. chera de croire que ce foit en inten tion de les châtier , ce qui les tien dra encore dans le devoir & facilitera leur punition. Lorſqu'ils ſont venus, il faut ſe fortifier de ceux qui ſont fi déles & lesemploierà faire juſticedes autres . Quand la diviſion ne vient 1 que pour des diferentsparticuliers il faut les mener à l'occaſion , car le pé ril & la peur de la u jours les gens qui font en diviſion . Mais ce qui entretient bien l'union & la bonne intelligence dans les Trou pes, c'eit la réputation duGénéral quine provient jamais que de fonmė rite ; car ni la naiſſance, ni l'autorité ne l'ont jamais fait naître ſans la ver tu . Or la premiére choſe qu'un Général doit faire , c'eſt de bien G diſcipliner fes gens , &c de les bien paier ; car tant que la Solde man que , il n'eſt pas poſſible de con ferver la Diſcipline & la Sévéri. té: 17 1 0 GUERRE,Liv. VI. té. 375 Comment en éfet , puniriez vous un Soldat qui vole , ſi vous ne le paiez pas ? Ec ce pauvre miſé . rable qu'on ne paie pas , comment peut il vivre s'il ne vole ? Mais ſi étant paié il vole , & que vous ne le puniffiez pas , il deviendra info. lenc en toutes chofe's ; Parce qu'il perdra l'eſtime pourvous, Et quand vous en étes venu là , vous ne pou vez plus garder vôžre autorité , ce qui produira la Mutinerie & les Diviſions, qui font toûjours la perte des Armées. Les Anciens Capitaines avoient une peine, dont ceux d'anjourd'hui font prefque éxempts; Qui étoit de don ner un ſens qui les accommodat à tous les mauvais Augures ; Car fi une Fléche tomboit dans une . Ar mée ; Si le Soleil , ou la Lune s'és clipfoient ; S'il arriyoit un Tremble ment de Terre ; Si le Général fai foit quelque Chûte, ou en montant , ou en décendant de cheyal ; Tout cela étoit pris pour mauvais préfage par les Soldats , ce qui les jettoit dans une 376 DE L'ART DE LA une ſi grande terreur , que: ſi on les eût mencz au Combat , ils auroient été aiſément défaits. Auſſi dés qu'un Général voioit ſurvenir quelqu'un de ces accidents , ou il leur en mar quoit la raiſon , ou il faifoit voir que c'étoit une choſe naturelle , ou il l'interprétoit à fon avantage. Cé far mettant pied à terre en Affrique, tomba par mégarde , & pour effa cer la mauvaiſe impreſlion que cét accident eût pû faire dans l'eſprit des Troupes , il eut la préfence d'en fai. re un bon préſage par ce mot , Af frique , je t'ai priſe. Pluſieurs au. tres ontexpliquéles raiſons desEclip ses de Lune, & des Tremblemens de Terre ; Mais il ne faut rien crain-.. dre , dans le siécle où nous fommes , de ces fortes de Prépages ; tant par ce que nos gens ſont moins ſuperſti. tieux que les Anciens ; que parce que nôtre Réligion détruit toutes ces illuſions. Mais en cas que cela n'ar rivât pas , prenez les expedients que prenoient les Anciens. Quand la Fas GUERRE , Liv.VI . 377 Famine , ou quelqu'autre raiſon pref fante , a mis vôtre Ennemi au défefe poir & la reduit à chercher le Com bat à quelque prix que ce foit ;demeu . rez dans vos Retranchements & tant que vous pourez n'en venez point aux mains. C'eſt ainſi qu'en uſérent les Lacédémoniens contre les Melléniens; & Céſar contre Afranius & Petreius. Le Conſul Fulvius , Commandant l'Armée Romaine contre les Cimbres, les fit attaquer pluſieurs jours de ſui te par ſa Cavalerie, en remarquant qu'ils quittoient leur Camp pour la pourſuivre , & profitant de l'occa fion il entra dedans & le faccagea. Il eſt arrivé qu'un grand Capitaine a tiré un avantage conſidérable , fe. voiant proche de l'Ennemi, qui fut d'envoier lui-même de ſes gens avec des Enſeignes Ennemies , piller ſon . propre Pais: De ſorte que les au . tres le figurant que ces Drapeaux é. toient de leurs gens , qui venoient à leur fecours , font auſi fortis de leurs Retranchements pour leur aider à pil. ler:: 378 DE L'ART DE LA ler , & s'étant mis par là en déſordre, ont donné lieu á ce ruſé Capitaine de les défaire. Ce fut de ce ſtrata géme dont uſa Aléxandre d? Epire contre les Illyriens ; & Lepteme de Syracuſe contre les Carthuginois се qui leur réuſſit à tous deux. Plu fieurs ſont venus à bout de leurs En nemis , en les faiſant créyer de boi re & de manger ; car feignant d'a voir peur , ils abandonnoient tout d'un coup leurs Retranchements ', où ils ayoient laiſſé une grande abon dance de Vin & de Viandes , dont l'Ennemi ufane par excés , fe trou-. voit ſurpris dans ce mauvais état & battu . C'eſt C'eſt ce que fit la Reine Ta miris à Cyrus , & Tiberius Gracchus aux Eſpagnols . Quelques -uns ont empoiſonné le Vin & les Viandes , pour battre plus facilement leurs Ennemis . Je vous diſois n'aguéres , Que je ne trouvois point chez les Anciens, qu'ils euſſent la nuit des Gardes Secrettes hors de leur Camp; & 1 GUERRE, Liv.VI. 379 Cre, & que je croiois qu'ils le faiſoient EILE pour éviter les inconvénients qui en pourroient ſurvenir ; car même on a 5 di CE PIL bobo yû que les Vedettes qu’on avoit po fées de jour pour épier l'Ennemi, ont été quelquefois la ruine de ceux qui les avoient poſées, par la raiſon qu'é tant priſes, on leur a fait découvrir par force le Signal qu'ils devoient donner pour faire venir leurs gens' , TORE e protesta dos qui venant en effet ſans rien ſoupçon ner, ont été ou pris , ou tuez . On peut quelquefois tirer ayantage , en changeant quelqu'une de nos coûtu mes , fur laquelle l’Ennemi faiſant fond ſe trouve trompé à ſon grand TH des leus préjudice ; comme fic un certain Gé. néral , lequel ajant accoûtumé. de marquer à fes gens la venuë de.l'Enne mi par des Feux la puit , & par de la Fumée le jour ; commanda que ſans anig aucune relâche on fit toûjours le Feu & la Fumée , & que quand on verroit approcher l'Ennemi , on ne fit ni l'un ni l'autre , ce qui lui 8 faiſant las de 380 DE L'ART DE LA faiſant croire qu'on ne l'appercevoit pas , marcha avec confiance & en dé. fordre , & rendit par là ſa défaite ai. fée à cet habile Capitaine. Memnon Rhodien voulant tirer ſon Ennemi des Poſtes avantageux qu'il occupoit , lui envoia un homme contrefaiſant le Transfuge , qui l'aſfuroit que ſon Ar mée étoit en divifion & que la plus grande partie abandonnoit ce Géné. ral; & afin de le lui perſuader mieux, ce Transfuge fit ſigne à fon Maitre de faire faire grand bruit dans ſes Retran chements ; ce qui faiſant eſpérer à l'Ennemi qu'il pourroit vaincre, il alla l'attaquer & fut vaincu lui-mês me. On doit outre toutesles précau tions ci - deſſus ; regarder bien. à ne pas pouſſer au déſeſpoir ſon Ennemi: : C'eſt ce que pratiquaCéſar , combat tant contre les Allemans , qui voiant que l'impoſſibilitéde fuir les rendoit plus furieux , leur ouvrit un paſſage, aimant mieux avoir la peinedeles pourſuivre dans lenr d'éroute, que de courre le riſque de les yaincre , pen dant : GUERRE, Liv. VI. 381 dant qu'ils ſe défendroient. Lucullus voiant que quelque Cavalerie Macé donienne qu'il ayoit dansſes Troupes paſſoit dans l'autre Armée , il fit aufli . tôt ſonner la Charge, & commandaque le reſte de fon Armée ſuivît ces Défer teurs , ce qui perſuadant l'Ennemi, que Lucullus vouloit commencer le Combat , il donna avec tant de furie ſur les Macédoniens, qu'ils furent con . traints de le défendre ; ce qui les obli gea malgré eux de ſervir en combatant au lieu de Déſerter . lleſt encore de conſéquence de s'aſſurer d'une Place dont la fidélité vous eſt ſuſpecte , foit aprés la Bataille gagnée , ſoit avant: C'eſt ce que vous allez apprendre de quelques exemples anciens. Pompée ſe défiant des Habitans de Catina , les pria de vouloir bien recevoir chez eux les Malades de fon Armée , & aiant fait entrer les plus Braves qu'il eût ; déguiſez en Malades , il s'empara de la Place . Publius Valerius, apréhen : dant que la Ville d'Epidaurene lui fût pas fidéle , fic venir une Indulgence ( ce 382 DE L'ART DE LA (ce qui étoit auſſil'uſage des.Paiens ) à un de leurs Temples qui étoit hors de la Ville , & tout lePeuple y étant al lé pour gagner les Pardons , il fit fer mer les Portes , & ne laiſſa r'entrer que ceux dont il étoit aſſuré. Aléa xandre le Grand , voulant aller en Alie & s'allurer de la Thrace , il em mena avec lui tous les principaux de cette Province là , à qui il donnoit penfion , & mit fur les peuples des gensmépriſables ; ainſi il contenta les premiers en leurdonnant penſion ; & tint les peuples en repos n’ajant point de Chefs pour ſe révolter. Mais en tre toutes les bonnes qualitez par lef quelles un Généralgagne les peuples , c'eſt aſſurement la juſtice & la chatte té ; comme fut l'exemple qu'en don na Scipionen Eſpagne , qui rendit au pere.& au mari la plus belle Captive qu'on eût jamais vue , & cette con duite luifit plus faire de conquêtes en ce pais là , que la force desArmes. Ce far aiant fait paier le bois dont il fit les paliſades autour de ſon Camp, dans TA GUERRE,Liv.VI. 383 dans les Gaules , s'acquit tellemenc la réputation d'obſervateur de la juf tice , que cela lui aidabeaucoup à fe rendre Maitre de ces peuples . Je n'ai plus rien à dire ſur tous ces diffé . rents accidents ; & il ne nousreſte au cure partie de cette matiére que nous n'aions traittée. Nons n'avons donc plus qu'a parler de la maniere de pren dre & dedeffendre les Places ; ce que je ferai volontiers fi cela ne vous ca. naie point. Della Pallá. Vôtre bonté eſt fi grande, qu'elle nous accorde tout ce que nous ſouhaitrons de vous , fans que nous puiſſions craindre de pal ſer pour trop hardis ; car vous nous prévenez honnêtement dans les cho . ſes que nous n'oſerions pas vous de. mander. Nous vous dirons donc feule . ment,que vous ne pouvez pas nous o bliger plus ſenſiblement que d'achever ces diſcours .Mais devant quedequitep le précédent ſujet ; refolvez nous , s'il vous plait cette dificulté, lequel eſt le plusavantageux de continuer la guer, re 384 DE L'ART DE LA re juſques dans l'Hiver , comme on le prattique aujourd'hui, ou de ne la faireque l'Eté , & le reſte du tems ſe retirer dans les Quartiers d'Hiver , commefaiſoient les Anciens. Colonne. Voici une queſtion con ſidérable que nous aurions ômiſe ,ſans la prudence de celui qui la fait. Je vous repéterai donc encore , Que les Anciens faiſoient tout mieux & a. vec plus de prudence que nous : & fi dans toutes les autres choſes , nous faiſons des fautes , dans ce qui regar de la Guerre , nous les faiſons toutes. Rien n'eſt plus dangereux & nemar que tant l'imprudence d'un Général que de faire la Guerre l'Hiver; & celui qui la fait , court bien plus de riſque que celuiqui la foûtient . En voici la raiſon ; : Tous les ſoins qu'on prend à faire bien obſerver toutes les régles de la Diſcipline Militaire , netenderit qu'à mettre vôtre Armée en état de bien livrer Bataille à vôtre Ennemi ; car c'eſt là la fin qu'un Général doit ſe propoſer , puiſque la perte, ou le gain d'us GUERRE,Liv.VI. 385 d'une Bataille vous donne preſque le deſſus , ou le deſſous dans une Guerre. Celui donc qui fait mieux régler & conduire une Armée , & qui a la mieux diſciplinée , & la mieux formée à faire l'Exercice 2 ſans doute plus d'avantage à la Guer re , & plus d'eſpérance d'y rempor ter la Victoire. D'autre part rien n'eſt plus contraire à bien obſerver les régles que les Situations rudes & les Tempsfroids & bumides; car une Situation rude ne vous permet pas de donner l'étenduë à vos Bataillons telle que les Loix de l'Exercice le deman-. dent ; & les tems froids & humides, vous empêchent de tenir toutes vos Troupes en un Corps & de pouvoir vous préſenter en cer état à l'Enne mi ; parce qu'il faut que vous logicz vos gens ſéparez les uns des autres & fans ordre , la rigueur de la fai fon vous aſſujettiſſant à loger dans les Villages, les Châteaux & les Ter res . Ainſi vous perdez par là tous R les 386 DE L'ART DE LA les ſoins que vous avez pris à bien diſcipliner vôtre Armée. Ne yous éconnez pas au reſte , ſi l'on fait au jourd'hui la Guerre l'Hiver ; parce que les Armées n'étant pas diſcipli nées , on ne fait pas le préjudice qu'elles reçoivent de loger les Trou . pes ſéparées , car les Généraux de ce tems ici , ne peuvent ſe faire dela peine , de ne pas obſerver des Régle . mens qu'ils ne connoiſſent pas . Ils devroient pourtant bien s'appercevoir quel préjudice ils reçoiventde camper l'Hiver , & le ſouvenir que les François furent défaits auprés de Gariglian , non par les Eſpagnols , mais par la ri gueur de la Saiſon : Car comme je vous aidit , Celui qui Attaque a en core plus de déſavantage , recevant plus d'incommodité du mauvais tems , puiſqu'il eſt chez les autres à qui il veut faire la Guerre : Il eſt donc contraint , s'il veutdemeureren Corps d'Armée , d'eſſuier toutes les incommoditez des pluies & du froid ; & GUERRE,Liv. VII. 387 & s'il veut les éviter , il faut nécef. ſairement qu'il partage ſes Troupes. Mais celui qui n'eſtque ſur la Défen five , ſe loge où il lui plaît , en at tendant les Ennemis avec des Trou pes Fraiches , qu'il peut auſſi amaſſer en un inſtant , & aller donner ſur un de leurs Quartiers , qui ne peuvent pas reſiſter à une telle Attaque. C'eſt là la raiſon pourquoi les Fran çois furent défaits ; Et par cette même raiſon , tous ceux qui attaque ront l'Hiver , un Ennemi qui aura de la prudence , ne doivent pasatten dre un meilleur ſuccés. Ceux donc qui voudront rendre inutiles leurs fot ces, leurs bons réglemens , l'expérien ce de leurs Troupes & leur bravoure, n'ont qu'à ſe mettre en campagne l'hi ver. Et parce que les Romainsvouloi ent ſe prévaloir detous ces avantages là , pour leſquels ils ſe donnoienttant 1 de peines ;ils n'évitoient pas avec plus į de ſoin la rigueur de l'Hiver , que l'â | preté des Montagnes les plus rudes, & R 2 des 388 DE L'ART DE LA des lieux difficiles ; En un mor , tout ce qui les empèchoit de mettre en u. ſageleur addreſſe & leur valeur. Voi la tout ce quej'ai à répondre à votre queſtion ; parlons à préſent de la pri. fe & de la défenſe des Places & des Po ftes ; & des moiens de lesfortifier. Fin du Sixième Livre. DE 389 2 D ĽART E D E I. A GUERRE. LIVRE SEPTIÈME. Colonne. Ous devez ſavoir que les Places peuvent érre fortes par la Nature ou par 1 Art. Les Places fortes na turellement, ſont celles qui ſont envi.. ronnées deFleuves ou deMarais, com me Mantoue & Ferrare ; ou qui ſont fituées ſur un Rocher , ou ſur une R E 3 Mon 390 DE L'ART DE LA Montagne Eſcarpée, comme Monaco & San Leo; car celles qui ſont ſituées fur des Eminences d'une pente douce , ſont aujourd'hui fort foibles, eu égard C'eſt pour ' quoi quand il s'agit à préſent de faire au Canon & aux Mines. une nouvelle Place de défenfe on choiſit un Terrein uni; pour le fortifier felon les régles de l'Art. La prémié re choſe à obſerver eſt de faire les mu. railles bien défendues & ffanquées par des Angles,par des Cafemates & pardes Retranchemens , ce qui empêche l'En nemid'en pouvoir approcher , parce qu'il peutécre pris& de Face & de Flanc. Si les murailles font fort hau. tes, elles ſont trop expoſées aux coups de Canon ; Si vous les faites baſies, on peut aiſément les Eſcalader : Si yous faites un Foſſé au devant pour rendre l'Eſcaladedifficile, & que l'En nemi vienne à le combler , ce qui eſt bien- tôt fait par une groſſe Armée, vô-. tre muraille eft aprés cela à fa difcré . tion . C'eſt pourquoi je croi ( ſauf les meilleurs avis ) que pour pré yé. GUERRE, Liv.VII. 391 vénir tous ces inconvénients ; il faut faire les murailles hautes & les Foſſez par dedans , & non pas par dehors . C'eſt là la Fortification de la meilleure défenfe qui ſe faſſe ; parce que par là vous étes à couvert de l'Artillerie & de l'Eſcalade , & l'Ennemi ne peut pas combler vôtre Foſfé. Il faut donc que vôtre mu raille ſoit la plus haute que yous pour rez & qu'elle n'ait pas moins de fix piedsd'épaiſſeur , afin qu'il ſoit plus difficile d'y faire Bréche , il faut met tre deux cents pas entre chacune des Tours. Il faut que le Foſſé que vous fe rez au dedans , ait au moins trente pas d'ouverture & douze de pro fondeur , & toute la Terre qu'on en tire doit étre jertée du côté de la Ville ; mais il faudra la ſoûtenir d'un Mur ,quicommençant dés le fond du Foſfé ,monte aſſez haut pour qu'un homme puiſſe érre à couvert derrié re , & cela rendra encore le Foffe plus profond. Il faut que dans le fond du Foſſé il y ait des Caſemates de R 4 deux 392 DE L'ART DE LA deux cents pas en deux cents pas , afin que le Canon puiſſe donner ſur tous ceux qui voudroient y décen dre. Il faut mettre derriére la mu . raille qui ferme le Foſſé , les gros. Canons qui défendent la Place , çar la muraille de devant étant haute , ne peut étre défendue que par les mo. iennes ou les petites. Si l'Ennemi vient pour vous Eſcalader , la hau teur de la premiére muraille vous. défend. S'il vient avec de l'Artil . lerie , il faut qu'il batte d'abord la prémiére muraille , qui écant abba tue a rendu le Foffé qui eſt dérrié .. re encore plus profond ; parce que la chute d'un mur ſe fait toûjours du côté dont il eſt batcu : Or il n'y a point de Foſſé au devant pour rece. voir ou cacher ces ruines -là ; ainſi il n'eſt pas poſſible d'aller plus avant , trouvant ces ruines qui vous arrê . tent , un Foſfé que vous ne pouvez franchir , & une Artillerie qui don ne ſans ceſſe ſur vous . Le ſeul rea méde à cela eſt de Combler le Foré , ce GUERRE, Liv. VII . 393 ce qui eſt fort difficile , tant à cauſe de la grandeur , que de la difficulté d'en approcher , les murailles étant flanquées de Tours & d’Angles Sail lins , où par conſéquent il eſt dange reux de ſe fourrer ; aiant de plus à monter à l'Alaut , par deſſus des rui. nes qui augmentent beaucoup les dif ficultez ; j'eſtime donc qu'une Ville ainſi fortifiée eſt imprénable . Della Palla . Si outre le Foffé qu'on fait au dedans , on en faiſoit encore un au dehors , n'en ſeroit- elle pas plus forte ? Colonne. Qui ſans doute , mais j'ai voulu dire que n'en voulant faire qu’un , il eſt mieux de le faire dedans que dehors. Della Palla. Voudriez-vous que lés Foſſez fuſſent ſecs , ou pleins d'eau ? Colonne. Les avis ſont partagez ; parce que les Foſſez pleins d'eau vous gardent contre la Mine ; ; & les Fof ſez fecs font plus difficiles à combler . Mais après avoir bien conſidéré le R 5 touts 394 DE L'ART DE LA tout , je les voudrois ſans eau , car ils font plus aſſurez , mêmeon a vû l'Hi ver ceux qui étoient pleins d'eau ſe gê ler , comme il arriva à la Mirandole quand le Pape Jule l'afliégeoit : & pour vous munir contre les Mines , je ferois les Foſſez li profonds , que qui voudroit aller plus bastrouveroit, l'eau. Pour les places ſituées ſur une Roche, je les fortifierois de la mênie maniére à l'égard des Foſſez & des Murailles ; afin qu'elles fuſſent auſhi bien défendues par là que les autres.Je veux ſeulement avertir ceux qui de fendent les Places d'une choſe, Qui eſt de ne point faire de Baſtions dehors & éloignez de la muraille. Je donne rai auſſi un avis à ceux qui font des Places fortes ſur des Hauteurs و, Qui 1 eft de n'y faire jamais au dedans au cun Retranchement , où l'on puif ſe ſe mettre à couvert , quand on a perdu la premiére. Muraille. Ce qui me fait vous donner le prémier avis , C'eſt qu'il ne faut jamais fai re une chofe , qui puiſſe diminuer fans. GUERRE , Liv. VII. 395 fans reſſource la réputation que vous vous éces aquiſe : Car li tôt que cela arrive , on commence à neplus faire de cas de tous les autres Ordres que vous avez donnez ; & ceux qui font dans votre parti , commencent à prendre l'épouvante . C'eſt ce qui ne manquera pas de vous arriver tou tes les fois que vous ferez des Bd ſtions dans les Dehors d'une Place, que vous voudrez garder vous - mê. me.; car il eſt certain que vous les perdrež toûjours , les petites piéces ne pouvant pas aujourd'hui ſe dé . fendre de la fureur du Canon , De forte que fi tôt qu'elles ſont perdues, eiles deviennent un grand achemine ment à votre ruine totale. Lorſque Gennes fe Révolta contre Louis Douziéme , on fit bâtir quelques Baſtions lur ces Collines qui les en vironnent ; qui fi tôt qu'ils furent pris, ce que les François eurent bien- tôt fait , ils fervirent incontinent à pren dre la Ville. Pour le ſecond avis , R 5. je 396 DE L'ART DE LA je ſoûtiens qu'il n'y a rien de pluss dangereux pour une place ſituée ſur une Roche , que d'y faire pluſieurs Retranchements, où l'on puiſſe en cas de befoin fe mettre à couvert : Car depuis que les Soldats eſpérent de trouver une Retraitte , en abandon . nant le premier Poſte qu'ils ont dé fendre , cela fait qu'ils le perdent en éfet ; & fi tôt que cela eſt fait , la Place eſt perdüe. Nous en avons un éxemple tout récent dans la per te de la Fortereſſe de Furli, lorſque la Comteffe Catcrine la défendoit contre:Alexandre Borgia fils du Pape Aléxandre Six , qui l'aſſiégeoit avec : l'Armée du Roi de France. Cette Place écoit toute pleine de Rétranche ments , où l'on pouvoit ſe retirer de l'un à l'autre : Car prémiérement il y avoit la Cittadelle , entre laquel le & le Corps de la Place, il y avoit un' Foſé qu'on paſſoit avec un Pont levis ; Et quand on eroit entréde dans , il y avoit encore trois Retran .. chements tous feparez les uns des au- : tres 1 GUERRE , Liv. VII. 397 tres par des Foſſez pleins d'eau qu'on paſloit auili avec des Ponts le vis : Les François battant un de ces- Retranchements, y firent Bréche, que Jean de Caſal , qui défendoit cette Place , négligeant de garder, ſe reti ra dans les autres Retranchements ; Ainſi les Aſſiégeants , y érant mon tez ſans trouver de réfittance , fe ren dirent bien -tôt Maitres du tout; par ce qu'ils s'emparérent des Ponts qui menoient d'un Retranchement à l'au tre . Cette Place donc qu'on croioic imprénable , périt par deuxdéfauts: Le premier pour avoir eu tant de Er l'autre parce Retranchements Retranchements . chacun ces de que là , n'étoit pas Maitre de ſes Ponts ; Et les défauts de la Place , avec le peu de prudence du Gouverneur, ô . térent tout l'honneur à la courageu fe entrepriſe de la Comteſe , qui a voir eu la réſolution d'attendre là . dedans une Armée , devant laquelle le Roi de Naples & le Duc de Milan n'avoient pas oſé paroitre. Et quoi que 398 DE L'ART DE LA que ſes éforts n'euſſent pas un bort fuccés , elle ne laiſſa pasd'en rempor ter lagloire que méritoit ſon courage ; ce que l'on marqua par pluſieurs Epi.. grammes faits alors à ſa louange. Si je fortifiois donc un lieu élevé , je fe rois de fortes & grandes murailles & des Foffez comme nous avons dit ; & dans le dedansje ne ferois que desmai fons baſſes & foibles, en ſorte qu'elles n'empêcheroient point ceux qui ſe roient au milieu de la Forterelle d'en voir tout le circuit , afin que le Gouverneur pât diſcerner de la vuë tous les endroits qui auroient beſoin de Secours ; & quedeplus cha cun ſûr que quand une fois la murail. le & le Foſſé ſeroient pris , il n'y au roit plus de reſſource. Mais ſi j'y faifois des Retranchements , j'en fe rois les Ponts levis partagez d'une maniére , que chacun en feroit Mai. tre de ſon côcé , les faiſant en for . te qu'ils appuiaſſent ſur des piliersau milieu du Follé. Della GUERRE , Liv.VII . Della Palla. 399 Vous avez dit que les petites piéces ne ſe peuvent plus gardér aujourd'hui; mais il me ſemble avoir oui dire , que plus une Place eft petite , plus elle est aiſée à dé fendre . Colonne. Onne vous a pas bien dit; car on ne peut pas appeller une Pla ée Forte , dans laquelle ceux qui la défendent n'ont pas du Terrein aflez pour faire de nouveaux Retranche ments avec d'autres Foſſez & d'autres Remparts ; Car la fureur du Canon eit ſi terrible , que quifait fond pour fa défenfe fur une feule Muraille & fur un ſeul Fogé, ſe trompe. Et par ce que les Baſtions fe conſtruifent d'une maniére à ne s'y pouvoir re trancher , à moins que vous n'en faf. fiez comme des Châteaux & des Places mêmes , ils ſont bientôt perdus. C'eſt donc une prudence de ne point penſer à des Baſtions , & de bien fortifier l'entrée & les Por tes des Places avec des Ravelins , en forte 400 DE L'ART DE LA force qu'on ne puiſſe y entrer , ni en ſortir en ligne droite : il faut de plus qu'entre le ravelin & la Porte il y ait un Foſſé avec un Pont levis. On fortifie encore les Portes avec des Couliſſes afinde retirer ſes gens, aprés qu'ils ont fait une Sortie ; & s'il arri voit queles Ennemis les repouſfaſſent, ces Herſes là empêchent que les Amis & les Ennemis n'entrent pêle-mêle. C'eſt pour cela qu'on a inventé ces Machines , que les Anciens appel loient des Cataractes qui en tombant', laillent dehors les Ennemis & mettent à couvert l'entrée ; Car dans ces con jonctures, vous ne pouvez diſpoſer ni de la Porte , ni du Pont Levis , l'un & l'autre étant aſſujettis par la foule . Della Palla...J'ai vû de ces Cous liſſes en Allemagne, faites de piéces de chevron en forme de Grille , & pour les nôtres elles ſont faites de planches toutesjointes enſemble. Je voudrois bien ſavoir d'où vient cet te GUERRE,Liv .VII. 401 te différence , & leſquelles ſont les plus fortes. Colonne. Il faut que je vous dife encore , Que toutes les bonnes coû. tumes & les beaux ordres de Guerre des Anciens font prefque évanouis dans tour le monde ; mais pour l'Ita lie ils y ſont entiérement perdus ; & s'il y a quelque choſe de bon , nous l'ayons tirédes Vltramontains. Vous avez pû entendre dire , & ces Mef. fieurs peuvent fe ſouvenir de quelle foibleſſe en faifoit les Places en ces Pais -ici , avant que le Roi Charles Huit y vint dans l'année mille quatre cents quatre vint quatorze . On fai. foit en ce tems-là les Créneaux épais: d'un pied , les Embraſures des Ca. nons & des Arbalêres étoient étroites au dehors & larges au dedans ; enfin il y avoit mille défauts dont je ne parlem rai pas de peur de vous ennuier ; car quand les Créneaux ſont minces, il eft aité d'abbatre une telle défence , & les Embraſures qui y ſont faites font bien - tôt toutes ouvertes . А. pré . 402. DE L'ART DE LA préſent les François nous ontappris à faire les Créneaux forts & larges , & les Embraſures avec beaucoup d'ouverture par dedans, qui ſe rétré eit vers le milieu, en s'élargiſſant enco re depuis là jufqu'au dehors : Ces pré cautions font que le Canon de l'En nemi a peine de vous êter cette dé fenſe . Les François ont encore beau coup de bons uſages ſur leſquels nos gens n'ont point fait de réféxion parce' qu'ils ne les ont jamais vûs Entre ces bons uſages ſont ces Cou Billes en forme de Grille , qui font de beaucoup meilleures que les vôtres; Car ſi vous avez des Couliſes tout d'une piéce comme les vôtres , lorf que vous les faites tomber vous vous enfermez au dedans " ; & vous ne pouvez rien faire au trayers á vôtre Ennemi , qui peut ou avec un pé. tard , ou à coups de hache l'enfon cer fans péril . Mais quand elle eft faire comme uneGrille , eranr baiſſée , vous la pouvez défendre avec les Lana les Arbaletes , & autres for. tes GUERRE,'Liv.VII. 463 tes d'armes , au travers des mailles qui y lont. Della Palla. L'ai vû en Italie une autre coûtume Vltramontaine , quié. toit de faire les raions des affus de Ca. non , courbez vers les moieux : Je voudrois bien ſavoir pourquoi ils les font ainſi car il me ſembleroit qu'ils ſeroient bien plus fores, ſi on les faiſoit droits comme à nos roues ordinaires. Colonne. Ne yous imaginez pas que ce ſoit par caprice qu'on quitte les u. ſages ordinaires; & ſi vous vous figurez que c'eſt pour l'ornement qu'on les fait ainſi , vous vous trompez; car quand il s'agit de force ; l'on nc cherche pas l'embelliſſement ; mais tout cela ſe fait , parce qu'ils font plus forts & plus furs que les nôtres : En yoici la raiſon.Quand l'afus eft chargé ou il porte également des deux côrez , ou il panche de l'un des deux : quand il porte également , les deux roues ne ſont pas plus chargées l'une quie l'autre & ainſi elles ne le ſont pas 404 DE L'ART DE LA pas beaucoup , parce que la charge eſt partagée juſtementen deux; quand il panche d'un des côtez, alors toute la charge porte ſur la roue du côté. dont elle panche : & fi les rayons en ils peuyent aiſément plier ; car ſi la roue panche , il faut que les raions panchent auſſi & qu'ils ne ſoûriennent plus la charge à plomb . Ainſi quand l'afus marche droit , & que les roues n'ont pas'trop de charfont droits ge elles font aſſez torres : mais quand l'affas panche, & que l'une des roues eſt plas chargée que l'autre ; alorsel les ſont trop foibles. Il arrive tout le contraire aux affus à la mode de France , car l'affuspanchant d'un cô té, porte en lignedroite für ces raions, qui étant courbez , viennent alors à faire comme s'ils étoient droits , & à foûtenir vigoureuſement toute la charge ; mais quand l'affus marche & que les raions font courbez , ils ne portent que lamoitié de la charge & ils font aſſez forts pour cela. Mais re yenons à nos Villes& à nos Fortereſ Jes. GUERRE, Liv. VII . 405 ſes. Les François pour rendre les por tes de leursPlaces plusſeures , & pour pouvoir faire aiſément des Sorties , & retirer leurs gens en tems de Siége , ont outre les précautions ci-deſſus un autre uſage , dont jen'ai point encore vû d'exemple en Italie : C'eſt de dreſ ſer deux Poteaux au dehors du Pont leyis , & ſur chacun deces Piliers ils font balancer une Poútre , dont la moitié porte ſur le Pont levis & l'autre moitié en dehors . En ſuite ces deux bouts de Poútres qui portent en de hors , ſont joints enſemble. par un treillis de Chevrons comme une grille , & aux bouts qui portent au deſſus du Pont , ils attachent à chacun une Chaine : Quand donc ils veulent fer, mer le Pont par le dehors , ils lâchent les Chaines & laiſſent tomber toute cette moitié treilliſſée comme une grille ; & quand ils le veulent ouvrir, ils tirent les Chaines à eux , & élévent ce treillis tant qu'un homme à pied y puiſſe paſſer deſſous , & s'ils veulent tant qu'un homme à cheval y puiſſe pal 406 DE L'ART DE LA paſſer auſli, enfuite ils peuvent refer mer le paſſage juſte, ce treillis fe hauf fant & fe baillant comme les Venteaux de nos * Créneaux, Cét utage eſt plus ſur que la Couliſſe ; parce qu'il eſt plus difficile que l'Ennemi l'empêche de fermer le paſſage ; car ce treillis ne tombe pas en ligne droite comme une Herfe qu'on peut aiſément étan conner . Il faut donc que ceux qui voudront fortifier une Place , met. tent en uſage tout ce qu'on vient de dire ; de plus il faudroit laiſſer au moins un bon quart de lieue autour des Fortifications , où l'on ne bâtît , ni ne plantât ; mais qu'on fit de ce Terrein comme une plaine unie , où l'on ne laiſſeroit rien qui bornât la vûe , & qui pût épauler l'Ennemi lorſqu'il ſeroit campe. Remarquez encore qu'une Place ,dont les Foſſez de dehor's ont leurs douves plus hautes que le Terrein ordinaire, eſt fort aiſée à pren dre ; car elles couvrent l'Ennemi qui vous * Veiez les Remarques. GUERRE,Liv. VII. 407 yous attaque , fans vous mettre à cou vert contre lui , puiſqu'il peut les ou vrir aiſément pour faire voie à ſon Ca non . Mais entrons dans ía Place. Je ne perdrai pas de temsà vous appren dre , qu'outre toutes les precaucions dont nous venons de parler , il fauten core avoir bonne proviſion de Munie tions de Guerre de Bouche ; car cha.. cun fait que ſans cela tout le reſte eft inutile. En général il faut faire deux choſes, Vous munir de tout ce dont vous avez beſoin , & empêcher que l'Ennemi ne tire rien de vôtre Pais . C'eſt pourquoi il faut faire le Dégát de tout le Bétail , le Grain 6s le Four . rage que vous ne pouvez pas mettre à Couvert . Un Gouverneur de Place doit encore pourvoir à ce que rien ne ſe face avec bruit & dans la confuſion; & faire en ſorte que quelque choſe qui arrive , chacun ſache ce qu'il a à faire. Il faut donc que les Femmes les Vieillards , les Infirmes 6 les Gens inutiles , ſe tiennent en fermez au de dans, & laiſſent la Place libre aux gens vi 408 DE L'ART DE LA vigoureux & jeunes , qui étant bien armez doivent érre poſtez pour ladé fenſe , les uns aux Fortifications ; les autres aux Portes ; les autres dans les places de la Fortereſſe , afin c'é. tre prêtsà remédier aux inconvéniens qui pourroient ſuryenir au dedans : Il faut qu'ily enait encore quine ſoient deſtinez pour aucune fonction parti culiére , mais qu'ils ſoient toûjours en état de ſecourir tout ce quien pourroit avoir beſoin . Les choſes étant ainſi établies , il ſeroit difficile qu'il ſurvint quelque déſordre capable de vous troubler. Je veux que vous remar quiez encore avec ſoin , Que quand il eſt queſtion deprendre oude défen dre une Place , il n'y a rien qui don. ne plus d'eſpérance à l'Ennemi d'en pouvoir venirà bout , que lorſqu'il ſait qu'elle n'eſt pas accoûtumée d'en voir ; car ſouvent la ſeule appréhen fion fait rendre les Places , ſans met tre leurs forces à l'épreuve . Il faut donc lorſqu'on veut alliéger une Pla ce de cette nature , imprimer autant de d GUERRE,Lıv.VII. 409 de terreur & d'épouvante qu'il eil poſſible. Il faut auſſi d'autre part, que celui qui eft attaqué , mette du côté qu'on l'attaque des gens vigou reux qui n'aient pas peur des paro les ; car fi le premier coup ne fait que blanchir , " les Alliégez repren nent courage , ce qui oblige l'Allié. geant à ne fonder ſes eſpérances que ſur la valeur , & non pas ſur le bruit. Les armes dont les Anciens défen doient leurs Places , étoient de bien des ſortes , ils ſe fervoient d'Arbale test de pluſieurs efpeces, de Fondes , & c. Ils en avoienr auſſi de bien des façons pour attaquer , par exemple des Béliers , des Tours , des Mante lets , des Gabions , des Faux , des Tor tues , & c. Au lieu de tout cela , l'on a aujourd'hui les Armes à feu , qui ſervent également & aux Aficio geants & auxAſiégez ; c'eſt pour quoi je ne m'écendrai pas là- deſſus. Mais revenons à nôtre ſujet & par S i Voiez les Remarques , lons 410 DE L'ART DE LA lons des Attaquesparticuliéres.Il faut ſe donner bien de garde d'étre pris par la Famine,ou d'Alaut. Pour la Fami ne on a dit , Qu'avant d'être Aſsiégé , il faut faire de bonnesproviſions:Maislors que par la longueur du Siege , elles viennentà manquer, on a quelquefois vû des moiens extraordinaires d'en é. tre pourvû par les Amis ; ſur tout s'il paſſe une Riviére dans le milieu de la Ville : C'eſt ce que firent lesRomains à Caſaline une deleurs Fortereſſes , qui étoit alliégée par Annibal : Car ne pouyant pas envoier aux Aſsiégez par la Riviére d'autre forte de proviſion , ils y jertérentgrande quantité de Noix qui nageant ſur l'eau , arrivérent dans la Ville , & la firent ſubfifter long tems. Il s'eſt trouvé des gens aflié. gez , qui pour fairevoirqu'ils avoient du Bled de reſte & pour faire perdre Peſpérance à leurs Ennemis de les prendre parFamine ;رontjetté du Pain par deſſus les murailles ; ou ont fait manger à un'Beufbeaucoup de Grain, & l'ont laiſſé prendre , afin qu'aprés · läror GUERRE, Liv. VII. 411 l'avoir cué, & avoir vû qu'il étoi rem pli de Grain , l'Ennemi pût ſe perſua der facilement qu'il y avoit une gran de abondance dans une Ville dont les bêtes étoient ſi bien nourries . D'autre Côté, pluſieurs Grands Capitaines ſe ſont ſervi de diverſes addreſſes pour incommoder l'Ennemi . Fabius laiſ ſa faire les Semailles dans la Campanie , afin de leur faire diminuer par là leur proviſion de Bled . Denis alliégeant Regio, fit ſemblantde vouloir faire la Paix avec eux , & durant la Négocia tion , il ſe faiſoit fournir des Vivres ; mais quand il les eut épuiſez de cet te maniére , il les reſſerra de prés & les affama. Aléxandre le Grand voul lant prendre Leicade , s'empara de tous les Forts d'alentour , & obligea tous ceux qui étoient dedans à ſe retirer dans la Ville , où la foule croiſſant , il l'eut bien tot affamée . Pour ce qui regarde les Affauts , nous avons dit , Qu'il faut ſe gara der de cette Prémiére Furie , avec la S 2 quelle 412 DE L'ART DE LA quelle les Romains ont li fouyent remporté tout d'un coup pluſieurs Places , en donnant un Afaut Géné ral, & par tous les endroits , com me fit Scipion quand il emporta Car. thagéne en Eſpagne : Car ſi vous ſoutenez bien ce prémier Affaut, il eſt difficile aprés cela de venir à bout de vous. Et quand même l'Ennemi aiant forcé les Murailles , ſeroit déja dans la Ville , les Habi tans ne laiſſent pas d'avoir encore quelque reſſource , s'ils ne s'aban donnent pas eux -mêmes ; car on a vû bien des fois des Armées déja en trées dans des Places, qui ont été repouſſées & fort mal traitrées. Pour y réuſlir il faut que les Habi. tans faffent ferme ſur les Hauteurs dans les Maiſons dans les Tours ; & combatent de là l'Ennemi. Mais ceux qui font entrez , ont ſouvent cherché les moiens de ſurmonter ces difficultez , ce qu'ils ont tâché de faire en deux maniéres : L'une en ouvrant les Portes , afin de donner lieu GUERRE, Liv. VII. 413 lieu aux Habitans de pouvoir fuir en toute fureté : L'autre de faire courre un bruit qu'on ne fera du mal qu'à ceux qu'on trouvera les'Armes à la main ; mais que l'on fera bona Quartier à ceux qui les mettront bas : Cette conduite a facilité la priſe de bien des Villes. Il eſt encore aiſé. d'emporter une place , ſi vous tom . bez deffus à l'improviſte. On y réuſſit lorſqu'étantéloigné avec vô tre Armée , les Ennemis ne peuvent s'imaginer que vous aiez deſſein d'entreprendre une telle Attaque , ou même que vous ſoiez en état de le faire , ſans qu'on en ait le vent, vû l'éloignement où vous étes. Ainſi vous l'emporterez preſque infailli blement , fi vous l'entreprenez avec bien du ſecret & beaucoup de dili gence . Je ne parle qu'avec peine des choſes arrivées en nos jours ; car de parler de moi & des miens , je ne le pourrois faire fans m'expoſer à en étre blâmé '; & de parler des autres , je ne ſai ce quej'en pourrois S 3 dire. 414 DE L'ART DE LA dire. Je ne peux pourtant pas m'em pêcher à ce propos de rapporter l'é xemple de Cefar. Borgia , qu'on ap pelle le Duc de Valentinois qui ſe trouvant à Nocera avec ſes gens , 9 & feignant d'aller ravager Cameri no , le tourna tout d'un coup yers l'Etat d'Vrbin , & s'empara ſans pei ne & dans un ſeul jour d'une Princi pauté , qu'en un autre tems il auroit eu beaucoup de peine à conquérir a vec bien du tems& de la dépenſe. Il eſt encore fort néceſſaire que ceux qui font aſſiégez ſe gardent bien des rules & des fourberies de l'Ennemi ; C'eſt pourquoi ils ne doivent point faire de fond ſur une choſe qu'ils lui voient faire continuellement , mais qu'ils aient toûjours dans l'eſprit que c'eſt pour les tromper, & qu'il pourra bien la changer à leur préjudice. DomitiusCaluinus alliégeantune Pla ce , prit pour coûtumed'en fairetous les jours le tour avec une bonne par tie de ſes Troupes : Les Habi. tans ſe figurant qu'il le faiſoit par maniére GUERRE ,Liv.VII. 415, maniére d'Exercice , fe négligérent fur les Gardes , dont lui s'étant ap. perceu leur livra l’Afaut & les em porta. Quelques Généraux aiant ſceu qu'il venoit du Secours aux Af fiégez , ontfait habiller de leurs gens & prendre des Enſeignes comme les Ennemis ; & ſous cette figure étans. receus dans la Place , ils s'en font Cimon Capitai ne Athénien , mit pendant la nuit , le feu à un Temple d'une Ville qu'il rendus Maitres. vouloit prendre , & les Habitans al lans pour l'éteindre , laifférent la Pla çe à la diſcrétion des Alliégeants . Quelques -úns aprés avoir tué des Coureurs Ennemis , en ont fait pren dre les habits à leurs Soldats , qui é tans entrez dans la Ville , l'ont livrée à ceux qui les y avoient faic entrer . Les anciens Capitaines ont inventé encore pluſieurs autres moiens pour faire dégarnir des Places de leurs Garniſons , afin de les pouvoir prendre plus aiſément. Scipion étant en Af frique, & voulant prendre quelques : S 4 Châteaux 416 DE L'ART DE LA Châteaux où les Carthaginois avoient mis Garnifon , feignit pluſieurs fois de les vouloir prendre ; & enfuite il feignit auſſi d'avoir peur des Trou pes qui y éroient , & par conſé quent , qu'il faloit non ſeulement re noncer à ce deſſein ., mais même ſe retirer. Ce qu'Annibal s'imaginant étre fa: véritable penſée , afin de pourſuivre fon Ennemi avec plus d'a. vantage, il tira toutes ces Garniſons là i dont Scipion s'étant apperceu, il y envoya Maffiniſa qui Commandoit fous lui , pour s'en emparer. Pir rus alliégeant la Capitale de PEX clavonie où il y avoit une forte Garniſon , il feignit de n'eſpérer plus de la pouvoir prendre ; & s'étant tourné vers les autres endroits , il fit en ſorte que pour les ſecourir, cette Ville-là ſe dégarnit de ſon monde & fe mit en étatd'étre aiſément empor tée. Pluſieurs ont empoiſonné les Eaux & détourné les Rivieres pour prendre les Villes , ce qui n'a pas toûjours réuſſi. On diſpoſe encore les GUERRÈ, Liv.VII. 417 lés Afiégez à ſe rendre , en les épou vantant par le bruit qu'on fait courre que leurs gens ont été battus , ou que le Camp eft rafraîchi d'un nou veau Renfort. Les Anciens ont ten té auſſi bien des fois de prendre des Villes par intelligence , en gagnant quelqu'un dedans; mais ils ont em ploié pour cela différents moiens. Quelquefois ils ont envoié de leurs Confidents , qui fous couleur d'étre Transfuges , fe font aquis du crédit chez les Ennemis , dont ils ont en fuite tiré ayantage. Quelques-uns ont encore appris avec cette eſpéce : de Transfuges , de quelle maniére l'Ennemi fait ſes Gardes ; & avec cette connoiffance on a trouvé moien de prendre la Place. D'autres ont : embarraſſé la Porte ou par des Pouer tres , ou par des Chariots qu'on y fai foit entrer fous quelque prétexte , en forte que les Aſſiégez ne la pouvant fermer , "Ennemi y eſt entré aiſé . ment. Annibal perſuada au Gou verneur d'un Château des Romains Si5. de : 418 DE L'ART DE LA de le lui livrer lous prétexte de ſortir la nuit pour aller à la challe:Cét hom. me donc feignant de n'oſer ſortir le jour à cauſe desEnnemis , & retour nant enſuite avec ſon gibbier , il fic entrer beaucoup de Carthaginois avec lui , & aiant tué les Soldats du Corps de Garde,il livra la porte à ce Général. On trompe encore les Alliégez en les tirant hors de leur Ville , & en les éloi. gnant , lorſqu’aiant faitune Sortie ſur vous , vous faites feinte de lâcher le pied. Pluſieurs même entre leſ quels fut Annibal, les ont laiſlé ſe rendre Maitres de leur Camp pour am voir occaſion de les couper & de s'em parer de leur Ville. D'autres trom pent encore les Afliégez en feignant de lever le Siege , comme fit Formion . Chef Athénien , qui aiantravagé le Pais de la Calcide , receut enſuite leurs Ambaſſadeurs , par le moien deſquels il remplit la Ville d'aſſurance & de belles promeſſes, à l'ombre deſquel les ces gens s'étansrepoſez avecpeu de prudence , ils furent peu de tems: aprés GUERRE,Liv.VII. 419 aprés opprimez. Les Afliégez doi fuſ. vent toûjours s'aſſurer des gens pects qui ſont parmi eux ; & fou . vent on y réuſlit autant par les bien faits, comme par la punition . Mar cellus ſachant que Lucius Bancius de Nole étoit porté à favoriſer Annibal , illui donna tant de marques de bonté & lui fit tant de largeſſes , que d'Enne mi il s'en fit un trés- grand Ami. Il eſt néceſſaire auſſi que les Alliégez ſoient encore bien plus ſur leurs gar des quand l'Ennemi eſt loin , que quand il eſt fort prés. Et ils doi vent fur tout , mettre en meilleure défenſe les lieux qu'ils croient les moins expoſez aux Atraques ; Car on a bien ſouvent perdu des Places , pour avoir éré attaquées par les ens droits où l'on ne s'attendoit pas. Cette mépriſe vient de deux cauſes , ou parce que l'endroit eſt fort,& paſſe pour inacceſſible: ; Ou parce que l'Ennemi a l'adreſſe de donner avec éclar une fauſle Allarme d'un côté , S. 6. pendant 420) DE L'ART DE LA pendant qu'à la ſourdine il pouſſe vigoureuſement la pointe de l'autre. Ilfaut donc que les Affiegez ufent: de grande précaution là deſſus , & qu'en tout tems , mais ſur tout la . Nuit , ils faſſent toûjours bonne gar de autour de leurs Fortifications ;رài quoi ils doivent non feulement em ploier des gens , mais auſlides chiens. qui ſoient trés méchans & trés vi goureux , car de l'odorat ils éventea. ront l'Ennemi; & . de l'abboy ils le : feront découvrir. Mais ce n'eſt pas ſeulement les Chiens qui éventent: l'Ennemi; de fimples Oües ont quel quefois empêché une Place d'étre emportée par ſurpriſe , comme cela s'eft vů à Rome lorſque les Gaulois , afliégeaient le Capitole . Alcibiade voulant s'aſſeurer fi toutes les Senti nelles faiſoient bien leguet , pendant que les Lacédémoniens aſſiégeoient Athéne , ordonna fous des peines , que toutes les fois qu'il éléveroid Eine Lumiére la Nuit , toutes les Sen. tinelles en fiffent autant. Ificra GUERRE , Liv. VII: 4213 te Chef Athénien , trouvant une Sen .. tinelle endormie , la tua , diſant;Qu'il Lavoit laiſſée comme il l'ivoit trouvée.. Les Aſſiégez ont trouvé. auſli plu fieurs moiens pour faire favoir de leurs nouvelles à leurs Amis , ce que : ne pouvant pas faire par des Ambar fadeurs ,,ils : écrivoient des Lettres : en Chifres , qu'ils- faiſoient aprés cela; tenir par pluſieurs. voies ſecrettes. Les Chifres dépendent de la maniére : dont on convient les uns avec les aula tres ; les moiens de les faire rendre fecrettement ſont différents. Les uns ont écrit dans le Foureau d'une Epée.. D'autres ont mis les Lettres dans un Pain non encore cuir, puis l'aiant fait cuire , ils le donnoient pour ſervir de : proviſion à celui qui ſe chargeoitdu : meſſage. D'autres les ont cachées dans les endroits les plus fecrets de leurs Corps. Quelques-uns les oner couluës dans le Colier d'un Chien , qui appartenoit à l'homme qu'on fai foit couler au travers des Ennemis... On s'eſt auſſi aviſé quelquefois d'é crire 422 DE L'ART DE LA crire dans une lettre des choſes com . munes; & entre les lignes on écrivoit ſes ſecrets avec de certaines eaux qui paroiſſoienten les mouillant, ou enles montrant au Feu . Cette derniére in . vention a été pratiquée trés adroitte meat dans nosjours , où une perſonne voulant faire ſavoir à fes Amis enfer mez dans une Place , des choſes fe. cretes qu'elle ne vouloit confier à qui que ce loit , elle leur adreſſoit des Actes d'Excommunication écrits dans la forme ordinaire , & entre les lignes elle mettoit ce qu'elle vouloit qu'on ſûr , & elle ordonnoit aux gens éta blis pour cela de les afficher aux Por tes des Egliſes, qui enſuite étans re connuës & entenduës par ceux qui a voient le ſecret , ils les faiſoient déta cher pour les déchiffrer. Cette méto. deefttrés fine, car celuiqu'on en char ge peut n'y entendre point fineſſe , & il ne court aucun riſque. Enfinil y a une infinité de ces ſortes de ruſes que cha cun peut apprendre ou inventer. Mais il eſt plus aiſé d'écrire aux GUERRE , Liv.VII. 423 Aſſiégez , qu'à eux de vous écrire ;car ils ne peuvent yous faire ſavoir de leurs nouvelles que parquelque Soldat qui contrefait le Déſerteur , ce qui eſt in certain & dangéreux quand l'Ennemi eſt un peu rufe: Mais ceux qui écrivent auxAſiégez, peuvent ſous différents prétexteş faire entrer un homme dans le Camp des Afiégeants , & à la pré miére occaſion ilſe fourre dans la Pla. ce. Parlons un peu à préſent de la maniére de prendre aujourd'hui les Villes . Je dis donc que ſi yous étes battu dans une Place où il n'y ait point de Foſſé par le dedans , comme nous avons dit ci-devant ; & ſi yous ne vou lez pas que l'Ennemi y entre par la Bréche que ſon Canon y aura faite , il faut pendant que l'on bat cet endroit là , que vous faſſiez une Trenchée der riére , large au moins de trente pas , en faiſant le jet de toute la terreque vous en pourrez tirer , du côté de la. Ville , afin que la Trenchée en ſoit par ce moien plus profonde.; mais il faut у faire travailler avec tant de dili. 424 DE L'ART DE LA diligence , que lorſque la Bréche fem ra faire , votre Trenchée ſoit profonde, au moins de dix ou douze pieds; & pendant qu'on la fait , il faut la flanquer par les deuxbouts de deux bonnes Cafemattes : Car quand la · muraille, eft * aſſez forte pour tenir tout le tems qui eft néceſſaire pour achever cér ouvrage , alors cet en droit-là eſt plus en deffenfe que tout " le reſte, parce que cette Trenchée a 2 entiérement la forme que nous avons établie pour le Foſſédu dedans. Mais fi vôtre muraille eſt trop foible pour vous donner le tems defaire tout cela, . c'eſt alors qu'ilfaut faire voir votre bravoure , & vous oppofer aux Enne mis qui montent à la Bréche,avec tout ce que vous avez de gens en état de faire réſiſtance . Les Piſantins prat- - tiquérent cetre maniére de fe retran cher lorſque vous-les allâtes alliéger ; ce qu'ils pouvoient aiſément faire , parce que leurs murailles étoientaſſez bonnes pour réſiſter long -tems , & que d'ailleurs leurTerrein eft folide - GUERRE,Liv.VII.. 425, & propre à élever , & à faire des Remparts ;. Car s'ils n'euſſent pas eu ces avantages ils étoient perdus. Ili ſera donc toûjours bon de ſe précau . tionner de bonne heure , en faiſant un Foffé par le dedans de la Place , qui aille tout à l'entour , comme nous Pavons établi tantôt ; Car en tel cas & yous attendez l'Ennemi en repos : fûreté , vos Retranchements ſe trou . vant déja tout faits , Les Anciens prenoient quelquefois les Villes par: des Chemins Souterrains en deux ma . niéres ; ou bien ils faiſoient un Che. min caché , qui aboutiſſoit dans la Place & qui leur ſervoit de porte : pour y entrer ; & c'eſt ainſi que les Romains prirent la Ville des Veien tins: Ou bien avec les mêmes Mines : qu'ils faiſoient ſous le mur, ils le fai.. foient tomber. Cette derniére mé.. tode fe fait aujourd'hui plus pronte. ment & plus violemment ; c'eſt ce. qui rend les Places ſur les Hauteurs moins fortes, parce qu'il eſt plusai.. fé de les miner, & lorſqu'on a char gé: 426 DE L'ART DE LA géla Mine depoudre , quiprend feu en un moment , non ſeulement vous faites ſauter la Muraille , mais vous fendez les Rochers , & les Cittadelles mêmes s'entr'ouvrent en pluſieurs endroits. Pour prévenir ces incon vénients , il faut bâtir les Places dans les Plaines , & faire vos Foſſez ſi profonds que l'Ennemi ne puiſſe pas miner plus bas ſans trouver l'eau , qui eſt le ſeul reméde contre les Mines. Si donc vôtre Place eſt ſur une émi nence , vous ne pouvez faire autre choſe que de creuſer, bien des Puits dans vos Fortifications , qui feront éventer les Mines qu'on y fera. Il y a encore un autre expédient qui et de Contreminer ; pourvû que vous puiſliez découvrir l'endroit où l'on vous mine : Cette précaution eſt trés bonne , mais il eſt difficile de décou. vrir les endroits qu'on mine ſi vous avez affaire à un Ennemi ruſé . Il faut ſur tout, que les Aſſiégez pren nent bien garde de n'étre point ſur pris dans un tems.qui paroit de re pos GUERRE,Liv.VII. 427 pos , commeaprés un Combat , aprés qu'on a monté la Garde , qaieft ordi. nairement le matin à la pointe du jour , & le ſoir entre Chien & Loup ; mais ſur tout quand les gens repail fent , car c'eſt dans ce tems- là qu'on a. pris bien des Places , & que les Aſiégez ont ſouvent auſſi ſurpris & endommagé des Armées. Il faut donc de part & d'autre étre toûjours bien ſur ſes gardes , & tenir une bon ne partie des gensen même tems ſous les armes. Je neveux pas oublier de vous dire , que ce qui rend une Place ou un Camp difficile à garder , C'eſt que vous étes obligé departager tou tes les Forces que vous y avez ; car l'Ennemi pouvant vous attaquer par où il- lui plait , il faut ſur tout que vous foiez bien ſur vos gardes par tout & que vous ſouteniez tou tes ſes Forces avec une partie des vôtres . De plus un Afiégé eſt ſou vent en riſque de périr fans reſſour ce , & l'Aſiégeant n'a à craindre que d'étre repouſſe. C'eſt pour cela qu'il 428 DE L'ART DE LA qu'il s'eſt rencontré quelquefois des gens alliégez , qui bien que moins forts , font fortis de leurs Retran chements tour à la fois & ont battu leur Ennemi. Marcellus en uſa ain. fià Nole , & Céſar dans-les Gaules,, où voiant que ſon Camp étoit acca qué par une grande quantité d'En nemis, & qu'il ne pouvoit le deffen dre , à cauſe qu'il faloit partager ſes , Troupes ; زD'ailleursdemeurant dans fes Retranchements , il ne pouvoit pas donner fortement fur eux ; il fortit ayec tous ſes gens , par une Ouverture qu'il fit à ſon Camp , & donnant vigoureuſement avec tout fon monde ſur les Gaulois , il les dé fit par cette adreſſe. La fermeté & c la patience des Affiégez , ennuie quelquefois & étonne lesAffiégeans. Pompée aiant en tête Céſar , dont PArmée ſouffroit une grande Diſet te ; on alla lui préſenter du pain que : les Troupes de Céfar mangeoient ; qui étoit fait d'Herbes , ce qu'il dé. fendit fort.de faire voir à ſes Soldats pour 1 GUERRE,Liv.VII. 429 pour ne les pas épouvanter en yoiant à quelles fortes de gens ils avoient affaire. Rien n'aquit tant de gloire aux Romains que la conſtance qu'ils firent voir dans la Guerre qu'ils eu . rent contre Annibal ; car quelque a verſité & quelques déſavantages qu'ils euſſent , jamais ils ne demandérenc la Paix , ni ne doonérent jamais au cune marque d'épouvante : Au con traire pendant qu'Annibal étoit aux environs de Rome , les Terres où il étoit campé furent venduës plus ché. rement qu'elles ne l'auroient été dans un temsordinaire. Ils furent d'ail. lcurs fi attachez à leurs entrepriſes , qu'ils ne voulurent jamais lever le Siége de devant Capoüe , pour venir ſecourir Rome qu'Annibal tenoit af. ſiégée pendant qu'ils faiſoient ce Siége-là. Je fai bien que je vous ai entretenus de pluſieurs choſes que vous auriez pû ſavoir de vous-mê. mes & qui vous ſeroicnt venuës dans l'eſprit auſſi bien qu'à moi : Cependant je l'ai fait , comme je vous 430 DE L'ART DE LA yous ai déja dit , afin de vous faire mieux voir les utilitez de cér Exerci. ce Militaire ; & afin auffi de ſatisfaire ceux qui n'auroient pas eu le moien de l'entendre comme vous . Il me ſem ble à préſent que je n'ai plus rien à vous dire que quelques Maximes gé. qui vous ſont trés-connuës , & que voici. Ce qui ſert à vôtre Ennemi vous nuit , & ce qui vous fert nuit auſli à vôtre Ennemi. Celui qui dans la Guerre eſt plus vigilant à dé couvrir les intentions de fon Enne . mi , & plus propre à faire ſupporter à fes Troupes les Fatigues de l'E xercice , ne courra pas tant de riſ. que que lui , & aura plus lieu d'ef pérer la Victoire. Ne menez ja mais vos Soldats à l'Occaſion , ſi yous ne les avez un peu aguerri & reconnu braves & adroits à l'Exercice ; de plus ne les préſentez jamais à l’Enne mi, que lorſque vous les voiez dans l'eſpérance de vaincre . Il vaut mieux détruire ſon Ennemi par la Faim que par les Armes qui ſont journaliéres, GUERRE , Liv. VII . 431 & dont le ſuccez dépend ſouvent plus du caprice de la Fortune que de la Va . leur. Vous ne pouvez rien faire de meilleur contre vôtre Ennemi que de lui cacher vos deſleins juſqu'à l'é. xécucion. Rien n'eft meilleur à la Guerre que de ſavoir bien connoitre l'Occaſion & la prendre aux cheveux . La Nature fait bien peu de Braves, mais l'éducation & l'expérience en font beaucoup. La Conduite eſt bien meilleure á l'Armée que la Furie. Lorſqu'il paſſe des gensde vôtre En nemi dans votre parti pourvů qu'ils ſoient fidéles , c'eſt une gran de Conquête ; Car les Forces En nemies diminuent beaucoup plus par les Transfuges , que par ceux qu'on peut tuer , quoi que le nom de Transfuge toit bien ſuſpect aux nouveaux Amis , & odieux aux an ciens. Dans une Bataille , il vaut mieux mettre un gros Renfort der riére la Téte , que pour lui donner plus de Front, étendre trop vos Troupes . Il eſt 432 DE L'ART DE LA eſt difficile de battre un Général qui connoit bien fes Forces & celles de l'Ennemi . La Valeur des Soldats fait beaucoup plus de bien que la quantité. Les choles nouvelles & qui ſurviennent prontement, épou vantent les Armées ; mais elles font peu de cas des choſes ordinaires & lentes : C'eft pourquoi vous de vez faire connoitre à vos gens un Ennemi Nouveau par quelques peti tes Rencontres , devant que d'en ve. nir à un Combat général. Celui qui marche en Défordre aprés un Eone mi qu'il vient de mettre en Déroute, ne paroit point avoir d'autre inten tion que de ſefaire battre aprés a-. voir vaincu . Celui qui ne fait pas bonne proviſion de Munitions de Bouche , ſera vaincu ſans qu'on y em. ploie la force des Armes. Ceux qui font plus de fond ſur la Cavalerie que ſur l'Infanterie ; ou ceux qui ſe fient plus à l'Infanterie qu'à la Ca valerie , doivent ſelon ces différen tes 433 tes diſpoſitions , prendre bien leur GUERRE,Liv.VII . Terrein . Si vous voulez voir pen dant le jour s'il n'eſt point venu quel que Eſpion dans yôtre Camp, vous n'avez qu'à commander à chacun d'aller dans ſa Tente. Changez de deſſein fi tôt que vous avez apperceu que l'Ennemi l'a éventé. Conſultez les choſes que vous devez faire avec bien des gens; mais pour celles que vous ayez deſſein d'éxécuter en effet, conférez en avec un trés petit nom bre . On retient les Soldats dans l'or dre parla crainte & parle châtiment, tant qu'ilsſont en Garniſon ; mais en Campagne , vous ne les retenez que par l'eſpérance & la récompenſe. Un bon Général n'en vient jamais aux mains ſi la néceſſité ne l’y oblige , ou fi l'occaſion ne l'y convie. Tâchez que vôtre : Ennemi ne ſache point quelle Ordonnance vous donnerez à vôtre Armée pour la Bataille ;رmais de quelque maniére que yous la dif poſiez , faites toûjours en ſorte que T les 434 DE L'ART DE LA les Premiers Corps puiſſent étre receus dans les Seconds & dans les Troiſiémes. Dans la Mêlée n’emploiez jamais un Bataillon qu'à ce que vous l'aviez au paravant deſtiné, à moins que vous ne vouliez tomber dans le déſordre. Il faut beaucoup de peine pour re médier aux accidents impréyûs ;زmais pour les autres rien n'eſt fi aiſé. Les hommes , les armes , l'argent & les munitions font le Nerf de la Guerre; Mais les deux prémiéres choſes-font les plus néceffaires : Car des hom . mes avec des armes , foot bien troul ver de l'argent & des munitions ; mais de l'argent & des proviſions ne font pas toujours trouver des hommes & des armes. L'homme qui vit en paix & qui eſt riche doit contribuer pour la récompenſe du pauvre Soldat. Ac coûtumez vos Soldats à mépriſer la bonne chére & les beaux habits . Voi la en général ce quime vient dans l'ef prie à vous dire : Je ſai pourtant bien que dans tous ces diſcours ici , on i GUERRE,Liv.VII. 435 on auroic pû ajoûter beaucoup de choſes : Comme par exemple , en quelle façon , & de combien de ma niéres les Anciens diſpoſoient leurs Troupes ; comment ils les habilloient ; comment ils s'occupoient hors des Factions & de l'Exercice Militaire , & beaucoup d'autres particularitez , dont je n'ai pas trouvé à propos de vous entretenir ; tant parce que vous pouvez les voir vous-mêmes chez les Auteurs , que parce que je n'ai paseu intention de vous inſtruire juſtement de toutes les maniéres de l'Ancienne Milice ; mais ſeulement de vous fai re voir comment on pourroit faire en ce tems ici des Troupes de ineil leur ſervice que celles que nous a vons. Ainſi je n'ai pas crû devoir. parler des Anciens , qu'autant qu'il étoit néceſſaire pour l'inſtruction préſente. Je fai quej'aurois dû m'é . tendre davantage ſur la Cavalerie , & en ſuite parler de la Marine ; par ce que qui diſtingue la Milice , la T 2 dis 436 DE L'ART DE LA diſtingue d'ordinaire en Armées Na vales & en Armées de Terre ; en In fanterie & en Cavalerie. Pour la Marine , je n'entreprendrai pas d'en parler puiſque je n'en ai aucune con noiſſance ; mais il en faut laiſſer par ler aux Génois & aux Venitiens , qui s'érant attachez à cette forte de Guer re , y ont fait autrefois de ſi grandes choſes . A l'égard de la Cavalerie , je n'en diraipasdavantage que ce que j'en ai dit ci-deſſus ; parce que com meje l'ai dit , cette partie de la Mi lice n'eſt pas ſigátée que l'autre ; ou tre cela quandl'Infanterie eſt une fois ſur le bon pied , ce qui eſt alors le Nerf de la Guerre , on ne peut pas qu'on ne faffe de bonne Cavalerie. J'avertirai ſeulement d'une choſe ceux qui voudroient faire des Milices d'Or donnance dans leurPais ; Qui eſt que pour faire de la Cavalerie , ils eur ! . ſent ſoin de deux choſes ; L'une de peupler leurs Pais de bonnes races de Chevaux , & d'accoûtumer les gens GUERRE, Liv.VII . 437 gens à faire trafic de Poulains , com me on fait ici de Veaux & de jeunes Mulets: Et afin que celui qui en au roit fait emplette , trouvát à s'en dé. faire , je défendrois à qui que ce fûc d'avoir un Mulet s'il n'avoit un Che valavec. Ainſi celui qui ne voudroit qu’une monture ſeroit obligé d'avoir un Cheval . Deplus , Qu'il n’y au roit que ceux qui auroient des Che vaux qui púñent s'habiller d'étoffe de Svie. Jai appris qu'un Prince de nô tre tems , aiant établi cét ordre, trou va bien - tôt ſon Pais rempli de forc bonne Cavalerie. Pour les autres choſes qui regardent les Cavaliers, je vous renvoie à tout ce que je vousen ai dit aujourd'hui & à l'uſage receu . Vous ſouhaitteriez peut- core à pré ſent d'apprendre quelles qualitez doit avoir un Général ; Je vais vous fa tisfaire en peu de mots ; parce que je ne pourrois pas choiſir un autre homme , que celui qui ſauroit faire tout ce que nous avons die juſqu'ici; T 3 438 DE L'ART DE LA & tout cela ne luffiroit pas encore, fi . de lui même il ne pouvoic trouver d'autres choſes , dont nous n'avons point parlé: Car un homme qui n'eſt pas inventif , ne peut jamais étre un grand Hommedans la profeſion : Ec fi les nouveaux expedients font de l'honneur par tout ailleurs , on peut dire que dans le fujet dont il s'agit, ils vous comblent de gloire. On voit même que les Hiſtoriens font l'éloge des plus petites découvertes dans le Métier des Armes , comme lors qu’Aléxandrele Grand,pourdé camper à la Sourdine , ne faiſoit point fonner le Boute-Selle par les Trom pettes , mais faiſoit mettre pour ſignal un Chapeau au bout d'une Lance. On le louë encore d'avoir donné ordre à ſes Soldats de mettre le genouil 8aft - che en terre en commençant le Com bat , afin de foûtenir plus fermement l'attaque de l'Ennemi; ce qui lui aiant fait remporter la Victoire , lui aquic en niême tems tant de gloire ;. que GUERRE, Liv. VII. 439 que les Statuës qu'on lui érigeoit , e toient toutes dans cette poſture. Mais parce qu'il eſt tems de tinir ce diſ cours , je veux revenir à l'endroit d'où je ſuis parti , & par là j'éviterai une partie de la peine qu'on impoſe en ce Pais , à ceux qui ne retournent pas chez eux . S'il vousen ſouvient bien,, Monſieur Rucellai, vous m'avez de mandé dés le commencement , d'où venoit qu'étant d'un côté admirateur de l'Antiquité, en blâmane ceux qui dans les grandes choſes', ne la pre noient pas pour modéle ; & que de l'autre m'étant fort attaché au Métier des Armes ', je ne l'avois imitée en rien dece quiregarde cette profeſſion ? A quoi je vous ai répondu , que les gens quivouloient entreprendre une choſe , devoient fe difpofer aupara vant à la ſavoir faire , pour s'en bien aquitter en ſuitte dans l'occaſion . Je vous prens pour Juges , à préſent que vous m'avez entendu ſur ces matié. res , li je pourrois bien mettre la Mi T 4 lice 440 DE L'ART DE LA lice ſur le pied des Anciens , ou non: Ceci doit vous faire, voir combien j'ai fait de réféxions ſur ce ſujet : Je croi même que vous éces aſſez perſuadez de la pailion que j'aurois de mettre tout cela en pratique ; Ainſi vous pouvez bien juger ſi j'ai jamais pû le faire ; ou s'il s'en eſt préſenté l'occaſion. Cependant pour vous en convaincre mieux , & me juſtifier encore davantage , je yeux vous en faire voir les occafions, afin de vous tenir en partie ce que j'ai promis de vous démontrer , aſavoir les facilitez & les difficultez qu'on trouveroit à préſent à vouloir faire des Armées fur ce pied - là . . Je dis donc , Qu'il n'y a rien dans le mon de fi aiſé à remettre ſur l'ancien pied, que la Milice ; mais ſeulement pour un Prince qui pourroit oppoſer à ſon Ennemi une Armée de quinze ou yint mille Jeunes gens de fes Sujets. D'autre côté rien ne ſeroit ſi difficile que cette entrepriſe à ceux qui n'au . roient GUERRE,Liv.VII. roient pas cér 441 avantage . Mais afin que vous comprenież mieux ceci , il faut que vous fachiez qu'il y a dans le monde deux eſpéces de Généraux qui ont de la réputation: Les uns font ceux , qui avec une Armée bien Diſciplinée, ont fait de grandes cho fés ; comme ont été les Bourgeois de Rome & d'autres Républiques , qui ont commandé des Armées, dont ils ne devoient prendre d'autre ſoin que de les entretenir dans leur bonté, & de les conduire furement. L'autre eſpéce de Généraux , ſont ceux qui ont eu prémiérement à vaincre leurs Einemis ; mais devant que d'en ye nir là , il a falu qu'ils aient bien for mé & bien difcipliné leurs Armées ; & ceux - là méritent aſſurément plus de louange , que ceux qui avec les Armées Anciennes , & bonnes d'el les-mêmes ont fait de belles Actions: On peut mettre au nombre de ces derniers , Pélopidas , Epaminondas, Tullus. Hoftilius , Philippe de Macé T 5 doine 442 DE L'ART DE LA doine Pere d'Alexandre , Cyrus Roi des Perſes , 5 Gracchris Romain . Tous ceux - ci ont eu d'abord à for mer & à dreſſer leurs Armées pour s'en fervir en ſuite ; Ce qu'ils pûrent bien faire , tant par leur prudence , que par la diſpoſition qu'ils trou voient dans les gens à bien appren. dre ces Exercices-là : Et jamais il n'auroit été poſſible qu'aucun de ces Grands Hommes , quoi que remplis de mérite, eût pû faire quelque cho te de bon dans un Païs Etranger's plein de Canaille toute corrompuë ', & qui n'eſt foûmiſe à aucune honnê te obéiſſance. Il ne ſuffit donc pas en Italie , de ſavoir Commander une 1 Armée déja toute formée ; mais il faudroit d'abord la favoir faire & la diſcipliner , puis la favoir comman . der. Or pour ea venir à bout , il faudroit que cela fût entrepris par les Princes qui ont aſſez d'Etats & de Peuples pour cela; Et c'eſt ce que je ne peux pas faire moi quin'ai jamais GUERRE , Liv. VII. 443 jamais commandé & qui ne peux commander en effet que des Armées Etrangeres , & obligées à d'autres qu'à moi. Je vous laiſſe à juger a prés cela , s'il eſt poſlible d'y intro duire toutes les bonnes choſes dont je vous ai entretenus aujourd'hui. Quand eſt- ce que je pourrois faire porter à un de nos Soldats , plus d'armes qu'à l'ordinaire , & outre fes armes , des municions de bouche pour deux ou trois jours , & une pieuche pour remuer la terre ? Quand eſt- ce que je pourrois l'obliger à ce travail ; & le tenir tous les jours ſous les armes pendant pluſieurs heures ? à l'exercer dins une Guerre feinte , pour le former & m'en préyaloir dans la véritable ? Quand eſt -ce qu'on viendroit à bout de faire quitter á des gens de cette nature , le jeu , la débauche , les blaſphèmes & les in folences qu'ils font depuis le matin juſqu'au ſoir ? Quand eſt -ce qu'on Ies rendroit aſez diſciplinez & aſſez T 6 fou . 444 DE L'ART DE LA foûmis,pour qu'il ne touchaſſent point à un Arbre chargé de fruit , qui ſe trouveroit au milieu du- Camp, com me on lit qu'il eſt arrivé pluſieurs, fois chez les Anciens ? Avec quel les promeſſes attirerai-je leur reſpect, leur amitié & leur crainte ; puiſque dés que la Guerre eſt finie , ils n'ont plus aucune rélation avec moi ? De quoi leur ferai-je honte , puiſqu'ils fonc nez , & élevez fans honneur ? Pourquoi me reſpecteront-ils , puil. qu'ils ne me connoiſlent pas ? Par quelle Divinité , ou par quels Saints les ferai-je jurer :? Eſt -ce par ceux qu'ils adorent , ou par ceux qu'ils blafphement ? Je ne ſai pas s'ils en adorent aucun, mais je ſai bien qu'ils les blasphêment tous. Comment croirai -je qu'ils tiendront leur Ser ment á un Dieu , dont ils parlent á . tous moments avec indignité ? Ec . comment , mépriſant Dieu , peuvent ils reſpecter les honrmes ? Quelle bonne forme pourroit -on donc don ner GUERRE,Lıy. VII. 445 ner à une telle matiére ? Et fi vous m'alléguez que les Suiſſes & les Ef pagnols ont une aſſez bonne diſcipli ne : Je ne vous nierai pas qu'ils ſur paffent de beaucoup les Italiens; mais li yous faites réflexion ſur ce que je vous ai dit & ſur leur métode , vous verrez qu'il leur manque bien des choſes pour arriver à la perfection des Anciens. A l'égard des Suiſſes, leurs régles font aſſez bonnes par un certain uſage naturel venu de ce que je vous ai dit , qu'ils n'avoient point deCavalerie ; mais les Eſpagnols font devenus de bonnes Troupes par né cellité ; parce que combattant dans un Pais Etranger , ils ont vû.qu'il faloir vaincre ou mourir ; & ainſi ne voiant point de lieu à la fuite , ils ſont devenus Braves malgré eux. Mais ce qu'ils ont de bon eſt accom : pagné de bien des défauts ; n'aiant en effet de bon , que la maxime d'at tendre l'Ennemi juſqu'à la portée de la Pique & de l’Epée. Et pour ce qui 446 DE L'ART DE LA qui leur manque il n'y a perſonne capable de le leur enſeigner, ſur tout s'il ne parle pas leur langue . Mais revenons à nos Italiens, qui n'aiant point eu de Princes prudents , n'ont point pris ce que les autres ont de bon dans la Diſcipline Militaire ; & n'aiant été contraints par aucune néceſſité , ils ne s'y ſont pas fororez d'eux mêmes , de forte que les voila demeurez l'opprobre du genre hu main . Mais ce n'eſt pas la faute des ; Peuples, il nes'en faut prendre qu'à leurs Princes , qui en ont été aſlez bien cháriez , portant la peine duë à leur ignorance , en perdant láchement leurs Etats & ſans donner la moindre réſolution . marque de réſolution. Voulez vous voir ſi ce que je vous dis eſt vrai ? Regardez combien il y a eu deGuer res en Italie depuis l'expédition de Charles Huit juſqu'à préſent ; & au lieu que les Guerres rendent les Peu ples Braves & leur aquiérent de la réputation ; toutes celles- ci au comra trai , GUERRE, Liv. VII . 447 traire , plus elles ont duré , plus elles ont été cruelles, & plus elles ont fait mépriſer & nos Genéraux & nos Troupes . Il faut bien que cela vien ne de ce que la conduitte ordinaire n'eſt pas bonne, & de ce qu'il ne s'eſt trouvé perſonne qui ait ſû profiter des maniéres nouvelles . Aprés tout, ne croiez pas que jamais les Italiens rétabliſſent leur réputation dans le Métier des Armes , que par laméto de que je vous ai enſeignée , & par le ſecours de ceux d'entre nos Prin ces qui poſſédent des Etats conſidé. rables. Car il eſt aiſé de former ſur le pied que je vous ai dit , des hont mes ſimples , groſſiers , & qui font de vos Sujets ; mais il n'eſt pas aiſé d'y mettre des Fripons , des gensmal diſciplinez & des Ecrangers ; Puiſ qu'il eſt vrai que vous ne trouverez jamais un bon Sculpteur qui puiſſe faire une belle Statuë d'une mauvai ſe ébauche ; mais il en fera fort bien une d'une piéce de marbre toute bru te . 448 DE L'ART DE LA te . Nos Princes Italiens , devant que d'avoir tácé de la Guerre que font les Vltramontains , s'imaginoiene que c'étoit aſlez à un Souverain de ſavoir mettre par écrit une réponſe bien prudente & bien penſée ; faire de belles Lettres ; faire paroitre de l'eſprit & de la vivacité dans de bons mois & dans la converſation ; ſavoir bien conduire une fourberie ; ſe parer de dorure & de pierreries ; étre logez & fe traitrer plus ſplendidement que les autres ; paſſer le tems aux débau ches de la galanterie , gouverner ſes Sujets avec orgueuil & avec avarice; croupir dans l'oiſiveté ; diſtribuer les emplois de la Milice ; inépriſer les gens qui leur voudroient faire pren dre une conduite honnête ; prétendre que leurs paroles fuſſent des répori fes d'Oracles. Mais les malheureux qu'ils étoient , ils ne s'apperceyoient pas que par cette conduite, ils ſe dif pofoient à devenir la proie de ceux qui viendroient les attaquer. De là yint GUERRE , Liv. VII . 449 vint qu'en 1494. les François rempli rent tout d'épouvante , mirent tout en déroute & firent des Conquêtes furprenantes ; & ainſi trois Etats trés puiſſants en Italie ont été bien des fois. faccagez & déſolez: Mais ce qu'il y a de pire en ceci, C'eſt que ce qui reſte de Princes libres vivent dans le même abus & dans les mêmes déſor dres ; وEt ne veulent pas faire réflé . xion ſur ce que ceux qui vouloient autrefois conſerver leurs Etats , pra tiquoient tout ce dont je viens de vous entretenir , mettant toute leur application à s'endurcir le corps à la fatigue, & à ſe mettre le coeur au deſſus de la crainte & du péril : De là vient que Céſar, Aléxandre & tous ces autres grands Princes , fe trou voient en perſonne les armes à la main dans les prémiers rangs , mettoient même pied à terre quoi que chargez d'armes ; & fi quelques- uns avoient le malheur de perdre leurs Etats , ils nevouloient pas ſurvivre à cette in famie . 450 famie . DE L'ART DE LA Ainſi leur vie & leur mort étoient toûjours glorieuſes : Car en core que quelques uns d'entr'eux puiſſent étre accuſez de trop d'am bition , au moins ne pourra -on pas leur reprocher aucune molleffe , ni de s'étre jettez dans les plaiſirs qui rendent les hommes delicats & efté . minez . Si nos Princes liſoient & é toient perſuadez de tout cela , il fe roit impoſſible qu'ils ne changeaſient pas leur train de vie , & que leurs Peuples par conſéquent ne forciffent deleurs miſeres. Mais parce quedés le commencement de ces diſcours, vous vous étes plaints de vos Milices Réglées , je vous dirai que ſi vous les avez miſes ſur le pied que je viens de vous marquer , & que vous n'en aiez pas eu de ſatisfaction , vous a vez juſte ſujet de vous en plaindre; Mais ſi elles ne font pas formées & exercées , comme nous avons dit , c'eſt à elles à fe plaindre de vous, qui n'avez fait qu'un avorton , au - lieu GUERRE, Liv.VII . 451 lieu d'une production parfaite. Les Venitiens aulli, & le Duc de Ferrare avoient commencé ce bon établiſſe . ment , fans avoir le courage de le pouſer juſqu'au bout ; mais c'eſt leur faute , & non pas celle de leurs gens. Pour moi , je ſoutiensque le prémier Prince d'Italie qui pratique ra cette mécode , fera en état plus qu'aucune autre Puiſſancede conqué. rir les autres Etats ; & il arriyera- au ſien , ce qui arriva au Roiaume de Macédoine, lorſqu'il comba entre les mains de Philippe , qui avoit ſi bien appris le Métier des Armes ſous la conduitte d'Epaminondas Général des Thébains ; que pendant que tout le reſte de la Gréce croupiſſoit dans l'oi. ſiveté , paſſant fon cems à aller à la Comédie , ce Monarque devint par cette belle Diſcipline, ſi puiſſant qu'en peu de tems il ſoll mit tout ce beau Pais , & ouvrit le chemin de la Con quête de l'Univers , à ſon Fils Alé xandre le Grand . Tous ceux dont qui 452 DE L'ART DE LA qui négligeront ces avis & ces re. marques que je vous donne , mar queront avoir peu de foin des Etats qui ſeront confiez à leur conduite. Pour moi , je me plains de la Naru re , laquelle ne devoit pas me don ner tant de connoiſſance fans me donner en même tems les moiens de la mettre en uſage. Je ne penſe pas même étant déja vieux , en pouvoir jamais trouver l'occaſion , ainſi je vous ai volontiers communiqué mes penſées là -deſſus , parce que comme vous étes jeunes & qualifiez , ſi vous les approuvez , vous pourrez dans . l'occaſion , les propoſer & les con feiller à vos Princes : Ern'aiez point و d'appréhenſion que cette conjonctu re favorable ne naiſſe pas un jour ; car même il me ſemble que ces Pais ici font deitinez à faire revivre les cholis mortes , comme cela a paru à l'égard de la Poéſie , de la Peinture , & de la Sculpture. Pour ce qui me regarde , je ne me flatte pas de voir ces , GUERRE, Liv.VII. 453 ces tems bien - heureux , vû l'âge ou je ſuis: Mais ſi la Fortune m'avoit donné un Etat aſſez grand pour for mer une telle entrepriſe , j'aurois af ſurément fait voir à toute la Terre , combien l'ordre ancien eſt préféra ble à celui d'aujourd'hui, & j'aurois par là conquis les Etats de mes En nemis avec gloireIN , ou perdu le mien ſans honte . LYON F I N. 1' , 1