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fascicule Oedipe- Covid 19

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Fascicule Oedipe
Un personnage complexe
1. INTRODUCTION
Vidéo : Arte, les grands mythes, épisode 12, Oedipe, le déchiffreur d'énygme, 2016.
Tâche 1 : replace les éléments du mythe « classique » dans l'ordre en t'aidant des
légendes.
Consultation de l'oracle de
Delphes par Laïos sur sa
descendance
n° :
Annonce, à Thèbes, du
meurtre du roi Laïos.
n° :
Retrouvailles accablantes
avec le berger qui avait dû
abandonner Oedipe.
n° :
Abandon de l'enfant non
désiré par un berger sur
ordre de Laïos.
n° :
Oedipe roi de Thèbes et
mariage avec Jocaste.
n° :
Laïos éducateur de
Chrisippe.
n° :
Annonce par la pythie de
Delphes des crimes à venir
d'Oedipe.
n° :
Suicide de Chrisippe et
malédiction.
Résolution par Oedipe de
l'énigme du Sphinx.
n° :
n° :
Oedipe/1
Retour de Laïos à Thèbes et Enquête conduite par
mariage avec Jocaste.
Oedipe pour retrouver le
meurtrier de Laïos.
n° :
n° :
Adoption du jeune enfant par
le couple royal de Corinthe,
qui le nomme Oedipe.
n° :
Thèbes frappé par la peste.
Fuite d'Oedipe et altercation
mortelle, à un carrefour avec
un homme âgé.
n° :
Mort de Polybe, roi de
Corinthe, et révélation à
Oedipe de son adoption.
n° :
Incident lors d'un banquet,
où Oedipe apprend qu''il
n'est pas l'enfant biologique
de Polybe, roi de Corinthe.
n° :
Suicide de Jocaste et automutilation d'Oedipe.
Nouvelle consultation de
l'oracle de Delphes, qui
annonce que l'assassin de
Laïos se cache à Thèbes.
n° :
Mort de Labdakos, roi de
Thèbes
Fuite d'Oedipe, devenu un
Exil de Laïos, encore enfant,
« paria », soutenu par sa fille suite à l'usurpation du trône
Antigone
de Thèbes.
n° :
n° :
n° :
Oedipe/2
2. GENEALOGIE
Replace, sous forme d'arbre généalogique, les liens entre
les personnages suivants (placés par ordre alphabétique.
Parmi eux figure un groupe de personnes, marqués d'une
étoile (*).
*Antigone, Ismène, Polynice, Eteocle* - Créon Jocaste – Labdakos – Laïos – Méropé – Oedipe –
Polybe 3. QUESTIONS POSEES PAR LE FILM
a) Oedipe, le coupable d'abominations ?
b) Oedipe, la victime du destin et de ses oracles ?
=> quelle sont les réactions du personnage face à ces deux extrêmes ?
4 .TRAGEDIE ET TRAGIQUE
« Quel est cet être que la tragédie qualifie de deinos, monstre
incompréhensible et déroutant, à la fois agent et agi, coupable et
innocent, lucide et aveugle, maîtrisant toute la nature par son esprit
industrieux et incapable de se gouverner lui-même ? Quels sont les
rapports de l'homme avec l'acte dont on le voit sur scène délibérer,
prendre l'initiative et porter la responsabilité, mais dont le sens
véritable se situe au-delà de lui et lui échappe, de telle sorte que
c'est moins l'agent qui explique l'acte, mais plutôt l'acte qui, révélant
après coup sa signification authentique, revient sur l'agent, découvre ce qu'il est et a
réellement accompli sans le savoir ?
Jean-Pierre VERNANT, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, p. 24.
a) la définition d'Aristote (vidéo pédagogique de Robin Cauche,
2016)
https://www.youtube.com/watch?v=eRxj0guhpgM
=> Donne l'étymologie du terme « tragédie » et explique les différents éléments de la
définition d'Aristote.
Oedipe/3
b) la tragédie, un événement religieux mais aussi civique
Extraits de « la tragédie grecque » de Jacqueline de Romilly, 1970
Texte 1
Tout d’abord – on l’a dit et redit- la tragédie grecque a sans nul doute une origine
religieuse.
Cette origine était encore fortement sensible dans les représentations de l’Athènes
classique.
Et
celles-ci
relèvent
ouvertement
du
culte
de
Dionysos.
On ne jouait de tragédies qu’aux fêtes de ce dieu. La grande occasion, à l’époque
classique, était la fête des Dionysies urbaines, qui se célébrait au printemps ; mais il y
avait aussi des concours de tragédie à la fête des Lénéennes, qui se déroulait vers la fin
de décembre. La représentation elle-même s’insérait donc dans un ensemble
éminemment religieux ; elle s’accompagnait de processions et de sacrifices. D’autre part,
le théâtre où elle avait lieu, et dont on visite encore aujourd’hui les restes, fut, à diverses
reprises, reconstruit mais c’était toujours le « théâtre de Dionysos », avec un beau siège
de pierre pour le prêtre de Dionysos et un autel du dieu au centre, là où évoluait le chœur.
Ce chœur lui-même, par sa seule présence, évoquait le lyrisme religieux. Et les masques
que portaient choreutes et acteurs font assez facilement penser à des fêtes rituelles de
type
archaïque.
Tout cela trahit une origine liée au culte, et peut assez bien se concilier avec ce que dit
Aristote (Poétique, 1449 a) : selon lui, la tragédie serait née d’improvisations ; elle serait
issue de formes lyriques comme le dithyrambe (qui était un chant choral en l’honneur de
Dionysos) ; elle [la tragédie] serait donc, de même que la comédie, l’élargissement
d’un rite.
Texte 2
Toutefois, lorsque l’on parle d’une fête religieuse, à Athènes, il faut bien se garder
d’imaginer une séparation comme celle que peuvent comporter nos Etats modernes. Car
cette
fête
de
Dionysos
était
également
une
Fête
nationale.
On n’allait pas au théâtre, chez les Grecs, comme on peut y aller de nos jours – en
choisissant son jour et son spectacle, et en assistant à une représentation répétée chaque
jour tout au long de l’année. Il y avait deux fêtes annuelles où se donnaient des tragédies.
Chaque fête comportait un concours, qui durait trois jours et, chaque jour, un auteur,
sélectionné longtemps à l’avance, faisait représenter à la suite, trois tragédies. La
représentation était prévue et organisée par les soins de l’Etat, puisque c’était un des
hauts magistrats de la cité qui devait choisir les poètes et choisir, également, les citoyens
riches chargés de pourvoir à tous les frais. Enfin, le jour de la représentation, tout le
peuple était invité à venir au spectacle : dès l’époque de Périclès, les citoyens pauvres
pouvaient
même
toucher,
à
cet
effet,
une
petite
allocation.
Par suite, ce spectacle revêtait le caractère d’une manifestation nationale. Et le fait
explique à coup sûr certains traits dans l’inspiration même des auteurs de tragédies.
Ceux-ci s’adressaient toujours à un très large public réuni pour une occasion solennelle : il
est normal qu’ils aient cherché à l’atteindre et à l’intéresser. Ils écrivaient donc en citoyens
s’adressant à des citoyens.
=> donne une explication synthétisée des deux passages en gras.
Oedipe/4
5. OEDIPE OU LE DRAME DE LA CONNAISSANCE : « OEDIPE ROI » DE SOPHOCLE
a) Contexte de la vie de Sophocle (497-405)
b) Plan d’Œdipe-Roi (v. 425)
Prologue : le prêtre de Zeus avec des suppliants implore Œdipe d'aider Thèbes en
proie à une pestilence. Créon revient de Delphes où Apollon exige le châtiment du
meurtrier de l'ancien roi Laïos.
Parados : lamentations du Chœur de vieillards sur la cité. Ils demandent la protection
des dieux.
Épisode 1 : malédiction du meurtrier de Laïos par Œdipe. Arrivée du devin Tirésias. Il
refuse de parler. Mais forcé par Œdipe, il divulgue la terrible vérité.
Stasimon 1 : le Chœur annonce le châtiment du coupable.
Épisode 2 : Œdipe accuse Créon de comploter avec l'aide de Tirésias. Jocaste
raconte à Œdipe le meurtre de Laïos : trouble d'Œdipe qui raconte sa propre
aventure. Jocaste le rassure. Laïos est mort frappé par des brigands. On amène le
témoin de cette affaire.
Stasimon 2 : condamnation de la démesure.
Épisode 3 : un messager venant de Corinthe annonce la mort du roi Polybe qu'Œdipe
croyait être son père. Il lui raconte ce qui lui est arrivé vraiment, son arrivée à
Corinthe et le fait qu'il a été confié au roi par un berger thébain. Jocaste qui a compris
rentre dans son palais.
Stasimon 2 : chœur sur l'origine divine d'Œdipe.
Épisode 4 : arrivée d'un vieux serviteur témoin du meurtre de Laïos qui est aussi le
berger dont parlait le messager. Œdipe apprend qui il est.
Stasimon 4 : lamentation sur la fragilité du bonheur humain.
Exodos : récit du suicide de Jocaste et mutilation d'Œdipe. Réflexion d'Œdipe sur son
destin. Il exige ensuite qu'on l'exile. Créon amène ses filles et le convainc de rester.
Lexique :
Parados : chant d’entrée du choeur
Stasimon : chant du chœur qui commente l’action sans participer directement à celle-ci
Episode : passage mettant en scène les personnages qui font avancer l’action
Oedipe/5
c) quelques références
1. Le fléau – la peste. Extrait de « Qu’est-ce qu’un dieu grec » de Pierre Sineux,
professeur d’histoire grecque à l’université de Caen, pp. 122-123
« La colère des dieux et, pour les hommes, la dimension redoutable qu’elle peut prendre,
constituent l’une des composantes du divin en tant que tel et de la perception que les
hommes en ont. Le plus souvent, la colère (mênis) est la conséquence d’une faute
commise par les hommes, volontairement ou involontairement et elle entraîne leur
malheur, mais elle est d’abord une expression de la puissance du dieu grec [...]. D’une
certaine manière, toutes les formes de fléau naturel, que ce soit maladie humaine ou
maladie du bétail, disgrâces de toutes sortes, peuvent être considérées comme la
conséquence d’une faute dont il faut trouver l’origine en s’adressant aux dieux euxmêmes.
2. Oracle et divination. Idem, pp. 111-112.
La volonté des dieux s’exprime soit par des signes, sollicités ou spontanés, soit par la
parole, qui est relayée par celle des prophètes directement inspirés par eux. La divination
repose sur la conviction que les dieux se soucient du sort des hommes et qu’il est possible
d’établir une communication avec eux. Dans tous les cas de figure, il faut prendre en
compte la faillibilité humaine et les risques que la parole des dieux soit mal interprétée. Or,
en dépit de la liberté d’interprétation que les signes envoyés par les dieux autorisent,
ceux-ci ont, pour les Grecs, un caractère éminemment contraignant, et il y a toujours
quelque danger à en ignorer le sens [...].
Pour les affaires dont l’issue est incertaine, les Grecs [y] recourent. Zeus et Apollon sont
les deux divinités qui sont les plus aptes à s’adresser aux hommes et Olympie et Delphes
sont leurs oracles les plus prestigieux [...]. Les oracles assistent les hommes en les aidant
à faire des choix ou en mettant en sceau sur les décisions collectives plutôt qu’en
prédisant le futur [...]. A Delphes [...], le moment central de la consultation est
l’interrogation de la Pythie censée prêter sa voix au dieu qui s’exprimer à travers elle :
c’est une Delphienne nommée à vie qui se fait l’instrument de l’oracle, porte-parole du
dieu au service duquel elle vit, en contact permanent avec lui et habitant dans son
sanctuaire, à l’abri des souillures. Sans compétence ni vocation particulière, la Pythie est
soumise à l’inspiration divine, à l’enthousiasmos (« possession par le dieu ») [...].
3. Tradition et pensée nouvelle dans l’Athènes de Sophocle. Extrait de « une histoire de la
raison », du philosophe François Châtelet.
Un nom reste attaché à cette période, celui de Périclès. On parle de « siècle de Périclès ».
Je rappellerai, ironie de l’histoire, que ce « siècle » a duré trente ans. Mais on a raison de
la qualifier de « siècle », tant il s’est passé de choses en trente ans. Dans l’Athènes
périclèenne, il se produit une véritable accélération de l’histoire. En réalité, il y a deux
forces en présence. En face des sophistes se maintient la vieille tradition religieuse. Pour
ne parler que des aspects culturels, un certains nombre d’aristocrates, qui aiment
Athènes, pensent que la ville s’engage dans une voie dangereuse. A leurs yeux, elle se
livre à une débauche de dépenses et à un impérialisme quelque fois cruel. Elle s’adonne
Oedipe/6
de manière éhontée au commerce et à la recherche du profit. Effectivement, dans cette
démocratie athénienne, le goût de la puissance pour la puissance peut en inquiéter
certains. Celle tradition trouve un écho parmi les grands poètes tragiques. D’une certaine
manière, Eschyle, tout en modernisant la tradition, maintient le flambeau de la vieille
conception du monde où les dieux sont omniprésents et où il faut prendre garde à ne pas
les choquer. Contre cette tradition se développe donc la pensée sophistique [...].
4. Le « mouvement » sophiste, par Claude MOSSÉ, Historienne et spécialiste de la Grèce
antique. Extrait de « le procès de Socrate. Un philosophe victime de la démocratique ? » ,
Paris, André Versaille éditeur, 2012, pp. 51-53/
Le mouvement sophiste apparaît comme un courant qui s'est développé dans la pensée
grecque dans la seconde moitié du Ve siècle. Héritier de la tradition rationaliste des
Ioniens, il allait appliquer à la réflexion sur l'homme et la société la technique du débat
contradictoire, née de l'expérience politique […]. Mais si les sophistes n'avaient été que
des professeurs d'éloquence, ils n'auraient suscité ni autant d'enthousiasme chez les
jeunes ambitieux, ni surtout autant de haines chez leurs adversaires. Il semble bien en
effet que leur enseignement portait atteinte à la tradition, en ce qu'il affirmait le caractère
relatif et purement circonstanciel des règles qui régissaient les sociétés humaines. Cette
affirmation du caractère relatif et de l'origine humaine des lois heurtait la conception
traditionnelle qui attribuait aux dieux l'initiative du nomoi, des lois. Elle rendait du même
coup possible ce qu'on n'aurait pu imaginer et qui relevait du sacrilège : une mise en
question de la nature même des dieux, que certains sophistes allaient jusqu'à présenter
comme des créations de la pensée humaine.
5. « L’hybris » dans la tragédie grecque, présentation par le site « théâtre contemporain »
pour la pièce « Ithaque » de Bortho Strauss
L’ hybris désigne chez les Grecs, la démesure, l’orgueil, traits que les dieux condamnent
chez les humains. Les Grecs lui opposaient la tempérance, ou modération. Dans la Grèce
antique, l’hybris était considérée comme un crime. Elle recouvrait des violations comme
les voies de fait, les agressions sexuelles et le vol de propriété publique ou sacrée.
Dans la mythologie grecque, Hybris est une divinité allégorique personnifiant l’hybris.
Si la religion grecque antique ignore la notion de péché tel que le conçoit le christianisme,
il n’en demeure pas moins que l’hybris constitue la faute fondamentale dans cette
civilisation. On doit la rapprocher de la notion de Moïra (« destin », « part »,
ou « portion »). Le destin, c'est le lot, la part de bonheur ou de malheur, de fortune ou
d'infortune, de vie ou de mort, qui échoit à chacun en fonction de son rang social, de ses
relations avec les dieux et les hommes. Or, l'homme qui commet l’hybris est coupable de
vouloir plus que la part qui lui est attribuée par la moïra. La démesure désigne le fait de
désirer plus que ce que la juste mesure du destin nous a attribué. Le châtiment de l’hybris
est la némésis (« destruction »), le châtiment des dieux qui a pour effet de faire se
rétracter l'individu à l'intérieur des limites qu'il a franchies.
Oedipe/7
d) un extrait : une partie du dialogue entre Œdipe et Thirésias
Convoqué par Œdipe pour qu’il lui révèle le nom du meurtrier le Laïos, le devin Tirésiais,
vieux et aveugle, refuse de lui donner la moindre information, ce qui provoque la colère du
roi.
OEDIPE. - Eh bien soit ! Dans la fureur où je suis, je ne cèlerai rien de ce
que j'entrevois. Sache donc qu'à mes yeux c'est toi qui as tramé le crime,
c'est toi qui l'as commis- à cela près seulement que ton bras n'a pas frappé.
Mais, si tu avais des yeux, je dirais que même cela, c'est toi, c'est toi seul
qui l'as fait.
TIRÉSIAS. - Vraiment? Eh bien, je te somme, moi, de t'en tenir à l'ordre que
tu as proclamé toi-même, et donc de ne plus parler de ce jour à qui que ce
soit, ni à moi, ni à ces gens ; car, sache-le, c'est toi, c'est toi, le criminel qui
souille ce pays !
OEDIPE. - QUOI ? Tu as l'impudence de lâcher pareil mot ! Mais comment
crois-tu donc te dérober ensuite ?
TIRÉSIAS. - Je demeure hors de tes atteintes : en moi vit la force du vrai.
OEDIPE. - Et qui t'aurait appris le vrai? Ce n'est certes pas ton art.
TIRÉSIAS. - C'est toi, puisque tu m'as poussé à parler malgré moi.
OEDIPE. - Et à dire quoi? Répète, que je sache mieux.
TIRÉSIAS. - N'as-tu donc pas compris? Ou bien me tâtes-tu pour me faire
parler ?
OEDIPE. - Pas assez pour dire que J'ai bien saisi. Va, répète encore.
TIRÉSIAS. - Je dis que c'est toi l'assassin cherché.
OEDIPE. - Ah ! Tu ne répéteras pas telles horreurs impunément !
TIRÉSIAS. - Et dois-je encore, pour accroître ta fureur. . .
OEDIPE. - Dis ce que tu voudras, tu parleras pour rien.
TIRÉSIAS. - Eh bien donc, je le dis. Sans le savoir, tu vis dans un
commerce infâme avec les plus proches des tiens, et sans te rendre compte
du degré de misère où tu es parvenu.
OEDIPE. - Et tu t'imagines pouvoir en dire plus sans qu'il t'en coûte rien?
TIRÉSIAS. - Oui, si la vérité garde quelque pouvoir.
OEDIPE. - Ailleurs, mais pas chez toi ! Non, pas chez un aveugle, dont
l'âme et les oreilles sont aussi fermées que les yeux !
TIRÉSIAS. - Mais toi non plus, tu n'es qu'un malheureux, quand tu me
lances des outrages que tous ces gens bientôt te lanceront aussi.
OEDIPE. - Tu ne vis, toi, que de ténèbres : comment donc me pourrais-tu
Oedipe/8
nuire, à moi, comme à quiconque voit la clarté du jour?
TIRÉSIAS. - Non, mon destin n'est pas de tomber sous tes coups : Apollon
n'aurait pas de peine à te les faire payer.
OEDIPE. - Est-ce Créon ou toi qui inventas l'histoire ?
TIRÉSIAS. - Ce n'est pas Créon qui te perd, c'est toi.
OEDIPE. - Ah ! Richesse, couronne, savoir surpassant tous autres savoirs,
vous faites sans doute la vie enviable; mais que de jalousies vous
conservez aussi contre elle chez vous ! S’il est vrai que, pour ce pouvoir,
que Thèbes m'a mis elle-même en main, sans que je l'aie, moi, demandé
jamais, Créon, le loyal Créon, l'ami de toujours, cherche aujourd'hui
sournoisement à me jouer, à me chasser d'ici, et qu'il a pour cela suborné ce
faux prophète, ce grand meneur d'intrigues, ce fourbe charlatan, dont les
yeux sont ouverts au gain, mais tout à fait clos pour son art. Car enfin, dismoi, quand donc as-tu été un devin véridique? Pourquoi, quand l'ignoble
chanteuse était dans nos murs, ne disais-tu pas à ces citoyens le mot qui
les eût sauvés ? Ce n'était pourtant pas le premier venu qui pouvait
résoudre l'énigme : il fallait là l'art d'un devin. Cet art, tu n'as pas montré que
tu l'eusses appris ni des oiseaux ni d'un dieu! Et cependant j'arrive, moi,
Oedipe, ignorant de tout, et c'est moi, moi seul, qui lui ferme la bouche, sans
rien connaître des présages, par ma seule présence d'esprit. Et voilà
l'homme qu'aujourd'hui tu prétends expulser de Thèbes! Déjà tu te vois sans
doute debout auprès du trône de Créon? Cette expulsion là pourrait te
coûter cher, à toi comme à celui qui a mené l'intrigue. Si tu ne me faisais
l'effet d'un bien vieil homme, tu recevrais exactement la leçon due à ta
malice.
LE CORYPHÉE. - Il nous semble bien à nous que, si ses mots étaient dictés
par la colère, il en est de même pour les tiens, Oedipe; et ce n'est pas de
tels propos que nous avons besoin ici. Comment résoudre au mieux l'oracle
d'Apollon! Voilà seulement ce que nous avons à examiner.
e) Œdipe, la perte de repères
Interview de Jean-Pierre Vernant, spécialiste français de la pensée grecque, par La
journaliste Catherine Unger, pour de l’émission « Les grands entretiens », du 2 mai 2002
(Télévision suisse romande)
Catherine Unger : Et Œdipe, celui qui sait, est complètement aveugle pendant toute
cette enquête.
Jean-Pierre Vernant : Non seulement il est aveugle mais il va, avec les crochets, les
agrafes que porte Jocaste se crever les yeux. Pourquoi ? Parce qu’il est devenu tout d’un
coup celui qui était au-dessus de tous la souillure de la ville, il ne pourra plus rester là.
Celui qui savait tout, s’aperçoit qu’il ne sait rien. Et celui qui a deviné l’énigme comprend
qu’il est lui-même cette énigme. Pourquoi ? Parce qu’Œdipe qui est venu à un moment où
il n’aurait pas du venir, qui est a quelque sorte gauchi l’ordre du temps puisque le temps
devait s’arrêter pour la génération des Labdacides, il est venu quand même, voilà le
Oedipe/9
monstre. Pourquoi ? Parce qu’en couchant avec sa mère et en tuant son père, il s’est
identifié à son père. Il est devenu…
Catherine Unger : Le gaucher.
Jean-Pierre Vernant : Il est devenu, lui qui est à deux pieds, parce qu’il est…
Catherine Unger : L’homme.
Jean-Pierre Vernant : Parce qu’il est l’homme adulte, il est devenu celui qui est à trois
pied, c’est-à-dire le vieillard qui s’appuie sur un bâton. Il s’est identifié, il a identifié l’âge
adulte à l’âge de son père. Au lieu de remplacer son père, en le suivant avec les années
correctement, il l’a heurté de front et il a pris sa place jusque dans le giron de sa mère.
Donc, le deux pieds s’identifie au trois pieds. Et même, il s’identifie aux quatre pieds.
Pourquoi ? Parce que ces enfants qu’il a créé, ce sont en même temps ses frères
puisqu’ils sortaient du même giron. Autrement dit, le deux pieds devient identique au trois
et quatre pieds. On brouille toutes les générations humaines et on comprend alors que sa
présence à Thèbes fasse qu’il n’y a plus de saisons, qu’il n’y a plus de rythme temporel où
après l’hiver c’est le printemps, c’est l’été, c’est l’automne. L’été de l’homme, c’est le
moment où il est à deux pieds. L’automne et l’hiver c’est le moment où il est à trois pieds
et le printemps, c’est quand il est à quatre pieds. Il a tout brouillé. Maintenant, il n’y a plus
de saisons Thèbes, c’est la pagaille, c’est le chaos temporel. Il a été cela. Et on voit que
cet homme qui savait tout est aussi énigmatique que l’homme que représente Œdipe. Il
est énigmatique, on ne sait pas ce que nous sommes. Sa faute, il est coupable du crime le
plus grand, de la souillure la plus grande : coucher avec sa mère, tuer son père.
f) deux extraits… pour conclure
1. la notion de Justice divine (« Oedipe-roi », vers 863- 875 et 884 - 894)
Ah ! puissé-je n’avoir qu’une âme d'ingénu !
Puissé-je ne parler et n’agir qu’en vertu
Des lois issues du Ciel, ces lois des Olympiens
Qui ne sont pas le fait de quelque esprit humain,
Qui ne terniront pas, car un dieu les inspire,
Oui, un dieu qui détient le juvénile empire.
L’orgueil fait le tyran, l’orgueil qui est issu
De l’imprudence atteint les cimes les plus hautes
Pour mieux se retrouver ensuite dans le gouffre...
...Celui qui vise haut par le glaive ou la voix,
Qui se rit des autels, qui ne craint pas les lois,
Celui-là connaîtra le pire désarroi !
Oedipe/10
2. l’action de l’homme (« Antigone », vers 334-366)
Parmi tant de splendeurs que la terre a créées,
Il y a l'homme, lui, la merveille du monde !
Il aime à naviguer sur la mer ondoyante ;
Quand, du Sud, une rude tempête se lève,
Il sait se faufiler hors des houles beuglantes ;
Chaque année, il travaille, il retourne la terre,
L'élément souverain, la matrice des dieux ;
Avec son attelage, il creuse les sillons ;
Il capture l’oiseau et les fauves des bois ;
Grâce au mouvant filet il pêche les poissons,
Ô génial inventeur ! Il attire ses proies
Dans ses pièges ; il soumet aussi bien le cou
Du cheval que celui du taureau vigoureux
En usant du collier ; il possède le verbe,
Une répartie vive ; il s'est inventé des lois,
Des coutumes, sans qu'un maître ne les inspire ;
Il sait se protéger et des pluies et du froid.
Génie de l’univers, il ne redoute rien,
Hormis la mort, Hadès, qu'il ne peut éluder,
Bien qu'il sache soigner des blessures profondes ;
Il est intelligent ; sa pensée est féconde ;
Il penche vers le bien autant que vers le mal.
ETYMOLOGIE : épidémie
a) Le mot « épidémie » a deux racines :
•
epi - sur/ qui vient par la suite. Son opposé est « hypo ».
•
demos : partie du territoire appartement à la communauté ; le peuple.
L’étymologie du mot signifie donc « (qui vient/qui s’abat) sur un territoire ».
Oedipe/11
b) Le préfixe « épi » est présent dans d’autres termes. Réponds aux questions.
•
l’épicentre d’un séisme => d’après l’image, comment définir ce terme ?
•
l’épiderme. Comment nomme-t-on son contraire ?
•
un épiphénomène. D’après la citation, donne un
synonyme de ce terme.
"Il est encore impossible de savoir s'il s'agit d'un simple épiphénomène ou d'une véritable
inversion de tendance." (Le Monde 1998
c) pan signifie « tout »
•
Quelle différence majeure le terme « pandémie » apporte-t-il par rapport à
« épidémie » ?
•
si « theos » signifie « le dieu », que trouvait-on au « panthéon » de Rome construit
au Iième siècle PCN ?
•
Recherche quelles divinités on trouve dans celui de Paris ?
•
Comment appelle-t-on le mode de photo qui tente de capter tout le champ visible
(paysage par exemple) ?
Que vise un plan « panoptique » dans une prison ?
Oedipe/12
TEXTES EN PARRALELE
CICERON, De divinatione, II
Cato mirari se aiebat, quod non rideret haruspex cum haruspicem vidisset
Quota enim quaeque res euenit praedicta ab istis? Aut, si euenit quippiam,
quid adferri potest cur non casu id euenerit? Rex Prusias, cum Hannibali
apud eum exsulanti depugnari placeret, negabat se audere quod exta
prohiberent. " Aisne tu?" inquit, " te carunculae vitulinae mauis quam
imperatori ueteri credere?"
Vocabulaire
Cato, Catonis
mirari (infinitif!)
aire, aio
quod
ridere, eo, risi, risum
haruspex, haruspicis
e) Pour conclure : Edouard DELRUELLE, Métamorphoses du sujet, p. 23.
Edouard Delruelle est professeur de philosophie politique à l’Université de Liège.
Oedipe ou la volonté de savoir
Dans son dérèglement et sa démesure, Oedipe ouvre un horizon nouveau qui sera
désormais celui de la pensée occidentale : l’horizon du sujet qui se caractérise par sa
volonté de maîtriser le réel qui l’entoure et le désir passionné de savoir. L’histoire d’Oedipe
résumé ainsi l’invention commune des philosophes et des sophistes : « penser par soimême ». La nouvelle subjectivité se construit, non plus à travers le réseau archaïque des
rites et des traditions, mais à travers la politique, le débat « logique » (logos) et l’exercice
de la raison. Les Athéniens font l’expérience d’une subjectivité qui s’accomplit, non plus à
travers la soumission aux pères et aux dieux, mais à travers un processus que l’on peut
qualifier d’auto-initiatique.
Mais une telle révolution ne vas pas sans risque, prévient Sophocle. Le sujet, libéré de
Oedipe/13
toute soumission aux dieux, détaché de son lien ancestral avec la souveraineté
sacerdotale, sera-t-il encore capable de reconnaître les limites de son pouvoir sur les
choses et sur lui-même ? Sophocle révèle à l’homme qu’il est partagé, dans son désir de
s’affirmer soi-même, entre le devoir de poser lui-même ses propres limites, et la tentation
de s’affranchir de toute limite. Inquiétude éthique, mais également politique. Si les
hommes ont la prétention d’être à la source même des lois, comment éviter qu’elles soient
à la merci de leurs passions et de leurs caprices ? Le droit ne perd-il pas toute assise ? Ne
devient-il pas quelque chose d’irréductiblement arbitraire ?
POUR ALLER PLUS LOIN… ET PARLER D’ACTUALITE
a) La question du « savoir » en politique en temps de pandémie
Dessin de Max Tingelkamp, paru dans LE SOIR du 25-26 septembre 2020
Article 1. L’ECHO du 10 avril 2020,
L’expert, gilet pare-balle du politique.
Par Alain Narinx Newsmanager
Le gouvernement fédéral fait appel à une armée d'experts dans la gestion de la crise du
coronavirus. Il doit faire attention, toutefois, à bien s'entourer. Et à ne pas faire glisser ses
responsabilités politiques sur les épaules de personnes qui n'ont pas été élues.
On ne les compte plus: les "task forces" et les groupes d’experts se multiplient pour gérer
la crise du coronavirus. Rien qu’auprès du gouvernement fédéral, on trouve ainsi le RAG
(Risk Assessment Group), l’ERMG (Economic Risk Management Group), le GEES
(Groupe d'experts en charge de l'exit stratégique) et on en passe… Un point commun:
l’influence des experts auprès des décideurs politiques. Se faire conseiller par des
personnes qui maîtrisent leur sujet – un virologue, par exemple – est évidemment de bon
aloi. C’est ce que la Première ministre Sophie Wilmès appelle, à juste titre, "miser sur
Oedipe/14
l’intelligence collective".
L’appel à des personnalités extérieures cache toutefois un objectif moins avouable: faire
mieux passer des décisions difficiles et se prémunir contre toute critique éventuelle.
"Nous suivons les recommandations des scientifiques" est devenu un leitmotiv commode
de certains politiciens depuis un mois.
Un expert n’est pas forcément "neutre" ou "indépendant". Il a, comme tout individu, ses
propres convictions et ses intérêts.
La raison, c’est la dévalorisation totale du monde politique aux yeux de l’opinion
publique alors que l’expert garde une aura de savant compétent. Bien souvent, un
responsable politique est considéré comme suspect. Il le sait. Il le voit. Il a peur d’assumer
des décisions impopulaires ou de commettre un faux-pas qui l’exposerait à la vindicte.
Ainsi, l’expert est devenu le gilet pare-balle du responsable politique, sa protection
pour sortir "couvert". Quitte à y laisser un peu de pouvoir, quitte à se dédouaner d’une
partie de sa responsabilité.
Personne n'est neutre
Pourtant, un expert n’est pas forcément "neutre" ou "indépendant". Il a, comme tout
individu, ses propres convictions et ses intérêts. Et il aura tendance à analyser la situation
sous le prisme de sa spécialité. Un épidémiologiste va se concentrer sur la lutte contre
l’épidémie. C’est important évidemment, mais ça n’en fait pas une politique de santé
publique.
Exemple: le confinement imposé à la population a un effet positif pour endiguer la
propagation du virus. C’est ce que l’expert épidémiologiste va voir. Mais il ne va peutêtre pas voir – ou en tout cas pas de la même manière – les effets néfastes de ce
confinement sur la santé, qu’ils soient directs (psychologiques, notamment) ou indirects
(la hausse du chômage a aussi des répercussions graves à long-terme sur la santé).
Bien choisir ses experts
Par ailleurs, chaque domaine d’expertise n’est pas exempt de tensions. La connaissance
scientifique n’est pas forcément univoque. Prenez, par exemple, les avis divergents
sur l’utilité ou non du port généralisé du masque. C’est encore plus vrai dans des
disciplines comme l’économie ou les sciences humaines.
Le rôle d’un expert, tout aussi brillant qu’il soit, devrait se limiter à apporter ses
connaissances, à éclairer le politique, à le conseiller, mais pas à prendre les décisions à
sa place.
Des rivalités personnelles peuvent aussi jouer. Sans parler que certains ne se gênent pas
pour s’affubler du titre d’expert dans des matières qui sortent pourtant de leur champ
d’études. C’est pourquoi le choix des experts qui l’entourent n’a, pour un politicien,
rien d’innocent. Il peut orienter durablement la direction d’un pays. Cet acte-là,
éminemment politique, s’effectue pourtant généralement en totale opacité et sans grand
débat.
Ainsi, le scénario qui sera finalement retenu pour une sortie du confinement ne revêt pas
uniquement un aspect scientifique. Le choix, qui dépend de considérations sanitaires,
mais aussi sociales et économiques, est en partie au moins idéologique, donc politique.
Ce n’est pas aux experts de trancher. Le rôle d’un expert, tout aussi brillant qu’il soit,
devrait se limiter à apporter ses connaissances, à éclairer le politique, à le conseiller, mais
Oedipe/15
pas à prendre les décisions à sa place. Ni à assumer les choix devant les citoyens.
Article 2. LE SOIR, 28 juillet 2020, p. 6
Des ministres au langage outrancier et liberticide sur fond de crise sanitaire
Carte blanche.
Attaques subtiles, phrases assassines, réponses détournées : la cohabitation des
politiques avec les experts scientifiques sur la scène médiatique n’est pas aisée.
Une commission spéciale se prépare à examiner les dysfonctionnements dans la gestion
de la crise qui a touché notre pays, du moins au cours de la première vague. Nombre
d’observateurs soulignent la place importante prise par des experts scientifiques et des
professionnels de santé, très sollicités par les politiques et les médias, au point d’en faire
parfois de véritables dieux. Osons espérer que cette commission évoquera aussi les
difficultés qu’ont progressivement eues ces mondes
à se côtoyer : attaques subtiles en conférence de presse, phrases assassines sur les
réseaux sociaux, réponses détournées dans la presse, (menaces de) démission, etc. Des
tensions palpables dans lesquelles ni l’élégance ni l’intelligence ne sont toujours palpables
dans le chef de nos gouvernants. Cerise sur le gâteau d’un gouvernement minoritaire, ce
sont principalement des ministres – parfois président – qui se sont illustrés dans ce triste
exercice ! Morceaux choisis…
Le 28 février, Marc Wathelet tente d’alerter les Autorités quant au danger qui approche.
Alors qu’elle a manifestement du mal à évaluer et à gérer les événements, Maggie De
Block traite le virologue de « drama queen » dans un tweet assassin. Quelque temps plus
tard, c’est à la Chambre qu’elle prie les médecins généralistes « d’arrêter de pleurnicher »,
ce qui lui vaudra une plainte à l’Ordre des médecins.
Le 22 mars, Philippe De Backer est appelé en renfort et se voit confier la tutelle de la task
force en charge de la gestion des dispositifs médicaux et des médicaments. Critiqué par
les biologistes cliniques pour sa gestion des tests de laboratoire et son manque de
concertation avec les spécialistes, il accuse les laboratoires, lors de la commission santé
du 7 juillet marquée par
un climat de suspicion de conflits d’intérêts, de ne « pas être non-profit », suggérant même
que certains préfèrent utiliser des tests bon marché peu performants que des tests de
qualité plus coûteux. Une accusation gratuite qui choque toute la profession.
En avril, le gouvernement fédéral a l’étrange idée de confier à la Défense la commande de
masques en tissu pour la population belge. S’en suit un rocambolesque feuilleton mêlant
société boîte aux lettres, retards de livraison, changements de critères en cours de
procédure, utilisation non autorisée de labels de qualité, le tout en contradiction avec les
recommandations claires formulées par les experts de Sciensano et du Conseil supérieur
de la santé. Parmi diverses péripéties, le changement
miraculeux des indications de lavage de 60 à 30 ºC sera interprété comme une injure à la
science et un mépris flagrant de l’avis des scientifiques, évoquant a minima une
Oedipe/16
incompétence des gestionnaires du dossier. Le ministre Philippe Goffin s’explique alors
avec des arguments pour le moins légers, évoquant « de l’intox et des mensonges distillés
dans la presse » !
Le 16 mai, le personnel soignant du CHU Saint-Pierre tourne le dos à la Première ministre
lors d’une visite non officielle. MarieChristine Marghem, pourtant nullement impliquée dans
la crise, perd son sang-froid, qualifie la manifestation de « ridicule et politisée » et
compare les soignants à « des enfants qui n’ont pas ce qu’ils veulent », suscitant la colère
des blouses blanches et même un recadrage public par son président.
« Ambiance malsaine »
Le 24 juillet, après la conférence de presse de la Première Sophie Wilmès faisant suite à
la réunion du Conseil national de sécurité (CNS), des critiques se font entendre. D’aucuns
regrettent l’arrivée tardive de certaines décisions telles que l’obligation du masque
(réclamée depuis mars par le Collège de médecine générale) et la mollesse d’autres
mesures, en particulier le maintien de la bulle de contact à 15 personnes alors que la
majorité des experts réclame sa réduction à 10.
Interrogé sur le plateau de VTM, le président Jan Jambon déclare qu’Erika Vlieghe,
présidente du GEES, partage son souhait d’un maintien à 15. Furieuse, l’infectiologue
dénonce une « ambiance malsaine » au sein du CNS, ainsi que des tentatives de
manipulation et de déformation de ses propos. Elle menace de démissionner mais se
contente finalement de ne plus participer aux futures réunions du CNS.
Ce n’est pas neuf, les hommes et femmes politiques apprécient peu les scientifiques dont
la liberté d’esprit s’oppose aux lignes de pensée dogmatiques des partis. En situation de
crise, leur communication tend à se radicaliser et les élémentaires formules de respect et
de politesse laissent place aux punchlines . A l’instar de Trump ou de Bolsonaro, les
politiciens belges recourent de plus en plus aux réseaux sociaux dont le format favorise
les raccourcis et les déclarations à l’emporte-pièce. L’espace que leur concèdent par
ailleurs certains médias avides de controverses constitue une autre opportunité de toucher
un électorat potentiel avec des déclarations parfois non fondées.
Si ces pratiques font désormais partie du jeu quotidien des élus, nous regrettons vivement
que nos ministres, élites politiques supposées d’un pays soumis à des tensions de
gouvernance sans cesse grandissantes, adoptent ce genre d’attitude à l’égard des
scientifiques mais aussi des professionnels de santé. Parmi les enseignements que
l’analyse de cette crise apportera, l’évolution de la culture politique et de l’attitude de ses
représentants à l’égard de la société civile, pourrait constituer un
chapitre essentiel.
(1) Frédéric Cotton (professeur à l’Université Libre de Bruxelles), Alda Dalla Valle
(présidente de la Fédération nationale des infirmières de Belgique), Jean Nève
(professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles et président du Conseil supérieur de
la santé), Thomas Orban (président de la Société scientifique de médecine générale)
Article 3. SUD PRESSE, 30 juillet 2020
Oedipe/17
Dans les coulisses du conseil national de Sécurité
Françoise de Halleux
Le CNS, trois lettres qui dictent désormais notre quotidien et qui nous privent d’une
grande part de nos libertés. Mais comment fonctionne cet organe créé à l’occasion des
attentats islamiques ? Qui sont les vrais décideurs : Wilmès ? Van Ranst ? Les
Flamands ? Les Wallons ? Quelle est l’ambiance dans ces réunions à huis clos ? Plongée
dans les coulisses du Conseil national de sécurité.
Pas comparable à un débat TV !
Parlons d’abord des lieux. Le CNS se réunit au palais d’Egmont, place du Petit Sablon,
dans la salle de conférences « Europe ». Une salle surdimensionnée puisque le CNS ne
réunit qu’une vingtaine de personnes pour 400 places disponibles ! Tant mieux : cela
permet de garder ses distances et de laisser deux sièges vides entre chaque personne.
Sophie Wilmès, Première ministre, occupe une place centrale : c’est elle qui préside la
réunion (qui la convoque et en fixe l’ordre du jour). À droite, son vice-Premier Alexander
De Croo et à gauche, un conseiller de son cabinet. Une fois assis, ministres et experts
retirent le masque et peuvent commencer à parler, tout en grignotant sur leur pupitre
quelques viennoiseries (pour le petit-déjeuner) ou sandwiches dago, américain ou poulet
curry (à midi).
Les experts parlent en premier pour exposer la situation épidémiologique en chiffres et
font ensuite leurs recommandations. Les ministres ne découvrent pas l’info en direct : ils
ont reçu, la veille, le rapport des experts sur environ 10 pages. C’est Erika Vlieghe,
présidente du Gees, qui participait jusqu’ici au CNS mais suite au clash survenu avec
Jambon, c’est le virologue Marc Van Ranst qui endosse désormais ce rôle de porte-parole
des experts. Les politiques le bombardent de questions, ils le « challengent » en quelque
sorte. Cela ne se fait pas dans la cacophonie. « On doit demander la parole à la Première
ministre », nous dit l’un des participants. « L’idée est d’interroger les experts, pas de
s’interpeller l’un l’autre. Les réunions du CNS sont de vraies réunions de travail, qui sont
loin de ressembler à des débats TV ! », ajoute un autre. Entre politiques, on s’appelle par
son prénom. Sophie donne la parole à Maggie ou à Elio. Mais Sophie Wilmès donne la
parole à « M. Van Ranst ». Les « camps » ne se mélangent pas. Les plus causants ? « Ce
sont les ministres-présidents que l’on entend le plus », nous dit-on. Jan Jambon serait
néanmoins le moins bavard de ceux-là et côté fédéral, Maggie De Block s’exprimerait
beaucoup.
À côté de l’expert santé, dont le rôle est de donner un avis aux politiques, siègent aussi au
CNS de hauts responsables de services administratifs. Comme les boss de la police
fédérale et du SPF Santé, qui interviennent davantage sur la praticabilité des mesures,
leur mise en œuvre sur le terrain.
Wilmès fait le job
« Cela reste un lieu de débat mais on remarque une volonté de chacun, autour de la table,
de rester dans le principe d’union sacrée », nous dit-on. Les décisions sont prises par
consensus et les experts restent dans la salle jusqu’à la décision finale : il n’y a donc pas
de vote mais un débat, une négociation qui aboutit à un accord sur un dénominateur
Oedipe/18
commun. Et c’est là que Sophie Wilmès joue son job de Première ministre : amener tout le
monde à un accord. Et quand il le faut, elle donne du poing sur la table.
Comme lors du dernier CNS où elle a de suite demandé à tous de suivre les
recommandations des experts (avec la fameuse bulle de 5 imposées à tout le pays). Elle
ne voulait plus que des experts affichent leurs dissensions dans la presse, avec le risque
que cette fêlure n’entraîne la non-adhésion du public aux mesures. « C’est un exercice
difficile », commente le politologue de l’ULB, Pascal Delwit. « Il ne faut pas être juste le
petit notaire, il faut aussi exprimer une certaine autorité. Et parvenir au consensus est très
important car, si l’on observe des divergences au sein du CNS, ça affaiblit la décision
finale et affecte la légitimité des mesures. » Pas simple ! Les experts santé n’ont d’yeux
que pour l’épidémie tandis que les politiques doivent veiller au reste : l’impact
économique, social, humain… « Même s’il y a consensus, on ne sort jamais enchantés de
ces réunions ! », nous dit-on.
Françoise De Halleux
Article 4. LA LIBRE BELGIQUE, 21 août 2020, p. 5. Article d’Antoine Clevers.
Les politiques font profil bas devant les experts : “Si ça foire, ce sera de leur
faute.”
Un incident minime. Presque anecdotique. Il n’y a pas eu d’invectives, jeudi, entre experts
et politiques lors de la réunion du Conseil national de sécurité (CNS). Mais on retiendra
que Denis Ducarme (MR), ministre fédéral des Indépendants, a demandé sur un ton incisif
à l’infectiologue Erika Vlieghe de recevoir les acteurs du monde culturel non subventionné,
aux abois depuis des mois, pour écouter leurs doléances. Cette dernière lui a répondu
qu’elle n’avait pas le temps pour cela. La Première ministre Sophie Wilmès (MR) a joué
les arbitres et a fait remarquer que Mme Vlieghe ne représente pas à elle seule la Celeval,
la cellule d’évaluation qui conseille les autorités sur la pandémie de coronavirus.
L’infectiologue et le ministre Ducarme se sont parlé après le CNS1. Ils se sont mis d’accord
pour recevoir ensemble les acteurs culturels.
1 Conseil national de Sécurité, organe interfédéral chargé de prendre les décisions politiques pour lutter contre la
pandémie.
Oedipe/19
Pour le reste, le ton est resté cordial. Depuis quatre semaines, les politiques ont décidé de
faire profil bas devant les experts. “Comme ça, si ça foire, ce sera de leur faute” , lance un
membre du Conseil national de sécurité.
Pour comprendre le raisonnement des politiques, il faut remonter au CNS du 23 juillet. Ce
jour-là, la Première ministre annonce que la bulle des contacts rapprochés est maintenue
à 15 personnes. Les experts de la Celeval avaient préconisé de passer à 10 pour enrayer
l’accroissement de la propagation du virus. Dans la foulée du CNS, des experts crient au
loup. Parmi eux, Erika Vlieghe et le virologue Marc Van Ranst, “le Donald Trump du Covid”
, comme l’appelle un ministre.
Pendant trois jours, les attaques fusent. Si bien qu’un CNS est convoqué en urgence le 27
juillet. Dans l’intervalle, la Celeval a remis un nouveau rapport. Elle préconise de passer
d’une bulle de 15 à 5 personnes (et non plus 10). Cette fois, elle sera entendue.
Durant la conférence de presse du 27 juillet, la Première ministre précise que le CNS a
scrupuleusement suivi les recommandations des experts. Le message subliminal est le
suivant : si les contaminations rebondissent, il faudra s’en prendre aux experts, pas aux
politiques. Le CNS, qui réunit les représentants des gouvernements fédéral et des entités
fédérées (en plus d’experts), est resté sur la même ligne, jeudi. “On a discuté pendant une
heure de la bulle des 5, alors qu’on savait qu’on n’allait pas y toucher” , glisse un membre
du CNS […].
Coronavirus en Belgique : Qui fait quoi? Qui décide quoi?
2
CELEVAL : depuis fin août, il s’agit du principal organe d’expertise pour préparer ou
évaluer les mesures prises par le gouvernement. Présidé par un haut fonctionnaire du
ministère de la Santé, il comprend des virologues des épidémiologistes mais également
d’autres personnalités du monde universitaire ou de la société (secteur événementiel p.
ex.). Il comprend également des représentants des autres organes (Centre de Crise,
comité en charge du Tracing etc.). Il évalue également la situation dans les autres pays
pour conseiller le ministère des affaires étrangères sur les « codes couleurs » à attribuer
aux régions étrangères.
LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ (CNS) : Présidé par la première ministre,
assistée des ministres fédéraux, ce comité existait avant la pandémie (il s’est occupé, par
exemple, de la sécurité nationale lors de la vague d’attentats en 2015).Il est chargé de
coordonner les différentes entités de pouvoir de notre pays (régions, communautés voire
provinces) pour définir une politique cohérente. Les délibérations se prennent par
2 Synthèse réalisée grâce à un article publié sur RTBF.be, le 4 août 2020.
Oedipe/20
consensus. Des experts peuvent y être invités.
Le GEES (Groupe d’experts en charge de l’exit strategy) :Crée en avril 2020 pour
conseiller le monde politique en termes de stratégie de déconfinement, cet organe
comprend des experts dans le domaine médical, juridique, social, économique ou
budgétaire. Il rédige des rapports pour fournir une base aux décisions du Conseil national
de sécurité (port du masque, bulles sociales etc.). Il a été remplacé au mois d’août par le
CELEVAL, dans une approche davantage centrée sur la gestion de risques.
SCIENSANO : Organe né de la fusion de différentes institutions traitant de la santé
publique, Sciensano recueille, traite et publie les données relatives au COVID 19 en
Belgique : nombre de cas, hospitalisations, tests, décès, progression ou ralentissement de
l’épidémie etc.). Depuis la mi-mars 2020, deux représentants de Sciensano participent à
de fréquentes conférences de presse pour commenter l’évolution du virus en Belgique.
COMITÉ DE CONCERTATION : Crée lors de la réforme de l’état de 1980, cet organe
réunit des représentants du gouvernement fédéral et les représentants des entités
fédérées (régions p. ex) afin de prévenir les éventuels conflits entre les institutions du
royaume. Durant la crise du Covid-19, afin de prendre des décisions entre deux réunions
du CNS ou de préparer les réunions de ce dernier.
CENTRE DE CRISE : Organe crée en 1986 et dépendant du ministère de l’Intérieur, il
représente une structure permanente pour gérer les crises en Belgique. Ses domaines
d’actions sont variés (transport, événements publics, terrorisme etc.), tout comme ses
missions : alerte, surveillance, infrastructures pour gérer les crises etc.).
Quelques disciplines sous la loupe
Oedipe/21
Oedipe/22
PISTE DE REFLEXION
Covid-19 : science, politique et société font-elles bon ménage ?
La Librfe Belgique. Publié le 27-05-20 à 09h23 - Mis à jour le 27-05-20 à 14h45
Une opinion de Maria Martin de Almagro,
professeure en sciences politiques à
l'université de Montréal et collaboratrice
scientifique au Centre de recherche et
d'études en politique internationale (Repi)
de l'ULB.
La science ne peut pas être un alibi pris
par les politiques qui doivent prendre une
décision difficile. Des courants d’extrême
droite pourraient en profiter et rassembler
autour du slogan "Marre des scientifiques,
des intellos et des technocrates !"
Alors que l’Europe commence doucement à déconfiner, beaucoup de pays, comme la
Belgique, l’Espagne et l’Allemagne, doivent faire face à des manifestations hostiles aux
mesures de confinement imposées pendant la crise de la Covid-19, similaires à celles déjà
survenues en avril aux États-Unis. Les pancartes, les slogans entonnés et les interviews
nous font penser que ces manifestations anti-confinement sont majoritairement le fait de
groupes hétérogènes d’extrémistes de droite promouvant l’idée que la maladie n’existe
pas, d’opposants aux vaccins, de complotistes qui argumentent que le virus a été propagé
pour dissimuler les effets nocifs de la 5G sur la santé et plus généralement de ceux qui
croient que la limitation des libertés suppose un danger beaucoup plus élevé qu’une
maladie respiratoire. Ces manifestants ont au moins une chose en commun : ils ne croient
pas ou plus à la science, ils en ont marre des scientifiques, des intellos et des
technocrates.
Dans l’ère de la post-vérité, de la désinformation et des théories du complot propagées à
travers les réseaux sociaux à une vitesse fulgurante, ceci n’a rien d’étonnant.
La politique fait appel à la science
Et pourtant, la bonne nouvelle est qu’il semblerait que nos plateaux de télévision et nos
leaders politiques fassent de nouveau appel à la science, et s’accompagnent pour leurs
conférences de presse quotidiennes des épidémiologistes, immunologues et autres
professionnels scientifiques. En Belgique, nous connaissons désormais tous des figures
comme Emmanuel André ou Marius Gilbert. En Espagne, Fernando Simon,
l’épidémiologiste qui dirige le Centre de coordination pour les alertes sanitaires et les
urgences du ministère de la Santé, est devenu une figure respectée du public par son
approche didactique et ses airs humbles. Il en va de même de Horacio Arruda, le directeur
national de santé publique du Québec. Les gouvernements qui ont dû prendre des
mesures souvent controversées et impopulaires l’ont fait "en suivant les conseils des
scientifiques" ou ont fait marche arrière sur d’autres mesures "parce que la science a
changé d’avis elle-même".
Oedipe/23
Un concept en constante évolution
.
En tant que chercheure, je suis bien heureuse de savoir qu’il y a un regain de la place des
données et des analyses scientifiques dans la prise de décision politique. L’intégration du
savoir scientifique dans la sphère politique améliore la qualité du débat et nous amène à
des résultats meilleurs et moins coûteux pour la société. Il nous aura fallu une pandémie !
Cependant, la relation entre science, politique et société est infiniment plus complexe que
ce que l’on peut croire.
En premier lieu, réfléchissons au concept de "la science". Il est très rare qu’il y ait une
seule réponse scientifique à un problème, et la base de l’avancement de la science,
surtout dans le cas de nouveaux phénomènes sociaux, ou de nouvelles maladies, se fait à
partir des débats entre différentes équipes scientifiques qui comparent et contrastent des
données de plus en plus détaillées et des modèles de plus en plus précis. "La science" est
en constante évolution et les scientifiques eux-mêmes ont été les premiers à avouer leur
ignorance et à appeler à la prudence sur les dernières découvertes.
La décision finale est politique
En deuxième lieu, ce que les politiciens privilégient dans leur prise de décisions est le
résultat des choix politiques, et non scientifiques ; c’est-à-dire d’un mélange de désir de
popularité, de réélection, de valeurs et de préférences éthiques, économiques et
sociétales. Les scientifiques informent les décideurs politiques à partir des questions que
ces derniers leurs posent : Devons-nous privilégier la santé physique des aînés ou la
santé mentale des enfants quand nous évaluons la possibilité de réouverture des écoles ?
Devons-nous privilégier le tourisme et procéder à la réouverture des frontières et des
musées, quitte à devoir reconfiner à la fin de la période estivale ? Les scientifiques
donneront des estimations et des modèles qui simulent les conséquences de l’une ou
l’autre décision. Cependant, la décision finale doit être prise par les leaders politiques qui,
d’ailleurs, privilégient souvent le type de science qui confirme leurs préférences et
croyances, et qui peut justifier leur intervention souhaitée, tout en (se) rassurant que,
finalement, ils n’ont fait que "suivre les conseils scientifiques". Blâmer les épidémiologistes
parce que la Covid-19 est bel et bien encore là malgré les mesures de confinement serait
comme blâmer les climatologues pour le réchauffement de la planète ou les biologistes
pour la disparition de certaines espèces !
Il est certain qu’il faut que les citoyens soient plus ou moins d’accord et qu’ils aient
confiance en leurs leaders politiques pour que les mesures de confinement et de
distanciation sociale soient efficaces. Si les gens n’y croient pas, ils auront tendance à ne
pas les respecter. C’est précisément pour cette raison aussi qu’il ne faut pas oublier que
l’opinion que la société a sur la science et sur les données et modèles scientifiques
dépend en grande mesure de la manière dont la science et les faits sont présentés par les
leaders politiques et leurs consignes officielles. En d’autres mots, si la science est utilisée
pour évacuer la responsabilité politique quand les décisions prises sont difficiles ou
qu’elles sont remises en question par la population, il ne sera pas étonnant que des
courants politiques d’extrême droite y trouvent un terreau fertile pour s’attaquer aux
sciences et aux faits. Prendre la science pour alibi est alarmant non seulement parce qu’ici
cela risque d’écraser des systèmes de santé déjà débordés, mais aussi parce que, dans
un contexte plus large, ces procédés renforcent l’érosion des valeurs, droits et libertés de
nos démocraties occidentales.
Titre et chapô sont de la rédaction. Titre original : "Science, politique et société font-elles
bon ménage dans les temps de la Covid-19 ?"
Oedipe/24
6. QUESTIONS POTENTIELLES
1) Donnez et expliquez les trois grands axes de la société dans le système théologicopolitique, en vigueur en Grèce jusqu’au Vième s. ACN
2) Comment, dans le mythe, Cadmos représente-t-il le respect de ce système ?
3) Citez et expliquez comme Oedipe, chez Sophocle, bafoue chacun de ces trois axes.
4) Expliquez pourquoi on peut qualifier la tragédie de « manifestation nationale » (3 ex.) ?
5) Expliquez pourquoi la tragédie est, historiquement, l’élargissement d’un rite ?
6) A quel moment du mythe débute la pièce « Oedipe roi » ?
7) Quel est l’objet du conflit entre Oedipe et Thirésias après l’annonce de l’oracle sur la
peste qui sévit à Thèbes ? Quels sont les arguments d’Oedipe face au devin ?
8) Que signifie la peste dans le cadre des mythes ?
9) A quel moments charnières de l’histoire d’Athènes vient se placer la vie de Sophocle ?
10) Quelles « ruptures » la cité d’Athènes doit-elle affronter au moment où « Oedipe Roi »
est jouée (vers 425) ?
•
•
politiquement
culturellement
11) Quels sont les deux thèmes analysés au fil de notre réflexion sur Oedipe Roi ?
12) En quoi Oedipe représente-t-il un double échec en tant que personnage sur ces deux
thèmes ?
13) Quels avertissements l’auteur veut-il lancer à sa cité en la matière ?
14) Cependant, Sophocle exprime aussi, à travers Oedipe, des espoirs ? Lesquels ?
15) En quoi le personnage d’Oedipe est-il un héros éthique ? Donnez un exemple.
7. ETYMOLOGIE : le nom d’OEDIPE
Le nom d’Oedipe (« Oedipous » en grec) signifie « pieds enflés ». En effet, « pous,
podos » signifie « le pied » et « oidéo », « être enflé ».
Avec ces deux racines, pourras-tu répondre aux questions suivantes ?
a) De quoi souffre quelqu’un hospitalisé pour un oedème pulmonaire ?
Oedipe/25
b) A quoi peut servir un podomètre lorsqu’on pratique la
randonnée ?
c) Si lors d’un voyage en Italie, tu rencontrais le panneau ci-contre,
que serait-il conseillé de faire ?
8. CULTURE : DEMOCRATIE ET EXPERTS EN GRECE3
On l’a dit et répété : les démocraties contemporaines ont
pour lointaine et glorieuse ancêtre la démocratie
athénienne qui, la première, a établi l’égalité entre les
citoyens et les a conviés aux délibérations politiques.
Bien sûr, pendant ce temps, des esclaves étaient
chargés des tâches quotidiennes dans la cité. Il y avait
donc les hommes libres d’un côté, et les esclaves de
l’autre. Mais tout était-il si simple ? C’est la question sur
laquelle se penche Paulin Ismard dans cette étude qui,
non seulement enrichit notre connaissance de la Grèce
antique, mais projette également un éclairage sur les
pratiques politiques plus modernes. Il apparaît en effet
qu’une catégorie intermédiaire d’individus (plusieurs
milliers) occupait, à Athènes, une place particulière dans
la cité : c’étaient les dêmosioi, ou esclaves publics. Leur
apparition résulte à la fois de la mise en place de l’esclavage marchand et de la
démocratie. Leurs fonctions étaient variées et loin d’être subalternes puisque certains
pouvaient être archivistes, prêtres, huissiers ou même responsables de l’authenticité de la
monnaie circulant à Athènes. Ils étaient bien les esclaves de la cité, et non ceux de l’état.
Ils n’étaient pas des travailleurs sous les ordres du peuple mais des spécialistes « plaçant
leur habileté ou leur talent au service du public ».
La gestion des affaires publiques est aujourd’hui souvent considérée comme exigeant des
compétences propres, celles de politiques et d’experts, ces derniers étant issus des
citoyens. Les anciens Grecs, eux, voyaient les choses différemment. Afin d’éviter que ces
compétences administratives et techniques puissent servir à instaurer le pouvoir de
certains, ils les ont soigneusement séparées du politique en les confiant à des noncitoyens. Qui plus est, ces dêmosioi étaient moins susceptibles d’être corrompus. Le «
miracle grec », lit-on parfois, reposait sur l’esclavage, et c’est un trait qu’il faut garder à
l’esprit. Les dêmosioi occupaient en effet une place particulière, « celle du tiers exclu,
garant de l’ordre public ». « Qu’ils vérifient les monnaies en circulation, qu’ils assurent
l’ordre dans la cité, contrôlent les dépenses des magistrats en campagne ou veillent dans
le metrôon sur les archives civiques, ces esclaves, placés au service de la cité, étaient le
dépositaires de la liberté commune. »
Même le moins mauvais des régimes politiques possède sa part d’ombre, hier comme
aujourd’hui.
9. LA QUESTION DE L’ETHIQUE
3Magazine Sciences Humaines, La démocratie contre les experts, n°271, juin 2015. Article de Th. Jobart.
Oedipe/26
Nous avons vu qu’Oedipe était un personnage qui exprimait les inquiétudes à la fois
éthiques et politiques de son auteur : l’homme peut-il s’affranchir de toute limites, lorsque,
dans le cadre de la Cité, il peut lui-même déterminer la loi, en toute autonomie ? Oedipe
tend à s’affranchir des règles morales qui paraissaient aller de soi (le recours aux oracles,
mais la soumission au destin) pour éviter les abominations. Cependant, sa confiance
aveugle en son savoir devait le mener à un échec terrible. Néanmoins, il a fait une choix
de valeurs (éviter l’abomination mais tenter de se dérober aux injonctions des oracles),
c’est pour cette raison qu’il est un personnage éthique.
Dans le cadre de la pandémie du COVID-19, les questions éthiques sont également
présentes : santé publique, libertés, droits fondamentaux, relation aux autres, question de
la mort, relation vie et santé… Dans un sondage publié le 14 octobre 2020, un belge sur
deux se dit inquiet pour ses droits fondamentaux (liberté de circuler et droit à une
information de qualité en tête4).
Une émission autour de la réflexion éthique5
Une émission radio, diffusée sur la Première le 31 août 2020,
aborde ces questions sous un titre un déroutant : « c’est le propre
des situations éthiques de sacrifier les valeurs auxquelles on
tient ». Deux intervenants seront entendus : Jean-Michel
Longneaux, philosophe, rédacteur en chef de la revue Ethica
Clinica6, et François-Xavier Polis, psychiatre.
Nous allons la visionner puis répondre à quelques questions ouvertes. Celles-ci seront
destinées à préparer un texte argumentatif avec, comme thème, le titre de l’émission.
Questions de réflexion (00:00 – 13:00 ; 28:00 – 41:00)
1 . Pourquoi la situation vécue par notre société lors de la crise sanitaire est-elle éthique ?
2. Pourquoi la situation est-elle déroutante au niveau des valeurs ?
3. En quoi le débat éthique a-t-il été évacué des mesures sanitaires ?
4. En quoi le recours aux experts a-t-il joué un rôle dans ce débat ?
5. Quelles étapes faut-il traverser pour envisager l’avenir de manière éthique ?
6. Quels « récits » concurrents sont déjà présents pour expliquer la crise ?
4 Le Soir en ligne du 14 octobre 2020. https://www.lesoir.be/331412/article/2020-10-14/coronavirus-un-belgefrancophone-sur-deux-inquiet-des-consequences-sur-ses
5https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_tendances-premiere/accueil/article_covid-19-c-est-lepropre-des-situations-ethiques-de-devoir-sacrifier-des-valeurs-auxquelles-on-tient?
id=10572830&programId=11090
6 Cette revue est le périodique de la Fédération d’aide, d’accompagnement, d’aide et de soin aux personnes. Celle-ci
regroupe plusieurs associations hospitalières et de soins. Elle est issue du courant de soins d’obédience chrétienne.
Oedipe/27
POUR FINIR : L’INCONTOURNABLE « COMPLEXE D’OEDIPE »
1. PRESENTATION
https://www.youtube.com/watch?v=tJwgbmar8Xk
Chaîne « micro-philo », du professeur de
philosophie G . Lequien, 2017.
µ
=> Questions ouvertes finales :
1. Les désirs sont-ils tous déterminés dès l’enfance ?
2. Le complexe d’Oedipe est-il universel ?
3. Le complexe d’Oedipe existe-t-il dans toutes les familles ?
Sigmund Freud (Freiberg, Autriche, 1856 – Londres, GB, 1939)
2. LE TEXTE : UN EXTRAIT DE « ANTI-MANUEL DE PHILOSOPHIE », pp.
Cet anti-manuel (éditions Bréal, 2001) est l’oeuvre du philospophe français Michel Onfray
(1959). Nous allons en lire un extrait selon la technique de « l’arpentage ».
=> Quelques concepts à définir ou baliser ensemble :
a) le complexe d’Oedipe
b) l’inconscient
c) le refoulé/le refoulement
d) la sexualité infantile
e) une pulsion
Oedipe/28
3. UN SCHEMA DE LA VISION FREUDIENNE
4. SA CRITIQUE PAR MICHEL ONFRAY
Extrait d’une conférence de sa « contre-histoire » de la philosophie, 2010
https://www.youtube.com/watch?v=rCY9RUubs1U
Oedipe/29
a) M. Onfray commence par énoncer sa thèse : considère-t-il le complexe d’Oedipe
comme faux ?
b) Il expose ensuite comment ce complexe est issu de l’histoire personnelle de Simund
Freud, principalement d’un épisode de son enfance raconté dans une lettre de 1897 à son
ami et disciple Wilhem Fleiss (1858-1928) : qu’en est-il ?
c) En quoi l’usage du latin serait-il significatif chez Freud ?
d) Comment passe-t-on de l’expérience personnelle de Freud à une théorie universelle ?
e) En quoi le « mythe scientifique » de la « horde primitive » sert-il à Freud à appuyer sa
théorie du complexe d’Oedipe dans son livre « Totem et tabou » (1913) ?
f) Comment ce mythe est-il , selon lui, à l’origine de la morale ?
g) La phylogenèse est le procédé de succession (d’espèces ou d’individus) qui
reproduisent les mêmes caractéristiques (sans évolution) : en quoi ce concept intervient-il
dans le contenu de notre inconscient ?
Oedipe/30
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