la Chine de 1840 à 1914

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la Chine en Extrême-Orient
de 1840 à 1914
par Jean-Baptiste Duroselle et Pierre Gerbet (1976)
L’orthographe des noms chinois obéit aux règles de l’École française d’Extrême -Orient
utilisée en France jusqu’à l’adoption du chinois pinyin en 1958 ;
ainsi l’impératrice "Cixi" est-elle nommée ici impératrice "Tseu-Hi", etc.
L'influence européenne s'installa au XIX e siècle presque partout en Afrique sans
rencontrer de résistance sérieuse. Il n'en fut pas de même en Extrême -Orient, région de vieille
civilisation et de fort peuplement qui, après un long isolement, réagit au contact occidental. Avec
une rapidité étonnante, le Japon, adoptant les techniques modernes, se transforma et devint une
grande puissance capable de défendre son indépendance et de jouer un rôle international.
L'immense Chine, par contre, fut beaucoup plus lente à faire sa révolution.
I. L'EXTRÊME-ORIENT ET LA PÉNÉTRATION EUROPÉENNE
1. L'originalité de l'Extrême-Orient.
L'Extrême-Orient est formé par la façade orientale de l'Asie baignée par l'océan Pacifique et
subissant l'influence bienfaisante de la mousson qui lui confère une réelle unité de climat. Une
humanité grouillante s'entasse sur des terres alluviales qu'elle cultive depuis des millénaires au prix
d'efforts incessants. La civilisation y est née dans la grande plaine de la Chine du nord et s'est
propagée au sud vers la Chine méridionale et la péninsule indochinoise, à l'est vers la Corée et le
Japon. Son expansion a été arrêtée au nord par le climat froid de la Sibérie et à l'ouest par les
immensités arides de l'Asie centrale. La civilisation chinoise a ainsi marqué tout l'ExtrêmeOrient.
C'est une civilisation du végétal, qui ignore presque complètement l'élevage (à part les porcs et
les volailles) et qui repose sur le travail de l'homme aussi bien pour la culture que pour les transports.
La nourriture est surtout le riz — cultivé minutieusement dans des rizières irriguées —, le blé et le
millet dans le nord. Le bambou sert à faire les objets, les maisons. Tout est fabriqué à la main. La
vie est dure en raison de l'hostilité de la nature (typhons, inondations, tremblements de terre au
Japon), du surpeuplement, des famines. "Avez-vous mangé ?" est une formule de salutation
habituelle en Chine.
L'Extrême-Orient apparaît ainsi comme une immense masse de paysans travailleurs, sobres et
résignés, repliés dans le cadre familial, fidèles à la tradition ancestrale.
Une civilisation très brillante s'y était développée, surtout en Chine, bien avant l'ère
chrétienne, puis au Japon à partir du VIe siècle après J.-C. La Chine était au Moyen Age très en
avance sur les pays européens ; elle connaissait la boussole, la poudre à canon, le papier,
l'imprimerie. Mais à partir des Temps modernes (XVIe, XVII e siècles), cette civilisation s'était
figée et l'isolement dans lequel, après certains contacts décevants, la Chine et surtout le Japon
s'étaient enfermés, leur avait interdit de participer à la grande transformation des idées, des
sciences et des techniques qui avaient renouvelé les pays occidentaux aux XVIIIe et XIXe siècles.
Ce sont des États et des civilisations archaïques qui vont subir le choc des Européens au milieu du
XIXe siècle. Mais les différences profondes entre la Chine et le Japon expliquent les réactions très
différentes de ces deux pays.
2. L'Empire de Chine.
L'Empire de Chine était immense, couvrant plus de 11 millions de kilomètres carrés. Mais la plus
grande partie de sa population (300 millions d'habitants probablement) était concentrée dans la
Chine proprement dite des "18 provinces". Son protectorat s'étendait théoriquement sur l'Empire
d'Annam et sur le Royaume de Corée. Les immenses territoires de Mandchourie, de Mongolie,
du Turkestan et du Tibet étaient des marches extérieures, presque vides, occupées militairement
pour prévenir des invasions de nomades de l'Asie centrale.
Cet immense "Empire du Milieu", si fier de sa supériorité sur les Barbares étrangers, était en réalité
très faible.
a) La société chinoise était en principe égalitaire. Elle ne comprenait pas de castes privilégiées
de nobles, de guerriers ou de prêtres. Les distinctions n'étaient fondées que sur la richesse (très
souvent les paysans pauvres étaient endettés vis-à-vis de riches propriétaires ou d'usuriers) et sur le
savoir, les Chinois étant particulièrement respectueux des lettrés, seuls capables de lire et d'écrire.
L'individu comptait beaucoup moins que la famille, unité sociale, économique et même religieuse,
avec le culte des ancêtres.
La société chinoise était ainsi formée d'une multitude de cellules familiales, vivant sur elles-mêmes, observant
la morale prônée par le philosophe Confucius au VIe siècle avant J.-C. : la recherche de la perfection
intérieure, les bons rapports avec les voisins, la courtoisie, le respect dû aux parents. Cette attitude d'esprit
traditionaliste n'était guère propice au progrès matériel et la routine était la conséquence inévitable du culte
des ancêtres, puisqu'on aurait offensé ceux-ci en ne suivant par leur exemple.
Enfin cette société était indifférente à la vie publique : il était d'un bon fils de vole l'État pour
nourrir ses parents. N'ayant pas subi d'invasion depuis des siècles, le s Chinois étaient très
pacifistes : ils considéraient les soldats comme des brigands, avec lesquels ils se confondaient
d'ailleurs souvent et leur patriotisme n'était que de la xénophobie.
b) Le gouvernement était théoriquement très fort, l'empereur était absolu, cumulant tous les
pouvoirs, servi par une administration hiérarchisée (gouverneurs de province, préfets, sous-préfets)
et une nombreuse bureaucratie. En réalité, ses pouvoirs étaient, limités. La dynastie mandchoue,
installée depuis 1644 sous le nom de Tsing, était considérée comme étrangère.
La Chine ancienne. Un
mandarin siégeant à son
tribunal, l'accusé se pros
terne devant lui en
signe
de
respect.
Remarquer
la
natte
traditionnelle.
La dynastie était acceptée en raison du « mandat du ciel » qu'elle était censée avoir reçu, mais
une calamité naturelle (inondation, mauvaise récolte) pouvait signifier, aux yeux des Chinois, que
l'empereur avait perdu la faveur divine. Le pouvoir central était affaibli par la règle de succession,
la désignation de l'héritier donnant lieu à de sanglantes intrigues. Enfin, il exerçait difficilement son
autorité sur les provinces en raison de l'immensité des distances, de la lenteur des liaisons (il
fallait trois mois de chaise à porteurs pour aller de Pékin dans le Yunnan), de la faiblesse des
garnisons mandchoues et de la désobéissance des fonctionnaires, les mandarins. Ces derniers,
recrutés par des examens littéraires dont les programmes n'avaient pas changé depuis huit siècles,
étaient mal payés et corrompus.
Ainsi l'État manquait d'autorité, de ressources, n'ayant guère de prise sur une société
indifférente et routinière. Devant un péril extérieur, les seules armes de l'Empire de Chine étaient
son immensité même et son énorme force d'inertie.
3. L'ouverture de l'Extrême-Orient.
Les Occidentaux avaient toujours été fascinés par l'Extrême-Orient. Au XIXe siècle, ils ne
rêvaient plus à ses prétendues richesses en métaux précieux, mais à l'immense marché que
représentait sa population pour les industries européennes. C'est avant tout la Chine qui leur
paraissait intéressante.
Ouverture de la Chine. — Or, les possibilités de commerce étaient des plus réduites. En Chine,
les commerçants, en majorité anglais, n'avaient de contacts qu'avec une corporation de marchands
du port de Canton. Au Japon, seuls les Hollandais avaient le droit d'échanger quelques
marchandises sur le petit îlot de Deshima, en face de Nagasaki.
L'Angleterre, qui voulait ouvrir le marché chinois et négociait vainement avec l'empereur, saisit
un prétexte — l'interdiction faite aux commerçants britanniques d'introduire en Chine l'opium des
Indes dont l'abus devenait alarmant — pour envoyer une expédition armée qui remonta le YangTsé-Kiang. L'empereur dut signer le Traité de Nankin (1842) qui cédait aux Anglais l’île de HongKong et ouvrait à leur commerce cinq ports chinois. La France et les États-Unis obtinrent les mêmes
avantages commerciaux en 1844 ; les autres pays d'Europe suivirent. Le gouvernement chinois
s’engagea à tolérer les missions catholiques.
II. LA STAGNATION DE LA CHINE
La Chine, au contraire, resta pendant un demi-siècle dans un état de stagnation, la population
manifestant son hostilité aux Européens et à la dynastie, impuissante à protéger le pays.
1. La crise intérieure et l'intervention des puissances.
a) La révolte des Taïpings. — La dynastie mandchoue, qui avait perdu la face devant les
étrangers, s’affaiblit. L'empereur Hien-Foung (1850-1861), le "Néron chinois", se révéla incapable.
Une énorme inondation, provoquée par le changement de cours du Hoang Ho qui déplaça son
estuaire du nord au sud de la péninsule du Chantoung, semblait signifier qu'il avait perdu le
"mandat du Ciel". Les populations du Sud, très hostiles aux Mandchous et aux étrangers, se
soulevèrent à l'appel de l'agitateur Houng qui se proclama empereur et s'empara de Nankin
dont il fit sa capitale. Ce fut la révolte des Taï-Ping (secte de la "Grande Pureté", de tendance
collectiviste). Toute la Chine au sud du Yang-Tsé-Kiang échappait ainsi au gouvernement de
Pékin.
b) L'intervention européenne. — Les résidents occidentaux, missionnaires et commerçants,
d'abord favorables à ce qui paraissait être un mouvement de rénovation de la Chine, furent
victimes de mauvais traitements, parfois massacrés. Français et Anglais exigèrent alors un
élargissement des traités. Une escadre remonta le Peï-Ho et contraignit le gouvernement de Pékin à
signer le Traité de Tien-Tsin (27 juin 1858), accordant aux Occidentaux le droit d'avoir des
ambassades à Pékin, la libre circulation des missionnaires, l'ouverture au commerce de onze
nouveaux ports. Mais le gouvernement chinois était décidé à ne pas tenir ses promesses : "les
Barbares ayant osé venir sur leurs vaisseaux jusqu'à Tien-Tsin, nos plénipotentiaires leur ont
fait une réprimande affectueusement sévère qui les a décidés à s'en aller", expliquait au peuple un
rescrit impérial. L'année suivante, les ambassadeurs furent accueillis à coups de canon. Une
seconde expédition franco-anglaise marcha sur Pékin en août 1860. Le général Cousin-Montauban
dispersa avec son artillerie la cavalerie mandchoue au pont de Pa-Li-Kao (il sera fait comte de
Palikao). Les alliés entrèrent à Pékin le 13 octobre et, pour venger les tortures infligées à leurs
parlementaires, incendièrent, sous les ordres du général anglais lord Elgin, l'admirable Palais
d'Été. L'empereur s'étant enfui, le prince Kong signa le second Traité de Tien-Tsin, renouvelant
le premier, aggravé d'une indemnité. La Russie exigea alors les territoires situés entre l'Oussouri et
la mer (Traité du 14 novembre 1860) où elle fonda le port de Vladivostok. La Chine fut obligée
de créer, pour négocier avec les puissances étrangères, un ministère des Affaires étrangères, le
Tsoung-Li Yamen, mettant ainsi fin au mythe selon lequel l’empereur de Chine était le souverain
du monde entier.
2. Les tentatives de réforme.
Battue par les Occidentaux, la dynastie mandchoue essaya cependant de s'appuyer sur eux pour
se maintenir contre les Taïpings et pour tenter de moderniser le pays
A Hien Foung, mort en 1861, succéda un enfant de quatre ans. Mais la régence fut exercée
par une femme énergique, rusée et sans scrupules, l'ancienne concubine Tseu Hi, assistée du
prince Kong, habile diplomate qui avait l'habitude des rapports avec les étrangers.
Tseu Hi voulait maintenir la dynastie mandchoue et l'absolutisme, aussi malgré son horreur
des étrangers, elle s'appuya sur eux pour rétablir l'ordre et son autori té L'armée chinoise,
équipée et encadrée par des Européens, écrasa la révolte des Taïpings qui, en quinze ans, avait fait des
millions de victimes (reprise de Nankin en 1864). En même temps Tseu Hi avait dû concéder un
certain nombre de privilèges aux Occidentaux : par souci de sécurité, ceux-ci avaient exigé
l'exterritorialité (les étrangers vivant en Chine n'étaient pas jugés par les tribunaux chinois, mais
par leurs propres consuls) et des concessions dans les ports (quartiers habités par les Européens
et administrés par eux). Le service des douanes était géré par les Anglais : les marchandises
européennes entraient facilement et ruinaient l'artisanat chinois. Le ministre Li Hung Tchang
essaya de moderniser le pays par la construction de voies ferrées et de lignes télégraphiques en
encourageant les manufactures, en envoyant des lettrés en stage en Europe et en créant à Pékin un
collège pour leur enseigner les "sciences barbares". Mais il se heurta à d'énormes résistances.
L'impératrice Tseu Hi redoutait une transformation qui compromettrait la dynastie ; les mandarins,
incapables d'évoluer, craignaient pour leurs charges ; la population, très xénophobe, arrachait les
rails des voies ferrées qui risquaient de blesser l'échine du dragon sacré habitant sous la terre.
Des religieuses furent massacrées en 1870.
Le premier chemin de
fer français en Chine
(1886).
De part et d'autre du
chemin de fer Decauville à voie étroite, on
remarque les deux modes de transport traditionnel : à gauche, la
brouette chinoise à une
roue; à droite, la chaise
à porteurs.
Malgré certains progrès (le commerce extérieur décupla de 1840 à 1880 et l'exportation de la
soie devint importante), la Chine ne réussit pas à se transformer.
3. Le démembrement de la Chine.
Aussi ne put-elle résister aux convoitises extérieures. Elle dut abandonner les "Etats
vassaux" éloignés et indéfendables : les Français s'emparèrent de l'Annam (1884-85), les
Anglais de la Haute-Birmanie (1885), le Siam se déclara indépendant (1893).
a) La guerre sino-japonaise. — La Chine entra en conflit avec le Japon au sujet du royaume de
Corée, dont elle revendiquait la suzeraineté. Les Japonais y ayant débarqué en 1894, elle déclara la
guerre le 1 er août. Mais sa flotte de bois et ses guerriers armés de fusils à pierre et de lances,
cherchant à terroriser l'adversaire par des dragons en papier, ne purent rien contre la flotte et
l'armée modernes du Japon. Rapidement vaincue, la Chine dut, par le Traité de Shimonoseki (17
avril 1895), renoncer à toute influence en Corée, céder l'île de Formose, les Pescadores, la
péninsule du Liao-Toung avec Port-Arthur, débouché de la Mandchourie, consentir des avantages
économiques aux Japonais, verser en huit ans une forte indemnité de guerre (le Japon occupant
Weï-Haï-Weï jusqu'au paiement complet).
Carte : l'Extrême-Orient du milieu du
e
XIX siècle à 1914.
Ci-dessus,
placard
chinois
antieuropéen de 1891. Des patriotes assomment les étrangers à coups de bâton ;
d'autres brûlent leurs livres en se bouchant
le nez
La paix de Shimonoseki inquiéta gravement le gouvernement russe, qui établissait le
Transsibérien depuis 1891 et convoitait Port-Arthur, port en eau libre alors que Vladivostok était
bloqué par les glaces quatre mois par an. Il voulait construire un embranchement du Transsibérien
vers Port-Arthur. Ces projets étaient compromis par les clauses du traité ; or la Russie ne disposait
que de 30 000 hommes en Extrême-Orient et l'achèvement du Transsibérien rendait difficile
l'acheminement de renforts. Il était donc fort risqué d'user de la force pour amener le Japon à
abandonner ses avantages. Le ministre des Finances Witte convainquit donc le tsar que, pour
amener le Japon à renoncer à Port-Arthur, il fallait une intervention collective des puissances.
— Guillaume II, de plus en plus attiré par l'idée que l’Allemagne devait avoir une politique
mondiale (Weltpolitik), désireux depuis 1895 d'acquérir un point d'appui naval sur la côte de
Chine, accepta avec enthousiasme. La tâche de la Russie, dit-il à Nicolas II, est "de soutenir la
cause de la civilisation et de défendre l'Europe contre l'offensive possible de la race jaune. Dans
cette tâche, je t'aiderai toujours dans la mesure de mes forces".
— La France n'avait guère d'intérêts dans l'affaire. Mais elle était l'alliée de la Russie et accepta
de faire une "démarche amicale" auprès du Japon.
— L'Angleterre par contre désirait cultiver l'amitié du Japon. Elle refusa d'intervenir.
Le 23 avril 1895, les représentants de la Russie, de la France et de l’Allemagne à Tokyo
demandèrent au gouvernement japonais d'abandonner la presqu'île du Liao -Toung. La Russie
envisageait de recourir à la guerre et la France se résigna à cette éventualité. Le 7 mai 1895, le
Japon décida de céder. Il ne devait pas l'oublier.
b) Le partage de la Chine en zones d'influences. — Les puissances ayant constaté la faiblesse
réelle de la Chine, décidèrent d'en profiter pour y acquérir des avantages et y établir des zones
d'influences.
1. Avantages économiques. — La France signa dès le 28 juin 1895 avec la Chine un traité qui
lui permettait de construire une voie ferrée du Tonkin vers le Yunnan en Chine du Sud ; les
droits de douane étaient abaissés pour les produits venant du Tonkin ; la France aurait le privilège
de l'exploitation des mines en Chine du Sud.
La Russie signa le 3 juin 1896 (en payant un "pot de vin" au négociateur chinois Li Hung
Tchang) un traité qui lui permettait de construire une voie ferrée directe vers Vladivostok à travers
la Mandchourie. En échange, la Russie s'alliait à la Chine contre le Japon pour défendre la
Mandchourie et la Corée. La Russie recevait l'administration de la zone de la voie ferrée, avec
la possibilité d'y envoyer des troupes.
2. Avantages territoriaux. — L'Amiral von Tirpitz, commandant de la flotte allemande
d'Extrême-Orient, recherchait depuis 1895 l'établissement d'une base sur les côtes chinoises. Il
fixa son choix sur la belle rade naturelle de Kiao-Tchéou au Chantoung. Le massacre de deux
missionnaires allemands dans cette province servit de prétexte à y débarquer des troupes. La
Chine dut signer le 6 mars 1898 un accord cédant à bail pour 99 ans Kiao-Tchéou. L'Allemagne
aurait le droit de construire des voies ferrées dans le Chantoung avec le monopole d'exploitation
des mines dans la zone du chemin de fer.
Aussitôt la Russie se fit céder Port-Arthur, à bail, avec le droit de construire un chemin de fer
Nord-Sud, de Kharbin sur le Transmandchourien jusqu'à Port-Arthur.
La France obtint le port de Kouang-Tchéou-Ouan en Chine du Sud.
L'Angleterre, pour contrebalancer l'installation des Russes à Port-Arthur, se fit céder WeïHaï-Weï, sur la côte nord du Chantoung, face au port russe de l'autre côté du Golfe du
Petchili.
Seuls les États-Unis protestèrent contre cette politique. Le 6 septembre 1899, le secrétaire d'État
du Président Mac Kinley, John Hay, adressa aux Puissances une note proclamant la doctrine de la
Porte ouverte en Chine. Le commerce devait être libre pour tous les pays étrangers ; aucun d'eux
ne devait bénéficier de tarifs de faveur ni pour les douanes ni pour les transports ferroviaires.
4. Le réveil national chinois.
La mainmise des Occidentaux sur la Chine n'alla cependant pas jusqu'au morcellement
territorial.
Un réveil national chinois se produisit :
a) — sur le plan gouvernemental, l'empereur Kouang Siu, jeune homme bien intentionné, rêvait
d'être le Mutsu Hito (empereur japonais ayant réussi à moderniser son pays à partir de 1860) de la
Chine. Il lança un appel au peuple : "Les nations étrangères cernent notre Empire. Si nous ne
consentons pas à adopter leurs méthodes, notre ruine est irrémédiable". Mais il agit avec une
précipitation maladroite en bousculant les traditions. Il se heurta à l'hostilité de l'aristocratie
mandchoue et surtout à celle de sa tante Tseu Hi qui mit fin à cette brève période réformatrice,
appelée les "Cent jours chinois" (juin-septembre 1898), en le faisant enfermer et en massacrant
ses conseillers.
b) — sur le plan populaire, une violente réaction éclata, encouragée par Tseu Hi qui voulait
ainsi détourner le mécontentement contre les étrangers. La société secrète des Boxers ("le poing
de la concorde et de la justice"), très hostile au christianisme, se livra à des agressions contre les
Européens, détruisit les voies ferrées. En juin 1900 le ministre (ambassadeur) d'Allemagne à
Pékin fut assassiné et les autres diplomates assiégés dans le quartier des Légations pendant
deux mois. Une armée internationale commandée par un général allemand fut envoyée pour les
dégager et occupa Pékin. Tseu Hi s'enfuit et dut promettre de payer une indemnité, de châtier les
coupables et de dissoudre les sociétés secrètes. Mais le traité du 7 septembre 1901 garantit l'intégrité
de l'Empire. Les puissances, impressionnées par l'éveil du nationalisme chinois, renonçaient à
poursuivre le partage.
A gauche, les Français de Yunnan-Sen sous les armes lors de l'insurrection des Boxers,
Les missionnaires portent le costume chinois.
A droite, réception diplomatique au Palais impérial de Pékin.
III. LA RÉVOLUTION CHINOISE
1, Les réformes de Tseu Hî.
La victoire japonaise sur la Russie, lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, fut une
révélation pour la Cour de Pékin. Tseu Hi comprit enfin que seules des réformes mettraient la Chine en
état de résister aux puissances occidentales. Elle reprit le programme des "Cent Jours", fit construire
des chemins de fer, réorganisa l'armée, supprima les vieux examens littéraires et créa des écoles
modernes. Mais elle mourut en 1908, précédée de quelques jours par le malheureux empereur
Kouang-Siou qu'elle avait probablement fait assassiner. Le trône passa au petit Pou-Yi, âgé de
trois ans.
La ville de Lia Liang en Mande
chourie, au début du XX siècle.
Les fils téléphoniques sont le seul
signe de modernisation.
2. La République chinoise.
D'ailleurs, les réformes venaient trop tard pour sauver la dynastie. Le mouvement libéral, animé
par des intellectuels instruits au Japon et dans les écoles étrangères de Changhai et Hong-Kong,
ayant voyagé en Europe ou aux États-Unis, était devenu anti-dynastique. Son leader Sun Yat Sen
(1866-1925), médecin converti au protestantisme, qui avait passé toute sa jeunesse hors de Chine,
voulait chasser les Mandchous et instaurer une république socialiste. En 1900 il fonda le parti du
Kuo-Min-Tang (parti du peuple), recruté surtout dans la région de Canton et dans les colonies de
commerçants chinois de l'Asie du Sud-Est, très évolués, rompus aux méthodes occidentales.
"Parce que les premiers révolutionnaires chinois étaient souvent des déracinés ayant perdu contact avec leur
pays et devenus parfois presque étrangers à ses habitudes mentales, le régime qu'ils allaient fonder risquait de
ne pas correspondre au milieu..." (René Grousset.)
Sun Yat Sen prêchait l'action directe, utilisait le mécontentement des a rtisans et des
transporteurs ruinés, l'exaspération des paysans (la famine de 1910 -1911 avait été terrible). La
révolte éclata dans le Sud à l'automne de 1911. Les rebelles prirent Canton, Changhaï, Nankin. Sun
Yat Sen fut proclamé président provisoire de la République chinoise. Le Sud échappait ainsi à
l'autorité de Pékin.
Tout dépendait du chef de l'armée, Yuan Che Kaï. Celui-ci joua un jeu personnel, négocia avec
les rebelles, fit abdiquer le jeune empereur (12 février 1912) et se fit élire Président de la
République. Il gouverna dictatorialement, sans consulter le Parlement et supprima le Kuo-MinTang. Le 11 décembre 1915, il rétablit le titre impérial à son profit. Mais il avait été trop vite : le
Sud s'insurgea; les chefs militaires jaloux menacèrent ; les puissances étrangères, inquiètes de voir
s'instaurer un pouvoir fort, firent pression. Après trois mois de règne, il revint à la forme
républicaine (23 février 1916), avant de se suicider.
Il laissait la Chine dans le chaos : les dissidences régionales l'emportèrent, les généraux se
disputèrent les provinces du Nord. La forme républicaine persistait dans le Sud avec Sun Yat
Sen. Il faudra attendre 1928 pour que l'unité soit rétablie par Tchang Kaï Chek au profit du Sud
et du Kuo-Min-Tang.
Le maréchal Yuan Che Kaï, président de la
République, entouré de son État-major (25 février
1912).
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