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TEXTE AUX ETUDIANTS DE 1ère ANNEE DE MEDECINE
OCTOBRE 2010
DEVELOPPEMENT DE LA PERSONNALITE
La personnalité n'est pas une donnée biologique, héréditairement transmise. Elle
est une construction, fruit d'une interaction constante entre l'individu et son
environnement. Elle se fait certes à partir d'un équipement génétique mais cette
construction est en devenir permanent et est susceptible de bouleversements et
de désorganisations sous l'effet de traumatismes.
Certaines périodes de l'existence humaine sont particulièrement déterminantes
dans cette construction :
- la première enfance parce que l'enfant y est totalement dépendant de son
environnement et particulièrement réceptif,
- l'adolescence car elle correspond à l'accès à la sexualité adulte, à la séparation
d'avec le milieu familial et à l'acquisition d'une identité stable au sein du groupe
social.
Bien qu'évoluant en permanence, la personnalité se caractérise par le
dégagement progressif de grandes constantes dans les relations des différentes
composantes de la personnali entre elleS, et de l'individu avec son
environnement. Ces constantes définiront la structure de la personnalité, qui est
donc :
- une donnée relativement stable, conférant à la personnalité son caractère
prévisionnel, permettant de prévoir chez un sujet tel type de réaction dans telle
situation plutôt que tel autre.
- mais aussi une résultante de courants et de composantes antagonistes, toujours
susceptibles de variations.
I - L'INNE ET L’ACQUIS :
PLACES RESPECTIVES DE L'HEREDITE ET DE
L'ENVIRONNEMENT
Deux types d'approche se sont conjugués pour renouveler complètement les
données classiques.
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1 - LES ETUDES GENETIQUES
Leur développement important a eu pour conséquence d'en montrer la
complexité. On doit abandonner la notion qu'à un gène précis correspondrait un
caractère comportemental précis. C'est ainsi par exemple que du fait de leurs
actions réciproques suppressives ou expressives, une forme allèle d'un gène ne
produit pas toujours le même phénotype et que l'effet d'un gène variera en
fonction de son "expressivité" et de sa "pénétrance". Les facteurs
d'environnement modifient la manifestation phénotypique d'un génotype, et ceci
chez l'homme comme chez l'animal.
On peut dire avec P. Roubertoux et M. Carlier :
"On ne peut considérer le génotype comme déterminant le phénotype mais
comme créant un champ de possibles qui seront actualisés par l'histoire",
c'est-à-dire par l'interaction avec l'environnement.
2 - LES ETUDES ETHOLOGIQUES
Nous allons utiliser plusieurs exemples pour illustrer l'influence réciproque et la
complémentarité de l'hérédité et de l'environnement.
Le phénomène de l'empreinte. - L'empreinte, est le terme propopar
Lorenz en 1935 pour décrire des phénomènes rencontrés essentiellement chez
les oiseaux, mais que l'on retrouve aussi de manière beaucoup plus générale,
comme l'ont prouvé les expériences ultérieures. Lorenz a constaté qu'en
l'absence de leur mère, de jeunes oies nées en couveuse s'attachent au premier
objet qu'elles rencontrent et qui n'est pas forcément un objet de leur espèce mais
peut être l'éleveur. Cette fixation au premier objet mobile rencontré par l'oiseau
se fait durant une période sensible qui dure environ 36 heures et, une fois
installée, elle est irréversible. On a depuis étudié de nombreux phénomènes
d'empreinte qui correspondent à une période sensible de durée variable, mais
spécifique pour chaque espèce, au-delà de laquelle l'empreinte n'est plus
possible.
Le choix des partenaires sexuels et sociaux. - Il est certain que la
catégorie d'objets vers lesquels les animaux vont diriger leurs choix sociaux et
sexuels peut être sujette à de grandes variations, contrairement à ce que pourrait
laisser penser une conception simpliste de l'instinct. Si des séquences complètes
du comportement sexuel ne sont pas vues chez les oiseaux ou les mammifères
avant qu'ils n'aient atteint un certain âge, néanmoins la catégorie d'objet vers
lesquels ce comportement sera plus tard dirigé, est déterminée bien avant que
l'individu n'ait atteint une maturité sexuelle. Ceci est clairement montré par les
animaux élevés avec ceux d'une autre espèce et dont le comportement sexuel
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sera ultérieurement dirigé vers les animaux de cette espèce. Ce choix de l'objet,
comme partenaire social ou sexuel privilégié, va se produire de façon
préférentielle à certaines périodes du cycle de la vie (Shutz, 1965).
Parmi beaucoup d'autres, l'exemple des rats tueurs de Karli, illustre cette
interaction entre l'hérédité et l'environnement. Une espèce de rats a été
sélectionnée en fonction d'un comportement génétiquement programmé ; celui
de tuer toutes souris se présentant à proximité. Ce comportement disparaît si le
rat est élevé avec des souris pendant une durée suffisante et ceci persiste par la
suite même si le rat n'a plus eu de contacts avec des souris depuis cette période
initiale.
A la lumière des faits fournis par l'éthologie, l'ancienne conception de
l'instinct, comme activité répétitive d'origine héréditaire, aboutissant à un
comportement entièrement pré-déterminé et d'évolution fixe, doit être révisée.
Le comportement instinctif est à double facette et la part liée à
l'environnement est tout aussi déterminante pour le déroulement de l'activité
instinctive que celle liée à l'hérédité. Ce qui est inné, c'est la capacité
potentielle de développer un type de comportement. Ce qui est acquis c'est la
forme et le devenir de ce comportement.
Tout défaut de réponse du milieu ambiant empêchera le déroulement du
comportement instinctif. Passé un certain délai, la capacité potentielle innée
disparaîtra. L'exemple de l'empreinte est là particulièrement probant, puisqu'on
y relève à la fois l'existence d'un schème comportemental héréditaire inné : la
quête d'un objet à fixer ; et celle d'un apprentissage acquis, dépendant de
l'environnement : la nature de l'objet sur lequel s'opèrera la fixation.
3. COMPÉTENCES ET INTERACTION
Les compétences comportementales du nouveau-né. - Il était
classique jusqu'à ces dernières années d'évaluer les compétences
psychomotrices du nouveau-né à partir de la présence ou de l'absence de
quelques comportements réflexes ne mettant en cause que le tronc cérébral.
Désormais il est reconnu, grâce notamment aux travaux d'un pédiatre nord-
américain T.B. Brazelton, que les centres cérébraux supérieurs influençaient les
réponses par inhibition ou facilitation partielles et que l'intégrité du
fonctionnement du système nerveux central pouvait être évaluée
qualitativement au cours de la période néo-natale. T.B. Brazelton a mis au point
une échelle d'évaluation du comportement néo-natal qui tient compte de la
découverte de ces compétences précoces du nouveau-né.
« C'est ainsi que dès sa sortie de l'utérus :
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1. Il sait à plusieurs reprises tourner la tête vers la voix humaine, et son
visage s'éveille lorsqu'il en cherche la source ;
2. il est sensible à la hauteur de la voix de femme qu'il préfère à toute autre ;
3. à hauteur égale, il préfère les sons humains aux sons purs, mais, de plus,
si l'on prend comme test de réponse la succion continue, on observe qu
l'émission d'un son pur, il s'arrête brièvement de téter puis reprend fermement
son activité, tandis qu'après un son humain il s'arrête de téter, puis reprend, mais
en alternant des périodes de pause (comme s'il attendait une autre information
plus importante, et comme si les pauses dans la tétée devaient lui permettre
d'accorder attention à cette autre information) ;
4. il va observer et suivre des yeux avec attention, en tournant la tête de 90
º, l'image d'un visage humain mais ne le fera pas si on lui présente un visage
flou, bien qu'il le regarde avec des yeux écarquillés pendant un long moment
(ceci en salle d'accouchement avant tout soins) ;
5. il se tournera vers l'odeur du lait de préférence à l'eau ou à l'eau sucrée
6. en tétant, il fera la distinction par mode différent de succion entre le lait
humain et le lait de vache modifié dans sa formule pour avoir exactement la
même composition que le lait maternel ».
"Comme la tendance naturelle des parents est de prendre soin du nouveau-né,
ils risquent de sous-estimer ses réactions si nous-mêmes, médecins, ne les
valorisons pas chez le nouveau-né. Si, pour ce faire, nous transformons les
pouponnières et l'agencement de nos maternités afin de pouvoir mieux saisir
les moments d'éveil et de sensibilité du nouveau-né, nous soutenons à la fois
l'attention que portent les parents à leur nouveau-né et le fait que ce dernier
soit considéré dès le début de sa vie comme une personne importante et
capable d'interaction. Nous donnons aux nouveaux parents, parfois
désorientés, un moyen de communiquer avec leur bébé. Nous leur indiquons
que le nouveau-né peut lui-même leur montrer le chemin lorsqu'ils sont
hésitants". T.B. Brazelton
Le besoin d'échanges affectifs: les effets de la carence maternelle
précoce. - Nous n'envisagerons que les effets de la carence maternelle
quantitative, le nourrisson étant brusquement, à un stade précoce de son
développement, séparé - pour une période donnée - de sa mère. Les premières
publications portant sur des observations d'enfants séparés précocement de leur
mère ont été celles d'Anna Freud et Dorothée Burlingham de 1942 à 1944 quand
il fut nécessaire de placer des enfants en pouponnière et ainsi de les séparer de
leur famille pendant le bombardement de Londres. Un peu plus tard Spitz, aux
États-Unis, publiait ses premières observations dont il a tiré des films
impressionnants. Toutes ces observations ont des résultats concordants. C'est
ainsi que tout enfant de quelques semaines à 30 mois, qui a une relation stable
avec sa mère et qui n'a pas été précédemment séparé d'elle, réagira à une
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séparation par une séquence comportementale prévisible et comportant 3 phases
: - de protestation,
- de désespoir,
- et de détachement.
- La phase de protestation qui dure de quelques jours à une semaine environ
est dominée par une quête de la figure maternelle et de ce qui peut la rappeler,
et par des réactions de pleurs, de colère, qui dent progressivement la place à
des réactions d'allure dépressive.
- Celles-ci caractérisent la phase de désespoir au cours de laquelle vont
apparaître des signes de plus en plus évidents d'un abattement profond, tant
psychique avec désintérêt total, que physique avec inactivité et inertie.
Contrairement à la première phase l'enfant se laisse faire et accepte les soins des
figures nouvelles mais avec une indifférence qui est bien plus grave de
conséquences que la révolte initiale. Si l'enfant retrouve sa mère à la fin de la
première phase il a une réaction de rejet à son égard et souvent même de peur,
l'accueillant avec des hurlements, fait remarquable sur la signification duquel
nous reviendrons, tandis que lors de la phase il reste indifférent paraissant ne
pas reconnaître la mère qui devra donc faire un gros effort pour renouer une
relation brisée.
- Le détachement va s'accentuer progressivement, l'enfant se repliant sur lui-
même ne s'intéressant plus qu'à quelques objets matériels.
L'intensité de la réaction est proportionnelle à la longueur de la séparation, à
l'importance du lien antérieur avec la mère, à l'isolement de l'enfant pendant la
séparation. Elle sera au contraire atténuée par la présence d'une figure
substitutive constante.
R. Spitz, a décrit sous le nom d'hospitalisme, une séquence réactionnelle
semblable chez l'enfant hospitalipendant une longue période. Il a insisté sur
la fréquence et la gravité des troubles physiques accompagnants cette
perturbation affective grave : perte d'appétit, arrêt du développement et de la
croissance, absence d'acquisition des apprentissages normaux ou perte de ceux
qui existaient : marche, parole, contrôle sphinctérien... L'enfant devient
incapable d'initiative et de contacts. Il finit par tomber dans un état de cachexie
physique c'est-à-dire de délabrement de toutes ces fonctions physiologiques
comme si son organisme perdait son unité et ses capacités régulatrices pour se
désorganiser dans un fonctionnement anarchique. Les infections et maladies
intercurrentes sont fréquentes et graves. La mort peut même en être l'issue.
Spitz pense que les effets de la privation sont réversibles pendant les trois
premiers mois, et que, dans ce délai, l'enfant peut récupérer si on lui fournit à
nouveau les provisions affectives dont il a besoin ; c'est-à-dire un
environnement suffisamment stimulant et stable d'où une ou deux figures
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