Telechargé par Cecilia Girard

Psychologie du développement-2018

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Bahia GUELLAÏ
Rana ESSEILY
PSYCHOLOGIE
DU DÉVELOPPEMENT
cours
méthodes
entraînement
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Des ressources complémentaires sont disponibles en ligne à l’adresse :
http://armand-colin.com/ean/9782200619770
Illustration de couverture : August Macke,
Le grand jardin zoologique, 1912, Dortmund, Museum am Ostwall © AKG-images
Maquette intérieure : Yves Tremblay
Composition : Soft Office
© Armand Colin, 2018
Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur,
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-61977-0
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Table des matières
Présentation de l’ouvrage
Chapitre 1. Histoire de la psychologie du développement
et ses applications possibles
Introduction
Quelques points de terminologie
Objet d’étude de la psychologie du développement
1. Repères historiques
1.1 Une histoire de la psychologie générale
1.2 La naissance de la psychologie du développement
1.3 L’évolution de la place de l’enfant
au sein de la société occidentale
1.4 L’aube d’une éducation nouvelle
2. Champs et pratiques : du bébé à l’adolescent
2.1 Éducation
2.2 Vers des approches interdisciplinaires
2.3 Pédiatrie
Conclusion
13
13
13
15
15
15
17
20
26
28
28
28
29
31
■ À retenir
32
■ Entraînement
33
Chapitre 2. Les méthodes en psychologie du développement
37
Introduction
37
1. L’observation
38
1.1 L’observation descriptive
1.2 L’observation systématique
2. L’expérimentation :
applications spécifiques aux études chez le bébé
2.1 La préférence visuelle
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Psychologie du développement
2.2
2.3
2.4
2.5
2.6
2.7
La comparaison par paire ou la préférence pour la nouveauté 46
L’habituation
47
La technique de l’HPP
49
La transgression des attentes
49
La réponse motrice
50
Le développement de nouvelles techniques d’expérimentation 51
3. Méthodes des tests
53
4. Questionnaires et entretiens
55
4.1 Les questionnaires
4.2 Les différents types de questions
4.3 L’entretien
55
55
58
Conclusion
60
■ À retenir
61
■ Entraînement
62
Chapitre 3. Les grandes théories en psychologie du développement
65
Introduction
65
1. Approches constructivistes et néo-constructivistes
65
1.1
1.2
1.3
1.4
Jean Piaget (1896-1980)
Les concepts clefs de la théorie piagétienne
Les stades de développement selon Piaget
Approches néo-constructivistes
2. Approches socio-constructivistes :
Wallon, Vygotski et Bruner
2.1 Henri Wallon (1879-1962)
2.2 Lev Vygotski (1896-1934)
2.3 Jérôme Bruner (1915-2016)
66
67
70
74
79
79
84
87
3. Approches écologiques du développement de l’enfant
3.1 Le modèle de Bronfenbrenner
3.2 Modèles d’Ogbu et de Dasen
3.3 Universalité versus variabilités interindividuelles
4. Quatre théories récentes
en psychologie du développement
4.1
4.2
4.3
4.4
La théorie de l’intersubjectivité
La théorie du core knowledge
La théorie de la pédagogie naturelle
La théorie du « Like me »
Conclusion
91
94
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97
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100
101
105
■ À retenir
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■ Entraînement
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Table des matières
Chapitre 4. Petite enfance
109
Introduction
109
1. Qu’est-ce qu’un nourrisson ?
109
2. Le développement fœtal
110
2.1 Ontogenèse du système nerveux
2.2 Le développement de la sensorialité du fœtus
2.3 Les mouvements du fœtus
2.4 Que perçoit le fœtus de son environnement ?
110
111
115
116
3. Le nouveau-né : état actuel des connaissances
117
3.1 Des capacités soumises à certaines contraintes
3.2 Les capacités perceptives du nouveau-né
3.3 Vers une cognition néonatale
3.4 Les habiletés sociocognitives du nouveau-né
118
4. Après la naissance : le développement sensori-moteur
4.1 L’exploration des objets
5. Le développement sociocognitif du nourrisson
5.1
5.2
5.3
5.4
Le phénomène de l’attention conjointe
Raisonnement mentalistique versus téléologique
Imitation et raisonnement téléologique
Le développement de la cognition sociale
6. Le développement langagier :
compréhension et production
6.1 La situation de communication
6.2 Le développement de la communication
chez le jeune enfant
6.3 Se faire comprendre : l’importance des gestes
6.4 Le langage : perception et production à la fin
de la première année
6.5 Le cas particulier du bilinguisme
123
128
131
133
134
136
136
138
140
141
144
144
145
147
148
151
7. Le développement socio-émotionnel
155
7.1 Le développement des émotions
7.2 L’humour chez le bébé
155
157
Conclusion
160
■ À retenir
162
■ Entraînement
163
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Psychologie du développement
Chapitre 5. Enfance
165
Introduction
165
1. Le développement langagier
166
1.1 Les premières phrases : entre 18-24 mois
1.2 Après 2 ans
1.3 L’apprentissage formel du langage
166
166
167
2. Le développement des relations entre pairs
171
2.1 L’imitation synchrone : premier moyen de communication
entre pairs
2.2 L’émergence de l’amitié
3. Le développement de la catégorisation :
la question de l’intuition sociale
3.1 La catégorisation sociale chez les enfants
3.2 Préférences sociales et orientation
des comportements sociaux
4. Le développement cognitif :
l’opérationnalisation des concepts
4.1
4.2
4.3
4.4
Le stade préopératoire
Le stade des opérations concrètes
Les opérations « formelles » : à partir de 11-12 ans
Le nombre
5. Le développement moral
5.1 Les six stades du développement
du jugement moral de Kohlberg (1971)
5.2 Les données des études plus récentes
6. Le développement de l’identité sexuée
171
173
175
175
176
178
178
179
183
184
187
188
189
190
6.1 Acquisition des connaissances sur les rôles des sexes
192
6.2 Approches théoriques de la construction de l’identité sexuée 192
7. La théorie de l’esprit
7.1
7.2
7.3
7.4
Qu’est-ce que la théorie de l’esprit ?
Comment se développe la théorie de l’esprit ?
Critiques de la tâche de la fausse croyance
Quels sont les facteurs qui peuvent influencer la théorie
de l’esprit ?
7.5 Quelles sont les conséquences de la théorie de l’esprit ?
7.6 Une universalité de la théorie de l’esprit ?
Conclusion
193
193
193
195
195
196
197
198
■ À retenir
200
■ Entraînement
201
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Table des matières
Chapitre 6. Adolescence
203
Introduction
203
1. La notion d’adolescence
203
2. La puberté
204
2.1 Le rapport au corps
2.2 La sexualité
3. Le développement cognitif à l’adolescence
3.1 L’intelligence formelle selon Piaget
3.2 La métacognition
3.3 L’intelligence à l’adolescence selon une approche
psychométrique
4. Le développement du jugement moral à l’adolescence
4.1 La conception piagétienne du développement
du jugement moral
4.2 La conception de Kohlberg du développement
du jugement moral
4.3 Autres perspectives sur le développement moral
à l’adolescence
4.4 Le développement de l’habileté à négocier les conflits
interpersonnels
5. Le développement de la représentation de soi
et de l’estime de soi
6. Le développement des relations à l’adolescence
6.1
6.2
6.3
6.4
Les relations avec les parents
Les relations au sein de la fratrie
Les relations amicales à l’adolescence
Les relations amoureuses à l’adolescence
7. La scolarité à l’adolescence
8. Les principaux troubles du comportement
à l’adolescence
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■ À retenir
231
■ Entraînement
232
■ Bibliographie
235
■ Corrigés
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Présentation
de l’ouvrage
La collection Portail s’adresse à tous celles et ceux qui souhaitent se
familiariser avec la psychologie. Elle ne propose pas une vision exhaustive
de la discipline mais des clés pour l’acquisition d’un questionnement,
d’un vocabulaire, de connaissances et de méthodes spécifiques.
Objectif principal de l’ouvrage
La psychologie du développement est une discipline relativement récente
qui s’intéresse au développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent. Cet ouvrage a pour objectif de présenter sous forme ludique
les principales notions abordées en psychologie du développement, en
suivant quatre périodes clés : les débuts de la vie in et ex utero (développement fœtal et néonatal), la petite enfance, l’enfance et l’adolescence.
De Jean Piaget aux neurones miroirs
La plupart des manuels de psychologie du développement disponibles
jusqu’à présent l’abordent essentiellement sous l’angle des théories
fondatrices de la discipline. Or, des théories plus récentes ont permis
à la psychologie du développement d’évoluer ces dernières décennies et
de faire un véritable bond en avant dans l’acquisition des connaissances
sur le jeune enfant notamment.
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Présentation de l’ouvrage
Dans cet ouvrage, nous présenterons les théories les plus influentes
telles que celles de Jean Piaget, Henri Wallon et Lev Vygotski et nous
présenterons également des théories plus récentes qui ont permis d’envisager sous un jour nouveau certaines des théories fondatrices (telle la
théorie de la pédagogie naturelle qui reprend la théorie de Vygotski),
voire de les remettre en question (telle la théorie du Core Knowledge qui
remet en question l’approche constructiviste de Piaget).
Par ailleurs, les évolutions technologique récentes ont également
permis aux chercheurs en psychologie du développement de préciser
certaines théories ou certaines observations grâce à des outils automatisés
de recueil et d’analyse des données. Ainsi, avec le développement de ces
techniques, les chercheurs découvrent des compétences cognitives de
plus en plus précoces avec parfois un décalage de plus de deux ans par
rapport aux premières observations, notamment celles de Piaget.
De plus, afin de mieux appréhender toute la complexité du développement psychique de l’enfant et de l’adolescent, les psychologues du
développement sont amenés à adopter de plus en plus une approche
intégrative et à collaborer avec des roboticiens, des linguistes, des
statisticiens, etc. Cette nouvelle façon d’appréhender la psychologie du
développement a permis d’étendre les recherches à une multitude de
questions développementales très intéressantes dont la moralité, l’humour, la multimodalité, etc.
Enfin, il est important de garder à l’esprit que les recherches qui ont
permis d’aboutir aux connaissances actuelles sur l’enfant et l’adolescent, et que nous présenterons ici, sont pour la majorité des recherches
publiées dans des revues scientifiques, c’est-à-dire uniquement lorsque
les résultats sont significatifs. Or, bon nombre d’études présentant des
résultats non significatifs, et donc non publiées, sont tout aussi intéressantes d’un point de vue théorique. Nous laisserons au lecteur le soin de
garder un esprit ouvert et critique en lisant l’état de l’art que nous avons
choisi de présenter dans le présent ouvrage.
L’histoire de la psychologie du développement nous prouve que
les théories évoluent, changent et s’actualisent face à l’acquisition de
nouvelles connaissances et qu’il reste encore beaucoup à découvrir
pour comprendre toute la complexité du développement de l’enfant et
de l’adolescent.
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Psychologie du développement
Plan de l’ouvrage
■
■
■
Cet ouvrage introduit le concept de psychologie du développement
et l’avènement relativement récent de cette discipline, ainsi que ses
champs d’application (chapitre 1).
Il aborde les méthodes en psychologie du développement, en particulier les méthodes développées et utilisées pour évaluer les compétences
des jeunes enfants avant le langage (chapitre 2), puis les grandes théories du développement classiques et plus récentes (chapitre 3).
Il détaille les différents grands domaines du développement en
faisant un focus sur les plus importants à chaque période de la vie :
la petite enfance (chapitre 4), l’enfance (chapitre 5) et l’adolescence
(chapitre 6).
Chaque chapitre de l’ouvrage peut se lire indépendamment, mais vous
pourrez constater que des liens sont faits entre les chapitres notamment
avec les méthodes et les théories puisqu’elles sont transversales à toutes
les périodes de la vie.
Comment utiliser chaque chapitre ?
L’objectif de cet ouvrage étant de vous permettre d’apprendre et retenir
les notions clés en psychologie du développement, chaque chapitre est
structuré de la façon suivante :
– le(s) questionnement(s) à l’origine du chapitre ;
– une partie théorique portant sur le processus développementaux en
question ;
– une section « à retenir », reprenant certains éléments importants du
chapitre ;
– une section « notions clés » proposant un rappel des définitions de
certaines notions abordées dans le chapitre ;
– quelques supports conseillés (lectures) pour aller plus loin dans la
compréhension des processus en question ;
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Présentation de l’ouvrage
– des exercices visant à vous permettre de tester les connaissances
acquises dans ce chapitre.
Ces éléments ne sont pas exhaustifs, mais visent à constituer une aide
dans la maîtrise des concepts abordés.
Par ailleurs, vous pourrez également retrouver des supports en ligne,
constitués d’exercices vous permettant d’aller un peu plus loin dans la
maîtrise des notions abordées, sur le lien :
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Dans ce chapitre, il s’agit d’une part de voyager dans le temps afin de comprendre comment la
psychologie du développement a émergé, et ce, relativement tardivement au cours de l’histoire
de la psychologie. Il s’agit d’autre part de préciser quelques champs d’application possible, de la
psychologie du développement.
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CHAPITRE
1
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
1. Repères historiques
2. Champs et pratiques :
du bébé à l’adolescent
Conclusion
Voir encadré p. 14.
Histoire
de la psychologie
du développement
et ses applications
possibles
Introduction
Qu’est-ce que la psychologie du développement ? En France
à l’heure actuelle, on regroupe sous le terme de « psychologie du
développement » le domaine de la psychologie générale qui s’intéresse aux changements psychologiques d’un individu de son
enfance à son adolescence. Il est désormais communément admis
que ce champ de la psychologie fait référence à la psychologie de
l’enfant et de l’adolescent. Mais en réalité, l’homme est en développement tout au long de sa vie. On distingue alors l’approche
lifespan qui prend en compte le développement humain de la
naissance à la fin de sa vie et ce à quoi nous ferons référence ici, la
psychologie du « développement » axée sur le développement de
l’enfant et l’adolescent.
Quelques points de terminologie
L’un des précurseurs de la psychologie du développement, Jean
Piaget, à la fin du xixe siècle, avait adopté le terme « psychologie
génétique », en référence à la science qui s’intéresse à la « genèse »
de l’esprit humain. Dans l’idée de Piaget, cette psychologie génétique était un moyen de comprendre le développement de l’esprit
humain, donc en observant le jeune enfant, d’accéder au fonctionnement psychique adulte. Cet adjectif a donc été utilisé avant
les biologistes, qui lui ont donné par ailleurs une autre définition.
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Définition
Psychologie du développement
❯ Génétique : en biologie : étude des gènes.
❯ Pour Piaget : science qui étudie la genèse et le développement de l’intelligence.
Pour éviter certainement toute ambiguïté, la notion de « psychologie
de l’enfant » apparaît au début du xxe siècle. Il s’agit alors d’essayer de
comprendre le développement et le fonctionnement de l’enfant, depuis sa
naissance jusqu’à l’adolescence. Les psychologues développementalistes
ont alors pour souci d’appréhender le développement psychique de l’enfant en tant qu’être à part entière, différent de l’adulte. Cette évolution
de la notion va de pair avec celle de la place de l’enfant dans nos sociétés
occidentales comme nous le verrons plus loin.
L’une des caractéristiques de la psychologie du développement est de
s’intéresser au fonctionnement psychique d’un enfant pendant l’enfance
et l’adolescence en situant ce fonctionnement par rapport aux fonctionnements « typiques » des enfants et adolescents de son âge. Il est donc
important de connaître les différentes étapes (ou stades pour reprendre
le terme piagétien) du développement typique.
La psychologie du développement peut être définie comme l’étude des changements dans le fonctionnement psychologique au cours de la vie.
Le psychologue développementaliste analyse, toujours via des
comportements observables, l’évolution des processus psychologiques.
Cette notion met en évidence l’aspect très dynamique du développement.
Approche lifespan du développement
Selon cette approche, la psychologie du développement se caractérise par l’idée
selon laquelle l’homme ne cesse de se développer de la conception à la mort,
pendant tout le cycle de la vie, ou lifespan pour les Anglo-Saxons. L’un des buts
de la psychologie du développement consisterait ainsi à étudier les changements
individuels au travers de la succession des âges de la vie, depuis la période fœtale
et jusqu’au vieillissement adulte.
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
Cette perspective est dite « vie entière » (lifespan en anglais). Elle résulte d’une
évolution technologique – outils de plus en plus sophistiqués pour étudier l’embryon puis le fœtus – mais également de l’évolution de la condition humaine :
la période de l’adolescence s’allonge avec une indépendance de plus en plus
tardive et l’espérance de vie augmente.
Objet d’étude de la psychologie du développement
L’intérêt pour l’enfant est en fait bien plus récent que l’intérêt pour
l’homme. Pour comprendre l’histoire et les champs d’application
possibles de la psychologie du développement, il faut d’abord commencer
par préciser l’objet d’étude de la psychologie du développement. Les
études réellement développementales ont jusqu’à présent essentiellement concerné la période de l’enfance et de l’adolescence. L’âge adulte se
prête assez mal à des études de ce type, en raison de la grande variabilité
des trajectoires individuelles et de la diversité des objectifs que se fixent
les individus. Ainsi, en France à l’heure actuelle, on regroupe sous le
terme de psychologie du « développement » le domaine de la psychologie
générale qui s’intéresse aux changements psychologiques d’un individu
de son enfance à son adolescence. Un autre terme associé est ontogenèse . On distingue généralement la phylogenèse , étude de l’évolution des espèces, et l’ontogenèse centrée sur l’évolution individuelle.
En fait, l’évolution individuelle est déterminée par les évolutions antérieures de l’espèce et par les circonstances et les acquis historiques. En
retour, les processus en jeu dans l’ontogenèse orientent ou canalisent
les potentialités de l’espèce (Gottlieb, 2002) ; ils contribuent également
à l’évolution des sociétés.
Voir définitions p. 19.
1. Repères historiques
1.1 Une histoire de la psychologie générale
La psychologie générale est issue de la philosophie. Cette filiation est toute
naturelle puisque la philosophie s’intéresse à l’esprit humain (du grec
philos : aimer et sophia : le savoir). La psychologie est longtemps restée
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Psychologie du développement
un sous-domaine, sans utilisation péjorative du terme, de la philosophie,
spécifiquement orienté sur le développement et le fonctionnement de
l’âme. Le terme « psychologie » date en fait du xvie siècle (Bres, 1998).
Il faut attendre la fin du xive siècle pour voir émerger la science
nouvelle qu’est la psychologie. Sous l’impulsion de penseurs tels que
Descartes, les questionnements de la psychologie se précisent comme
notamment la construction des connaissances. Pour Descartes, dans ses
Méditations métaphysiques (1641), le monde physique doit être séparé du
monde de l’esprit, en ce sens que les phénomènes mentaux possèdent leur
matière/caractéristiques propre(s), qui sont indépendantes de la matière
physique et donc immatérielles : c’est le dualisme, retrouvé dans les écrits
de Platon et Aristote. L’esprit, dans la vision cartésienne, est indépendant
du corps physique. Un peu plus tard, Locke, dans son célèbre ouvrage
Some Thoughts Concerning Education (1690), s’oppose à la vision cartésienne du dualisme corps/esprit en soutenant que les deux vont ensemble
et que notre pensée se construit au travers de nos expériences du corps
physique avec le milieu dans lequel nous vivons. Il s’agit là d’un point
central dans l’émergence d’une pensée sur l’importance du rôle de l’éducation dans le développement humain, comme nous le verrons plus loin.
Au xixe siècle, plusieurs chercheurs vont contribuer à la naissance de
la psychologie en tant que discipline scientifique.
Tout d’abord, Hermann Von Helmholtz (1821 1894), physicien et
physiologiste allemand, rédige un traité d’optique physiologique qui
inspirera plus tard les chercheurs en psychologie dans le domaine des
perceptions visuelles. Ses travaux sont à la base des recherches sur les
temps de réaction, l’une des mesures en temps réel les plus utilisées
aujourd’hui dans les différents domaines de la psychologie.
Le philosophe Gustav Fechner (1801-1887), en fondant une nouvelle
science appelée « psychophysique », pose les bases d’une première
psychologie scientifique. Fechner souhaitait évaluer les sensations, afin
d’établir des relations fonctionnelles entre intensité des stimulations et
sensations produites. Dans ce contexte, la fondation du premier laboratoire de psychologie par Wilhelm Wundt (1832-1920) en 1879 à Leipzig
(Allemagne) est considérée comme le véritable point de départ de la
psychologie scientifique. Les recherches de Wundt, à la suite de Fechner,
portent sur les perceptions : son objectif est d’isoler les sensations
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
élémentaires qui composent une perception, afin d’accéder aux processus
mentaux plus complexes.
En France, Théodule Ribot (1839-1916) propose de développer
une démarche expérimentale pour rendre compte des phénomènes
psychiques et pour pouvoir les mesurer. Ribot établit donc une distinction nette entre philosophie et psychologie. Francis Galton (1822-1911),
va créer en 1884 un laboratoire de mesures anthropométriques. À sa
suite, James Cattell (1860-1944), premier dans l’histoire à porter le titre
de professeur de psychologie, fonde aux États-Unis un laboratoire dans
lequel il poursuit les études de Galton sur l’hérédité de l’intelligence, en
se centrant sur les dimensions psychophysiologiques et psychologiques
(voir Chanquoy et Négro, 2004).
La volonté scientifique de mesurer les phénomènes mentaux est
renforcée au début du xxe siècle par le courant béhavioriste. Le béhaviorisme, fondé par John Watson (1878 1958) en 1920, apparaît d’abord aux
États-Unis, et aura une influence considérable sur la psychologie expérimentale. Ce courant s’intéresse aux comportements visibles, grâce au
célèbre schéma stimulus-réponse. Le principe consiste à étudier l’homme
au moyen des méthodes objectives utilisées avec l’animal. Certains éducateurs vont alors s’appuyer sur les théories béhavioristes pour prôner que,
via le conditionnement, il est possible de tout apprendre, il suffit pour
cela de mettre au point des situations éducatives propices.
« Béhaviorisme »
provient du mot anglais
« behavior » qui signifie
« comportement ».
1.2 La naissance de la psychologie
du développement
Dès la fin du xixe et à partir du xxe siècle, en Europe comme aux
États-Unis, de très nombreux auteurs, philosophes, psychologues,
psychanalystes, pédagogues, médecins, pédiatres ou simples parents
ont, à partir de différentes méthodes, élaboré des théories pour décrire,
comprendre et analyser le développement de l’enfant.
À partir de 1920, deux courants se sont plus particulièrement intéressés au développement de l’enfant :
– le constructivisme, notamment avec Jean Piaget (1896-1980),
Les travaux de ces courants
sont développés
au Chapitre 3.
– et le socioconstructivisme dont l’auteur principal est le russe Lev
Vygotski (1896-1934).
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Psychologie du développement
Observation naturaliste :
observation des
comportements des
individus dans les
circonstances de leur vie
quotidienne et/ou naturelle.
Voir Chapitre 2.
Voir Chapitre 2.
L’étude de l’enfant a commencé par des biographies rédigées généralement par les parents, avant de devenir plus systématiques et plus
scientifiques. Leur généralisation a conduit à d’intéressantes théories
qu’utiliseront les psychologues. De l’époque de Jean-Jacques Rousseau
jusqu’à la fin du xixe siècle, les recherches méthodiques sur l’enfant
sont devenues de plus en plus fréquentes. Notamment, la pratique de
tenir une biographie ou un journal pour noter les progrès détaillés d’un
ou plusieurs enfants, jour après jour. La méthode utilisée était l’observation naturaliste. Ainsi, en France, le philosophe Hippolyte Taine
publie en 1876 un ouvrage sur l’acquisition du langage, d’après l’observation suivie de sa fille. Un peu plus tard, Alfred Binet (1857-1911), qui
deviendra célèbre grâce à son fameux test d’intelligence .
Il fonde le premier laboratoire français de psychologie expérimentale
et étudie ses deux filles pendant trois ans. Le célèbre Darwin, en 1877,
publie un journal d’observations sur l’un de ses enfants et inaugure
l’idée qu’une étude du développement de l’enfant permettrait de mieux
comprendre la psychologie humaine en général. C’est grâce à l’Américain
Arnold Gesell (1880-1961) que l’observation devient plus systématique
et plus rigoureuse. Avec l’avènement du béhaviorisme, Gesell souhaite
observer l’enfant plus précisément. Il est l’un des premiers à utiliser une
caméra pour filmer ses observations. Ainsi, l’observation des enfants,
sous sa forme biographique et naturaliste, a été la première forme d’étude
longitudinale .
Cette méthode a aussi permis de développer la méthode clinique,
permettant une analyse approfondie de cas individuels. Enfin, elle
a évolué vers l’expérimentation, méthode la plus largement utilisée
aujourd’hui.
Parallèlement à ces progrès conduits plutôt dans le domaine de la
pédagogie ou de l’éducation, les découvertes des biologistes ont également contribué à la naissance de la psychologie du développement avec
notamment au cours des xviiie et xixe siècles, l’arrivée du courant évolutionniste, qui s’oppose aux croyances religieuses de l’époque.
Bien que Lamarck ait posé l’essentiel des bases évolutionnistes,
l’oeuvre de Darwin, intitulée L’origine des espèces et publiée en 1859,
est considérée comme le fondement de l’évolutionnisme général. Dans
cet ouvrage, Darwin postule une origine unique à la vie sur terre : tous
les êtres vivants auraient un seul et même ancêtre. Complémentairement
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
à ces recherches et du fait de son intérêt pour la psychologie, et plus
particulièrement pour la psychologie de l’enfant, Darwin précise que
l’étude du développement nécessite à la fois d’analyser les changements
qualitatifs et quantitatifs des structures psychologiques et de se pencher
sur les relations entre phylogenèse et ontogenèse. Les psychologues de
l’époque tentent alors d’intégrer dans leurs théories les propositions
darwiniennes pour expliquer les processus de changement des êtres
humains, à la fois ontogénétiquement et phylogénétiquement. Le biologiste Ernst Haeckel (1834-1919) s’inspire de la théorie de l’évolution de
Darwin pour proposer une loi biogénétique en 1874 (éditée en 1877),
selon laquelle l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. En d’autres termes,
le développement embryologique répète, au cours de son développement,
de façon abrégée et accélérée, les transformations subies par l’espèce.
Cette théorie a deux répercussions importantes, la première relevant
plutôt de la psychologie comparée et la seconde référant à la psychologie
de l’enfant :
1. le développement mental d’un être doit nécessairement répéter le
développement mental des espèces à laquelle il appartient ;
2. le développement psychique d’un enfant doit reproduire le dévelop-
pement culturel à laquelle il appartient.
Définitions
Ainsi, l’étude du développement de l’enfant peut contribuer à la
connaissance de l’évolution des espèces. Certains psychologues du développement se sont inspiré des recherches des biologistes pour étayer
leurs théories et ont cherché des parallèles entre les développements
ontogénétique et phylogénétique.
❯ Ontogenèse : Développement d’un individu depuis sa conception (fécondation)
jusqu’à sa forme adulte définitive. Elle comprend donc le développement
embryonnaire ainsi que la croissance ultérieure de l’organisme et, dans le cas de
l’homme, le développement de sa psychologie.
❯ Phylogenèse : Histoire évolutive d’une espèce ou d’un groupe d’espèces
apparentées. L’étude de cette phylogénie recherche à déterminer les liens de
parenté entre les groupes d’espèces de différents niveaux taxonomiques, de sorte
à mieux comprendre leur évolution et à établir une classification des espèces en
fonction de leur parenté.
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Psychologie du développement
L’inné et l’acquis : un débat dépassé
La notion de développement a été au cœur de nombreux débats philosophiques.
L’un d’eux est connu sous le terme de débat inné/acquis. Ce débat entre innéistes
et empiristes, apparent dès le XVIIe siècle, a perduré jusqu’au XXe siècle.
Dès le XVIIe siècle, Descartes pose le problème du développement des idées dans
ses Méditations métaphysiques en 1637, et notamment de ce qui est présent
dès notre venue au monde (i.e., ce qui est inné) et de ce qui est acquis avec
l’expérience.
Vers 1870-1880, la notion d’hérédité s’étant précisée, les mots « inné » et « acquis »
ont été définis en opposition l’un à l’autre dans le cadre qu’elle offrait, et en
oubliant le sens étymologique fondé sur la présence ou non des caractères au
moment de la naissance. Inné et héréditaire sont devenus presque synonymes :
sont innés (ou héréditaires) les caractères biologiques ou psychologiques que
l’enfant tient de ses seuls ancêtres (via ses parents). Sont acquis les caractères
déterminés par l’action de l’environnement sur cette base héréditaire.
Même si certains chercheurs continuent à avoir ce débat, il est clair désormais
que les connaissances se construisent à la fois sur des bases « précâblées » et en
interaction avec l’environnement.
1.3 L’évolution de la place de l’enfant
au sein de la société occidentale
Pour prendre toute la dimension de l’importance de la psychologie du
développement et sa place particulière en tant que domaine de la psychologie générale, il est important de préciser que son histoire est bien sûr
liée à celle de la place de l’enfant dans nos sociétés occidentales.
Comme le précisent Chanquoy et Négro (2004), jusqu’au xviie siècle,
les philosophes et hommes de sciences s’intéressent plus aux questions
liées à l’éducation qu’au fonctionnement psychologique de l’enfant. Pour
comprendre comment est apparue une psychologie de l’enfant, puis du
développement, il faut d’abord essayer de comprendre comment la place
de l’enfant a évolué depuis l’Antiquité dans nos sociétés occidentales.
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
■
Antiquité
Dans l’Antiquité grecque et romaine, les nouveau-nés ne sont pas beaucoup considérés, et le taux de mortalité infantile reste élevé jusqu’au
xixe siècle. Cela a pour conséquence (et certainement lié) au peu d’investissements de la part des adultes et peu d’intérêt pour l’enfant de manière
générale. Le père de famille a droit de vie et de mort sur les membres de
sa famille et ce jusqu’au ive siècle. Relativement à l’éducation, les Grecs
se focalisent essentiellement sur le sport et l’éducation physique, qu’ils
inculquent très tôt à leurs enfants. Selon les philosophes (tels que Socrate,
Platon ou Aristote), l’enfant naît avec des dispositions naturelles que
l’éducation va devoir développer. Globalement, les philosophes grecs ont
contribué à faire évoluer la pédagogie car ils ont largement critiqué les
pratiques éducatives de leur époque et en ont proposé d’autres, non pas
dans l’intérêt de l’enfant, mais afin de forger un adulte idéal.
■
Moyen Âge
Au Moyen Âge, la vie d’un enfant, s’il est pauvre, n’est pas très enviable :
il travaille très jeune et a une espérance de vie très courte (autour de
23-25 ans). Selon Ariès (1960), l’enfant n’a pas d’existence propre dans
la société médiévale, où il est considéré comme un adulte en miniature.
D’ailleurs, saint Thomas d’Aquin (1225-1274), travaillant sur l’intelligence, développe l’idée selon laquelle celle-ci est homogène de l’enfance
à l’âge adulte. Deux visions de l’enfant se distinguent :
– la première est celle de « l’enfant-péché » : l’enfant est un être empli
d’instincts mauvais, il inspire la méfiance car il est porteur du péché
originel. On pratique des mesures éducatives coercitives car on pense
que seule une telle éducation pourrait venir à bout de son esprit
corrompu. On conçoit alors l’éducation comme un « dressage » ;
– la seconde vision est celle de « l’enfant-Jésus » : par sa condition proche
des origines (et donc de l’au-delà), l’enfant est un lien privilégié entre
Dieu et les hommes. Dans le cadre de cette perception de l’enfance,
les pratiques éducatives s’inspirent d’une pédagogie qui tendrait vers
la préservation de l’innocence enfantine.
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Psychologie du développement
■
Les Temps modernes
Les écrits et peintures de la Renaissance (par exemple, celles de Rubens)
témoignent d’un intérêt nouveau et particulier pour l’enfant, pour son
corps, son langage, etc. Les humanistes envisagent une nouvelle conception de l’éducation et considèrent l’enfant comme un être humain
différent de l’adulte, possédant des caractéristiques propres dont il faut
tenir compte pour l’éduquer correctement.
Érasme (1469-1536), humaniste hollandais, écrit notamment, au
xvie siècle, un traité de psychopédagogie intitulé De pueris proposant
des principes modernes d’éducation et il prône un intérêt particulier
pour la petite enfance, au cours de laquelle les enfants doivent être choyés
plutôt que rudoyés. Érasme est en outre l’un des premiers à avoir envisagé
la notion de stades de développement. Il a également proposé certaines
méthodes pédagogiques, en partant du principe de table rase (tabula
rasa), selon lequel l’enfant naît avec un cerveau vierge, qu’il faudra
« remplir » grâce à l’éducation.
Cette tendance se retrouve en France dans les Essais (1580 et 1588)
de Montaigne (1533-1592). On assiste donc au début d’un processus
qui est celui de l’individualisation de l’enfant. Désormais, les femmes
demandent de plus en plus à ce que des accoucheurs savants s’occupent
de leurs accouchements. Elles n’acceptent plus de mourir en couches.
■
XVIIe siècle
Au xviie siècle en Europe, de grands pédagogues contribuent à faire
évoluer l’enseignement. François Fénelon (1651-1715), catholique moraliste et auteur d’un Traité de l’éducation des filles (1687), exige, comme
le montre le titre de son ouvrage, que l’éducation ne soit plus seulement
réservée aux garçons. Par ailleurs, l’école, qui occupe désormais une place
plus importante, est à l’origine d’une véritable séparation entre enfants
et adultes : l’enfant apprend à l’école et plus seulement au contact des
adultes.
Le philosophe René Descartes (1596-1650) défend l’idée selon laquelle
la science nécessite une parfaite compréhension de l’esprit humain et
révolutionne le cadre de pensée au travers de ses travaux et de ses théories. Enfin, le xviie siècle voit se développer l’intérêt pour les biographies
d’enfants, rédigées le plus souvent par les parents ou les médecins (voir
supra).
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
■
XVIIIe siècle
D’une manière générale, le xviiie siècle marque une véritable découverte
de l’enfance. La mortalité infantile recule de manière spectaculaire du fait
des progrès médicaux et hygiéniques, mais également et surtout grâce à la
mise en oeuvre d’une véritable protection de l’enfance. La création du
métier de sage-femme et la baisse de l’infanticide sont des illustrations de
ce respect de l’enfant, qui se confirmera dans les décennies suivantes. La
santé et l’éducation sont les deux principaux soucis des parents du siècle
des Lumières.
Certains philosophes, comme Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
s’interrogent sur la genèse des idées et la formation de l’esprit dans une
démarche empiriste et s’intéressent à l’enfant en tant qu’être spécifique.
Cet intérêt va poser l’une des bases de la psychologie du développement. L’enfant a désormais des droits, au même titre que tout être
humain. De ce fait, l’éducation prend une nouvelle dimension et les
méthodes éducatives changent radicalement, essentiellement grâce aux
propositions des philosophes : il ne s’agit plus de dresser mais de préserver
et d’éduquer. Dans ce contexte, l’ouvrage le plus important est sans doute
Émile ou De l’Éducation, traité d’éducation rédigé par Rousseau, publié
en 1762 et qui a changé fondamentalement le regard porté sur l’éducation. Rousseau considère l’enfant comme un être différent de l’adulte et
prend en compte le caractère très progressif du développement. Pour lui,
l’enfant est un être innocent, naturellement bon. Il a été l’un des premiers
à considérer l’enfant comme un être en évolution et non pas comme un
« pré-adulte ». L’Émile peut être considéré comme un ouvrage clé pour
la naissance de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, dont il est
possible de dégager au moins six points fondamentaux :
1. l’enfant a des manières d’agir et de penser qui lui sont propres ;
2. l’enfance correspond à une réelle période de la vie, avec ses propres
valeurs ; elle ne doit donc pas être simplement un apprentissage de la
vie adulte ;
3. l’enfance est innocence ;
4. l’enfant apprend par expérience avec la nature ;
5. l’enfance suit un rythme naturel de croissance et l’éducation doit
respecter ce rythme ;
6. une bonne connaissance des élèves est indispensable aux éducateurs.
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Psychologie du développement
Ces préceptes se retrouvent dans des pédagogies dites alternatives
en plein essor à l’heure actuelle comme nous le verrons plus loin dans
ce chapitre.
« Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant
grands est donné par l’éducation » Rousseau, Émile ou De l’Éducation.
Au xviiie siècle, dans les États européens, on assiste à un phénomène
de limitation des naissances. Parallèlement à ce phénomène, en Europe, le
taux de mortalité infantile baisse. Les préceptes de Rousseau ont modifié
certains comportements de la société du xviiie siècle, notamment dans
la bourgeoisie et la haute société qui s’en sont inspirés pour éduquer et
élever leurs enfants. Cependant, dans les classes pauvres ou populaires,
les enfants continuent à travailler très jeunes, dans les champs, les fermes
ou les usines. Il faudra attendre 1881 et Jules Ferry pour obliger tous les
enfants à la scolarité en France et ainsi les protéger et reconnaître leur
premier droit, celui à l’éducation.
■
XIXe siècle
Jusqu’à la fin du xixe siècle, l’enfant représente encore une force de
travail très utile dans une Europe occidentale rurale et agricole. Dans
le Code pénal napoléonien de 1810, l’enfance est envisagée uniquement
sous le biais des infractions concernant l’état civil et le terme « enfant »
désigne tout individu âgé de moins de 15 ans. Néanmoins, deux pratiques
montrent que la définition de l’enfance était encore floue à cette époque.
Ces pratiques sont, pour l’essentiel, la cohabitation de très jeunes délinquants et d’adultes dans les mêmes prisons et l’attribution de peines très
légèrement inférieures à celles attribuées aux délinquants majeurs. Les
grandes découvertes de Pasteur sur l’asepsie et l’antisepsie donnent lieu
à l’élaboration de règles d’hygiène très efficaces dans le domaine médical
de la petite enfance. En 1860, le taux de mortalité infantile en Europe est
très élevé et on assiste alors au développement d’un grand mouvement
de Santé publique en faveur de la petite enfance.
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
■
XXe siècle
Définition
Jusqu’au milieu du xxe siècle, le concept de l’enfance reste flou surtout en
ce qui concerne ses limites temporelles notamment. La première tentative
d’une définition de l’enfance en droit s’est concrétisée sous la forme de
la Convention de New York établie par le Conseil de l’ONU en 1989 : au
sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain
âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu
de la législation qui lui est applicable. Cette définition englobe enfance et
adolescence sous le même terme. Au sein des recherches sociologiques,
l’enfant et l’enfance n’ont pas été – pendant longtemps – approchés en
tant qu’objets d’étude à part entière, mais au travers des modes de prise
en charge sociale/institutionnelle comme la famille, l’école, la justice.
Les grandes lois du xxe siècle reflètent une autre vision de l’enfance qui
réitère la qualité de pureté comme spécificité absolue de cette période
de vie. En effet, progressivement, la sanction pénale devient impossible
avant l’âge de treize ans.
❯ Enfance : Nom féminin (latin infantia). Période de la vie humaine qui va de la
naissance à l’adolescence.
Les caractéristiques principales qui se dégagent de cette définition
sont, de manière schématique, les suivantes :
– l’enfance peut être décomposée en plusieurs périodes/étapes : petite
enfance, seconde enfance ;
– l’enfance est une période de la vie humaine ;
– notion de commencement/origine/non-développement ;
– d’un point de vue juridique : notion de minorité/majorité.
Selon l’Unicef, l’enfance est un moment important pendant lequel les
enfants devraient vivre à l’abri de la peur et de la violence, être protégés
contre la maltraitance et l’exploitation. Il s’agit donc d’une période sécurisée bien distincte de l’âge adulte.
Le saviez-vous ?
UNICEF est l’acronyme
de United Nations
International Children’s
Emergency Fund (Fonds
des Nations Unies
pour l’Enfance, en
français). Il a été créé
en 1946 pour aider les
enfants européens suite
à la Seconde Guerre
mondiale.
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Psychologie du développement
Reconnaissance des droits de l’enfant
1924 : première déclaration internationale des droits de l’enfant adoptée par la
Société des Nations.
1948 : version plus étayée de ce texte adoptée par les Nations unies.
1959 : déclaration en dix points sur laquelle s’est basée l’actuelle convention.
1989 : Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’ONU.
1990 : entrée en application de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Désormais, la place de l’enfant s’apparente à celle de tout citoyen, il est sujet de
droit dès sa naissance.
Il émane de ces différents textes la volonté de considérer l’enfant comme un être
humain, en lui reconnaissant les mêmes libertés que tout être humain et, en même
temps, de tenir compte de ses différences en tant qu’enfant.
1.4 L’aube d’une éducation nouvelle
Comment penser le statut de l’enfant au xxie siècle ? L’enfant d’aujourd’hui doit être dans la performance et tout réussir : scolarité, activités
extrascolaires,… et tout cela le plus tôt possible. Paradoxalement, on
assiste à une sacralisation des valeurs de l’enfance. Ces valeurs propres
à l’enfance qui deviennent centrales dans nos sociétés sont l’insouciance,
l’innocence, la spontanéité. Dans ce contexte caractérisé par une certaine
dualité, il est question de repenser la place de l’enfant et de repenser l’éducation qui peut lui être donnée en lien avec les connaissances acquises sur
le développement de l’enfant. Ainsi, dès la fin du xixe siècle, de nouvelles
pédagogies sont apparues, dans le jalon de ce qu’on nomme « Éducation
nouvelle ». Cette « Éducation nouvelle » a le vent en poupe ces derniers
temps. Elle se base sur l’idée que l’apprentissage, avant d’être une accumulation de connaissances, doit être un facteur de progrès global de la
personne. Pour cela, il faut partir de ses centres d’intérêt et s’efforcer de
susciter l’esprit d’exploration et de coopération.
Le mouvement de l’Éducation nouvelle
L’Éducation nouvelle s’inspire d’une longue tradition de pédagogues qui, déjà,
estimaient que « l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on
allume », et fut influencée par les théories de Rousseau.
➥
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
Ce mouvement, de caractère international est marqué par des mouvements
exploratoires, qui visent à expérimenter dès la fin du XIXe siècle des approches
différentes de l’éducation, et qui cherchent avant tout à respecter l’individu
dans sa singularité. Dès cette époque, ces expérimentations s’appuient sur
les travaux de médecins et de psychologues qui cherchent à appliquer les
découvertes récentes sur le développement de l’enfant.
Aux États-Unis, John Dewey ouvre en 1896 un laboratoire d’études sur la
psychologie appliquée pour mieux comprendre la pédagogie. En Italie, Maria
Montessori crée la première Casa dei bambini en 1907, tandis que la première
école Ovide Decroly est ouverte en Belgique. En Suisse, Edouard Claparède,
médecin et psychologue, crée en 1912, à Genève l’Institut Jean-Jacques
Rousseau, école des sciences de l’éducation. Le mouvement européen s’enrichit en 1910 avec l’ouverture de l’Odenwaldschule par Paul Geheeb en
Allemagne. En Pologne, Janusz Korczak crée en 1912 son premier orphelinat
« Dom Sierot » organisé en république d’enfants.
La Première Guerre mondiale marque profondément les pédagogues engagés
dans ces expérimentations. Henri Wallon dira à propos de cette époque : « Il
avait semblé alors que pour assurer au monde un avenir de paix, rien ne pouvait
être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de
la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient s’épanouir
les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes
de la guerre et de la violence ».
En 1919 commence en Allemagne l’expérience des écoles libertaires de
Hambourg, tandis qu’en marge du mouvement, Rudolf Steiner ouvre la
première école Waldorf. En 1921, la Ligue internationale pour l’éducation
nouvelle est créée, sur la base de la charte de l’éducation nouvelle rédigée
en 1915 par Adolphe Ferrière. Au cours des années qui suivent et jusqu’à
la Seconde Guerre mondiale, ses congrès rassembleront les militants de l’éducation nouvelle. Cette ligue est dissoute en 1946, dans un contexte de guerre
froide et l’émergence d’idéologies trop différentes.
Il est intéressant de voir qu’à l’heure actuelle, professionnels et parents
montrent un regain d’intérêt pour ces pédagogies « alternatives ». Une nouvelle
ère semble s’ouvrir, il sera alors intéressant de voir comment les découvertes
de ces dernières décennies sur le développement de l’enfant peuvent jouer
un rôle dans le renouveau de notre rapport à l’enfant et aux apprentissages.
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Psychologie du développement
2. Champs et pratiques :
du bébé à l’adolescent
2.1 Éducation
Dès le début du xxe siècle, avec Alfred Binet la psychologie du développement a été reconnue pour son utilité sociale dans les domaines
de l’éducation, de la santé et de la socialisation. Le rôle de la psychologie du développement n’est pas de fixer des normes éducatives, car
ces normes relèvent de choix de société. En revanche, la psychologie du
développement peut montrer comment les compétences à acquérir se
situent dans une trajectoire développementale et nécessitent parfois des
prérequis. Elle peut aussi aider à mieux évaluer les méthodes pédagogiques et à décider dans quelle mesure ces méthodes s’accordent avec
la complexité des processus d’apprentissage. De fait, l’une des fonctions
du psychologue du développement est de chercher à optimiser la prise
en charge des enfants en difficulté scolaire.
L’utilité de la psychologie du développement s’observe aussi dans les
cas atypiques où la prise en charge éducative doit se faire sans a priori
autres que ceux qui découlent des connaissances acquises. À titre
d’exemple, on peut penser aux enfants présentant un déficit sensoriel
(enfants aveugles, enfants sourds), à ceux dont le handicap est d’origine génétique (syndromes de Down, de Williams, etc.), à ceux qui
manifestent un trouble envahissant du développement comme l’autisme sous ses diverses formes. Dans tous les cas, il s’agit de rechercher
quel est le meilleur environnement de développement adapté à la situation particulière de l’enfant.
2.2 Vers des approches interdisciplinaires
Les applications possibles de la psychologie du développement ne sont
pas simples et elles s’organisent désormais dans des contextes interdisciplinaires. Par exemple, le développement de la robotique ces dernières
décennies a amené les chercheurs à se questionner sur la possible modélisation du développement de l’enfant, et au rôle des robots dans les
sociétés futures (voir encadré ci-dessous).
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
Le robot et l’enfant
Comment se mettent en place les habiletés sociocognitives au cours du développement ? Est-il possible de prédire certaines trajectoires développementales
atypiques ?
Bien que les recherches de ces dernières années aient apporté des éléments de
réponse à ces questions, elles restent ouvertes. Une approche interdisciplinaire
entre robotique et psychologie du développement pourrait aider à y répondre. En
effet, les robots sont souvent conçus pour accomplir une tâche cognitive prédéfinie, ils peuvent également servir pour la construction de modèles biologiques
et développementaux et la mise à l’épreuve d’hypothèses sur les mécanismes
sous-jacents de l’apprentissage lors d’un développement typique ou atypique
chez l’enfant. Le robot est alors vu comme un nouveau-né qui possède encore
peu de connaissances sur le monde mais qui peut apprendre les régularités de
son environnement en interagissant avec son entourage. Par ailleurs, il apparaît
que les robots humanoïdes prennent de plus en plus de place dans nos sociétés
et peuvent remplir différents rôles comme par exemple dans les apprentissages ou
l’accompagnement de patients dans des processus thérapeutiques (Dautenhahn,
2007). Par exemple, certains chercheurs essayent de développer des robots qui
pourraient apprendre certains comportements sociaux chez les enfants souffrant
d’autisme (Kim et al., 2013).
2.3 Pédiatrie
Un autre champ d’application possible de la psychologie du développement est le domaine pédiatrique. Les interventions des psychologues
dans les secteurs pédiatriques consacrent plus de temps à l’examen
psychologique qu’aux traitements (qui sont souvent assurés en dehors
des services hospitaliers et des centres de consultation). Les psychologues sont très fréquemment consultés pour des troubles ou des retards
de développement. Le travail du psychologue s’articule alors autour de
trois éléments :
– le premier se rapporte à la construction d’outils d’évaluation adaptés
aux situations pédiatriques ;
– le deuxième porte sur les interventions, leur efficacité et leurs indications du point de vue psychologique ;
– le troisième domaine concerne la prévention.
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Psychologie du développement
Dans l’ensemble, ce qui fait l’originalité de l’approche développementale dans la pratique psychologique quotidienne, c’est l’évaluation des
potentialités actuelles de l’enfant et la recherche des conditions environnementales susceptibles de promouvoir son évolution personnelle. De
telles interventions peuvent être très diverses : récemment, par exemple,
on voit se développer des techniques liées à la relaxation et à la pleine
conscience adaptées aux enfants.
René Spitz et l’hospitalisme
René Spitz, psychiatre américain d’origine hongroise (1887-1974), a créé le
terme d’hospitalisme pour décrire l’altération du corps liée à un long séjour
dans un hôpital ou aux effets nocifs du placement en institution durant la
petite enfance. Cette dernière situation se caractérise par une interruption de
la relation déjà instaurée entre la mère et l’enfant, par une insuffisance dans
les échanges affectifs nouveaux et les stimulations (substitut maternel peu
satisfaisant ou substituts multiples), et par une difficulté pour le sujet à s’identifier à une image stable. Elle entraîne, selon Spitz, des troubles carentiels
(quelle que soit la qualité des soins physiques, physiologiques ou médicaux)
qui comportent deux degrés. La privation partielle d’affects, quand elle survient
après six mois de bonnes relations avec la mère, conduit à un tableau clinique
de « dépression anaclitique », allant de réactions d’angoisse à un arrêt du développement, puis à un état de léthargie après le troisième mois de séparation.
Ces troubles disparaissent rapidement si l’enfant retrouve sa mère entre le
troisième et le cinquième mois de la séparation. Dans le cas d’une carence
totale en affects, si la séparation a été plus précoce et si la restitution à la
mère n’intervient pas, les stades du syndrome partiel évoluent en un retard
moteur grave, en un état de « marasme » qui évoque le tableau clinique de
l’encéphalopathie ou de l’arriération, état qui peut être irréversible et même
conduire à la mort.
L’hospitalisme, ou « syndrome de Spitz », a conduit à repenser l’hospitalisation
et le placement dans la perspective de la plus grande participation possible de
la mère ou d’un substitut maternel.
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
Conclusion
La fin du xixe siècle marque la séparation de la psychologie de la
philosophie. En se dotant de méthodes scientifiques, objectives et reproductibles, elle devient une discipline scientifique à part entière.
Voir Chapitre 2.
La psychologie du développement est l’un des champs de la psychologie générale, apparue relativement tardivement. Ceci s’explique en
partie par le fait que pour arriver à penser une psychologie du développement humain, il a fallu qu’un changement de mentalités se fasse au
sein des sociétés occidentales, et notamment concernant la place de l’enfant. Ainsi, l’histoire de l’enfance a beaucoup évolué au cours des siècles.
De l’Antiquité, où l’enfance n’était envisagée que comme un passage
obligé pour arriver à l’état adulte mature, à nos jours, où l’enfance est une
période spécifique de la vie à protéger, le statut de l’enfant a progressivement évolué au sein de notre société et, en retour, l’a modifiée.
À l’heure actuelle, la psychologie du développement répond à différentes demandes sociales. Par exemple, elle est en lien avec l’évolution
des pratiques éducatives et l’innovation technologique destinée à l’éducation. Les applications possibles de la psychologie du développement se
réalisent en partenariat avec d’autres disciplines qui fédèrent les sciences
humaines et les sciences pour l’ingénieur et les neurosciences, ce qui
amène à repenser la psychologie du développement en terme d’intégration pluridisciplinaire.
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Psychologie du développement
À RETENIR
nnLa psychologie du développement peut être définie comme l’étude des change-
ments du fonctionnement psychologique au cours de la vie.
nnDeux courants théoriques sont à l’origine de la psychologie du développement : le
constructivisme, notamment avec Jean Piaget (1896-1980) et le socioconstructivisme dont l’auteur principal est le russe Lev Vygotski (1896-1934).
nnL’observation des enfants, sous sa forme biographique et naturaliste, a été la
première forme d’étude longitudinale du développement de l’enfant.
nnEn 1924 a lieu la première déclaration internationale des droits de l’enfant
adoptée par la Société des Nations qui a permis de mieux délimiter la période de
l’enfance et la protection qui est lui est due.
nnLes champs d’application de la psychologie du développement sont multiples
allant du domaine de l’éducation, de la santé et de la socialisation au domaine
de la pédiatrie.
LECTURES CONSEILLÉES
NOTIONS CLÉS
n Éducation
n Enfance
n Observation
naturaliste
n Ontogenèse
n Phylogenèse
n Place de l’enfant
Bideaud J., Houdé O. et Pedinielli J.-L. (2004). L’homme en développement.
PUF.
Deleau M. (2006). Psychologie du développement. Bréal.
Lehalle A. et Mellier D. (2013). Psychologie du développement – Enfance et
adolescence, 3e éd., Dunod.
Nicolas S. (2016), Histoire de la psychologie, 2e éd., Topos, Dunod.
Tourrette C. et Guidetti M. (2018). Introduction à la psychologie du développement, 4e éd., Dunod.
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ENTRAÎNEMENT
Exercice 1
1.
Le terme « génétique » en psychologie du développement renvoie à :
a. L’étude des gènes
b. L’étude de la genèse dans la Bible
c. La science qui s’intéresse au développement de l’esprit humain
2.
Qu’est-ce que l’approche lifespan du développement ?
a. Fait référence à l’idée que l’homme ne cesse de se développer tout au long
de sa vie.
b. Fait référence à la période du développement fœtal.
c. Fait référence à l’étude du développement cognitif.
3.
À quel siècle peut-on considérer que la psychologie du développement est née ?
a. XIIIe siècle
b. XVe siècle
c. XIXe siècle
4.
L’ontogenèse est :
a. Le développement d’un individu de la fécondation à la forme adulte.
b. Le développement embryonnaire.
c. Le développement de la pensée hypothético-déductive.
5.
Quelles étaient les caractéristiques des premières études sur le développement
de l’enfant
a. Études naturalistes
b. Études expérimentales
c. Questionnaires
6.
Qu’est-ce que l’hospitalisme ?
a. Un court séjour à l’hôpital
b. Un trouble de l’altération du corps lié à une séparation précoce d’avec la
figure maternelle
c. Un courant de pensée en psychologie du développement
7.
À quelle période peut-on faire remonter l’intérêt pour l’enfant en tant qu’être
différent de l’adulte ?
a. Au Moyen Âge
b. Au XXe siècle
c. Aux Temps modernes
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Psychologie du développement
8.
Qui fonde le premier laboratoire de psychologie expérimentale en France ?
a. Charles Darwin
b. Alfred Binet
c. Taine
9.
À quand remonte la première tentative de limitation temporelle de la période
correspondant à l’enfance ?
a. XVe siècle
b. XXe siècle
c. XIXe siècle
10. Laquelle de ces propositions ne se retrouve pas dans les points fondamentaux
de l’Émile de Rousseau ?
a. L’enfant a des manières d’agir et de penser qui lui sont propres
b. Les éducateurs doivent bien connaître les élèves
c. Les enfants ne sont pas innocents
11. L’origine du mot « enfant » (infans en latin) signifie :
a. Qui a fini de grandir
b. Qui est en train de grandir
c. Qui ne parle pas
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1 Histoire de la psychologie du développement et ses applications possibles
Exercice 2
En vous référant à l’histoire de la psychologie du développement,
expliquez en quoi la théorie de l’évolution développée par Darwin
a influencé les premières approches en psychologie
du développement.
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Dans ce chapitre, il s’agit de présenter les principales méthodes utilisées en psychologie du développement, notamment l’observation et l’expérimentation, en proposant des exemples d’applications
possibles ; la méthode des tests utilisée pour apprécier les capacités d’un enfant en le comparant
à la moyenne des enfants de son âge ; les méthodes des questionnaires et des entretiens.
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CHAPITRE
2
Les méthodes
en psychologie
du développement
Introduction
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Comment peut-on évaluer ou mesurer les compétences et acquisitions au cours du développement et notamment chez les très
jeunes enfants ?
1. L’observation
2. L’expérimentation :
applications spécifiques
aux études chez le bébé
Pour répondre à cette question, les études actuelles se basent
essentiellement sur la comparaison des individus à différents âges
soit de manière longitudinale soit de manière transversale. Ainsi,
il est possible de repérer, d’analyser et de comparer les changements observés d’un même comportement à différents moments
du développement d’un enfant. La recherche en psychologie du
développement se doit de sélectionner l’outil adapté à l’âge des
participants. En effet, il s’agit pour le psychologue du développement d’apprécier une même variable à différents âges qui peut
changer au cours du temps. Nous verrons ici comment les outils
et les nouvelles techniques peuvent être utilisés pour répondre au
mieux à la question des changements développementaux.
3. Méthodes des tests
4. Questionnaires et entretiens
Définitions
Conclusion
❯ Études transversales : Elles permettent de comparer différents groupes
d’âge à un moment et de regarder les changements de la variable
dépendante (exemple). Cette approche permet de recueillir des données
rapidement et de mettre en évidence des différences liées à l’âge. En
revanche, elle ne permet pas de comprendre les processus sous-jacents.
❯ Études longitudinales : Elles permettent d’étudier les comportements
des mêmes participants à différents moments dans le temps. C’est une
approche intéressante en psychologie du développement car elle permet
à la fois d’observer les différences inter- et intra-individuelles. Cette
approche est toutefois coûteuse en temps.
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Psychologie du développement
1. L’observation
Jean Piaget
(1896-1980), psychologue
suisse : dans son ouvrage
Le développement de
l’intelligence chez l’Enfant,
publié en 1936, il élabore
ses hypothèses liant
le développement sensoriel
et le développement
moteur de l’enfant
au développement
de sa pensée.
Développement
sensori-moteur :
développement conjoint
des activités sensorielles
et motrices chez l’enfant.
Dénomination proposée
par James Baldwin puis
reprise par Jean Piaget
pour qualifier la période
de développement
correspondant aux deux
premières années de la vie.
Les premières observations en psychologie du développement sont des
monographies dont les plus célèbres sont celles réalisées par Charles
Darwin (1809-1882). Il publie en 1877 Esquisse biographique d’un petit
enfant, dans lequel il relate, trente-sept ans après, les observations notées
dans son journal sur les premières années de son fils. À la même époque,
plongé dans la préparation de son livre The Expressions of Emotion in
Man and Animals, il va particulièrement s’intéresser aux premières
expressions faciales de colère, de peur ou de plaisir de son fils. Il tente
même un certain nombre d’expériences, produisant notamment des
bruits violents pour en voir l’effet sur le bébé de 4 mois et demi. Cela
lui inspirera cette question : « Ne pouvons-nous pas soupçonner que les
peurs des enfants, vagues mais bien réelles et tout à fait indépendantes
de l’expérience, sont les effets hérités des dangers réels et des superstitions
grossières des époques sauvages les plus reculées ? »
Une autre monographie célèbre est celle de Jean Piaget (1896-1980)
qui a observé et décrit le développement sensori-moteur de ses trois
enfants (1936). Même si nous pouvons reprocher à ces observations un
manque de rigueur et d’objectivité scientifique, elles restent néanmoins
très riches et constituent une base de données précieuse pour l’étude du
développement de l’enfant.
Depuis ces premiers travaux, deux types d’observations se sont développés et sont utilisés en psychologie du développement : l’observation
descriptive et l’observation systématique.
1.1 L’observation descriptive
La méthode d’observation descriptive mise au point par Esther Bick
(1948-1960) avait pour but de former les psychanalystes anglais afin qu’ils
sachent observer les comportements des enfants et qu’ils n’appliquent
pas les concepts psychanalytiques de manière détachée de la réalité. Cette
observation consiste en trois phases :
1. une phase d’observation sans interprétation ni jugement et sans inter-
férer dans la situation d’observation ;
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2 Les méthodes en psychologie du développement
2. une phase d’écriture de tout ce qui a été observé pendant une heure avec
le plus de détails possibles en termes de gestes, mimiques, interactions,
éléments du contexte et propre vécu émotionnel de l’observateur ;
3. le partage de ces observations avec un superviseur ou avec une équipe
afin d’interpréter et de faire des hypothèses sur le cas observé.
Les travaux d’Esther Bick furent diffusés en France par Michel
et Geneviève Haag il y a une vingtaine d’années à travers leur article
« L’observation des nourrissons selon Esther Bick (1901-1983) et ses applications », publié dans L’Information psychiatrique en 1995. En France,
cette méthode a été appliquée dans les lieux d’accueil collectifs tels que les
crèches ou les PMI où l’observateur (souvent la psychologue) observe les
enfants et partage ses observations avec le personnel. L’interprétation des
observations dépend de l’orientation théorique de l’observateur.
La méthode d’observation d’Emmi Pickler (1902-1989), pédiatre
hongroise, met quant à elle l’accent sur l’observation régulière et répétée
de chaque enfant et la comparaison de ces observations dans le temps,
ce qui confère à cette méthode une orientation développementale. Les
observations sont notées afin de pouvoir suivre l’évolution de l’enfant
et de les partager avec les autres professionnels. L’observation d’Emmi
Pickler se rapproche d’une observation systématique puisque l’observateur doit noter les observations selon des rubriques préétablies
(développement moteur, intellectuel, propreté, sommeil, …). D’autres
observations peuvent également être thématiques et non pas centrées sur
un enfant lors de l’observation de groupes dans une activité donnée dans
le but d’améliorer le travail avec les enfants. Il s’agit ici de répondre à une
question spécifique concernant cette situation. Même si cette méthode se
rapproche d’une méthode systématique objective de par la répétition des
observations effectuées et l’établissement de rubriques préétablies, elle
reste sujette à la subjectivité puisque toutes les conditions d’observation
ne sont pas prédéfinies, ce qui rend les observations peu comparables
d’une séance d’observation à une autre.
PMI : Protection maternelle
et infantile, désigne une
institution fondée en 1945
par le ministre de la Santé
de l’époque afin de mettre
en place un système
de protection de la mère
et de l’enfant.
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Psychologie du développement
1.2 L’observation systématique
Éthologie : du grec
êthos = mœurs et
de logos = science :
l’étude du comportement
des animaux dans
leur milieu naturel,
leur environnement.
L’éthologie humaine
étudie les processus
comportementaux de l’être
humain envisagé en tant
qu’espèce animale.
Utiliser l’observation systématique implique d’appliquer une démarche
méthodologique rigoureuse. Cette démarche est inspirée de la psychologie du développement et de l’éthologie.
La perspective développementale consiste à s’intéresser aux enfants
« tout venant » pour comprendre comment ils construisent leur expérience par eux-mêmes et en interaction avec leur environnement.
La perspective éthologique consiste à observer les enfants dans leur
milieu habituel et à prendre en compte les relations qu’ils ont avec leur
environnement. Les observations de Blandine Bril en 1997 sur le développement moteur des enfants français, bambaras et coréens sont un
bon exemple de l’observation éthologique développementale qui tient
compte des ressources environnementales afin d’expliquer les comportements observés.
L’observation systématique doit être vérifiable et répétable, d’où l’importance de définir à l’avance les objectifs et le cadre de l’observation, les
comportements à observer et les analyses à effectuer.
■
L’importance du choix du cadre de l’observation
En psychologie du développement, le cadre de l’observation revêt une
importance toute particulière puisqu’il est choisi en fonction de la
question développementale de l’observateur. Elle peut se faire en milieu
naturel ou en laboratoire :
1. L’observation en milieu naturel : le principal intérêt de ce choix est de
faire une observation dite écologique, étant donné que l’on observe le
sujet dans son environnement naturel. Cette méthode prend donc en
compte la relation entre un sujet et son environnement et est souvent
utilisée lorsqu’on veut, par exemple, étudier les interactions entre
un enfant et sa mère, ou bien les relations entre pairs à l’école ou
à la crèche. Cependant, tous les enfants ne grandissant pas dans le
même environnement, ceci peut rendre difficile la comparaison des
comportements de plusieurs enfants. Autrement dit, le problème de
l’observation en milieu naturel peut être l’absence de standardisation.
2. L’observation en laboratoire : le chercheur construit un environ-
nement dans lequel le sujet va être observé, ce qui va faciliter la
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2 Les méthodes en psychologie du développement
Définition
standardisation de l’observation. L’inconvénient principal de cette
méthode est que les comportements observés constituent des artefacts de la situation en laboratoire. La place de l’observateur est un
autre facteur qui peut influencer les comportements observés, même
si l’observation en laboratoire permet plus facilement à l’observateur
d’observer derrière une vitre sans tain par exemple.
❯ Artéfact ou artefact (du latin factum) artificiel (ars, artis) : désigne à l’origine
un phénomène créé de toutes pièces par les conditions expérimentales. En tant
qu’objet fabriqué, l’artéfact regroupe les ustensiles, les bâtiments et œuvres d’art,
mais exclut les personnes, les organismes (végétaux ou animaux), les particuliers
naturels non vivants (les pierres, les fleuves, les glaciers). Le mot désigne
également, de manière générale, un produit ayant subi une transformation,
même minime, par l’homme et qui se distingue ainsi d’un autre provoqué par un
phénomène naturel.
Comment rendre l’observation
la plus objective possible ?
1) En diminuant l’équation personnelle de l’observateur en filmant la situation
par exemple et/ou en utilisant une grille d’observation construite à l’avance avec
des catégories de comportements qui intéresse l’observateur.
2) En diminuant les interférences entre l’observateur et les acteurs de la situation,
l’observateur se met par exemple en retrait.
3) En cumulant les observations pour avoir une vue plus complète des réponses
possibles et une meilleure validité des observations.
4) En effectuant un double codage par deux observateurs indépendants.
5) En contrôlant le déroulement temporel de l’observation par le choix d’une
technique de focalisation, en continu ou par échantillons temporels, ce qui veut
dire regarder la situation à intervalles réguliers.
■
Le choix des comportements à observer
Une fois l’objectif, les hypothèses et le cadre de l’observation définis,
les comportements à observer pour vérifier les hypothèses doivent être
choisis. Ce choix se fait à travers l’élaboration d’une grille d’observation.
L’établissement d’une grille est une étape importante et essentielle de
l’observation. Elle permet de relever les comportements pour les analyser.
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Psychologie du développement
Une grille d’observation est composée d’unités comportementales et de
catégories qui correspondent chacune à une action/comportement spécifique. Par exemple, le comportement « attirer l’attention sur un objet »,
est décliné en plusieurs unités comportementales observables telles que
« pointer l’objet/regarder l’objet/s’approcher de l’objet/saisir l’objet… ».
Une fois la grille établie, l’échantillonnage temporel doit être choisi.
Tableau 1
Exemple de grille d’observation
Définitions
Catégories
Comportements
Regard
Regard direct
Regard dévié à droite
Regard dévié à gauche
Regard mutuel
Pointage
Pointer avec l’index
Montrer avec la main
Approcher
Marcher vers
Courir vers
Suivre à proximité
Contact
Toucher
Embrasser
Frôler
Caresser
Vocalisations
Babillage
Pseudo-mots
Onomatopées
Se détourner
Détourner la tête ou le corps en brisant l’orientation visuelle
Expressions faciales émotionnelles
Sourire
Froncer les sourcils (peur)
❯ Problématique : Dans toute démarche scientifique, la problématique posée par
le chercheur constitue le point de départ de son investigation. Il s’agit de formuler
un problème que le chercheur va essayer de résoudre et de questionner une
thématique précise, d’annoncer comment elle sera traitée pour répondre aux
questions.
❯ Hypothèse : Proposition ou une explication que l’on se contente d’énoncer
sans l’affirmer ou la nier. C’est ce à quoi s’attend le chercheur de trouver
comme résultats probables, formulés suite à une revue de l’état de l’art sur
la problématique qu’il pose. Deux types d’hypothèses : générales, qui reste très
larges, et opérationnelles, plus précises.
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2 Les méthodes en psychologie du développement
❯ Variables : Il en existe deux types : dépendantes et indépendantes. Les variables
dépendantes sont ce qui va être pris en compte/mesuré par le chercheur comme
par exemple des temps de regard, et les variables indépendantes sont ce qui va
être pris en compte car pouvant faire varier les variables dépendantes comme par
exemple le sexe ou l’âge des sujets.
■
Le choix de l’analyse
Une fois les comportements choisis, deux questions se posent :
1. comment effectuer le recueil des variables dépendantes ?
2. Comment analyser les comportements observés ?
En ce qui concerne le recueil des comportements, l’observateur peut
choisir le balayage temporel, qui consiste à décider d’observer pendant des
périodes de temps définis durant lesquelles l’observateur note la présence
ou l’absence d’un comportement. Ces périodes sont séparées entre elles
par des intervalles de temps réguliers au cours desquels l’observateur ne
note rien (i.e., cette option était la seule utilisée quand il n’y avait pas de
caméra car elle laissait du temps pour permettre à l’observateur d’observer
et de noter en même temps). Grâce à ce type de recueil, il est possible de
mesurer la fréquence d’apparition des comportements. Cependant cette
technique ne renseigne pas sur l’organisation séquentielle des comportements ni sur leur durée. Pour cela, un recueil en continu peut être utilisé.
Cette technique consiste à noter tous les comportements qui intéressent
l’observateur à chaque fois qu’ils apparaissent. L’atout principal de cette
technique est qu’il est possible d’analyser la séquentialité ou l’ordre d’apparition des comportements et d’en dégager des « patterns de conduites »,
qui correspondent à des suites régulières et répétées de plusieurs unités
comportementales. Cette technique permet non seulement de mesurer la
fréquence de l’apparition d’un comportement mais également sa durée.
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Psychologie du développement
Fig. 1
Exemple de séquentialité des comportements vocaux
entre une mère (en gris) et son bébé (en noir)
en interaction
Source : extrait de Gratier et Devouche (2011).
Observation versus expérimentation :
quelle(s) différence(s) ?
Toutes deux sont des méthodes d’investigation scientifique. La différence principale réside dans le fait que qu’en ayant recours à l’observation, le chercheur
ne cherche pas à intervenir/à modifier l’apparition de comportements les plus
spontanés possibles alors qu’il manipule beaucoup plus les variables dans
l’expérimentation.
• L’observation peut s’apparenter à l’examen des faits, voire leur mesure, ce qui
suppose, outre l’appareil sensoriel de l’observateur, des instruments spécialisés
comme la grille d’observation.
• L’expérimentation consiste à modifier les conditions de la manifestation
d’un phénomène qu’on veut étudier. Son emploi rigoureux caractérise la méthode
expérimentale. Cette rigueur exige la répétition et la comparaison avec un système
témoin n’ayant pas subi d’intervention.
2. L’expérimentation : applications
spécifiques aux études chez le bébé
Deux principales contraintes se posent aux études avec les bébés :
1. l’absence de langage chez cette population toute particulière,
2. les capacités motrices limitées du bébé qui rendent difficiles des
réponses motrices complexes comme par exemple appuyer sur un
bouton ou déplacer des objets d’un endroit à un autre.
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2 Les méthodes en psychologie du développement
Par conséquent, les spécialistes du développement se sont ingéniés
à penser des méthodes adaptées aux bébés qui ont permis de mettre
en évidence que de nombreuses capacités cognitives apparaissent plus
précocement que ce qui était admis jusqu’alors. Les méthodes spécifiques
au bébé se basent généralement sur les réponses visuelles (i.e., le temps
de fixation), orales (i.e., le rythme de succion), tactiles (i.e., le niveau
de pression exercée sur un objet), physiologiques (i.e., modification du
rythme cardiaque) ou encore faciales (i.e., mimiques, grimaces) du bébé.
2.1 La préférence visuelle
En 1970, le psychologue Robert L. Fantz (1925-1981) met au point une
méthode expérimentale qui révolutionne les connaissances sur le monde
mental du bébé. Il fait le constat suivant : lorsqu’un bébé observe un
phénomène nouveau, par exemple une girafe en plastique qu’il n’a jamais
vue avant, il fixe intensément l’objet pendant plusieurs secondes. Au bout
d’un laps de temps, l’enfant s’habitue à la présence de l’objet et détourne
son regard. Si ensuite on présente un petit lapin en bois à côté de la girafe
qu’il connaît déjà, le bébé porte son attention sur le lapin. Le chercheur
en déduit que le temps de fixation du regard est un bon indicateur de
l’intérêt que le bébé porte à la nouveauté. Dans cette technique de regard
préférentiel, deux stimuli sont présentés au bébé, côte à côte et simultanément pendant un seul essai. Le temps de fixation sur chaque objet est
alors mesuré. On dit alors qu’il y a « préférence » si la fixation est plus
longue sur l’un des deux stimuli.
La méthode se perfectionne et se généralise par la suite. On découvre
que le bébé réagit non seulement à la nouveauté mais aussi à l’étrangeté
des situations, comme le montre cette autre expérience avec des boules de
billard : une boule rouge roule sur un tapis de billard et vient percuter une
boule blanche, qui roule à son tour. Pour le bébé, c’est une découverte :
quand une boule est percutée par une autre, elle se met à bouger. Le bébé
fixe la scène puis il se lasse. Si on change le scénario, la boule rouge étant
en mouvement mais la boule blanche bougeant avant d’avoir été touchée,
alors le bébé manifeste son étonnement. Il semble avoir compris que
quelque chose d’étrange s’est produit. Tout se passe comme si le bébé
comprenait qu’une loi physique a été violée. Une boule ne peut pas se
déplacer sans avoir été percutée.
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Psychologie du développement
Fig. 2
Une illustration de la technique de préférence visuelle
Les travaux de Fantz (1958) ont apporté deux éléments importants :
1. le temps de fixation peut être utilisé comme une réponse du bébé,
2. le bébé peut exprimer des « préférences » par le regard.
Cette technique est utilisable dès la naissance. La principale limite est
si le bébé ne montre pas de préférence pour un des deux objets et qu’il
les regarde autant. Il serait alors impossible de dire si les stimuli ont été
regardés de la même façon parce qu’il n’y a pas de préférence ou parce
que le bébé ne les a pas distingués. Une autre critique faite à cette technique est liée à la procédure. En effet, il est possible que le bébé ne regarde
qu’un seul des deux objets et dans ce cas-là la comparaison est impossible.
Pour pallier ces critiques, d’autres techniques ont été développées.
2.2 La comparaison par paire
ou la préférence pour la nouveauté
Cette méthode reprend le principe de la préférence visuelle. Elle se déroule
en deux phases. Pendant la première phase (i.e., phase de familiarisation),
deux cibles visuelles identiques sont présentées pendant une durée fixée
par l’expérimentateur. Puis, au cours de la deuxième phase une des deux
cibles est changée et le temps de fixation sur les deux cibles est mesuré.
Si le bébé a remarqué la différence, il va regarder plus longtemps la cible
nouvelle puisqu’il est bien souvent intéressé par la nouveauté.
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2 Les méthodes en psychologie du développement
Cette méthode présente les mêmes inconvénients que la précédente
à savoir la possibilité d’avoir des fixations égales sur les deux stimuli, sans
que cela indique que l’enfant ait bien fait la différence entre les deux ou
non. Ainsi, cette technique a été remplacée par une autre méthode qui est
celle de l’habituation et qui repose sur deux comportements naturels chez
le bébé qui sont le désintérêt progressif d’un stimulus auquel il s’habitue
et le regain d’intérêt pour un nouveau stimulus non familier. De plus
l’intérêt de cette nouvelle méthode est qu’elle peut s’appliquer à d’autres
modalités que la modalité visuelle (auditive, tactile, …).
Comment interpréter une préférence pour le familier
ou une préférence pour la nouveauté ?
À l’heure actuelle, il est encore parfois difficile d’interpréter les réponses des
bébés car certains peuvent montrer une préférence pour le familier et d’autres une
préférence pour la nouveauté pour une même tâche… l’essentiel est en fait qu’il
y ait discrimination, c’est-à-dire que la différence entre les deux soit significative.
Certains auteurs ont proposé que le temps d’exposition préalable aux stimuli (i.e.,
pendant la phase de familiarisation) pouvait expliquer les différences observées en
phase test : si l’enfant regarde en phase test plus longtemps le stimulus familier
c’est qu’il ne l’a pas assez exploré en phase de familiarisation et qu’il continue
donc à l’encoder en phase de familiarisation (Colombo, 2001).
2.3 L’habituation
Cette méthode se déroule en deux phases.
1. Le principe de la première phase est de présenter aux bébés un même
stimulus de façon répétée. La présentation peut se faire dans la modalité visuelle, mais également tactile ou autre. La durée d’exposition au
stimulus à chaque essai est soit fixe, soit dépend de la vitesse d’habituation de chaque enfant. On considère que le bébé est habitué lorsqu’il y a
diminution du taux de réponse (i.e., le chercheur fixe le seuil d’habituation). En fait, cette diminution est une réponse neurophysiologique :
les systèmes sensoriels réagissent moins à une même stimulation.
2. Dans une seconde phase, ou phase test, le stimulus familier et le
stimulus nouveau sont présentés, soit en même temps, soit de manière
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alternée. La logique de cette méthode est que si pendant la phase
d’habituation, le bébé a suffisamment extrait et traité d’information
sur un stimulus, alors pendant la phase test, il devrait plus réagir à la
nouveauté, c’est-à-dire explorer plus longtemps le nouveau stimulus
que le familier. Si tel est le cas, on dit que le bébé discrimine les deux
objets et qu’il a donc reconnu le stimulus familier.
Moyenne de temps de tenue (sec)
Fig. 3
Exemple de courbe d’habituation tactile
chez des nouveau-nés prématurés
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40
35
30
25
20
15
10
5
0
1
2
3
4
5
6
Essais
Une application possible de l’habituation
La succion non nutritive est une activité naturelle et spontanée du bébé, qui
varie en fonction de l’attention qu’il porte sur le stimulus. Une tétine est donnée
au bébé pendant la présentation d’un stimulus lors de la phase de familiarisation.
On note la fréquence de succion en reliant la tétine à un capteur de fréquence.
La fréquence de succion va diminuer à fur et à mesure que le bébé s’habitue au
stimulus et puis augmente de nouveau pendant la phase test pour le nouveau
stimulus si le bébé perçoit la différence.
Cette technique est beaucoup utilisée pour tester les capacités discriminatives
auditives du bébé (exemple : pour voir si le bébé est capable de distinguer deux
sons différents, deux voix différentes ou deux langues différentes). Les chercheurs
ont par exemple démontré en utilisant cette technique que les nouveau-nés âgés
de 2 à 5 jours discriminaient deux langues très différentes comme le japonais et
le français (Ramus et al., 2000).
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2 Les méthodes en psychologie du développement
2.4 La technique de l’HPP
Un autre paradigme permet également de mesurer la préférence pour un
stimulus auditif mais en utilisant le regard préférentiel. Ce paradigme est
appelé HPP ou head-turn paradigm : une lumière clignote au centre du
panneau en face de l’enfant pour centrer le regard de ce dernier. Ensuite,
une lumière sur l’un des deux panneaux latéraux clignote. Dès que l’enfant la regarde, on diffuse un stimulus sonore (une liste de mots ou de
syllabes par exemple). Dès que l’enfant ne regarde plus cette lumière, on
arrête la diffusion du stimulus et on recentre le regard en faisant clignoter
la lumière au centre. Quand l’enfant maintient son regard jusqu’à la
fin de la diffusion du stimulus, on recentre, comme précédemment le
regard, en faisant clignoter la lumière au centre. On continue ainsi de
suite avec les différents stimuli et ce qui est mesuré est le temps passé
à écouter chaque stimulus. Fernald (1985) a ainsi montré que les bébés
tournaient significativement plus souvent la tête vers les échantillons de
parole destinés aux bébés plutôt qu’à ceux destinés aux adultes.
Fig. 4
Paradigme : classe
d’expériences dont la
procédure ne se différencie
que par des détails.
Illustration de la technique HPP
2.5 La transgression des attentes
Il s’agit d’un paradigme proposé par Renée Baillargeon dans les
années 1980 pour tester les connaissances des bébés sur les objets. Il est
également connu sous le terme de l’événement impossible et est basé sur
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la capacité des bébés à percevoir des situations physiques impossibles
ou inattendues. Par exemple, grâce à cette méthode, il a pu être mis en
évidence que les bébés, dès 5 mois, sont déjà sensibles au fait que certaines
caractéristiques d’un objet ont des conséquences telles que la hauteur
d’un objet : si cet objet passe derrière un écran avec une échancrure, on
doit toujours le voir. L’événement impossible correspond au fait que
l’objet passe derrière et qu’au niveau de l’échancrure on ne voit rien.
2.6 La réponse motrice
Dans les années 1980, Albert Grenier a mis en évidence « la motricité
libérée » du nourrisson. Cette méthode consiste à soutenir la nuque du
nouveau-né afin de le libérer de tout réflexe ou gestes involontaires et
lui permettre d’effectuer des gestes moteurs volontaires ciblés vers des
objets externes. Cette réponse motrice peut être indicatrice de pathologies neurologiques dès la naissance.
Les réponses motrices ont également été utilisées dans d’autres paradigmes célèbres comme celui du mobile de Rovee-Collier (1989).
Paradigme du mobile de Rovee-Collier (1989)
Dans ce paradigme, la réponse motrice est utilisée pour tester la mémoire des
bébés et ce dès l’âge de 3 mois. En effet en attachant une jambe du bébé à un
mobile qui bouge au-dessus de lui, cette chercheuse montre que les bébés sont
capables d’apprendre rapidement à faire bouger le mobile en bougeant leur jambe
et se souviennent de cette action
quelques jours plus tard puisqu’ils
bougent leur jambe quand ils voient
le mobile même lorsque celle- ci
n’est plus attachée au mobile, ce qui
indique que le bébé se souvient de
l’effet de ses propres actions sur le
monde extérieur.
Un autre paradigme qui utilise la réponse motrice comme indicateur de compétences précoces et qui est très souvent utilisé dans la
littérature développementale afin notamment d’étudier les capacités
mnésiques des bébés est l’imitation. Meltzoff et Moore (1977) sont les
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premiers à avoir développé ce paradigme en mettant en évidence que
même les nouveau-nés sont capables d’imiter des gestes simples comme
l’ouverture de la bouche et la protrusion de la langue. Même si comme
nous le verrons dans les chapitres suivants, ces résultats sont contestés
aujourd’hui par certains chercheurs, l’utilisation de ce paradigme est très
répandue notamment à partir de l’âge de 6 mois lorsque les bébés sont
capables d’effectuer des gestes orientés vers les objets. Ainsi, les chercheurs ont montré par exemple que les bébés de 6 mois peuvent imiter
une action démontrée 24 heures après l’avoir observée (Barr, 2007).
D’autres analyses motrices plus fines telles que l’accélération et la
décélération du mouvement, l’angle des articulations d’un membre ou les
unités qui constituent un mouvement permettent de mieux comprendre
le développement moteur des bébés et de détecter les anomalies motrices
de manière très précoce.
2.7 Le développement de nouvelles
techniques d’expérimentation
L’un des buts de la psychologie du développement depuis plus d’un siècle
a été de rechercher des indices physiologiques témoins d’une activité
psychologique précoce. Grâce au développement de nouvelles techniques,
les chercheurs en psychologie du développement ont pu décrire le lien
entre réactions physiologiques liées à une activité mentale et processus
cognitifs sous-jacents. Ces nouvelles mesures s’appuient soit directement
sur l’activité cérébrale ou sur l’activité organique du sujet.
Nous présenterons ici les principales techniques qui enregistrent l’activité comportementale, physiologique, et cérébrale de l’enfant :
1. L’activité oculaire peut être enregistrée au moyen de l’eye tracking :
développée depuis les années 2000, cette technique permet de savoir
précisément où le sujet regarde et combien de temps. Elle permet
d’analyser le traitement cognitif d’un sujet qui n’a pas accès au langage
comme les bébés au moyen de l’exploration visuelle.
2. La pupillométrie : cette technique consiste à mesurer les variations
du diamètre de la pupille de l’œil selon les réactions générées par des
stimulations visuelles par exemple. On a par exemple remarqué que
dans le cadre d’un événement impossible, le bébé, surpris, a la pupille
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plus dilatée que dans le cadre de l’événement possible (Jackson &
Sirois, 2009).
3. L’activité électrodermale : la peau peut présenter des différences de
potentiels électriques pour peu que le sujet ait une réaction émotionnelle. Cette technique permet donc d’enregistrer les variations de ces
potentiels au moyen d’électrodes externes.
4. L’activité cardiaque : le rythme cardiaque est une variable intéres-
sante pouvant témoigner d’une activité psychologique. Par exemple,
le fœtus discrimine la voix de sa mère de celle d’une autre femme
puisque son rythme cardiaque augmente en présence de la voix de sa
mère et décélère en présence de la voix inconnue.
5. L’EEG : l’électroencéphalogramme permet d’enregistrer l’activité élec-
trique spontanée globale de cortex ; technique non invasive, bonne
résolution temporale. Permet de faire des inférences sur des régions
cérébrales en fonction de la tâche demandée.
6. L’IRMf : l’imagerie cérébrale par résonance magnétique est apparue
dès la fin du xxe siècle. Permet de voir le cerveau en action. Elle utilise
un champ magnétique puissant qui induit dans les molécules d’eau
du corps des changements qui peuvent être mesurés. Lorsque des
aires cérébrales s’activent, elles s’engorgent de sang oxygéné dont les
propriétés magnétiques sont différentes du sang pauvre en oxygène.
Cette technique vise à déterminer s’il y a des structures cérébrales qui
ont modifié leur consommation en oxygène suite à une tâche mentale
et dans quelle(s) région(s) cérébrale(s). Il existe encore peu d’études
avec cette technique chez les tout-petits.
7. La MEG : la magnétoencéphalographie est une technique développée
suite à l’EEG afin d’étudier des variations de champs magnétiques
résultant de l’activité électrique neuronale. Cette technique est encore
peu utilisée chez les enfants, même si elle permet une bonne résolution
spatiale et temporelle.
8. La fNIRS : la spectroscopie proche infrarouge (NIRS de l’anglais
« Near-InfraRed Spectroscopie ») est une technique d’imagerie qui
se distingue par son approche non invasive et portable permettant
d’évaluer l’activité dans des conditions où les méthodes standards
ne seraient pas applicables. Puisqu’elle nécessite simplement le port
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d’un casque et est peu sensible au bruit provenant des mouvements,
la fNIRS est la technique tout indiquée dans plusieurs domaines.
L’utilisation de la lumière proche infrarouge est privilégiée, car elle
traverse plus facilement la peau. La fenêtre comprenant la lumière
rouge et le début de l’infrarouge (d’où l’appellation « proche infrarouge ») est optimale pour pénétrer la peau et ainsi évaluer la
concentration d’hémoglobine dans le cortex. Une plus forte concentration d’hémoglobine à un endroit du cortex est le signe d’une plus
grande activité à cet endroit-là. Grâce à cette technique, il a pu être
mis en évidence que dès la naissance, l’hémisphère cérébral gauche
présente une activité plus importante que l’hémisphère droit lorsqu’on fait écouter des sons langagiers par rapport à des sons non
langagiers (Peña et al., 2003).
3. Méthodes des tests
Définition
Il s’agit de méthodes typiquement développementales puisqu’il s’agit
d’évaluer les capacités d’un enfant en le comparant à la moyenne des
enfants de son âge. Le premier test ayant été mis au point est celui mis
au point par Binet en 1906 pour évaluer le retard scolaire et dépister
les enfants atypiques pour qu’ils puissent bénéficier d’un enseignement
spécialisé. La méthode des tests consiste à provoquer des comportements
dans des conditions standardisées pour les observer et confronter des
résultats à des normes. Les réponses sont généralement codées sous
forme de scores et donc d’avoir des données quantitatives. Il existe de
nombreux tests qui peuvent être utilisés auprès d’enfants, certains visent
à étudier un aspect spécifique du fonctionnement psychique (i.e., sphère
verbale, raisonnement, etc.), d’autres cherchant à évaluer le fonctionnement psychique de l’individu dans sa globalité.
❯ Échelle : en psychologie, la notion d’échelle concerne la mesure. Elle est utilisée
lorsque ce qui est mesuré est ordonnable en une suite de niveaux. Les relations
entre classes successives peuvent être basées seulement sur un ordre, mais aussi
sur des relations de distance (échelle d’intervalle) ou même de rapport.
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Babytest : chez les
nourrissons, le baby-test
peut être considéré comme
l’équivalent des tests
d’efficience intellectuelle
des enfants d’âge
préscolaire et scolaire.
Un exemple de ces tests est le test du Brunet-Lézine dans sa version
révisée. Il s’agit d’une échelle de développement psychomoteur de la
première enfance ou babytest. Elle peut s’appliquer dès le premier
mois et jusqu’à 3 ans. Elle comporte des observations sur la posture, la
coordination, le langage, les conduites sociales-personnelles. Le test de
Brunet-Lézine a été élaboré par Odette Brunet et Irène Lézine en 1951
puis révisé en 1997. Elle fournit un quotient de développement (Q.D.)
en évaluant quatre domaines :
– moteur ou postural en évaluant les mouvements de l’enfant dans les
différentes postures et la locomotion ;
– coordination oculomotrice en évaluant la préhension et la motricité
fine, les praxies, et le comportement de l’enfant avec les objets ;
– langage en évaluant les fonctions de compréhension et d’expression ;
– relations sociales en évaluant la prise de conscience de soi, les relations avec autrui, les mimiques, et les adaptations sociales.
Données quantitatives versus qualitatives
Données quantitatives (ou numériques) : Elles fournissent des données comparables. Les méthodes quantitatives sont idéales pour effectuer des comparaisons
entre interventions analogues, entre différentes régions ou entre la situation préintervention et post-intervention.
Données qualitatives : Elles fournissent une information enrichie, approfondie et
diversifiée ; elles reposent sur quelques individus ou quelques cas. Elles sont utiles
quand on cherche à expliquer le comment et le pourquoi. Les données quantitatives font habituellement l’objet d’un « lissage ». Ces méthodes permettent de
réduire le poids des cas exceptionnels et de faciliter les comparaisons avec d’autres
lieux géographiques ou d’autres populations. Malheureusement, elles contribuent
aussi à masquer les cas inhabituels, d’où les limites inhérentes à ce type de
données. Les données qualitatives proviennent le plus souvent d’études de petite
taille. Elles reposent sur l’expérience d’un groupe très restreint de personnes. Elles
risquent donc de ne pas être représentatives d’une population dans son entier.
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4. Questionnaires et entretiens
4.1 Les questionnaires
L’utilisation de cette méthode est très répandue, le questionnaire présente
l’avantage évident de pouvoir être utilisé sur une vaste population. Il
est également rapide à dépouiller. Il permet donc d’étudier de grands
groupes humains et de produire des résultats statistiquement significatifs.
De plus, l’importance du nombre de personnes interrogées permet de
faire des comparaisons à l’intérieur du matériel recueilli (ex. : homme/
femme). Mais attention, l’apparente simplicité de la technique en fait
souvent une pratique sociale dont la rigueur scientifique est souvent
absente. Pour répondre à des exigences de scientificité le questionnaire
doit répondre à deux conditions :
– la validité, c’est-à-dire que l’instrument que l’on utilise mesure bien
ce qu’on veut mesurer ;
– la fidélité, c’est-à-dire que des mesures répétées devraient fournir des
résultats comparables.
4.2 Les différents types de questions
Si le questionnaire dans son ensemble à un but, chaque question qui le
compose doit répondre à un objectif. Plus précisément, chaque question
doit participer à un ou plusieurs objectifs, et un objectif, pour être atteint,
peut nécessiter plusieurs questions.
Par exemple, on souhaite étudier les effets du nombre de fratrie sur
les relations mère-enfant, il nous faudra connaître le nombre d’enfants
dans la famille. Ainsi, on pourra comparer, par exemple, des groupes
contrastés : familles avec un enfant et famille avec deux ou plusieurs
enfants. Cependant, les mères de familles avec trois enfants sont en
moyenne plus âgées que les mères de familles avec un enfant. Les différences constatées dans les relations mère-enfant peuvent donc être
attribuées au facteur « nombre d’enfants » mais aussi au facteur « âge de la
mère ». Notre questionnaire devra alors comporter une question sur l’âge
de la mère. Mais on sait aussi que le nombre d’enfants dans une famille
dépend également de la situation sociale, de l’idéologie religieuse. Donc
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on voit bien que pour étudier l’effet du facteur « nombre d’enfants », nous
devrons prendre en compte d’autres facteurs qui interfèrent. Il faut dès
la rédaction disposer d’un plan précis d’analyse. Il faut garder à l’esprit
qu’on ne peut modifier un questionnaire si l’enquête est commencée,
sous peine de se trouver devant deux enquêtes.
■
Questions ouvertes versus fermées
Dans la question ouverte, l’énonciation de la réponse est laissée au choix
de la personne interrogée. Elle choisit les mots, l’ordre de son argumentation, les données qu’elle veut aborder. L’inconvénient de l’utilisation
des questions ouvertes réside dans l’analyse très longue et les résultats
permettent souvent plus de comprendre comment les gens interrogés
abordent les questions qui leur sont posées que de répondre aux buts
de l’enquête.
EXEMPLES
Racontez-moi comment se déroulent vos activités ?
Comment se passe votre stage ?
La question fermée se présente comme une question suivie d’un
ensemble préétabli de réponses possibles. Il est demandé à la personne
interrogée de choisir ce qui correspond le mieux à la réponse qu’elle
souhaite donner. Le traitement des réponses est plus facile mais l’inconvénient réside dans le fait que parfois la réponse du sujet ne figure pas
dans le choix possible de réponses proposées.
EXEMPLES
Avez-vous lu ce livre ?
Aimez-vous votre travail ?
■
Questions portant sur un nombre
et questions alternatives
Les questions portant sur un nombre se présentent comme des questions
ouvertes mais leur fonction interlocutoire est celle des questions fermées.
EXEMPLES
Quel est votre âge ?
Combien de frères et sœurs avez-vous ?
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Les questions alternatives entraînent souvent des réponses plus
complexes que « oui » ou « non ».
EXEMPLE
Pensez-vous changer de voiture cette année ?
Que souhaitez-vous faire après vos études ?
La personne peut être sans opinion quant au fait de changer de voiture
ou modéliser sa réponse par « oui mais », « oui si », « non à moins que ».
■
Questions à choix multiples
Chacune des solutions possibles figure sur le questionnaire lui-même.
SONDAGE SUR LE CHOIX DU MÉDECIN (Blanchet et al., 1987)
Sur quels critères l’avez-vous choisi :
– il vous a été recommandé par sa compétence ?
– vous avez eu ensemble un bon contact ?
– il exerce dans un établissement proche de votre domicile ?
Ici les réponses ne s’excluent pas. Pour éviter les difficultés d’analyse,
on propose souvent des réponses qui s’excluent mutuellement.
■
Les échelles
Dans ce cadre, les différentes propositions sont hiérarchisées.
EXEMPLE
À quelle fréquence allez-vous au marché ?
– très peu important
– peu important
– indifférent
– important
– tout à fait important
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Quelques limites aux questionnaires
Le libellé des questions est extrêmement important. Il faut absolument éviter :
1) l’erreur d’une question qui oriente la réponse (exemple : ne pensez-vous pas
que le gouvernement devrait…) ;
2) des questions trop longues ou trop complexes (exemple : double négation : ne
pensez-vous pas qu’il ne faudrait pas ?) ;
3) l’effet de halo : c’est l’influence exercée par une question sur d’autres questions et donc d’autres réponses (exemple : question concernant la consommation
alimentaire avec la question précédente sur le quart-monde).
4.3 L’entretien
■
Définitions
Les différentes définitions insistent sur les oppositions entre un entretien
et questionnaire qui est fondé sur des questions préétablies et produit un
discours fragmenté ; entre un entretien et une conversation décrite comme
n’ayant pas de caractère finalisé. L’entretien de recherche n’est pas un
entretien du même type que celui qu’on a avec son médecin, son directeur.
Il prend place dans une démarche globale, il poursuit un but particulier et
est conduit en respectant diverses règles. Il vise à produire un matériau et
l’analyse de ce matériau est soumise à des techniques spécifiques.
■
Les différents types d’entretien
Pour distinguer les différents types d’entretien on peut prendre en
compte le caractère plus ou moins directif du mode d’intervention de
l’interviewer. On distingue trois niveaux de directivité :
– l’entretien non directif ou libre : souvent réservé aux entretiens
exploratoires (confrontation au terrain, vérifier la qualité de sa grille) ;
– l’entretien semi-directif : l’intervieweur a une grille avec des thèmes
à aborder. Cependant, on respecte l’ordre dans lequel l’interviewé
aborde les thèmes.
– l’entretien directif ou standardisé : c’est d’une certaine façon un
questionnaire à question ouverte
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Souvent on fait appel au sein d’un même entretien à ces différentes
techniques. La conduite de l’entretien est d’abord non directive. La
non-directivité de l’interview signifie intérêt, confiance soutenue et
interventions non structurées. C’est dans ce climat que l’interviewer est
amené, au moment opportun, à conduire son exploration en allant du
plus général au particulier (directif, semi-directif).
1) La consigne de départ : La consigne de départ détermine la pertinence du discours de l’interviewé. Elle permet de définir un thème qui
est ensuite commenté par l’interviewé. Les commentaires de l’interviewé
sont repris par l’interviewer pour faire de nouvelles interventions. La
consigne doit être claire et précise.
2) Les relances au cours de l’interview : Après un certain temps de
parole suivant la consigne, l’interviewé se tait. Il considère avoir dit tout
ce qu’il souhaitait énoncer. L’interviewer peut alors l’aider par le biais
de relance.
On distingue plusieurs actes de langage :
–
Les déclarations : elles ont pour fonction d’aider l’interviewé
à produire plus de discours. Elles peuvent être ce que l’on nomme
des complémentations lorsque : l’interviewer n’exprime pas son point
de vue mais réalise une synthèse partielle ou une inférence sur ce qui
a été dit. Ce type d’interventions tend à produire un discours plus
complet. Il y a également les interprétations : c’est formuler en allant
au-delà de la pensée du sujet, en lui proposant des pistes de lectures
auxquelles il n’avait pas pensé. Elles peuvent être mal acceptées dans
la situation d’entretien parce qu’elles sont perçues comme une prise
de pouvoir sur le sens de ce qui est dit.
– Les réitérations : ce sont des répétitions d’une énonciation de l’interviewé. Elles constituent des extractions de contenu et non des ajouts
de sens. Elles traduisent une confirmation d’écoute, signalent à l’interviewé que l’on a bien entendu ce qu’il a dit tout en lui demandant
d’expliciter davantage l’énoncé réitéré.
– Les interrogations : leur usage excessif est souvent la marque du
psychologue inexpérimenté. Trop nombreuses, elles perturbent la
production discursive de l’interviewé.
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Psychologie du développement
Tableau 1
Tableau récapitulatif des actes de langage
possibles lors de l’entretien
Types d’actes
Déclarations
Interprétation
Complémentation
Réitérations
Répétitions
Échos
Interrogation
Questions modales
Questions référentielles
Conclusion
Voir Chapitre 1.
La psychologie du développement est une discipline relativement
récente . Différentes méthodes sont désormais largement utilisées. La
méthode d’observation est souvent utilisée en psychologie du développement et présente des avantages et des inconvénients. Le choix des
différentes méthodes et techniques décrites ci-dessus dépend des objectifs du psychologue du développement. Ce qu’il faut retenir est qu’une
« bonne observation » est une observation où la problématique, les hypothèses, les variables ont été bien définis au préalable, et qui soit répétable
et généralisable. La méthode expérimentale, au moyen de divers paradigmes, permet de contrôler certaines variables et de préciser ce que l’on
souhaite relever. L’une des limites de cette méthode est qu’elle est assez
éloignée de ce qui se passe dans le milieu naturel de l’enfant.
L’un des grands défis de la psychologie du développement ces
dernières décennies a été de trouver des moyens d’investiguer les capacités perceptives, cognitives et motrices des enfants d’âge préverbal.
Depuis les années 2000, le développement de nouvelles techniques
a permis d’aller encore plus loin dans la compréhension des mécanismes
cognitifs sous-jacents aux comportements de l’enfant, notamment d’envisager des approches plus intégratives afin de mieux appréhender toute la
complexité du développement humain. D’autres méthodes importantes
en psychologie du développement ont été présentées dans ce chapitre.
La méthode des tests permet d’apprécier les capacités d’un enfant en le
comparant à la moyenne des enfants de son âge. Différents tests se sont
développés depuis le début de xxe siècle et sont révisés régulièrement car
les connaissances de l’humanité évoluent. Enfin, les questionnaires et les
entretiens constituent à leur tour des outils d’appréciation du développement précieux régulièrement utilisés en psychologie du développement.
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2 Les méthodes en psychologie du développement
À RETENIR
nnL’étude transversale permet de comparer différents groupes d’âge à un moment
donné et l’étude longitudinale permet d’étudier les comportements des mêmes
participants à différents moments dans le temps.
nnL’observation peut s’apparenter à l’examen des faits sans les modifier et
l’expérimentation consiste à modifier les conditions de la manifestation d’un phénomène qu’on veut étudier.
nnL’observation descriptive est une observation riche mais peu méthodique alors que
l’observation systématique est une observation scientifiquement plus rigoureuse
qui répond à une problématique et des hypothèses spécifiques et qui nécessite
de définir au préalable les unités comportementales à observer et les analyses
à effectuer.
nnL’habituation et la réaction à la nouveauté sont parmi les méthodes expérimentales
les plus utilisées pour explorer les compétences perceptives (visuelles, auditives
et tactiles) des bébés.
nnLa réponse motrice est une mesure comportementale utilisée dans les paradigmes
expérimentaux chez les bébés pour étudier d’autres domaines tels que la mémoire
dans le paradigme du mobile de Rovie Collier.
nnLes tests sont typiquement développementaux puisqu’il s’agit d’évaluer les capa-
cités d’un enfant en le comparant à la moyenne des enfants de son âge.
nnLes questionnaires et les entretiens sont des méthodes utilisées avec des enfants
plus âgés et les adolescents ou encore avec les adultes qui s’occupent des jeunes
enfants (parents, éducateurs, …).
LECTURES CONSEILLÉES
Chanquoy L. et Négro I. (2004). Psychologie du développement. Hachette
Supérieur.
Deleau M. (2006). Psychologie du développement. Bréal.
Laval V. (2015). Psychologie du développement. Modèles et méthodes. Cursus,
3e ed. A. Colin.
Miljkovitch R., Morange-Majoux F., Sander E. (2017). Psychologie du
développement. Masson.
NOTIONS CLÉS
n Entretien directif/
semi-directif
n Étude longitudinale
n Étude transversale
n Expérimentation
n Habituation
et réaction
à la nouveauté
n Observation
descriptive
n Observation
systématique
n Questionnaires
n Tests
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Psychologie du développement
ENTRAÎNEMENT
Exercice 1
Après la lecture de ces fragments d’entretien, choisissez l’une des relances
proposées.
1.
Fragment 1 : une femme de 37 ans parle de son travail
« Je ne sais vraiment pas quoi faire. Ah ! Je ne sais vraiment pas si je dois reprendre
mon poste de standardiste… cela me porte tellement sur les nerfs, je peux à peine
supporter… mais j’ai une stabilité et un bon salaire ; ou alors lâcher tout et faire
ce qui m’intéresse réellement, en tout cas un travail plus varié mais cela aboutirait
à débuter en bas de l’échelle avec un salaire très faible… Je ne sais pas si je
pourrais le faire ou non… »
a. Pouvez-vous m’en dire davantage au sujet de ce qui vous intéresse
maintenant ? C’est très important que nous y réfléchissions bien.
b. Attention, avant que vous vous lanciez dans quelque chose de nouveau, il
faudrait que vous soyez sûre que cela serait vraiment plus avantageux pour
vous et que vous n’allez pas quitter la proie de l’ombre
c. Eh bien ! Voyons, ce n’est pas désespéré, il s’agit de savoir dans quel
service vous pourriez être mutée ; je peux vous ménager un entretien avec
le chef du personnel.
d. Votre embarras s’explique doublement : d’un côté vous hésitez à lâcher
votre poste actuel, mais surtout vous ne savez pas quel autre emploi est
susceptible de vous convenir
e. Vous vous faites beaucoup trop de souci. Ce n’est pas en usant ainsi vos
nerfs que vous résoudrez vos difficultés ; Il ne faut pas vous mettre dans cet
état. Tout finira par s’arranger.
2.
Fragment 2 : un homme de 30 ans dit
« J’ai un sentiment des plus bizarres : quand quelque chose d’heureux m’arrive,
eh bien je ne peux pas y croire, j’agis comme si ce n’était jamais arrivé, ça me
tracasse ! Je voulais un rendez-vous avec Laure, j’ai tourné autour d’elle pendant
des semaines avant d’avoir assez de cran pour lui demander un rendez-vous… et
elle a dit “oui”. Je ne pouvais pas y croire. Je ne pouvais tellement pas y croire que
je ne suis pas allée au rendez-vous. »
a. Il faut être de votre âge, mon garçon, et avoir une idée un peu plus réaliste
concernant les femmes ; ce sont aussi des êtres humains, vous savez, et
elles désirent des rendez-vous autant que vous.
b. Cela vous paraît toujours irréel quand il arrive quelque chose d’heureux.
c. Vous vous êtes sans doute dit avec tant de force que rien de bon ne pouvait
arriver, que, lorsque cela se produit, il vous semble que ce n’est pas vrai.
d. Je me demande si ce sentiment d’irréalité ne serait pas associé à un
moment particulier de votre vie. Voudriez-vous m’en dire davantage
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2 Les méthodes en psychologie du développement
à propos de ce que vous vouliez dire… « quand quelque chose d’heureux
m’arrive » ?
e. Y a-t-il vraiment lieu de vous tracasser à ce sujet ? Nous avons tous eu
à triompher de sentiments ou de désirs bizarres. Je crois que vous en
viendrez à bout.
f. Je pense que cette expérience vous servira de leçon. La prochaine fois,
vous devez faire un effort pour accepter la bonne fortune.
3.
Fragment 3 : un enfant de 10 ans dit au psychologue
« J’ai fait un rêve étrange : je courais sur un terrain de foot et là j’étais avec les
bottes de ma sœur. Du coup, j’étais ralenti et quand j’ai voulu tirer, la botte est
partie. Évidemment tous mes copains se sont moqués de moi et je me suis enfui. »
a. Ah oui ? C’est drôle comme rêve, tu en fais souvent des rêves étranges
comme celui-ci ?
b. Cela arrive à tout le monde de faire des rêves qui peuvent paraître étranges.
Comment te sentais-tu dans ce rêve ? Étais-tu triste qu’on se moque de toi ?
c. Est-ce qu’on se moque souvent de toi à l’école ?
Exercice 2
Vous observez des enfants en crèche et vous cherchez à savoir quels types
d’interactions sont prédominants. Parmi la liste de comportements observés
ci-dessous, quels sont les comportements à prendre en compte pour répondre
à votre question ?
Rire – lancer – taper – crier – prendre son doudou – courir – somnoler – mettre
ses doigts dans sa bouche – chanter – embrasser – tirer les cheveux – mordre –
ramper – imiter – jouer
Exercice 3
Vous voulez savoir si les bébés âgés de 2 mois sont capables de faire la
différence entre deux visages de femmes. Quelle méthode allez-vous utiliser
et quelle serait votre procédure expérimentale ?
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~ Jean Piaget, avec d’autres psychologues,
dans une salle de classe © Photo Researchers/Getty Images
Depuis la naissance de la psychologie du développement, différentes approches ont été proposées
pour rendre compte de la complexité du développement de l’enfant.
Ce chapitre présente les principales théories abordées dans ce domaine, en proposant notamment
des théories plus récentes comme celle de la pédagogie naturelle ou du core knowledge.
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CHAPITRE
3
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
1. Approches constructivistes
et néo-constructivistes
2. Approches
socio-constructivistes :
Wallon, Vygotski et Bruner
3. Approches écologiques
du développement de l’enfant
4. Quatre théories
récentes en psychologie
du développement
Conclusion
Les grandes
théories en
psychologie du
développement
Introduction
À la fin du xixe siècle, la psychologie du développement devient
une discipline scientifique à part entière en s’affranchissant de la
philosophie et en se dotant de méthodes scientifiques fiables, objectives et reproductibles . Plusieurs chercheurs vont alors essayer
de proposer des modèles pour rendre compte du développement
psychologique de l’enfant. Il s’agira ici de présenter les grandes
théories fondatrices de la psychologie du développement comme
le constructivisme de Jean Piaget, le socio-constructivisme d’Henri
Wallon et de Lev Vygotski, mais également des approches plus
récentes comme celles de l’approche écologique de Bronfenbrenner.
Voir Chapitre 2.
1. Approches constructivistes
et néo-constructivistes
Constructivisme : théorie
de l’apprentissage, qui a été
développée par Piaget, dès 1923,
en réaction au behaviorisme
qui, d’après lui, limitait trop
l’apprentissage à l’association
stimulus-réponse.
L’approche constructiviste en psychologie du développement est
associée à la figure de Jean Piaget (1896-1980). Pour lui, l’enfant est
actif dans la construction de ses connaissances : il se construirait
à travers ses actions sur le monde qui l’entoure. Jean Piaget cherche
à répondre à la question de l’accroissement des connaissances, c’està-dire comment l’être humain est passé d’une forme peu élaborée de
connaissance à des formes beaucoup plus complexes. Pour répondre
à cette question, Piaget va mettre la psychologie génétique au service
de l’épistémologie, et développer ainsi « l’épistémologie génétique ».
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Psychologie du développement
Le saviez-vous ?
L’épistémologie est la science de la connaissance et relève de la philosophie.
Quant au terme « génétique », il n’est pas à utiliser dans son sens biologique (étude
des gènes), mais il est à comprendre dans le sens de la psychologie génétique,
c’est-à-dire l’étude scientifique de la genèse ou de l’évolution des processus. Ainsi
définie, l’épistémologie génétique consiste à étudier l’évolution de la connaissance
scientifique à travers l’étude de la genèse psychologique de l’intelligence.
1.1 Jean Piaget (1896-1980)
Jean Piaget est né le 9 août 1896 à Neuchâtel et mort le 16 septembre 1980
à Genève. Très tôt, il participe à des travaux du musée d’histoire naturelle
de Neuchâtel, qui le conduisent à publier en 1912 son premier article
scientifique sur les mécanismes d’adaptation d’un petit mollusque d’eau
à seulement 16 ans ! En 1918, Piaget soutient un doctorat de Sciences
naturelles et est préoccupé également par des questions relatives au développement de l’intelligence. Après un séjour en France, au cours duquel
il étudie la psychologie, la logique et l’histoire des sciences, il revient
en Suisse, à l’Institut Jean-Jacques Rousseau de l’Université de Genève
au côté de Claparède (1873-1940), psychologue suisse, fondateur de cet
institut. En 1955, il fonde à Genève le Centre international d’épistémologie génétique qu’il dirige jusqu’à sa mort. Parallèlement à ses travaux
de recherche, Piaget est successivement professeur de psychologie, de
sociologie et de philosophie des sciences à l’Université de Neuchâtel,
professeur d’histoire de la pensée scientifique à l’Université de Genève,
professeur de psychologie et de sociologie à l’Université de Lausanne,
et enfin, professeur de sociologie à l’Université de Genève. Il occupe
également à Paris la chaire de psychologie de l’enfant à la Sorbonne
de 1952 à 1963. Des observations systématiques de ses trois enfants de
la naissance au langage donnent lieu à trois ouvrages célèbres :
– La Naissance de l’intelligence chez l’enfant (1936),
– La Construction du réel chez l’enfant (1937),
– La Formation du symbole chez l’enfant (1945).
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
Toute l’œuvre de Piaget est fortement imprégnée de son double intérêt
pour la biologie et la logique. Elle est diffusée dans le monde entier, et
continue à inspirer, aujourd’hui encore, de nombreux travaux, même
si certains aspects qui concernent en particulier le développement du
très jeune enfant sont actuellement remis en question comme nous le
verrons plus loin.
Biologiste de formation, Piaget va essayer de comprendre les mécanismes d’acquisition et d’accroissement des connaissances chez le sujet
en développement. Il pense que l’expérience joue un rôle central dans la
construction des connaissances. Le sujet va assimiler un objet au cadre
de ses connaissances et accommoder ce cadre en retour pour s’ajuster
aux modifications éventuelles de l’environnement. L’intelligence, selon
Piaget, est donc la résultante de ces deux processus, l’un interne et
l’autre externe, transitoirement équilibrée. Pour lui, l’intelligence est
l’adaptation au milieu dans lequel nous évoluons. Ce développement,
cet accroissement des connaissances nécessite le raisonnement logique,
forme ultime d’intelligence selon Piaget. L’approche piagétienne du
développement de l’intelligence est une approche générale et non pas
individuelle : qu’il s’agisse de Julien, Simon ou Marie, cela n’a aucune
importance ; l’objectif étant l’étude des mécanismes généraux d’accroissement des connaissances. De la même manière, ce qui intéresse Piaget,
ce n’est pas l’étude des aspects quantitatifs de l’intelligence, mais l’étude
qualitative, en termes de mécanismes impliqués dans le développement
et le fonctionnement de l’intelligence.
1.2 Les concepts clefs de la théorie piagétienne
Dans son approche du développement psychologique de l’enfant, Piaget
propose trois processus qui traduisent les échanges incessants entre le
sujet et son environnement :
– l’assimilation,
– l’accommodation,
– l’équilibration.
C’est la succession d’assimilations et d’accommodations qui
produit une meilleure adaptation. Ces deux processus, strictement
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Psychologie du développement
complémentaires, ne peuvent être dissociés l’un de l’autre. De par sa
nature même, l’accommodation entraîne nécessairement une assimilation plus performante, guidée par la recherche d’un équilibre vers lequel
tendent les structures du sujet.
■
Les schèmes
Ils apparaissent comme les unités de base de l’activité intelligente. Ce
sont des entités abstraites. Le schème correspond à la structure ou à l’organisation d’une action, susceptible de se répéter dans des situations
semblables. Le schème n’est pas directement perceptible, mais on peut
en inférer l’existence à partir de régularités dans le comportement. Par
exemple, le schème de préhension englobe l’ensemble des actions relatives à la prise d’un objet. Certains schèmes ont une origine biologique,
comme, par exemple, le schème de succion. Le schème présente des
caractéristiques fondamentales qui régissent son évolution.
En premier lieu, les schèmes se complexifient progressivement : ils
se consolident au cours de leurs répétitions (par exemple, le schème de
préhension se consolide au fur et à mesure des prises d’objets répétées), ils
sont transposables et généralisables à des situations variées, c’est-à-dire en
fonction des modifications de l’environnement (par exemple, le schème
de préhension va intégrer des objets différents), ils deviennent de plus en
plus nombreux (par exemple, toucher, prendre, donner, soulever, etc.).
Par ailleurs, les schèmes se coordonnent progressivement les uns aux
autres. Par exemple, si un enfant veut, mais ne peut pas attraper un objet
posé trop loin sur sa couverture, il va coordonner un autre schème à son
schème de préhension : il tire sur la couverture pour rapprocher l’objet,
puis le prend. Enfin, la nature des schèmes évolue de façon contingente
avec la capacité de représentation chez l’enfant. Les premiers schèmes
sont d’ordre sensori-moteur : ce sont les schèmes d’actions. Ensuite,
quand l’enfant devient capable de se représenter le réel, apparaissent les
schèmes préconceptuels. Plus tard, quand la pensée de l’enfant devient
logique, interviennent les schèmes conceptuels, comme, par exemple,
la conservation.
■
L’adaptation
Pour Piaget, l’intelligence humaine est l’adaptation mentale la plus
poussée, c’est-à-dire l’instrument indispensable des échanges entre le
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
sujet et l’environnement : elle est le meilleur cas d’adaptation d’un être
vivant à son environnement. L’adaptation se traduit, au niveau cognitif,
par une reconstruction et une réorganisation internes des connaissances
d’un individu en développement évoluant dans un milieu lui-même
changeant. En termes de processus, l’adaptation correspond à l’interaction entre deux mécanismes principaux et complémentaires, qui
traduisent les échanges bidirectionnels entre l’individu et le milieu :
l’assimilation et l’accommodation, régulés par un troisième processus
fondamental : l’équilibration.
■
L’assimilation
D’une manière générale, on peut définir l’assimilation comme l’action de l’organisme sur les objets qui l’entourent. En termes piagétiens,
l’assimilation est un processus par lequel la structure actuelle du sujet
appréhende un objet de l’environnement . Lorsqu’un bébé a acquis une
nouvelle structure d’actions (schème), par exemple être capable de se
saisir d’un objet (schème de préhension manuelle), il tend à soumettre
tous les objets à cette nouvelle structure : le bébé assimile les objets à son
schème de préhension manuelle. L’assimilation, qui consiste à intégrer
des éléments nouveaux dans les structures de l’intelligence, peut avoir
lieu dans différents domaines (moteur, perceptif, intellectuel, etc.) et peut
prendre plusieurs formes.
■
Cf. Virginie Laval,
Psychologie
du développement
pour plus de détails.
L’accomodation
D’une manière générale, on peut définir l’accommodation comme
l’action inverse du milieu sur l’organisme. En termes piagétiens, l’accommodation est le processus complémentaire par lequel le sujet modifie sa
structure actuelle pour s’ajuster à une modification de l’environnement.
Par exemple, l’enfant qui agite son hochet pour produire un son devra
modifier son action face à une girafe en caoutchouc, en l’occurrence
exercée une pression sur l’objet pour obtenir un son. Cette modification
correspond à ce que Piaget nomme accommodation.
■
L’équilibration
C’est le troisième aspect fondamental de l’adaptation. Les échanges entre
l’individu et son milieu (assimilation et accommodation) visent à favoriser
son équilibre dans ce milieu. Ni l’individu, ni l’environnement n’étant
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Psychologie du développement
statiques, l’état d’équilibre permanent est impossible ; les conduites s’accompagnent donc toujours d’un processus d’équilibration qui comporte
deux pôles : l’assimilation et l’accommodation. Plus précisément, l’équilibration consiste en un processus d’autorégulation, qui repose sur les
compensations actives du sujet aux modifications extérieures. Le sujet
réagit aux variations perturbatrices de son environnement, en procédant
à des rééquilibrations, c’est-à-dire à des réajustements ou à des restructurations de ses structures internes.
1.3 Les stades de développement selon Piaget
Jean Piaget appelle stades des étapes qui se suivent selon des règles
strictes :
– l’ordre de succession de ces étapes doit être constant pour tous les
enfants mais la chronologie peut être variable ;
– un stade est caractérisé par une structure d’ensemble ;
– les structures d’un stade deviennent partie intégrante des structures
du stade suivant ;
– dans tout stade, un niveau de préparation est suivi d’un niveau
d’achèvement ;
– la préparation de certaines acquisitions se poursuit sur plus d’un stade.
Des chevauchements peuvent donc survenir et il y a lieu de distinguer dans tout système de stades les processus de formation (genèse)
des formes d’équilibre finales (structures d’ensemble). Les processus
formateurs ne sont, en fait, que des différenciations successives de
ces structures.
■
Le stade sensori-moteur (de 0 à 2 ans)
Cette période sensori-motrice s’étend de la naissance à deux ans et se
divise en six stades successifs :
■
■
Le stade 1 (0-1 mois) est celui de l’exercice des réflexes.
Le stade 2 (1-4,5 mois) est celui des acquisitions des premières
habitudes, et est marqué par l’apparition des réactions circulaires
primaires.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
■
■
■
■
Le stade 3 (4,5-8/9 mois) se caractérise par l’apparition de la coordination « vision-préhension » et est marqué par l’apparition des réactions
circulaires secondaires relatives aux objets manipulés, et celui d’une
coordination des espaces qualitatifs hétérogènes et de la formation
des schèmes secondaires.
Le stade 4 (8/9-11/12 mois) est celui de la coordination des schèmes
secondaires, l’utilisation de moyens connus en vue d’atteindre un but
nouveau et le début de recherche de l’objet caché (i.e., permanence
de l’objet, voir encadré).
Le stade 5 (11/12-18 mois) est celui des réactions circulaires tertiaires
et de la découverte de moyens nouveaux. L’objet disparu est recherché
et le groupe pratique des déplacements commence à s’organiser.
Le stade 6 (18-24 mois) est celui de l’intériorisation et de la combinaison mentale des schèmes. Ce dernier stade est considéré comme
un stade de transition avec le stade suivant de préparation et de mise
en place des opérations concrètes.
Ce qui caractérise l’intelligence sensori-motrice, c’est qu’il s’agit d’une
intelligence pratique liée à l’action. À travers ses actions, l’enfant construit
progressivement les notions de permanence des objets, d’organisation
spatio-temporelle, et de causalité. Cette structuration est sous-tendue
par la décentration progressive de l’enfant. Il passe d’une centration sur
lui-même et sur ses propres actions, que Piaget appelle égocentrisme,
à un état de différenciation.
La permanence de l’objet
La permanence de l’objet apparaît comme le premier des principes de conservation et s’acquiert progressivement au cours de la première année. La permanence
de l’objet consiste à être capable de concevoir l’existence d’un objet lorsqu’il
est absent du champ perceptif de l’enfant. Pour déterminer l’existence de la
notion de permanence de l’objet, Piaget utilise des situations dans lesquelles il
fait disparaître un objet du champ visuel de l’enfant. Le critère retenu par Piaget
est celui de la manifestation d’une activité de recherche de l’objet disparu : écarter
l’obstacle (par exemple un cache en tissu) derrière lequel l’objet a été caché.
L’objet a acquis sa permanence, lorsqu’il continue d’exister, pour l’enfant même
s’il ne le voit pas, capacité acquise vers 9 mois d’après Piaget.
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Psychologie du développement
■
Le stade des opérations concrètes (de 2 à 11,5 ans)
C’est pour marquer à la fois les progrès importants de ce stade mais
également ses limites que Piaget a proposé d’appeler celui-ci le stade des
opérations concrètes. Ainsi, s’il est parfaitement capable de ranger du
plus petit au plus grand une série de bâtonnets ou du plus léger au plus
lourd une série de petites boîtes, identiques par la forme mais différentes
par le poids, l’enfant de ce stade n’arrive pas encore à maîtriser la même
opération lorsqu’elle porte, par exemple, sur des inégalités énoncées
seulement verbalement, comme dans le célèbre problème suivant :
Lili est plus blonde que Suzanne.
Lili est plus brune qu’Edith.
Laquelle des trois est la plus blonde ?
Tableau des périodes et stades de 2 à 11,5 ans selon Piaget
Période préopératoire
Stade 1 : fonction sémiotique
2-4 ans
Période des opérations concrètes
Stade 1 : stade des opérations simples
de 7 à 9,5 ans
Stade 2 : stade des opérations complexes
Stade 2 : organisation représentatives fondées sur
spatio-temporelles et l’achèvement du système
des configurations statiques
d’ensemble
4-5-5 ans
de 9 à 11,5 ans
Stade 3 : régulations représentatives articulées
de 5,5 à 7,5 ans
Au stade des opérations complexes (9-11,5 ans), l’enfant va devoir
réélaborer tout ce qu’il a appris au niveau sensori-moteur, sur le plan de
la représentation, c’est-à-dire qu’il va devoir réapprendre au niveau de la
pensée ce qu’il a appris au niveau de l’action. L’intériorisation des actions
conduit progressivement l’enfant aux opérations ; les opérations étant
définies comme un ensemble d’actions intériorisées, réversibles, et qui se
coordonnent les unes aux autres en des systèmes d’ensemble. Ce passage,
des actions aux opérations, ne relève pas d’une transformation radicale
et immédiate, mais consiste en une construction longue et progressive,
dont la première condition est la capacité de l’enfant à se représenter
mentalement les actions : la pensée de l’enfant évolue progressivement
d’une pensée égocentrique à une pensée opératoire.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
■
Le stade des opérations formelles
(de 11,5 ans à 16 ans)
Progressivement, l’enfant parvient à abstraire son raisonnement de la
nature des objets sur lesquels il porte. Vers 11-12 ans alors, cette différenciation est suffisamment établie pour lui permettre de raisonner sur
de simples propositions et même sur des propositions auxquelles « il
ne croit pas ou pas encore, c’est-à-dire qu’il considère à titre de pures
hypothèses : il devient donc capable de tirer les conséquences nécessaires
de vérités simplement possibles, ce qui constitue le début de la pensée
hypothético-déductive ou formelle » (Piaget & Inhelder, 1973). Diverses
« structures » de raisonnement qui jusqu’ici étaient encore inaccessibles
faute d’un détachement suffisant du réel vont alors devenir possibles
au cours de ce quatrième stade du développement cognitif, le stade des
opérations formelles. Ce détachement ne sera cependant pas d’emblée
immédiat et général. Dans la logique de l’adolescent, on assistera alors
pendant un certain temps à un mélange des logiques, de raisonnements
concrets et formels, au même titre que dans le développement physique
s’observent pendant plusieurs années côte à côte des caractéristiques et
des comportements matures et immatures. Cette phase est appelée phase
de préparation du stade formel.
Structure : forme
d’organisation mentale
qui se caractérise par
sa globalité. Une structure
se traduit par un ensemble
d’acquisitions organisées
et détermine toutes les
applications qu’elle
recouvre.
Ce stade se divise en deux :
– la genèse des opérations formelles (11/12 ans à 14 ans) ;
– et les structures opératoires formelles (14 à 16 ans).
À ce stade, le raisonnement est alors basé sur un matériel symbolique,
constitué de l’ensemble des transformations possibles du réel. Ce type
de raisonnement, qui consiste à vérifier des hypothèses, est révélateur
d’une pensée hypothético-déductive ou encore formelle. La nouvelle
structure opératoire formelle de la pensée consiste en une reconstruction
des structures opératoires concrètes. Au niveau précédent, le sujet avait
construit des groupements d’opérations relatives à des domaines différents (par exemple, substance, poids, volume, etc.). Au niveau formel, il
s’agit de construire une structure générale qui permettra d’englober et
de coordonner ces différents domaines. Un certain nombre de nouveaux
schèmes sont associés à la pensée formelle. Il s’agit par exemple de la
notion de proportion ou bien encore de certaines formes de probabilités. Tous ces schèmes apparaissent en parallèle, et ils comportent tous,
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Psychologie du développement
Voir p. 184 et p. 210.
soit une combinatoire, soit un groupe de quatre transformations que
Piaget nomme « groupe INRC ». Combinatoire et surtout groupe INRC
témoignent de l’existence d’une logique formelle chez l’adolescent.
Remarque
À la différence des stades qui le précèdent, le stade formel est parfois remis
en question en tant que stade, parce qu’il n’apparaît ni général ni global. Tout
le monde ne semble pas capable de raisonnement formel et, même ceux qui
y parviennent, font preuve, dans de nombreux domaines, de raisonnements de
niveaux inférieurs.
1.4 Approches néo-constructivistes
Dès les années 1970-1980, un certain nombre de chercheurs apportent des
critiques à la théorie piagétienne. Par exemple, des écarts sont observés
dans la vitesse de développement des différentes capacités mentales par
rapport aux vitesses normales (Bates et al., 1979). Autre point : comment
une structure plus puissante peut-elle se construire sur une structure
moins puissante ?
Nativisme : en psychologie,
théorie selon laquelle
certaines compétences ou
habiletés sont « innées » ou
pré-câblées dans le cerveau
dès la naissance.
Voir Chapitre 4.
Pour les nativistes (Mehler et Bever, 1967) cela va dans le sens du
caractère inné des structures. Par ailleurs, pour certains, Piaget a mis
de côté le contexte dans lequel se font les apprentissages (milieu social,
rôle des émotions…). Ainsi, le passage d’un stade à un autre varie selon
que l’enfant résout une tâche seul ou avec quelqu’un (Mugny, Doise, et
Perret-Clermont, 1976). De plus, l’observation de capacités plus précoces
que ce que suggérait Piaget a également amené à une remise en question de la théorie piagétienne. En effet, en proposant que l’acquisition
des connaissances se fasse essentiellement par l’action, Piaget a minimisé les compétences des bébés… Ainsi, de nombreuses recherches ces
dernières années ont montré que l’action perceptive, moins contrainte en
début de vie que l’action motrice, peut témoigner d’un développement
cognitif relativement sophistiqué et ce dès la naissance, voire in utero .
Ainsi, le bébé physicien de Piaget est précédé par un bébé astronome
(qui observe) selon Lecuyer (1989). La découverte de capacités précoces
chez l’enfant réveille une épineuse question, celle de savoir si ces compétences sont innées. Certains nativistes comme Melher et Dupoux (1990),
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
expliquent que les facultés cognitives s’améliorent avec l’âge selon un
« calendrier prédéterminé et un schéma directeur spécifique à l’espèce,
qui doit peu à l’expérience acquise, au milieu ou à des apprentissages ».
D’autres, comme la psychologue Annette Karmiloff-Smith (1938-2016),
refusent de choisir entre le constructivisme et le nativisme qu’ils jugent
complémentaires : le développement cognitif aurait pour origine des
prédispositions innées et spécifiques (contenues dans le cerveau sous
forme de modules génétiquement déterminés).
Quelques exemples de capacités acquises
plus tôt que ce que Piaget proposait
La permanence de l’objet
Sur un écran, le bébé voit d’abord un nounours qui se cache derrière un cache
A puis réapparaît de l’autre côté du cache. Sur une autre vidéo, le nounours qui
réapparaît est différent. L’analyse des temps de regard du bébé (voir chapitre 4)
montre que dès 3 mois, les bébés sont « surpris », c’est-à-dire qu’ils regardent
plus longtemps la situation où le nounours change. C’est le paradigme de
transgression des attentes développé au chapitre suivant.
Les quantités
Les travaux de Karen Wynn (1992) ont montré que les bébés dès 4-5 mois
regardent plus longtemps une situation numérique impossible (1 figurine
+ 1 figurine = 1 ou 3) plutôt qu’une situation possible (1 figurine + 1 figurine
= 2). À l’heure actuelle on considère que c’est plus une sensibilité à des différences qu’ils perçoivent, terreau de la construction numérique ultérieure. Plus
récemment, Izard et collaborateurs (2009) ont montré que les nouveau-nés
sont déjà sensibles aux petites quantités versus grandes quantités .
■
Voir Chapitre 4.
Deux théories « néo-piagétiennes »
La théorie des opérateurs constructifs (TCO)
de Pascual-Leone (1970)
Juan Pascual-Leone est le pionnier du courant néo-piagétien. Après une
formation en neuropsychiatrie, il est arrivé à Genève en 1960 avec l’objectif
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Psychologie du développement
de compléter sa formation en suivant les enseignements de psychologie
et en préparant une thèse de doctorat sous la direction de Piaget. Pour
comprendre la position critique que Pascual-Leone a assez rapidement
adoptée vis-à-vis de la théorie piagétienne, il faut s’arrêter un instant sur
une des caractéristiques des situations imaginées par Piaget pour étudier
le développement cognitif. Il s’agit le plus souvent de situations-pièges
qui activent chez l’enfant un schème trompeur (misleading).
Exemple de situations-pièges dans la TCO
Voir Chapitre 5.
L’épreuve de conservation où le liquide contenu dans un verre A est versé dans
un verre B plus étroit en est un exemple classique . La montée du liquide à un
niveau plus élevé en B qu’en A active un schème figuratif prégnant qui pousse
les enfants les plus jeunes à conclure qu’après le transvasement il y a plus
de liquide en B qu’en A. Ce schème trompeur est le produit de l’expérience
acquise dans les situations où l’enfant a pu observer – avec des verres qui ont
généralement la même largeur – que la quantité est fonction de la hauteur
du liquide. Ce schème est trompeur dans l’épreuve de conservation car ici les
verres sont de diamètres différents. Il s’agit d’une situation-piège dans la mesure
où ce schème trompeur y est plus fortement activé que les schèmes pertinents
(centration sur la largeur des verres, représentation de l’action inverse, etc.).
Ce type de conflit, dans lequel un schème trompeur est davantage activé que
le(s) schème(s) pertinent(s) se retrouve dans la plupart des épreuves piagétiennes car Piaget pensait, à juste titre, que les situations les plus propices
à l’observation de l’évolution des structures cognitives sont celles où l’enfant
se trompe et doit donc inventer des solutions nouvelles.
La critique que Pascual-Leone adresse à la théorie de Piaget au
début des années soixante est que celle-ci décrit les stades du développement cognitif mais n’explique pas par quels mécanismes l’enfant
passe d’un stade à l’autre et, notamment, n’explique pas pourquoi les
schèmes trompeurs cessent d’être dominants à un certain moment. Pour
Pascual-Leone (1969, 1987), les schèmes trompeurs aussi bien que les
schèmes pertinents sont automatiquement déclenchés par les aspects
de la situation qu’ils peuvent assimiler. Lorsque les schèmes trompeurs
sont dominants, les schèmes pertinents ne peuvent l’emporter que si
le sujet dispose d’une ressource cognitive lui permettant d’activer ces
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
derniers plus fortement que les schèmes trompeurs. Ce raisonnement
l’a conduit à faire l’hypothèse que l’activation délibérée de schèmes qui
ne sont pas automatiquement déclenchés par la situation requiert une
sorte de puissance mentale (« mental power », Pascual-Leone, 1970). Le
passage d’un stade de développement au suivant s’expliquerait alors par
l’augmentation de cette puissance mentale avec la maturation du système
nerveux central. Pour Pascual-Leone, plusieurs types de schèmes sont
distingués : des schèmes opératifs (impliqués dans la représentation des
transformations) et des schèmes figuratifs (impliqués dans la représentation des états), mais aussi des schèmes affectifs (qui orientent les
conduites) et des schèmes exécutifs (qui assurent la planification et le
contrôle de l’activité cognitive).
De plus, il existe des opérateurs qui ne sont pas directement observables mais dont l’effet sur les schèmes détermine les possibilités du
système cognitif. Quatre de ces opérateurs sont impliqués dans la gestion
de l’attention :
– M (comme Mental power) dont il a déjà été question,
– I (comme Interruption ou Inhibition centrale),
– F (comme Field qui en anglais signifie champ),
– E (comme Exécutifs).
L’opérateur M correspond à la capacité attentionnelle. Sa fonction
est d’activer des schèmes pertinents que la situation ne déclenche pas
ou de maintenir l’activation de schèmes pertinents lorsque celle-ci tend
à décliner. La capacité attentionnelle est supposée dépendre essentiellement de la maturation du système nerveux central et elle détermine le
nombre de schèmes distincts qui peuvent être activés simultanément.
L’opérateur I correspond aux mécanismes d’inhibition qui permettent
d’interrompre l’activation des schèmes trompeurs ou simplement non
pertinents pour la tâche en cours
L’opérateur F renvoie aux mécanismes par lesquels certains schèmes
sont automatiquement co-activés, ce qui se traduit par des effets de
champ comme ceux mis en évidence par la Gestalt dans le domaine de
la perception .
Voir dans la même
collection de M. Habib,
S. Caparos, et L. Lavergne
Psychologie cognitive,
chapitre 4.
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Psychologie du développement
Enfin, l’opérateur E est constitué par l’ensemble des schèmes exécutifs
assurant la planification et le contrôle de la tâche en cours. Cet opérateur
E détecte les schèmes pertinents ou trompeurs eu égard aux objectifs et
mobilise les ressources attentionnelles (opérateur M) pour activer les
schèmes pertinents, ainsi que les ressources fournies par l’opérateur I
pour inhiber les schèmes non pertinents et les schèmes trompeurs. Les
schèmes automatiquement co-activés par l’opérateur F peuvent, selon
les cas, faciliter la tâche et donc alléger la charge de l’opérateur M, ou
la rendre plus difficile en activant des schèmes non pertinents ou trompeurs, ce qui alors accroît la charge des opérateurs M et I.
La théorie de Case (1992)
La théorie du développement cognitif que Robbie Case a élaborée à partir
des années quatre-vingts se situe au confluent de plusieurs courants de
recherche. La théorie piagétienne bien sûr, la théorie de Pascual-Leone,
dont Case a été un temps le disciple, les modèles du traitement de l’information et, plus tard, les approches modularistes de l’esprit.
Psychologue américain, Robbie Case (décédé prématurément en 2000
à l’âge de 55 ans), propose un modèle où la mémoire de travail, alors
au centre des recherches en psychologie cognitive, est un élément
clef du développement. La mémoire de travail (située dans le lobe
frontal) est le centre de traitement des opérations mentales les plus
complexes. Planification, calculs, réflexion consciente, stratégie… C’est
elle qui est sollicitée lorsqu’on lit un texte par exemple. Elle combine les
informations en provenance de la mémoire sensorielle (la vision des mots
sur la page) avec les informations stockées en mémoire à long terme (le
sens des mots), puis transforme ces informations (ce qui permet d’en
déduire la signification de l’ensemble du texte). Comment concilier cette
approche de l’intelligence avec la théorie du développement de Piaget ?
Case voit dans l’utilisation de plus en plus efficiente de la mémoire de
travail un élément déterminant de la croissance cognitive. La mémoire
de travail telle qu’il la conçoit pourrait être comparée à une malle de
rangement dont l’enfant apprend, avec l’expérience, à optimiser l’usage.
Au départ, il n’arrive à y ranger que dix jouets. Puis il comprend qu’en les
rangeant mieux, il peut en inclure davantage. La capacité de rangement
de la malle n’a pas augmenté, son utilisation est simplement optimisée.
Comment ce changement se produit-il ? Deux facteurs seraient à l’origine
de l’efficacité croissante de la mémoire de travail :
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
– le premier, emprunté à la psychologie cognitive, est l’automatisation.
Case explique comment certaines tâches devenues familières, finissent
par être exécutées machinalement, ce qui libère de l’espace de stockage
dans la mémoire de travail ;
– le second facteur est un facteur de maturation biologique. Les transitions entre les stades seraient liées à des changements au niveau
de l’activité électrique des neurones dans le lobe frontal (partie du
cerveau particulièrement active dans la résolution de problèmes et
dans le raisonnement).
Les preuves empiriques font encore défaut pour étayer cette hypothèse. Nombre de chercheurs ont quand même l’intuition que la mémoire
de travail joue un rôle décisif dans le développement cognitif. Case décrit
quatre grands stades qui diffèrent par la nature des schèmes sur lesquels
porte la structuration :
Stade sensori-moteur
Stade interrelationnel
Stade dimensionnel
Stade vectoriel
Opérations coordonnant des schèmes sensori-moteurs (écarter
un obstacle pour attraper un objet)
Opérations de relations qualitatives entre les objets
L’enfant peut expérimenter sur l’aspect quantitatif des variables
et non sur leur aspect qualitatif seulement
Capacité d’établir des rapports entre les variations sur les
dimensions considérées et comparer ces rapports
2. Approches socio-constructivistes :
Wallon, Vygotski et Bruner
2.1 Henri Wallon (1879-1962)
Henri Wallon, né en 1879, est issu d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle du Nord de la France. Il entre à l’École normale supérieure
en 1899 et devient agrégé de philosophie en 1902. Il s’engage alors dans
des études de médecine et devient neurologue en 1908. Jusqu’en 1931, il
est assistant du professeur Nageotte à l’Hôpital Bicêtre et à la Salpêtrière
à Paris. Il y dirige un service de consultations en psychiatrie de l’enfant
et consigne des observations qui constituent le point de départ de sa
thèse d’État. Pendant la première guerre mondiale, il est mobilisé en
qualité de médecin militaire et acquiert ainsi des connaissances neurologiques en pathologie qui vont le conduire à reconsidérer sa thèse L’Enfant
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turbulent, publiée en 1925. En 1922, il crée, à Boulogne-Billancourt, un
laboratoire de Psychobiologie de l’Enfant qui sera rattaché, en 1925,
à l’École Pratique des Hautes Études de Paris. Wallon, nommé directeur de ce laboratoire, mène alors une double activité de recherche et
d’enseignement. De 1937 à 1949, il enseigne au Collège de France où il
occupe la chaire de « Psychologie et Éducation de l’Enfant ». C’est dans
son discours inaugural qu’il pose les fondements de son enseignement
qui seront illustrés plus tard dans trois ouvrages principaux :
– L’Évolution psychologique de l’enfant (1941),
– De l’acte à la pensée (1942),
– Les Origines de la pensée chez l’enfant (1945).
En 1948, il crée une revue française de psychologie Enfance, qu’il dirige
pendant quatorze ans jusqu’à la fin de sa vie (1962). À côté de ses activités
de recherche et d’enseignement, Henri Wallon s’engage politiquement.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il participe à la Résistance, se rallie
à l’idéologie marxiste et devient membre du parti communiste (1942).
Son enseignement au Collège de France est suspendu par le Régime
de Vichy de 1941 à 1944. À la Libération, il devient secrétaire général
à l’Éducation nationale et, en 1946, député de Paris, il co-signe avec Paul
Langevin un projet de réforme de l’enseignement (le « Plan LangevinWallon »), qui n’a jamais été appliqué réellement, même si de nombreuses
écoles en portent le nom aujourd’hui.
■
L’approche wallonienne du développement de l’enfant
Aujourd’hui encore, l’œuvre de Wallon est considérée comme une œuvre
complexe. Cette complexité est probablement liée à son souci d’expliquer le développement de l’individu dans sa globalité, c’est-à-dire en
considérant conjointement les différentes dimensions fonctionnelles
de la personnalité (affectivité, motricité, connaissance et personne). Elle
réside également dans la multiplicité des approches que Wallon applique
à l’étude du développement. II s’appuie sur la psychopathologie de l’enfant et de l’adulte, sur la psychologie animale et sur l’homme « primitif ».
Cette comparaison avec l’animal lui a permis en particulier de mettre en
évidence le rôle fondamental du langage dans le développement.
Ainsi, la théorie wallonienne du développement est sous-tendue par
sa conception de l’être humain : l’homme n’est pas simplement un être
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biologique, mais également un être social. Ce qui signifie clairement que,
dès sa naissance, le bébé apparaît d’emblée comme un être social. C’est en
qualité de besoin d’autrui que le social existe déjà dès la naissance. Dans
la perspective wallonienne, ce qui caractérise le bébé humain, c’est son
immaturité biologique, c’est-à-dire son incapacité à subvenir seul à ses
besoins vitaux et à agir sur les objets. En d’autres termes, le nouveau-né
humain a besoin de son entourage pour survivre. Le social apparaît donc
comme la condition nécessaire et obligatoire à la survie de l’enfant : le
milieu humain sert de relais à l’immaturité biologique du bébé. Par
conséquent, le milieu humain apparaît comme le premier milieu auquel
le bébé doit s’adapter, et sert simultanément d’intermédiaire entre le bébé
et le milieu physique. Ce qui ne signifie pas pour autant que seul le milieu
participe au développement de l’enfant : en s’adaptant à son milieu, c’està-dire en instaurant lui-même des relations avec son entourage, le bébé
contribue à son propre développement. Dans la perspective wallonienne,
l’enfant est un participant actif de son développement.
L’approche globale du développement de l’être humain caractérise
la conception wallonienne de la construction de la personnalité. Cette
approche globale consiste à prendre en considération la complexité de
l’être humain et de son développement, ainsi que ses contradictions.
Wallon considère l’individu en tant que personne. Considérer l’individu dans sa globalité et sa complexité consiste à prendre en compte
plusieurs dimensions du fonctionnement humain : l’affectivité, l’acte
moteur, la connaissance et la personne. L’affectivité domine la première
partie de la vie psychique et est fondamentalement liée à l’émotion. L’acte
moteur constitue à travers le mouvement un des principaux moyens dont
dispose l’individu pour agir sur le milieu. La connaissance domine plus
tardivement le développement et elle est, selon Wallon, intimement liée
à l’apparition du langage. Refusant l’idéologie bourgeoise que représente
à ses yeux la métapsychologie freudienne, il s’inspire du matérialisme
dialectique et de ses observations cliniques pour décrire le développement
de l’enfant. Son œuvre a été définie comme une psychobiologie à la fois
génétique, comparative, dialectique et matérialiste. Son concept central
est la comparaison des étapes motrices et mentales de l’enfant normal et
des blocages et insuffisances fonctionnelles de l’enfant handicapé.
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L’importance des émotions
dans la théorie wallonienne
La vie émotionnelle, comme l’affirme Wallon (1934), est l’un des facteurs principaux du changement y compris du changement cognitif. En raison de leur ancrage
somatique, les émotions ont été essentiellement considérées comme les expressions d’états subjectifs, voire comme des manifestations altérant les traitements
effectués par des capacités cognitives supérieures. Les thèses de Wallon n’ont
pas été acceptées tout de suite car il donnait à l’émotion un autre statut que celui
d’une réponse conditionnelle à des stimuli externes, telle que la proposition était
suggérée dans l’explication évolutionniste de Darwin. Elle est utile et intégrée de
manière circulaire au développement de l’enfant. Les bases psycho-biologiques
des états émotionnels constituent des préalables utiles à la formation du lien avec
l’environnement. Ces états émotionnels régulent les domaines intra- et interpersonnels de l’individu étudiés sous leurs différentes formes entre soi et l’autre,
dans les interactions sociales.
■
La notion de stades de développement
dans l’approche wallonienne
À la différence de Piaget qui considère qu’un stade du développement doit
être atteint dans tous les domaines avant que la progression vers un autre
stade ne débute, Wallon ne décrit pas de « stades » stricts avec des paliers.
Il estime que les stades se chevauchent et s’imbriquent de façon complexe,
discontinue, ponctués par des crises, des conflits et des mutations. Le
passage d’un stade à l’autre n’est pas une simple amplification mais un
remaniement, une transformation brusque impliquant conflit et choix
entre un ancien et un nouveau type d’activité. Pour Wallon, chaque stade
« plonge d’une part dans le passé, mais empiète d’autre part sur l’avenir ». Il
met donc l’accent sur l’interdépendance des facteurs biologiques (maturation du système nerveux) et sociaux dans le développement psychique.
Dans L’enfant turbulent (1984), les analyses prennent deux directions :
– l’étude des stades du développement psychomoteur,
– l’étude des syndromes psychomoteurs.
La comparaison est faite entre les enfants normaux et anormaux, dans
une analyse comparative et différentielle. Les stades sont des types de
comportement et ils sont des structures de relation entre l’enfant et le
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milieu. Chaque stade est un moment du développement d’ensemble.
Lors du passage à un autre stade, l’état précédent est remanié et intégré,
non pas en strates, mais par dissociation de l’existant et remaniement
puis intégration dans une structure nouvelle. Chez l’enfant anormal,
le stade, privé de sa direction évolutive et fixée, fonctionne comme un
système clos et répétitif.
Les premiers stades de développement psychomoteur selon Wallon
(1925) sont les suivants :
■
■
■
Le stade impulsif est le stade de l’activité motrice réflexe avec adaptation sociale progressive des réponses motrices et agitation diffuse
lors des émotions. La vie psychique du bébé se traduit par des mouvements sans coordination ni but externe. Une évolution n’est possible
que par le rapport dialectique entre les facteurs neurobiologiques de
maturation et les facteurs sociaux de relation (action de l’entourage
familial) qui servent d’intermédiaire entre le physiologique et la réalité
environnementale. Les émotions les plus primitives, la rage et la colère
plongent dans le stade impulsif. Viennent ensuite la joie, la peur,
la tristesse. Par sa nature expressive, l’émotion est contagieuse. Elle
oriente l’enfant vers l’entourage avec lequel une modulation mutuelle
réciproque des mimiques et des attitudes se développe qui lie l’enfant
de plus en plus étroitement aux personnes.
Le stade émotionnel, de 2 à 6 mois, correspond à la symbiose affective, de l’expression par l’émotion, langage primitif de l’enfant et de
la reconnaissance dans le miroir. La maturation du système nerveux
reste élémentaire, mais les relations humaines permettent l’affinement
des moyens d’expression.
Le stade sensitivo-moteur correspond à l’apparition des réactions
circulaires, de la marche et de la parole. L’enfant se déplace et explore
le monde avoisinant. Il manipule et identifie les objets. L’intelligence
pratique ou l’intelligence des situations apparaissent. L’enfant répond
aux impressions que les choses font sur lui par des gestes dirigés vers
elles. La conscience qui s’y manifeste est une conscience intéroceptive et proprioceptive. Les réactions circulaires sont contemporaines
des émotions et liées aux mêmes sources organiques. Wallon décrit
chez l’enfant pathologique des fixations stéréotypiques qui s’observent chez certains enfants, balancement rythmé, mérycisme,
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tortillements, acrobaties qui ont pour fonction, selon lui de recherche
d’une conscience sensorielle.
■
Le stade projectif, vers deux ou trois ans, donne lieu à l’imitation
des attitudes et des idées, au cours de laquelle s’élabore la notion
de modèle. Wallon estime que les épileptiques s’arrêtent à ce stade
car ils n’accèdent pas à la conscience objective de soi, ni à l’espace
mental. Progressivement, l’activité projective, sous l’effet notamment
de l’imitation et de la conscience intersensorielle, va suspendre les
explosions émotionnelles et les transformer en attitudes mentales ou
états affectifs.
2.2 Lev Vygotski (1896-1934)
Lev Sémionovitch Vygotski est né le 5 novembre 1896 dans une petite ville
de Biélorussie. Originaire d’une famille juive aisée et cultivée, Vygotski
est confronté, comme tous les juifs à cette époque sous le régime tsariste,
à des discriminations antisémites. Malgré tout, ses parents s’appliquent
à conserver une vie intellectuelle de qualité : enseignement primaire
à domicile, sa mère lui apprend l’allemand et, dans un lycée réservé aux
enfants juifs, il réussit brillamment dans toutes les disciplines. Vygotski
est passionné de littérature. En 1913, il est admis à l’Université de Moscou
où, ne pouvant prétendre à un emploi officiel, il ne peut s’engager dans
des études d’histoire et de philosophie, menant au professorat. Par défaut,
il choisit d’abord la médecine, puis le droit. Parallèlement, il s’inscrit dans
une université non officielle, créée pour les étudiants menant une activité
anti-tsariste, où il suit des cours d’histoire, de philosophie, de psychologie
et de littérature. En 1917, Vygotski est diplômé en droit.
1917: c’est la révolution d’Octobre. Elle marque la fin des discriminations antisémites et projette Vygotski dans une activité publique acharnée :
entre autres, cours de psychologie et de logique à l’Institut pédagogique,
cours de langue et de littérature russes à des ouvriers, direction de la
rubrique théâtrale d’un journal, création à l’Institut pédagogique d’un
laboratoire de psychologie destiné à l’étude des jeunes enfants. En 1919, il
est atteint d’une maladie irrémédiable, la tuberculose, et prend conscience
qu’il mourra jeune. En 1924, à l’issue du deuxième congrès de psychoneurologie de Leningrad où il expose un rapport sur les « Méthodes de
recherche réflexologique et psychologique », Vygotski intègre l’Institut
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de Psychologie de l’Université de Moscou : il n’a alors que vingt-huit ans,
et quitte Gomel pour venir s’installer à Moscou. Cette intégration est
marquée non seulement par son investissement entièrement consacré
à la psychologie, mais aussi par sa collaboration étroite avec Luria (19021977), neurologue soviétique. L’objectif de Vygotski devient alors de
redéfinir la théorie psychologique à la lumière du marxisme et d’élaborer une pédagogie efficace contre l’analphabétisme. En 1925, il crée
un laboratoire de psychologie pour l’enfance anormale. En 1934, son état
de santé se détériore. C’est dans la nuit du 10 au 11 juin 1934, à l’âge de
trente-sept ans, qu’il meurt.
■
Les principes fondamentaux de la théorie de Vygotski
Le modèle théorique de Vygotski est un modèle de transmission culturelle,
via la médiation sociale. Dans ce modèle théorique, le développement des
fonctions psychiques supérieures chez l’individu est fondamentalement
ancré dans ses dimensions historiques et sociales. Dans cette perspective,
le psychisme se traduit d’abord et avant tout dans les interactions sociales
et la genèse des fonctions psychiques supérieures se réalise systématiquement de l’extérieur vers l’intérieur. Pour Vygotski, l’homme est le
produit de son environnement et de sa culture : sa pensée est le résultat
de l’évolution historique et son éducation dépend des moyens de transmission de la culture.
Dans la théorie de Vygotski, le langage est clairement défini comme
un instrument psychologique privilégié et la description de son évolution rend compte explicitement du processus général de développement
qui se traduit par le passage d’un fonctionnement inter-psychologique
à un fonctionnement intra-psychologique. Le processus d’intériorisation
apparaît comme le vecteur du développement du langage : le langage
évolue progressivement d’un langage social vers un langage égocentrique
pour se transformer en langage intérieur. Cette conception s’oppose radicalement à celle de Piaget qui envisage l’évolution contraire : d’abord le
langage égocentrique, qui disparaît progressivement pour laisser place
au langage socialisé.
Chez Vygotski, le langage a une fonction initiale de communication.
Chez l’enfant comme chez l’adulte, le langage est avant tout un moyen
d’échange, d’action sur l’entourage et de liaison sociale. Le langage apparaît d’emblée social. C’est sur cette base sociale, qu’apparaît le langage
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égocentrique, forme particulière et autonome de langage. Il constitue
une étape dans le développement de l’enfant. Le langage égocentrique
est exprimé vocalement par l’enfant, même s’il ne s’adresse pas à autrui,
il s’agit d’une activité vocalisée. Pour étudier cette forme de langage,
Vygotski propose aux enfants des activités dans lesquelles sont introduites
des difficultés qui ont pour objectif de perturber le déroulement de l’activité en cours. Par exemple, lors d’une activité de dessin, l’expérimentateur
fait disparaître un crayon de couleur, un tube de peinture, etc. Vygotski
observe une augmentation considérable de la production de langage
égocentrique dans les cas où l’enfant se trouve face à ce type de difficulté.
Selon Vygotski, la fonction de ce langage égocentrique ne consiste pas
simplement en un accompagnement de l’activité en cours de l’enfant,
mais comme une véritable forme de raisonnement. Le rôle structurant
du langage est de plus en plus important au cours du développement.
La notion de zone proximale de développement
Cette notion implique de déterminer deux niveaux de développement : celui atteint
par l’enfant et celui qu’il peut potentiellement atteindre. Ces deux niveaux de
développement déterminent la relation entre développement et possibilités d’apprentissage. Selon Vygotski, ce qui caractérise fondamentalement toute forme
d’apprentissage, c’est l’existence d’une zone proximale de développement (ZPD).
C’est elle qui contribue à la mise en œuvre chez l’enfant de processus développementaux qui, s’ils ne sont effectifs dans un premier temps que dans l’échange
avec l’adulte, seront ensuite appropriés par l’enfant qui sera capable de réussir
seul. Cependant, l’efficacité de l’aide apportée par l’adulte reste dépendante du
niveau de développement actuel de l’enfant.
Par ailleurs, pour Vygotski, le développement de l’enfant s’effectue
dans une « zone proximale de développement ». Il s’agit d’une zone
dans laquelle l’enfant est en décalage par rapport à son environnement
social et c’est ce décalage qui lui permet de progresser (i.e. l’enfant sait
moins de choses que l’adulte qui lui apprend et, en voulant combler ce
décalage de connaissances, l’enfant va évoluer). Ici interviennent donc
à la fois des facteurs liés à la maturation (pour pouvoir bénéficier des
stimulations de son environnement, l’enfant doit en avoir les capacités)
et des facteurs sociaux d’interaction avec l’adulte.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
2.3 Jérôme Bruner (1915-2016)
Parmi les psychologues contemporains, Jérôme Bruner (né à New York
en 1915) peut être considéré comme l’un des promoteurs de l’œuvre
de Vygotski. Ses travaux se situent dans la continuité de la perspective
de Vygotski développée entre 1925 et 1934. Il se réclame de Vygotski,
car, dit-il, « c’est son œuvre qui m’a très tôt convaincu qu’il est impossible de concevoir le développement humain comme autre chose qu’un
processus d’assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l’adulte
agissant comme médiateur de la culture » (1996/1983, p. 8). Psychologue
américain, Jérôme Seymour Bruner est professeur de psychologie et
directeur de recherche à la New York University, après avoir débuté sa
longue carrière à Harvard (Cambridge, État de Massachusetts). C’est
là qu’il fonda en 1960 le Center for Cognitives Studies, premier centre
de recherche au monde qui affiche le terme « cognitif ». Ses travaux ont
porté sur de nombreux domaines dont : la perception, la catégorisation,
le récit, le développement cognitif, le langage chez l’enfant, l’éducation.
Bruner a alors pour projet d’impulser une « révolution cognitive » qui
placerait « la signification au centre de la psychologie », en unissant les
efforts de la psychologie à ceux de l’anthropologie, de la linguistique, de
la philosophie, de l’histoire et du droit. Cette approche de la cognition,
plus interprétative, mettait au centre la construction de la signification,
opérant une rupture complète avec les derniers développements de la
psychologie scientifique américaine qui se recentraient sur le traitement
de l’information. Ce paradigme, ce modèle, est devenu dominant à partir
des années 1960-1970 avec l’avènement de l’ordinateur. Ses recherches
vont alors porter sur le développement cognitif de l’enfant, puis du bébé.
Un rôle fondamental est accordé au langage, car Bruner voit dans le
développement linguistique la cause du développement intellectuel.
■
L’importance de la situation de communication
Selon Bruner, l’enfant communique avant de savoir parler. Dans cette
perspective, il ne s’agit pas de considérer le langage du point de vue de
son code linguistique, mais avant tout comme un moyen de communication qui permet d’agir sur autrui, de partager l’attention ou des réalités.
C’est dans le cadre des interactions sociales, en particulier avec l’adulte,
que l’enfant apprend l’usage du langage. Dans la théorie de Bruner,
ces interactions sociales prennent la forme de routines interactives. Le
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Psychologie du développement
développement du langage implique donc une interaction asymétrique
entre l’enfant et l’adulte, l’adulte fournissant à l’enfant, comme nous
allons le voir, le système de support à l’acquisition du langage. C’est ce
système qui assure le passage d’une communication prélinguistique à une
communication linguistique.
Bruner défend l’idée de l’existence d’un système de support à l’acquisition du langage : le L.A.S.S. (en anglais, Language Acquisition System
Support). Ce système est mis en place par l’adulte dès les premières
interactions avec l’enfant. Ce système fournit un cadre à l’interaction
sociale et c’est lui qui va permettre à l’enfant d’apprendre les usages du
langage avant même son acquisition.
Au cours du développement, Bruner décrit deux types d’interactions
spécifiques :
– la première est ce qu’il appelle « format d’interaction » ou « routines
interactives » ou encore « scénario », principal véhicule du L.A.S.S.
Ces premières structures s’appliquent à la période prélinguistique ;
– la deuxième concerne la relation de tutelle, caractéristique de la
période linguistique.
Ces deux concepts clés sont sous-tendus par ce que Bruner appelle le
processus d’étayage, terme qu’il utilise pour « désigner les formes d’intervention de l’adulte ayant pour objectif de guider, soutenir, renforcer,
etc., l’activité de l’enfant grâce notamment, à son expertise en matière
d’outils culturels » (Coulet, 1999, p. 120).
Voir encadré ci-dessus,
p. 86.
Les formats d’interaction correspondent à des épisodes interactifs
standardisés, c’est-à-dire qui présentent des régularités dans leur déroulement. La relation de tutelle définie par Bruner est étroitement liée à la
notion de zone proximale de développement développée par Vygotski.
La relation de tutelle, sous-tendue par le processus d’étayage, implique
une relation asymétrique entre un enfant et un adulte ou entre un enfant
et un autre enfant plus expert que le premier dans un domaine particulier. Bruner s’attache à décrire les fonctions de l’étayage de l’adulte en
situation de résolution de problèmes, sur la base de données empiriques
(Bruner, 1983/1996). Dans le cadre de la relation de tutelle, le rôle de
l’adulte expert est d’amener l’enfant à progresser. Cette progression n’est
possible que si la tâche proposée à l’enfant présente un niveau de difficulté légèrement supérieur aux compétences immédiates de l’enfant.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
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Notions clés de la théorie de Bruner
Intentionnalité : le développement de l’intelligence est d’abord intimement lié à la capacité de construire des comportements intentionnels,
lesquelles intentions sont fondamentalement liées à la culture des
individus. Ces conduites intentionnelles ne dérivent pas de réflexes
(contrairement à ce qu’affirme Piaget), mais constituent une propriété
initiale du fonctionnement neurobiologique : on naît avec des intentions.
Bruner observe dès les tout premiers comportements des nourrissons
à quel point l’intentionnalité précède le savoir-faire. L’intention de l’enfant va aussi pouvoir être repérée et interprétée par son entourage, ce qui
va revêtir une grande importance pour le développement du langage.
Interactions et communications : le développement cognitif de l’enfant va se faire dans les cadres contextuels d’interactions, d’échanges
au cours desquels vont s’élaborer les savoir-faire. Le terme interaction
entendu en son sens large fait référence à l’articulation des conduites
de deux congénères (animal ou humain) mis physiquement en
présence l’un de l’autre. Les situations de communication constituent
un sous-ensemble des situations interactives. Chez l’homme, la capacité à communiquer se réalise en divers codes conventionnels ; ce sont
des comportements spécifiques (comme la production de sons) qui
sont dotés d’un statut de signal. Le sens classiquement donné aux
situations de communication présuppose dans la communication
référentielle, un référent, connu de l’un des partenaires, et que l’autre
devra reconnaître. L’accent est mis sur un transfert de significations,
dans un schéma classique : un des participants, l’émetteur, code un
message destiné au partenaire (le récepteur) et le produit ; le message
concerne un référent (objet, personne, etc.). Le récepteur interprète le
message (le décode). Les situations de communication ont pour caractéristique la construction de signification, construction commune
aux deux partenaires.
Formats : au sein des contextes se développent, en collaboration,
des « formats » spécifiques. Un format est une situation d’actionséchanges dont on peut décrire les variables et les supports : tel type
d’activité, avec telle séquence intention-réalisation-feed-back, dans tel
contexte humain, et où jouent simultanément divers langages et divers
codes, dont on peut faire l’analyse sur le plan de l’efficacité concrète.
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Psychologie du développement
Exemple de format : le bain
Dans les routines ritualisées du bain, les activités de l’un et de l’autre, simultanées ou successives, prennent sens pour les deux partenaires. Ces activités
formatisées s’inscrivent séquentiellement entre une série d’actions- échanges
ritualisées préalables (le déshabillage), et une série ultérieure (la sortie de l’eau,
le séchage et tout son rituel). Les formats constituent ainsi des épisodes propices
à la constitution d’un contexte partagé. En tant qu’échanges habituels, ils fournissent un cadre pour l’interprétation concrète de l’intention de communication
entre mère et enfant.
■
■
■
Interaction de tutelle : dans cette acquisition des savoir- faire et
compétences, dans la résolution de ses problèmes, le rôle d’une tierce
personne compétente est déterminant : l’adulte soutient l’enfant en
prenant en main les éléments de la tâche qui dépassent les compétences de l’enfant et lui permet ainsi de se concentrer sur les seuls
éléments qui correspondent à ses compétences. Cette aide dont va
bénéficier l’enfant de personnes plus expertes que lui se réalise dans
le cadre d’une interaction de tutelle. Ainsi, pour Bruner, le processus
de tutelle consiste dans les moyens grâce auxquels un adulte ou un
« spécialiste » vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou moins
spécialiste que lui. Par exemple, une tutrice cherche à enseigner à des
enfants âgés de 3, 4 et 5 ans comment monter une construction particulière à trois dimensions exigeant un niveau de savoir-faire qui les
dépasse initialement. C’est le type ordinaire de la situation de tutorat
dans laquelle l’un des membres « connaît la réponse » et l’autre ne
la connaît pas, qui ressemble plutôt aux « travaux pratiques » dans
lesquels le moniteur seul « sait comment faire ».
Étayage : observant, en situation de laboratoire, comment des mères
aident leur enfant à réaliser des puzzles, Bruner conclut que l’interaction de tutelle comporte un processus d’étayage qui consiste pour le
partenaire expert « à prendre en mains ceux des éléments de la tâche
qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant
ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent
dans son domaine de compétence et de les mener à terme ».
Place de l’imitation : on ne peut concevoir le développement humain
autrement que comme un processus d’assistance, de collaboration,
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
entre un enfant et un adulte, l’adulte agissant comme médiateur de la
culture. L’immaturité permet l’éducabilité, et celle-ci repose notamment sur le jeu et l’imitation.
3. Approches écologiques
du développement de l’enfant
Il est impossible de comprendre le développement de l’être dans toute sa
complexité sans s’intéresser à son environnement et aux influences environnementales multiples qui dépassent le simple niveau de l’interaction
de l’enfant avec son entourage immédiat (la famille ou les professeurs).
Pour Brofenbrenner (1979), la recherche en psychologie de l’enfant
ne s’était pas, dans les décennies précédentes, donné les bons moyens
d’analyse parce qu’elle se centrait exclusivement sur l’enfant plutôt que
d’étudier l’enfant dans son contexte. Il est un des pionniers du courant
de l’écologie sociale du développement.
L’approche écologique étudie la nature réciproque des échanges entre
la personne et son environnement ainsi que le caractère changeant du
milieu et la démarche d’adaptation qui en résulte. Dans cette perspective, elle considère que le comportement des individus s’explique par
des facteurs qui ne résident ni dans l’organisme ni dans l’environnement mais plutôt dans l’interaction entre les deux. L’environnement
(ou contexte environnemental), c’est tout ce qui est extérieur à l’organisme. Ce n’est pas un lieu mais un milieu, c’est-à-dire un ensemble
d’éléments qui s’influencent les uns les autres. L’environnement a deux
caractéristiques principales. Il a un caractère dynamique car chacun de
ses éléments est à la fois source et objet d’influence réciproque. Il a un
caractère changeant car les individus qui s’y trouvent doivent constamment s’adapter aux autres éléments du système.
Urie Bronfenbrenner
(1917-2005) : psychologue
et chercheur américain
d’origine russe,
connu pour sa théorie
du modèle écologique
de développement humain.
3.1 Le modèle de Bronfenbrenner
Dans ce modèle, l’influence des systèmes sur l’enfant va de la plus
proximale à la plus distale, l’enfant étant au centre et constitue l’ontosystème composé de l’ensemble de ses caractéristiques innées et acquises.
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Psychologie du développement
Brofenbrenner distingue quatre paliers environnementaux susceptibles
d’exercer une influence sur l’ontosystème.
Le microsystème : système des interactions dyadiques de l’enfant avec
son environnement, c’est-à-dire un ensemble d’activités, de rôles et de
rapports interpersonnels expérimentés par l’enfant au cours de son évolution dans un milieu donné. La famille est le premier microsystème de
l’enfant et la crèche ou l’école maternelle en est un second, etc. (le 1er microsystème étant plus petit). En fait, l’enfant a plusieurs microsystèmes.
Chacun de ces microsystèmes exerce une influence sur le développement
de l’enfant (exemple d’influence : les relations d’attachement).
Lorsque deux microsystèmes interagissent, on est au niveau du mésosystème : qui comprend donc les relations mutuelles existant entre deux
ou plusieurs milieux dans lesquels le sujet en cours de développement
évolue activement. Il faut comprendre le mésosystème comme un réseau
de systèmes qui correspond aux interrelations qui existent entre plusieurs
lieux de participation, par exemple les liens mutuels des parents et de
l’école, les concertations entre l’école et la bibliothèque municipale ou
les lieux de loisirs (association sportive, conservatoire, etc.). Autrement
dit, c’est un réseau social qui est constitué des personnes qui composent
les relations sociales de l’individu et qui lui offrent de l’aide. Ce qui fait la
richesse du mésosystème, c’est le nombre et la qualité des relations entre
les microsystèmes de l’enfant (par exemple, si la communication entre
les parents et l’instit de l’enfant est bonne, c’est un élément positif dans le
développement de l’enfant. Les deux peuvent communiquer tour à tour
les besoins et les intérêts de l’enfant, afin de s’ajuster constamment).
Le tout est entouré et influencé, d’une part, par l’exosystème et, d’autre
part, par le macrosystème. L’exosystème fait référence aux rapports et aux
interactions qui ne concernent pas l’enfant mais qui exercent une influence
indirecte sur l’enfant du fait de son influence directe sur les personnes
qui s’occupent de lui, par exemple les conditions de travail de ses parents,
les possibilités de formation continue et de perspectives de carrière de
ses enseignants, etc. Autrement dit, ce système n’inclut pas l’enfant mais
il a une influence importante sur son développement. Le macrosystème
fait référence à la structure la plus englobante du modèle écologique. Il
comprend le contexte culturel qui sous-tend l’organisation des institutions. Il englobe l’ensemble des attitudes, des valeurs, des pratiques de
socialisation, des règles sociales et des idéologies dans une culture donnée.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
Autrement dit, il s’agit du contexte socioculturel dans lequel baigne l’ensemble des autres systèmes et dont l’influence sur l’enfant est indirecte.
En plus de ces quatre paliers qui sont les aspects les plus cités de la
théorie de Brofenbrenner, deux notions primordiales : l’interaction et
la transition. L’individu et son milieu interagissent dans un processus
d’influence mutuelle. L’individu venant par ses caractéristiques propres
modifier l’environnement. Par exemple, une mère n’agira pas de la même
manière avec un de ses enfants calme et un autre qui est plus tonique et
actif ; l’un demandant à être stimulé, l’autre à être encadré et, dans certains
cas, à être protégé. Les transitions sont des périodes où sont mobilisées les
forces des individus. Une transition écologique survient chaque fois qu’il
y a un changement de statut du fait des changements développementaux
ou de rôle, par exemple, pour une femme devenir mère, pour un enfant
avoir un jeune frère ou sœur qui lui fait changer de statut au sein de
la famille. La transition écologique devrait être, selon Brofenbrenner, le
principal point d’intérêt des études sur le développement humain.
Le modèle de Brofenbrenner (Figure 1) a reçu un écho formidable
parmi les psychologues à la fois en recherche mais aussi pour proposer
des programmes d’intervention. Il a lui-même proposé que l’intervention
était un bon moyen de voir les déterminants, en essayant de bouger les
systèmes et modifier les modes de fonctionnement, on se rend compte
de liens entre ce mode de fonctionnement et d’autres aspects de l’environnement. Mais un des reproches que l’on pourrait faire au modèle de
Brofenbrenner néanmoins est de ne pas tenir assez compte des différentes
cultures au sein de la même société et du façonnement de ces cultures.
Les modèles issus de la psychologie interculturelle ou de l’anthropologie du développement de l’enfant considèrent avec un égal sérieux les
facteurs économiques et culturels et montrent que les rapports entre le
milieu et l’individu vont au-delà d’une simple influence ou même de
multiples influences. L’environnement, tant au sens physique que dans
son acception sociale, constitue un véritable creuset dans lequel se moule
la personnalité de l’individu.
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Psychologie du développement
Fig. 1
Modèle écologique de Brofenbrenner (1979)
3.2 Modèles d’Ogbu et de Dasen
D’autres modèles ont été proposés. Parmi eux, celui de Ogbu (1981)
met en évidence des aspects différents du milieu tels que les enfants
issus de l’immigration ou des minorités ethniques. Dans ce modèle,
sont mis en avant les liens forts entre les conditions socio-économiques
passées et actuelles des groupes et leur façon culturellement spécifique
d’y répondre. À travers ce modèle, Ogbu explique pourquoi certains
groupes maintiennent certaines pratiques éducatives qui ne semblent
pas appropriées aux yeux des classes aisées des sociétés occidentales.
Dasen en 2003 propose un cadre théorique intégré qui est une
combinaison de plusieurs cadres théoriques dont le cadre éco-culturel
de Berry (2002), la niche développementale de Super et Harkness (1997)
et le modèle de Brofenbrenner (1979). Il place au centre l’individu qui se
développe dans un microsystème formé par la niche développementale
qui comporte trois volets : les contextes physiques et sociaux, les pratiques
éducatives et les ethnothéories parentales. Cette niche développementale
est un système ouvert lui même en interaction avec le macrosystème par
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
l’intermédiaire du mésosystème. Le macro ou exosystème comporte le
contexte écologique (densité de la population, résidence, urbaine ou rural)
et le contexte socio-politique qui évolue avec le temps. La culture au sens
anthropologique est ainsi vue comme une adaptation à ces contextes en
parallèle avec l’adaptation biologique. La cosmologie, la religion et les
valeurs sont des aspects importants de la culture.
3.3 Universalité versus variabilités
interindividuelles
Ces cadres théoriques ont influencé un grand nombre d’études interculturelles cherchant à étudier l’influence du contexte sur le développement
et l’universalité de phénomènes jusqu’ici étudiés. Ces études interculturelles ont montré par exemple que le maternage et les techniques de
massage à la naissance dans certaines cultures avaient une influence sur
le développement moteur et pouvaient expliquer les variations observées au niveau des stades du développement moteur entre les cultures
africaine et asiatique et les cultures occidentales (Bril et Lehalle, 1988).
Dans une revue de la littérature récente, Karen Adolph (2014) montre
également comment les pratiques de certaines cultures mais également
les croyances et les normes sociales peuvent expliquer certaines variabilités dans le développement moteur. D’autres exemples d’adaptation
culturelle existent dans la littérature tels que l’utilisation de l’outil chez
les enfants Baoulé (Côte d’Ivoire) (Dasen et al., 1978 ; Rogoff, 2003), ou
les différences interculturelles étudiées au niveau du stade des opérations
concrètes chez les Oksapmin de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Sax, 19812001) et les aborigènes d’Australie, les Inuit du Canada, les Saoulé en
Côte d’Ivoire et les Kikuyu au Kenya (Dasen, 1975-1998).
Ces recherches montrent que les séquences opératoires décrites par
Piaget sont universelles mais que le rythme d’acquisition varie selon
la valorisation sociale des compétences. Par exemple, les populations
nomades ont un développement précoce des notions spatiales alors que
les populations sédentaires ont un développement précoce des notions
de conservation des quantités, des volumes et du poids.
Dans le domaine du développement affectif, un certain nombre
d’études ont permis de revoir l’universalité de la théorie d’attachement
de John Bowlby (1969-1982) et les profils d’attachement décrits par Mary
Ainsworth (1960-1970). Des données récentes ont permis de montrer, par
John Bowlby (1907-1990) :
psychiatre et psychanalyste
anglais, célèbre pour ses
travaux sur l’attachement,
la relation mère-enfant.
Il définit l’attachement
comme « un équilibre
entre les comportements
d’attachement envers
les figures parentales
et les comportements
d’exploration du milieu »
(Attachement et perte, PUF,
1978).
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Psychologie du développement
exemple, que, contrairement à ce que pensait Bowlby, la mère n’est pas
toujours la seule figure d’attachement qui dépend également du mode de
garde de l’enfant et de sa niche écologique (Sagi et Lambermon, 1992) :
les enfants israéliens vivant dans des kiboutz ont un attachement multiple
puisque vivant en collectivité comparés à des enfants hollandais. Heidi
Keller adopte une vision darwinienne de l’attachement et non seulement
biologique en considérant l’attachement en terme d’adaptation à son environnement. Dans ce cadre-là, les comportements des bébés observés dans
la situation étrange ne sont pas universels mais dépendront du contexte
socio-économique, des valeurs et des normes sociales, des croyances et
ethnothéories parentales (Harwood, 1992) (cf. encadré ci-dessous).
Théorie de l’attachement
L’attachement dans la perspective de John Bowlby (1969/1982) est une caractéristique héritée de l’évolution et constitue une prédisposition pour chaque
individu. Il est de ce fait universel. Dès l’âge d’un an, on peut déjà voir des
manifestations comportementales qui témoignent de l’existence d’un lien d’attachement qui lie le bébé avec des personnes spécifiques de son entourage.
Mary Ainsworth (1978) définit ainsi trois types d’attachement reflétant des
stratégies comportementales différenciées :
– les enfants dits « sécurisés » cherchent la proximité avec la figure d’attachement permettant ensuite l’exploration ;
– les enfants dits « insécurisées » cherchent à maintenir une distance avec la
figure d’attachement ou au contraire entretiennent un attachement excessif
avec celle-ci ;
– les enfants qui n’ont pas de stratégies d’attachement sont définis comme
« ambivalents ».
Dans une population américaine, le profil le plus fréquent est l’attachement
« sécurisé » avec plus de 70 % d’enfants dans cette catégorie, suivi de l’attachement « insécurisé ». Le profil « ambivalent » étant le moins fréquent avec moins
de 10 % des enfants qui sont concernés.
Main, Kapla, et Kassidy (1985) ajoutent le profil « désorganisé/désorienté »
qui est lui aussi très peu fréquent dans une population américaine.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
Malgré l’importance d’une telle théorie dans la compréhension du
développement affectif des bébés, quelques controverses apparaissent
quant à l’utilisation des différents types d’attachement d’une manière
« éthique » les considérant comme normatifs. En effet, Grossmann et
collaborateurs (1981) sont les premiers à avoir testé cette théorie dans
une autre culture occidentale en l’occurrence germanique. Ils observent
que 49 % des enfants allemands sont catégorisés comme étant « insécurisés ». D’autres chercheurs allemands trouvent les mêmes résultats et
proposent que le type « insécurisé » soit en accord avec les soins donnés
aux Allemands du Nord (Levine et Norman, 2001, 2008), à savoir un
système de croyances qui favorise l’indépendance et l’autonomie, ce qui
explique les différences obtenues avec une population américaine où le
système favorise l’interdépendance. De ce fait, la théorie de l’attachement
par son opérationnalisation ne permet pas de décrire les comportements
de tous les enfants et ne peut donc pas être universelle. Il apparaît nécessaire d’étudier en plus des comportements d’attachement de l’enfant, les
croyances parentales. Harwood, Miller et Irizarry (1992) sont les premiers
à avoir exploré les représentations mentales des mères des comportements
que doivent avoir les enfants dans une situation étrange. Ils ont comparé
les perceptions des mères dans deux sociétés anglo-américaines et portoricaines immigrées aux États-Unis. Leurs résultats montrent que les mères
portoricaines valorisent les comportements culturellement pertinents
qui permettent à l’enfant de maintenir un comportement respectable et
approprié en contexte public. Tandis que les mères anglo-américaines
démontrent un plus grand intérêt pour les comportements qui vont
permettre à l’enfant de développer de l’autonomie. Selon Harwood et
collaborateurs (1992), l’identification et la comparaison de modèles
culturellement différents permettraient un plus grand aperçu des comportements d’attachement universels et culturellement modelés.
4. Quatre théories récentes
en psychologie du développement
4.1 La théorie de l’intersubjectivité
La théorie de l’intersubjectivité postule que le nourrisson naît avec une
conscience réceptive aux états subjectifs des autres personnes, et cherche
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Psychologie du développement
Colwyn Trevarthen :
professeur émérite
de psychologie de l’enfant
et de psychobiologie,
à l’université d’Edimbourg,
est spécialiste
de l’interaction
et de la communication
mère-bébé.
Voir Chapitre 5.
Protoconversation :
premières manifestations
de ce qui ressemble
à la conversation.
à interagir avec eux. Elle fut proposée il y a plus de 25 ans pour expliquer
des observations descriptives de comportements de nouveau-nés filmés
avec leurs mères, et où celles-ci essayaient d’engager leur bébé dans une
« conversation » en face à face ou jouaient avec lui (Trevarthen, 1974,
1977, 1979, 1998).
En effet, dès leur naissance, les nourrissons avec leur cerveau complexe
mais immature, avec des aptitudes cognitives limitées et un corps faible
se montrent déjà motivés pour communiquer avec les formes expressives
et rythmiques d’intérêt et d’émotion de la part de l’autre, et le font par un
comportement différent de celui, instinctuel, qui attire le soin parental
pour répondre à des besoins biologiques immédiats. Cette preuve d’intersubjectivité intentionnelle ou « état initial psychosocial » est fondamentale
pour une bonne compréhension du développement mental humain. Elle
est également cruciale pour l’interprétation exacte des influences de l’inné
et de l’environnement dans les diverses pathologies psychosociales de
l’enfant. Les efforts réalisés par le nourrisson pour communiquer ont été
décrits de façon réductrice comme des efforts secondaires de contingences
sociales, comme des produits d’une cognition sociale spécifique complémentaire à l’objet-percept piagétien, comme des règles pragmatiques
apprises pour l’utilisation sociale du langage ou encore comme le résultat
d’une sorte de processus intellectuel acquis (théorie de l’esprit ) qui permet
de « lire » l’esprit des autres. Tous ces cadres théoriques sous-estiment la
motivation innée pour l’action et la conscience et se concentrent plutôt
sur les aptitudes acquises motrices ou réfléchies.
Dans différents domaines de recherche, des études faites avec des
films d’interaction adulte-nourrisson âgé de quelques mois ont amené
plusieurs conclusions (Bateson, 1971, 1979 ; Brazelton, Kozlowski et
Main, 1974 ; Tronick, Als et Adamson, 1979). Ces chercheurs furent
surpris par les similarités de timing et d’expression trouvés d’une part
dans les rencontres humaines, simples et intuitives et d’autre part dans
les conversations informelles et le comportement ludique entre adultes.
Des techniques d’« analyse conversationnelle », avec la mesure précise du
timing des échanges adulte-nourrisson, montrèrent avec une confirmation statistique cette similitude (Stern, 1971 ; Beebe, 1982 ; Beebe, Jaffe,
Feldstein, Mays et Alson, 1985). Ce fut M.C. Bateson (1971, 1975, 1979)
qui nomma l’interaction mère-enfant « protoconversation », et souligna
son importance pour le développement du langage et des rituels culturels.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
D’autres études montrèrent que cette sociabilité naturelle des nourrissons, engageant l’intérêt, les intentions et les sentiments de parents
volontaires et affectueux, appelle à la relation affective ou à une « conscience
coopérative », qui amène le nourrisson à la conscience de soi et de l’autre,
aux actes signifiants et éventuellement au langage (Trevarthen, 1980, 1982,
1987, 1988, 1990a). La motivation du nourrisson pour la communication
et les soins parentaux intuitifs qui la stimulent ont été assimilés à l’aptitude humaine spécifique pour l’apprentissage culturel et du langage
(Vygotski, 1962 ; Bruner, 1976, 1983 ; Papousek et Papousek, 1977, 1987 ;
Tomasello, 1988). Un « sens humain », comme l’appelle Donaldson (1978),
se manifeste progressivement de façon croissante tout au long de l’enfance (Reddy, Hay, Murray et Trevarthen, 1997). Les significations les
plus précoces transmises au nourrisson ou au tout petit sont non verbales
ou « para-linguistiques », sous forme d’énergiques expressions vocales et
gestuelles, dans un cadre social normal, et par une sensibilité immédiate
à des « affects de vitalité » (Stern, 1992, 1999).
Plus récemment, les chercheurs ont constaté que les nourrissons et
leurs mères régulaient mutuellement les intérêts et les sentiments l’un de
l’autre, par des voies rythmiques compliquées, échangeant des signaux
multimodaux et des imitations d’expression vocale, faciale et gestuelle
(Dominguez et al., 2016 ; Gratier & Devouche, 2011 ; Gratier et al., 2015).
4.2 La théorie du core knowledge
À partir des recherches sur le bébé humain et sur l’animal, Spelke défend
l’hypothèse selon laquelle la cognition humaine dépend d’un ensemble
de systèmes qui sont spécifiques d’un domaine, spécifiques d’une tâche
et relativement encapsulés : c’est ce qu’elle nomme les systèmes du core
knowledge. La plupart de ces systèmes ont une longue histoire phylogénétique et ainsi ne sont pas spécifiques aux humains. De plus, les systèmes
apparaissent tôt dans l’enfance, opèrent tout au long de la vie et sont, par
conséquent, communs aux adultes et aux bébés. Néanmoins, les recherches
comparant la performance des adultes humains à celle des nourrissons ou
des animaux suggèrent que ces systèmes seuls ne peuvent rendre compte de
la flexibilité de la cognition mature. En plus des systèmes du core knowledge,
les humains possèdent au moins deux systèmes généraux d’apprentissage
qui servent à construire de nouveaux concepts et systèmes de croyance :
Elizabeth Spelke :
spécialiste américaine
de la psychologie
du développement, est
actuellement professeur
de psychologie à l’université
de Harvard.
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Psychologie du développement
– le premier est un système d’apprentissage associatif que nous partageons avec les animaux ;
– le second est une capacité symbolique, spécifique aux humains et
représentée le mieux par les langues naturelles.
Jerry A. Fodor
(1935-2017) : philosophe
qui a initié la théorie de
la modularité de l’esprit.
Selon cette thèse, l’esprit
humain ne fonctionne
pas comme un tout.
Il comprend un certain
nombre de modules
spécialisés, réalisés par
des aires spécifiques, dans
l’exécution de certaines
fonctions cognitives,
modules qui fonctionnent
automatiquement,
inconsciemment,
rapidement, parallèlement
et indépendamment les uns
des autres.
Gergely Csibra
et György Gergely,
spécialistes de la cognition
sociale chez le bébé
et à l’origine de la théorie
de la pédagogie naturelle,
sont professeurs
de psychologie cognitive
au Central European
University (CEU)
à Budapest.
Par ailleurs, il y aurait, dans le core knowledge, quatre systèmes de
représentation : la représentation des lieux, des objets, des agents et des
nombres. Les recherches sur les animaux et les enfants humains suggèrent
que chaque système est un module cognitif au sens de Fodor (Fodor, 1983),
qui est largement constant au cours de la phylogenèse et de l’ontogenèse.
Ces systèmes constituent ensemble les bases architecturales de l’intelligence humaine mature. Cependant, les mêmes expériences qui fournissent
les preuves de l’existence de ces systèmes initiaux révèlent aussi que la
cognition devient de plus en plus flexible au cours du développement.
Dans le futur, les études comportementales menées conjointement
aux études d’imagerie cérébrale sur le nourrisson humain, l’enfant et
l’adulte peuvent jouer un rôle clé, à la fois en explorant la transition d’une
performance encapsulée vers une performance flexible, et en décomposant les processus cognitifs matures en représentations initiales qui
constituent la base de l’édifice.
4.3 La théorie de la pédagogie naturelle
La théorie de la pédagogie naturelle (Csibra et Gergely, 2006 ; Gergely et
Csibra, 2006) stipule que l’apprentissage par imitation joue un rôle important dans la transmission du savoir mais elle considère que l’apprentissage
imitatif est insuffisant pour expliquer la transmission des connaissances
culturelles. En effet, les bébés ne peuvent pas toujours distinguer, en
observant une personne effectuer des actions nouvelles, inconnues et
dont les buts sont opaques de leur point de vue, lesquelles sont pertinentes et méritent d’être apprises et lesquelles leur sont inutiles et méritent
d’être ignorées. Pour Gergely et Csibra (2006), la « pédagogie naturelle »
garantit un apprentissage rapide et efficace des connaissances pertinentes.
Elle serait un type particulier d’apprentissage social, médiatisé par la
communication sur les connaissances à transmettre entre un individu
expert ayant la connaissance et un autre naïf sans ces connaissances. Trois
éléments caractérisent cette communication : l’ostensibilité, la référence
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
et la pertinence. Pour que la communication soit ostensible, l’enseignant
doit non seulement manifester sa connaissance, mais il doit le faire explicitement. En d’autres termes, il doit s’engager dans l’enseignement de
cette connaissance. L’enseignant doit aussi faire en sorte que l’apprenti
comprenne que la connaissance lui est destinée en lui communiquant
un signal qui consiste à l’appeler par son prénom, lui parler ou établir
avec lui un contact visuel. La deuxième caractéristique est la référence :
l’enseignant doit préciser ce qu’il/elle enseigne. Par exemple, l’enseignant
doit attirer l’attention de l’enfant, établir un contact visuel, puis regarder
l’objet à manipuler montrant ainsi que l’objet est le référent à apprendre.
La pertinence constitue la troisième caractéristique du cadre théorique.
Elle consiste à orienter l’apprenant vers ce qui est nouveau dans le contenu
de la connaissance qu’il/elle est censé acquérir. Du côté de l’apprenti,
il/elle doit voir dans la manifestation de ce savoir par l’enseignant ce qui
est nouveau et pertinent par rapport à son/ses propres connaissances.
En conclusion, la théorie de la « pédagogie naturelle » fait référence
à la présence dans l’environnement du bébé d’indices pédagogiques, à la
capacité du bébé à détecter ces indices dans un contexte d’apprentissage
et à extraire ce qui est pertinent et nouveau à apprendre.
4.4 La théorie du « Like me »
La théorie du « Like me » de Meltzoff (2007) repose sur l’affirmation
selon laquelle les enfants peuvent imiter les autres parce que « les autres
sont semblables à soi » (Meltzoff, 2007, p. 27). Ce cadre théorique général
comporte trois éléments essentiels (voir Figure 2) :
– Le premier élément de ce cadre théorique a été décrit par Meltzoff et
Moore (1977, 1997, 1999) en référence à l’imitation néonatale. Selon ce
modèle, les enfants peuvent relier soi à autrui par le biais d’une représentation supramodale du corps observé (Meltzoff et Decety, 2003,
p. 492). Cette représentation supramodale permet un codage commun
entre la représentation visuelle d’une action observée et une représentation interne de la même action. Cela permet à l’enfant de détecter
une équivalence entre l’action d’autrui et la perception de sa propre
action, et donc d’imiter. Selon Meltzoff et Decety (2003), l’imitation
néonatale fournit une preuve importante du lien inné entre la perception et la production des actions humaines, confirmant l’existence des
Andrew Meltzoff,
expert de l’imitation
néonatale et à l’origine
de la théorie du Like me,
est actuellement
professeur de psychologie
et co-directeur l’Institute
for learning and brain
sciences à l’université
de Washington.
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neurones miroirs (représentations neuronales partagées pour ces deux
processus, voir l’encadré pour un résumé des neurones miroirs). En
outre, selon Meltzoff (2005, 2007), l’imitation néonatale montre que
le nourrisson comprend dès la naissance que les autres sont des entités
qui se comportent comme lui, le codage commun entre la perception
et l’action chez le nouveau-né constituant la première étape dans le
développement de l’imitation. C’est également la première étape du
développement du processus de mentalisation permettant de considérer les autres comme des agents intentionnels. En d’autres termes,
selon Meltzoff, l’imitation néonatale est la première étape développementale de la cognition sociale.
– Le deuxième élément qui constitue la deuxième étape du cadre théorique de Meltzoff (2005, 2007) est l’expérience de la première personne.
À travers son expérience ou à partir de son propre vécu, le nourrisson
va cartographier la relation qui existe entre ses propres actions corporelles et ses expériences mentales. Par exemple, il existe une relation
intime entre l’objectif d’atteindre un objet et l’expression du visage qui
y correspond ainsi que les actes corporels effectués. Ainsi le nourrisson
apprendrait la correspondance entre ses propres états mentaux internes
et la représentation externe du corps et serait à même de la généraliser.
Fig. 2
Illustration de la théorie du « Like me » (Meltzoff, 2007)
Représentation de l’action
Connection intrinsèque entre la perception et la
production d’actes, via notamment l’immitation
Expérience à la 1re personne
Les nourrissons font l’expérience de la relation
entre leurs propres actes et les états mentaux
sous-jacents
Compréhension des états mentaux d’autrui
Les autres qui agissent « comme moi » ont des états
mentaux similaires aux miens
Ici sont représentés les trois éléments essentiels du cadre théorique : (1) la représentation de l’action,
(2) l’expérience à la première personne et (3) la compréhension des états mentaux d’autrui.
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
– Le troisième élément qui constitue la troisième étape du modèle est de
comprendre les états mentaux des autres (Meltzoff, 2007). Les bébés
font des inférences sur les expériences des autres. Quand les enfants
voient d’autres effectuer une action, ils en déduisent l’état mental correspondant en fonction de leurs propres expériences. Meltzoff illustre son
cadre général avec des exemples empiriques décrits dans le paragraphe
suivant, montrant que l’imitation d’une action n’est possible que lorsque
l’observation et la représentation de cette action sont similaires.
Dans les études de Meltzoff (1995a) et Legerstee et Markova (2008),
les bébés n’imitent pas toujours le modèle lorsque celui-ci est un
dispositif mécanique comparé à un modèle humain. Un dispositif mécanique n’ayant ni la même apparence physique ni la même dynamique
comportementale que l’enfant (le mouvement du bras, la préhension, la
cinématique du geste, les expressions du visage), il ne peut être considéré comme une entité qui est potentiellement « comme moi ». Les bébés
ne sont pas non plus capables d’attribuer des intentions à un dispositif mécanique. Ces observations concordent avec l’étude de Buccino
et collaborateurs (2004) sur l’effet spécifique de l’espèce dans laquelle
l’activation des neurones miroirs a été observée lorsque l’action appartient au répertoire moteur de l’espèce . Meltzoff (2007) donne d’autres
exemples empiriques pour appuyer sa théorie. Il montre par exemple que
la démonstration de la façon d’utiliser un outil pour obtenir un objet hors
de portée est plus efficace lorsque le démonstrateur est assis côte à côte
avec l’enfant que face à lui. Enfin, dans une autre étude, Meltzoff (2005)
a montré à des bébés âgés de 18 mois une séquence d’actions avec ou
sans la présence d’un agent qui serait potentiellement responsable de la
production de cette action. L’action-cible consistait à séparer un objet en
forme d’haltère. Les bébés ont vu l’objet en trois états statiques successifs :
objet assemblé, objet démonté et objet assemblé de nouveau. Dans une
condition, aucune personne n’est présente dans la scène, dans une autre
condition, le même objet a été montré dans les trois états statiques mais
cette fois placé dans les mains d’une personne. Les résultats ont montré
que les nourrissons ont produit l’action-cible (séparer l’haltère en deux)
seulement lorsqu’une personne est présente dans la scène. Selon Meltzoff
(2007), les enfants sont capables d’imaginer l’acte invisible de séparer
l’haltère en deux et donc de le reproduire seulement lorsqu’ils peuvent
l’attribuer à une personne semblable à eux-mêmes. Ainsi, plus l’agent
Voir encadré p. 105.
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Psychologie du développement
est semblable à soi-même et se comporte comme soi, plus l’observateur
peut associer une représentation interne à l’action observée et plus la
démonstration est efficace. En outre, déduire une intention ou un état
mental n’est possible que lorsque l’agent est semblable à soi-même et que
ses actions sont similaires aux actions de l’observateur.
Bien que Meltzoff illustre sa théorie à partir de plusieurs études enrichissantes, celles-ci peuvent sembler insuffisantes pour affirmer qu’un
modèle non humain, tel qu’un robot ou un animal, ne peut induire un
apprentissage chez le bébé. De plus, il n’est pas entièrement clair ce que
Meltzoff veut dire par « Like me ». Dans la théorie du « Like me », la
notion de ressemblance entre soi-même et autrui reste floue et mérite
d’être spécifiée. En effet il est facile de comprendre que pour un bébé,
deux pinces ou un système mécanique comme celui utilisé dans les études
citées ci-dessus, ne ressemblent pas suffisamment à soi-même. Mais qu’en
est-il d’un robot humanoïde ou d’un autre animal ? Observerait-on une
différence si l’on présentait au bébé deux espèces différentes comme un
primate non humain et une espèce morphologiquement plus éloignée
comme une perruche ? Ces questions demeurent non résolues à l’heure
actuelle et ouvrent la voie à un champ de recherches très vaste et encore
peu exploré pour le moment.
Une autre critique qui peut être faite à la théorie du « Like me », est
qu’elle soit construite sur le socle de l’imitation néonatale qui représente
un phénomène contesté en lui-même par plusieurs chercheurs. En effet,
la méta-analyse de la littérature menée par Anisfield (1991) soulève le fait
que la seule action que le nouveau-né puisse imiter est la protrusion de
la langue et qu’aucune autre action n’est imitée de manière fiable. Ainsi,
certains auteurs suggèrent que l’imitation néonatale sur laquelle Meltzoff
et Moore basent leur théorie est tout simplement un artefact provenant
du comportement naturel de succion et de mouvement de la bouche
suscité par la tétine (Hayes et Watson, 1981). Une étude récente a remis
en question l’existence de l’imitation néonatale en testant longitudinalement 106 bébés à 1, 3, 6 et 9 semaines de vie sur 9 tâches d’imitation d’un
modèle. Leurs résultats ont clairement montré que les bébés n’imitent pas
le modèle et produisent les actions cibles aussi bien à partir d’une démonstration de l’action-cible ou d’une autre action (Oostenbroek et al., 2016).
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3 Les grandes théories en psychologie du développement
Les neurones miroirs
En 1992, Rizzolatti et collaborateurs ont trouvé des neurones qui répondent plus
quand un singe effectue une action, comme saisir un morceau de nourriture, et
quand le singe observe passivement une action similaire effectuée par un autre
agent. Ces neurones qu’ils appelaient « neurones miroirs » ont été découverts dans
le cortex prémoteur des singes appelés zone F5 (Di Pellegrino, Fadiga, Fogassi,
Gallese et Rizzolatti, 1992). Chez l’adulte humain, les études utilisant les stimulations magnétiques transcrâniennes (TMS) ont également montré une activation
des neurones miroirs dans le cortex moteur lorsque le sujet observe passivement
un mouvement de doigt (Fadiga, Fogassi, Pavesi et Rizzolatti, 1995). Les études
en IRMf ont localisé certains neurones miroirs dans le lobe pariétal inférieur et le
cortex prémoteur (Grèzes, Armony, Rowe et Passinghama, 2003). Les neurones
miroirs s’activent également lorsque les individus ont été invités à imiter une action
(Decety, Chaminade, Grezes et Meltzoff, 2002).
Conclusion
Certaines théories du développement comme celles de Jean Piaget,
d’Henri Wallon, ou encore de Lev Vygotski ont incontestablement
marqué les fondements de la psychologie du développement. Néanmoins,
le développement de nouvelles techniques ainsi que les évolutions sociétales ont amené à repenser ces théories fondatrices. Nous verrons au
chapitre 4 que les récentes découvertes concernant notamment les
capacités précoces des nourrissons ont eu des conséquences sur le plan
théorique. Ainsi, certains courants de pensée ont été remis en question,
et ce, dès les années 1960.
Plus récemment, il apparaît que pour mieux appréhender toute la
complexité du développement de l’enfant, il faut penser à aborder la
psychologie du développement sous l’angle d’approches intégratives :
c’est l’ensemble des facteurs internes et externes et leurs interactions qui
sont en jeu au cours du développement de l’enfant et de l’adolescent.
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Psychologie du développement
À RETENIR
nnL’approche constructiviste en psychologie du développement est associée à la
figure de Jean Piaget (1896-1980). Selon lui, l’enfant est actif dans la construction de ses connaissances : il se construirait à travers ses actions sur le monde qui
l’entoure.
nnPour Piaget, le développement est une succession de stades qui suivent un ordre
fixe chez tous les enfants : (1) le stade sensori-moteur de 0 à 2 ans, dans lequel
l’intelligence est liée à l’action. (2) le stade des opérations concrètes de 2 à
11,5 ans dans lequel les enfants se représentent mentalement les actions mais
cette représentation porte sur les objets physiques et (3) le stade des opérations
formelles de 11,5 ans à 16 ans.
nnLe néoconstructivisme, représenté par les disciples de Piaget, prolonge la théorie
de Piaget et en même temps la critique sur plusieurs points tels que la méthode
utilisée par Piaget pour asseoir sa théorie ou sur les mécanismes en jeu dans le
développement.
nnL’approche socioconstructiviste représentée par Wallon, Vygotski et Bruner prend
en compte le contexte et l’environnement dans lequel évolue l’enfant. Ces auteurs
considèrent que le développement cognitif se fait en interaction avec son environnement et avec les personnes qui l’entourent.
nnLa dimension sociale et culturelle du développement est notamment abordée dans
NOTIONS CLÉS
n Approche
constructiviste
n Approche
écologique
n Approche
néo-constructiviste
n Approche socioconstructiviste
n Attachement
n Étayage
n Stades
de développement
n Universalité
n Variabilités
interindividuelles
n Zone proximale
de développement
les approches écologiques comme celles de Brofenbrenner où le sujet est au centre
de plusieurs systèmes en interaction et en évolution.
nnPlusieurs approches théoriques récentes ont permis de remettre à jour certaines
théories fondatrices. La théorie du core knowledge et la théorie du Like me ont
permis de mettre en évidence des compétences beaucoup plus précoces que ce
qu’avait observé Piaget. La théorie de la pédagogie naturelle a repris la théorie
de Vygotski en l’opérationnalisant.
POUR ALLER PLUS LOIN
Chanquoy L. et Négro I. (2004). Psychologie du développement. Hachette
Supérieur.
Laval V. (2015). Psychologie du développement. Modèles et méthodes, 3e éd.,
Cursus, A. Colin.
Lehalle A. et Mellier D. (2013). Psychologie du développement. Enfance et
adolescence, 3e éd., Dunod.
Mallet P., Meljac C. et Baudier A. (2004). La psychologie du développement.
Belin.
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ENTRAÎNEMENT
QCM (plusieurs réponses sont possibles)
1.
Selon Piaget, l’intelligence est la résultante de deux processus interne et externe,
transitoirement équilibrés :
a. Accomodation
b. Equilibration
c. Adaptation
d. Assimilation
2.
3.
Selon Pascual-Leone, la ressource cognitive permettant d’activer un schème
pertinent au détriment d’un schème trompeur se nomme :
a. Champ F
c. Attention mentale
b. Opérateur exécutif
d. Mémoire permanente
Selon Case,
a. L’espace de stockage augmente en fonction de la place décroissante
qu’occupe l’espace de traitement
b. La mémoire de travail est un élément clé du développement
c. La capacité de la mémoire à long terme est limitée par la croissance
nerveuse
d. La capacité de la mémoire à long terme est fonction de l’accroissement
du nombre de schèmes activés simultanément
4.
5.
Wallon, Vygotski, Zazzo, et Bruner appartiennent au groupe des théories
a. Orthogénétiques
c. Epigénétiques
b. Socioconstructivistes
d. Epistémologiques
En fonction des réponses aux comportements d’attachement, l’enfant
a. Développe des stratégies primaires d’attachement
b. Développe des stratégies secondaires d’attachement
c. Peut inhiber son système d’attachement
d. Peut hyperactiver son système d’attachement
6.
Qui est Bruner et à quoi s’intéresse-t-il ?
a. Il est le fondateur de la psychologie du développement
b. Il met en évidence le rôle structurant des relations sociales dans
le développement cognitif de l’enfant
c. Il s’intéresse à l’analyse du rôle de l’école et de l’éducation
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À l’heure actuelle, on considère que la petite enfance s’étend de la naissance à l’âge de 2 ans.
Dans ce chapitre, c’est en particulier cette période qui sera traitée. Il s’agit de la période de la vie
au cours de laquelle les premières acquisitions sont observées.
On considère généralement que les connaissances acquises au cours de ces deux premières
années sont plus importantes qu’aucune autre période de notre vie.
Ces acquisitions suivent à peu près les mêmes étapes chez les bébés, mais il existe une très grande
variabilité entre les individus.
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CHAPITRE
4
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
1. Qu’est-ce qu’un nourrisson ?
2. Le développement foetal
3. Le nouveau-né : état actuel
des connaissances
4. Après la naissance :
le développement
sensori-moteur
5. Le développement
sociocognitif du nourrisson
6. Le développement langagier :
compréhension et production
7. Le développement
socio-émotionnel
Conclusion
Voir Chapitre 1.
Petite enfance
Introduction
Les études sur la petite enfance sont relativement récentes même si
de tout temps l’homme fut intrigué par cette période particulière
du développement. L’une des raisons de cet intérêt tardif réside
dans un changement de conception de l’enfance dans nos sociétés
modernes. En effet, pendant longtemps, l’enfant, et encore plus le
bébé, furent considérés comme des êtres non doués de pensées,
car non doués de parole (le terme enfant, qui vient du latin infans,
renvoie à la notion d’un être qui ne sait pas encore exprimer sa
pensée par la parole).
Comme nous le verrons ici, cette conception fut largement
remise en question au cours des dernières décennies, grâce
notamment aux études qui se sont intéressées aux capacités
perceptivo-cognitives du jeune enfant.
1. Qu’est-ce qu’un nourrisson ?
Jusque dans le milieu du xxe siècle, la période néonatale, voire
toute la période de la petite enfance, était considérée comme une
période de confusion des sens. Le bébé était alors perçu comme
un être incapable d’organiser les informations provenant de son
environnement. C’est ce qu’on retrouve dans les écrits de philosophes tels que W. James (1890) :
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Psychologie du développement
« Le bébé, assailli par les yeux, les oreilles, le nez, la peau et les entrailles à la fois,
ressent tout cela comme une grande confusion bourdonnante […] » (pp. 462).
En fait, comme nous le verrons un peu plus loin dans ce chapitre,
on sait désormais que le bébé est déjà capable de donner une certaine
cohérence au monde qui l’entoure (Karmiloff-Smith, 1992), et ce dès la
naissance. La combinaison de différentes approches en psychologie du
développement a permis, entre autres, de mettre en lumière la capacité
des nourrissons à percevoir des structures détaillées à partir desquelles
ils sont prêts à chercher des régularités. Ainsi, comme l’ont souligné
certains auteurs tels Mehler & Fox (1985), l’étude des nourrissons n’est
pas une perte de temps, bien contraire, elle peut même nous permettre
de mieux comprendre nos origines.
Le saviez-vous ?
Un point clé pour
appréhender le
développement tient
dans la distinction
entre les états matures
et fonctionnels
des structures. Une
structure peut être
fonctionnelle, c’està-dire assurer une
fonction, sans pour
autant être mature,
c’est-à-dire sans
pour autant avoir
atteint le maximum
de ses capacités de
fonctionnement.
2. Le développement fœtal
Les débuts de l’ontogenèse commencent après la fécondation, puis par
la phase embryonnaire (d’une durée d’environ 12 semaines), suivie par
la phase fœtale (de 12 à 41 semaines environ). La phase embryonnaire
correspond pour l’essentiel à la mise en place des structures et la phase
fœtale à la maturation de ces structures (organes, tissus, …).
2.1 Ontogenèse du système nerveux
Le système nerveux est un système de communication et de traitement
de l’information réparti dans l’ensemble du corps. Le système nerveux
regroupe un ensemble de cellules spécialisées et organisées en différentes structures nerveuses appartenant soit au système nerveux central
(encéphale et moelle épinière), soit au système nerveux périphérique
(toutes les autres structures nerveuses).
L’ontogenèse du système nerveux débute très précocement, environ
2 semaines après la fécondation. L’embryon est alors structuré en 3 feuillets
embryonnaires, l’ectoderme, le mésoderme et l’endoderme. À ce moment,
se forme sur l’ectoderme une plaque neurale qui sera à l’origine de tout le
système nerveux de l’individu. À la fin de la 3e semaine après la fécondation
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4 Petite enfance
se forme à partir de cette plaque, le tube neural (par invagination des
cellules) qui formera véritablement le système nerveux. À l’avant de l’embryon, se forment des vésicules (entre 25 et 40 jours après la fécondation).
À 40 jours après la fécondation, les 5 vésicules céphaliques (télencéphale,
diencéphale, mésencéphale, métencéphale et myélencéphale) constitutives
du cerveau sont différenciées. Les structures cérébrales vont alors s’organiser et se développer jusqu’à la fin de l’adolescence.
Les structures cérébrales évoluent au cours du développement grâce
à différents événements : la multiplication cellulaire, la connectivité cellulaire et enfin la myélinisation des fibres neuronales. Les cellules nerveuses
se multiplient et s’organisent selon les programmes génétiques modulés
par les facteurs environnementaux. En effet, dès le début de l’ontogenèse,
l’environnement conditionne le développement d’un individu.
2.2 Le développement de la sensorialité du fœtus
Au cours du développement intra-utérin, les différents systèmes sensoriels
se mettent progressivement en place. Le fœtus acquiert progressivement
des sensations. Mais si les perceptions sensorielles sont fonctionnelles,
elles ne sont pas matures.
La séquence des mises en place des systèmes sensoriels commence
par le système somesthésique (sensibilité au corps propre), suivi par les
systèmes des sens chimiques (olfaction et gustation). Viennent ensuite
les systèmes vestibulaire (sensibilité aux mouvements du corps et à la
gravité) et auditif. Le dernier sens à se mettre en place est le système
visuel. Au cours de la gestation, le fœtus a donc la capacité d’expérimenter certaines sensations. En effet, le milieu utérin, même s’il est très
différent du milieu aérien que le bébé expérimentera dès sa naissance,
offre au fœtus un certain nombre de stimulations de toutes natures.
Définition
■
Somesthésie : stimulations mécaniques (pression),
thermiques et douloureuses
❯ Somesthésie : du grec « sôma » (corps) et « aïsthêsis » (sensation), renvoie
à la sensibilité générale du corps, et constitue l’un des systèmes sensoriels
de l’organisme.
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Psychologie du développement
La sensorialité somesthésique est stimulée par la motricité fœtale, les
contractions utérines, le contact de la paroi utérine, voire le contact lié
à la présence d’un jumeau et les pressions exercées sur le ventre maternel.
Ainsi, le fœtus est sensible à la pression sur l’abdomen de sa mère. Cette
sensorialité est difficile à étudier mais il semble que la sensibilité tactile
s’étende progressivement dès 10 semaines après la fécondation depuis
la région orale, péri-orale et palmaire vers le reste de la surface du corps.
Certaines zones sont mieux pourvues en récepteurs pour cette sensibilité.
Définitions
Le fœtus serait aussi sensible aux stimulations thermiques, d’après
les données à 34 semaines chez le prématuré et les réponses induites par
l’infusion d’eau froide dans le liquide amniotique au moment de l’accouchement (Timor-Tritsch, 1986). Quant aux stimulations nociceptives, les
voies nerveuses et les médiateurs sont présents dès le dernier trimestre
de la gestation (Anand et Hickey, 1987 : Anand, 1990, 1998). Le taux
d’opiacés endogènes, qui notamment modulent la réponse à la douleur,
varie en fonction du mode d’accouchement : ce taux est plus élevé pour
des enfants nés en siège que pour les enfants nés à l’aide de ventouses et
eux-mêmes que les enfants nés par voie vaginale (Kauppila, Leppaluoto
et Vuolteenaho, 1982).
❯ Nociception : c’est l’ensemble des phénomènes permettant l’intégration
au niveau du système nerveux central d’un stimulus douloureux via l’activation
des nocicepteurs (récepteurs à la douleur) cutanés, musculaires et articulaires.
Le ransport de l’information sensorielle par les nerfs se fait de la périphérie
(lieu du ressenti de la douleur) jusqu’à l’encéphale.
❯ Proprioception : qui se rapporte à la perception, consciente ou non,
de la position des différentes parties du corps.
Les récepteurs de la proprioception sont détectables dans les muscles
du fœtus dès 4 mois de gestation (Elwyn, 1929). Pendant la vie fœtale,
ils sont activés par les contractions des muscles fœtaux mais aussi par de
fortes pressions exercées sur ces muscles, comme lors des contractions
utérines ou par les mouvements d’un jumeau. Des pressions sur l’abdomen maternel provoquent une réaction fœtale (rythme cardiaque et
éventuellement mouvements fœtaux) (Bradfield, 1961 ; Birnholz, 1983).
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4 Petite enfance
■
Olfaction et goût
Les bourgeons gustatifs sont présents dès 13 à 15 semaines de gestation
et deviennent potentiellement opérationnels vers 16 à 20 semaines de
gestation par la possibilité de l’ouverture des pores gustatifs (Bradley
et Stern, 1967). Le liquide amniotique offre au fœtus toute une palette
d’odeur, de saveurs par les composés chimiques qui le constituent.
Sa composition varie au cours du temps, notamment au rythme des
prises alimentaires de la mère. Certaines substances odorantes passent
dans le liquide amniotique comme l’ail, le cumin, le curry, le chocolat,
la carotte… Avant même la naissance, le fœtus expérimente donc des
saveurs plus ou moins variées en fonction des préférences ou contraintes
alimentaires de sa mère.
Le saviez-vous ?
Les 5 sens ne se
développent pas
à la même vitesse
in utero. Le toucher
est le premier à se
développer, la vue
est le dernier.
Le développement du fœtus est aussi conditionné par la prise de
toxiques par sa mère, que ce soient des drogues, du tabac, de l’alcool
ou des médicaments : toutes ces substances passent dans l’organisme
maternel puis la barrière placentaire. Ces substances influent sur le développement organique et peuvent conduire à divers troubles, comme des
troubles du comportement ou une hypersensibilité sensorielle (syndrome
d’alcoolisation fœtale).
■
Le système vestibulaire
Le système vestibulaire devient fonctionnel probablement à partir de
25 semaines de gestation. Le fœtus peut expérimenter les accélérations
et décélérations linéaires et angulaires subies par sa tête. Ces stimulations peuvent être générées soit par les mouvements propres du fœtus,
soit par les déplacements maternels. Ainsi, une mère active, qui marche
beaucoup par exemple, et une mère qui limite ses déplacements dans ses
activités quotidiennes n’offriront pas les mêmes expériences à leur fœtus
(Ribeiro, Jacquet, Gentaz et Lecanuet, 2002 ; Lecanuet et Jacquet, 2002).
■
Vestibulaire : organe
sensoriel situé dans l’oreille
interne qui contribue à la
sensation de mouvement et
à l’équilibre chez la plupart
des mammifères.
L’audition
Le système auditif se différencie entre 2 à 3 semaines après le système
vestibulaire, vers 28-30 semaines d’âge gestationnel (Pujol et al., 1991).
Dans l’utérus, le fœtus peut expérimenter différentes sources sonores. Il
existe en permanence un bruit de fond, surtout des fréquences basses,
constitué notamment par les sons biologiques de la mère : les bruits liés
à la respiration, à la digestion, les bruits de la contraction cardiaque et
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Psychologie du développement
dB SPL : décibel de niveau
de pression sonore qui
prend comme niveau
de référence le plus
petit niveau de pression
acoustique perceptible
à l’oreille humaine.
aussi ceux produits par la voix maternelle. Les sons en provenance de
l’environnement de la mère parviennent aussi au fœtus mais peuvent
subir des modifications acoustiques. Pour que les sons de l’environnement transmis in utero se dégagent du bruit de fond intra-utérin leur
pression acoustique doit être supérieure à 60 dB SPL (celui du niveau
sonore d’une conversation normale). Il est donc possible pour le fœtus
de percevoir des stimulations sonores extérieures, en plus de pouvoir
percevoir la voix de sa mère, transmise par voie interne, via les tissus et les
os. Comme les caractéristiques prosodiques du discours sont préservées
lors de leur transmission au milieu utérin, le fœtus bénéficie donc d’une
certaine expérience de sa langue maternelle.
Parmi les stimulations perceptibles par le fœtus, les battements du
cœur maternel sont parmi les plus prégnants, à tel point qu’ils sont utilisés
pour apaiser pour apaiser le nouveau-né ou comme renforcement dans
certaines procédures expérimentales. L’autre stimulation très présente
dans l’environnement du fœtus est le son de la voix, et surtout de la voix
maternelle. Le fœtus est capable de s’appuyer sur des caractéristiques
acoustiques simples : il réagit ainsi à la voix de sa mère vers 33 semaines
de gestation. Il devient ensuite capable de différencier (paradigme d’habituation/déshabituation de la réponse cardiaque fœtale) la voix de sa
mère d’une voix non familière, et de distinguer une voix féminine d’une
voix masculine (prononçant la même phrase), des variations de tempo
et de différencier des sons complexes. Par exemple, le rythme cardiaque
fœtal augmente en réponse à la voix de sa mère et diminue en réponse
à une voix étrangère. Cette différence de comportement suggère que
l’expérience de la voix et notamment de la voix maternelle permet au
fœtus de discriminer ces voix (Kisilevsky et al., 2003).
■
La vision
Le système visuel est la sensibilité qui se met en place le plus tardivement,
même si tous les types de récepteurs sont présents entre 26 et 28 semaines
de gestation. Le fœtus a donc un système extrêmement immature et
notamment car peu de lumière atteint la rétine foetale. La vision se développera relativement rapidement dans les mois suivant la naissance.
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4 Petite enfance
2.3 Les mouvements du fœtus
Avec le développement des techniques d’échographie, les chercheurs ont
pu étudier le développement des mouvements in utero, à commencer
par les mouvements généraux. Le développement des mouvements
fœtaux est sujet à d’importantes variations inter et intra-individuelles
pour les grossesses sans complications. Il semble que le maximum des
mouvements généraux puissent être mesurés vers 24-26 semaines et
diminuent ensuite jusqu’au terme. Cette diminution est certainement
liée au manque de place dans l’utérus. Quantitativement, ce sont les
mouvements généraux qui sont les plus fréquents, quel que soit le
stade de développement, suivis des sursauts (vers 8-9 semaines) puis
des hoquets (à 10-13 semaines) et enfin les mouvements respiratoires
(entre 14 et 19 semaines). Ces données quantitatives sont dépendantes
des moments de la journée. Qualitativement, entre 24 et 36 semaines de
gestation, les mouvements faciaux deviennent significativement de plus
en plus complexes. Le fœtus produit simultanément jusqu’à 7 mouvements faciaux qui sont observés dans les expressions faciales de douleurs
ou de détresse (Reissland, Francis, & Mason, 2013 ; Reissland, Francis,
Mason, & Lincoln, 2011).
Les mouvements coordonnés apparaissent vers 36 semaines de gestation. Les mains du fœtus font des mouvements orientés vers le corps,
manipulent des parties du corps, laissant penser à une forme d’intentionnalité dans ces mouvements, comme si le fœtus en bougeant ses bras
explorait son environnement (Sparling & Wilhelm, 1993). Certains de
ces mouvements montrent une trajectoire développementale (Sparling,
Van Tol, & Chescheir, 1999). Dès 22 semaines de gestation, les mouvements du fœtus ont un pattern cinématique lié au but du mouvement
(main-bouche versus main-œil), suggérant une forme de planification
motrice du mouvement (Zoia et al., 2007). De même, l’étude des profils
cinématiques des mouvements de paires de fœtus jumeaux entre la 14e et
18e semaine de gestation a montré que les mouvements sont plus longs et
que le temps de décélération était plus long pour les mouvements orientés
vers d’autres parties que vers la paroi utérine. Les mêmes profils ont été
observés pour les mouvements orientés vers la région sensible des yeux
du fœtus ou de son jumeau (Castiello et al., 2010). Prises ensemble, ces
connaissances posent la question des coordinations sensorimotrices et
de la prise en compte de l’environnement chez le fœtus.
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Psychologie du développement
2.4 Que perçoit le fœtus de son environnement ?
D’une manière générale, à partir de 36-37 semaines de gestation, le fœtus
est capable de traiter assez finement les informations qu’il perçoit. C’est
en mesurant différents indicateurs comportementaux qu’il est possible
d’évaluer les compétences du fœtus. Les réponses liées aux variations
du rythme cardiaque sont ainsi un bon indicateur (Kisilevsky et Hains,
2010). Les ralentissements du rythme cardiaque sont considérés comme
des réponses d’orientation et les accélérations cardiaques ou les sursauts
sont plutôt considérés comme des réponses de défense (Graham, Strock
et Zeigler, 1981 ; Graham, Anthony et Zeigler, 1983). Le fœtus est
capable de présenter des comportements d’habituation à un stimulus.
Ses réponses à la stimulation répétée diminuent puis finissent par disparaître : le fœtus s’adapte donc aux stimulations de son environnement
immédiat. L’exemple le plus connu et qui illustre bien cette adaptation
est celle de l’étude d’Ando et Hattori (1970, 1977) : les fœtus exposés aux
bruits des avions de l’aéroport d’Osaka pendant au moins 3 mois lors de
la gestation, qui après la naissance sont des nourrissons qui ne sont pas
réveillés par un bruit de Boeing diffusé à 80 dB SPL… mais une séquence
musicale aux mêmes caractéristiques spectrales les réveille !
De la même manière, les fœtus s’habituent aux mélodies et sons de
l’environnement maternel. Les musiques perçues régulièrement par le
fœtus en fin de gestation (semaines 35 à 38) ne modifient pas le rythme
cardiaque du fœtus alors qu’une autre mélodie (qui a le même rythme, la
même intensité et des notes identiques mais avec un contour différent)
provoque chez le fœtus un ralentissement du rythme cardiaque. Cette
diminution de la réponse avec les présentations du stimulus est bien une
habituation et non une fatigue car une autre stimulation de même nature
provoque une réponse du fœtus plus importante (Kisilevski, 1995).
Rappel méthodologique
On considère que le fœtus (ou le nourrisson) discrimine une stimulation d’une
autre en utilisant des paradigmes d’habituation/déshabituation. Une fois habitué
à une stimulation (diminution de la réponse comportementale du fœtus jusqu’à un
seuil déterminé), si le fœtus présente une réaction comportementale à un nouveau
stimulus (réaction du niveau initial de l’habituation), alors on peut penser que le
fœtus a perçu une différence entre les 2 stimuli.
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4 Petite enfance
Grâce à l’observation des réactions du fœtus à différentes stimulations,
il a pu être mis en évidence que ce dernier est déjà sensible à l’ordre de
présentation de syllabes (Lecanuet et al., 1987), aux voyelles (Groome et al.,
1999 ; Zimmer et al., 1993), au sexe du locuteur quand ils prononcent la
même phrase (Lecanuet, Granier-Deferre, Capponi et Ledru, 1993), aux
notes de musique (Lecanuet, Granier-Deferre, Jacquet et DeCasper, 2000)
et aux variations de tempo d’un son (Lecanuet, Jacquet et Bontemps, 2001).
La capacité à discriminer des stimulations soutient l’hypothèse que le fœtus
présente une capacité aussi à mémoriser certaines stimulations (Salk, 1960,
1962). Une étude portant sur l’intelligibilité du langage in utero a mis en
évidence, en enregistrant les rythmes cardiaques, que les fœtus sont déjà faire
la différence entre « bibi » et « baba » à 35 semaines de gestation (Shahidullah
& Hepper, 1994), ainsi qu’entre « babi » et « biba » (Lecanuet et al., 1987).
Par ailleurs, le fœtus serait plus sensible aux informations prosodiques de
la voix, comme le rythme et l’intonation (Querleu et al., 1988).
Le saviez-vous ?
Le père est aussi
sous l’influence
de la gestation : sa
concentration en
prolactine (hormone
de la lactation) devient
plus élevée pendant
cette période. Les
premières semaines
après la naissance,
la concentration en
testostérone des pères
diminue d’environ 1/3.
3. Le nouveau-né :
état actuel des connaissances
Jusque dans les années 1960, le point de vue de Piaget (1936) était celui
qui dominait en psychologie du développement. Pour lui, le concept d’intelligence se construit à partir des expériences physiques sur le monde .
Le nouveau-né piagétien est alors considéré comme un être dont l’état
initial se caractérise par une absence de coordination des conduites sensorimotrices. Aucune perception multimodale et aucune intégration des
modalités sensorielles ne sont encore possibles à ce stade selon le point de
vue piagétien. Le nouveau-né est en quelque sorte enfermé dans un univers
chaotique dans lequel il n’existe pas de lien entre ce qui est vu et touché, par
exemple. Ses actions sont essentiellement réflexes, sans but apparent. Selon
Piaget, c’est par le hasard que ces actions réflexes répétées vont peu à peu
s’organiser pour devenir intentionnelles, premiers pas vers l’intelligence.
Voir Chapitre 3 .
Grâce aux avancées techniques et méthodologiques des années 1960,
différents auteurs ont mis en évidence que le nouveau-né était en fait
déjà capable d’organiser les informations perçues dans son environnement. Ainsi, bien des compétences apparaissent beaucoup plus tôt
que ce Piaget avait pensé. Deux techniques en particulier ont permis
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Psychologie du développement
Voir Chapitre 2.
d’interroger les compétences perceptivo-cognitives des nouveau-nés et
des nourrissons : la technique du regard préférentiel (Fantz, 1963) et
la technique d’habituation .
La première consiste à observer la répartition des temps de regard sur
deux cibles placées côte à côte et variant sur une seule dimension (forme,
couleur, taille, disposition des éléments…). Si les bébés regardent plus
longtemps une cible que l’autre, les chercheurs concluent qu’ils ont détecté
et fait la différence entre les deux cibles. On parle alors de « préférence »
du bébé pour l’une ou l’autre cible, c’est-à-dire qu’ils passeront plus de
temps à regarder une cible plutôt que l’autre. Si les bébés regardent autant
les deux cibles, on ne peut pas conclure à l’absence de discrimination.
Généralement, pour éviter ce type de problème, la procédure d’habituation et de réaction à la nouveauté et sa variante, la procédure de
familiarisation sont également utilisées. Comme nous le verrons plus
loin, les recherches réalisées à partir de ces techniques ont montré que,
dès la naissance, et donc bien avant de pouvoir agir physiquement sur
leur environnement, les nouveau-nés disposent d’outils perceptifs suffisamment élaborés pour donner du sens à leur environnement : l’action
motrice ne serait pas indispensable à la connaissance du monde.
3.1 Des capacités soumises
à certaines contraintes
Avant de présenter ce que nous savons à l’heure actuelle des surprenantes
capacités perceptivo-cognitives des nouveau-nés, il paraît important de
souligner que les habiletés observées sont soumises à des contraintes
physiques et physiologiques propres à cette période qu’est la naissance.
■
Les contraintes physiques
Le développement moteur des nourrissons est soumis à deux lois générales de développement : la loi céphalo-caudale, partagée par l’ensemble
des espèces vertébrées, prévoit que le contrôle postural qui mène à la
verticalité progresse du haut vers le bas du corps. Le cortex contrôle
d’abord les muscles oculaires, puis ceux du cou et de la nuque, du dos et
enfin des jambes. Conjointement, la loi proximo-distale signifie que le
contrôle volontaire s’effectue des segments les plus proches de l’axe du
corps vers les segments les plus éloignés.
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4 Petite enfance
Fig. 1
Deux lois de développement moteur
Loi céphalo-caudale : de la tête aux pieds.
Loi proximo-distale : du centre à la périphérie.
Par ailleurs, une autre contrainte importante concerne le passage d’un
milieu aquatique à un milieu aérien, milieu soumis aux contraintes de
la loi de la gravité et de l’attraction terrestre. Les travaux menés sur le
développement fœtal, présentés plus haut dans ce chapitre, ont permis
de montrer l’existence d’une activité motrice avant la naissance. Cette
activité motrice in utero présente des similitudes avec celle observée ex
utero, comme par exemple l’activité de succion, soulignant ainsi une
certaine continuité transnatale.
Éléments de continuité transnatale
La naissance peut être considérée non pas comme un moment de rupture avec
la vie fœtale mais plutôt comme une période qui prolonge la vie fœtale (Molina
& Jouen, 2000). Ainsi, le rythme cardiaque de la mère, perçu in utero, est apaisant pour le nouveau-né (Rosner et Doherty, 1979). Le nouveau-né préfère les
odeurs perçues in utero par rapport à d’autres odeurs nouvelles (Schaal, Marlier,
et Soussignan, 2000). Ils sont également capables de reconnaître des mélodies
entendues de manière répétées au cours des dernières semaines de gestation
(Granier-Deferre et al., 2011). La notion de continuité transnatale amène à une
reconsidération non pas seulement du statut du nouveau-né mais également
de celui du fœtus : la vie commence et se prépare avant la naissance. Elle
met également en exergue la nécessité de penser le développement dans une
perspective intégrative.
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Psychologie du développement
Cf. p. 121.
Le répertoire comportemental du nouveau-né comprend essentiellement des réflexes, des mouvements spontanés regroupés sous le terme
de motilité et des actes dirigés.
Le réflexe se définit comme une réponse rigide, stéréotypée et automatique en réponse à une stimulation spécifique. On en dénombre plus de
soixante-dix à la naissance (Illingworth, 1990), la plupart étant présents
chez le fœtus. Pour certains auteurs, les réflexes sont des témoins de notre
héritage phylogénétique, comme par exemple le réflexe d’agrippement
qu’on retrouve chez les petits d’autres primates non humains. À l’heure
actuelle, on considère également les réflexes comme les prémisses d’actions plus organisées. Parmi les réflexes les plus observés à la naissance
on trouve :
– le réflexe de succion : mouvements de succion en réponse à une stimulation de la bouche ou des lèvres ;
– le réflexe de fouissement : orientation de la tête en réponse à une
stimulation de la bouche ou de la joue ;
– le réflexe d’agrippement : fermeture de la main en réponse à une
stimulation de la paume de la main ;
– le réflexe de Moro : réaction en deux temps en réponse à une stimulation vestibulaire (mouvement brusque de descente ou d’ascension).
Dans un premier temps, les bras s’écartent du corps, le dos s’arque
et la tête est rejetée en arrière. Dans un deuxième temps, les bras
reviennent contre le corps et les mains impriment un mouvement
vers le thorax ;
– le réflexe de Babinski : flexion du gros orteil en réponse à une stimulation de la plante du pied sur le bord externe du talon vers les orteils ;
– le réflexe natatoire ou swimming : apnée respiratoire et mouvements
de nage avec les bras et les jambes obtenus chez le bébé placé dans
l’eau ;
– le réflexe de la marche automatique ou stepping : mouvement alterné
des jambes obtenu chez le bébé maintenu en position verticale.
Ces réflexes sont indispensables à la survie du nouveau-né qui se
situe désormais dans une situation de vie aérienne et non plus aquatique
comme au cours de la gestation. Ils témoignent également d’une bonne
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4 Petite enfance
intégrité neurologique du nouveau-né, c’est pourquoi ils sont systématiquement évalués au moyen du test d’APGAR, du nom du pédiatre qui
l’a mis au point (Apgar, 1953). Comme nous le verrons un peu plus loin,
certains de ces réflexes, comme le réflexe de succion, sont considérés
comme des moyens pour le nouveau-né d’explorer son environnement.
Par ailleurs, certaines des conduites réflexes s’éteignent vers l’âge de deux
mois pour réapparaître sous une autre forme un peu plus tard. On peut
prendre comme exemple la marche automatique qui disparaît vers l’âge
de 3 mois. La disparition du réflexe de la marche à 3 mois est expliquée
par Thelen & Fisher (1982 ; 1983) par le fait que les jambes des bébés
sont plus grasses que musclées, ce qui joue un rôle de contrainte sur les
rythmes de mouvements réalisables. Lorsque l’enfant est immergé dans
l’eau, le mouvement rythmique initial réapparaît.
Le test APGAR à la naissance
Ce test fournit une évaluation de l’état de santé du nouveau-né à partir de
5 critères : la respiration, le rythme cardiaque, l’irritabilité, la couleur de la peau
et le tonus musculaire, chacun de ces critères est noté sur 2.
En France, les nouveau-nés sont testés deux fois : à 1 minute, puis à 5 minutes
après la naissance. Une note supérieure ou égale à 8 indique que le nouveau-né
se porte bien tandis qu’une note inférieure à 3 est jugée critique.
Le nouveau-né présente également des mouvements généraux du
corps qui sont désignés par le terme de motilité. Il s’agit de mouvements
dont le caractère organisé s’exprime à travers une certaine régularité
dans le temps et l’espace. Comme les réflexes, ces mouvements sont
déjà présents avant la naissance, et participeraient au développement
morphologique puisqu’un défaut de motilité provoque des malformations. Jusqu’à la fin du deuxième mois environ, les mouvements généraux
du nouveau-né sont identiques à ceux du fœtus.
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Psychologie du développement
Classification des mouvements de motilité
par Prechtl (1984)
– Mouvements généraux : le corps du nouveau-né bouge entièrement ; mouvements isolés des bras et des jambes : le nouveau-né fléchit, étend ou tourne ses
bras ou ses jambes ;
– Sursauts : petits mouvements généralisés et très rapides ;
– Clonies : petits mouvements rythmiques d’une ou de plusieurs extrémités ;
– Secousses : mouvements isolés et rapides de la tête ou d’un membre ;
– Bâillements : mouvement involontaire qui consiste à ouvrir largement la bouche
lentement ;
– Contacts main-bouche : la main touche la bouche.
■
Contraintes physiologiques
Le nouveau-né n’est pas seulement soumis à des contraintes physiques
mais également physiologiques, qui rythment ses états de vigilance.
Prechtl (1974) précisa l’existence de quatre états de vigilance chez le
nouveau-né en proposant une classification en cinq stades allant du
sommeil calme, état minimum d’excitation (stade I), à l’excitation
maximum de l’éveil avec pleurs (stade V). Ces états ont ensuite été repris
par Brazelton et Cramer (1991) qui décrivent six états de vigilance allant
du sommeil profond à l’état de colère :
Thomas Berry Brazelton
(1918-2018) : pédiatre
américain, l’un des
pionniers de la recherche
sur les capacités
du nourrisson, a mis au
point un outil dévaluation
du comportement
du nouveau-né (l’échelle
de Brazelton), encore
largement utilisé dans
les services de néonatalogie
et en pédiatrie.
– le sommeil calme (stade I) : ce sommeil est l’équivalent du sommeil lent
profond, le nouveau-né est immobile, il ne présente aucun mouvement
corporel en dehors de quelques sursauts, mais son tonus musculaire
persiste. Le visage est peu expressif, il n’existe aucune mimique en
dehors de quelques petits mouvements de succion, visibles surtout
avant les périodes d’alimentation. Les yeux sont fermés. Il n’existe pas
de mouvements oculaires, les battements cardiaques sont réguliers. Ce
sommeil est très stable. Il n’est généralement interrompu par aucun
éveil, sa durée est presque toujours la même, de 20 minutes environ ;
– le sommeil agité (stade II) : ce sommeil est considéré comme l’équivalent du sommeil paradoxal de l’adulte. Il est caractérisé par l’apparition
de toute une série de mouvements corporels : mouvements fins au
niveau des doigts et des orteils, mouvements peu amples au niveau des
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bras ou des jambes, mouvements corporels plus globaux d’étirement. Le
visage du nouveau-né au cours de ce sommeil est parfois très expressif.
Il existe, comme chez l’adulte au cours du sommeil paradoxal, des
mouvements oculaires rapides. En outre, en dehors des mouvements
corporels, il existe une hypotonie importante : le tonus musculaire est
extrêmement bas. La respiration est rapide, irrégulière, elle est parfois
haletante, entrecoupée par des pauses respiratoires qui sont normales.
Ce sommeil est beaucoup moins stable que le sommeil calme ;
– l’état de veille calme (stade III) : il s’agit d’un moment d’éveil attentif.
Le nouveau-né a les yeux grands ouverts, brillants. Il peut dès les
premiers jours regarder le visage qui lui sourit ou qui lui parle. Il
peut aussi suivre dès les premiers jours un objet coloré. L’enfant est
conscient de son environnement, il bouge peu. Cet état de veille, dans
les premiers jours de vie, est limité à quelques minutes, deux ou trois
fois dans la journée, puis le nouveau-né va passer généralement en
état de veille agité, avec ou sans pleurs ;
– l’état d’éveil alerte (stade IV) : le nouveau-né a le regard vif et
est capable d’une attention soutenue. L’activité motrice est à son
minimum. La communication entre l’adulte et lui peut s’établir :
rencontre à travers le regard, imitation des expressions faciales ;
– les états de veille agités sans pleurs (stade IV) ou avec pleurs
(stade V) : ils sont chez le nouveau-né beaucoup plus fréquents que les
éveils calmes, le nouveau-né est au cours de ces périodes peu attentif
à son environnement.
3.2 Les capacités perceptives du nouveau-né
La perception est une activité fondamentale au sens où elle permet d’explorer le monde. C’est au cours de la période prénatale que les différentes
modalités sensorielles se développent progressivement (voir plus haut
dans ce chapitre). Certaines apparaissent très précocement (le sens du
toucher et de l’équilibre) tandis que d’autres maturent plus tardivement
(la vision), mais toutes sont fonctionnelles au moment du terme. Ainsi,
les perceptions, bien qu’imparfaites à la naissance, sont déjà organisées. Le nouveau-né ne vit pas dans un monde chaotique de sons, de
contacts, de lumières mais détecte des régularités, contrairement à ce
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Psychologie du développement
qui a longtemps été pensé. Nous verrons plus loin que, dès la naissance,
le nouveau-né donne du sens à toutes ses perceptions. On peut donc
considérer la perception comme une activité cognitive à part entière à la
naissance (Streri et al., 2013).
■
La vision
Jusque dans les années 1960 environ, très peu d’études s’étaient intéressées au système visuel du nouveau-né. Cette lacune a favorisé l’idée que
le nouveau-né ne percevait pas vraiment le monde qui l’entoure et que
ses comportements étaient essentiellement réflexes (Bronson, 1974). En
effet, l’environnement du nouveau-né étant si complexe, on considérait
que son état d’immaturité, et notamment l’immaturité de son système
visuel, ne lui permettait pas de percevoir les stimuli visuels qui l’entourent.
On sait désormais que, dès la naissance, la rétine périphérique de l’œil est
bien développée, contrairement à la rétine centrale (Braddick et Atkinson,
2011), responsable de la pauvreté de détection des détails (Abramov et al.,
1982 ; Sireteanu, Kellerer, et Boergen, 1984 ; Slater, 2002). Pour mesurer
les capacités visuelles présentes à la naissance, plusieurs techniques ont
été combinées allant de la préférence visuelle à des techniques psychophysiques pour mesurer l’acuité visuelle par exemple :
■
■
l’acuité visuelle : c’est la capacité à détecter les détails fins d’un
stimulus visuel. Pour la mesurer à la naissance, des paires de stimuli
(i.e., un ensemble de lignes noires et blanches placé à côté d’un patch
gris) sont présentées de manière alternée (Slater & Muir, 1999). Si le
nouveau-né discrimine les lignes noires et blanches, il les regardera
plus longtemps que le patch gris : c’est la technique du choix préférentiel. En faisant varier la distance entre les bandes, on peut ainsi
mesurer l’acuité visuelle du nouveau-né : elle correspond à la plus
petite distance entre les bandes que le bébé peut détecter (Figure 2).
Une autre technique consiste à enregistrer l’activité des aires visuelles
pendant qu’on montre les stimuli au bébé : c’est la technique des
potentiels évoqués visuels (Visual Evoked Potential). Grâce à ces
différentes techniques, on a ainsi pu montrer que l’acuité visuelle du
nouveau-né est dix à trente fois plus faible que celle de l’adulte ;
la sensibilité aux contrastes : toujours au moyen de la technique du
choix préférentiel, il a pu être mis en évidence que les nouveau-nés
sont sensibles aux contrastes et préfèrent les forts contrastes par
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4 Petite enfance
rapport aux faibles contrastes (Banks & Salapatek, 1981, 1983 ;
Morison & Slater, 1985) ;
■
l’accommodation visuelle : c’est la capacité à faire la mise au point sur
des objets placés à différentes distances. L’accommodation est médiocre
jusqu’à environ 2 mois. Ils sont capables d’une bonne mise au point
sur les objets situés à 30 cm environ, ce qui correspond environ à la
distance entre le visage de l’enfant et celui de la personne qui le porte.
Fig. 2
Exemples de stimuli présentés au nouveau-né
pour mesurer l’acuité visuelle
Fenê t re pour mesure r
la direc tion du re gard
A
A
B
B
Par ailleurs, on sait désormais que les nouveau-nés préfèrent regarder
les objets en mouvement plutôt que stationnaires (Slater, Morison, Town,
& Rose, 1985). Ils préfèrent également les stimuli tridimensionnels par
rapport aux bidimensionnels (Slater, Rose, & Morison, 1984), le curviligne par rapport au rectiligne (Fantz & Miranda, 1975) et l’horizontal
par rapport au vertical (Slater & Sykes, 1977). Enfin, la perception des
couleurs n’est pas bien développée à la naissance, mais les nouveau-nés
peuvent discriminer les plages chromatiques vert, jaune et rouge des
plages achromatiques (blanc) si les couleurs sont fortement saturées. La
poursuite visuelle chez le nouveau-né est généralement considérée par
les pédiatres comme un indice attestant de l’intégrité du système nerveux
(Vurpillot, 1972). Le nouveau-né est donc capable, malgré l’immaturité
de son système visuel, de voir ce qui l’entoure suivant des contraintes
relativement précises.
■
L’audition
L’imprégnation du langage dès la vie intra-utérine participe au développement de biais perceptifs pour ce stimulus à la naissance. En effet,
Voir plus haut,
p.114.
125
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Voir Chapitre 2.
fNIRS (functional Near
Infrared Spectroscopie) :
voir chapitre 2, p. 52.
Vouloumanos et Werker (2007) ont mis en évidence, au moyen de
la technique de succion non nutritive que les nouveau-nés âgés en
moyenne entre 1 à 4 jours écoutent plus un stimulus langagier plutôt
qu’un stimulus non langagier. De plus, grâce à une technique d’imagerie
relativement récente, la fNIRS , Peña et al. (2003) ont mis en évidence
une dominance de l’hémisphère gauche pour les sons langagier dès la
naissance. Par ailleurs, seulement deux jours après leur naissance, les
nouveau-nés écoutent plus leur langue maternelle (l’anglais) par rapport
à une langue étrangère (l’espagnol) (Moon, Cooper, et Fifer, 1993). Les
nouveau-nés sont également capables de faire la différence entre leur
langue maternelle et une langue étrangère (Mehler et al., 1988), et sont
certainement très sensibles aux éléments prosodiques du discours (Nazzi
et al., 1998). L’exposition à la voix de la mère in utero a amené certains
chercheurs à se demander si les bébés à la naissance préféraient écouter la
voix maternelle par rapport à une autre voix féminine. Il apparaît en effet
que les nouveau-nés préfèrent écouter la voix de leur mère par rapport
à celle d’une femme étrangère (De Casper et Fifer, 1980), et ce, même
lorsque les voix sont filtrées avec un filtre passe-bas (Spence et Freeman,
1996). DeCasper et Fifer (1980) apprennent à des nouveau-nés de 1 à
3 jours à associer un rythme de succion à la voix de leur mère ou bien
à une voix féminine étrangère. Dès que le rythme de succion atteint un
certain niveau, le sujet entend la voix de sa mère. Lorsque son rythme
cardiaque baisse, il entend la voix étrangère. Tous les nouveau-nés maintiennent un rythme élevé pour entendre la voix maternelle. L’origine de
cette préférence n’est pas génétiquement déterminée mais provient d’un
apprentissage prénatal. Dans une expérience, on demande à des futures
mères de lire régulièrement (deux ou trois fois par jour) à haute voix
une berceuse aux cours des douze dernières semaines de grossesse. Sur
la base de leur rythme de succion les nouveau-nés montrent clairement
une préférence pour la version de l’histoire à laquelle ils ont été habitués.
■
Le goût et l’odorat
Les structures nerveuses responsables du goût et de l’odorat sont fonctionnelles dès la 14e semaine de gestation (voir plus haut). L’étude de
la sensibilité à certaines saveurs chez le nouveau-né a pu être mise en
évidence grâce à l’analyse de leurs expressions faciales. Si on dépose du
sucre sur la langue du bébé à la naissance, ce dernier va réagir avec une
mimique de satisfaction et si on dépose du jus de citron avec une grimace
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4 Petite enfance
(Steiner, 1979). Ces sensibilités sont traduites également par l’enregistrement du rythme cardiaque. On sait ainsi que les nouveau-nés réagissent
aux trois saveurs de base : l’amer, le doux et l’acide. Il existe cependant
des différences interindividuelles importantes : la même saveur n’entraîne
pas toujours les mêmes réactions et les seuils perceptifs varient d’un bébé
à l’autre, certains sujets étant plus sensibles que d’autres.
Les nouveau-nés sont également très sensibles aux odeurs, et notamment à celles provenant de leur mère. À nouveau, l’analyse de leurs
expressions faciales met en évidence des réactions différentes selon
l’odeur proposée. Les odeurs fruitées (jugées plaisantes par l’adulte)
provoquent une mimique de satisfaction et peuvent entraîner une activation orale. À l’inverse, l’odeur de poisson ou celle de l’œuf pourri
(jugées très déplaisantes) s’accompagnent d’une mimique de dégoût et
le bébé peut même tourner la tête pour échapper à l’odeur. La reconnaissance de certaines odeurs a fait l’objet d’un intérêt tout particulier tant
elles sont jugées importantes pour le développement du bébé : il s’agit
des odeurs humaines, en particulier de l’odeur maternelle. C’est tout
particulièrement à l’odeur du lait maternel qu’ils sont sensibles et celles
émises par les aisselles de la mère. Ainsi, seulement quelques jours après
la naissance, ils s’orientent préférentiellement vers un linge imprégné
par l’odeur de leur mère que vers celui imprégné d’une autre odeur ou
sans odeur particulière (MacFarlane, 1975). Par ailleurs, les nouveau-nés
réagissent plus à l’odeur de sécrétions mammaires qu’à d’autres types
d’odeurs (Schaal, 1997 ; Soussignan et al., 2001). Ce qui est intéressant
c’est que ces réponses singulières des nouveau-nés à l’égard des sécrétions
mammaires se développent indépendamment de leur exposition au sein
maternel, puisque des enfants nourris au lait artificiel y répondent autant
que des enfants allaités depuis la naissance. Ainsi, les glandes mammaires
contiennent des composés volatiles, pour le moment non identifiés, qui
pourraient jouer un rôle clé dans l’ajustement initial de l’enfant au sein
maternel. Ces sécrétions mammaires ont une valeur de survie immédiate
puisqu’elles agissent conjointement chez l’enfant, en favorisant la succion
et la prise lactée, et chez la mère.
■
Le toucher
La bouche et les mains sont les deux zones du corps par lesquelles le bébé
va prendre connaissance de son environnement. Concernant l’activité
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orale, certains auteurs ont montré que les nouveau-nés discriminent
une tétine élastique d’une tétine rigide et qu’ils sont donc sensibles à la
propriété de substance des objets (Rochat, 1983). Récemment, des résultats identiques ont été obtenus en faisant varier la forme des objets, une
tétine lisse et une tétine bosselée. En plus de la substance, les nouveau-nés
sont donc également sensibles à la propriété de forme des objets
(Hernandez-Reif et al., 2000). Concernant l’activité manuelle, en plaçant
de petits objets dont la texture varie dans la main des nouveau-nés, il a pu
être observé des mouvements de pression différents. Les bébés exercent
une pression plus forte lorsqu’ils tiennent un objet mou par rapport
à un objet granuleux, indiquant qu’ils sont sensibles à la propriété de
texture (voir Molina et Jouen, 2000). Enfin, lorsqu’une habituation tactile
est réalisée avec un prisme ou un cylindre, les nouveau-nés répondent
à la nouveauté à la fois pour la main gauche et pour la main droite. En
d’autres termes, ils distinguent déjà tactilement entre les objets rectilignes
et curvilignes (voir Hatwell et al., 2000).
3.3 Vers une cognition néonatale
Nous avons vu précédemment que dès la naissance, les systèmes sensoriels sont relativement matures et que le nouveau-né est sensible à un
certain nombre d’informations provenant de son environnement.
Une question survient alors : ces capacités sont-elles suffisantes pour
lui permettre de percevoir l’organisation du monde qui l’entoure, et
notamment pour percevoir les propriétés stables des objets ? En effet,
malgré les changements qui peuvent s’appliquer aux éléments de l’environnement, nous percevons les objets de manière stable et cohérente.
C’est ce que l’on nomme la constance perceptive. Deux phénomènes
bien connus rendraient compte de la constance perceptive, et seraient
présents dès la naissance : la constance de la forme (un objet est perçu de
la même manière bien que présenté dans différentes orientations, Slater
et Morison, 1985) et la constance de la taille (un objet est perçu de la
même manière en dépit des changements de distances par rapport à nous,
Slater, Mattock, et Brown, 1990). En utilisant la technique d’habituation,
il a été mis en évidence que les nouveau-nés détectent les invariances de
tailles et de formes d’un objet (Slater et Muir, 1999).
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Constances de la taille et de la forme
Pour tester la perception de la constance de la taille à la naissance, les
nouveau-nés ont été habitués à un cube (petit ou grand) pendant plusieurs
essais. Le cube était présenté à différentes distances à chaque essai. En phase
test, deux cubes étaient présentés en même temps : le gros cube éloigné et le
petit cube plus proche. Les deux objets avaient ainsi la même image rétinienne.
Les nouveau-nés regardent plus longtemps le cube qui présente une taille
différente de celle vue en phase de familiarisation.
Pour la constance de forme, on présente aux nourrissons un objet (un carré
ou un trapèze) pendant plusieurs essais. À chaque essai, l’objet est vu dans
une perspective différente. Puis, en phase test, deux objets sont présentés
ensemble : l’objet familier dans une orientation différente de celle vue en phase
d’habituation et un nouvel objet dans la même orientation que celle vu précédemment. Les nourrissons regardent alors plus longtemps l’objet nouveau. Ce
résultat suggère que les nouveau-nés peuvent détecter une invariance de la
forme, et ce, malgré les changements d’orientation, et indépendamment des
caractéristiques géométriques de l’objet.
Un autre phénomène important qui rend compte de la capacité à se
représenter le monde de manière cohérente est la perception de l’unité
de l’objet. On présente en phase d’habituation à des nourrissons de
4 mois un bâton partiellement caché en son centre (Kellman et Spelke,
1983) (voir Figure 3). On fait alors bouger le bâton latéralement dans un
mouvement continu, puis en phase test, on présente soit deux parties de
bâton, soit le bâton entier. Les nourrissons regardent alors plus longtemps
les deux parties de bâton. Ce résultat est interprété comme la surprise des
nourrissons à la vue des deux parties de bâton et donc comme leur capacité à percevoir l’unité d’un objet même si ce dernier est partiellement
caché. Les nouveau-nés sont également capables de percevoir l’unité du
bâton mais seulement si ce dernier est présenté en phase d’habituation
avec un mouvement saccadé et non continu, mouvement qui serait plus
facile à poursuivre pour les nouveau-nés (Valenza et al., 2006).
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Psychologie du développement
Fig. 3
Situation expérimentale pour étudier l’unité de l’objet
A
B
C
A : phase d’habituation ; B : deux stimuli sont présentés simultanément en phase test.
La plupart des objets peuvent être appréhendés par différentes modalités sensorielles. Le transfert d’informations entre modalités sensorielles
assure une stabilité et une cohérence aux objets rencontrés. Meltzoff
et Borton (1979) ont été les premiers à mettre en évidence le transfert
intermodal précoce, et en particulier préalable à la coordination entre
préhension et vision, même si les données de ces auteurs n’ont pas
toujours été retrouvées. Ils ont habitué avec une tétine lisse ou à picots
des nourrissons de 1 mois, puis ils ont observé en phase test des temps
de regard plus longs pour objet exploré préalablement. C’est ce qu’on
appelle le « transfert intermodal » : le bébé est capable de tenir compte
dans son exploration d’un objet dans une modalité sensorielle d’informations qu’il a prises préalablement dans une autre modalité.
Ainsi, les bébés, très tôt au cours du développement, perçoivent les
objets dans leur dimension multimodale, ce qui signifie qu’ils intègrent
en une seule et même connaissance les informations issues de différentes modalités sensorielles. Plus récemment, certains auteurs ont
montré que des nouveau-nés reconnaissent visuellement la forme d’un
d’objet auxquels ils ont été tactilement habitués (Streri et Gentaz, 2003).
Toutefois, ces transferts sont fragiles dans la mesure où ils ne sont pas
encore réversibles. En effet, à la naissance et à 2 mois, la reconnaissance
n’est pas observée dans le sens vision-toucher. À 5 mois, les bébés sont
capables de reconnaître avec la main l’objet auquel ils ont été habitués
visuellement mais l’inverse n’est plus observé (Streri, 2012). Ce développement non linéaire dans le transfert intermodal serait à mettre en
relation avec des décalages de développement entre les deux modalités
concernées. Après 6 mois, le transfert d’une modalité à l’autre s’effectue
dans les deux sens et va se complexifier.
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4 Petite enfance
Cette capacité des nouveau-nés à transférer des informations entre
modalités sensorielles, et donc à intégrer les informations provenant de
leur environnement en un tout cohérent, ne se limite pas au transfert
toucher-vision. En effet, ils sont également capables de repérer certaines
correspondances entre des stimuli auditifs et visuels.
Dans une étude, Aldridge, Braga, Walton et Bower (1999) ont testé
des nouveau-nés de 33 h en moyenne. Ils leur ont présenté des images
capturées à partir d’enregistrements vidéo de femmes qui produisent les
voyelles « i », « u », et « a », et en audio les sons « y », « u », et « i ». Pour le
son « y », le même mouvement de bouche que pour le « u » était présenté.
Les présentations se faisaient une à une sur un écran, soit en congruence
soit en incongruence avec le son entendu. Les bébés contrôlaient les
présentations au moyen de la technique de succion non nutritive. Les
résultats montrent qu’ils préfèrent les présentations congruentes plutôt
qu’incongruentes ; également au niveau de la phrase (Guellaï et al., 2016).
Cette intégration audiovisuelle a également été utilisée pour tester
la cognition numérique des nouveau-nés. En effet, Izard et al. (2009)
ont mis en évidence que les nouveau-nés associaient des stimuli visuels,
sortes de smileys, présentés en différentes quantités à l’écran, au nombre
de séquences sonores correspondantes. Ils ont familiarisé les nouveau-nés
avec des séquences de 4 ou 12 sons (ou bien 6 ou 18 sons), accompagnés
de 4 ou 12 formes géométriques (ou bien 6 ou 18). Dans chaque condition, les nouveau-nés ont regardé plus longtemps l’image qui contenait le
même nombre de stimuli visuels que de séquences sonores. Ils ont donc
extrait la quantité numérique commune aux deux modalités sensorielles.
Enfin, plus récemment, il a été mis en évidence que les nouveau-nés
associaient de petites quantités à gauche et de grandes quantités à droite
(de Hevia et al., 2018).
3.4 Les habiletés sociocognitives du nouveau-né
La personne humaine, en particulier son visage, constitue pour le bébé
un stimulus perceptif, cognitif et social particulièrement attractif et
stimulant : elle parle, bouge, sourit. La relative maturité des systèmes
perceptifs et neurologiques du nouveau-né lui permet d’être tout à fait
adapté au monde social qui l’entoure. C’est à travers ces échanges avec
le monde social que le bébé se construit et construit des connaissances
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Psychologie du développement
à la fois sur les autres, sur lui-même et sur les objets physiques. Plusieurs
études ont mis en évidence une attirance dès la naissance pour les stimuli
qui rappellent la forme et l’organisation des visages. En effet, seulement
quelques jours après leur naissance, les nouveau-nés s’orientent plus vers
un visage schématique qu’un autre stimulus visuel (Fantz, 1963, 1965,
1967). Goren et al. (1975) ont testé des nouveau-nés seulement 9 minutes
en moyenne après leur naissance au moyen de la technique de poursuite
visuelle. Les auteurs ont présenté aux nouveau-nés des « patterns » de
visages très schématiques sur des supports dans un mouvement latéral
lent. Les schémas représentaient soit des visages avec les traits internes
arrangés normalement, soit moyennement désordonnés (avec les yeux en
bas), soit complètement désordonnés (les yeux sur le côté). Les patterns
désordonnés possédaient tous deux le même nombre de traits faciaux
que le visage normal. Ils ont également présenté un pattern sans aucun
élément interne (seulement le contour). Le nombre de fois que le nourrisson tournait les yeux et la tête vers le stimulus ont été relevés à chaque
présentation. L’analyse des données révèle que les nouveau-nés poursuivent plus le stimulus avec les traits internes arrangés normalement que
les autres stimuli. De plus, ils poursuivent plus les deux stimuli désordonnés que le pattern vide.
Plusieurs études ont également confirmé la capacité des nouveau-nés,
seulement quelques heures après la naissance, à reconnaître les visages
qui les entourent. Ainsi, en utilisant la technique du choix préférentiel, il
a été mis en évidence que les nouveau-nés s’orientent plus vers le visage de
leur mère que celui d’une femme inconnue (Bushnell, 2001). De plus, au
moyen de la technique d’habituation, il a été montré que les nouveau-nés
reconnaissent un visage non familier même après deux minutes de rétention en mémoire (Pascalis et de Schonen, 1994). Un visage non familier
est présenté en phase d’habituation, puis en phase test le même visage et
un nouveau sont présentés côte à côte : les nouveau-nés regardent alors
plus longtemps le nouveau visage. Par ailleurs, les nouveau-nés sont
sensibles à l’association entre la voix et le visage puisqu’ils reconnaissent
leur mère lorsqu’elle leur a au préalable parlé (Sai, 2005), ainsi que des
visages non familiers (Coulon et al., 2011 ; Guellaï et al., 2011).
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4 Petite enfance
4. Après la naissance :
le développement sensori-moteur
Bien que longtemps étudié de manière séparée, comme un domaine
à part, de plus en plus de chercheurs s’intéressent au développement
moteur comme un élément essentiel d’une boucle plus large englobant
d’autres domaines comme la perception et la cognition. Des études
expérimentales commencent à souligner le lien très étroit entre le développement moteur et le développement d’autres domaines perceptif et
cognitif. Ces études montrent qu’avec les progrès moteurs, les bébés
commencent à avoir un accès plus large à leur environnement. Dès
lors qu’ils se déplacent, une multitude de possibilités leur est offerte. Ils
explorent leur environnement et enrichissent leur perception et leurs
connaissances. Pour certains auteurs, dès les premiers déplacements, vers
l’âge de 9 mois, lorsque les bébés commencent à ramper, ils explorent
activement leur environnement, ce qui leur permet une plus grande flexibilité cognitive et mnésique (Clearfield, 2004 ; Herbert, Gross, et Hayne,
2007). Dans l’étude de Herbert et collaborateurs (2007), les auteurs
testent des bébés âgés de 9 mois sur une tâche d’imitation différée. Les
enfants sont revus 24 heures après la démonstration d’une action cible
soit dans la même situation avec le même stimulus, soit dans une situation différente avec un stimulus différent et dans une pièce différente.
Les résultats montrent que seuls les enfants qui rampaient ont réussi
à reproduire l’action cible dans la nouvelle situation, montrant ainsi des
capacités de mémorisation et de récupération plus flexibles que les bébés
qui ne se déplaçaient pas.
La boucle perception/action est également très visible au niveau du
développement des habiletés manuelles. Les enfants deviennent capables
de saisir les objets de manière coordonnée dès qu’ils peuvent se mettre
assis vers l’âge de 5 mois (Rochat et Goubet, 1995). Une fois que les
enfants deviennent capables de saisir les objets (Von Hofsten, 1983 ;
Von Hofsten et Fazel-Zandy, 1984 ; Blanc, Château, et Held, 1964), ils
commencent à les explorer intensément. L’exploration de l’objet est la
première étape dans la manipulation d’objets. Les objets peuvent être
retournés sous le contrôle visuel, secoués, renversés, cognés sur une table,
passés d’une main à l’autre, ou portés à la bouche (Fagard, Lockman,
Sorrentino, Lemoine, & Devouche 2005 ; Harris, 1972 ; Lézine, 1978 ;
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Psychologie du développement
McCall, 1974 ; Palmer, 1989 ; Ruff, 1984). Mettre les objets à la bouche est
la première stratégie systématique d’exploration qu’on observe dès l’âge
de quatre mois (Lew et Butterworth, 1997), particulièrement fréquente
autour de six mois (Palmer, 1989), et encore observée jusqu’au moins
neuf mois (Cornwell, Harris, et Fitzgerald, 1991). L’exploration de l’objet
devient de plus en plus diversifiée au cours de la seconde moitié de la
première année de vie (Lézine, 1978 ; McCall, 1974). Autour de neuf
mois, la manipulation simultanée de deux objets devient plus fréquente
(Fenson, Kagan, Kearsley, et Zelazo, 1976 ; Vauclair & Bard, 1983). Plus
l’objet est familier, plus il y a exploration (Rubenstein, 1974 ; Sigman,
1976). Ainsi, l’exploration est associée au développement perceptif et
moteur. Bien que longtemps décrits de manière indépendante, il est
aujourd’hui reconnu que le développement perceptif et le développement moteur doivent être envisagés de manière intégrative.
4.1 L’exploration des objets
Voir définition p. 135.
Dès le départ, les premières explorations de l’objet sont modulées par
les propriétés de cet objet. Les bébés ont tendance à tourner un objet
qui a une nouvelle forme, à faire tomber par terre un objet qui a un
nouveau poids, à secouer un objet bruyant, ou à appuyer sur un objet
avec une texture intéressante (Palmer, 1989 ; Ruff, 1984). La détection
des affordances de l’objet a longtemps été considérée comme une partie
importante du développement des compétences des nourrissons (Gibson
et Walker, 1984). À quel âge les enfants détectent les affordances ?
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, les nourrissons
sont capables de percevoir visuellement et haptiquement la forme et la
texture de l’objet dès la naissance, même avant qu’ils possèdent suffisamment de contrôle moteur pour saisir par eux-mêmes l’objet (Lhote
et Streri, 1998 ; Sann et Streri, 2007, 2008 ; Streri, 1987). Tout au long
de la première année, l’exploration de l’objet devient plus sophistiquée,
y compris, par exemple, l’adaptation aux différentes surfaces, de liquides,
de discontinuités, de souplesse et rigidité (Bourgeois, Khawar, Neal, et
Lockman, 2005). Par ailleurs, il semble que les bébés, dès 6 mois, soient
déjà capables d’une certaine représentation mentale de l’objet qu’ils ont
devant eux, et que cette représentation puisse guider la préparation de
l’action (Clifton et al., 1991 ; Clifton et al., 1999 ; Robin et al., 1996).
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Définition
4 Petite enfance
❯ Affordance : terme proposé par le psychologue américain James Jerome Gibson
dans les années 1970, est cette faculté à guider ses comportements et ses
actions en percevant ce que l’environnement offre en termes de potentialités
d’actions. Ce terme vient du verbe anglais to afford qui peut se traduire comme
offrir, permettre, fournir.
Les changements moteurs menant à la saisie des objets ont été bien
décrits par plusieurs auteurs (Berthier et Keen, 2006 ; Thelen, Corbetta, et
Spencer, 1996 ; Rochat et Goubet, 1995 ; Von Hofsten et Rönnqvist, 1988).
Dans le développement de la manipulation, les premières explorations
sont le plus souvent unimanuelles ou proviennent de la coordination
bouche-main. Toutefois, l’exploration de l’objet et les manipulations plus
complexes nécessitent une coordination bimanuelle. La coordination
bimanuelle est fréquente autour de trois, quatre mois, avant que la saisie
de l’objet soit atteinte (White et al., 1964). Elle est moins fréquente autour
de six, sept mois (Gesell et Ames 1947 ; Ramsay et Willis, 1984 ; Thelen,
1992) pour redevenir prédominante vers la fin de la première année
(Corbetta et Thelen, 1996 ; Fagard et Peze, 1997). Vers 10 mois, un autre
type de coordination bimanuelle se développe, impliquant la coordination
des mouvements complémentaires et asymétriques (Fagard, 1998 ; Fagard
et Jacquet, 1989). À cet âge, les enfants deviennent capables de saisir un
objet avec une main et agir sur l’objet avec l’autre main. La coordination
bimanuelle s’améliore considérablement vers la fin de la première année
et au cours de la deuxième année de vie (Brakke et al., 2007 ; Bruner, Lyon,
et Watkins, 1969 ; Fagard, 2001 ; Kimmerle, Mick, et Michel, 1995). En
somme, les gestes d’atteinte et de saisie d’objets dépendent de plusieurs
facteurs moteurs, perceptifs et environnementaux. La latéralité forme
également un facteur important qui guide les gestes de préhension notamment en présence de contraintes environnementales et spatiales (Esseily
et al., 2012 ; Fagard, Spelke, et von Hofsten, 2008).
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Psychologie du développement
Émergence de la latéralité manuelle
À partir de quel âge peut-on savoir si un enfant est droitier ou gaucher ?
Bien qu’elle apparaisse tôt, la latéralité manuelle se stabilise assez tard. La
latéralité peut être observée dès la vie intra- utérine grâce à l’échographie
(Hepper, Shahidullah, et White, 1991). D’autres chercheurs ne confirment pas
cette observation (van Tol-Geerdink, Sparling, et Chescheir, 1995). La latéralité
manuelle a été principalement étudiée lors du développement de la préhension
volontaire vers l’âge de 5-6 mois (Morange et Bloch, 1996 ; Morange Majoux,
Peze, et Bloch, 2000). À cet âge, la latéralité reste encore fluctuante même
si on observe une tendance à utiliser plus fréquemment la main droite que la
main gauche. Néanmoins, la fréquence d’utilisation indifférenciée de la main
droite ou gauche reste la plus élevée (Sacco, Moutard, et Fagard, 2006). La
latéralité a également été étudiée dans le contexte d’un objet en mouvement
(Fagard, Spelke, von Hofsten, 2009). Les auteurs ont observé des bébés âgés de
6, 8 et 10 mois face à une balle qui bouge sur un plan horizontal. Les résultats
montrent que les bébés de 6 mois tendent la main ipsilatérale (c’est-à-dire du
même côté) mais attrapent l’objet avec la main controlatérale (c’est-à-dire de
l’autre côté). Les bébés de 8 mois tendent la main et attrapent l’objet avec
leur main « préférée » et à 10 mois les bébés changent de stratégie et utilisent
une prise bimanuelle.
5. Le développement sociocognitif
du nourrisson
5.1 Le phénomène de l’attention conjointe
Certains chercheurs ont identifié la période de 9 à 12 mois comme une
étape importante dans l’émergence des compétences sociocognitives du
nourrisson (Carpenter et al., 1998). En effet, autour de leur premier
anniversaire, les bébés sont capables d’intégrer un élément extérieur dans
leur relation dyadique avec leur parent. En d’autres termes, les enfants
communiquent avec leurs parents à propos des objets extérieurs. Ce
comportement est appelé « attention conjointe ». L’attention conjointe
montre clairement que :
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4 Petite enfance
– les nourrissons sont conscients de leur environnement ;
– qu’ils perçoivent les autres comme partageant le même environnement.
Par ailleurs, trois principales caractéristiques de l’attention conjointe
ont été distinguées (Carpenter et al., 1998) : le partage de l’attention ou
« engagement conjoint », la poursuite de l’attention et la direction de
l’attention.
Le comportement de l’engagement conjoint apparaîtrait dès 8-9 mois :
à cet âge, les enfants échangent des regards et des sourires avec l’adulte
tout en jouant avec un objet (Saxon, Frick, et Colombo, 1997). D’autres
signalent un comportement clair de l’engagement conjoint seulement à
10 mois (Trevarthen et Hubley, 1978).
Concernant la poursuite de l’attention, les nourrissons peuvent
suivre l’attention des autres en suivant la direction de leur regard ou de
leur pointage vers un objet extérieur (Butterworth, 1991). Il est difficile
de déterminer si cette poursuite est complètement intentionnelle ou si
elle se fait par simple association du comportement de l’adulte et de
l’effet intéressant dans le sens de ce comportement. Cette association ne
nécessiterait pas une compréhension des intentions de l’adulte à partager
l’attention vers un événement. Par conséquent, les études sur la poursuite
du regard et du pointage montrent parfois des résultats contradictoires
selon les critères utilisés pour déterminer si l’enfant poursuit ou non l’attention de l’adulte. Par exemple, Scaife et Bruner (1975) montrent que les
nourrissons dès l’âge de deux à quatre mois peuvent suivre le regard des
autres. D’autres études montrent que les bébés poursuivent significativement le regard de l’adulte seulement à partir de l’âge de 8 mois (Collis,
1977). D’autres prétendent que les enfants suivent de manière fiable la
direction du regard des adultes seulement à 11-13 mois (Carpenter et al.,
1998). Les nourrissons ne commencent à utiliser la direction du regard
des autres comme un signal pour localiser des objets dans l’environnement qu’à partir de l’âge de 12 mois (Butterworth et Jarrett, 1982).
Quant à la poursuite du pointage, certains auteurs rapportent un tel
comportement à l’âge de 9 mois (Lemper, 1979) et d’autres à 11 mois
(Carpenter et al., 1998). D’autres études ne parviennent pas à trouver
des preuves que les enfants suivent le pointage de l’adulte avant l’âge de
15 mois (Morissette et al., 1995).
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Diriger l’attention de l’adulte est plus facilement observé et mis en
évidence que poursuivre l’attention. En dirigeant l’attention, les nourrissons manifestent leurs désirs d’objets extérieurs en dirigeant l’attention ou
le comportement de l’adulte vers ces objets. Bates et al. (1975) proposent
deux principales raisons pour lesquelles les nourrissons communiquent
volontairement avec les adultes sur des objets extérieurs. D’une part,
les enfants peuvent désirer un objet et donc tenter d’obtenir cet objet
à travers l’adulte (pointage impératif), d’autre part les nourrissons
peuvent simplement vouloir partager l’attention de l’adulte vers un objet
extérieur (pointage déclaratif). Les gestes impératifs et déclaratifs sont
intentionnellement communicatifs : l’enfant regarde l’objet, puis regarde
le visage de l’adulte afin de communiquer ses intentions. Le pointage
impératif est un pointage qui permet à l’enfant de demander de l’aide à un
partenaire pour obtenir un objet désiré mais hors de portée. Ce geste est
observé l’âge de 13 mois (Bates et al., 1979 ; Bates, Carnaioni, et Volterra,
1975). Le pointage déclaratif, visant à partager attention et l’intérêt avec un
partenaire, est observé plus tôt, vers l’âge de 9-10 mois (Carpenter, Nagell
et al., 1998). Dans une étude sur la latéralité des gestes de communication
à 14 mois, les auteurs notent de grandes différences interindividuelles dans
la fréquence de pointage à cet âge (Esseily et al., 2012).
5.2 Raisonnement mentalistique
versus téléologique
Certains chercheurs considèrent le développement de l’attention
conjointe comme un prérequis fondamental dans le développement
d’autres compétences sociales telles que l’imitation, la compréhension
des intentions d’autrui ou la théorie de l’esprit (Carpenter, Nagell et al.,
1998 ; Tomasello, Kruger et al., 1993). Selon Tomasello et Carpenter
(2007), l’apprentissage par imitation ne peut être observé qu’à partir de
l’âge de 8 mois, âge auquel les enfants commencent à montrer des signes
d’attention conjointe. En d’autres termes, afin d’apprendre par imitation
une action nouvelle, les bébés doivent pouvoir prendre le point de vue
de l’adulte, de comprendre ses intentions envers l’objet manipulé, et
de reproduire à la fois l’action et le but de l’action. Les exemples d’une
telle relation entre les compétences sociales et l’apprentissage par imitation proviennent d’observations réalisées chez les enfants autistes et les
chimpanzés qui montrent chez les enfants autistes une corrélation entre
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les difficultés d’attention conjointe et les compétences à apprendre de
nouveaux symboles linguistiques par exemple (Sanders et Nadel, 2001 ;
Nadel, 2002 ; Tomasello et al., 1993).
Ces auteurs postulent une mentalisation des comportements observés
qui suppose l’inférence d’une intention invisible à partir d’un comportement visible. Or pour certains auteurs, les nouveau-nés et les bébés en
bas âge n’ont pas encore suffisamment d’expérience avec leurs partenaires sociaux, et ne sont donc pas encore capables d’une telle inférence.
Ils proposent une autre théorie basée non pas sur la mentalisation des
comportements mais sur le simple codage de l’action observée, ce qu’ils
appellent la téléologie (Gergely et Csibra, 2003).
Selon la position téléologique (Csibra et Gergely, 1998, 2007 ; Gergely
et Csibra, 1997, 2003 ; Gergely, Bekkering et Kiràly, 2002 ; Kiràly et al.,
2003), dès la première année de vie, les bébés peuvent se représenter,
comprendre et prédire les actions dirigées vers un but en appliquant un
principe téléologique basé sur la simple perception de l’action sans avoir
recours à un système inférentiel. Ce système téléologique dépendrait de
la présence dans chaque situation de trois composantes : l’action, le but
de l’action et les contraintes environnementales. En effet, dans un cadre
téléologique, les enfants n’ont pas besoin d’imputer des intentions ou des
états mentaux aux personnes qui réalisent ces actions afin de comprendre
le déroulement de l’action. Ils peuvent raisonner en fonction de ce qu’ils
observent dans une situation contextuelle. L’interprétation de l’action
en fonction de son but et des contraintes environnementales est assurée
par un principe de rationalité. Ce principe suppose que :
1. la fonction de l’action est d’aboutir à un but ;
2. le but est atteint par le moyen le plus efficace et économique compte
tenu des contraintes environnementales.
La rationalité est donc au cœur du raisonnement téléologique. Grâce
à ce principe, les bébés peuvent même attribuer des buts à des objets
inanimés qui ne présentent pas d’états mentaux. Pour les auteurs, ce
système téléologique serait à la base du raisonnement mentalistique
observé plus tard et mis en évidence par les tâches de théorie de l’esprit .
Voir plus loin p. 193.
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5.3 Imitation et raisonnement téléologique
Pour certains auteurs, les bébés suivent le raisonnement téléologique
afin d’imiter les actions d’autrui. Les bébés ne seraient pas en mesure
d’apprendre ou de reproduire des actions si le but ou les contraintes environnementales ne sont pas clairs, ce que les auteurs appellent des actions
opaques. La première étude ayant permis de le mettre en évidence est
celle de Gergely, Bekkering et Kiràly (2002). Dans cette étude, des bébés
âgés de 14 mois observent un adulte se pencher pour allumer une boîte
placée sur une table avec leur front : l’action est réalisée avec ou sans les
mains libres (Figure 4). Les résultats montrent que dans la condition
mains-libres, les bébés reproduisent l’action-cible et allument la boîte
avec leur tête. Dans la condition mains occupées, les bébés ignorent l’action de la tête et utilisent leurs mains pour allumer la boîte. Ainsi, selon
le raisonnement téléologique, lorsque les mains de l’adulte sont libres,
le moyen utilisé pour arriver à l’objectif est opaque, les nourrissons ne
peuvent pas attribuer un raisonnement ou une intention rationnelle à un
tel moyen (la tête). Par conséquent, l’action devient nouvelle pour les
enfants et la seule façon de l’apprendre est de l’imiter. Lorsque l’adulte
a les mains occupées, l’action n’est pas perçue comme opaque puisqu’ils
comprennent le rationnel : ayant les mains occupées, l’adulte n’a pas un
autre moyen pour allumer la boîte.
Fig. 4
L’adulte allume la lumière en touchant la lampe avec le front dans la condition mains occupées (a)
ou dans la condition mains libres (b). Les bébés utilisent soit leur main pour allumer la lampe soit
leur front (c).
Cette interprétation a été critiquée par Paulus, Hunnius, Vissers et
Bekkering (2011) qui considèrent que les comportements des bébés
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peuvent être expliqués par des processus de plus bas niveau sans nécessairement avoir recours à un raisonnement de ce type. En effet, dans
la condition mains libres, lorsque l’adulte pose ses mains sur la table
afin d’effectuer l’action-cible, les mains servent de support pour l’adulte.
Ainsi du point de vue du bébé, au niveau moteur et postural, l’action
est possible et peut être imitée. Cependant, l’action de la tête est très
difficile à réaliser d’un point de vue postural lorsque les mains ne sont
pas posées sur la table comme dans la condition mains occupées. C’est
pour cette raison que les bébés n’imitent pas l’action de la tête dans
cette condition. Afin de vérifier cette hypothèse, Paulus et collaborateurs
(2011) imaginent une autre version de la tâche dans laquelle l’adulte qui
a les mains occupées a aussi les mains posées sur des balles sur la table et
l’adulte qui a les mains libres a aussi les mains levées en l’air. Les résultats
de cette étude montrent que, lorsque l’adulte a les mains posées sur la
table, même si celles-ci sont occupées, les enfants vont imiter l’action de
la tête de l’adulte alors que quand les mains sont en l’air même si celles-ci
ne sont pas occupées, les enfants ne vont pas imiter l’adulte. Ces résultats
vont contre l’hypothèse téléologique et confirment l’hypothèse de résonance motrice. Cependant, la théorie de la résonance motrice trouve ses
limites dans le fait qu’elle ne s’applique que pour cette tâche, alors qu’il
existe d’autres études utilisant d’autres tâches montrant un raisonnement
téléologique (Carpenter, Call et Tomasello, 2005 ; Esseily, Rat-Fischer,
O’Regan et Fagard, 2013 ; Southgate, Chevallier et Csibra, 2009).
5.4 Le développement de la cognition sociale
L’étude de la cognition sociale permet aux chercheurs de comprendre
comment les bébés comprennent et prédisent les comportements de
leurs partenaires sociaux et comment ils s’ajustent lorsqu’ils interagissent
avec eux (De Jaegher, Di Paolo, et Gallagher, 2013). Cette capacité de
communication et d’ajustement très précoce à travers l’imitation, le
regard, les vocalisations, le sourire et d’autres indices pose la question
des mécanismes et de l’origine de cette cognition sociale. Cette question
n’échappe pas au débat de l’inné et de l’acquis . Pour certains chercheurs
cette habileté à s’orienter vers les signaux sociaux de l’environnement
est innée et adaptative. Elle permet au bébé de développer sa compréhension du monde social qui l’entoure. Rapidement, il devient capable
de comprendre les intentions et les émotions des autres et ainsi de
Voir Chapitre 1, p. 20.
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Théorie de la pédagogie
naturelle : voir p. 100.
Voir p. 99.
Voir p. 101.
comprendre et de prédire leurs comportements. C’est ce que les auteurs
appellent la théorie de la pédagogie naturelle développée par Gergely
et Csibra (2006) et qui considèrent que l’environnement social du bébé
est équipé pour attirer son attention et la diriger vers ce qui est important à apprendre à travers les indices ostentatoires, la référentiation et
la sélectivité. Il ne s’agit donc pas d’une représentation sociale mais en
quelque sorte d’un détecteur social.
Pour d’autres, les bébés naissent avec un système de représentation
sociale qui leur permet de se représenter les partenaires sociaux au même
titre que les objets, l’espace, les nombres, etc. : c’est la théorie du core
knowledge de Spelke et Kinzler (2007). C’est sur la base de cette représentation sociale que se développe la cognition sociale, l’empathie, la
théorie de l’esprit… Pour Meltzoff et Moore (2005), la représentation
sociale va se développer grâce à un module qui va permettre aux bébés
de faire correspondre leurs propres actions aux actions observées ou en
d’autres termes grâce à l’imitation néonatale et c’est grâce à cette correspondance que les bébés vont percevoir l’autre comme un agent ayant
des états mentaux : c’est la théorie du like me . Cette correspondance
trouverait son origine dans l’activité des neurones miroirs.
Différence des trois théories, celles de la pédagogie
naturelle, du core knowledge et du like me,
sur le développement socio-cognitif du bébé
Ces trois théories diffèrent sur l’existence d’un module inné qui permet aux bébés
dès la naissance de se représenter mentalement les partenaires sociaux.
– Pour la théorie de la pédagogie naturelle, les bébés sont sensibles dès la
naissance aux indices sociaux et grâce à ces indices ils orientent leur attention
et apprennent ce qui est important dans la relation sociale.
– Quant à la théorie du like me, le système existant à la naissance est un
système de représentation des actions de son corps et de correspondance avec les
actions observées et c’est sur la base de cette correspondance que se développe
la cognition sociale.
– C’est la théorie du core knowledge qui postule l’existence à la naissance d’un
système de représentation sociale au même titre que les systèmes de représentation d’objets.
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4 Petite enfance
L’interaction bébé/robot
Nous vivons dans une ère de développement technologique très rapide où
il est possible de se faire servir dans un restaurant ou de se faire assister
médicalement par un robot. L’interaction homme-machine est désormais au
cœur des débats technologiques et éthiques. Les robots font également leur
entrée dans les systèmes éducatifs et il se pourrait que bientôt nous confiions
nos enfants à des nounous-robots. Dans ce contexte socioculturel en pleine
évolution, il peut être intéressant de savoir comment les bébés perçoivent des
partenaires sociaux robots humanoïdes ? Considèrent-ils ces nouveaux types
d’agents sociaux comme de simples machines sans états mentaux ni intentions
ou émotions ou bien au contraire doués des mêmes compétences sociocognitives que les humains ? Ce sont des questions auxquelles les chercheurs
tentent de répondre depuis une dizaine d’années. De manière plus générale,
ces recherches nous permettent de savoir ce qui est spécifique à l’être humain.
Par exemple, les nourrissons sont capables dès l’âge de 10 mois de suivre
la direction du regard d’un humain (Senju et al., 2008) et celui d’un robot
(Okumura et al., 2013).
Quant à l’attribution de buts, dans un paradigme appelé « tentative échouée »
dans lequel les enfants observent un agent tenter mais échouer de réaliser une
action, Meltzoff (1995) a montré que des enfants âgés de 18 mois peuvent
reproduire le but de l’action de l’agent seulement quand l’agent est un humain
mais pas quand il s’agit d’un système mécanique. Cependant, si le robot établit
un contact visuel préalable avec un agent humain, les bébés sont alors capables
de lui attribuer des buts et vont ainsi imiter ses actions même s’il s’agit d’une
tentative échouée (Itakura et al., 2008).
Ces théories ont leurs défenseurs et leurs détracteurs. À l’heure
actuelle, il est encore difficile d’avoir une réponse claire quant aux mécanismes sous-jacents et la précocité de la cognition sociale. Il est cependant
important de retenir que :
1. l’engagement social apparaît comme un phénomène très précoce et
nécessiterait un certain ajustement à l’environnement. On peut donc
imaginer que le bébé arrive au monde équipé d’un certain nombre de
mécanismes qui lui permettraient de structurer rapidement son environnement. Un mécanisme possible est la détection des contingences ;
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2. l’environnement physique et social participe grandement à l’impli-
cation du nouveau-né dans la relation sociale, et ce, grâce à sa nature
structurée et répétitive. Tous ces éléments permettent au nourrisson
de s’adapter rapidement à son environnement et d’identifier ses partenaires sociaux privilégiés.
6. Le développement langagier :
compréhension et production
L’une des particularités du langage est de pouvoir communiquer à propos
de l’invisible et nous permet une certaine abstraction. De plus, le langage,
en tant qu’habileté sociale, serait une manière de s’adapter à une coopération complexe entre individus (Bloom, 2000 ; Tomasello, 2000).
6.1 La situation de communication
Une situation de communication réussie suppose la coordination entre
l’attention du locuteur et de l’interlocuteur sur le contenu de la situation partagée. Ce partage de l’attention est rythmé, entre autres, par les
gestes, les mots, les regards. Avant même de pouvoir parler, le jeune
enfant est engagé dans des échanges communicationnels relativement
complexes. Néanmoins, toute la difficulté pour l’enfant d’âge préverbal
va être de se faire comprendre et de comprendre la situation de communication dans laquelle il est engagé. Il existe à l’heure actuelle deux grands
courants théoriques qui permettent de comprendre le développement
de la communication :
– le courant des sciences cognitives, avec notamment le concept de
représentations internes. Cette position théorique considère les actes
de communication comme seuls observables. En ce sens, les intentions
de communiquer sont, elles, non observables. Il s’agira alors pour le
jeune enfant d’apprendre à interpréter les comportements d’autrui
au travers la construction de systèmes de représentation du monde
de plus en plus complexes ;
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– l’autre courant important est le courant interactionniste. Selon ce
courant théorique, les individus sont acteurs de leurs intentions. Ces
dernières sont donc visibles et interprétables.
Le développement de la communication commence dès les premières
heures de la vie. En effet, peu de temps après la naissance, le nouveau-né
est sensible à certains indices socio-communicatifs comme la direction
du regard lorsqu’une personne d’adresse à lui (Guellaï & Streri, 2011).
Certains auteurs comme Masataka (2003) proposent que les précurseurs de l’habileté à communiquer viennent de comportements que
nous partageons avec d’autres primates non humains. Ainsi, la capacité à coordonner ses actions serait un point central du développement
d’échanges d’informations, comme on peut l’observer dans les tours de
paroles au cours d’une conversation. Les recherches montrent la capacité des primates non humains à engager des échanges complexes, et
à moduler leurs vocalisations suivant le contexte d’échange.
6.2 Le développement de la communication
chez le jeune enfant
Au cours de la première année, on peut identifier trois grandes périodes
de transition concernant le développement des échanges communicationnels : 3, 6 et 9 mois. Ces âges de transition sont variables suivant
les individus. La première transition a donc lieu autour de 3 mois : le
bébé commence à s’engager activement dans des situations d’échanges
avec son entourage (i.e., protoconversations). Ce changement de position peut paraître soudain, comme le soulignent certains auteurs (Stern,
1985). La deuxième transition importante a lieu aux alentours du 5e mois.
Les nourrissons, là aussi de manière relativement soudaine, se désengagent peu à peu des interactions en face-à-face pour se diriger vers les
objets que leur entourage manipule avec eux (Lamb, Morrison, et Malkin,
1987 ; Messer et Vietze, 1984 ; Stern, 1985). Cette transition concorde
avec le moment où se développe la préhension d’objets (Trevarthen et
Hubley, 1978 ; Gratier et al., 2015). Enfin, aux alentours de 9 mois, une
autre transition importante a lieu. C’est à ce moment que les actions
des nourrissons vont s’intégrer pleinement à leurs interactions sociales.
Par ailleurs, il s’agit d’une période de développement important des
capacités cognitives : l’imitation (Meltzoff, 1988), l’apparition des gestes
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conventionnels (Bates et al., 1979) ; la prise et le don d’objets (Clark,
1978 ; Griffiths, 1954). Ils comprennent ainsi que les autres sont des êtres
à part entière dont les attentions et les buts peuvent différer des leurs.
Les interactions sont alors de mieux en mieux coordonnées et de plus
en plus complexes (Tomasello, 1995).
Nous présenterons ici le développement de la communication entre
6 et 12 mois. Pour Piaget (1936/1963), cette période est particulièrement
importante dans le développement de l’enfant. Elle correspond à l’apparition des schèmes secondaires, avec l’apparition d’actions dirigées vers
les objets plutôt que vers son corps propre (décentration). Ces actions se
coordonnent au fur et à mesure pour laisser apparaître des actions dirigées vers un but. L’impact que ces premières relations aux objets ont sur
le développement de la communication est particulièrement important
(Kaye et Fogel, 1980 ; Trevarthen et Hubley, 1978). C’est à partir de cette
période que le nourrisson va comprendre qu’autrui peut être particulièrement utile pour assouvir sa soif d’exploration et de découverte : d’où
la nécessité de comprendre et de se faire comprendre.
L’une des premières difficultés auxquelles le nourrisson va être confronté
va être d’apprendre à interpréter les indices verbaux et non verbaux des
personnes qui l’entourent pour ne pas perdre une miette de l’incroyable
pièce de théâtre quotidienne qui s’offre à lui. Il lui faut donc passer par la
compréhension que ses actions et celles des autres peuvent converger vers
un même but (Carpenter, Nagel, et Tomasello, 1998 ; Morisette, Ricard, et
Gouin-Decarie, 1995). Ainsi, il va lui falloir apprendre à diriger son attention non pas sur le geste qui pointe vers l’objet, mais bel et bien sur l’objet
lui-même. Il semble que nous soyons la seule espèce à pouvoir réaliser
cette prouesse si précocement au cours du développement (Butterworth
et Jarrett, 1991). Par ailleurs, cette habileté semble assez bien corrélée
avec la capacité d’apprentissage des premiers mots (Morales et al., 2000 ;
Tomasello, 2003), même s’il existe encore peu d’études sur ce lien.
Voir p. 138.
Aux environs de 9 mois, on observe un changement dans le pattern
attentionnel des bébés. En effet, à partir de cette période, les bébés sollicitent de manière explicite l’aide des adultes grâce à différents indices
comme la direction du regard (Bates, Camaioni, et Volterra, 1975 ; Bates
et al., 1979 ; Lock, 1978, 1980), et surtout une gestuelle de plus en plus
élaborée. C’est le début de l’apparition des gestes de pointage (Volterra
et al., 2005) (i.e., pointage protoimpératif et protodéclaratif).
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6.3 Se faire comprendre :
l’importance des gestes
Au début, les gestes qu’utilise le nourrisson sont intimement liés au
contexte d’interaction. Ils vont ensuite être utilisés de plus en plus
hors contexte : on considère à ce moment-là que l’enfant est capable de
prédire la survenue d’événements. Vers 12 mois, les gestes de pointage
surviennent de plus en plus fréquemment, et correspondent surtout à des
gestes de pointage déclaratif (Tomasello et al., 2007 ; Liszkowski et al.,
2004). Puis, apparaissent ensuite des gestes plutôt iconiques, qui constituent alors des gestes plus précis comme par exemple le fait de porter la
main à la bouche pour le biberon (Liszkowski, 2008). Cette particularité
du pointage déclaratif semble propre à notre espèce, même si certains
gestes iconiques ont été observés chez des chimpanzés interagissant avec
des êtres humains pour obtenir de la nourriture.
D’Entremont et Seamons (2007) ont suggéré que les nourrissons, avant
18 mois, doivent faire face à des problèmes de référenciation spatiale, en
partie due à leur immaturité physique. Ainsi, la communication référentielle se développe-t-elle rapidement pour qu’une tierce personne les aide
à explorer leur environnement et à assouvir leurs désirs. On retrouve
cette idée chez d’autres auteurs qui ont proposé que le pointage soit une
version modifiée du comportement d’atteinte (Vygotski, 1966).
Par ailleurs, il semble que nous soyons la seule espèce chez qui, au
cours du développement, s’opère un shift (décalage) entre la volonté de
posséder un objet et la volonté de communiquer à propos de cet objet.
On peut donc faire la différence entre les gestes déclaratifs et les gestes de
quémande. Par ailleurs, les gestes de pointage sont généralement les mêmes
à travers les cultures : le poing est fermé et seul l’index pointe vers l’objet.
Il semble que d’un point de vue anatomique, ce geste soit plus facile que
de pointer avec les autres doigts (Lock, Young, Service et Chandler, 1990 ;
Povinelli et Davis, 1994). Néanmoins, dans certaines cultures, les gestes de
pointage seront réalisés avec d’autres régions du corps comme par exemple
les lèvres, la main entière ou la tête (Zukow-Goldring, 2006).
Ainsi, le développement du langage va de pair avec le développement de
la communication symbolique. Dès la fin de la première année, les enfants
comprennent que ces gestes constituent des outils précieux pour communiquer avec autrui. Les parents parlent généralement de l’objet d’attention
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de leur enfant (Carpenter et al., 1998) ou de ce vers quoi ils pointent
(Brooks et Meltzoff, 2008). Ils traduisent également les gestes de pointage
de leur enfant en mots (Goldin-Meadow, Goodrich, Sauer, et Iverson,
2007). Ce développement n’est donc possible qu’au travers les interactions de l’enfant avec son entourage. Au cours de la deuxième année, la
gestuelle qui accompagne le discours va être de plus en plus perfectionnée,
même s’il existe encore une fois des trajectoires individuelles différentes
(Nelson, 1996). La communication gestuelle prédomine jusqu’aux environs de 16 mois, puis les mots apparaissent de plus en plus nombreux
(Iverson, Caprici, et Caselli, 1994). Ils permettent alors de décontextualiser
la situation de communication plus que les gestes. Néanmoins, les gestes
continuent à accompagner les phrases tout au long de notre vie (Guellaï
et al., 2014 ; Guidetti, 2002 ; McNeill, 1992). Vers 17 mois, le pointage
vers un objet est accompagné du nom de l’objet en question (Özçaliskan
& Goldin – Meadow, 2006). En fait, on s’aperçoit ainsi que les combinaisons de gestes-mots précèdent les combinaisons de mots-mots (Butcher
et Goldin-Meadow, 2000 ; Iverson et Goldin-Meadow, 2005).
6.4 Le langage : perception et production
à la fin de la première année
Voir Chapitre 3.
C’est durant les échanges habituels (bain, repas, jeu…), aussi appelés
« formats » par Bruner (1983), que l’enfant découvre les règles, les
conventions sociales et est amené par l’adulte à manipuler les outils
linguistiques. Au sein de ces formats, les deux partenaires alternent les
rôles, s’imitent, se complètent et se positionnent dans un échange d’abord
asymétrique puis de plus en plus symétrique. Un code commun se met
en place pour communiquer : les gestes conventionnels et le langage.
L’attention conjointe et l’alternance des tours de parole constituent la
base sur laquelle se développent les compétences langagières ultérieures.
Entre 11 et 14 mois, les jeunes enfants établissent plus facilement le lien
qui unit le regard de leur mère et l’endroit où se situe l’objet (Veneziano,
2000a). À l’aube de cette deuxième année, il apparaît que l’enfant et
sa mère produisent simultanément pointages, regards et vocalisations.
Selon Vygotski (1997), c’est à travers l’aide dispensée par l’adulte que
l’enfant trouve comment s’ajuster à son environnement. Par ailleurs,
les comportements parentaux adaptés aux signaux de l’enfant ont une
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influence positive sur le développement de ce dernier, notamment sur
le plan linguistique, tandis que les comportements parentaux qui interrompent, interdisent ou ignorent les initiatives de l’enfant apparaissent
être non liés ou négativement liés aux habiletés langagières ultérieures
des enfants (Tomasello et Todd, 1983).
L’attention conjointe réfère à la capacité du jeune enfant à coordonner son attention visuelle avec un partenaire social sur un objet ou
un événement. Elle est classiquement définie par le temps passé dans
une attention mutuelle sur un objet dans une situation naturelle ou
dans une expérience induisant des comportements de pointage ou de
regard alternant partenaire et objet d’attention. Durant la période de 9
à 12 mois, l’enfant connaît un développement important de ses habiletés
d’attention conjointe et de coordination de l’attention avec un partenaire social. L’achèvement de la construction de l’attention conjointe
constitue un des développements majeurs et fondamentaux de la période
de la petite enfance. Cette compétence sociocognitive précoce constitue
un soubassement nécessaire à l’acquisition du langage et au développement de compétences sociales futures. De plus, Tomasello et Todd (1983)
montrent que les mères qui maintiennent de hauts niveaux d’attention
conjointe durant des sessions de jeu non structurées avec leur enfant ont
les enfants qui développent ultérieurement un plus haut niveau de vocabulaire. C’est tout ce contexte social qui va déterminer le développement
des habiletés de perception et de production du langage.
■
Perception du langage à la fin de la première année
Au cours de la période 0/2 ans, les mécanismes de traitement perceptif
vont peu à peu s’organiser en un système modulé par les propriétés
typiques (prosodiques et phonologiques) de la langue de l’environnement (Bertoncini et Boysson-Bardies, 2000). Aux alentours de 10 mois,
le bébé est capable de détecter les frontières des syntagmes et de reconnaître les mots à l’intérieur des phrases. Certains auteurs ont montré
que cette capacité de segmentation apparaît même plus tôt : à 7 mois et
demi, les bébés peuvent déjà prélever des mots dans un flux continu de
paroles (Juscyck et Aslin, 1995). Ils sont également capables, au cours
de cette période, d’analyser des probabilités d’apparition de transitions
existant entre différents phonèmes : les transitions qui sont fréquemment
rencontrées ont une probabilité plus élevée de l’être à l’intérieur de mots,
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Psychologie du développement
alors que les suites de phonèmes plus rares se rencontrent entre les mots
(Saffran et al., 1996). Dès 9 mois environ, les nourrissons comprennent
que les mots peuvent être associés à des objets et des concepts. À la fin de
la première année, l’enfant comprend une trentaine de mots en contexte
comme biberon, chaussures, chapeau, lapin (De Boysson-Bardies, 1996).
Une étude plus récente (Bergelson et Swingley, 2012) a montré que dès
6 mois, les bébés peuvent déjà reconnaître certains mots de leur environnement quotidien comme « biberon ».
Aux alentours de 10 mois, on observe alors une restriction des compétences discriminatives aux phonèmes de sa langue maternelle (Werker et
Tees, 1984). Entre 10 et 12 mois, les nourrissons sont capables de détecter
des régularités phonotactiques de leur langue maternelle (i.e., limites
dans la combinaison des phonèmes et des structures syllabiques pour
une langue donnée : ex. en français pas de mots commençant par /ts/).
Par ailleurs, la façon de parler aux enfants (i.e., langage adressé à l’enfant), très différente de la façon dont on s’adresse aux adultes, notamment
avec une prosodie exagérée (Kitamura et al.,) et des mouvements faciaux
très expressifs (Kitamura et al., 2014), pourrait faciliter la segmentation
de la parole chez les nourrissons.
■
Les débuts de la production des mots
Certains auteurs ont souligné l’importance des vocalisations préverbales dans le développement langagier (Jakobson, 1941, 1969 ; Gratier,
2003). L’activité de babillage, ces vocalisations spontanées émises par
les nourrissons, connaît une importante progression entre 6 et 11 mois
(Oller et al., 1976). Vers 6 mois, ce babillage se compose de productions répétitives avec alternance de consonnes et de voyelles (« bababa »,
« mamama »). Progressivement, les sons produits seront une répétition
des sons de la langue maternelle avec leur intonation propre. Pouvoir
comprendre et produire ses premiers mots, c’est pouvoir lier les schémas
sonores que l’on produit et entend aux représentations que l’on a des
objets, actions, événements, pour ensuite pouvoir les organiser en fonction de la grammaire de la langue (Bertoncini et Boysson-Bardies, 2000).
Entre 9 et 10 mois apparaît un babillage plus diversifié avec des combinaisons relativement complexes de consonnes et de voyelles. Cette période
est caractérisée par la production de mots isolés, constitués de deux
syllabes simples : « papa », « mama », « pati ». Vers 12 mois, on observe
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4 Petite enfance
la production des premiers mots. Cette apparition de la production des
premiers mots est loin de signer l’acquisition définitive de la parole. En
effet, ces premiers mots sont souvent déformés par rapport à la prononciation adulte et leur usage en contexte donnera lieu à des ajustements sur
plusieurs années. Ces premiers mots désignent des personnes proches,
des objets familiers ou encore des termes sociaux comme « coucou »,
« allo », « au revoir ». Les bruits d’animaux sont aussi reproduits. Le
contexte de production de ces premiers mots est particulier (ex. : « pati »
pour « partir » quand quelqu’un s’en va). Ces premiers mots isolés sont
interprétés par l’entourage qui leur donne une signification au même
titre qu’une phrase, c’est la période holophrastique.
L’âge d’apparition des premiers mots et le rythme de développement
du lexique varient beaucoup selon les enfants en fonction de leur milieu
culturel et social, du rang dans la fratrie ou encore de leur tempérament
(Florin, 1999), d’où l’importance d’adopter une approche intégrative
pour bien comprendre le développement de cette habileté. Enfin, le développement sémantique ne se réalise pas de manière linéaire ; il connaît
une accélération considérable à partir de 18-20 mois. Les premières
combinaisons de mots apparaissent à cette même période, l’enfant
entrant alors dans la phase dite « productive et grammaticale du langage »
(Bassano, 2000).
Par ailleurs, il existe un décalage entre le développement de la
compréhension des mots est en avance de plusieurs mois par rapport
à la production : entre 8 et 10 mois pour la compréhension des premiers
mots alors que plutôt 12 mois pour la production, même s’il existe une
grande variabilité interindividuelle (Benedict, 1979 ; Bates et al., 1995).
6.5 Le cas particulier du bilinguisme
De nos jours, de nombreux enfants évoluent dans un environnement
bilingue. Depuis quelques années, contrairement à la vue classique
qui portait à penser que le bilinguisme était un désavantage, et qu’il
amenait notamment à un retard dans l’acquisition du langage, on s’intéresse désormais aux effets positifs du bilinguisme (voir Bijeljac-Babic,
2017). Une question importante concerne la manière dont le cerveau en
développement traite l’acquisition de deux systèmes de communication
différents en même temps ?
151
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Psychologie du développement
Input : ici l’ensemble des
données et informations
que l’apprenant reçoit
en langue cible.
Différentes observations ont mis en évidence que l’acquisition du
langage chez les enfants bilingues suit les mêmes étapes de développement que les enfants monolingues (Pearson et al., 1993 ; Pettito et al.,
2001). Néanmoins, la plus grande complexité de leur input suppose
que les enfants bilingues font preuve d’une certaine plasticité cognitive
pour passer d’un système langagier à un autre (Kovacs, 2015), et ce dès
la naissance.
Tout d’abord, les enfants qui grandissent dans un environnement
multilingue dès leur naissance doivent non seulement extraire des patterns
précis de deux inputs langagiers différents, mais ils doivent également
faire preuve d’une certaine flexibilité attentionnelle. Dès la naissance, les
nourrissons bilingues et monolingues peuvent discriminer des phrases
de deux langues appartenant à des classes rythmiques différentes (ByersHeinlein et al., 2010). Quelques mois plus tard, ils peuvent distinguer des
langues appartenant à la même catégorie rythmique (Bosch & SebastianGalles, 2001). De plus, à 7 mois, les nourrissons bilingues, tout comme
les monolingues, se basent sur des indices prosodiques pour apprendre
leurs deux langues (Gervain & Werker, 2013). Ainsi, ces études montrent
que bien avant la production des premiers mots, les nourrissons ont déjà
acquis certaines propriétés des langues et notamment de leur langue
maternelle, qu’ils soient exposés à une ou plusieurs langues.
Néanmoins, comme nous le précisions plus haut, la plus grande
complexité de leur input langagier peut amener les nourrissons bilingues
à mobiliser certaines ressources cognitives différentes des nourrissons
monolingues. L’une des premières études à avoir montré des différences
perceptivo-cognitives entre les nourrissons bilingues et monolingues
a consisté à montrer que, dès 4 mois, les bébés monolingues s’orientaient
plus rapidement vers leur langue maternelle qu’une autre langue, alors
que les nourrissons bilingues présentaient un pattern de réponse opposé
(Bosch & Sebastian-Galles, 1997). On observe des patterns de résultats
semblables dans une autre étude : Sebastian-Galles et collaborateurs
(2012) ont montré que les nourrissons de 8 mois bilingues sont capables
de discriminer visuellement deux langues non familières et non pas les
nourrissons monolingues du même âge. Il se pourrait que les nourrissons
bilingues présentent une plus grande sensibilité aux indices visuels du
discours car ils se baseraient en grande partie sur ces indices pour passer
d’une langue à une autre. On peut également penser que l’exposition
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4 Petite enfance
à plusieurs langues aiguise les capacités perceptives des bébés bilingues
pour qu’ils puissent s’adapter à différentes langues (Kovacs et al., 2015).
D’autres études ont montré quant à elles de moins bonnes performances chez les nourrissons bilingues à certaines tâches linguistiques
(Fennell et al., 2007), ainsi qu’un lexique moins riche que les nourrissons monolingues du même âge (Poulin-Dubois et al., 2013). En effet,
Fennell et collaborateurs (2007) ont montré que les bébés bilingues âgés
entre 14-17 et 20 mois apprennent des associations mot-objet avec des
paires minimales (par ex. bih/dih) avec 3 mois de plus par rapport aux
monolingues (à 20 mois et non 17 mois). Néanmoins, ils réussissent au
même âge que les monolingues pour des paires non minimales (par ex.
lif/neem) (Byer-Heinlein et al., 2013). Cette sensibilité plus tardive aux
paires minimales peut s’expliquer par une plus grande flexibilité des
bilingues à former des catégories phonologiques (Sebastian-Galles, 2010).
De même, un vocabulaire plus pauvre observé chez les bilingues peut
s’expliquer par une division relativement égale des ressources cognitives
exigées par les deux langues. En effet, quand la taille du vocabulaire est
mesurée en prenant en compte les deux langues, les scores des bilingues
sont égaux, voire supérieurs à ceux des bébés monolingues. Ils auraient
donc de meilleures capacités mémorielles et une plus grande facilité
à généraliser certaines règles (Brito & Barr, 2012).
Un dernier point abordé plus récemment concerne les effets potentiels
du bilinguisme sur d’autres capacités cognitives comme les fonctions
exécutives chez les nourrissons. En effet, certaines études ont mis en
évidence un avantage des bilingues dans des tâches de fonctions exécutives chez les adultes (Costa et al., 2008 ; Bialystok et al., 2005), les enfants
d’âge préscolaire (Bialystok, 1999), et mêmes les plus jeunes (PoulinDubois et al., 2011), même si pour certains auteurs ces résultats ne sont
pas si clairs (Anton et al., 2014). On peut néanmoins penser que le fait de
devoir alterner entre deux systèmes langagiers et surtout de les séparer
nécessite des ressources cognitives bien spécifiques, comme par exemple,
un meilleur contrôle attentionnel.
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Psychologie du développement
Exemple d’études sur les capacités cognitives
des nourrissons bilingues et monolingues
Dans deux études utilisant la technique de l’enregistrement des mouvements
oculaires, Kovacs et Mehler (2009a, b) ont proposé à des nourrissons bilingues
et monolingues différentes tâches testant leurs capacités cognitives, et notamment certains aspects de leurs fonctions exécutives. Dans une première étude,
il s’agissait pour les bébés de 7 mois d’inhiber une réponse visuelle apprise
(pre-switch phase) pour en faire une nouvelle (post-switch phase). Les deux
groupes apprennent correctement à anticiper la cible en pre-switch phase, mais
seuls les bilingues montrent un apprentissage en post-switch. Ainsi, les auteurs
observent de meilleures performances des fonctions exécutives pour les nourrissons bilingues par rapport aux monolingues. Ces meilleures performances
pourraient les aider à traiter et séparer les représentations linguistiques des
deux langues pour pouvoir les apprendre plus efficacement. Dans une seconde
étude (Kovacs et Mehler, 2009b), les auteurs ont proposé à des nourrissons
de 12 mois bilingues et monolingues une tâche d’apprentissage de généralisation des régularités basées sur la répétition. Il apparaît que les nourrissons
bilingues sont plus efficaces pour apprendre les régularités simultanément
que les monolingues. Lorsqu’ils ont l’opportunité d’apprendre deux régularités
inconsistantes, les bilingues le font mais les monolingues en apprennent un
seul. Ils semblent néanmoins que cela se fasse sur la base d’indices de surface
comme l’intonation de la voix.
Fig. 5
Exemple du protocole développé par Kovacs et Mehler
(2009b)
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4 Petite enfance
Par ailleurs, Kuipers et Thierry (2013) ont montré que les enfants
bilingues semblent plus tolérants à la variation dans l’association
objet-référent que les monolingues (Sebastian-Galles, 2013). Ainsi,
l’apprentissage des nourrissons bilingues semble invoquer des habiletés
relativement générales et des fonctions exécutives dès leur plus jeune âge.
En retour, de meilleures performances dans les fonctions exécutives chez
les bilingues leur permettraient de traiter plus efficacement les potentiels
conflits entre les représentations de deux systèmes.
En conclusion, les études relativement récentes sur les habiletés des
nourrissons bilingues montrent que l’exposition à plusieurs langues
amène à des changements (et à une certaine plasticité) du système
cognitif et du coup des trajectoires développementales dans certains
domaines cognitifs différents. Néanmoins, cela ne veut pas dire que le
bilinguisme amène à des changements radicaux de représentation. Cela
indique plutôt que le système cognitif du jeune enfant est déjà prêt au
cours de la première année à s’adapter au challenge que représente vivre
dans un environnement multilingue.
7. Le développement socio-émotionnel
7.1 Le développement des émotions
L’une des premières théories qui a souligné l’importance du développement affectif du bébé et le lien entre ce développement affectif et
l’exploration est la théorie de l’attachement de Bowlby développée
en 1958. Cependant, cette théorie a été critiquée par la communauté
scientifique car très peu basée sur des travaux empiriques mais seulement
sur l’observation d’enfants séparés de leur mère dans le cas d’hospitalisation. C’est grâce aux observations méthodiques de Trevarthen (1984)
quelques années plus tard que la dimension affective de l’interaction
mère-bébé a été pleinement prise en compte. Trevarthen décrit à travers
l’observation d’expressions faciales de 6 000 clichés de bébés filmés en
interaction le développement de leurs expressions émotionnelles durant
les quelques premiers mois de leur vie. Il montre que :
Voir Chapitre 3, p. 95.
– dès 4-6 semaines de vie, les bébés sourient lorsqu’ils fixent le regard de
leur mère et peuvent montrer des expressions d’inconfort et de colère ;
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– à 6 semaines, ils peuvent montrent du plaisir face à la mère et de la
gêne face à un étranger ;
– à 2-3 mois, les expressions émotionnelles deviennent plus élaborées
et contingentes à celles de la mère ;
– à 3 mois, les bébés commencent à s’intéresser aux objets et rient dans
des situations de jeu avec la mère ;
– à 3-4 mois, on observe des expressions de méfiance et de peur ;
– à 5-6 mois, les bébés apprécient les jeux de surprise (jeu du coucou)
et on observe une augmentation des réactions de peur.
Ainsi, la compréhension des émotions et l’utilisation des expressions
émotionnelles pour réguler les interactions sont observables durant les
premières semaines de vie. Les émotions se développent en relation
dyadique pendant les deux premiers mois de vie et ensuite en relation
à l’objet dès le 3e mois. La relation à l’étranger est d’abord positive puis
devient de plus en plus négative. Enfin, le jeu est un moyen privilégié
de communication émotionnelle entre la mère et le bébé dès le 5e mois
de vie. Nous reviendrons sur cette notion de jeu et d’humour dans le
paragraphe suivant.
En plus de ces observations méthodiques, d’autres études empiriques
ont également montré la présence des émotions très tôt dans la vie. En
effet, les bébés reconnaissent et catégorisent les émotions dès les premiers
mois de vie (5 mois : Caron et al., 1988 ; Schwartz et al., 1985 ; 10 semaines :
Haviland & Lelwica, 1987). À 4 et 6 mois, les bébés préfèrent regarder des
visages joyeux comparés à des visages exprimant la colère ou des visages
neutres (Kestenbaum & Nelson, 1990 ; LaBarbera et al., 1976). À 4 mois,
les bébés préfèrent regarder des visages exprimant la colère avec contact
visuel comparés à des visages exprimant la colère mais dont le regard
est détourné (Striano et al., 2006). À 7 mois, les bébés préfèrent écouter
des stimuli auditifs prononcés avec joie ou colère comparés à des stimuli
neutres et à l’aide de l’EEG, nous savons que les mots prononcés avec
colère rehaussent davantage l’attention comparés aux mots prononcés
avec joie ou aux mots neutres (Grossmann et al., 2005).
D’un point de vue intégratif, les émotions ont un impact important
sur le développement cognitif. Nous connaissons par exemple le lien
entre la motivation d’explorer cognitivement le monde et la qualité de
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4 Petite enfance
l’attachement (Ainsworth, 1973 ; Ainsworth & Witting, 1969). Nous
savons grâce aux travaux d’Eléanor Gibson et la célèbre étude de la
falaise visuelle que les bébés n’explorent pas le côté profond si leur mère
exprime des émotions négatives (Gibson et Walk, 1960). Par ailleurs,
une étude récente a montré que les bébés sont d’avantage influencés par
les émotions négatives que positives (Vaish, Grossmann et Woodward,
2008). D’autres études ont montré que non seulement l’exploration de
l’environnement est affectée par les émotions mais également l’exploration d’objets (Mumme et Fernald, 2003).
Ainsi les émotions jouent un rôle important dans le développement
social et cognitif des bébés et ne peuvent être négligées lors de la prise en
charge d’un bébé et de sa famille. Un autre indicateur de la santé affective et psychique d’un bébé est sa capacité à comprendre et à produire
de l’humour.
7.2 L’humour chez le bébé
Dans les années 1970, il y eut une forte augmentation des études sur
l’humour en psychologie du développement (McGhee, 1989 ; Sroufe
et Wunch, 1972), suivie d’une longue période sans avancées significatives sur ce sujet. Récemment, quelques chercheurs ont commencé
à étudier le développement de la compréhension et de la production de
l’humour chez le bébé (Reddy & Mireault, 2015 ; Del Ré, 2003 ; Del Ré
et Morgenstern, 2010 ; Reddy, 2001 ; Mireault et al., 2015). Les travaux
antérieurs considéraient pourtant que l’enfant n’est capable d’humour
qu’à partir du développement de capacités symboliques, donc pas avant
18 mois (McGhee, 1989). Certaines études récentes sur l’humour chez
le bébé sont descriptives montrant l’âge auquel les enfants commencent
à comprendre et à produire l’humour pendant les premières années de
vie (Del Ré, 2003 ; Del Ré et Morgenstern, 2010 ; Hoicka et Akhtar, 2012 ;
Reddy, 2001). D’autres études ont systématiquement étudié l’effet de
l’humour sur la perception et l’action des enfants (Hoicka et Akhtar,
2011 ; Hoicka et Gattis, 2008, 2012 ; Hoicka, Jutsum et Gattis, 2008).
■
Mais qu’est-ce que l’humour ?
Il existe un consensus dans la littérature sur la définition de l’humour
comme étant la compréhension ou la production d’une incongruité.
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Psychologie du développement
L’incongruité consiste en la présence simultanée d’éléments normalement incompatibles, ce qui produit de la surprise. L’incongruité peut
provoquer des réactions émotionnelles telles que la perplexité, la peur,
l’étonnement ou le rire mais elle ne suffit pas à elle seule de provoquer
ou expliquer le phénomène de l’humour. L’humour doit être placé dans
un cadre social où les blagues sont destinées à un public (Hoicka et
Gattis, 2008). Afin que les blagues soient une expérience partagée et
clairement destinés à produire de l’humour, les individus utilisent des
indices comportementaux tels que le rire ou le sourire (Hoicka et Akhtar,
2012). Une autre façon pour les enfants de distinguer la production d’humour lorsqu’elle est verbale des autres types de productions verbales est
de prêter attention aux propriétés acoustiques spécifiques à l’humour
(Hoicka et Gattis, 2012). Dans cette étude, 22 mères lisent un livre contenant des phrases humoristiques et neutres à leurs jeunes enfants âgés
de 18 à 24 mois. L’analyse acoustique des productions verbales de la
mère montre qu’elles ont utilisé une fréquence fondamentale (F0) plus
élevée que la moyenne, une plus grande intensité moyenne, et un débit
de parole lent afin de communiquer les verbalisations humoristiques par
rapport aux verbalisations neutres. Ainsi, la perception des caractéristiques prosodiques de la parole est un indicateur important des intentions
verbales pour le jeune enfant.
Il semble par ailleurs que les bébés soient non seulement de bons
observateurs de situation humoristiques mais aussi capables de les créer
activement et ce déjà dans la période prélinguistique. En effet, les études
descriptives suggèrent que dès 8 mois, les bébés peuvent délibérément
répéter des actions pour refaire rire les personnes qui les entourent (Reddy,
2001). Les bébés peuvent aussi produire différents types d’humour tels
que l’humour basé sur l’objet (mettre une chaussure sur la tête), celui basé
sur les labels (production de non-mots tels que « goojooboo ») ou celui
basé sur des actions drôles (Hoicka et Akhtar, 2011 ; Loizou, 2005 ; Reddy,
2001). D’autres études ont montré que non seulement les enfants répètent
des actions pour faire rire les adultes, mais qu’ils peuvent produire, dès
l’âge de deux ans un nouvel acte humoristique qu’ils indicent avec le
sourire ou le rire (Hoicka et Akhtar, 2012). Ces travaux suggèrent que,
dès l’âge de 2 ans, les tout-petits arrivent à comprendre l’incongruité des
blagues et peuvent utiliser cette incongruité pour produire eux-mêmes de
l’humour. Les études expérimentales montrent que dès l’âge de 19 mois,
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4 Petite enfance
les bébés discriminent l’humour des autres formes d’états mentaux tels
que le prétexte ou faire des erreurs. Ils copient les actions incongrues
accompagnées de rire (par exemple, mettre des chaussures sur les mains)
alors qu’ils corrigent les erreurs des adultes dans des situations identiques
mais qui ne sont pas présentées comme humoristiques (Hoicka et Gattis,
2008). Les bébés corrigent également des erreurs langagières prononcées
par des étrangers (Hoicka et Akhtar, 2011).
■
Quelles peuvent être les fonctions de l’humour ?
Malgré le fait que le rire humain présente un certain nombre de
propriétés uniques, le rire est un comportement que nous partageons
avec d’autres espèces comme le grand singe ou le rat (Davila Ross, Owren
et Zimmermman, 2009 ; Panksepp et Burgdorf, 2003 ; Waller et Dunbar,
2005). Ainsi, d’un point de vue évolutif, il est raisonnable de supposer
que l’humour a des fonctions importantes tant au niveau individuel qu’au
niveau du groupe. Cependant, en raison du peu d’études existantes sur
le développement précoce de l’humour, sa fonction et sa signification,
en particulier pour le bébé, restent incertaines. Une suggestion est que
le rire induit une attitude positive chez l’observateur, facilitant l’interaction en réduisant la menace, et contribuant ainsi, au renforcement
du lien social au sein d’un groupe et à l’amélioration du comportement
prosocial et de la coopération d’autre part (Wilkins et Eisenbraun, 2009).
Pour Reddy (2008), même l’action de faire rire un bébé en le chatouillant
exige un contexte interpersonnel dans lequel les parents indicent leur
comportement par le rire. D’autres études ont montré que les parents
utilisent toujours le sourire et le rire comme indices lorsqu’ils s’engagent
dans des actions absurdes avec leurs enfants âgés de 3 à 6 mois, afin de
situer ces actions dans un contexte humoristique (Mireault, Sparrow,
Poutre Perdue et Macke, 2012). L’humour semble donc une dimension
important de l’interaction interpersonnelle quotidienne entre les bébés
et les parents, facilitant sans doute la communication et soutenant le
développement des liens sociaux.
L’humour pourrait également avoir pour fonction la facilitation de
l’apprentissage de nouvelles actions en induisant un état affectif positif
(Fredrickson, 2004). L’effet de l’humour sur l’apprentissage est déjà bien
connu dans les salles de classe avec les jeunes élèves et les adultes. En
effet, diverses études effectuées auprès d’élèves en milieu scolaire se sont
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intéressées aux effets de l’humour dans l’enseignement. Même s’il n’y
a pas de consensus dans la littérature sur l’effet positif de l’humour sur
l’apprentissage dans les salles de classe (Bryant et Zillman, 1989 ; Zillman
et Bryant, 1989), la plupart des études ont montré un effet positif général
de l’humour en milieu scolaire (Cornett, 1986). Certains auteurs ont
suggéré que l’utilisation de l’humour par un enseignant peut renforcer
certains mécanismes qui sont importants pour l’apprentissage, comme
l’attention et la motivation (Bryant, Comisky et Zillman, 1979). D’autres
ont suggéré que l’utilisation de l’humour peut atténuer les facteurs qui
entravent l’apprentissage, tels que le stress et l’anxiété (McMorris, Urbach
et Connor, 1985 ; Korobkin, 1988). Cependant, à ce jour aucune étude n’a
testé de façon systématique la manière dont l’humour peut aider le bébé
à apprendre de nouvelles actions. Une seule étude a mesuré de manière
indirecte l’effet de l’humour sur l’apprentissage chez l’enfant âgé de 19
à 26 mois à partir de l’analyse de la lecture soit d’une page humoristique, soit d’une page neutre d’un même livre par les parents (Hoicka,
Jutsum et Gattis, 2008). Cette étude a montré que les parents utilisent
un pourcentage significativement plus élevé de déclarations abstraites
extra-textuelles lors de la lecture des pages humoristiques. Les auteurs
de cette étude suggèrent que le partage de livres humoristiques participe
à exposer le bébé à un vocabulaire plus abstrait, ce qui peut enrichir leur
étendue lexicale et améliorer leurs compétences linguistiques.
Conclusion
Dès la naissance, et même in utero, le bébé est déjà sensible aux différentes stimulations qui lui parviennent de son environnement. Placé dans
un contexte favorable, il est capable d’explorer, et cela a été observé dès
la naissance, les événements qui l’entourent et de leur donner du sens. Le
développement psychique est, au cours des premiers mois, couplé à celui
du développement moteur. C’est pourquoi les cliniciens sont particulièrement vigilants à ce développement psychomoteur. Quatre domaines
vont en particulier être importants :
– le domaine moteur ou postural ;
– le domaine des coordinations oculomotrices (préhension fine,
comportement de l’enfant avec les objets) ;
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4 Petite enfance
– le domaine langagier (compréhension et expression) ;
– le domaine social (prise de conscience de soi, d’autrui, imitation…).
Par ailleurs, dès lors que nous commençons à mieux appréhender la
complexité du développement du nourrisson, et de l’enfant de manière
générale, la perspective intégrative devient évidente pour une vision plus
claire et précise des différents facteurs en jeu au cours du développement.
Il est donc primordial de prendre en compte tous les domaines et tous
les aspects du développement lors d’une prise en charge d’un bébé avec
sa famille.
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Psychologie du développement
À RETENIR
nnLe fœtus perçoit déjà un certain nombre de stimulations extérieures.
NOTIONS CLÉS
n Attention conjointe
n Capacités
perceptves
et sociocognitives
du nouveau-né
n Capacités
sociocognitives
du nourrisson
n Continuité
transnatale
n Développement
du langage
n Humour
n Imitation
n Vie fœtale
nnCertains comportements et certaines réactions aux stimuli présentent des simili-
tudes avec ceux observés chez le nouveau-né, c’est ce qu’on appelle la notion de
continuité transnatale.
nnLes recherches récentes montrent que les nourrissons sont déjà capables de perce-
voir les événements de la vie quotidienne de manière cohérente.
nnAu cours de la 1re année, un certain nombre de compétences sociocognitives se
développent : langage, attention conjointe, humour.
POUR ALLER PLUS LOIN
Bijeljac-Babic R. (2017). L’enfant bilingue : de la petite enfance à à l’école.
Odile Jacob.
Durand K. (2014). Le Développement psychologique du bébé. Topos, Dunod.
Miljkovitch R., Morange-Majoux F., et Sander E. (2017). Psychologie du
développement. Masson.
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ENTRAÎNEMENT
Questions ouvertes
1.
En quoi le développement perceptif et le développement moteur sont reliés ?
2.
Quelles peuvent être les critiques du protocole expérimental proposé par Paulus,
Hunnius, Vissers et Bekkering (2011) pour critiquer l’étude originale de Gergely,
Bekkering et Kiràly (2002) ? Imaginez un protocole expérimental qui permet de
tester ces limites.
3.
À quel âge apparaît le pointage chez les bébés et quelles sont ses fonctions ?
4.
Quelles sont les premières formes d’humour et à quel âge apparaissent-elles ?
5.
Quelles sont les fonctions de l’humour ?
Quizz
1.
Le réflexe de Moro chez les nourrissons :
a. Est un réflexe de succion
b. Est un réflexe de marche automatique
c. Est un réflexe de grasping
d. Est un réflexe d’embrassement
2.
Selon le psychiatre John Bowlby, l’attachement est :
a. L’un des besoins primaires du jeune enfant
b. Un moyen pour l’enfant de développer une sécurité qui le mènera vers la
possibilité d’explorer autour de lui puis vers l’autonomie
c. Génère des troubles irréversibles de la socialisation sous forme de
difficultés d’adaptation
3.
Dans sa description des étapes successives du développement moteur chez
l’enfant, Arnorld Gesell a parlé de :
a. Développement « céphalo-caudal »
b. Développement « proximo-distal »
c. Développement psychoaffectif
d. Développement sphinctérien
4.
La latéralité :
a. C’est la reconnaissance de la gauche et de la droite
b. C’est l’emploi préférentiel d’un côté du corps dans les gestes moteurs
5.
Qu’est-ce qui est au cœur du raisonnement téléologique ?
a. La rationalité
b. L’amitié
c. L’imitation
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Dans ce chapitre, il s’agira de proposer un focus sur la période de l’enfance (de 2 à 11-12 ans)
en présentant en particulier les différentes étapes du développement langagier (avec notamment
l’apprentissage formel du langage), le développement des relations entre pairs, le développement
de la catégorisation, le développement cognitif, le développement de la moral, le développement
de l’identité sexuée et une dernière partie sur la théorie de l’esprit.
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CHAPITRE
5
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
1. Le développement langagier
2. Le développement
des relations entre pairs
3. Le développement
de la catégorisation :
la question de l’intuition
4. Le développement cognitif :
l’opérationnalisation
des concepts
5. Le développement moral
6. Le développement
de l’identité sexuée
7. La théorie de l’esprit
Conclusion
Enfance
Introduction
L’enfance est une période d’intenses changements. Ces changements
affectent le développement physique (et les habiletés motrices),
le cerveau, la cognition (mémoire, raisonnement, compréhension
du monde…), le langage et la capacité à communiquer, les apprentissages (lecture, mathématiques…), les émotions et leur gestion,
les relations sociales, la santé en général. L’environnement de
l’enfant, sa famille, ses pairs, son environnement préscolaire et
scolaire, et son environnement général influencent grandement
son développement. Ces facteurs aident l’enfant à développer ses
habiletés (exemple : bilinguisme, résilience) mais peuvent aussi
nuire à son développement normal et à son bien-être (exemples :
manque de confiance en soi, retard intellectuel, anxiété…).
Les psychologues spécialistes de l’enfance vont alors prendre
en compte ces différents changements afin de mieux appréhender la prise en charge de l’enfant et de sa famille. Ils utilisent
des techniques spécifiques (entretiens cliniques, tests projectifs,
jeux, dessins en interaction, tests standardisés, etc.) et proposent
des prises en charges spécialisées (psychothérapie de l’enfant,
ou psychanalyse de l’enfant).
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Psychologie du développement
1. Le développement langagier
1.1 Les premières phrases : entre 18-24 mois
Les enfants produisent leurs premières combinaisons de mots vers
18 mois. Entre 18 et 24 mois, le système de production va se réorganiser et on observe alors un accroissement rapide du vocabulaire : c’est
ce qu’on nomme « l’explosion lexicale ». L’enfant acquiert alors en
moyenne quatre à cinq mots par jour. Ce développement lexical serait
directement lié aux progrès cognitifs de l’enfant et en particulier à ses
capacités de catégorisation. Cette explosion lexicale serait également liée
à la découverte de la fonction même du langage : communiquer sur ce qui
nous entoure. À partir du moment où l’enfant possède plusieurs mots
dans son répertoire lexical, il va commencer à les combiner, en commençant par les énoncés à deux mots. On peut alors observer la production
de pseudo-phrases agrammaticales (« maman belle »). Malgré cette
pauvreté grammaticale, ces constructions conduisent l’enfant à établir les
premières distinctions syntaxiques entre les catégories de mots, notamment les mots outils (ou mots pivots) versus les mots pleins (Bernicot,
1998). Les mots pleins correspondent à des mots qui se suffisent à euxmêmes puisqu’ils peuvent être produits seuls ; les mots pivots sont utilisés
pour modifier les mots pleins (plus, encore, etc.).
1.2 Après 2 ans
■
Le développement du lexique
Le développement lexical est à la fois quantitatif et qualitatif :
– d’un point de vue quantitatif, le nombre de mots utilisé augmente
rapidement puisque l’enfant passe d’environ 100 à 200 mots autour
de 2 ans à 2 000 ou 2 500 mots vers l’âge de 6 ans ;
– les changements qualitatifs liés au lexique sont également importants.
Toutefois, cette progression est marquée par le fait que l’enfant ne
va plus se contenter d’énoncer quelques syllabes mais plutôt le mot
entièrement. De plus, il peut créer ses propres mots (souvent avec des
erreurs), ce qui montre qu’il maîtrise de mieux en mieux sa langue.
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5 Enfance
■
La maîtrise de la syntaxe
Celle-ci se manifeste globalement par la production de phrases de plus
en plus correctes. Cette progression survient autour de 3 ans, âge auquel
l’enfant va utiliser des adverbes simples (dedans, dehors), des prépositions (dans, sur), des conjonctions permettant de lier deux énoncés
(et, puis). De plus, l’enfant peut énoncer des phrases avec le pronom
personnel « je ». La réelle maîtrise de la syntaxe apparaît une fois que les
apprentissages formels de la langue ont débuté (voir ci-après), autour
de 6 ans.
Entre 4 et 5 ans, le vocabulaire continue à se diversifier. On observe
généralement à cet âge l’utilisation du langage non plus seulement pour
communiquer avec les autres mais également pour communiquer avec
lui-même .
Beaucoup considèrent que ce langage interne aiderait l’enfant à structurer sa pensée. Évidemment, le langage n’arrête pas brusquement sa
progression à 5 ou 6 ans, il continue à se complexifier même à l’âge adulte.
Cf. le langage égocentrique
chez Piaget, chapitre 3.
Le cas du non
C’est en particulier René Spitz (1962) qui précisa l’importance de l’apparition
du non chez l’enfant. Pour lui, il s’agit d’un des trois organisateurs psychiques
qui aide l’enfant à se construire en tant qu’être unique, différent de ses parents.
À ce stade du non, qui apparaît aux alentours de 18-24 mois, l’enfant apprend
à s’obstiner. Pour Spitz, le « non » est l’aboutissement d’un long processus de
maturation somato-psychique qui ouvre la voie vers la communication humaine
L’apparition du « non » signe la capacité de l’enfant à refuser verbalement. C’est
également l’étape qui donne un premier accès à l’acquisition de la pensée
abstraite. De nouveaux mécanismes de défense font leur apparition, les relations sociales s’agrandissent et s’enrichissent.
1.3 L’apprentissage formel du langage
■
Le langage écrit
L’enfant découvre très tôt l’écriture et il possède déjà un certain nombre
de représentations plus ou moins élaborées et correctes de l’écrit lorsque
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Psychologie du développement
débute son apprentissage. Gombert et Fayol (1992) ont décrit quatre
phases caractéristiques de cette période prélectrice :
– lors d’une première étape, les enfants produisent des graphismes et
essaient d’imiter les caractéristiques visuelles de l’écriture (gribouillages, lignes ondulées) ;
– puis, les réalisations commencent à ressembler à de l’écrit standard ;
– ensuite, au cours d’une troisième étape, apparaît l’utilisation de
quelques lettres, essentiellement celles composant son prénom ;
– enfin, lors d’une dernière étape, il peut apparaître que certains enfants,
qui ne sont pas à l’aise avec l’écriture, refusent d’écrire.
■
L’apprentissage de la lecture
Depuis les années 1980, de nombreux modèles théoriques ont été élaborés
pour tenter de comprendre et d’expliquer l’apprentissage de la lecture.
L’un des modèles le plus cité dans la littérature relative à la lecture et à ses
troubles est celui de Frith (1985). Ce modèle décrit également les étapes
d’acquisition de l’écriture, puisque Frith considère que ces deux types
d’apprentissage interagissent au cours du développement. Les trois stades
décrits par l’auteur sont les suivants : au stade logographique, qui survient
avant l’apprentissage de la lecture, il existe une association directe entre
les objets visuels et leur signification. À ce stade, l’enfant se base essentiellement sur la correspondance entre l’information linguistique et la
forme sonore du mot.
Au stade alphabétique, l’enfant apprend explicitement les règles
de conversion grapho-phonémique. L’enfant va peu à peu prendre
conscience de la relation existant entre les unités constituant les mots
écrits (les graphèmes) et les mots parlés (les phonèmes). À l’écrit, pour
orthographier les mots, l’enfant utilise également ses nouvelles connaissances alphabétiques et écrit les mots comme il les entend.
Au stade orthographique, l’existence du lexique mental va permettre
l’appariement direct des mots les plus familiers avec leurs correspondants
dans le lexique. Pour l’écrit, l’écriture orthographique correspond à la
mise en place des morphèmes. Ce dernier stade, une fois automatisé, sera
celui de la maîtrise de l’écrit.
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5 Enfance
■
Retard d’acquisition du langage oral et dysphasies
On rassemble habituellement sous le terme de dysphasies toutes les
difficultés qui se manifestent dans l’acquisition du langage lorsque ces
difficultés sont importantes et spécifiques, c’est-à-dire en l’absence de
troubles psychotiques, de retard mental ou de surdité (Braun, 2000).
On distingue généralement deux grands types de dysphasies :
– le premier type rassemble des troubles relativement peu fréquents
portant sur l’expression par le langage tandis que la compréhension du
langage reste très proche de la normale. On parle alors de « dysphasies
phonologiques » ;
Le saviez-vous ?
Les dysphasies ne
doivent pas être
confondues avec les
aphasies qui désignent
les cas où un trouble du
langage apparaît mais
cette fois à la suite
d’un accident cérébral
qui vient perturber
un développement
langagier jusque-là
normal.
– le second type est celui de la majorité des enfants dysphasiques, pour
lesquels on observe des troubles affectant à la fois la compréhension
et l’expression. Dans certains cas, la compréhension est peu atteinte
par rapport à l’expression, mais si la compréhension est difficile alors
le versant expressif est très déficitaire.
L’origine et les déterminants des troubles de l’acquisition du langage
restent mal connus. Si l’on soupçonne désormais l’existence de facteurs
génétiques, on en ignore largement la nature exacte. Une meilleure
connaissance du développement typique est nécessaire pour envisager
une prise en charge adaptée de l’enfant.
■
Retard d’acquisition du langage formel
et dyslexies développementales
Les dyslexies développementales sont également définies « par exclusion » comme des troubles spécifiques de l’acquisition de la lecture, alors
que l’enfant est scolarisé normalement, qu’il ne présente pas de retard
intellectuel (sur le plan de l’intelligence générale), et que son milieu socioculturel n’est pas défavorisé. Plus précisément, Zesiger (2004) rappelle,
avec Demont et Gombert (2004), que les compétences en lecture reposent
sur deux catégories de processus : l’identification des mots écrits et la
compréhension de ce qui est déchiffré. La dyslexie, au sens strict, serait
donc plutôt un trouble de l’identification des mots écrits, sans atteinte
de la compréhension orale. Selon Zesiger, les estimations du nombre
d’enfants concernés par ces difficultés varient entre 1,5 % et 8 % de la
population générale. Comme pour les dysphasies, le terme de dyslexie
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Psychologie du développement
recouvre des tableaux cliniques très différents. On distingue généralement deux grands groupes de dyslexies :
– les dyslexies phonologiques se caractérisent opérationnellement par
une difficulté de lecture des « pseudo-mots » (mots inventés), tandis
que la lecture des mots de la langue est assez bien préservée. Cela
revient à dire que c’est le déchiffrage des mots nouveaux ou des mots
rares qui se révèle difficile pour l’enfant ;
– les dyslexies de surface rassemblent les cas où c’est la lecture des mots
irréguliers qui est difficile. Tout se passe alors comme si l’attribution
de phonèmes au graphisme présenté résultait de l’application systématique de règles générales aux cas particuliers (par exemple lire/
tabak/pour « tabac »).
En production, les erreurs dysorthographiques de ces enfants portent
également sur l’écriture des mots irréguliers qui sont écrits « comme cela
se prononce ». Les hypothèses explicatives des dyslexies sont diverses
(Sprenger Charolles et Colé, 2003). Zesiger met l’accent sur l’hypothèse
phonologique. L’un des arguments avancés est l’importance reconnue
des connaissances phonologiques et de leur traitement dans l’acquisition
normale de la lecture. Mais l’hypothèse phonologique peut difficilement
expliquer les dyslexies de surface où ce sont les connaissances phonologiques et les règles générales de leur transcodage graphique qui semblent
guider la performance en compréhension comme en production. D’autres
hypothèses ont été avancées (Ramus, 2003 ; Zeziger, 2004) comme par
exemple un déficit de traitement auditif, un déficit de traitement visuel,
ou encore un déficit du contrôle moteur. Ramus (2003) évalue à 39 % la
proportion de dyslexies qui s’accompagnent de déficits auditifs. Il observe
par ailleurs que la présence de déficits visuels est également minoritaire
chez les dyslexiques. Néanmoins, des déficits phonologiques peuvent
également survenir en l’absence de tout problème auditif (Ramus, 2003).
À un autre niveau explicatif, l’origine génétique des troubles dyslexiques
est désormais admise (Grigorenko, 2004). Mais les données rassemblées
suggèrent également l’importance des environnements éducatifs, ce qui
conduit, là encore, à valoriser l’impact des interventions remédiatrices.
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2. Le développement des relations
entre pairs
2.1 L’imitation synchrone : premier moyen
de communication entre pairs
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les premières interactions sociales sont très précoces et se manifestent dans une dyade dès les
premières semaines de vie à travers différents indices dont l’imitation de
gestes, de sourires, de vocalisations (Gratier & Devouche, 2011). Vers
6 mois, le développement des compétences cognitives et sensori-motrices
rend possible l’imitation avec des objets. Mais l’objet, à ce stade, est utilisé
comme un outil pour découvrir le monde plutôt qu’un moyen pour
entrer en contact avec l’autre (Baudonnière, 1988). Bien que les bébés
soient très bons pour communiquer et interagir avec des partenaires
sociaux, les interactions sociales avec leurs pairs apparaissent plutôt au
cours de la seconde année, au début de ce que Wallon (1949) appelle le
syncrétisme différencié ou le processus de différenciation entre autrui
et soi. Pour Wallon, ce processus de différenciation s’établit grâce à l’imitation de gestes et de postures indépendamment de la finalité de l’action.
Le syncrétisme différencié selon Wallon
À 9-18 mois
Il y a à ce stade une confusion chez l’enfant entre soi-même et l’autre, par
rapport à l’environnement.
C’est durant cette période que l’enfant accède à la complémentarité des rôles.
Lorsque, par exemple, deux enfants sont mis côte à côte, ils font la même chose
en même temps : leur individualité est confondue. Wallon parle de couple
«contemplation – parade».
À 18-30 mois
On observe les premiers signes d’une individualisation de l’enfant par rapport
à son environnement. Il y a intégration des contraires : l’enfant ne peut pas être
à la fois le gendarme et le voleur.
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Psychologie du développement
En effet, les expérimentations de Baudonnière et Nadel (1979, 1980),
puis de Baudonnière (1988) montrent à travers l’imitation synchrone
que le moyen privilégié de communication entre pairs à cet âge est
l’imitation d’actions et de postures à travers l’utilisation d’objets et que
l’objet acquiert un double rôle cognitif et social. Dans leurs expériences,
Baudonnière et Nadel mettent à disposition des enfants âgés entre deux
et trois ans des objets en double exemplaire et observent le comportement des enfants lorsqu’ils sont en dyade ou en triade. Ils observent que
l’imitation rend possible le contact entre jeunes enfants et son maintien par l’intermédiaire d’objets identiques. De manière intéressante, les
auteurs montrent que tous les enfants ne s’imitent pas systématiquement.
Certains enfants refusent catégoriquement d’imiter tel ou tel enfant en
jetant l’objet. Par conséquent, l’imitation entre jeunes pairs est sélective.
L’imitation synchrone
Aux alentours de 18 mois la plupart des enfants s’identifient dans un miroir,
puisqu’ils retirent de leur front la tâche qu’on y a posée à leur insu. Lorsqu’on
observe, placés dans la même situation, deux enfants âgés de plus de 18 mois
qui ont réussi ce test, on constate qu’ils se lancent davantage dans des phases
d’imitation synchrone que ceux qui n’arrivent pas encore à se reconnaître dans
le miroir (Asendorpf, Warkentin, & Baudonnière, 1996). On peut donc dire que
l’imitation synchrone fait appel à un certain degré de conscience de soi comme
l’avançait Wallon (1934). Selon les propres termes de Nadel (2012), « l’imitation spontanée synchrone, c’est vivre à la première personne les intentions
de l’autre en réalisant son action ». Cette imitation nécessite la synchronie
entre les partenaires et donc leur attention conjointe pour réguler la synchronie.
Selon les propres termes de Nadel (2012), « l’imitation spontanée
synchrone, c’est vivre à la première personne les intentions de l’autre
en réalisant son action ». Cette imitation nécessite la synchronie entre les
partenaires et donc leur attention conjointe pour réguler la synchronie.
Aussi réciproque soit-elle, l’imitation synchrone suppose le plus souvent
une répartition des rôles entre un imitateur et un modèle, être imité étant
plus simple qu’imiter.
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5 Enfance
De plus, cette « imitation synchrone » présente les mêmes caractéristiques qu’une communication langagière, à savoir la synchronie, le tour
de rôle et le partage de thème. En effet, les observations d’interactions
montrent que les échanges imitatifs avec des objets différents sont quatre
fois moins nombreux que les échanges imitatifs avec les mêmes objets. Le
choix porté pour les objets identiques signifie que les enfants partagent
la même thématique. De plus, pendant 70,6 % du temps total des interactions, les partenaires font la même action et en même temps, d’où
la synchronie. Pour vérifier la réciprocité des rôles, une autre variable
dépendante est manipulée pour chaque enfant avec deux aspects : l’offrande de l’objet identique par le modèle et les abandons d’objets par
l’imitateur. Il n’apparaît aucun cas d’enfants qui imiteraient sans jamais
être pris pour modèle, et aucun cas d’enfants qui constitueraient des
modèles et ne seraient jamais imitateurs.
Par ailleurs, cette imitation suit une courbe développementale en
cloche. Cette courbe démontre une utilisation de l’imitation synchrone
régulière entre 12 et 24 mois, puis un pic de son utilisation à 30 mois, et
d’une diminution de son utilisation après 30 mois avec l’acquisition du
langage qui viendrait sûrement remplacer l’imitation dans la communication (Nadel, 2011).
2.2 L’émergence de l’amitié
L’amitié est définie comme un lien affectif entre deux enfants avec trois
composantes : la préférence mutuelle, le plaisir mutuel et la capacité
à s’engager dans une interaction complémentaire et réciproque (Howes et
Muller, 1980). Selon Howes (1993), pour être considérés comme des amis,
les enfants doivent passer au moins 30 % de leur temps ensemble. Il n’existe
pas de consensus dans la littérature sur l’âge de l’apparition des amitiés
entre enfants. Pour la majorité, la qualité des interactions entre amis et
non amis devient visible à 4 ans (Baudonnière, 1988). Effectivement vers
4 ans, des relations privilégiées entre enfants commencent à devenir plus
fréquentes et solides (Baudonnière et Werebee, 1988). Cependant, dans
cette même étude, Baudonnière et Werebee montrent que les comportements de partage et d’offrandes sont plus fréquents à 4-5 ans mais qu’ils
existent également à 3-4 ans. Ainsi, dès 3 ans, les enfants sont capables
de construire des relations privilégiées. Howes (1993) montre à travers
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Psychologie du développement
une étude longitudinale chez les enfants âgés entre 5 et 49 mois que
dès l’âge de 14 mois certains enfants montraient une préférence pour
l’un ou l’autre de leurs compagnons de jeu. Ces relations deviennent de
plus en plus stables avec l’âge. Il est probable qu’à 14 mois, les bébés ne
possèdent pas les moyens cognitifs pour exprimer cette amitié comme
à 3 ou 4 ans et c’est probablement pour cette raison qu’elle est difficile
à mettre en évidence à cet âge. L’observation reste le moyen privilégié
d’étude des relations entre pairs et des amitiés pendant les deux premières
années de vie.
Il faut savoir que l’identification de l’amitié est souvent associée aux
deux catégories amies et non amies alors qu’elle varie plutôt sur un continuum. En effet, Newcomb et Bagwell (1995) précisent que par opposition
à l’amitié, il existe trois catégories de non-amis :
– les connaissances,
– les pairs sans affinités,
– et les étrangers.
Ces trois catégories se définissent grâce à deux composantes qui
sont les degrés de connaissance et d’appréciation. Ainsi, les étrangers
ont un faible degré de connaissance alors que les pairs sans affinités et
les connaissances ont un niveau similaire. Concernant la composante
appréciation, les pairs sans affinités se trouvent à une extrémité inférieure à celle des étrangers et les connaissances ont un degré modéré
d’appréciation. Selon ce modèle, plus deux partenaires se connaissent
et s’apprécient, plus leurs interactions se rapprochent d’une relation
amicale. Ainsi, la connaissance et l’appréciation entre pairs sont des
facteurs déterminants pour distinguer un type de relation. Cependant,
il existe d’autres facteurs qui servent à différencier le type de relation qui
existe entre deux enfants.
Newcomb et Bagwell (1995) dans leur méta-analyse étudient les
propriétés d’une relation entre pairs, ainsi que celles d’une relation
amicale. Les résultats indiquent que la similitude, l’égalité et la domination caractérisent les relations entre pairs. La similitude correspond
aux comportements et aux caractéristiques démographiques (origine
ethnique, lieu d’habitation, sexe, âge). L’égalité correspond à l’initiation
d’une relation entre deux individus et au maintien de celle-ci. La domination désigne la tendance d’un individu à affirmer ou à augmenter le
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5 Enfance
contrôle sur sa relation dyadique. Les relations amicales sont caractérisées par l’appréciation mutuelle qui fournit un indice des liens affectifs
et d’affiliation entre deux individus, la proximité qui détermine la force
du lien affectif et la loyauté définie comme étant la capacité d’un individu
à compter sur un ami pour le soutien et l’assistance. Ces caractéristiques
peuvent évoluer avec l’âge, comme la proximité qui se renforce à l’adolescence. Selon certains auteurs, les conflits sont également un bon
indicateur du type de relation. Les amis seraient plus enclins à négocier pour trouver un compromis à leur dispute et à continuer à jouer
ensemble (Hartup & Laursen, 1992 ; Dunn 2004 ; Hinde, Titmus, Easton
et Tamplin, 1985).
Ainsi, les relations entre pairs semblent être sélectives et dépendent
de plusieurs facteurs. Pendant longtemps, ces facteurs ont été hypothétiques et peu étudiés. Aujourd’hui et grâce aux nombreuses études qui
se sont développées depuis les dernières décennies, nous savons que
plusieurs indices sociaux guident les relations sociales et les préférences
pour certains partenaires sociaux. Nous nous focaliserons dans la partie
suivante sur la catégorisation sociale et sur ce qui peut guider un enfant
dans le choix de ses partenaires sociaux.
3. Le développement
de la catégorisation :
la question de l’intuition sociale
3.1 La catégorisation sociale chez les enfants
Les catégories de genre augmentent au cours de la deuxième année de vie.
À 18 mois, les filles sont capables de faire correspondre les étiquettes de
genre avec des visages appropriés (Poulin-Dubois, Serbin, et Derbyshire,
1998) et la tendance des enfants à catégoriser des poupées en fonction du
genre augmente fortement entre 18 et 22 mois (Johnston, Bittinger, Smith,
et Madole, 2001). À 18 mois les enfants commencent également à montrer
des stéréotypes de genre par rapport aux jouets (Levy, 1999 ; Serbin,
Poulin-Dubois, Colborne, Sen, et Eichstedt, 2001). Au début de leur 2e
année, les enfants montrent qu’ils sont conscients des activités typiques
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Psychologie du développement
des hommes et des femmes puisqu’ils sont surpris lorsqu’ils voient des
incompatibles avec leur stéréotype par rapport à des photos conformes
aux stéréotypes (Poulin-Dubois et al. 2002) et ont tendance à choisir une
poupée dont le genre est approprié pour imiter une action stéréotypée
(Poulin-Dubois et al., 2002). En ce qui concerne l’origine ethnique, une
seule étude témoigne que les préférences sociales fondées sur la couleur
de la peau apparaissent seulement entre 2 ans et demi et 5 ans (Kinzler &
Spelke, 2011), et cette préférence devient plus tard fondée sur la langue,
ce qui suggère que les caractéristiques selon lesquelles nous formons des
jugements sur une personne sont organisées hiérarchiquement. Enfin,
Olah et ses collègues (2014) mettent en évidence que la langue d’un partenaire social est un signal fort d’appartenance à un groupe et à une culture.
Dans leur expérience, ils ont étudié comment la langue d’un modèle
(étrangère ou natale) est associée à la conventionalité d’utilisation des
outils. Ils ont constaté que, dès l’âge de 2 ans, les enfants associaient une
langue étrangère au modèle qui montre des gestes non conventionnels
(ex : se brosser les cheveux avec une fourchette) et associaient la langue
natale au modèle qui utilisaient les outils de manière conventionnelle.
3.2 Préférences sociales et orientation
des comportements sociaux
Des études récentes ont mis en évidence que l’âge d’une personne
observée est un repère important pour guider l’attention et l’apprentissage des enfants. Zmyj et ses collègues (2012) ont présenté à des bébés
âgés de 12 mois des modèles d’âges différents (12 mois, trois ans et
demi et adulte) qui manipulaient un objet et ont mesuré l’attention des
nourrissons en enregistrant leur rythme cardiaque, leur temps de regard
ainsi que leurs mouvements. Ils ont constaté qu’à 12 mois (et aussi les
enfants plus jeunes, mais moins fiable) ont préféré observer les enfants
plus âgés. Les auteurs suggèrent que les enfants plus âgés fournissent
à la fois un niveau de similitude et de compétences plus important que
les autres modèles, ce qui fournit aux enfants une zone proximale de
développement (Vygotsky, 1978) dans laquelle les apprentissages sont
plus confortables.
Encore une fois, il semble que la langue joue un rôle important dans
l’orientation des comportements sociocognitifs tels que l’imitation. Dans
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l’étude de Buttelman et ses collègues (2013), des bébés âgés de 14 mois
ont observé un modèle qui soit s’adressait aux bébés dans leur langue
natale ; soit dans une langue étrangère avant de démontrer une action-cible.
Les auteurs ont constaté que les bébés ont imité significativement plus le
modèle qui appartenait à leur groupe, qui parlait donc leur langue comparé
au groupe d’enfants qui ont entendu le modèle parler une autre langue.
D’autres indices peuvent jouer un rôle dans l’orientation des comportements sociaux précoces. En effet, Over et Carpenter (2009) ont montré
à des enfants âgés de 18 mois des photographies évoquant une affiliation
(une image de deux petites poupées en bois à proximité et face l’une
à l’autre) et ont ensuite testé les performances de coopération des enfants
(ramasser des épingles qu’un adulte a fait tomber accidentellement). Ils
ont constaté qu’après avoir été exposés à des photos d’affiliation, les
bébés étaient trois fois plus susceptibles d’aider spontanément que
lorsqu’ils sont exposés à des photos individualistes (une image d’une
seule poupée). Les résultats présentés ci-dessus suggèrent que les jeunes
enfants sont capables de former une appartenance à un groupe et que
cela peut orienter leurs préférences et leurs comportements. Néanmoins,
une question demeure incertaine : est ce que les enfants répondent à l’appartenance à un groupe ou à une méconnaissance et une dissemblance
avec l’autre groupe ? Les recherches effectuées avec les bébés dans leur
deuxième année de vie ne peuvent pas répondre à cette question puisque
les indices utilisés supposent toujours une similarité ou une familiarité versus dissimilarité et non nouveauté par rapport au groupe. Par
contre d’autres recherches effectuées chez des enfants d’âge préscolaire
montrent le même type de résultats en utilisant des indices arbitraires
non familiers (Dunham, Baron, et Carey, 2011 ; Over et Carpenter, 2009).
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Psychologie du développement
4. Le développement cognitif :
l’opérationnalisation des concepts
Tableau 1
Les stades du développement cognitif selon Piaget
Classes d’âges
De la naissance
à 2 ans
Stade
Sensori-moteur
Construction des connaissances sur le
monde à partir des sens et des actions
Étapes majeures
Permanence de l’objet
Peur de l’étranger
De 2 à 6-7 ans
Pré-opératoire
Représentation des événements avec
des mots ou des images
Faire semblant
Égocentrisme
Développement de la pensée symbolique
De 7 à 11 ans
Opérations concrètes
Pensées logiques à propos
d’événements concrets ;
compréhension d’analogies
Conservation des quantités
Transformations mathématiques
De 12 ans à l’âge
adulte
Opérations formelles
Raisonnement abstrait
Logique abstraite
4.1 Le stade préopératoire
Au stade préopératoire (de 2 à 6-7 ans), l’enfant n’est pas capable de
comprendre que la quantité de matière, le poids d’un objet, etc., ne
changent pas lorsque cet objet subit certaines modifications. C’est seulement à partir du stade des opérations concrètes (6-7 ans à 11-12 ans) que
l’enfant acquiert une certaine logique qui lui permet d’admettre la conservation. Cette logique ne porte que sur les objets manipulables concrets.
À ce stade, nous pouvons parler de logique car les opérations sont coordonnées, groupées en systèmes d’ensemble. En effet, une classe logique,
un concept n’existe pas à l’état isolé, il faut plusieurs éléments pour créer
un tout ; c’est ce que l’on appelle une classification (voir définition).
De même une relation de comparaison comme par exemple le fait
que « tel objet soit plus grand que tel autre objet » n’existe pas isolément, c’est une partie d’une structure que l’on appelle sériation. Ce sont
ces structures qui se construisent vers l’âge de sept ans et qui font que
les notions de conservation deviennent possibles. Durant la période
précédente (stade sensori-moteur), l’enfant ne considère les opérations
qu’individuellement, il n’arrive pas à les coordonner, d’où l’absence de
logique à ce stade selon Piaget.
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5 Enfance
4.2 Le stade des opérations concrètes
Selon Piaget, c’est en découvrant l’inversion possible des transformations, donc la réversibilité des actions évoquées par la représentation,
que l’enfant arrive à coordonner et constituer un début de logique
concrète. Sitôt que les actions se transforment en opérations réversibles,
celles-ci peuvent être groupées en systèmes/structures d’ensemble, qui se
nomment groupements. C’est grâce à de tels groupements que l’enfant
arrive à résoudre des problèmes relativement complexes. Deux types
d’opérations apparaissent à ce stade :
– les opérations logico-mathématiques : elles organisent les quantités,
les objets discontinus et sont fondées sur les différences entre les
éléments, leurs ressemblances ou leurs équivalences. Elles conduisent
aux notions de sériations, de classification et de nombre ;
– les opérations infralogiques : elles portent sur les quantités continues
et sont fondées sur les voisinages et les séparations. Elles amènent aux
notions d’espace, de temps, de constitution de l’objet en tant que tel,
et sont à l’origine de la mesure.
Les structures des opérations concrètes ou groupements sont en fait
des systèmes de transformations mais ne pouvant être effectuées que
par rapport à un invariant. La conservation de ces invariants est l’un
des meilleurs critères de l’opérativité de l’enfant. Les épreuves piagétiennes permettent justement d’évaluer si l’enfant a acquis ce critère de
conservation ou non. Si c’est le cas, au stade opératoire, lorsque l’on
soumet un enfant à une épreuve, celui-ci maintient l’invariance de la
quantité quelles que soient les transformations apportées. D’un point
de vue clinique, il est essentiel de pouvoir situer un enfant dans son
développement opératoire, de remédier à des difficultés éventuelles du
développement antérieur et par conséquent d’intervenir pour assurer une
meilleure adaptation cognitive à l’environnement (Meljac et Lemmel,
1999 ; Meljac et Charron, 2002).
■
Les notions de conservation
Les notions de conservation illustrent les invariants cognitifs dont on
vient de parler. En effet, sous certaines transformations, des grandeurs
physiques comme la quantité de liquide dans un verre, ou des grandeurs spatiales, se « conservent », c’est-à-dire qu’elles gardent la même
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valeur, malgré certaines transformations opérées comme par exemple
en transvasant le contenu d’un verre, la quantité de liquide ne change
pas. Or, ce type d’invariant cognitif est le résultat d’une construction
cognitive, comme le mettent en évidence les épreuves de conservation
(Piaget et Inhelder, 1941, 1962 ; Piaget et Szeminska, 1941) :
– la première phase des entretiens de conservation consiste à se mettre
d’accord avec l’enfant sur l’égalité de deux grandeurs. Par exemple,
on verse une certaine quantité de liquide dans un verre A et on
demande à l’enfant de verser la même quantité dans un verre B identique à A. L’essentiel est de s’assurer que l’enfant considère bien les
deux grandeurs A et B comme égales du point de vue de la dimension
considérée ;
– dans la deuxième phase de l’entretien, on modifie un aspect de la
situation sans que cette modification puisse logiquement rompre
l’égalité de départ. Par exemple, le verre A est laissé inchangé mais
le contenu du verre B est transvasé dans un verre B’ plus étroit et
plus haut. Cette transformation est effectuée lentement sous les yeux
de l’enfant, en l’accompagnant éventuellement de commentaires qui
décrivent l’action effectuée ;
– enfin, dans la troisième phase, on repose la question d’égalité, mais
cette fois entre A et B’, c’est-à-dire entre l’objet inchangé et l’objet
transformé.
Les réponses des enfants varient selon leur niveau de développement :
– dans une première étape dite de non-conservation franche (NC), les
enfants donnent des réponses d’inégalité lors des comparaisons entre
A et B’. C’est généralement le cas jusque vers 5-6 ans. Tout se passe,
en effet, comme si, pour ces enfants, toute comparaison était une
nouvelle comparaison ;
– au cours de la deuxième étape (niveau intermédiaire : I), les enfants
généralisent progressivement les réponses de conservation. C’està-dire que, selon les transformations, les réponses seront tantôt
conservantes, tantôt non conservantes ;
– enfin, la troisième étape (conservation franche : C), en général à partir
de 7 ans, correspond aux réponses de conservation argumentées et
généralisées.
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5 Enfance
Tableau 2
■
Exemples de procédures pour les différentes
épreuves piagétiennes.
Les opérations de classification et de sériation
Avec les conservations, les opérations de classification et de sériation
(Piaget et Szeminska, 1941) ont été considérées comme illustrant le
mieux les conquêtes cognitives des enfants vers 6-8 ans, permettant en
particulier l’approche opératoire du nombre. Concernant les classifications, des précisions théoriques sont nécessaires. On aboutit alors aux
véritables classes logiques lorsque les objets sont à la fois réunis par leurs
propriétés communes et différenciés par des propriétés spécifiques. En
d’autres termes, les classes reposent sur des opérations (réunion/disjonction) inverses l’une de l’autre et produisant une organisation hiérarchique
d’emboîtements successifs en classes et sous-classes.
Voir définitions, p. 183.
Les recherches menées par Inhelder et Piaget (1959) ont décrit la
construction progressive des opérations de classification. Lorsqu’on
présente à des enfants un matériel hétérogène significatif (bonshommes,
animaux, plantes, outils, etc.) ou géométrique (carrés, ronds, triangles de
différentes tailles et couleurs), en leur demandant de « mettre ensemble ce
qui va ensemble » ou de « mettre les mêmes avec les mêmes », on observe
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progressivement (de 5-6 ans à 8-9 ans) la mise en place de classifications
hiérarchiques inclusives ascendantes ou descendantes.
C’est l’épreuve de « quantification de l’inclusion » qui, pour Piaget,
est décisive. Cette épreuve consiste à présenter aux enfants un matériel
organisé en plusieurs niveaux d’inclusion (16 fleurs : 10 marguerites,
4 primevères jaunes, 2 primevères d’une autre couleur, ou toute organisation inclusive analogue). On fixe d’abord avec l’enfant le vocabulaire,
c’est-à-dire que l’on fixe en fait les concepts en jeu (la désignation des
marguerites, de toutes les primevères, des primevères jaunes ou de toutes
les fleurs, etc., ne pose guère de difficulté aux âges considérés). Puis, vient
la question cruciale de la comparaison quantitative entre une classe et
une sous-classe (soit : « y a-t-il plus de marguerites ou plus de fleurs »,
ou encore : « Y a-t-il plus de primevères ou plus de primevères jaunes »).
Alors, même si quelques enfants dès 5-6 ans réussissent à ces questions, il
faut attendre 8-9 ans pour que la fréquence des réponses logiques dépasse
les 50 % de la population.
Parallèlement au développement des opérations de classification,
Inhelder et Piaget (1959) ont également décrit l’évolution des opérations
de sériation, fondées sur les relations d’ordre. Là encore, le paradigme
expérimental est devenu classique. On présente à l’enfant des baguettes
de longueurs différentes, en veillant à ce que la différence de longueur
d’une baguette à l’autre ne soit pas trop importante (10 baguettes de 9 cm
à 16,2 cm). La tâche de l’enfant consiste à « bien ranger » les baguettes de
la plus petite à la plus grande (ou inversement). Là encore, on observe
progressivement (de 5-6 ans à 7-8 ans) l’évolution de la réalisation d’une
sériation des longueurs. Pour Piaget, il importe de considérer la méthode
utilisée pour la réalisation. Une méthode systématique repose obligatoirement sur une structuration opératoire, c’est-à-dire sur la réversibilité
(chaque baguette prise dans le tas est nécessairement considérée comme
à la fois plus petite que celles qui restent et plus grande que celles qui sont
déjà placées). L’autre critère utilisé par Piaget est la possibilité d’intercaler
de nouvelles baguettes dans une sériation déjà effectuée. Cette tâche est
très difficile pour les enfants les plus jeunes.
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Définitions
5 Enfance
❯ La classification : c’est le fait de regrouper des objets selon une propriété
commune : tous les rouges, tous les ronds, tous les stylos, tous les crayons…
On fait une classification à chaque fois que l’on regroupe tout ce qui va
ensemble. Ce processus permet d’acquérir la notion de l’inclusion logique
des parties dans le tout. Cette dernière suppose la conservation de la classe
totale, c’est-à-dire une quantification exacte et durable des relations entre la
classe totale et les sous-classes qui la composent. L’épreuve piagétienne souvent
utilisée pour illustrer cette notion est l’épreuve de quantification de l’inclusion.
Exemple : avec les fleurs et des primevères : s’il y a un bouquet de 6 fleurs
et 6 primevères, il faut que l’enfant comprenne qu’il y a plus de fleurs que de
primevères à la question « Y a-t-il plus de primevères ou plus de fleurs ? » puisque
les primevères font également partie de la classe des fleurs. Cette notion n’est
pas évidente pour l’enfant, il n’est pas facile de comprendre que la partie est plus
petite que le tout.
❯ L’inclusion de classes : deux classes peuvent être incluses l’une dans l’autre.
Par exemple, la classe des éléphants est incluse dans la classe des animaux.
On peut ainsi dire qu’un éléphant est toujours un animal, mais qu’un animal n’est
pas toujours un éléphant. Maîtriser l’inclusion de classe c’est « avoir la certitude
que la partie ne saurait contenir plus d’éléments que le tout ».
❯ La sériation : cette opération logique consiste à ranger des objets selon
un critère d’ordre. Par exemple, ranger « du plus grand au plus petit ».
4.3 Les opérations « formelles » :
à partir de 11-12 ans
Les opérations dont il vient d’être question s’élaborent vers 7-8 ans.
Elles correspondent au stade des opérations concrètes, selon la terminologie piagétienne. Après ce stade, vers 11-12 ans, et, toujours selon la
terminologie piagétienne, les opérations formelles (et le « stade formel »)
commencent à se construire. Cette construction est probablement plus
lente que ne le pensaient Inhelder et Piaget à l’origine (1955). Comme les
opérations concrètes, les opérations formelles constituent une organisation de représentations, mais les éléments organisés sont les constructions
cognitives du stade précédent. Ces nouvelles opérations présupposent
par conséquent les opérations antérieures que l’on a décrites, dont elles
constituent le prolongement : ce sont des « opérations sur des opérations », donc en ce sens, plus abstraites.
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Psychologie du développement
L’une des plus célèbres illustre le fait que les raisonnements sur la
proportionnalité font partie des compétences qui s’élaborent à cette
période. Cette épreuve de « l’équilibre de la balance » a été maintes fois
réutilisée en particulier par Siegler (1978). Dans cette situation, l’enfant est
mis en présence d’une balance de type « balance romaine » : sur chacun des
fléaux, on peut mettre des poids (ou « masses ») de valeurs différentes à des
distances variables. Le problème est de parvenir à choisir directement le
bon poids ou la bonne distance pour assurer l’équilibre, ou de prédire,
dans une configuration déterminée, si la balance va pencher à droite
ou à gauche ou rester en équilibre. Or, si les enfants du stade concret
parviennent à des prédictions exactes lorsque seul le poids varie, et (plus
tard) lorsque seule la distance varie, ils se révèlent incapables d’appliquer
immédiatement la règle de proportionnalité inverse entre poids et distance
dans les situations de placement direct ou lorsque la prédiction porte sur
des configurations où à b fois le poids et la distance sont modifiés.
L’interprétation de Piaget repose sur le fait que l’application des opérations arithmétiques multiplicatives (fonction linéaire et proportionnalité)
ne peut se faire sans une organisation représentative unifiée des transformations en jeu. Il faut comprendre en particulier qu’« augmenter le
poids et diminuer la distance » revient à « diminuer le poids et augmenter
la distance ». Autrement dit, chaque mesure (possible dès le niveau
opératoire précédent) se trouve, à ce stade, intégrée dans une organisation cognitive plus complexe. Piaget l’a décrite par les propriétés du
groupe INRC (chaque opération identique (I) est à la fois l’inverse ou
la négation d’une autre (N) et la réciproque d’une troisième (R), celle-ci
étant également la corrélative (C) de la première opération) (Inhelder et
Piaget, 1955 ; Lehalle, 1995).
4.4 Le nombre
Avant sept ans environ, l’enfant n’a pas une notion opératoire du
nombre et il n’arrive pas à la conservation des ensembles numériques.
Par exemple si l’on place 5 jetons avec 5 autres jetons en correspondance terme à terme et qu’ensuite on répartit l’une des lignes en 2 + 3,
un enfant du stade préopératoire pensera que la quantité de celle- ci
a changé et il maintiendra cette inégalité même s’il que dans les deux
cas, il y a 5 jetons. C’est l’acquisition des structures de classification et de
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5 Enfance
sériation qui permet à l’enfant d’accéder à la conservation du nombre et
à comprendre qu’un nombre n’existe pas seul mais qu’il fait partie d’un
système, d’une suite de nombres.
Au niveau sémiotique, les premiers noms de nombre apparaissent
vers 3 ans. Benoit, Lehalle et Jouen (2004) accordent une importance
déterminante au subitizing , c’est-à-dire à l’appréhension perceptive
immédiate de la numérosité exacte, à une unité près, ce qui n’est évidemment possible que pour les petits nombres. Ils proposent de distinguer
trois niveaux successifs de subitizing :
Subitizing : perception
de petites numérosités sans
avoir recours au comptage.
– un subitizing strictement perceptif qui permet de distinguer les petites
numérosités à une unité près, mais sans que cette différenciation
repose sur la prise en compte de la numérosité ;
– un subitizing perceptif préverbal qui se focalise cette fois sur la
numérosité (le processus est donc catégoriel en raison des diverses
configurations possibles pour une même numérosité) mais ce niveau
n’impose pas une quelconque symbolisation de la numérosité ;
– un subitizing perceptif verbal lorsque le mot nombre (« 1 », « 2 », ou
« 3 ») est prononcé en référence à la quantité immédiatement perçue.
À partir de ces premiers acquis lexicaux, qui débutent en général vers
3 ans, l’acquisition de la suite des mots-nombres est particulièrement
lente et s’étale sur plusieurs années (Fayol, 2002).
Puis, vient l’activité de comptage. Selon Gelman et Gallistel (1978), la
possibilité de dénombrer des objets repose sur cinq principes :
– correspondance terme à terme : un mot-nombre doit correspondre
à un et à un seul objet compté ;
– suite stable : les mots-nombres sont toujours énoncés dans le même
ordre à chaque comptage ;
– cardinalité : le dernier mot-nombre prononcé détermine le nombre
d’éléments de l’ensemble compté ;
– abstraction : le comptage s’applique à tout objet ou entité quelles que
soient sa nature ou ses spécificités, si bien que l’on peut compter un
ensemble d’objets même hétérogènes ;
– non-pertinence de l’ordre de pointage : l’ensemble des objets à compter
peut être parcouru dans n’importe quel ordre.
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Psychologie du développement
Le développement du nombre ne s’arrête pas avec la structuration
opératoire des entiers naturels (Lehalle, 1998). En effet, l’évolution après
7 ans concerne le traitement numérique de situations où plusieurs dimensions de mesure interviennent (situations de proportionnalité citées plus
haut).
■
Voir p. 169.
Dyscalculies développementales
La dyscalculie est un terme utilisé pour désigner un déficit dans les acquisitions numériques et/ou du calcul ; c’est-à-dire des difficultés à acquérir
et maîtriser les différentes connaissances et compétences nécessaires
aux mathématiques, que ce soit dans l’accès à la numération (notion
de nombre), dans l’apprentissage des opérations arithmétiques (addition, soustraction, multiplication et division), la résolution de problèmes
ou la géométrie. La dyscalculie est rarement isolée. Elle est fréquemment associée à une dyslexie‐dysorthographie (trouble de la lecture) ou
à une dyspraxie (trouble du geste et de l’orientation spatiale) et dans
une moindre mesure à une dysphasie (trouble du langage oral) ou
à un trouble de l’attention « avec ou sans hyperactivité » (TDA/H). Les
troubles du raisonnement logico‐mathématique se définissent par le
retard ou l’absence des structures logiques nécessaires à l’apprentissage
du nombre et au raisonnement. Ces troubles touchent donc davantage
la logique générale et peuvent donc être la conséquence de troubles du
langage. La dyscalculie peut couvrir différents domaines :
– la connaissance du nom des nombres et de leur lecture et écriture en
code arabe. Les enfants peuvent avoir des difficultés dans la comptine
numérique, la lecture et l’écriture des nombres ;
– l’acquisition des tables (d’addition, de multiplication…) qui nécessite une bonne mémoire. Cette difficulté d’apprentissage des tables
est souvent rencontrée chez les enfants dyslexiques et dysphasiques ;
– la dyscalculie spatiale : souvent retrouvée chez les enfants dyspraxiques.
Le dénombrement est difficile : à cause de leurs difficultés spatiales,
ils comptent deux fois un même objet ou en omettent un. Poser
des opérations se révèle aussi très problématique. Tout est décalé.
L’utilisation des outils de géométrie est très compliquée.
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5 Enfance
5. Le développement moral
Les premières théories sur le développement moral ont leur origine dans
le concept de conscience développé par Sigmund Freud et le concept d’autonomie morale proposé par Jean Piaget. Ces deux théories ont abordé la
moralité d’un point de vue très différent. Alors que Freud s’est focalisé
sur l’interaction parent-enfant, les émotions et la notion de culpabilité,
Piaget l’aborde d’un point de vue cognitif et s’intéresse surtout à la notion
de justice dans les interactions entre pairs. Ces premiers travaux ont été
prolongés par différents chercheurs dont Kohlberg (1969) qui a développé
la théorie de Piaget et qui a proposé six stades de développement du jugement moral que nous verrons dans les paragraphes suivants. Actuellement,
malgré la persistance de différences conceptuelles entre les cadres théoriques du développement moral, il existe un certain consensus entre les
chercheurs sur la définition de la moralité. D’abord, la plupart des théories
sont d’accord sur le fait que la moralité inclut la cognition, le jugement, les
émotions et le développement biologique. De plus, la plupart des théories
prennent en considération la contribution des relations sociales dans le
développement moral qu’il s’agisse des relations avec les parents, au sein de
la fratrie ou avec les pairs. La plupart de ces théories reconnaissent que la
moralité se développe dès le plus jeune âge jusqu’à l’adolescence. Cependant
certaines divergences restent d’actualité telles que la part biologique et la
part culturelle du développement moral, l’universalité du concept ou sa
spécificité en fonction de chaque culture, l’influence plus ou moins importante des parents et des membres de la famille dans l’acquisition de valeurs
morales, la cognition versus les émotions comme mécanismes sous-jacents
au développement de la moralité, les différences liées au genre et l’existence d’une moralité chez les autres espèces. Ces débats restent ouverts et
constituent un champ de recherches très intéressant.
Lawrence Kohlberg
(1927-1987) : psychologue
américain, a été l’un des
premiers, à la suite de
Jean Piaget, à s’intéresser
au développement moral
de l’individu. Son modèle
du développement moral
en 6 stades, qui a dominé
la recherche en psychologie
de la morale jusqu’à la
fin des années 1980, est
toujours influent.
De plus, les débats sur la moralité ne peuvent pas se limiter à un
débat purement académique puisqu’ils concernent bien souvent des
situations de la vie telles que l’éducation, la discrimination, la pauvreté,
l’abus sexuel, le harcèlement, l’injustice, les droits et l’immigration, le
droit au territoire,… des débats qui incluent la justice, l’égalité, le bienêtre, l’empathie, l’altruisme et bien d’autres domaines. Il est difficile de
tout résumer ici mais nous tâcherons de résumer les études et les théories
les plus influentes en psychologie du développement.
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Psychologie du développement
5.1 Les six stades du développement
du jugement moral de Kohlberg (1981)
Dans les années 70 et 80, la théorie du développement du jugement moral
de Piaget ainsi que celle de Kohlberg ont été dominantes pour l’étude de
la moralité chez les enfants. Kohlberg utilise des problèmes présentant
des dilemmes entre une préoccupation personnelle et la loi, l’autorité,
l’obligation ou la confiance et propose à travers ces problèmes un développement universel de la morale en 6 stades reposant non pas sur le
contenu des réponses mais sur la structure de celles-ci. Ces six stades
sont regroupés par deux en trois niveaux de développement.
■
■
■
Le premier niveau est celui d’une moralité « préconventionnelle » où
la personne se décide en fonction de ses intérêts personnels et des
risques encourus. À l’intérieur de ce niveau, la distinction entre les
deux premiers stades correspond aux progrès de la décentration sociale
même si elle reste personnelle et correspond à l’évitement des sanctions.
Au deuxième niveau de développement moral, c’est la logique du
groupe qui prédomine et la morale « conventionnelle ». Au premier
stade de ce niveau, le groupe référence est le groupe proche : la famille,
le réseau de connaissances et les amis ; l’ambition est désormais de
satisfaire les attentes interpersonnelles ; par conséquent la loyauté
envers les proches, le partage des sentiments et des valeurs, l’accord
entre les gens et la confiance mutuelle deviennent des critères essentiels pour évaluer les comportements sociaux. Le deuxième stade de
ce niveau étend ces notions au niveau de la société tout entière, ce qui
produit l’adhésion conformiste aux règles de la société, au système
légal et à la justice.
Le troisième niveau « post-conventionnel » relativise la référence aux
normes collectives. Au stade 5 il apparaît que les règles du système
social doivent être coordonnées avec une évaluation personnelle et
aussi relative par rapport aux règles dans d’autres pays. Au stade 6,
l’individu adhère aux principes moraux qui sont individuels et universels tels que la préservation de la vie, le respect des croyances, la lutte
contre toute forme d’oppression, …
Ces stades supposent une séquentialité retrouvée chez la majorité des
individus mais n’excluent pas des variabilités à la fois intra-individuelles
et interindividuelles. La variabilité dépend également du contenu des
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dilemmes posés et de la sensibilité de chacun. Ainsi, le concept de développement par stades est intéressant pour décrire théoriquement la
séquentialité du raisonnement moral mais doit être utilisé en considérant
également les spécificités de chaque individu.
5.2 Les données des études plus récentes
La théorie de Kohlberg a donné lieu à un nombre important d’études
théoriques et empiriques sur la moralité amenant à une nouvelle conceptualisation du jugement moral. Rochat (2010) propose par exemple que le
développement d’un sens moral ait comme origine le désir de possession
et d’appropriation qui apparaît très tôt au cours du développement. La
raison est que la notion de possession conduit souvent à des situations
de conflit qui doivent être résolues afin de maintenir une vie sociale.
Selon Rochat (2011), le désir de possession serait inné et se développerait de la naissance jusqu’à l’âge de 5 ans et ce suivant six stades allant
de la naissance (avec le réflexe d’agrippement et de succion permettant
au nouveau-né d’avoir en sa possession tous les objets physiques de son
environnement) jusqu’au développement du sens de justice et d’équité
vers 5 ans .
La progression de ces stades fait écho à celle des stades de Kohlberg
puisque nous retrouvons la même appropriation des règles et de valeurs
sociales et la même progression dans la conceptualisation de ces règles.
Plusieurs chercheurs ont évalué ce désir de possession en testant notamment les comportements de partage de ressources et de réciprocité.
Rochat et collaborateurs (2009) montrent qu’à l’âge de 3 ans, les enfants
sont autocentrés et ne partagent pas équitablement une ressource alors
qu’à 5 ans, les enfants sont plus équitables. De plus, ces changements
développementaux semblent être universels car les auteurs retrouvent la
même tendance dans sept cultures différentes. La réciprocité suit également la même trajectoire développementale que l’équité puisque ce n’est
que vers l’âge de 5 ans que les enfants adaptent leur comportement envers
les autres en fonction de ce principe (Robbins et Rochat, 2011).
Voir Tableau 1, p. 178
pour une description
des stades.
Si les concepts de possession et de partage ont fait l’objet de plusieurs
études, d’autres concepts tels que l’identité du groupe, l’exclusion et
la discrimination ont également été étudiés comme faisant partie du
développement moral notamment lorsque les critères d’inclusion ou
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d’exclusion concernent la race, l’origine ethnique ou le genre (Killen,
2007 ; Killen et Stangor, 2001 ; Killen et Rutland, 2011). Ces études
montrent que les jeunes enfants rejettent l’exclusion d’un groupe sur la
base d’un raisonnement moral alors que les adolescents peuvent accepter
une exclusion si le fonctionnement d’un groupe est menacé.
Tableau 3
Les six stades de la notion de possession de Rochat
Stade de possession
(âge)
Type de possession
Expérience
Processus
Possession implicite I
Stade I (naissance)
Possession obligatoire
non conceptuelle
Sentiment d’apaisement Préférence et
et de confort
orientation :
attachement inné
aux objets préférés
Possession implicite II
Stade II (2 mois)
Possession actée non
conceptuelle
Sentiment d’agentivité
Perception et action :
possession des effects
effectués sur les autres
à travers l’action
Transition triadique III
Stade III (9 mois)
Possession exclusive
préconceptuelle
Sentiment de contrôle
social
Attention sociale
selective : attachement
à des individus
particuliers
Possession explicite I
Stade IV (18 mois)
Possession affirmée
conceptuelle
Sentiment d’assurance
Identification :
affirmation de soi
Possession explicite II
Stade V (36 mois)
Echange de possession
conceptuel
Sentiment de gain
Maximisation du
soi : reconnaissance
d’échange et partage
de pouvoir
Possession explicite III
Stade VI (60 mois)
Propriété éthique
métaconceptuelle
Sentiment de justice
Négociation :
reconnaissance
du partage de valeurs
6. Le développement
de l’identité sexuée
Toutes les sociétés humaines sont régies par la notion de division des rôles
suivant le sexe des individus (Héritier, 1996 ; Mead, 1935), même si le
répertoire des rôles sexués peut différer d’une culture à l’autre (Maccoby,
1988). Si la connaissance fine des traits et rôles masculins et féminins
n’est guère achevée avant la préadolescence, un premier niveau semble
néanmoins atteint entre deux et trois ans, âge auquel l’enfant se comporte
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déjà comme un individu sexué (Barbu, Le Maner-Idrissi, & Jouanjean,
2000 ; Ruble & Martin, 1998). Certaines recherches se sont intéressées aux
différences sexuées pouvant apparaître dans divers domaines : au niveau
perceptif (voir pour revue Halpern, 2000), au niveau neuro-anatomique
(Cosgrove, Mazure & Beissel, 2007), ou encore dans les comportements
sociaux ou le choix des partenaires sociaux, et ce relativement tôt au
cours du développement (Barbu, Le Maner-Idrissi, & Jouanjean, 2000 ;
Legault & Strayer, 1991 ; Maccoby & Jacklin, 1974).
Il faut tout d’abord souligner que le sexe est, avec l’âge, l’une des
premières catégories sociales utilisées par les enfants pour donner du
sens au monde qui les entoure (Lewis & Feiring, 1979). Seulement
quelques mois après la naissance, les bébés sont déjà capables de distinguer des individus de sexe différent (Maccoby, 1990) et des individus
d’âge différents (Fogel, 1979) (voir chapitre 4). En outre, tout au long
de leur développement, les enfants construisent activement pour euxmêmes ce que signifie être de sexe masculin ou être de sexe féminin
(Golombok & Fivush, 1994). Les enfants passent par plusieurs étapes
avant de comprendre, d’une part que le sexe est stable à travers le temps
et les situations, et d’autre part que le sexe est déterminé de manière
biologique. Ceci n’est intégré que vers 5-7 ans ; auparavant, les enfants
sont convaincus qu’être un garçon ou une fille est fonction de critères
socioculturels, comme avoir des cheveux courts ou longs, jouer à la
poupée ou aux petites voitures, etc. Les trois étapes de cette construction
identitaire proposées par Kohlberg (1966) sont brièvement détaillées
dans le tableau 4.
Tableau 4
Les trois étapes de la construction identitaire
proposées par Kohlberg
Stade 1 (identité de genre)
2 ans environ
Ils se basent sur des
caractéristiques socioculturelles,
comme la coiffure,
les vêtements…
Stade 2 (stabilité de genre)
3-4 ans
Ils comprennent que le sexe d’un
individu est une donnée stable
au cours du temps. Néanmoins,
ils n’ont pas encore intégré que
le sexe est une donnée stable
par rapport aux situations : une
personne qui adopte les attributs
du sexe opposé peut changer
de sexe d’après eux.
Stade 3 (constance de genre)
5-7 ans
Ils ont alors intégré que l’on
est un garçon ou une fille en
fonction d’un critère biologique
stable, l’appareil génital, et
que le sexe est une donnée
immuable à la fois au cours
du temps et indépendamment
des situations.
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6.1 Acquisition des connaissances
sur les rôles des sexes
Les recherches portant sur les connaissances des enfants en matière
de rôles et objets sexués montrent que ces derniers les acquièrent très
rapidement au cours du développement (pour une revue, voir Huston,
1983 ; Le Maner-Idrissi, 1997 ; Ruble & Martin, 1998). Dès 20 mois, les
enfants ont des jouets préférés typiques de leur propre sexe. Dès 2-3 ans,
les enfants ont déjà des connaissances substantielles sur les activités,
professions, comportements et apparences stéréotypiquement dévolus
à chaque sexe. De même, vers 2-3 ans, les enfants ont adopté la plupart
des activités et attributs de leur propre sexe : jouets, habits, accessoires,
comportements, activités, émotions, etc.
6.2 Approches théoriques
de la construction de l’identité sexuée
Actuellement, des recherches empiriques ont confirmé l’existence des
trois stades proposés par Kohlberg (1966), en soulignant toutefois que les
âges auxquels les enfants atteignent chaque stade peuvent varier, et il a été
démontré que, bien avant d’atteindre le stade de la constance de genre, les
enfants utilisent le sexe comme moyen d’appréhender et d’organiser leur
environnement. Les théories du schéma de genre (Bem, 1981 ; Martin
& Halverson, 1981) posent qu’il s’agit d’une manière de découper et
organiser le monde selon le sexe, en accordant ainsi une attention sélective à des aspects particuliers de l’environnement. Les enfants observent
et imitent les individus de leur propre sexe afin d’apprendre toutes les
variétés du comportement approprié à leur propre sexe.
La théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1971 ; Mischel, 1966)
propose deux processus : le renforcement et la prise d’exemple, le premier
renvoyant davantage à l’activité de l’adulte sur l’enfant, le second faisant
référence à l’activité propre de l’enfant à travers son observation de l’environnement. Le renforcement consiste à encourager l’enfant lorsque
son comportement est conforme à son sexe et à le décourager lorsqu’il
est typique du sexe opposé. Vers 3-4 ans, la plupart des enfants ont déjà
appris à éviter les activités du sexe opposé et leur attention est plutôt
centrée vers les activités de leur propre sexe (Connor & Serbin, 1977).
Toutefois, il faut relever que les enfants des deux sexes ne reçoivent pas
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5 Enfance
le même feed-back de leurs parents lorsqu’ils adoptent un comportement
contre-stéréotypique. En effet, les garçons sont beaucoup plus découragés
que les filles à entreprendre des comportements stéréotypiques du sexe
opposé, ce que les enfants ont déjà intégré dès 3 ans, comme le souligne
la recherche menée par Hartup, Moore et Sager (1963).
7. La théorie de l’esprit
7.1 Qu’est-ce que la théorie de l’esprit ?
L’un des phénomènes les plus importants et les plus étudiés pendant
l’enfance est le développement de la théorie de l’esprit. La théorie de l’esprit correspond au fait de comprendre les autres comme des êtres ayant
des états mentaux tels que les croyances, les désirs, les motivations et les
émotions. Nous utilisons la théorie de l’esprit pour exprimer aux autres
nos comportements en termes d’états mentaux et pour comprendre les
comportements des autres.
La théorie de l’esprit est bien décrite dans la littérature dans des tâches
expérimentales et particulièrement dans la tâche des fausses croyances.
Cependant, l’interprétation des résultats n’est pas toujours consensuelle.
Pour certains chercheurs la théorie de l’esprit apparaît chez les bébés
dès l’âge de 15 mois (Onishi et Baillargeon, 2005) et, pour d’autres, le
développement de la théorie de l’esprit est fortement corrélée avec le
développement du langage et ne se développe qu’à partir de l’âge de
2 ans. D’un point de vue développemental, ces résultats, en apparence
contradictoires, peuvent transcrire un développement d’abord intuitif
et qui devient plus tard explicite.
7.2 Comment se développe
la théorie de l’esprit ?
Les premières formes de théorie de l’esprit sont observées dans les jeux de
faire semblant observées dès l’âge de 2 ans. Le jeu de faire semblant est
par excellence une métareprésentation de ses propres états mentaux mais
également de ceux des autres (Leslie, 1987 ; Lillard, 1993). Les enfants
apprennent également à cet âge que ce qu’ils veulent n’est pas forcément
la même chose que ce que les autres veulent.
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Vers l’âge de 4 ans, un développement crucial s’opère lorsque les
enfants se rendent comptent que leurs croyances peuvent être fausses.
Cette capacité a été mise en évidence grâce aux tâches de fausses
croyances proposées en premier par Wimmer et Perner en 1983. La
version standard de cette tâche consiste à montrer aux enfants un personnage, Sally, qui laisse un objet désiré tel qu’une barre de chocolat dans son
panier avant de quitter la pièce. Pendant son absence, un autre personnage, Anne, déplace l’objet et le met dans une boîte. Les enfants doivent
prédire où Sally va chercher son chocolat lorsqu’elle retourne dans la
pièce (voir ci-dessous Figure 1).
Fig. 1
Voir Wellman, Cross et
Watson, 2001 pour une revue
de la littérature.
Tâche de fausse croyance de Sally et Anne
À 4 ans, les enfants réussissent la tâche, attribuant à Sally une fausse
croyance : « elle va chercher l’objet dans le panier », alors que les enfants
de 3 ans échouent à cette tâche et attribuent à Sally la même croyance
qu’eux : « elle va chercher l’objet dans son emplacement actuel » . Ce qui
a conduit plusieurs chercheurs à conclure qu’il existe un changement
radical dans la compréhension des états mentaux d’autrui entre 3 et 4 ans.
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7.3 Critiques de la tâche de la fausse croyance
Pour certains chercheurs la théorie de l’esprit se développe bien avant
4 ans mais la tâche des fausses croyances n’est pas adaptée pour évaluer
l’attribution d’états mentaux à des âges plus précoces. Une étude intéressante d’O’Neil (1996) montre une compréhension des états mentaux des
autres chez des enfants de 2 ans. Dans son étude, les enfants observent
un objet mis sur une étagère hors de leur portée alors que le parent
est soit présent soit absent. Ensuite, lorsque les enfants demandent de
l’aide pour attraper le jouet, les enfants dont le parent était absent ont
davantage nommé le jouet et pointé vers sa localisation dans la situation
où le parent était absent, ce qui montre que les enfants modifient leurs
comportements en fonction des connaissances et croyances des autres.
Quant à la tâche des fausses croyances, plusieurs chercheurs ont
souligné la difficulté de cette tâche. Afin de résoudre cette tâche, l’enfant
doit suivre l’action des protagonistes, comprendre que Sally n’a pas pu
observer le déplacement de l’objet, doit se rappeler où était l’objet avant
le déplacement et où il est localisé après et doit comprendre précisément la question posée. Bien qu’à 3 ans, les enfants soient capables de
résoudre certains de ces problèmes, les enfants de 1 et 2 ans n’ont pas les
capacités suffisantes pour cela (Perner, Leekham & Wimmer, 1987). Les
enfants de 3 ans réussissent la tâche en simplifiant la question (Freeman,
Lewis & Doherty, 1991 ; Lewis & Osborne, 1990 ; Moses, 1993 ; Siegal
& Beattie, 1991 ; Surian & Leslie, 1999), en faisant le déplacement de
l’objet moins saillant (Carlson, Moses & Hix, 1998 ; Wellman & Bartsch,
1988 ; Zaitchik, 1991) ou d’autres ajustements. Ces versions modifiées
de la tâche de fausses croyances sont souvent réussies par les enfants
de 3 ans, ce qui montre que les jeunes enfants ont des compétences de
compréhension des fausses croyances mais que les tâches proposées dans
la littérature ne permettent pas de les mettre suffisamment en évidence.
7.4 Quels sont les facteurs qui peuvent
influencer la théorie de l’esprit ?
Certains facteurs peuvent influencer l’âge de compréhension des tâches
de fausses croyances. Par exemple, les enfants montrent une connaissance des états mentaux d’autrui plus précocement si leur mère leur parle
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de croyances, sentiments et désirs et donne des explications lorsqu’elle
corrige leurs comportements comparés aux mères qui ne donnent pas
d’informations lors des corrections (Pears et Moses, 2003). Les enfants
qui ont des frères et sœurs acquièrent la théorie de l’esprit plus précocement que les enfants sans fratrie (McAlister et Peterson, 2007). Le
développement est également influencé par la participation des enfants
aux jeux de faire semblant (Youngblade, Dunn, 1995), la participation
à la lecture de livres (de Rosnay et Hughes, 2006), le développement du
langage et des fonctions exécutives (Nelson, 2007 ; Milligan, Astington
et Dack, 2007 ; Moses et Tahiroglu, 2010).
7.5 Quelles sont les conséquences
de la théorie de l’esprit ?
Les recherches montrent que la théorie de l’esprit a des conséquences
sur l’intégration sociale parmi les pairs et la réussite scolaire. Les enfants,
qui ont de meilleures capacités dans les tâches de théorie de l’esprit sont
plus populaires à l’école (Slaughter et Dennis, 2002), ont de meilleures
capacités de communication et aident à résoudre les problèmes en cas de
conflits avec les pairs (Dunn, 1996) et leurs maîtresses les jugent comme
plus compétents socialement (Astington, 2003). Cependant, un meilleur
développement de la théorie de l’esprit peut également être utilisé dans le
mauvais sens comme dans des situations de harcèlement (Sutton, 2003).
Théorie de l’esprit et autisme
Baron-Cohen, Leslie et Frith (1985) montrent que les enfants autistes ne
réussissent pas la tâche des fausses croyances de Wimmer et Perner (1983)
comparés à un groupe d’enfants tout-venant et à un groupe d’enfants ayant
une trisomie 21. Ce qui montre que le déficit observé est spécifique aux enfants
autistes et indépendant d’un retard mental. Dans sa revue de la littérature,
Baron-Cohen (2000) répertorie toutes les situations dans lesquelles les enfants
autistes échouent d’attribuer des états mentaux comparés aux enfants toutvenant. Tout d’abord les enfants autistes participent beaucoup moins à des
jeux de faire semblant que les enfants tout-venant. Ils ne sont pas capables
➥
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5 Enfance
d’ailleurs de donner une double identité (réelle et apparente) à un objet. Par
exemple une bougie en forme de pomme est soit une pomme soit une bougie
et ne peut être les deux. Ils ne peuvent pas non plus distinguer les événements
physiques (l’enfant tient un chien) des événements mentaux (l’enfant pense
à un chien). Les tâches de croyance de premier niveau où les enfants doivent
attribuer un état mental à une personne sont déficitaires chez les enfants
autistes alors qu’elles sont réussies par des enfants tout-venant dès l’âge de
4 ans. Les tâches de théorie de l’esprit de second degré telles que les tâches
de fausses croyances sont également échouées. De plus, les enfants autistes
ne semblent pas pourvoir interpréter la direction du regard (test de BaronCohen, 1992 : comprendre qu’un enfant qui regarde dans l’air est un enfant
qui pense) ou de comprendre la nature référentielle du regard (test de Prat et
Bryant, 1990 : identifier l’individu qui a regardé l’objet par rapport à un autre
individu qui a simplement touché l’objet sans le regarder). Au niveau langagier,
les enfants autistes produisent spontanément moins de mots se référant à des
états mentaux que les enfants tout-venant et sont moins bons dans la pragmatique du langage. Cette déficience s’étend à d’autres situations telles que
la compréhension des émotions ou l’attribution d’intentions. Ces conclusions
ont été controversées dans la littérature notamment quant à la spécificité du
déficit. La revue de la littérature de Yirmiya et collaborateurs (1998) montre que
le déficit n’est pas forcément spécifique mais en tout cas plus sévère chez les
enfants autistes comparés à des enfants ayant d’autres pathologies.
7.6 Une universalité de la théorie de l’esprit ?
Pour rendre compte de l’importance de la théorie de l’esprit dans le développement, il faut que le phénomène soit à la fois universel et spécifique
à l’être humain.
La plupart des études ont été effectuées en Europe et en Amérique du
Nord et peu d’études ont cherché à tester l’universalité de la théorie de
l’esprit et celles qui s’y sont attelées n’ont pas été concluantes (Callaghan
et al., 2005 ; Vinden, 1999 ; Wellman et al., 2001). L’étude de Callaghan
a porté sur un nombre restreint d’enfants venant de cinq pays différents
et les résultats ne montrent pas de différences entre les pays alors que
dans l’étude de Wellman, des différences au niveau de la temporalité de
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l’acquisition de la théorie d l’esprit sont observées. Une méta-analyse
récente a testé la question de l’universalité de la théorie de l’esprit en
analysant les résultats publiés et non publiés de 196 conditions réalisées en Chine (Chine et Hongkong) et 155 en Amérique (États-Unis et
Canada) (Liu et al., 2008). Cette méta-analyse montre des trajectoires
développementales parallèles mais temporellement différentes selon
les pays. En effet, les enfants chinois comme les enfants américains
développent leurs capacités d’attribution de fausses croyances pendant
l’enfance. Quant à la temporalité de ce développement, la méta-analyse
ne révèle pas de différences significatives entre la Chine et l’Amérique.
Cependant, un décalage de plus de deux ans est observé localement entre
les Chinois (de Chine et de Hongkong). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence dont les différences liées à l’âge, à la constitution
familiale, aux langues parlées et à l’occidentalisation des pays. Même si
ces différences ne sont pas toujours simples à interpréter, le développement de la théorie de l’esprit semble être à la fois universel et présentant
des spécificités culturelles.
En ce qui concerne la spécificité de la théorie de l’esprit, le premier
papier qui a posé la question de l’existence d’une théorie de l’esprit chez
les chimpanzés est celui de Premack et Woodruff en 1978. Bien plus
tard, Call et Tomasello (2008) publient une revue de la littérature afin
de pouvoir répondre à cette question. Leur papier montre que les chimpanzés peuvent comprendre des tâches simples d’attributions de buts et
d’intentions mais ne peuvent pas réussir des tâches de fausses croyances.
Le débat est de savoir si les chimpanzés développent un raisonnement
mentalistique ou arrivent à résoudre les tâches avec un raisonnement
téléologique en suivant l’action observée sans nécessairement avoir accès
aux états mentaux d’autrui. En tout cas, les études récentes semblent
confirmer cette dernière hypothèse.
Conclusion
La psychologie de l’enfant, pour être bien comprise, doit aller du très
jeune bébé jusqu’à l’adolescent et l’adulte. C’est l’ensemble du parcours
et de la dynamique qui est intéressant, ainsi d’ailleurs que le soulignait
déjà Jean Piaget.
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5 Enfance
À côté des mathématiques et de la logique, il faut aussi évoquer les
théories naïves de l’esprit qu’élaborent « l’enfant psychologue » et déjà le
bébé. Dans sa vie sociale réelle, dans ses interactions avec les autres à la
maison, à l’école ou dans ses loisirs, l’enfant doit aussi apprendre à être
un petit psychologue. Il doit, en effet, constamment élaborer des théories
sur la façon dont il pense et dont pensent les autres autour de lui, afin de
comprendre et de prédire la dynamique, parfois complexe, des comportements et des émotions. Comprendre que l’autre est, comme nous, un être
intentionnel doué d’un esprit, d’états mentaux, de croyances, de désirs,
etc., est en effet essentiel pour entrer dans l’apprentissage culturel humain.
Les données et débats sur les origines et le développement des connaissances physiques, mathématiques, logiques et psychologiques, esquissés
ici, suffisent à illustrer le grand dynamisme de la psychologie de l’enfant,
avec et après Piaget.
Depuis la fin des années 1990, des chercheurs utilisent des techniques
d’imagerie pour comprendre la façon dont le cerveau des enfants fonctionne lors de la résolution de tâches logico-mathématiques par exemple.
On sait qu’avec le développement neurocognitif de l’enfant s’opèrent
une multiplication puis un élagage des connexions entre neurones, d’où
une diminution de la matière grise du cerveau. Les premiers résultats
indiquent que cette maturation est loin d’être uniforme. Elle s’effectue
par vagues successives selon les zones du cerveau : d’abord les régions
associées aux fonctions sensorielles et motrices de base, ensuite, jusqu’à
la fin de l’adolescence, les régions associées au contrôle cognitif supérieur (le contrôle inhibiteur notamment). Il est donc nécessaire d’intégrer
différentes approches pour mieux appréhender le développement de l’enfant, avant l’entrée dans l’adolescence, période de changements physiques
et psychologiques importants comme nous le verrons au chapitre suivant.
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À RETENIR
nnLes premières combinaisons de mots arrivent vers l’âge de 18 mois et, à 2 ans,
on observe une augmentation quantitative et qualitative du lexique et une maîtrise
de la syntaxe.
nnLe retard d’acquisition du langage oral, appelé dysphasie et le retard d’acquisi-
tion du langage écrit appelé dyslexie, sont tous les deux définis par exclusion en
absence d’autres pathologies.
nnL’imitation synchrone est la première forme de communication entre pairs et est
observée jusqu’à apparition du langage.
nnLes premiers signes d’amitié s’observent dès l’âge de 3 ans mais deviennent de
plus en plus fréquents vers l’âge de 4-5 ans.
nnLes enfants peuvent utiliser les catégories sociales de sexe, de genre dès l’âge
de 18 mois et utilisent les catégories basées sur l’origine ethnique et la langue
parlée entre 2 ans et demi et 5 ans. Ils utilisent ces catégories pour guider leurs
préférences sociales.
nnSelon Jean Piaget, le développement cognitif suit une progression du concret
à l’abstrait allant du stade des opérations concrètes où le raisonnement porte sur
des objets physiques au stade des opérations formelles où le raisonnement devient
hypothético-déductif. L’acquisition de la moralité suit également cette progression.
NOTIONS CLÉS
n Acquisition
du langage
n Amitié
n Catégories
sociales
n Développement
cognitif
n Développement
moral
n Dyslexie
n Dysphasie
n Identité sexuée
n Imitation
synchrone
n Relation entre
pairs
n Théorie de l’esprit
nnDeux éléments sont à prendre en considération pour rendre compte de la construc-
tion de l’identité sexuée chez l’enfant et de l’acquisition de ses connaissances
relatives à ce qui est socialement et culturellement dévolus à chaque sexe : l’activité
de l’adulte sur l’enfant et l’activité de l’enfant à travers son observation du monde
sexué.
nnLe jeu du faire-semblant est le premier signe de la théorie de l’esprit et s’observe
vers l’âge de 2 ans. Vers 3 ans, les enfants peuvent attribuer et suivre des états
mentaux aux autres et vers 4-5 ans, ils sont capables de réussir les tâches de
fausses croyances qui sont échouées par 80 % des enfants autistes.
POUR ALLER PLUS LOIN
Chanquoy L. et Négro I. (2004). Psychologie du développement. Hachette
supérieur.
Lehalle A. et Mellier D. (2013). Psychologie du développement enfance et
adolescence, 3e éd. Dunod.
Mallet P., Meljac C. et Baudier A. (2004). La psychologie du développement.
Belin.
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ENTRAÎNEMENT
Quizz
1.
Classez dans le bon ordre chronologique les 3 principaux stades de développement de l’intelligence selon Jean Piaget :
a. Le stade des opérations concrètes
b. Le stade sensori-moteur
c. Le stade des opérations formelles
2.
Dans quelle tranche d’âge se situe la période « préopératoire » selon Jean Piaget ?
a. 0-2 ans
b. 2-7 ans
3.
Classer, grouper, différencier, organiser, mesurer, compter, se décentrer,
coopérer, tous ces termes correspondent principalement :
a. Aux enfants de 12 à 14 ans
b. Aux enfants de 6 à 11 ans
c. Aux enfants de 2 à 5 ans
4.
Lors de la période préopératoire, on parle d’égocentrisme chez l’enfant, cela
signifie :
a. Que l’enfant ne peut adopter en pensée un autre point de vue que le sien
b. Qu’il ne s’intéresse qu’à lui, au mépris des autres
5.
Qu’est-ce que l’imitation synchrone selon Jacqueline Nadel ?
a. L’imitation synchrone reflète l’imitation de la figure maternelle
b. L’imitation synchrone a une valeur transitoire et adaptative pour
communiquer avant que le langage verbal ne soit utilisé
c. L’imitation synchrone est la capacité de l’enfant à se reconnaître dans
le miroir
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L’adolescence est une période particulière du développement car elle marque un changement
important tant sur le plan psychique que sur le plan physique de l’individu. Dans ce chapitre, il
s’agira de présenter les grandes étapes caractéristiques de cette période: la puberté, le développement cognitif, le développement de la représentation de soi, le développement des relations, et
les principaux troubles du comportement qui peuvent être rencontrés au cours de l’adolescence.
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CHAPITRE
6
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
1. La notion d’adolescence
2. La puberté
3. Le développement cognitif
à l’adolescence
4. Le développement
du jugement moral
à l’adolescence
5. Le développement
de la représentation de soi
et de l’estime de soi
6. Le développement
des relations à l’adolescence
7. La scolarité à l’adolescence
8. Les principaux troubles
du comportement
à l’adolescence
Conclusion
Adolescence
Introduction
L’adolescence est une période difficile à définir. Elle correspond à une phase de changements physiques et psychologiques
importants. Le début de l’adolescence est généralement associé
à l’apparition des caractères sexuels secondaires, déclenchés par
les processus neuro-hormonaux, sa terminaison dépend non
seulement des mêmes facteurs qui provoquent l’arrêt de la croissance, mais aussi de facteurs psychologiques individuels et sociaux,
largement déterminants à notre époque, tant du point de vue nutritionnel qu’environnemental et culturel.
1. La notion d’adolescence
La notion d’adolescence est relativement complexe à définir. Elle
fait référence à une période de passage de l’état d’enfant à celui
d’adulte (12-18 ans), et se caractérise par d’importantes transformations physiques, mais également par d’importants changements
sur le plan cognitif et psychologique. Il s’ensuit une situation
de déséquilibre qui peut se manifester à travers de nombreux
symptômes souvent regroupés sous l’expression de crise de l’adolescence. On parle alors d’une véritable réorganisation cognitive
de la réalité, d’une transformation profonde sur le plan psychique
(modifications sur le plan de la vie affective, sur l’image de soi, sur
le plan logique et sur la personnalité sociale). S’il existe de multiples
observations consacrées aux adolescents, il n’en faut pas moins
constater que cette période de la vie n’est pas universellement
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reconnue : en effet, dans certaines sociétés, on ne connaît que le bébé,
l’enfant, l’adulte et le vieillard.
Le saviez-vous ?
Les termes
d’adolescence et
d’adolescent sont
apparus dans la langue
française entre les XIIIe
et XIVe siècles. Ils
proviennent du verbe
latin adolescere qui
signifie « grandir ». La
croissance physique
présente l’aspect le
plus spectaculaire
de l’entrée dans
l’adolescence, en lien
avec des changements
psychologiques
importants.
Jusqu’au xixe siècle, l’adolescence, au sens où nous l’entendons
aujourd’hui, n’est pas observable dans la société occidentale. Les Romains
qualifiaient sous le terme « adolescent » la personne jusqu’à sa trentième
année. Ce n’est qu’à la Renaissance qu’apparaissent de nouvelles façons
de concevoir le développement humain : de 1 à 6 ans, les enfants sont
à la maison où ils doivent recevoir une éducation de base et exercer leurs
facultés sensorielles et motrices ; de 7 à 12 ans, tous doivent recevoir une
éducation élémentaire (langue, usage social, religion). Ils doivent alors
développer leur mémoire, c’est la maîtrise de soi et de la volonté qui doit
être développée, tant à l’université qu’à travers des voyages.
Depuis la fin des années 1960, la réforme du droit de la famille, la
naissance d’une culture jeune, la contestation lycéenne et universitaire,
ont été autant d’éléments qui ont amorcé un intérêt croissant pour l’adolescence et la jeunesse dans nos sociétés occidentales.
2. La puberté
Un certain nombre d’indicateurs caractérisent le développement au cours
de l’adolescence. Rodriguez-Tomé (1989) relève ainsi la poussée staturale, le développement des organes génitaux et des caractères sexuels
secondaires. Le début de la poussée de croissance se situe approximativement à la onzième année de la fille, et à la treizième année du garçon ; sa
vitesse est maximale un an plus tard en moyenne. Il existe par ailleurs une
relation différente selon le sexe entre poussée de croissance et processus
pubertaire ; tous deux commencent en même temps chez la préadolescente tandis que la croissance s’accélère chez le garçon alors que le
développement des organes génitaux externes est déjà bien entamé. La
maturation de l’appareil reproducteur, le développement des caractères
sexuels secondaires se manifestent par le développement des organes
génitaux externes (testicules et verge) chez le garçon, des seins chez la
fille, de la pilosité pubienne chez les garçons et les filles. Du point de vue
biologique, « ménarche » et « spermarche » peuvent être mis en parallèle. Tous deux signalent un état d’avancement dans la maturation de
l’appareil reproducteur. Le terme « ménarche » désigne l’apparition des
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6 Adolescence
premières règles. Le terme « spermarche » désigne les premières éjaculations du garçon. Les variations interindividuelles sont importantes. Il
y a un décalage de plus en plus important entre l’âge où l’on tend à être
sexuellement adulte et celui où l’on est économiquement indépendant.
Si les premières règles apparaissent aujourd’hui vers 13 ans, elles apparaissaient en moyenne vers 17 ans dans la France de 1850 !
La croissance physique manifeste à l’adolescence un caractère dysharmonique susceptible de provoquer des perturbations psychologiques. Elle
conduit l’adolescent à un état réel de fatigue, dû tant aux changements
physiques et à leurs retentissements psychologiques lors de la période
pubertaire.
On assiste à l’adolescence à un redressement des courbes de croissance
après 12/13 ans pour les garçons et 10/11 ans pour les filles, suivi d’un
infléchissement sur trois années. C’est la poussée pubertaire qui manifeste
l’activité biochimique de la puberté. L’adolescent est sensible à l’accroissement de sa taille. Le rôle des parents est également important à ce propos :
manifestation éventuelle d’anxiété devant une petite taille si eux-mêmes
sont grands par exemple. Les facteurs endocriniens gèrent cette croissance :
– l’hormone de croissance produite par l’hypophyse antérieure,
très active lors de la croissance pubertaire bien que freinée par les
hormones sexualisantes qui évitent ainsi le gigantisme hyperpituitaire ;
– les stimulines, sécrétées également par l’hypophyse antérieure, dont
le rôle est de stimuler d’autres sécrétions endocriniennes : thyréostimuline pour la thyroïde, folliculo-stimuline et lutéino-stimuline
pour les ovaires ;
– la thyroxine sécrétée par la thyroïde ;
– la parathormone sécrétée par la parathyroïde qui a un rôle important
dans la calcification par sa régulation des métabolismes du phosphore
et du calcium.
Les glandes sexuelles se développent particulièrement à la puberté
et ce développement peut freiner la croissance. On voit ici la relation
entre croissance et maturation sexuelle. La précocité sexuelle de la jeune
fille relativement au garçon va ainsi de pair avec une taille moindre en
moyenne d’une douzaine de centimètres. Les facteurs alimentaires
sont très importants. Des facteurs psychologiques se surajoutent : les
carences familiales, mais plus simplement un mauvais climat familial. La
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Psychologie du développement
croissance en poids est d’abord plus accentuée chez la fille que chez le
garçon, d’où parfois un sentiment d’infériorité chez la fille qui « grossit »
comparativement à ses camarades masculins. Le poids plafonne chez la
fille vers 16/17 ans mais continue à se développer chez l’adolescent qui
gagne environ 10 kilogrammes entre 16 et 20 ans pour un accroissement
en taille de 5 centimètres. On relève parallèlement une différenciation
de la force musculaire selon le sexe et des variations des périmètres des
membres, du périmètre thoracique et de la capacité respiratoire.
Les transformations corporelles de la puberté s’accompagnent et
déclenchent des transformations psychiques chez l’enfant qui devient
adulte par le passage de l’adolescence. Elles contribuent à la construction
de son identité personnelle, en particulier sexuelle.
2.1 Le rapport au corps
C’est l’accession à la génitalité qui va permettre à l’adolescent d’avoir une
vision totale de son corps. Chez les filles, la croissance staturo-pondérale
entraîne des modifications de la silhouette avec accumulation de graisses
sur certaines parties du corps, conduisant à s’éloigner des standards
actuels de beauté associés à la minceur. L’influence des médias est alors
importante et conduit à des standards différents selon les cultures. Les
adolescentes précoces peuvent ainsi au début se sentir fières de ce qu’elles
deviennent mais s’estimer moins séduisantes que leurs camarades du fait
de leur féminité. L’adolescent s’avère en opposition très nette avec l’enfant pour qui la préoccupation de l’image donnée est rare. Pour l’enfant,
l’autre c’est l’autorité, celui qui détient le pouvoir de le satisfaire ou non
quant à ce qui l’occupe présentement. S’il le faut il donnera à cet autre
l’image nécessaire, attendue pour obtenir de lui ce qu’il veut. Chez l’adolescent cette préoccupation de l’image qu’il donne à autrui naît plutôt de
la question identitaire : qui suis-je ? La construction de l’identité s’effectue
donc en relation avec autrui. Les pairs vont alors être considérés comme
des points de référence pour l’évaluation de soi.
2.2 La sexualité
Chez les filles, l’apparition des menstruations est certainement le signe
de l’avènement d’un nouveau statut : celui de femme. Le vécu de cette
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6 Adolescence
sexualité peut alors être négatif ou positif chez la jeune fille qui découvre
ses règles selon les informations qu’elle a préalablement reçues de son
entourage. Tout un courant d’éducation a consisté à provoquer des
découvertes horrifiées et des préoccupations angoissantes de la sexualité
chez les garçons comme chez les filles. L’adolescent éprouve alors à la
fois accablement et fierté. Par ailleurs, les filles s’orientent plutôt vers la
sentimentalité et les garçons vers l’érotisme.
Quel intérêt y a-t-il pour le praticien travaillant
auprès d’adolescents à connaître comment
se déroule la maturation pubertaire ?
D’un point de vue théorique, les transformations physiques qui surviennent
à l’adolescence constituent un processus dont l’ampleur des manifestations
suggère qu’il doit avoir un impact important sur l’organisation des conduites de
l’adolescent et sur son développement psychique. Que l’on intervienne auprès
d’adolescents comme psychologue ou qu’on cherche à développer les connaissances sur l’adolescence, il est donc nécessaire de prendre connaissance
de ce en quoi consiste la puberté. Pour le praticien, connaître la puberté lui
permettra notamment de répondre à l’adolescent sur des questions concernant
sa croissance.
Les stades du développement pubertaire chez les filles
(classification de Tanner, 1962)
1
Age osseux
(moyen-ans)
< 10,75
Pas de tissu glandulaire.
Pas de pilosité.
2
10,75
Tissu glandulaire palpable.
Quelques poils fins le long des
grandes lèvres.
3
11,75
Augmentation de la taille
des seins ; profil arrondi de
l’aréole et du mamelon.
Poils pubiens plus pigmentés.
4
12,8
Augmentation de la taille
des seins ; le mamelon est
surélevé par rapport au sein.
Poils plus durs, recouvrant le
mont de Vénus
5
14,8
Augmentation de la taille
des seins ; profil arrondi de
l’aréole et du mamelon.
Poils de type adulte, s’étendant
vers les cuisses.
Stade
Développement mammaire
Pilosité pubienne
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Psychologie du développement
Crise d’adolescence
Il s’agit de l’apparition momentanée et concomitante de multiples et labiles
processus d’adaptation, de détresse, qui peut faire parler de « crise de l’adolescence » et qui serait ainsi le témoignage, l’expression extériorisée d’un passage
laborieux, conflictualisé de l’enfance à l’âge adulte. Les attitudes paradoxales, les
retours en arrière, le développement épisodique de comportements qui contrastent
avec le comportement habituel, donnent à l’ensemble du développement de
l’adolescent une allure souvent hétérogène, en mosaïque, juxtaposant dans un
même domaine des conduites de maturité inégale. L’adolescent revient facilement à des modes d’agir ou d’être infantiles, que l’on croyait depuis longtemps
révolus, alternant avec des moments où il fait preuve au contraire d’une maturité
étonnante pour son âge. Ce mouvement d’avancées et de reculs, caractéristique
de l’adolescence, et qui a besoin d’être toléré, risque d’être stoppé ou déréglé
par des attitudes inadéquates de l’entourage.
3. Le développement cognitif
à l’adolescence
Pour Piaget, l’intelligence a pour fonction d’organiser la réalité selon des
structures dont le point de départ se situe dans des actions très concrètes
et qui trouvent leur point d’achèvement dans le raisonnement formel
de l’adolescent et de l’adulte. Piaget considère que l’intelligence est une
forme d’adaptation qui se caractérise par trois paliers d’équilibre : l’intelligence sensori-motrice ; l’intelligence opératoire concrète ; l’intelligence
formelle. À chaque niveau, des structures particulières sont élaborées et
sont en rapport avec les moyens disponibles pour appréhender le réel.
Cette mobilité va progressivement s’étendre durant l’adolescence puisque
le sujet a alors accès aux opérations formelles qui permettent l’apparition
du raisonnement hypothético-déductif.
3.1 L’intelligence formelle selon Piaget
Il s’agit pour Piaget d’un système de pensée qui se construit chez
l’enfant entre 12 et 14 ans et qui représente le stade ultime du développement cognitif. On parle alors d’opérations formelles pour établir
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une distinction avec le stade précédent, c’est-à-dire celui des opérations
concrètes où les opérations portaient uniquement sur des objets manipulables soit de manière effective soit en pensée. Il y a donc une différence
avec le stade des opérations concrètes dans le sens où les opérations
peuvent porter sur des propositions et sur des objets non spécifiques.
L’adolescent va résonner par hypothèse et va en déduire des conséquences
et va chercher à vérifier ces conséquences. Ce stade dit des opérations
formelles repose sur deux structures d’ensemble :
1. le système combinatoire : c’est le réseau logique des propositions
qui donne lieu à la capacité de combiner tous les cas possibles d’une
situation ;
2. le groupe d’Identité, Négation, Réciproque, Corrélative (INRC).
■
Le système combinatoire
Il s’agit d’une structure qui sert de pilier au raisonnement formel puisqu’il
permet d’envisager tous les cas de figure d’une situation. Le système
combinatoire est un ensemble exhaustif des permutations possibles dans
un ensemble.
Expériences de Piaget
Expérience avec des lettres
Quatre lettres sont données à un adolescent et on lui demande de réaliser
toutes les combinaisons possibles. C’est seulement au stade formel que le
sujet va pouvoir établir la liste de façon complète et pour cela, il va élaborer
une véritable stratégie qui consiste à bloquer la 1re lettre et à tester les autres.
Ce n’est qu’au fur et à mesure de l’exercice de cette fonction que l’enfant ou
l’adolescent pourra procéder par raisonnement, c’est-à-dire qu’il ne sera pas
obligé de réécrire toutes les possibilités.
Expérience sous forme de problème
Il y a une épidémie dans un village et pour la contrer, une campagne de désinfection est organisée. Le maire souhaite créer de petites équipes de travailleurs
en tenant compte de l’âge et du sexe des sujets. Il faut faire le plan de toutes
les combinaisons possibles. Le plan que l’on doit obtenir est le suivant : ➥
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Psychologie du développement
Jeune homme – Jeune femme – Viel homme – Veille femme.
Jeune homme + Jeune femme – Jeune homme + Veille femme – Jeune
femme + Veille femme – Jeune femme + Veille homme, etc.
Il y existe 16 combinaisons possibles.
La différence entre les stades concret et formel réside dans le fait que les enfants
de 7 à 11 ans réussissent seulement à construire quelques combinaisons d’événements. Ainsi, selon Piaget, le sujet au stade formel fait des opérations dites
du second degré, c’est-à-dire des opérations par rapport à d’autres opérations.
■
Le groupe d’Identité, Négation, Réciproque, Corrélative
(INRC)
Les manipulations possibles au stade formel font appel à une double
référence. La structure cognitive intègre une double réversibilité. Dès le
stade concret, les enfants réalisent ainsi sans difficultés particulières les
opérations d’identité et de négation.
Expérience : Équilibrer une balance
Les enfants du stade concret savent dire que l’on peut la déséquilibrer en
mettant un poids d’un côté et la rééquilibrer en l’enlevant, alors que ceux
du stade formel vont imaginer d’autres opérations possibles, réciproques et
corrélatives :
– Par identité, on applique à une opération initiale donnée un poids sur le
plateau d’une balance par exemple.
– La négation correspond à la simple inversion de la première opération.
– La réciprocité consiste à annuler l’effet de la première opération en modifiant
une autre variable du système.
– La corrélative correspond à l’inverse de la réciproque, c’est-à-dire que l’on
retire P’ pour revenir au déséquilibre initial.
Le groupe d’Identité, Négation, Réciproque, Corrélative (INRC) est
donc une résolution d’opérations où les effets de toutes les opérations
peuvent être contrebalancés par les effets d’une autre opération du groupe.
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6 Adolescence
Remarque : il faut noter que l’accès à la pensée formelle ne marque pas
la fin du développement de l’intelligence. Cette dernière se développe
tout au long de la vie.
Définition
3.2 La métacognition
❯ Métacognition : « Avec l’accès à la pensée formelle, les adolescents et
les adultes vont développer de nouvelles capacités notamment celle de penser
sur leur pensée : c’est la métacognition. » (Flavell, 1985).
Flavell (1985) explique que ce gain de l’indépendance par rapport au
concret ou au présent permet à la pensée de comprendre les contenus
abstraits dont elle fait elle- même partie. L’adolescent devient alors
capable de dégager des règles à partir de ces observations mais aussi de
réfléchir sur ces règles afin d’en tirer d’autres.
La conscience et la connaissance de sa propre activité mentale et de
son fonctionnement, pour l’adolescent ont des répercussions à différents
niveaux : mémoire, communication, attention, compréhension, etc. De
ce fait, les stratégies visant à maîtriser la mémoire vont devenir subtiles
et structurées. On associe les exemples et les nouveaux contenus. On
structure hiérarchiquement la planification des contenus à apprendre, on
utilise des moyens pour mettre en valeur les contenus les plus importants.
La métacognition concernant la mémoire s’exprime donc par l’utilisation de tous ces moyens mémos techniques qui aident à une meilleure
mémorisation des contenus à apprendre. Des effets de la métacognition
peuvent également être observés sur la communication dans le sens où
c’est à l’adolescence que l’enfant va prendre conscience de son potentiel
communicatif, de sa façon de présenter des informations. Le sujet va donc
élaborer un certain nombre de stratégies métacognitives afin de pallier
à ses points faibles et de mettre encore plus en valeur ses points forts.
John Hurley Flavell
(1928-) : psychologue
américain qui s’est
spécialisé dans l’étude
du développement
psychogénétique de l’enfant
et a approfondi l’analyse
de Piaget.
3.3 L’intelligence à l’adolescence
selon une approche psychométrique
Dans cette approche, à la différence de Piaget qui s’intéressait surtout
aux mécanismes responsables du développement de l’intelligence, il s’agit
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de prendre en compte l’évaluation de la capacité des sujets en termes de
capacités intellectuelles Steinberg (1985.) propose que les progrès intellectuels observés à l’adolescence concernent certaines dimensions plus
que d’autres, notamment la mémoire, la recherche d’éléments pertinents
pour répondre à une question ou résoudre un problème, la capacité de
se représenter les choses, d’opérer des transformations sur les représentations et de résoudre des problèmes complexes. À l’inverse de la théorie
piagétienne, la conception psychométrique de l’intelligence ne propose
l’existence d’aucun stade et propose de parler de différences quantitatives plutôt que qualitatives. Avec cette conception, ce qui distingue
enfants et adolescents est le potentiel d’apprentissage, la quantité et le
rendement. Le développement de l’intelligence est considéré ici comme
le développement qui évolue selon une progression graduelle sans que
l’on puisse véritablement parler de structures différentes.
4. Le développement du jugement
moral à l’adolescence
4.1 La conception piagétienne
du développement du jugement moral
Définition
En 1932 Piaget publie Le jugement moral chez l’enfant. Dans ce livre,
Piaget développe la thèse qu’il a publiée initialement en 1928 dans un
court article. Piaget y souligne un paradoxe : les enfants de moins de
7 à 8 ans appliquent mal les règles du jeu (parce qu’ils les maîtrisent
mal cognitivement, n’en comprennent pas la logique) mais ils sont
pleinement disposés à les appliquer ; alors qu’au-delà de cet âge ils les
maîtrisent intellectuellement de mieux en mieux mais sont de moins en
moins disposés à les respecter aveuglément, sans se poser de question :
ils savent que la règle n’est pas « sacrée » et qu’elle peut être discutée.
❯ Hétéronomie : du grec ancien heteros, autre et nomos, loi, ordre. Renvoie au
fait qu’un être vive selon des règles qui lui sont imposées, selon une « loi » subie.
L’hétéronomie est l’inverse de l’autonomie, où un être vit et interagit avec le reste
du monde selon sa nature propre.
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6 Adolescence
Il distingue deux types de respect :
– le respect unilatéral, typique du respect de l’enfant pour l’adulte (par
affection ou par peur de la punition), ou pour l’aîné, qui renvoie à une
contrainte morale due à la différence de statut et favorise l’hétéronomie ou morale de l’obéissance ;
– le respect mutuel, élaboré dans les relations entre enfants du même
âge, ayant donc le même statut, qui renvoie à la coopération entre les
enfants et qui favorise l’autonomie.
Trois caractéristiques du réalisme moral (hétéronomie) peuvent être
identifiées :
– le devoir moral est essentiellement hétéronome (justice immanente) ;
– application du règlement à la lettre et non pas par l’esprit ;
– conception objective de la responsabilité : peu importe l’intention,
c’est le résultat qui compte.
Pour Piaget, l’enfant de moins de 8 ans n’est pas capable de
comprendre les intentions des personnes et c’est ce qui expliquerait qu’il
n’ait pas accès au jugement moral autonome. Il en resterait à la notion
de responsabilité objective : imposée par le groupe à la conscience de
l’individu, extérieure à l’individu, c’est l’acte qui compte et non l’intention qui l’anime. Le bien et le mal seraient respectivement synonymes
d’obéissance et désobéissance. De nombreux travaux indiquent que la
compréhension des intentions d’autrui apparaît bien avant que l’enfant
entre dans sa neuvième année.
Avant 7-8 ans l’égocentrisme enfantin et la contrainte adulte sont
intimement liés, de fait lorsqu’un parent fait une demande qui n’est pas
forcément « juste », le jeune enfant a tendance à obéir (parole sacrée).
Après 8 ans la justice se dégage de l’obéissance et devient un principe
autonome. La notion de justice s’acquiert aux dépens de l’adulte, par
solidarité des enfants ligués contre les adultes. Car ils ressentent de l’injustice vis-à-vis de leurs attitudes autoritaires (sanction trop sévère, qui
tombe à faux, absence de punition méritée). C’est parce que l’enfant
est dans la coopération et le respect mutuel que la notion de justice se
développe plus facilement entre enfants égaux. Peut-être parce qu’ils ont
une pensée davantage tournée vers autrui, peut-être aussi parce qu’ils ont
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une meilleure compréhension des états mentaux d’autrui et notamment
des émotions d’autrui donc ils peuvent plus facilement comprendre ce
qu’une trahison peut engendrer sur le plan émotionnel.
4.2 La conception de Kohlberg
du développement du jugement moral
Après avoir publié Le jugement moral chez l’enfant, Piaget ne s’est plus
intéressé à la question. C’est Kohlberg qui, à partir des années 1960,
a repris et prolongé les recherches de Piaget sur ce thème. Kohlberg
s’est servi des dilemmes moraux. À la différence d’un simple dilemme
entre plusieurs moyens ou entre différentes options selon les préférences
individuelles, le dilemme moral place l’individu devant le choix d’un
jugement ou d’une action qui n’est pas sans conséquence pour autrui.
Pour Kohlberg, ce qui va dès lors être déterminant pour l’évolution
morale n’est pas l’issue choisie pour sortir du dilemme (ce que Kohlberg
appelle le contenu), mais la structure, la façon de raisonner au sujet d’un
dilemme moral.
Définition
Voir p. 187.
❯ Dilemme moral : situation, réelle ou fictive, dont l’issue pose un problème moral
de choix restreint (entre deux possibilités) sous une forme normative, pour lequel
il n’y a pas de « bonne solution ».
■
Les niveaux de la morale selon Kohlberg (1958)
Niveau 1 : prémorale ou moralité préconventionnelle
– Stade 1 : celui de « la peur du gendarme ». Obéissance à l’autorité
dans le seul but d’éviter la punition → Guidage par la punition et
l’obéissance.
– Stade 2 : celui de l’utilitarisme naïf → On reconnaît comme bon ce qui
permet de satisfaire nos besoins au meilleur compte. C’est la morale
de l’intérêt ou du « donnant-donnant ».
Niveau 2 : moralité conventionnelle et conformiste
– Stade 3 : c’est le stade « gentil petit garçon » → Se caractérise par le désir
d’être « bien vu » des personnes détentrices de l’autorité.
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6 Adolescence
– Stade 4 : c’est celui d’une moralité « légaliste ». C’est le respect de la loi
et de l’ordre. Cette moralité de la règle du consentement (qui prédomine dans presque toutes les sociétés) est maintenue par l’autorité.
Niveau 3 : moralité post-conventionnelle ou internalisation
des principes moraux
À ce niveau, l’individu accède à l’autonomie dans l’exercice du jugement moral.
– Stade 5 : c’est celui de la moralité « contractualisé », on doit obéir à la
loi mais la loi n’a rien d’intangible, ce qui compte c’est que la loi soit
juste (des droits individuels et des lois démocratiquement acceptées).
– Stade 6 : c’est celui d’une morale universaliste, c’est-à-dire que les
jugements moraux sont guidés par des principes éthiques considérés
comme universels. Ceux-ci sont de nature abstraite, relevant d’un
« idéal social » plutôt que de « réalités sociales ». Les concepts clés sont
ceux de justice, d’égalité, de dignité, de préservation de la vie… On
doit donc agir en fonction de ces principes même s’ils sont en désaccord avec les lois actuelles ou pratiques d’un pays.
Exemple : Les motivations pour obéir à une règle
ou faire une bonne action
Stade 1 : obéir pour éviter la punition.
Stade 2 : se conformer pour obtenir une récompense, des faveurs en retour.
Stade 3 : se conformer pour éviter d’être désapprouvé par les autres.
Stade 4 : se conformer pour éviter la censure de l’autorité légitime et la culpabilité
conséquente.
Stade 5 : se conformer pour sauvegarder le respect d’un spectateur impartial
jugeant en termes de bien-être commun.
Stade 6 : se conformer pour éviter l’auto condamnation.
Le modèle de Kohlberg fait appel à des activités métacognitives
(ensemble de cognition sur nos cognitions, voir plus haut) : les niveaux
distingués par Kohlberg varient par le fait qu’ils font plus ou moins appel
à l’adoption de points de vue d’autrui diversifiés, notamment d’autrui
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Psychologie du développement
généralisés. Il s’agit pleinement de penser sur les pensées de différents
protagonistes et de penser à plusieurs de ces points de vue en même temps.
Remarque : pour la période de l’adolescence, le modèle de développement du jugement moral proposé par Kohlberg est compatible avec le
modèle de développement cognitif piagétien. En effet, Kohlberg appuie
fortement sa conception sur celle de Piaget. Ce qui est central dans les
deux conceptions, c’est l’idée d’une autonomie croissante du jugement,
de la pensée, par rapport aux cadres sociaux existant dans le milieu où
vit la personne.
4.3 Autres perspectives sur le développement
moral à l’adolescence
Dans la perspective de l’apprentissage social de Bandura (1968), le
comportement moral est un comportement comme les autres, influencé
par des forces activées en fonction de conditions internes et externes.
Dans cette perspective, l’évolution morale est moins liée à l’âge et
au développement cognitif qu’à l’exposition du sujet à des modèles
adéquats. Les adultes, les parents en particulier et, à un moindre niveau,
les pairs exerceraient une influence certaine sur la moralité enfantine, car
les enfants adoptent spontanément des types de raisonnement similaires
à ceux des parents (Bègue, 1998). L’auto-renforcement serait également
primordial en ce qu’il permettrait l’intériorisation des apprentissages par
observation et, donc, la cohérence des positions prises par l’individu. Ces
perspectives ne sont cependant pas en contradiction avec les modèles
piagétiens et kohlbergiens dans la mesure où ils sont limités par un effet
plafond, qui fait que les enfants doivent avoir atteint un niveau cognitif
déterminé pour comprendre certains types de raisonnements moraux.
Une façon d’aborder le développement moral à l’adolescence consiste
à analyser les attitudes des jeunes face aux comportements déviants.
Devant le passage à l’acte, un adolescent doit prendre une décision : agir
ou s’abstenir. Plusieurs facteurs sont alors susceptibles d’influencer son
choix, dont son « jugement moral » qui peut le dissuader de passer à l’acte.
La morale correspond à ce que chaque individu considère comme le
bien et le mal. Le jugement moral est ici considéré à travers la mise en
relation entre une situation donnée et la notion de bien et de mal propre
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à chacun, qui débouche sur l’appréciation de la situation et, en conséquence, sur l’éventualité de l’action. Coslin (1999) le situe, dans cette
perspective, dans la construction active du sujet au sein de l’interaction
sociale. Michaux (1972) constate que pour beaucoup de jeunes, il y a
une confusion entre ce qui est « bien » et ce qui est permis, voire ce qui
échappe aux sanctions, et entre ce qui est « mal » et ce qui est interdit.
Quelles critiques peut-on adresser
aux travaux de Kohlberg ?
Le niveau de jugement moral est inféré de réponses déclaratives qui ne
reflètent que très indirectement la moralité des conduites de l’individu. Les
dilemmes peuvent aussi être éloignés du vécu des enfants et des adolescents.
Ce qu’on évalue ce sont avant tout des différences interindividuelles et intersituationnelles : le niveau obtenu par un individu dépend très fortement de la
nature du problème moral qui est posé. Ainsi, le niveau moyen (que l’on peut
calculer pour toute une série de problèmes) n’est que faiblement corrélé à l’âge
chronologique, par exemple pour une tranche d’âge de 10 à 15 ans. Notons
aussi qu’à l’âge adulte, la proportion d’adultes ayant atteint le denier stade de
Kohlberg est très faible.
4.4 Le développement de l’habileté
à négocier les conflits interpersonnels
Un prolongement de la perspective tracée par Piaget puis Kohlberg
réside dans le modèle de Robert Selman (1980). Ce modèle, proposé par
Selman, consiste en une succession de stades destinée à rendre compte
du développement des habiletés à résoudre les conflits interpersonnels.
II s’agit d’une séquence de « stratégies de négociation interpersonnelle »
(SNIP ), allant de la plus simple à la plus complexe, qui est susceptible
de se développer chez tout individu. Chaque niveau est défini par une
manière de coordonner la compréhension qu’une personne a des sentiments, des intentions et des pensées d’autrui avec les siens propres, afin
d’en réduire leur opposition.
Voir p. 218.
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Les différents niveaux du SNIP
Le niveau 0 de SNIP est caractérisé par les réactions physiques et impulsives aux
conflits interpersonnels.
Le niveau 1 implique la reconnaissance d’une différence de point de vue entre
autrui et soi, dans la situation présente sans que ces points de vue différents
soient mis sur le même plan et analysés conjointement en sorte de chercher
à les coordonner.
Au niveau 2, la stratégie se fonde sur une compréhension de la psychologie des
protagonistes du conflit et elle met l’accent sur la réciprocité de leurs échanges.
Elle prend en compte leurs intentions, opinions, sentiments, réflexions et comportements, ainsi que le rôle de ces facteurs psychologiques dans les manœuvres
de persuasion visant à rallier à soi un opposant.
Au niveau 3, la stratégie témoigne de la recherche d’une véritable collaboration
entre les parties en présence, de la nécessité de prendre en considération les
besoins des uns et des autres. Cette stratégie exige l’adoption d’un point de vue
distinct de ceux des protagonistes, perspective sociocognitive qui permet, grâce
au dialogue, l’élaboration de compromis et la définition de buts communs.
Pour savoir à quel niveau se situe un adolescent, Selman a construit
une série de dilemmes fictifs mettant en scène plusieurs protagonistes,
dont un auquel l’adolescent interrogé doit s’identifier. Il s’agit par
exemple d’une situation dans laquelle Tom a donné son accord à une
fille pour aller à la fête du lycée. La mère de Tom, cependant, n’aime pas
cette fille et ne veut probablement pas qu’il sorte avec elle. Dans l’entretien, le psychologue demande à l’adolescent quel est le problème, quelle
est la bonne solution pour Tom vis-à-vis de sa mère, pourquoi c’est une
bonne solution, quelles en seront les conséquences et que vont ressentir
les protagonistes.
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5. Le développement
de la représentation de soi
et de l’estime de soi
Il y a la façon dont on se juge et celle dont on croit que les autres nous
jugent. La représentation qu’un adolescent se fait de lui-même, son
besoin de s’estimer jouent un rôle primordial dans son développement
personnel. Les interrogations de l’adolescent sur ce qu’il est sont aussi des
questionnements sur sa propre valeur. Chacun éprouve un sentiment de
soi plus ou moins favorable. L’enfant se définit en faisant référence à des
caractéristiques physiques. À la fin de l’adolescence, il subit une réorganisation caractérisée par une orientation sur le plan sexuel, professionnel et
idéologique. Comme le rappelle Bariaud (1997), le temps des questionnements existentiels intervient avec les progrès sociocognitifs. L’adolescent
éprouve alors plus de difficultés à se définir que n’en éprouvent l’enfant
ou l’adulte. Ces difficultés sont liées aux processus cognitifs qui poussent
à intégrer les images de soi en une vision globale et cohérente. La perception d’une certaine instabilité de soi prive l’adolescent des repères qui
lui seraient nécessaires pour construire des représentations solides. Il se
perçoit différent d’un moment à l’autre, d’une situation à l’autre. Cette
impression de difficulté à construire une image de soi cohérente fait
partie du développement normal à l’adolescence. Ces contradictions et
ces impressions négatives s’observent plus souvent chez les filles que
chez les garçons, résultat d’une socialisation différenciée « qui conduit
les garçons à concevoir leurs rôles en différents contextes et les caractéristiques personnelles qu’ils y expriment comme plus indépendants les
uns des autres, alors qu’elle amène plutôt les filles à se vivre investies dans
un réseau de relations » (Bariaud, 1997, p. 67). Invités à se prononcer
sur leur propre évolution, les adolescents ont le plus souvent une vision
positive, pensant avoir gagné en capacités intellectuelles et en traits de
personnalité positifs et progressé en qualités émotionnelles, en habileté
à communiquer et en séduction physique. Ils estiment que leur épanouissement se poursuivra dans les années à venir.
L’estime de soi correspond à la dimension évaluative du concept de
soi, c’est-à-dire à l’ensemble des représentations dont l’individu dispose
à propos de lui-même et à l’approbation ou à la désapprobation qu’un
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sujet porte sur lui-même (Coslin, 2017). Elle désigne ce sentiment plus
ou moins favorable que chacun éprouve à l’égard de ce qu’il pense être
(Bariaud et Bourcet, 1994). Le sentiment de valeur de soi se construit
dès l’enfance sur la qualité de la relation affective avec les parents et
sur les propres réalisations du sujet. L’amour et le soutien des parents
confèrent à l’enfant cette « sécurité de base » qui lui permet d’aborder
le monde avec confiance. Ses réalisations, ses conquêtes lui permettent
d’accomplir ses désirs, de maîtriser son environnement et d’obtenir
l’approbation des autres. Les modalités relationnelles changent à l’adolescence ; mais les parents n’en conservent pas moins une place primordiale
parmi les sources de valorisation ou de dévalorisation du jeune, au côté
de nouvelles personnes significatives, adultes ou pairs (Bariaud, 1997).
Les milieux dans lesquels il évolue lui procurent réussites et échecs qui
s’avèrent essentiels dans sa progression vers la maturité. Le collège est
ainsi un terrain particulièrement propice à influer sur l’estime de soi,
dans la mesure où cette institution conduit l’adolescent à comparer ses
performances à celles de ses camarades. De plus, la réussite ou l’échec
scolaire vont jouer un rôle considérable dans l’estime de soi et peuvent
en effet conduire à de graves dérèglements du sentiment de la valeur
personnelle, que ce soit dans le sens d’une dévalorisation profonde
ou d’une exaltation de soi tout aussi désadaptante, dans la mesure où
l’estime de soi ne se maintient que si elle est équilibrée par des mécanismes régulateurs (Perron, 1991). L’estime de soi peut être attachée à la
perception que l’adolescent a de sa compétence ou de sa réussite dans
différents domaines en relation avec l’importance qu’il accorde justement à ce domaine ou de l’importance que lui accordent des êtres qui
lui sont chers. L’estime de soi est élevée si les compétences sont vécues
à un niveau égal ou supérieur à celui escompté. Faible si elles s’avèrent
pour lui nettement inférieures.
Les travaux de Rodriguez-Tomé (1972) ont montré l’évolution, lors
de l’adolescence, de concepts de personnes de plus en plus individualisées et différenciées, tant par rapport aux autres que par rapport aux
contextes et aux situations dans lesquelles elles se trouvent impliquées.
La connaissance de soi fait alors de plus en plus appel à des traits de
personnalité, des manières d’être, de faire et de penser. Parallèlement
à la connaissance de soi, se développe une connaissance différenciée
d’autrui. Comme la description de soi, la description de l’autre use de
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caractéristiques personnelles spécifiques, particulièrement différenciatrices. Ces caractéristiques portent sur les intérêts, les convictions, les
sentiments et les valeurs. Certains de ces traits sont valorisés (honnêteté,
générosité, franchise, gentillesse) ; d’autres en revanche s’avèrent dévalorisés (égoïsme, méchanceté, paresse, hypocrisie, bêtise). Il faut relever
que si leur usage augmente avec l’âge, il y a prédominance des caractères
valorisés après 14 ans, c’est-à-dire après que l’estime de soi s’est affermie.
Stratégies identitaires des jeunes
issus de l’immigration
Il existe différentes typologies des stratégies identitaires, mais la plupart s’inspirent des travaux de Camilleri (1990). Azzam Amin (2011) a réalisé une très
bonne synthèse des travaux portant sur les stratégies identitaires et les stratégies
d’acculturation. Il avance par exemple que : « La notion de conflit culturel et ses
présupposés, souvent définis en termes de perte de repères et de confusions
identificatoires chez les migrants et leurs enfants, impliquent une hiérarchisation linéaire et évolutionniste entre la culture du pays d’origine perçue comme
traditionnelle (archaïque) et la culture de la société d’accueil présentée comme
moderne (évoluée). À partir de là, le fait que le migrant tienne à sa culture d’origine pourrait être interprété comme une résistance à la société d’accueil, voire
une menace. Au contraire, accepter les valeurs présumées modernes de cette
dernière va de pair avec l’intégration. De plus, la dualité tradition-modernité
contient, en elle-même, un jugement de valeur. Lorsque l’on associe la tradition à une culture d’origine et la modernité à celle de la société d’accueil, le
réductionnisme devient évident. La notion de conflit culturel ainsi que la dualité
traditionnel-moderne sont basées sur un jugement comparatif asymétrique.
De fait, nous avons l’impression que plus la culture du sujet migrant est jugée
différente de celle de la société d’accueil, plus elle est jugée traditionnelle, et
que cette opposition systématique entre les valeurs peut engendrer, encore
une fois, des dérives ».
Azzam Amin propose également une articulation entre le modèle des stratégies
identitaires et celui des stratégies d’acculturation.
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6. Le développement des relations
à l’adolescence
Bien que l’influence familiale ne soit plus aussi importante que pendant
l’enfance, la famille joue encore un rôle primordial à l’adolescence.
C’est en son sein que se sont transmis pendant l’enfance, et se transmettent encore en partie lors de l’adolescence, bon nombre de règles et
de modèles, tant par inculcation des modes de penser, de sentir et d’agir,
que par intériorisation inconsciente à travers l’imitation de ces agents
socialisateurs privilégiés (Galland, 1991).
6.1 Les relations avec les parents
Les rapports familiaux sont le prototype des relations ultérieures. Il
n’en est pas moins vrai qu’un dépassement social de la famille s’avère
nécessaire à l’adolescence. Ce dépassement peut parfois constituer une
expérience pénible conduisant au conflit ouvert, mais se traduit beaucoup plus souvent par une expérience positive d’accession consentie et
graduelle à une autonomie sociale personnelle. Réciprocité et coopération
tendent à se substituer dans la relation parents/adolescents à l’autorité
unilatérale qui caractérisait leurs rapports pendant l’enfance. À l’adolescence, le jeune prend conscience des limites de ses parents, parallèlement
à la découverte de ses propres limites. Une bonne communication au
sein de la famille nécessite alors qu’il y ait compréhension réciproque
(Cloutier, 1996). Dans l’ensemble, les jeunes restent d’ailleurs assez bien
intégrés au sein de la famille si l’on se réfère à l’enquête nationale réalisée
par Choquet et Ledoux (1994). Pour sept adolescents sur dix, la vie familiale est agréablement vécue. Elle s’avère plutôt détendue et généralement
recherchée : 71 % des jeunes perçoivent l’intérêt de leur père et 67 % celui
de leur mère. L’ambiance familiale apparaît cependant plus positive pour
les garçons (74 %) que pour les filles (67 %). La famille apparaît ainsi pour
de nombreux jeunes, garçons et filles, comme étant un lieu d’échanges et
de discussion. Les relations au sein de la famille se modifient peu au cours
de l’adolescence sauf en ce qui concerne les sorties avec les parents qui
diminuent entre 11 et 18 ans. De même, les parents s’avèrent de moins en
moins des interlocuteurs privilégiés lorsque les adolescents grandissent,
quel que soit le domaine.
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6.2 Les relations au sein de la fratrie
L’existence de rivalités fraternelles au sein d’une famille est d’observation courante et il est normal qu’entre frères (et sœurs) existe un certain
degré d’agressivité tempérée par des sentiments mutuels d’affection. Les
relations fraternelles comportent cependant nettement plus d’aspects
positifs que d’aspects négatifs à l’adolescence. En effet, frères et sœurs
semblent s’apporter du réconfort et un soutien moral, et avoir des activités
communes, ce qui n’empêche pas les disputes. La coopération et l’entraide
restent les caractéristiques dominantes des relations fraternelles. Frères
et sœurs accèdent enfin à une relative individualité au sein de la famille,
en particulier à travers l’expérience qu’ils ont de leurs parents, mais aussi
au regard des groupes amicaux auxquels ils participent.
Certains travaux ont mis l’accent sur le rôle de l’aîné comme agent
de socialisation (Abramovitch et al., 1982). Il existe également des effets
en fonction de la dimension sexuée de la fratrie, du rang de naissance et
de l’écart d’âge. Il existe par exemple un grand sentiment de proximité
lorsque la fratrie est unisexuée avec un écart d’âge faible, que ce soit pour les
comportements prosociaux, éducatifs, d’intimité ou de compagnonnage.
Les nouvelles familles
Traditionnellement, la famille est composée d’une triade – père, mère et enfant
– dans laquelle les parents sont investis de fonctions nourricières et sociales,
se trouvant à la fois géniteurs et responsables de l’éducation de leurs enfants.
On a, depuis trente ans, observé une diminution du nombre de mariages et un
délitement progressif et rapide des structures familiales. L’absence du père,
qu’elle soit ou non physique, constitue par exemple pour l’enfant une modification notable de ses liens avec l’autorité
Le divorce
Le divorce, rappelle Bourguignon (1985), est moins un événement dans son
unicité, qu’une suite d’expériences entraînant des transitions dans la vie de
l’enfant. La séparation s’avère alors souvent la seule solution permettant aux
enfants d’échapper à des relations familiales destructrices. Cette séparation
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n’en est pas moins douloureuse, le divorce les confrontant à une triple source
d’anxiété : – le conflit parental, – la séparation qui provoque la détresse, – et les
changements de vie qui s’ensuivent, consécutifs à la situation monoparentale
ou à l’intrusion d’une tierce personne auprès du père ou de la mère. Certains
jeunes s’en tirent à moindre mal, mais ceux qui présentaient des difficultés antérieures au divorce s’adaptent difficilement aux changements qui en résultent,
et peuvent présenter des troubles émotionnels plus durables.
Les familles monoparentales
L’entrée dans une phase monoparentale est souvent le terme d’une période
de vie antérieure caractérisée par la biparentalité : tel est le cas des veufs, des
séparés, des divorcés ou de certains célibataires qui connaissent une désunion
(Coslin, 1998). Elle entraîne toujours pour le jeune une rupture dans son mode
de vie qui sera différemment vécue selon les conditions qui en sont à l’origine.
Les familles recomposées
La notion de famille recomposée rend compte d’un type d’organisation familiale. La recomposition familiale entraîne une relative fragilité des structures de
parenté, les enfants s’y retrouvant à la fois avec plusieurs « pères » ou « mères »,
avec de « fausses » fratries et avec plusieurs « grands-parents », les uns légaux,
les autres non. L’ambivalence qui en résulte et l’anomie des réseaux familiaux
peuvent conduire à une confusion des relations familiales et à des difficultés
de différenciation des places généalogiques.
Les familles homoparentales
Depuis les années 1970, de nombreuses études ont été consacrées à cette
thématique par les psychiatres et les psychologues américains (Patterson,
1995). Trois dimensions sont abordées dans leurs travaux : – l’intégration
sociale des enfants de familles homoparentales, – le développement de
leur identité sexuelle, – et leur développement personnel. Il semblerait selon
Dubreuil (1998) que les rares études relatives à l’insertion sociale ne font
pas ressortir d’anormalité particulière dans les relations entretenues par ces
enfants avec leurs pairs. De plus, ils ne seraient pas plus souvent victimes que
les autres enfants de maltraitance ou d’abus sexuels et ne s’en distingueraient
pas par leur niveau intellectuel ou leur jugement moral, leur conscience de soi.
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6.3 Les relations amicales à l’adolescence
La plupart des adolescents s’intéressent aux autres jeunes. L’adolescence
ouvre aussi une ère nouvelle de sociabilité : celle de l’amitié. Pour se trouver
lui-même, l’adolescent cherche de nouveaux modèles chez ses pairs. Il est
souvent persuadé que ses parents ne le comprennent pas, ne peuvent le
comprendre dans sa singularité ; il se sent malheureux et désinvesti de
leur amour, projetant ses propres sentiments et subissant également un
éventuel retour de sa propre agressivité. Ses nouvelles activités hors du
champ familial, ses nouvelles rencontres, ses multiples et interminables
discussions sont propices à la création de relations amicales. L’amitié
permet à l’adolescent de se reconstruire, de se restructurer après les bouleversements qu’il a subis. Les amis, avec leur qualité d’écoute, leur présence,
leur compréhension et leur disponibilité, vont apporter au jeune l’étayage
qu’il ne trouve plus chez ses parents. L’amitié est un sentiment réciproque
d’affection et de sympathie. Elle implique une nécessaire complémentarité
entre deux personnes mais aussi une certaine ressemblance. L’adolescent
cherche alors un double de lui-même, un alter ego qui participera à la
réussite de cette quête identitaire qui se fait en soi-même et en autrui
(Rodriguez-Tomé, 1972). Les amitiés adolescentes possèdent un certain
nombre de caractéristiques particulières : l’intimité, la sensibilité, le degré
de similitude ou de complémentarité et la stabilité (Berndt, 1982 ; Mallet,
1997). L’intimité, c’est la connaissance profonde de l’autre (sa personnalité, ses inquiétudes, ses angoisses, ce qui fait sa vie). Les amis adolescents
renforcent leur estime de soi à travers ce que leur renvoie l’autre.
6.4 Les relations amoureuses à l’adolescence
La vie amoureuse des adolescents s’inscrit dans le contexte global de leur
quête identitaire. L’amour préoccupe tous les jeunes, garçons et filles.
Comme le remarque Claes (2003), les amours adolescentes sont le lieu
d’émergence d’émotions nouvelles, les affects liés à ces relations constituant une part essentielle de la vie émotionnelle des jeunes. Ces relations,
qui sont sources d’émotions et d’expériences intenses, peuvent également
provoquer des sentiments de détresse, de souffrance, de jalousie et de
désespoir. Après la puberté, les pulsions sexuelles conduisent l’adolescent
à rechercher un partenaire, généralement du sexe opposé, qui devient
sa figure d’attachement centrale, prenant la place du parent désinvesti,
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mais il y a de grandes similitudes entre les liens unissant un couple et
ceux qui reliaient le bébé à sa mère, tant en ce qui concerne la proximité
du contact corporel, l’affection exprimée par des baisers et des caresses,
l’attention mutuelle aux besoins de l’autre, que la capacité partagée
de répondre adéquatement à ces besoins. Il existe toutefois quelques
différences essentielles : alors que les relations unissant les parents et
l’enfant sont asymétriques, les rapports amoureux sont symétriques et
réciproques, chacun servant de figure centrale d’attachement à l’autre.
En outre, le désir sexuel a un rôle primordial dans le choix du partenaire
amoureux et la sexualité entretient la force du lien.
Les relations virtuelles
Le développement des nouvelles technologies a bouleversé les habitudes sociales.
Les adolescents se connectent de plus en plus pour chatter, Internet devenant
le moyen de communication préféré des jeunes, ce qui conduit à une nouvelle
forme de rapports interpersonnels : les relations virtuelles que les jeunes apprécient
pour leur discrétion, leur interactivité et leur convivialité. Un jeune peut y nouer
des rapports tout en gardant secrète son identité, le virtuel servant en quelque
sorte de tremplin avant d’entamer des relations réelles. Mais ces relations, si
elles perdurent, peuvent avoir des répercussions négatives dans la mesure où
elles accentuent l’introversion et peuvent même conduire à l’addiction. Certes,
ces nouvelles technologies offrent une ouverture sur le monde comme l’on n’en
avait jamais connue, mais elles enferment nombre de jeunes dans la solitude ou
la dépendance, mêlant étroitement et rendant confuses les connexions virtuelles et
les effets réels. L’addiction communicationnelle s’exprime par des longues heures
passées en connexion, l’image de ces cyberdépendants étant celle de personnes
ayant des difficultés de communication, une notion spatio-temporelle (et du réel)
altérée, et cherchant sans cesse un moyen pour exprimer leur mal de vivre.
Cf. Pierre G. Coslin,
Psychologie de l’adolescent,
Armand Colin 5e éd. 2017,
pp. 117-142
Voir Chapitre 3.
7. La scolarité à l’adolescence
Dès l’entrée au collège, l’enfant devient capable d’abstractions et, comme le
montre Piaget (1955), accède à la pensée formelle, hypothético-déductive .
Cet accès à l’abstraction n’est pas toujours facile, et les difficultés peuvent
entraîner un manque d’attention, voire un manque d’intérêt pour l’école.
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Du point de vue psychomoteur, l’intensité des transformations corporelles entraîne une évolution du schéma corporel et de l’image du corps et
un bouleversement de la représentation de l’espace et du contrôle tonicomoteur qui retentit sur la scolarité tant en ce qui concerne l’exécution des
tâches (écriture, travaux manuels, appropriation de l’espace), que leur
compréhension. Le désir d’autonomie et d’indépendance par rapport à la
famille facilite l’exploration de champs d’intérêt personnels et l’identification à un auteur, à une idéologie, voire à une discipline par l’intermédiaire
d’un enseignant. Certains jeunes réussissent leur adaptation au collège et
obtiennent de bons résultats. D’autres rencontrent des difficultés plus ou
moins marquées. L’échec scolaire implique en réalité la non-adéquation
du niveau d’acquisitions d’un enfant par rapport aux objectifs définis par
les programmes correspondant à son âge.
Absences, justifiées ou non, et retards, occasionnels ou exceptionnels,
s’avèrent des comportements fréquents à l’adolescence. La régularité de
ces conduites, bien que plus rare, ne s’en avère pas moins conséquente.
Il y a ainsi chaque année des milliers de jeunes qui abandonnent leurs
études sans avoir terminé le cycle engagé, parfois même alors qu’ils n’ont
pas atteint cet âge de 16 ans qui marque la fin de l’instruction obligatoire.
Chercher à mieux comprendre les processus de décrochage scolaire peut
se faire en prenant deux points de vue différents mais complémentaires
en termes d’explication (Coslin, 2017). Le premier s’intéresse à la genèse
de l’échec scolaire et au processus conduisant de cet échec à la déscolarisation. Le second point de vue considère la déscolarisation comme
résultant d’une conjonction de facteurs. Il faut alors prendre en compte
les principaux éléments de l’histoire familiale de ces jeunes, leur éventuelle trajectoire migratoire, leur histoire scolaire et les caractéristiques de
leur sociabilité enfantine et adolescente, à l’école et en dehors de l’école.
Comme le rappelle Huteau (1995), les intentions d’avenir exprimées
par les adolescents diffèrent sensiblement selon que l’on s’adresse à des
garçons ou à des filles. Ainsi, dans les baccalauréats de l’enseignement
général, 45 % des jeunes inscrits dans la filière S sont des filles alors
qu’elles sont 65 % dans la fière ES et 82 % dans la filière L. De même, en
ce qui concerne les métiers choisis, les professions d’électricien, de mécanicien, d’ingénieur ou d’informaticien sont typiquement masculines,
tandis que d’autres s’avèrent féminines : secrétaire, professeur d’école,
comptable, etc.
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8. Les principaux troubles
du comportement à l’adolescence
Plusieurs questions majeures de santé publique concernent de près la
population adolescente :
– interruptions de scolarisation très préjudiciables à cet âge,
– tentatives de suicide et, dans une moindre fréquence, suicides aboutis,
– consommations de produits illicites,
– prises de risque avec leurs conséquences en terme d’accidents de
circulation surtout,
– tout ce qui touche à la violence, qu’elle soit subie ou agie.
Le suicide est dans la majorité des pays européens la 2e cause de mortalité après les accidents de circulation pour la tranche d’âge des 15-24 ans.
À eux seuls, les suicides aboutis représentent 15 % de la mortalité.
Les jeunes et la drogue
« Selon les résultats de l’enquête ESCAPAD réalisée en 2008, depuis huit ans,
les niveaux d’expérimentation des produits psychoactifs illicites hors cannabis
ont augmenté. Quatre groupes de produits se distinguent :
– le premier comprend la cocaïne et les amphétamines, en hausses continues
et parallèles depuis 2000, les expérimentations avoisinant aujourd’hui 3 % ;
– le deuxième réunit l’ecstasy et les champignons hallucinogènes, en légère
baisse depuis 2005 ;
– le troisième regroupe le LSD, l’héroïne, le crack, le subutex®, le GHB, la
kétamine, dont les niveaux croissent, bien qu’inférieurs ou proches de 1 % ;
– le dernier rassemble les inhalants, augmentant en dents de scie depuis 2005
et le poppers dont l’expérimentation a connu une hausse conséquente au cours
des dernières années. »
Souce : P. Coslin, 2017, p. 277-278.
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6 Adolescence
La consommation de substances illicites commence généralement
à l’adolescence et constitue souvent une situation à risque. Si tous les
consommateurs ne répondent pas aux critères de la dépendance, le risque
d’une dépendance aux produits à l’âge adulte est d’autant plus fort que la
consommation a commencé pendant l’adolescence. Le risque de dépendance ultérieure diminue à mesure que le début de la consommation du
sujet est plus tardif. Il y aurait donc un lien entre consommation abusive
ou dépendance à l’âge adulte et début de consommation à l’adolescence :
si tous les adolescents consommateurs ne deviennent pas toxicomanes,
la grande majorité des adultes consommateurs abusifs ou toxicomanes
ont débuté leur consommation abusive dès l’adolescence : plus on les
repère tôt, mieux on peut espérer les soigner.
La mortalité par accidents représente presque la moitié (48.6 %) des
causes décès chez les 15-24 ans et vient largement en tête de toutes les
autres causes. La morbidité est très élevée, puisque 51 % des garçons et
36 % des filles déclarent avoir eu au moins un accident ; certes, il s’agit
dans la majorité des cas d’un accident bénin, mais le taux de répétition
est important. 28 % des jeunes ayant eu un accident présenteront une
récidive dans l’année suivante (8 % chez les non-accidentés). Parmi ceux
qui ont plusieurs accidents, le taux de répétition est de 62 %. Les études
de cas et les enquêtes prospectives montrent que les adolescents ayant
eu un accident de circulation diffèrent déjà sensiblement des jeunes qui
ont eu un accident de sport (situation heureusement la plus fréquente) et
des jeunes tout venant, mais que cette différence est encore plus grande
dans le cas de récidives d’accidents (taux de dépression, d’anxiété significativement supérieur).
Souvent, les mots violence et adolescence sont associés, en particulier
dans les médias. Dans l’enquête Baromètre Santé Jeune, 8 % des adolescents (12.2 % des garçons, 3.5 % des filles) reconnaissent avoir eu un
comportement violent au cours des 12 mois précédents. Dans les statistiques produites par le ministère de la Justice, on a constaté, de 1998
à 2001, une augmentation des conduites violentes, aussi bien contre les
objets (vandalisme, saccage, destruction, incendies volontaires : + 20 %)
que contre les personnes (racket : + 34 % ; coups et blessures : + 25 % ;
agressions sexuelles : les mineurs représentent 18 % des individus mis
en cause). Les conduites agressives, violentes ou sous forme de passages
à l’acte plus « ordinaires » (fugues, bagarres, cris et injures, crises de
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nerf…) sont surtout le fait des jeunes adolescents, dans la tranche des
12-15 ans. Ces conduites tendent à diminuer de fréquence avec l’âge.
Elles concernent principalement les « collégiens », ce qui explique en
grande partie les difficultés rencontrées par les établissements scolaires
qui accueillent les jeunes de cette tranche d’âge. Mais il ne faut pas
oublier que, de façon tout aussi constante, les adolescents eux-mêmes
sont victimes de violence familiale ou extrafamiliale. 10 % des filles, 2 %
des garçons ont été victimes d’abus sexuels, 10,3 % des garçons, 5,3 % des
filles ont été victimes de violence physique dans les 12 mois précédents.
Le lien entre violence subie et violence agie est particulièrement fort ;
sans aller jusqu’à dire que tout adolescent violent a été dans son enfance
ou dans son adolescence lui-même victime de violence, force est de
reconnaître que cette affirmation est d’autant plus fondée que l’acte ou
la violence commise est grave et répété. Ces mises en acte sont diversifiées
allant des colères aux agressions d’autrui, aux fugues, aux suicides ou à la
consommation de drogues, certaines s’avérant franchement délictueuses,
d’autres plus banales illustrant le tableau de la crise identitaire (Coslin,
2000). Il faut prendre en compte que l’adolescence peut être perçue par
l’adolescent comme une violence interne déferlant soudain, sans qu’il
sache de quoi il s’agit et sans qu’il ait pu la prévoir (Courtecuisse, 1996).
La recherche de sensation à l’adolescence
La recherche de sensation (Zuckerman, 1994) est l’une des dimensions symptômes
de l’intolérance à l’ennui, du besoin d’expériences nouvelles, de la désinhibition
et de la recherche de dangers et d’aventures. Ces conduites impliquent un risque
vital objectif et la recherche répétée d’états émotionnels intenses associés à ce
danger. Il s’ensuit chez certains jeunes une accentuation progressive des comportements dits à risque (overdose, ivresse, maigreur anorexique, vitesse en moto,
sports de l’extrême, etc.).
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6 Adolescence
À RETENIR
nnSi le début de l’adolescence a été nettement défini par le critère biologique (début
de la puberté), c’est le critère social qui détermine le plus clairement la fin de
l’adolescence : – soit sur le plan familial : vivre en couple, se marier, devenir parent ;
– soit sur le plan civique : devenir majeur et électeur ; – soit sur le plan économique :
être autonome financièrement, exercer une activité suffisamment rémunératrice.
nnLa puberté retentit sur la croissance en accélérant et en intensifiant ses manifesta-
tions. Ces transformations sont également liées au développement sexuel. Outre la
fatigabilité et une relative fragilité générale, elles se manifestent à travers l’image du
corps, l’image de soi et l’expérience subjective des transformations pubertaires.
nnL’adolescent est capable de s’interroger sur ses modes de fonctionnement. Cette
nouvelle capacité est favorisée par le fait que l’adolescence est une période où
l’on a recours à l’introspection, c’est-à-dire que l’adolescent passe beaucoup de
temps ou en tout cas plus qu’avant à réfléchir sur ses émotions, sur son avenir,
sur ses relations aux autres.
nnLe soutien parental, l’affection témoignée par ses proches, l’approbation qu’ils lui
manifestent dans ses actions, participent hautement à l’estime que se porte l’individu. L’environnement social s’élargissant considérablement lors de l’adolescence,
l’estime de soi trouve d’autres supports, non pas substitutifs mais complémentaires, chez ses pairs et chez d’autres adultes significatifs, les enseignants.
POUR ALLER PLUS LOIN
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NOTIONS CLÉS
n Crise
d’adolescence
n Développement
moral
n Estime de soi
n Identité
n Métacognition
n Prises de risque
n Puberté
n Scolarité,
orientation
n Sexualité
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Psychologie du développement
ENTRAÎNEMENT
Exercice 1
Imaginez que vous entrepreniez d’étudier l’impact de la maturation pubertaire
sur l’initiation des conduites de flirt à l’adolescence. Quelles variables pubertaires
choisiriez-vous de prendre en compte, pour les garçons et pour les filles ?
Exercice 2
Sur la base de l’exemple de Heinz présenté ci-dessous, essayez d’imaginer les
justifications données pour les deux solutions (laisser mourir sa femme ou voler
le pharmacien) selon chaque stade de la théorie de Kohlberg.
Exemples de dilemmes utilisés par Kohlberg
(dans une version adaptée du D.I.T. de Rest, 1979
par Henri Lehalle)
Heinz et le médicament
Dans un pays étranger, une femme est sur le point de mourir d’une forme particulière
de cancer. D’après les médecins, un seul médicament pourrait peut-être la sauver.
C’est une sorte de radium qu’un chimiste du même pays vient tout juste de découvrir.
Le médicament est très cher à fabriquer, mais le chimiste le vend dix fois le prix de
fabrication. Une petite dose de médicament revient à 300 euros et le chimiste la vend
3 000 euros. Le mari de la femme malade, M. Heinz, cherche à emprunter de l’argent
auprès de ses amis mais il ne peut réunir que 1 500 euros, c’est-à-dire la moitié de
la somme. Alors, il va voir le chimiste pour lui dire que sa femme va mourir et lui
demander une réduction du prix ou encore la possibilité de payer plus tard. Mais le
chimiste répond : « Non, c’est moi qui ai découvert ce médicament et je veux gagner de
l’argent avec cette découverte ». Alors, M. Heinz, complètement désespéré, commence
à penser qu’il pourrait cambrioler le laboratoire du chimiste et voler le médicament qui
pourrait sauver sa femme.
M. Heinz devrait-il voler le médicament ou laisser mourir sa femme ?
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6 Adolescence
Exercice 3
En vous référant au modèle de stratégies de négociation interpersonnelle de Selman
(1980), indiquez à quel niveau se situe chacun des protagonistes de la scène décrite
ci-dessous.
Aurélien, Grégoire, Justine et Mathilde ont l’habitude de passer leur samedi après-midi
ensemble. Ils discutent pour savoir ce qu’ils vont faire de leur prochain samedi après-midi.
– Aurélien propose d’aller faire du roller. On est assis toute la semaine en classe, cela
fait du bien de se dépenser physiquement, argumente-il.
– Et puis c’est sympa, on rencontre du monde, ajoute Grégoire.
– Et on n’en a pas fait depuis plusieurs semaines, remarque encore Aurélien.
– Justine propose de consacrer cet après-midi à une activité qui rapporte de l’argent
pour une activité caritative, en faveur d’une maladie grave pour laquelle la télévision se
mobilise chaque année. Cela n’a lieu qu’une fois par an et c’est précisément en cette
fin de semaine.
– Mathilde fait observer que c’est aussi une manière de rencontrer du monde. Et c’est
sans aucun doute une bonne cause, car elle a vu un reportage à la télé sur la maladie
en question, qui l’a vraiment émue. On interviewait des enfants atteints par la maladie
et elle a ressenti ce que ça devait être quand on découvre, étant enfant, qu’on a cette
maladie, et ce que ça doit faire quand on est la maman d’un enfant qui a cette maladie.
– Grégoire lui dit que ce n’est pas parce que ça l’a émue que c’est une bonne cause.
La bonne cause, si on est logique, c’est une cause efficace. Cette collecte existe depuis
des années et la maladie continue. On peut donc douter de son efficacité.
– C’est forcément une bonne cause puisque le ministre de la Santé la soutient, rétorque
Justine. Et puis l’efficacité ça se mesure à la quantité d’argent récolté et cette année on
battra peut-être le record de l’année dernière.
– Mathilde avance l’idée de proposer aux organisateurs de récolter de l’argent en faisant
du roller ou de faire une performance en rollers qui attire l’attention, comme ça, dit-elle,
on se dépenserait physiquement et en même temps on ferait quelque chose de bien pour
toutes ces personnes qui souffrent, même si on ne guérit pas la maladie.
– Aurélien n’est pas d’accord, il veut pouvoir patiner librement, sans les contraintes que
tout cela entraînerait.
– Grégoire propose que ceux qui veulent patiner fassent du roller et que ceux qui préfèrent
consacrer leur après-midi à récolter de l’argent pour la bonne cause le fassent. Et on
organisera quelque chose tous les quatre ensemble le samedi suivant.
Exercice 4
Quel est l’intérêt des concepts et analyses proposés par Piaget à propos de
l’adolescence pour les professionnels intervenant auprès d’adolescents (éducation,
enseignement, évaluation psychologique, soins et autres modes d’intervention
psychologique…) ? Quelles en sont les limites ?
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CORRIGÉS
Chapitre 1
Exercice 1
1c – 2a – 3c – 4a. – 5a – 6b – 7c – 8b – 9b – 10c – 11c
Exercice 2
Éléments de réponse : voir p. 19.
Certains chercheurs comme le biologiste Ernst Haeckel (1834-1919) s’inspirent de la théorie de
l’évolution de Darwin pour proposer une loi biogénétique en 1874 (éditée en 1877), selon laquelle
l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. En d’autres termes, le développement embryologique répète,
au cours de son développement, de façon abrégée et accélérée, les transformations subies par l’espèce. L’étude du développement de l’enfant peut donc contribuer à la connaissance de l’évolution
des espèces. Certains psychologues du développement se sont inspiré des recherches des biologistes
pour étayer leurs théories et ont cherché des parallèles entre les développements ontogénétique et
phylogénétique.
Chapitre 2
Exercice 1
Fragment 1 : 1.
Fragment 2 : 4.
Fragment 3: 2.
Exercice 2
Rire – taper – crier – embrasser – tirer les cheveux – mordre – imiter – jouer.
Il est possible ensuite de regrouper ces comportements en catégories, comme par exemple les comportements agonistiques versus les comportements affiliatifs.
Exercice 3
Procédure d’habituation par exemple. On présente pendant la phase d’habituation un visage de femme,
puis lorsque le critère d’habituation est atteint, on présente dans une deuxième phase de manière
alternée un nouveau visage et le visage vu précédemment. Si on observe des temps de regard différents entre les deux c’est que l’enfant fait la différence.
Chapitre 3
1a et 1d – 2 c – 3 a, b., c – 4 b, c – 5a, c, d. – 6 a, d – 7 b, c – 8 b, c.
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Psychologie du développement
Chapitre 4
Questions ouvertes
1.
Le développement moteur et perceptif constitue une boucle appelée boucle
perception-action ou boucle sensori-motrice puisque des changements dans
un domaine entraînent obligatoirement des changements dans l’autre. Ainsi, le
développement moteur ne peut être étudié qu’à travers l’influence sensorielle
et de la même façon les changements perceptifs ne peuvent être évalués sans
tenir compte des changements moteurs.
2.
Deux critiques au protocole expérimental de Paulus, Hunnius, Vissers et
Bekkering (2011) : (1) les mains en l’air n’est pas une situation habituelle pour
les enfants et ne veut pas forcément dire que les mains sont libres et (2) les
mains posées sur des balles ne représentent pas forcément une situation où les
mains sont occupées puisque ce n’est pas clair que les balles sont maintenues
par les mains.
Proposition de protocole expérimental : montrer au préalable aux bébés que les
balles tombent si elles ne sont pas maintenues par les mains et ensuite montrer
que les mains posées sur elles sont réellement occupées à les maintenir. De plus
il faudra appliquer la théorie de la résonance motrice sur d’autres tâches.
3.
Le pointage apparaît vers l’âge de 9 mois. Le pointage a trois fonctions : déclarative pour diriger l’attention d’un individu vers un objet d’intérêt et impératif pour
tenter d’obtenir un objet à travers l’adulte. Il existe une troisième fonction au
pointage qui est impérative et qui permet aux bébés de donner des informations
aux adultes quant à la localisation d’un objet par exemple.
4.
Les premières formes d’humour apparaissent vers l’âge de 8 mois (Reddy, 2001)
et consistent à une répétition délibérée d’actions qui font rire l’entourage.
5.
L’humour a au moins deux fonctions : une fonction de communication et une
fonction d’apprentissage.
Quizz
1d – 2 a, b – 3 a, b. – 4 b – 5 a.
Chapitre 5
1b puis a puis c. – 2b – 3c – 4a – 5b.
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Corrigés
Chapitre 6
Exercice 1
Un rationnel facile à argumenter consiste à se centrer sur les variables qui ont le plus
de visibilité sociale dans les interactions entre pairs. Il s’agira de savoir où l’adolescent,
quel que soit son sexe, en est de sa poussée de croissance staturale, de sa mue de
la voix, où les filles en sont du développement des seins et les garçons de la pilosité
faciale. Une idée à faire passer ici est qu’il n’y a pas d’indices de la maturation pubertaire absolument meilleurs que d’autres, mais que cela dépend d’abord de l’objet –
psychologique – que l’on étudie et aussi des possibilités d’évaluation dont on dispose.
Exercice 2
Les dilemmes moraux de Kohlberg n’engagent pas de simples choix d’actions ou d’options mais placent le sujet devant le choix d’un jugement ou d’une action qui n’est pas
sans conséquence pour autrui. Pour Kohlberg, ce n’est pas l’issue choisie pour sortir
du dilemme qui est déterminante pour l’évolution morale mais la façon de raisonner
à propos du dilemme puisqu’on peut choisir une même issue au dilemme pour des
raisons différentes. Ce sont les arguments qui priment et non la solution choisie.
Heinz doit laisser mourir sa femme
Stade 1 : parce que sinon les gendarmes vont le mettre en prison
Stade 2 : parce qu’ainsi il pourra se trouver une autre femme
Stade 3 : parce que ses collègues ne l’accepteraient pas en voleur
Stade 4 : parce que le vol est interdit par la loi
Stade 5 : parce que le droit de propriété est à la base des législations démocratiques
Stade 6 : parce que le droit de propriété est un principe universel
Heinz doit voler le pharmacien
Stade 1 : parce que sinon Dieu/ou sa belle-famille le punirait de laisser mourir sa
femme
Stade 2 : parce qu’il veut que sa femme puisse encore lui faire à manger
Stade 3 : parce que ses collègues n’accepteraient pas son manque d’égard vis-à-vis
de sa femme/sera vu comme un sauveur
Stade 4 : parce que la non-assistance à personne en danger est punissable par la loi
Stade 5 : parce que la santé est un principe de bien-être/ou démocratique
Stade 6 : parce que le droit à la vie est un principe universel.
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Psychologie du développement
Exercice 3
Aurélien : niveau 1 (centré sur ses désirs, avec des justifications qui se limitent à sa
propre perspective).
Justine : niveau 1 (idem).
Mathilde : niveau 3 (adopte les points de vue des deux principaux protagonistes, analyse leurs motivations et aussi le point de vue de la bonne cause).
Grégoire : niveau 2 (se représente bien les deux points de vue, mais sans accorder
beaucoup de poids aux sentiments et arguments des différents protagonistes, avec
peu de coordination entre les points de vue et sentiments des uns et des autres).
Exercice 4 : pistes de réponse
Intérêts
Le modèle de développement du « sujet épistémique » que Piaget propose pour
l’adolescence, en dépit des critiques qu’il mérite, continue après un demi-siècle de
« services » à être utilisé. Piaget, plus que ses prédécesseurs, a systématisé et proposé
une explication en termes de processus logiques, étayée par de nombreuses observations rigoureuses. D’autres auteurs ont prolongé ce travail, mais dans ce registre,
les concepts et les analyses de Piaget, qui rendent compte d’un très grand nombre
d’expériences sur l’environnement physique, continuent de faire partie des instruments
pouvant être utiles. On peut souligner ici que la théorie piagétienne a cette grande
qualité de ne pas ramener toute difficulté de l’adolescent à des expériences de l’enfance ou des « blocages » affectifs. Elle offre des pistes pour définir sur quel matériel
il convient de faire agir tel adolescent, quelles catégories de problèmes il convient de
lui poser, si l’on veut lui faciliter la construction de nouvelles coordinations, compte
tenu des schèmes dont il dispose.
Limites
L’analyse piagétienne est tellement centrée sur le fonctionnement cognitif de l’adolescent qu’elle ne peut suffire à comprendre la personne de l’adolescent dans son milieu.
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Crédits photographiques
pages 12, 36, 108, 164, 202
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