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D’où venait-on ? Du Moyen-Âge et de son dispositif de compagnonnage dans lequel l’observation et le
mimétisme alimentaient un parcours de formation très initiatique qui se concluait par la réalisation du
chef d’œuvre dont la perfection allait de pair avec le caractère unique. Encore pratiquée de nos jours, cette
formation alimente bien des fantasmes dans l’inconscient collectif mais son déclin au dix-septième et au
dix-huitième siècles provient de son incapacité à s’adapter au développement d’une société industrielle et
bourgeoise qui repose sur l’accumulation du capital et la parcellisation des tâches seule garante d’une
production en série, voire en masse. Quand le but devient la saturation du marché par un produit
standardisé, la formation est tenue de suivre et de s’adapter : il lui faut calquer son organisation sur celle
des entreprises et substituer au temps long et incertain d’un apprentissage soucieux du véritable « zéro
défaut » une découpe arbitraire qui repose sur des années, des mois, des semaines, des jours et des heures.
L’enseignement catholique et plus particulièrement Jean-Baptiste de La Salle (Lelièvre & Nique, 1994,
p. 112-117) ont contribué au développement d’un enseignement rationnel et conforme au développement
économique et social : c’est ainsi qu’il faut comprendre la mise en place de la première « école normale »
à Reims en 1684 et le système de l’enseignement simultané avec la création de la classe en 1685. Comme
toujours, ces deux moments ont été préparés par une montée en puissance progressive et il ne convient de
s’y référer que pour donner du sens à des révolutions issues d’évolutions. Autre symbole : l’interdiction
des corporations par une loi de 1791 confirme que la liberté d’entreprendre devient la garante de la
concurrence. Les conduites herméneutiques qui permettaient de réserver les professions à un cercle
d’initiés doivent céder la place à une philosophie issue des Lumières : ce qui se conçoit clairement doit
pouvoir être transmis et mis en œuvre universellement.
Où allait-on ? Les ruptures ont été nombreuses. Le mode de formation a lui-même évolué : autant le
compagnonnage suppose l’observation, avec sa part de lenteur et de difficulté dans l’interprétation des
gestes de métier, même si les compagnons et leurs maîtres n’ont pas renoncé à la parole, autant la
formation transmissive recourt au mode expositif et au langage. Mais le dialogue n’est pas pour autant à
l’ordre du jour. Il s’agit de se situer dans une posture d’écoute puis d’application. Un tel système réclame
une évaluation fondée sur la note, la moyenne et le classement (Barbier, 1984). La fin du 20
ème
siècle se
traduit par un transfert de la formation des enseignants dans les universités, mouvement observable dans
toute la francophonie et dans les pays de l’OCDE (Tardif, Lessard & Gautier, 1998). La lente montée de
l’universitarisation de la formation (Étienne et al., 2009) impose de facto l’adoption d’un nouveau modèle
qui considère les enseignants comme des professionnels capables d’analyser leur action afin de
l’améliorer (Jorro, 2002).
L’analyse des situations dans une perspective de progrès personnel et collectif qui vise un mieux-
vivre et un mieux-agir ensemble
Schön (1983, 1987 & 1991) et le « tournant réflexif » (Tardif, Borges & Malo, 2012) sont passés par là. Il
est facile aujourd’hui de retracer la rapidité avec laquelle le modèle du « praticien réflexif » s’est répandu
dans le monde entier.
Il est aussi opportun de signaler que bien d’autres ont contribué à mettre en exergue cette méta-
compétence que constitue la réflexivité. Ce sont des pédagogues comme Freinet : « Ainsi, et il convient
de le souligner, tant cela a été rarement évoqué à propos de la pédagogie Freinet, les deux piliers de
l’apprentissage sont le faire et la distance réflexive au faire. » (Reuter, 2007, p. 23). Mais il y a deux
autres auteurs qui ont fait de la réflexion et de la réflexivité : Dewey, dont Agostini (2007) résume ainsi le
projet « J. Dewey distingue tout d'abord le " principe de continuité ". Cette " continuité " désigne la
volonté d'établir un lien entre l'expérience privée de l'enfant et son expérience scolaire. Pour J. Dewey,
l'école doit devenir le lieu où l'enfant apprend à réfléchir sur ses propres expériences, à se les approprier
et à les mettre au profit d'un engagement plus conscient. Cette contextualisation de l'apprentissage n'est
d'ailleurs pas sans rappeler la pédagogie de Paolo Freire » et Piaget développe le concept de
« réfléchissement » (1974a ; 1974b).
Outre ces précurseurs assez injustement sous-estimés, il y a toute une tradition européenne totalement
absente du livre de Tardif, Borges et Malo (2012) : l’école anglaise qui a donné naissance aux différentes
théories et méthodes d’analyse des pratiques. C’est pourtant à la Tavistock Clinic que Michaël Balint