Vers une analyse systémique des liens d'attachement

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Vers une analyse systémique des liens d'attachement
Júlia Scarano de Mendonça, Louise Cossette, Marie-Noée Lapointe, F. Francis Strayer
Dans Bulletin de psychologieBulletin de psychologie 2008/3 (Numéro 495)2008/3 (Numéro 495), pages 257 à 266
Éditions Groupe d'études de psychologieGroupe d'études de psychologie
ISSN 0007-4403
DOI 10.3917/bupsy.495.0257
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Vers une analyse systémique
des liens d’attachement
MENDONÇA Júlia Scarano de*
COSSETTE Louise**
LAPOINTE Marie-Noée**
STRAYER F. Francis***
La théorie de l’attachement a constitué, au cours
des dernières décennies, l’un des principaux cadres
théoriques pour comprendre le développement
socio-affectif de l’enfant et son adaptation sociale.
La recherche sur l’attachement est encore
aujourd’hui un champ d’études très prolifique, qui
possède une impressionnante capacité à se renou-
veler, à générer de nouvelles questions de
recherche et à incorporer des données et concepts
issus d’autres paradigmes et disciplines. Le texte
qui suit rappelle les grands concepts et prémisses
de la théorie de l’attachement et présente quel-
ques-uns des principaux thèmes qui ont marqué la
recherche sur l’attachement parent-enfant au cours
des dernières décennies. Nous verrons ainsi que la
perspective traditionnelle, essentiellement centrée
sur la relation mère-enfant, laisse progressivement
place à une conception à la fois plus ouverte et
complexe, largement inspirée des théories systémi-
ques du développement.
L’ATTACHEMENT MERE-ENFANT
On doit la théorie de l’attachement au psychiatre
britannique John Bowlby. Son ouvrage classique,
Attachment and Loss, publié en 1969, présente la
synthèse de ses recherches sur le développement
psychologique d’enfants ayant grandi en orphe-
linat. Entrepris après la seconde guerre mondiale,
à la demande de l’Organisation mondiale de la
santé, les travaux de Bowlby avaient d’abord pour
but d’expliquer les problèmes de santé mentale et
de développement des enfants des orphelinats
britanniques. S’inspirant de la psychanalyse et,
surtout, des recherches en éthologie, particulière-
ment celles de Harry Harlow (1958) sur l’attache-
ment chez les primates, Bowlby en vint à mettre
en doute le point de vue psychanalytique tradi-
tionnel voulant que l’enfant développe un attache-
ment à sa mère parce qu’elle lui procure la nour-
riture dont il a besoin.
La conception de l’attachement de Bowlby
(1969, 1973) s’inscrit dans une perspective
évolutionniste tout en puisant dans la théorie des
systèmes de contrôle. L’enfant serait selon lui
équipé d’un système comportemental qui a pour
but de maintenir une proximité suffisante avec sa
mère, alors que sa mère serait dotée d’un système
comportemental complémentaire ayant une fonc-
tion similaire. Comme l’enfant traverse une longue
période d’immaturité, l’activation du système
d’attachement accroît ses chances de survie. Le
système d’attachement de l’enfant est donc
constitué de comportements ou de signaux qui ont
pour fonction d’attirer la mère vers l’enfant
pleurs, sourires, babillages, cris – et de compor-
tements qui poussent l’enfant vers sa mère
– comportements de succion, d’accrochage, de
poursuite. Selon Ainsworth, Blehar, Waters et Wall
(1978), le but du système d’attachement, soit main-
tenir une proximité suffisante entre l’enfant et sa
figure d’attachement, peut être déterminé de façon
plus ou moins large. Lorsque l’enfant s’éloigne de
sa mère, ses comportements d’attachement sont
activés jusqu’à ce que le degré de proximité
souhaité soit restauré.
Bowlby était d’avis que la fonction première du
système d’attachement est, d’un point de vue adap-
tatif, d’assurer la protection de l’enfant contre les
prédateurs, le jeune enfant étant plus vulnérable
aux dangers s’il n’est pas accompagné d’un adulte
responsable. Ainsworth, Blehar et coll. (1978),
comme tant d’autres, reprirent cette idée en insis-
tant sur une autre fonction du système d’attache-
ment déjà évoquée par Bowlby, la fonction
d’exploration. L’interrelation, ou l’équilibre entre
le système d’attachement et le système d’explora-
tion, est crucial. Ainsi, lorsque les comportements
* Universidade de Mogi das Cruzes, Centro de Ciên-
cias Humanas, Mogi das Cruzes, São Paulo, Brasil, Av.
Dr. Cândido Xavier de Almeida Souza, 200, Mogi das
Cruzes, São Paulo, Brazil, 08780-210.
** Université du Québec à Montréal.
*** Université « Victor Segalen » Bordeaux 2.
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bulletin de psychologie
/ tome 61 (3) / 495 / mai-juin 2008
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d’attachement sont faiblement activés, le système
d’exploration se met en action, ce qui permet à
l’enfant d’aller à la découverte de son environne-
ment. Ainsworth et ses collègues (1978) ont mis
au point une situation structurée de séparations-
réunions entre l’enfant et sa mère se déroulant en
laboratoire, la « situation étrange », qui permet
d’observer les réactions de l’enfant et, ainsi,
d’évaluer la qualité de sa relation d’attachement à
sa mère. Les auteurs ont dégagé de leurs observa-
tions trois types ou patrons d’attachement particu-
liers : l’attachement sécurisant (groupe B), l’atta-
chement anxieux-évitant (groupe A) et
l’attachement anxieux- résistant (groupe C). Au
début des années 1990, un quatrième groupe (D) a
été ajouté, formé d’enfants dont les réactions sont
désorganisées (Main, Solomon, 1990).
Depuis les travaux de Bowlby, deux grandes
questions ont particulièrement retenu l’attention
des chercheurs dans le domaine de l’attachement.
La première a trait aux origines ou à la genèse de
la relation d’attachement (Ainsworth, 1973, 1983 ;
Ainsworth, Blehar et coll., 1978 ; Belsky, Rovine,
Taylor, 1984 ; Grossmann, Grossmann, Spangler,
Suess, Unzner, 1985 ; Isabella, Belsky, Von Eye,
1989 ; Kochanska, 1998 ; Leyendecker, Lamb,
Fracasso, Scolmerich, Larson, 1997 ; Rosen, Roth-
baum, 1993 ; Seifer, Schiller, Sameroff, Resnick,
Riordan, 1996 ; Smith, Pederson, 1988). De
nombreux chercheurs ont ainsi observé les interac-
tions mère-enfant, à la maison, au cours de la
première année de l’enfant, dans le but de retracer
les patrons d’interaction ou les comportements les
plus susceptibles de prédire la qualité de la relation
d’attachement mère-enfant, évaluée à la fin de la
première année à l’aide de la « situation étrange ».
La plupart des travaux réalisés soulignent l’impor-
tance de la sensibilité des mères dans le dévelop-
pement d’un attachement mère-enfant sécurisant. Il
faut cependant souligner que la plupart des mesures
de la sensibilité maternelle proviennent d’évalua-
tions effectuées à l’aide d’échelles globales, et qu’il
existe des divergences dans la façon de définir et
de mesurer le construit de sensibilité maternelle
(Isabella, Belsky et coll., 1989).
Outre la question de l’origine de la relation
d’attachement mère-enfant, les effets de la relation
d’attachement mère-enfant sur le développement
de l’enfant ont fait l’objet de très nombreuses
études (entre autres, Cassidy, 1988 ; Fagot, 1997 ;
Jacobsen, Hofmann, 1997 ; Kerns, Cole, Andrews,
1998 ; Meins, Russell, 1997 ; Park, Waters, 1989 ;
Sroufe, 1983 ; Teti, Ablard, 1989). Des recherches
ont ainsi mis en évidence les liens entre la qualité
de la relation d’attachement mère-enfant et un
ensemble de variables, telles que la compétence
sociale de l’enfant avec ses pairs (Park et Waters,
1989), son estime de soi (Cassidy, 1988) et la
qualité de ses relations avec la fratrie (Teti et
Ablard, 1989).
Au milieu des années 1980, dans un article désor-
mais classique, Main, Kaplan et Cassidy (1985)
proposent une reconceptualisation de l’attache-
ment, centrée, cette fois, sur les représentations
mentales ou modèles internes opérants de la rela-
tion d’attachement. Les analyses traditionnelles,
axées sur la classification des patrons d’attache-
ment, cèdent le pas aux analyses des représenta-
tions mentales. Les réactions de l’enfant à l’égard
de sa mère, dans la « situation étrange », offrent
donc non seulement un aperçu de la qualité de sa
relation d’attachement à sa mère mais, également,
un indice de la façon dont il interprète ou se repré-
sente cette relation. Les modèles internes opérants
sont issus des expériences quotidiennes de l’enfant
avec sa figure d’attachement et, en particulier, de
la sensibilité que manifeste sa mère, habituellement
la première figure d’attachement, à son égard.
S’élabore ainsi, chez le jeune enfant qui bénéficie
d’une relation sécurisante à sa mère, un modèle de
représentation d’une figure maternelle aimante et
attentionnée et un modèle de lui-même comme
digne de recevoir amour et soutien. À l’inverse,
l’enfant dont l’attachement est insécurisant se
perçoit indigne de soutien et de soin, et acquiert un
modèle de représentation de mère non aimante,
insensible ou imprévisible (Bretherton, 1985 ;
Cassidy, 1988, 1999). Ces modèles auraient, en
outre, tendance à opérer de façon inconsciente et à
résister aux changements, bien qu’ils puissent être
restructurés (Main, Kaplan, Cassidy, 1985).
Dès lors, une autre question s’est imposée dans
l’étude de l’attachement, celle des processus impli-
qués dans la formation des modèles internes
opérants de la relation d’attachement. Ces
processus sont au cœur de nombreux débats. Le
point de vue classique veut que l’enfant soit prédis-
posé à établir une relation d’attachement privilé-
giée avec la personne qui lui prodigue habituelle-
ment des soins, sa mère dans la plupart des cas.
Cette relation privilégiée serait intériorisée par
l’enfant et occuperait une place centrale durant
toute sa vie, servant de modèle ou de prototype aux
autres relations de l’enfant. Cette position théo-
rique est un exemple du modèle d’attachement
hiérarchique. D’autres modèles ont, par la suite, été
proposés : un modèle intégratif, un modèle indé-
pendant ou multiple, ainsi qu’un modèle polya-
dique. Contrairement au modèle hiérarchique, ces
nouveaux modèles accordent une grande impor-
tance aux diverses relations que le jeune enfant
entretient avec des personnes qui sont significa-
tives pour lui : sa mère, son père, d’autres adultes
familiers ou, encore, des frères et sœurs plus âgés,
et à la façon dont il se représente et intègre les
représentations de ces relations. La capacité de
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l’enfant à développer des liens d’attachement avec
plusieurs figures significatives présente un avan-
tage adaptatif évident, que soulignent de nombreux
auteurs (notamment, Pierrehumbert, 2003).
Selon le modèle intégratif, toutes les relations
d’attachement de l’enfant sont, en quelque sorte,
combinées en une seule représentation et auraient
un impact similaire sur son développement (Van
Ijzendoorn, Sagi, Lambermon, 1992). À l’inverse,
le modèle indépendant ou multiple insiste plutôt
sur l’indépendance de ces relations et des représen-
tations que s’en fait l’enfant. Ces représentations
auraient, de plus, des effets distincts sur son déve-
loppement (Howes, 1999). Enfin, les tenants du
modèle polyadique mettent l’accent sur la contri-
bution spécifique de chacune des relations d’atta-
chement de l’enfant et sur l’influence qu’exercent
les unes sur les autres les diverses représentations
qui en sont issues (Strayer, Veríssimo, Mani-
kowska, 1996). Le modèle polyadique de l’attache-
ment s’inspire de l’approche systémique à laquelle
nous reviendrons.
Les études sur la formation des modèles internes
opérants ont, par ailleurs, contribué à remettre en
question l’idée selon laquelle la relation d’attache-
ment et les modèles de représentations de l’enfant
sont établis relativement tôt dans le développement
et qu’ils sont inaltérables. Il semble plutôt que les
relations d’attachement de l’enfant et ses représen-
tations s’élaborent de façon progressive, au cours
du développement, par un processus de
co-construction que l’on tente maintenant de mieux
cerner. Les échanges affectifs et, plus largement,
les interactions de l’enfant avec les personnes qui
l’entourent au cours de l’enfance joueraient dans
ce processus un rôle déterminant. Elles contribue-
raient à moduler les modèles de représentation de
l’enfant bien au-delà de la première année. Bien
que cette position s’oppose à la vision tradition-
nelle, elle n’est pas entièrement nouvelle. Par
exemple, Ainsworth, Blehar et coll. (1978) soute-
naient que, peu importe les prédispositions de
l’enfant, ce sont ses expériences avec ses proches
qui déterminent la qualité de ses relations d’atta-
chement. Bowlby (cité par Ainsworth, Blehar et
coll., 1978) était, pour sa part, d’avis que le déve-
loppement des habiletés de communication, notam-
ment l’acquisition du langage, et le développement
des compétences cognitives entraînent d’impor-
tants changements chez l’enfant.
L’intérêt pour les divers partenaires sociaux de
l’enfant dans la formation de ces modèles internes
opérant conduit, nécessairement, à l’étude des
différents contextes dans lesquels l’enfant fait
l’expérience de ses relations sociales. Pour la
plupart des enfants, la famille est le contexte social
le plus important, et ses parents sont ses partenaires
sociaux les plus stables et les plus constants, d’où
l’importance de mieux comprendre la dynamique
affective et les patrons relationnels au sein de la
famille. Comme nous l’avons vu, les recherches sur
l’attachement se sont longtemps confinées à
l’analyse des réponses des mères aux signaux de
leur enfant ou à examiner les comportements des
enfants à l’égard de leur mère dans la « situation
étrange ». De plus en plus d’études adoptent une
perspective plus large en portant davantage atten-
tion aux relations de l’enfant avec son père, ou avec
d’autres figures familières, et en faisant une analyse
plus exhaustive des interactions parent-enfant. Un
aperçu de quelques-uns de ces travaux est donné
ci-après.
L’ATTACHEMENT PERE-ENFANT
La psychologie du développement a longtemps
négligé la contribution des pères dans le dévelop-
pement de l’enfant (Lamb, 1981). On reconnaît
maintenant, de plus en plus, que l’interaction mère-
enfant ne peut à elle seule expliquer le développe-
ment socio-affectif de l’enfant, et qu’il faut porter
davantage attention aux autres personnes avec
lesquelles l’enfant interagit de façon régulière.
C’est dans ce contexte que l’on s’intéresse au rôle
du père et à la relation d’attachement père-enfant
(entre autres, Badolato, 1997 ; Bourçois, 1997 ;
Dubeau, Moss, 1998 ; Frascarolo, 1997 ; Frasca-
rolo, Favez, 2005 ; Lamb, 1981, 1989, 1997 ; Le
Camus, 1997, 2000 ; Maccoby, Martin, 1983 ;
Martin, 2002 ; Mendonça, 2005 ; Paquette, 2004 ;
Rogé, 1997 ; Roggman, 2004 ; Tamis-Le Monda,
2004).
Les toutes premières études sur l’attachement
père-enfant s’interrogeaient sur la capacité du jeune
enfant à développer une relation d’attachement
avec son père. On reconnaît maintenant que le père
peut représenter une figure d’attachement tout
autant que la mère et que l’enfant peut s’attacher à
plus d’une personne à la fois. D’autres études ont,
par la suite, comparé la qualité de l’attachement de
l’enfant à sa mère et à son père pour en vérifier la
concordance. Dans une méta-analyse incluant onze
études, Fox, Kimmerly et Schaffer (1991) relèvent
une concordance pour seulement trois des échan-
tillons étudiés. On a souvent utilisé cette faible
concordance pour souligner l’effet négligeable du
tempérament de l’enfant sur la qualité de ses rela-
tions d’attachement, mais ces résultats mettent
aussi en évidence les liens entre la qualité de l’atta-
chement parent-enfant et l’histoire de leurs rela-
tions antérieures. Des différences dans les modes
d’interaction mère-enfant et père-enfant pourraient
donc expliquer les différences dans les patrons
d’attachement de l’enfant à sa mère et à son père.
On possède toutefois peu de données sur les inte-
ractions père-enfant et sur leur rôle dans le
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développement de la relation d’attachement père-
enfant. Belsky, dans une étude inédite réalisée en
1983, est l’un des premiers à s’y être intéressé
(Cox, Owen, Henderson, Margand, 1992). S’inspi-
rant des recherches sur l’attachement mère-enfant,
Belsky a eu recours à des mesures de sensibilité,
de responsabilité et de chaleur paternelles pour
évaluer la qualité des relations père-enfant au cours
de la première année. Ses résultats ne révèlent
aucun lien entre la qualité de l’attachement père-
enfant et les mesures de sensibilité paternelle
recueillies au cours de la première année, ce qui
concorde avec les résultats d’autres études (Easter-
brooks, Goldberg, 1984 ; Grossman, Grossman,
1992 ; Rosen, Rothbaum, 1993 ; Volling, Belsky,
1992). Selon Belsky, cette absence de lien pourrait
s’expliquer par l’utilisation de mesures inappro-
priées. D’autres variables pourraient mieux prédire
le développement d’un attachement père-enfant
sécurisant, comme semble le confirmer la
recherche de Cox, Owen et coll. (1992).
Selon Cox et ses collègues, la qualité des inte-
ractions père-enfant au cours de la première année
peut constituer un bon prédicteur de la qualité de
l’attachement père-enfant lorsque l’on a recours à
des variables telles que le jeu réciproque, le niveau
d’activité, l’affection physique et les encourage-
ments dans des situations d’interaction familiale.
Les auteurs insistent sur l’importance d’explorer
des dimensions qui sont plus caractéristiques des
interactions père-enfant. De même, Easterbrooks et
Goldberg (1984) rapportent un lien entre la qualité
de l’attachement père-enfant et les activités de jeu
et de résolution de problèmes dans lesquelles
s’engagent l’enfant et son père. Néanmoins,
lorsque l’on tient compte de l’ensemble des études
disponibles sur les liens entre la sensibilité pater-
nelle et l’attachement père-enfant, on observe un
effet, significatif mais faible, de la sensibilité pater-
nelle, comme l’indique la méta-analyse de De
Wolff et Van Ijzendoorn (1997).
En somme, si la sensibilité paternelle est asso-
ciée à la qualité de l’attachement père-enfant,
d’autres comportements paternels, ainsi que les
contextes dans lesquels interagissent père et enfant,
notamment, les contextes de jeu, pourraient jouer
un rôle significatif dans la genèse de leur relation
d’attachement, mais nos connaissances sont à cet
égard très limitées. Comme l’affirmaient George et
Solomon, en 1999, la nature du système d’attache-
ment père-enfant demeure toujours un mystère. Son
influence sur le développement de l’enfant reste
aussi méconnue. Mais il apparaît de plus en plus
évident qu’on ne peut véritablement comprendre la
relation d’attachement père-enfant et son influence
sur le développement de l’enfant sans tenir compte
des liens de l’enfant avec sa mère ou avec d’autres
figures significatives.
LES APPROCHES SYSTEMIQUES
DE L’ATTACHEMENT PARENT-ENFANT
L’intérêt pour la relation d’attachement père-
enfant s’inscrit dans un mouvement qui a profon-
dément bouleversé la psychologie du développe-
ment, comme la plupart des autres sciences
sociales, au cours des dernières décennies : le
passage d’une conception unidirectionnelle à une
conception bidirectionnelle, puis systémique, du
développement. L’approche systémique est en
quelque sorte le prolongement de l’approche bidi-
rectionnelle. Elle a d’abord été adoptée en psycho-
logie clinique afin de mieux saisir la complexité
des liens familiaux. Par exemple, le thérapeute
familial tente généralement de comprendre les
difficultés d’un enfant en le situant dans son
contexte familial. Les problèmes de l’enfant sont
souvent la manifestation d’un malaise au sein de
sa famille et pas seulement l’indice d’un désordre
intérieur qui lui est propre. Les travaux de John
Byng-Hall, qui a longuement œuvré auprès de
Bowlby, et lui succédé à la Tavistock Clinic de
Londres, s’inscrivent tout à fait dans cette optique.
Ses expériences cliniques auprès des familles l’ont
amené à redéfinir quelques-uns des grands concepts
de la théorie de l’attachement, en puisant dans les
théories systémiques (Byng-Hall, 1999). Selon lui,
c’est toute la famille, ses croyances, sa dynamique
et les liens d’attachement qui se créent entre ses
membres, dont il faut tenir compte pour
comprendre les problèmes de l’enfant. Son concept
de « base de sécurité familiale » illustre bien cet
ancrage dans les théories systémiques. Toujours
selon Byng-Hall, c’est la famille et non une simple
figure d’attachement qui donne à l’enfant un senti-
ment de sécurité suffisant pour pouvoir explorer le
monde et se développer. Bing-Hall s’intéresse
également à la façon dont la qualité d’une relation
d’attachement au sein de la famille se répercute sur
les autres relations (Byng-Hall, Stevenson-Hinde,
1991 ; voir aussi Goldbeter Merinfeld, 2005).
Goldbeter Merinfeld (2005) fait, par ailleurs, valoir
l’importance pour les thérapeutes familiaux
d’approche systémique d’intégrer certains concepts
issus de la théorie de l’attachement.
Les membres de la famille et les relations qu’ils
entretiennent entre eux forment donc un réseau
complexe d’influences mutuelles que les théories
systémiques tentent de saisir (Stafford, Bayer,
1993). Ces théories mettent l’accent sur les inte-
ractions constantes entre les diverses composantes
d’un système et sur les réorganisations périodiques
du système qu’elles entraînent, ce qui en accroît
progressivement la complexité. La démarche systé-
mique se distingue également par l’importance
accordée au contexte socioculturel, politique et
historique dans lequel évoluent l’individu et les
relations qu’il entretient avec son entourage (entre
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