8L’Avant-Scène Opéra n° 97
Lors de notre Guide d’écoute de Rinaldo (ASO,
n° 72), nous avons fait observer que l’opéra était
certainement le moins bien connu des genres pra-
tiqués par Haendel, loin derrière les oratorios et
la musique instrumentale. Il reste que parmi la qua-
rantaine d’ouvrages dramatiques qui s’échelon-
nent entre Almira(1704) et Deidamia(1740), c’est
sans conteste Jules César qui a le mieux survécu.
Première pièce d’une véritable trilogie héroïque,
et réalisée en l’espace d’un an, suivie de Tamer-
lanoet de Rodelinda, Jules César a été écrit en 1723
et créé le 20 février 1724 au Théâtre de la Royal
Academy of Music, ayant entre-temps subi
quelques remaniements: par exemple le rôle de
Nirenus est venu remplacer celui de Bérénice, cou-
sine de Cléopâtre. L’opéra fut repris en 1725, 1730,
1732, et connut du vivant de son auteur un cer-
tain nombre d’exécutions en Europe, notamment
trente-huit à Hambourg entre 1725 et 1737. Sa
nouvelle vie au XXesiècle commence le 5 juillet
1922, lorsqu’il fut repris par Oscar Hagen dans le
cadre d’une redécouverte générale de l’œuvre de
Haendel, qui vit la représentation d’une quin-
zaine d’ouvrages au cours de la décennie 1920-
1930. C’est là que le rôle de Jules César fut trans-
formé en baryton, en lieu et place du castrat alto
initial. Nous renvoyons, à propos de cette version,
à l’article d’Ivan A. Alexandre dans ce volume.
De l’Histoire au théâtre
On connaît les avatars du livret que Nicolas
Haym avait aménagé à partir de celui de G.F. Bus-
sani, écrit en 1677 pour le compositeur vénitien
Antonio Sartorio, et qui avait été repris en alle-
mand pour la Cleopatre de Kusser en 1691. Son
principal mérite est de présenter des personnages
psychologiquement bien typés et théâtralement
avantageux – n’insistons pas sur la conformité ou
la non-conformité à la réalité historique, malgré
le souci du librettiste de montrer qu’il connaît ses
classiques en introduisant dans le texte de César
le fameux «Veni, vidi, vici». César et Cléopâtre sont
tous deux juvéniles, le premier est davantage un
jeune premier tout feu tout flamme que le grand
homme d’État conquérant, encore que son cou-
rage physique, sa combativité et sa magnanimité
trouvent des illustrations convaincantes. Cléo-
pâtre est une chatte lascive et malicieuse, espiègle
et décidée, mais capable aussi, dans les moments
tragiques, de faire montre de sentiments humains
véridiques. Cornelia, veuve de Pompée, est noble
et pathétique dans son affliction et dans sa fer-
meté à repousser toute avance; Sextus est un
héros en herbe s’investissant de la mission de ven-
ger son père. Dans le camp adverse, Ptolémée et
Achillas sont tous deux des personnages négatifs,
dont la psychologie est rendue avec un art subti-
lement dosé de la caricature. L’un est orgueilleux,
haineux, calculateur et hypocrite, mais veule et
inconsistant; l’autre est une brute obtuse et mal-
adroite. Curion et Nirenus sont deux rôles secon-
daires, qui ont été supprimés en 1725.
Richesses musicales
Le relief psychologique va de pair avec la richesse
de l’écriture mélodique. Que Haendel soit un tech-
nicien émérite de l’art vocal, ceci ne peut sembler
que normal pour quelqu’un ayant fait ses classes
par André Lischke
Introduction
Guide d’écoute
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