La ceinture de Kuiper

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La ceinture
de Kuiper
JANE LUU • DAVID JEWITT
Au-delà des orbites de Pluton et de Neptune, un
anneau de petits objets ceinture le Système solaire.
près la découverte de Pluton, en 1930, les astronomes ont cherché une
éventuelle dixième planète autour du Soleil. Ils pensaient que cette mystérieuse «Planète X» était trop lointaine pour être observée à l’aide de télescopes, mais les perfectionnements de l’optique astronomique, dans les
décennies qui suivirent, n’ont pas permis de trouver ce corps. À la fin des années
1980, la plupart des astronomes acceptaient l’idée d’un Système solaire composé seulement des neuf planètes familières.
Cette conception changea en 1992, lorsque nous identifiâmes un corps
céleste de quelques centaines de kilomètres de diamètre, plus éloigné du
Soleil que toutes les planètes connues. Depuis, on a recensé une trentaine de
corps analogues, en orbite au-delà de Pluton et de Neptune (comme leurs
orbites se croisent, elles se disputent la palme de planète la plus éloignée du
Soleil) dans le Système solaire externe. Ces objets, dont nous n’avons vraisemblablement découvert qu’une petite partie, constituent la ceinture de Kuiper, ainsi nommée en hommage à l’astronome Gerard Kuiper qui, dès 1951,
en avait supposé l’existence.
Kuiper forgea sa conviction en observant le comportement de comètes. Ces
noyaux de glace et de poussière, de quelques kilomètres de diamètre, quittent
régulièrement le Système solaire externe et s’approchent du Soleil. Des poussières et du gaz, arrachés à leur surface par le rayonnement solaire, forment
alors des halos lumineux et des traînées lumineuses allongées.
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1. LES CONFINS DU SYSTÈME SOLAIRE contiennent de la matière dans un état voisin de
celui qui prévalait lorsque les planètes se sont formées. En ces temps reculés, Pluton
(avant-plan) aurait capturé son satellite, Charon (à droite) et expulsé un troisième corps
(en haut, à gauche) dans l’espace. La région aurait alors été remplie de poussières et
encombrée d’objets accrétés dans de la ceinture de Kuiper en formation.
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CEINTURE DE KUIPER
JUPITER
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2. LA GRAVITÉ DES PLANÈTES a balayé les petits objets à l’intérieur de l’orbite de Neptune lors des premières phases du Système solaire.
Certains de ces objets ont plongé vers le Soleil ; d’autres ont filé vers le lointain nuage de Oort (non représenté).
Depuis longtemps, les astronomes
ont compris que ces comètes actives
sont de jeunes membres du Système
solaire interne. La comète de Halley,
qui revient tous les 76 ans, perd un dixmillième de sa masse à chaque pas-
sage près du Soleil. Elle survivra pendant 10 000 orbites environ, soit un
peu plus d’un demi-million d’années.
Aujourd’hui, les comètes, formées en
même temps que le Système solaire,
voici 4,5 milliards d’années, devraient
donc avoir perdu tous leurs éléments
volatils, ne laissant que des noyaux
rocheux inactifs ou des nuages diffus
de poussières. Pourquoi tant de
comètes nous offrent-elles alors ces
spectacles enchanteurs?
Fil d’Ariane
SOLEIL
NEPTUNE
100 UNITÉS ASTRONOMIQUES
3. D’INNOMBRABLES OBJETS appartenant à la ceinture de Kuiper sont en orbite autour du
Soleil, à grande distance de lui, mais ces objets ne sont pas tous visibles de la Terre. Les
objets qui peuvent être détectés (cercles rouges) à l’aide du télescope de 2,2 mètres de
diamètre sur le Mauna Kea, à Hawaii, se concentrent près du bord interne de l’anneau, comme
le montre cette simulation numérique de la répartition de la matière lointaine.
66
PLS – Page 66
Les comètes qui sont aujourd’hui actives naquirent quand le Système solaire
était encore dans l’enfance. Depuis,
elles sont restées «au frais» dans un
«réfrigérateur céleste» nommé nuage
de Oort, dans le Système solaire
externe. L’astronome hollandais Jan
Oort proposa en 1950 l’existence de
cette sphère de matière cométaire
contenant des centaines de milliards
de comètes ; il pensait que son diamètre atteignait 100 000 unités astronomiques (l’unité astronomique, ou
UA , est définie comme la distance
moyenne entre la Terre et le Soleil, soit
150 millions de kilomètres environ).
Selon Oort, les perturbations gravitationnelles des étoiles qui passent à
proximité du Système solaire dévient
parfois certaines comètes du nuage de
leurs orbites stables vers des orbites
qui s’approchent du Soleil : ces
comètes inactives depuis des milliards
d’années s’évaporeront en quelques
millions d’années dans le Système
solaire interne.
Cette théorie explique la taille et
l’orientation des orbites des comètes
à longue période (celles qui tournent
autour du Soleil en plus de 200 ans).
Conformément à ce que l’on attend
de comètes émanant d’un réservoir
sphérique comme le nuage de Oort, les
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astronomes observent que ces comètes
pénètrent dans le Système solaire
interne en provenance de toutes les
directions. En revanche, la théorie de
Oort n’explique pas l’origine des
comètes à courte période qui parcourent des orbites plus petites, faiblement
inclinées par rapport au plan de l’orbite terrestre (le plan de l’écliptique).
La plupart des astronomes pensaient que les comètes à courte période
étaient initialement des comètes à
longue période dont les orbites auraient
été raccourcies et aplaties par les perturbations gravitationnelles des planètes – principalement Jupiter.
Cependant, tous les scientifiques ne
souscrivaient pas à cette idée. Dès 1949,
l’autodidacte irlandais Kenneth Essex
Edgeworth écrivit un article où il proposait l’existence d’une ceinture aplatie de comètes dans le Système solaire
externe. Kuiper, dans son article de
1951, envisagea aussi cette ceinture
de comètes, sans mentionner le travail
antérieur d’Edgeworth.
Pour Kuiper, le disque du Système solaire ne s’arrêtait pas brusquement à l’orbite de Neptune ou de
Pluton. Il imaginait au contraire une
ceinture au-delà de ces planètes, constituée de matière résiduelle de la formation des planètes. La densité de
matière devait y être si faible que de
grosses planètes n’auraient pu s’y
agglomérer, mais des objets plus petits,
de la taille d’astéroïdes, pouvaient exister. Éloignés du Soleil, ces vestiges de
matière primordiale conserveraient des
températures superficielles basses ;
ils pourraient donc se composer de
glace et de gaz gelés, comme les noyaux
des comètes.
La théorie de Kuiper resta méconnue jusqu’à ce que Paul Joss, de l’Institut de technologie du Massachusetts,
calcule, dans les années 1970, que la
faible probabilité de capture gravitationnelle par Jupiter n’était pas compatible avec le grand nombre de
comètes à courte période observées.
Comme personne ne put confirmer ses
calculs, le nuage de Oort demeura la
source admise de toutes les comètes,
qu’elles soient à période longue ou
courte, mais le doute était semé. En
1988, les Canadiens Martin Duncan,
Thomas Quinn et Scott Tremaine utilisèrent des simulations numériques
pour étudier comment les planètes
gazeuses géantes captaient des
comètes. Tout comme P. Joss, ils conclurent que le mécanisme de capture était
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peu efficace. Leurs travaux montrèrent également que les rares comètes
qui pouvaient être extraites du nuage
de Oort par l’attraction gravitationnelle des planètes avaient des orbites
très inclinées par rapport au plan de
l’écliptique.
Pour ces astrophysiciens, les
comètes à courte période ne provenaient pas du nuage de Oort, mais de
la capture, par les planètes, d’objets
présents dans un anneau situé dans
le Système solaire externe ; les orbites
de ces comètes à courte période étaient
originellement peu inclinées par rapport à l’écliptique. Toutefois, pour que
les calculs soient plus rapides, ils
avaient multiplié les masses des planètes par 40. Cet artifice de calcul, qui
accroissait l’attraction gravitationnelle
des planètes, fut critiqué par les astrophysiciens, qui doutèrent des résultats.
La récompense
de l’observation
Dès 1987, nous avons commencé une
campagne d’observations pour savoir
si le Système solaire était réellement
vide au-delà de l’orbite de Pluton ou
s’il était peuplé de petits corps froids.
Pour recueillir la faible lumière réfléchie par des astres aussi lointains, nous
avons abandonné les classiques
plaques photographiques et avons utilisé des détecteurs électroniques à transfert de charge (CCD), plus sensibles,
installés sur un grand télescope.
SATURNE
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QB1
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20 UNITÉS ASTRONOMIQUES
↓
↓
4. DES IMAGES successives, prises en 1992 (au milieu et en bas), dévoilent, sur le fond
des étoiles fixes, l’objet QB1 qui appartient à la ceinture de Kuiper. Cette paire d’images ne
couvre qu’une petite portion du champ complet (en haut, à droite) que les auteurs ont dû
analyser avant d’identifier QB1 (flèches) et de déterminer son orbite (en haut, à gauche).
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Nous avons effectué la majeure partie de notre étude au télescope de 2,2
mètres de diamètre d’Hawaii, au sommet du Mauna Kea. À l’aide d’un
détecteur CCD couplé à ce télescope,
nous avons pris des séries de quatre
images d’une région du ciel. Chaque
image était exposée pendant 15
minutes, et un ordinateur affichait la
séquence des quatre images en une
succession rapide. Les objets qui se
déplacent légèrement d’une image sur
l’autre par rapport aux étoiles en
arrière-plan sont des membres du Système solaire.
Durant cinq ans, nous n’avons rien
trouvé, mais nous avons eu tant d’occasions de perfectionner nos équipements et notre technique de clignotement que nous avons conservé notre
enthousiasme initial (à défaut du financement). Mais, le 30 août 1992, alors que
nous prenions la troisième image d’une
séquence de quatre et que nous faisions
défiler les deux premières images sur
l’ordinateur, nous remarquâmes un
La dynamique des petits corps
en France, deux groupes de recherche sont particulièrement
actifs dans l’étude de la ceinture de Kuiper : l’un au Bureau des longiAtudesujourd’hui,
à Paris et l’autre à l’Observatoire de la Côte-d’Azur.
Au Bureau des longitudes, François Colas, Pierre Drossart, Laurent
Jorda et Jean Lecacheux envisagent plusieurs méthodes de détection de
nouveaux objets. La première consiste à utiliser le télescope de 55 centimètres
du pic du Midi, équipé de capteurs CCD. Ce télescope aura ainsi un champ
de un degré carré et une magnitude limite de 23 (à titre de comparaison, les
étoiles les plus faibles visibles à l’œil nu ont une magnitude de 5 ou 6). Bien
que la magnitude limite soit modeste (le téléscope spatial à une magnitude
limite de 29 : il peut détecter des objets un million de fois plus faible), le champ
de recherche couvert sera très grand et le temps d’observation alloué
important. On peut donc espérer découvrir des classes d’objets intermédiaires
entre Pluton et les corps de la ceinture de Kuiper actuellement connus. Cette
équipe explore l’ensemble de la voûte céleste, sans se restreindre à l’écliptique, comme le font les autres observateurs. Le deuxième projet de recherche
envisage d’utiliser l’équipement de la mission EROS 2 (à l’Observatoire
européen austral du Chili) conçue pour la recherche des lentilles gravitationnelles en direction du centre galactique, pendant les deux à quatre semaines
par an où le centre galactique n’est pas observable. Un troisième projet utilisera le téléscope de 3,60 mètres de diamètre d’Hawaï, ce qui permettrait
d’atteindre, pour un champ de un degré carré, une magnitude limite de 25
à 26. On détectera alors des objets 100 à 1 000 fois moins lumineux que ceux
qui sont visibles dans le téléscope du pic du Midi. Ce projet ambitieux devrait
trouver de nombreux objets de la ceinture de Kuiper.
À l’Observatoire de la Côte-d’Azur, Fabrice Thomas, Michelle Moons et
moi étudions mathématiquement l’évolution orbitale des objets de la ceinture de Kuiper. Nos premiers résultats donnent la structure dynamique de la
ceinture ; dans la partie interne (moins de 42 unités astronomiques), les résonances avec Neptune sont les seules régions stables, alors que dans la partie
externe, presque toutes les orbites sont stables, du moins à excentricité et inclinaison faibles. Ce résultat est en accord avec le fait que tous les objets découverts au-delà de Neptune et de demi-grand axe inférieur à 42 unités
astronomiques se répartissent sans exception dans les résonances 4/3, 3/2
ou 5/4. Par ailleurs, tous les objets découverts au-delà de 42 unités astronomiques semblent ne pas être associés à une résonance spécifique. Aujourd’hui,
nous étudions les régions de la ceinture de Kuiper d’où les objets peuvent
s’échapper seulement au bout de quatre à cinq milliards d’années, réservoir
probable des comètes à courte période : celles-ci ont dû s’échapper récemment
de la ceinture de Kuiper (dans les derniers millions d’années écoulés) après
s’y être formés quelques milliards d’années auparavant.
Alessandro MORBIDELLI,
Observatoire de la Côte-d’Azur
68
PLS – Page 68
léger déplacement de la position d’une
«étoile» faible entre les deux premières
images! Le mouvement, quoique léger,
semblait réel, et la comparaison des
deux premières images avec la troisième nous confirma que nous avions
trouvé quelque chose de peu ordinaire.
Le mouvement lent à travers le ciel indiquait que l’objet découvert pouvait être
au-delà de l’orbite de Pluton. Des
mesures ultérieures confirmèrent que
l’objet n’était pas un astéroïde qui se
déplaçait parallèlement à la ligne de
visée ; il s’agissait d’un corps situé audelà de l’orbite de Pluton.
Les deux nuits suivantes, nous
avons à nouveau observé cet objet
étrange et obtenu des mesures précises
de ses positions, de sa luminosité et
de sa couleur. Ces données furent transmises à l’Union astronomique internationale, qui calcula que l’objet que
nous avions découvert, nommé 1992
QB 1, tournait autour du Soleil à la
distance considérable de 40 unités
astronomiques. C’était à peine moins
loin que ce que nous avions supposé.
QB1 réfléchit une lumière plus rouge
que la lumière qu’il reçoit du Soleil. Un
seul autre objet du Système solaire possède une couleur semblable : c’est
l’astéroïde 5145 Pholus, dont la couleur
rouge provient probablement de
matière sombre, riche en carbone. Nous
avons été très intéressés, au cours des
jours qui suivirent notre découverte,
d’observer la similitude de 5145 Pholus et de QB1. Ce dernier était-il seulement enveloppé d’une matière rouge,
riche en composés organiques? Quelle
était sa taille? Nos premières mesures
indiquaient un diamètre de 200 à 250
kilomètres, soit environ 15 fois la dimension du noyau de la comète de Halley.
Même après la découverte de QB1,
quelques astronomes continuèrent à
douter de l’existence d’objets dans le
Système solaire externe, mais, en mars
1993, nous découvrîmes un deuxième
objet, aussi éloigné du Soleil que QB1.
Ce nouveau corps se trouve à l’extrémité opposée du Système solaire. Au
cours des trois dernières années,
d’autres groupes d’astronomes ont participé à la quête et, à ce jour, la famille
des objets transneptuniens de la ceinture de Kuiper compte 32 membres.
Les membres connus de la ceinture
de Kuiper ont plusieurs caractéristiques
communes. Par exemple, tous se situent
au-delà de l’orbite de Neptune : le bord
interne de la ceinture serait défini par
cette planète. Tous ces nouveaux corps
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célestes parcourent des orbites peu
inclinées par rapport à l’écliptique,
observation qui corrobore l’hypothèse
de l’existence d’un anneau aplati de
comètes. Avec des diamètres compris
entre 100 et 400 kilomètres, ces 32 objets
sont beaucoup plus petits que Pluton
(2 300 kilomètres de diamètre) et que
son satellite Charon (1 100 kilomètres
de diamètre).
L’échantillon actuel est encore assez
petit, mais le nombre de nouveaux corps
découverts suffit à établir l’existence de
la ceinture de Kuiper. Nous estimons
qu’elle contient au moins 35 000 objets
d’un diamètre supérieur à 100 kilomètres. Sa masse totale atteint donc probablement plusieurs centaines de fois
celle de la ceinture d’astéroïdes située
entre les orbites de Mars et de Jupiter.
Un réfrigérateur
de comètes
La ceinture de Kuiper est-elle vraiment
à l’origine des comètes à courte période?
À l’aide de simulations numériques,
Matthew Holman et Jack Wisdom, de
l’Institut de technologie du Massachusetts, montrèrent qu’en 100 000 ans les
perturbations gravitationnelles des planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) éjectent des comètes
présentes dans leur voisinage, aux
confins du Système solaire. Cependant,
même après 4,5 milliards d’années, une
grande partie des comètes transneptuniennes demeurent dans la ceinture.
Ainsi, les objets de la ceinture de Kuiper situés à plus de 40 unités astronomiques du Soleil sont probablement sur
des orbites stables depuis la formation
du Système solaire.
Comme la ceinture de Kuiper est
suffisamment massive, elle constitue
2060 CHIRON
SOLEIL
SATURNE
URANUS
NEPTUNE
20 UNITÉS ASTRONOMIQUES
5. LE CORPS CÉLESTE 2060 CHIRON semble avoir glissé de la ceinture de Kuiper à son orbite actuelle (à gauche). La faible lueur qui nimbe
cet astre (à droite) apparente cet objet à d’autres corps «actifs», comme la comète Peltier (ci-dessus).
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0
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35
40
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DEMI GRAND AXE (EN UNITÉS ASTRONOMIQUES)
50
6. DE NOMBREUX OBJETS DE LA CEINTURE DE KUIPER ont des orbites «résonantes». Les orbites
sont décrites par l’excentricité (l’écart par rapport à la circularité) et le demi-grand axe (flèche
rouge, en haut, à gauche). Comme Pluton, près de la moitié des corps connus de la ceinture de
Kuiper (points rouges) tournent deux fois autour du Soleil pendant que Neptune effectue trois
révolutions : c’est une résonance 3/2. L’objet 1995 DA2 occupe une orbite caractérisée par
une autre résonance. Ce phénomène refléterait l’évolution primordiale du Système solaire, quand
de nombreux petits corps furent éjectés et que les planètes principales s’éloignèrent du Soleil.
Lors de ces mouvements d’éloignement, Neptune pourrait avoir verrouillé Pluton et une variété
d’objets plus petits sur les orbites résonantes que l’on observe aujourd’hui.
un bon réservoir de comètes. Le mécanisme de transfert hors de ce réservoir est maintenant bien compris : les
forces gravitationnelles exercées par
Neptune érodent lentement le bord
interne de la ceinture de Kuiper, expédiant des objets de cette zone vers le
Système solaire interne. Beaucoup de
ces corps se consument en comètes.
Certains, telle la comète ShoemakerLevy 9, qui percuta Jupiter en juillet
1994, terminent leur existence par
une collision avec une planète ou
avec le Soleil. D’autres sont pris dans
une fronde gravitationnelle qui les projette dans l’espace interstellaire.
Si la ceinture de Kuiper est la source
des comètes à courte période, peuton trouver des comètes qui proviendraient spécifiquement de cette
ceinture? Les Centaures, un groupe
d’objets comprenant 5145 Pholus,
seraient de telles comètes. Les Centaures parcourent de vastes orbites
instables, qui croisent celles des planètes. Ils subsistent parmi les planètes géantes quelques millions
d’années seulement avant que les interactions gravitationnelles ne les éjectent
du Système solaire ou ne les transfèrent sur des orbites plus petites.
Les Centaures ne peuvent s’être formés là où ils se trouvent aujourd’hui,
car leurs temps de vie avant éjection du
Système solaire sont bien inférieurs à
l’âge de celui-ci. Toutefois, la nature de
leurs orbites ne permet pas de connaître
70
PLS – Page 70
leur origine avec certitude. Le réservoir
le plus proche (et le plus probable) est
la ceinture de Kuiper. Les Centaures
constitueraient donc des «comètes de
transition», des objets qui appartenaient
à la ceinture de Kuiper, en route pour
une vie courte, mais spectaculaire dans
le Système solaire interne. Un Centaure
particulier, 2060 Chiron, fournit l’indice le plus convaincant en faveur de
cette hypothèse : ses découvreurs
l’avaient considéré comme un astéroïde
inhabituel, mais on sait aujourd’hui que
2060 Chiron est une comète active, nimbée d’un halo faible, mais persistant.
La ceinture de Kuiper pourrait-elle
fournir autre chose que des comètes?
Est-ce une coïncidence si Pluton, son
satellite Charon et le satellite neptunien
Triton, objets analogues, se trouvent à
proximité de la ceinture de Kuiper?
Un étrange trio
Les densités de Pluton et de Triton, par
exemple, sont bien supérieures à celles
des planètes gazeuses géantes du Système solaire externe. Les orbites de ces
corps sont également assez étranges.
Triton tourne autour de Neptune dans
le sens rétrograde, c’est-à-dire inverse
de celui du mouvement orbital de
toutes les planètes et de la majorité des
satellites. L’orbite de Pluton, très inclinée par rapport à l’écliptique, est si
allongée qu’elle coupe celle de Neptune. Pluton échappe cependant à toute
collision avec Neptune, en raison d’une
relation orbitale particulière nommée
résonance 3/2 : lorsque Neptune effectue trois révolutions autour du Soleil,
Pluton en accomplit deux.
On comprend le mystère céleste si
l’on admet que Pluton, Charon et Triton sont les survivants d’un ensemble,
jadis plus vaste, d’objets de tailles similaires. Neptune aurait extrait ces trois
corps de la ceinture de Kuiper, capturant Triton et verrouillant Pluton – peutêtre avec Charon dans son sillage –
dans sa résonance orbitale actuelle.
Les objets découverts dans la ceinture de Kuiper ont des résonances orbitales particulières : la moitié d’entre
eux ont la même résonance 3/2 que
Pluton et, comme la planète, ils parcourent leur orbite pendant des milliards d’années sans avoir de rencontres
proches avec Neptune. Nous avons
surnommé Plutinos («petits Plutons»)
les objets de ce type, dans la ceinture
de Kuiper. Compte tenu de la faible
portion de ciel examinée, nous estimons que plusieurs milliers de Plutinos ont un diamètre de taille supérieure
à 100 kilomètres.
Les découvertes récentes d’objets
dans l’anneau de Kuiper donnent une
nouvelle compréhension du Système
solaire externe. Pluton ne semble aujourd’hui particulier que parce qu’il est plus
grand que tous les autres membres de
la ceinture de Kuiper. On peut même se
demander si Pluton mérite le statut de
planète à part entière? Paradoxalement,
une étude qui commença par la
recherche d’une dixième planète pourrait ramener à huit le nombre des planètes de notre Système solaire.
Jane LUU est astronome à l’Université Harvard et David JEWITT est astronome à l’Université d’Hawaii.
M. D UNCAN , T. Q UINN et S. T RE MAINE , The Origin of Short Period
Comets, in Astrophysical Journal, vol. 328,
pp. L69-L73, 15 mai 1988.
J. LUU, The Kuiper Belt Objects, in Asteroids, Comets, Meteors 1993, sous la
direction de A. Milani, M. Di Martino et A. Cellino, Kluwer Academic
Publishers, 1993.
D. JEWITT et J. LUU, The Solar System
beyond Neptune, in Astronomical Journal,
vol. 109, n° 4, pp. 1867-1876, avril 1995.
R. MALHOTRA, The Origin of Pluto’s
Orbit: Implications for the Solar System
beyond Neptune, in Astronomical Journal, vol. 110, pp. 420-429, juillet 1995.
© POUR LA SCIENCE - N° 225 JUILLET 1996
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