Cahiers d'économie politique
La formation des prix sur « le marché du blé » selon A. Marshall
Daniel Diatkine
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Diatkine Daniel. La formation des prix sur « le marché du blé » selon A. Marshall. In: Cahiers d'économie politique, n°7, 1982.
La formation des prix dans la pensée non-classique. pp. 67-92;
doi : https://doi.org/10.3406/cep.1982.954
https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1982_num_7_1_954
Fichier pdf généré le 17/05/2018
LA
FORMATION
DU
PRIX
SUR
«
LE
MARCHÉ
DU
BLÉ
»
SELON
A.
MARSHALL
(équilibre
d'ultra-courte
période)
par
Daniel
DIATKINE
Nous
nous
proposons
d'étudier
le
mécanisme
de
formation
des
prix mis
au
point
par
A.
Marshall
dans
le
cadre
limité
de
l'ultra-
courte
période*.
Cette
question
est
traitée
dans
le
chapitre
2
du
livre
V
des
Principles
of
Economies
(*),
sous
la
forme
de
l'étude
du
marché
du
blé.
L'équilibre
atteint
sur
ce
marché
est
qualifié
de
«
temporaire
»
(temporary),
au
sens
de
transitoire.
Cette terminologie
prêterait
à
confusion
de
nos
jours,
dans
la
mesure
elle
est
réservée
à
l'étude
des
processus
d'enchaînements
de
période
en
période
(au
sens
donné
par
Hicks
dans
Valeur
et
Capital),
ce
qui
n'est
pas
le
cas
ici.
Cette
étude
se
borne
donc à
l'examen
du
premier
maillon
de
l'analyse
marshallienne
et
ceci
la
justifie,
nous
semble-t-il
:
en
effet,
d'une
part,
c'est
dans
ce
contexte
que
les
comparaisons
avec
les
autres
théoriciens
néo-classiques
de
l'échange
sont
les
plus
commodes
à
effectuer,
d'autre
part
Marshall
nous
indique
lui-même,
à
plusieurs
reprises
qu'il
ne
saurait
exister
de
solution
de
continuité
(Natura
non
facit
saltum)
entre
les
différents
équilibres
(d'ultra-courte, de
courte
ou
de
longue
période).
Par
conséquent,
certains
des
résultats
de
cette
étude
pourront
être
appliqués
sans
difficulté
à
l'étude
générale
de
la
formation
des
prix
dans
les
Principes
de
Marshall.
1.
Un
marché
très
performant
Nous
allons
le
voir,
le
marché étudié par
Marshall
dans
le
chapitre
2
du
livre
V
des
Principes
est
extraordinairement
performant,
*
Je
désire
remercier
MM.
les
Prs
A.
Barrère
et
C.
Benetti
ainsi
que
les
participants
du
ceref
et
M.
P.
Ewenczyk
pour
leurs
précieuses
remarques
et
critiques
lors
de
l'élaboration
de
la
version
définitive.
Il
va
de
soi
que
les
erreurs
et
les
imprécisions
de
ce
texte
m'incombent
entièrement.
(x)
L'édition
à
laquelle
nous nous
référerons
est
toujours
la
neuvième
(1961),
qui
contient
deux
volumes.
Le
premier
est
la
réédition
intégrale
de
la
8e
édition,
la
dernière
publiée
du
vivant
de
Marshall
en
1920,
le
second
contenant
les
index
et
variorum,
publiés
par
les
soins
de
G.
W.
Guillebaud.
Une
grande
partie
de
ce
qui
suit
doit
beaucoup
à
ce
deuxième
volume.
Cahiers
d'Economie
Politique,
a"
7
68
Daniel
Diatkine
eu égard
à
nos
connaissances
actuelles
de
la
théorie
de
la
formation
des
prix.
Pour
étudier
ce
point,
nous allons
commencer
par
suivre
l'ordre
d'exposition
de
Marshall.
Selon
son
habitude,
Marshall
nous
prend
par
la
main
pour
nous
conduire
(ou
feindre
de
nous
conduire)
de
l'apparemment
le
plus
simple
au
plus
complexe.
C'est pourquoi
le
chapitre
(intitulé
«
Equilibre
temporaire
de
l'offre
et
de la
demande
»)
commence
par
un
exemple
déconcertant
:
celui «
du
petit
garçon
qui
cueille
des
mûres
pour
son propre
usage
»
et
qui
parvient
à
équilibrer
«
ses
désirs
et
ses
efforts
».
Dans
un
deuxième
temps,
on
passe
tout
« naturellement »
au
cas
du
troc,
pour
signaler
que
«
quand
deux
coureurs
des
bois
troquent
un
fusil
contre
un
canoë,
il
existe rarement
quelque
chose
qui
puisse
être
appelé
à
proprement
parler un
équilibre
:
il
existe
probablement
une
marge
de
satisfaction des
deux
côtés,
car
probablement
l'un
d'entre
eux aurait
donné
quelque
chose
en
plus
du
fusil
s'il
n'avait
pu
obtenir
le
canoë
autrement, tandis
que
l'autre
aurait
donné
quelque
chose
en
plus
du
canoë
pour
le
fusil
»
(2).
Cette
citation
pourrait
faire
croire
que
ce
qui
est
en
cause
ici
(dans
le
cadre
du
troc) ce
n'est
même
pas
la
question
classique
de
la
double
coïncidence
des besoins,
mais
plus
trivialement
le
caractère
d'indivisibilité
des
fusils
et
des
canoës.
Tout
laisse
à
croire,
semble-t-il,
que
si
les
deux
hommes
des
bois
échangeaient
de
l'
eau-de-vie
contre
des
céréales,
la
question
de l'atteinte
d'un
«
équilibre
à
proprement
parler
»
ne
se
poserait pas.
Ceci
étant,
Marshall
ne
s'attarde pas
outre
mesure
sur
le
cas
du
troc,
et
après
avoir
consacré
quelques
lignes
au
cas
des
«
peintures
des
vieux
maîtres
»,
etc.,
dont
le
marché
est
stabilisé
par
les
marchands,
il
en
arrive
«
aux
transactions
ordinaires de
la
vie
moderne
»,
c'est-à-dire
au
marché
du
blé
d'une
ville
de
campagne.
Ce
marché
voit,
comme
il
se
doit,
se
confronter
deux
courbes
d'offre
et
de
demande,
qui
sont
les
traditionnelles
courbes
représentant
les
quantités
que
les
offreurs
veulent
bien céder
à
un
prix
donné,
et,
réciproquement,
ce
que
les
acheteurs
veulent
bien
prendre
à
un
prix
donné.
Ce
qui
nous
donne
le
tableau
bien
connu
:
Les
vendeurs
voudront
Les
acheteurs
voudront
Au
prix
de
vendre
acheter
37
shillings
1
000
quarters
600
quarters
36
700
700
O3
Ov/vi
j\}\J
'
(2)
Principes,
vol.
1,
p.
332.
Le
marché
du
blé
69
Jusqu'ici,
on
ne trouve rien
de
plus
chez
Marshall
que
ce
que
l'on
trouve
chez
n'importe
quel
auteur
néo-classique
de
la
fin
du
xixe
siècle;
l'équilibre
unique
et
stable
est
déterminé
par
l'intersection
des
courbes
d'offre
et
de
demande;
l'originalité
de
Marshall
vient
ensuite
:
«
Bien
sûr,
certains
de
ceux
qui
accepteront
vraiment
de
prendre
36
shillings
plutôt
que
de
quitter
le
marché
sans vendre,
ne montreront
pas
tout
de
suite
qu'ils
sont
prêts
à
accepter
ce
prix.
Et
de
la
même
façon,
les
acheteurs
vont
feindre,
et
prétendre
ne
pas
être
aussi
désireux
d'acheter
qu'ils
le
sont en
réalité.
»
Le
prix
va
donc
varier
en
fonction
du
marchandage
mais
«
il
est
presque
sûr
qu'il
atteindra
environ
36
shillings
à
la
fin
du
marché
».
Un
lecteur
pourrait s'attendre
à
la
description
d'un
processus
de
tâtonnement,
'mais
il
n'en
est
rien.
Des
transactions
effectives
ont
lieu,
et
à
des
prix
gui
ne
sont
pas
les
prix
d^
équilibre
:
«
II
n'est
pas
nécessaire,
en réalité,
pour
notre
argument,
qu'aucun
transacteur
ait
une
complète
connaissance
des
circonstances
du
marché.
De
nombreux
acheteurs
peuvent
peut-être sous-estimer
la
volonté de
vendre
des
vendeurs...
et
ainsi
500
quarters
peuvent
être
vendus
avant
que
le
prix
ne
descende
en
dessous
de
37
shillings.
»
Une
attitude
symétrique,
bien
entendu,
peut
être
constatée
du
côté
des
vendeurs,
mais
dans
tous
les
cas
:
«
Le
marché
se
fermera
pro-
bablement
sur
le
prix
de 36
shillings
et
sur
la
vente
totale
de
700
quarters.
»
Cette dernière proposition
peut
surprendre,
puisque
Marshall
affirme
tranquillement
que
non
seulement
le
prix
d'équilibre
sera
atteint
quelles
que
soient
les
transactions
à
des prix
hors
équilibre
qui
aient
pu
être
effectuées,
mais
aussi
que
les
quantités
de
blé
d'équilibre
seront
tout de
même
effectivement
échangées.
C'est
en
ces
deux
points
que
réside
l'originalité,
et
l'intérêt
du
marché
de
blé
marshal-
lien.
Il
est
en
effet
surprenant
qu'à
la
différence
de
ses
contemporains
Walras
et
Edgeworth,
M
arshall
se
soit
refusé
à
émettre
des
hypothèses
interdisant
des
transactions
à
prix
hors
équilibre.
Mais
ceci,
d'un
certain
côté,
est
parfaitement cohérent
avec
l'ensemble
de son
projet,
consistant
à
considérer
que
tout prix
effectif
peut
être
considéré
comme
un
prix
de
déséquilibre
selon
la
période
prise
en
compte.
Mais
d'un
autre
côté
ce
dont
nous nous
occupons
présentement,
c'est
précisément
ce
qui,
dans
l'optique
de
Walras,
par
exemple,
est
l'équilibre dans
le
cadre
d'une
pure
économie
d'échange.
Il
est
donc
intéressant
de
s'interroger
sur
la
façon
dont
Marshall
affronte
la
difficulté
évitée
par
Walras
et
Edgeworth,
l'un avec
le
modèle
du
commissaire-priseur,
l'autre
avec
l'hypothèse
du
«
recontract
»,
qui
l'une
et
l'autre
ont
ceci
de
commun
qu'elles
interdisent
des
échanges
effectifs
avant
que
le
point
d'équilibre
soit
atteint.
La
raison
de
cette
limitation
réside
dans
le
fait
que
les
courbes
d'offre
et
de
demande
sont
construites
en
supposant
qu'à
chaque
prix
(subjectif)
envisagé
les
offreurs
et
les
demandeurs
associent
des
quan-
70
Daniel
Diatkine
tités
sur
la
base
de
V
hypothèse
que
tel
sera
bien
le
prix
adopté
par
le
marché.
C'est
d'ailleurs
exactement ainsi
qu'a
procédé
Marshall
lorsqu'il
a
construit
ses
courbes
d'offre
et
de
demande
:
«
La
quantité
que
chaque
fermier,
ou
autre
vendeur,
offre
à
la
vente
à
chaque
prix
est
gouvernée
par
son
propre
besoin
de
monnaie,
et
par
son
calcul
des
conditions
présentes
et
futures
du
marché
auquel
il
est
confronté
»
(3).
Or
des
transactions
hors
de
l'équilibre
ont
toute
chance
d'invalider
la
construction
d'une
pareille
courbe
puisqu'elles
remettent
en
cause
l'hypothèse
sur
laquelle
elle
est
construite.
Un
raisonnement
analogue
conduit évidemment
aux
mêmes
conclusions
lorsque
l'on
raisonne
du
côté
de
la
demande.
2.
La
solution
de
Marshall
Marshall
explicite
en toutes
lettres
l'hypothèse
qui
est
sous-jacente
à
son
raisonnement.
Il
s'agit
de
la
célèbre
hypothèse
de
la
constance
de
l'utilité
marginale
de
la
monnaie
:
«
II
existe
dans
cette
illustration
une
hypothèse
sous-jacente
qui
est
conforme
aux
conditions
effectives
de la
plupart
des
marchés
»...
«
Nous
avons
tacitement
supposé
que
la
somme
que
les
acheteurs
voulaient
recevoir,
pour
le
septcentième
quarter
ne serait
pas
affectée
par
la
question
de
savoir
si
les
premières
négociations
avaient
été
effectuées
à
un
prix
plus
bas ou
plus
élevé.
Nous
avons
admis
que
le
besoin
de
blé
des
acheteurs
(l'utilité
marginale
du
blé)
diminuait
quand
la
quantité
achetée
croissait.
Mais
nous
n'avons
pas
supposé
un
changement
appréciable
dans
leur
volonté
de
se
dessaisir
de
la
monnaie
(l'utilité
marginale
de
la
monnaie)
;
nous avons
supposé
que
celle-ci
resterait
pratiquement
la
même,
quoique
les
premiers
paiements
aient
été
effectués
à
des prix
élevés
ou
faibles
»
(4).
Or
la
portée
exacte
de
cette
hypothèse
n'est
pas
aussi évidente
qu'il
le
semblerait
a
priori.
Examinons
cela.
En
premier
lieu,
il
est
évident
que
l'hypothèse
de
constance
de
l'utilité
marginale
de
la
monnaie
(que
nous
noterons,
pour
éviter les
répétitions,
hypothèse
de
Gumm)
jointe
aux
hypothèses
déjà
formulées
par
Marshall
concernant
les
fonctions
d'utilité
des
biens
non
monétaires,
à
savoir l'utilité
marginale
décroissante
des
biens,
suffit
à
garantir
l'existence,
l'unicité
et
la
stabilité
de
l'équilibre
du
consommateur.
Ce
qui
est
troublant,
nous
venons
de
le voir,
c'est
la
tranquille
assurance
avec
laquelle
Marshall
affirme
que
si
des
transactions
effectives
sont
effectuées
à
faux
prix,
elles
n'entraveront
en
aucune
façon
le
processus
conduisant à
la
formation
ultime
du
prix
d'équilibre.
Le
comble
de
l'étonnement
du
lecteur
moderne
est
atteint
lorsqu'il
(3)
Ibid.,
p.
333.
(4)
Ibid.,
p.
334.
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