UNIVERSITÉ PARIS 13 UFR DROIT – SCIENCES POLITIQUES ET SOCIALES THÈSE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS 13 Discipline : DROIT PRIVÉ Présentée et soutenue publiquement par Mariama Maty DIABY Le 12 décembre 2019 Titre : La Relation du droit de l’OHADA au droit civil - Directeur de thèse – Monsieur Mustapha MEKKI, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 13 (Sorbonne Paris Nord) - Membres du jury Madame Nathalie BLANC, Agrégée des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 13 (Sorbonne Paris Nord) Monsieur Philippe CHAUVIRÉ, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université de Lorraine (Rapporteur) Monsieur Bernard HAFTEL, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 13 (Sorbonne Paris Nord) (Président) Madame Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Agrégée des facultés de droit, Professeur à l’Université de Dschang Monsieur Henri Bebey MODI KOKO, Agrégé des facultés françaises de droit, Doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang (Rapporteur) La Relation du droit de l’OHADA au droit civil L’Université Paris 13 (Sorbonne Paris Nord) n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les thèses, ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. II La Relation du droit de l’OHADA au droit civil REMERCIEMENTS Mes premiers et vifs remerciements vont à l’endroit de Monsieur le Professeur Mustapha MEKKI, pour l’honneur qu’il m’a fait en acceptant d’encadrer ce travail de recherche et pour m’avoir accompagnée à chaque étape. Sa rigueur, sa confiance, son soutien, ses précieux conseils et son humanisme, ont été d’un apport inestimable à la réalisation puis l’aboutissement de ce travail. Je tiens à lui exprimer ma plus grande reconnaissance. Je remercie également les Professeurs Nathalie BLANC, Rachel Yvette KALIEU ELONGO, Philippe CHAUVIRÉ, Bernard HAFTEL et Henri Bebey MODI KOKO, pour l’honneur qu’ils m’ont fait en acceptant d’être membres du jury de ma soutenance ainsi que pour le temps qu’ils m’ont accordé et leurs précieux conseils. Mes remerciements sont également adressés, À l’équipe de l’IRDA, spécialement à Mesdames Claudine MOUTARDIER, Pascaline ADONAI et Sandrine CARON, pour le soutien et la disponibilité. À mes amis et proches pour les encouragements. À mon époux, ce compagnon de vie, que je remercie pour son indéfectible soutien et son investissement. À mon frère et mes sœurs sur qui j’ai toujours pu compter. Je ne saurais oublier mon père et ma mère, sans qui je ne serai pas là aujourd’hui. Aucun mot ne suffirait pour les remercier de leur soutien moral, matériel, spirituel et les sacrifices consentis. Ce travail n’est que le fruit de la contribution de plusieurs personnes qui ont permis de le parfaire. Que toutes reçoivent mes sincères remerciements pour leur participation utile et indispensable. III La Relation du droit de l’OHADA au droit civil RÉSUMÉ L’OHADA a été mise en place dans l’objectif de réaliser une intégration économique par le biais d’une intégration juridique. Le droit de l’OHADA, porteur de l’œuvre d’intégration juridique, avait vocation à devenir le cadre normatif de référence. Sa force obligatoire devait lui permettre de s’imposer au droit des États membres. Si la question de l’avenir du droit commercial ou du droit des affaires national n’a pas soulevé de difficulté particulière, il en a été différemment pour le droit civil national. La présente étude revient sur la relation qui existe entre le droit de l’OHADA et le droit civil, entendu le droit civil national. Une relation qui met en lumière, une influence : celle du droit de l’OHADA sur le droit civil national. Ainsi, dans une première partie, l’étude montre que l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national est consacrée. Elle est fondée sur le dispositif institutionnel qui porte le droit de l’OHADA, avant d’être consacrée de manière substantielle. Dans une deuxième partie, l’étude relativise l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national, en ce qu’elle est limitée. Sont en cause l’omniprésence du droit civil dans la construction du droit de l’OHADA et l’autonomie limitée du droit de l’OHADA. ABSTRACT OHADA was set up to achieve economic integration through legal integration. The right of the OHADA, the bearer of the work of legal integration, was destined to become the reference normative framework. Its binding force should enable it to impose itself on the law of the Member States. If the question of the future of commercial law or national business law did not raise any particular difficulty, it was different for civil law. This study examines the relationship between OHADA law and civil law, understood as national civil law. A relationship that highlights, an influence: that of the law of OHADA on the national civil law. Thus, in the first part, the study shows that the influence of OHADA law on national civil law is consecrated. It is based on the institutional framework that bears the right of the OHADA, before being devoted substantially. In the second part, the study relativizes the influence of OHADA law on the national civil law, in that it is limited. Are involved, the omnipresence of the civil law in the construction of the right of the OHADA and the limited autonomy of the right of the OHADA. IV La Relation du droit de l’OHADA au droit civil SOMMAIRE INTRODUCTION .................................................................................................................... 1 Première partie. UNE INFLUENCE CONSACRÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES............................................................................ 23 Titre 1. LES FONDEMENTS INSTITUTIONNELS DE L’INFLUENCE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES .................. 25 Chapitre 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, FONDEMENTS DE LA SOUMISSION DU DROIT CIVIL NATIONAL AU DROIT DE L’OHADA .................................................... 26 CONCLUSION DU CHAPITRE.......................................................................................... 86 Chapitre 2. UNE ORGANISATION JUDICIAIRE COMMUNAUTAIRE ET UN ARBITRAGE RÉGIS PAR LE DROIT DE L’OHADA ...................................................... 87 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 144 CONCLUSION DU TITRE 1 ............................................................................................. 145 Titre 2. LES FONDEMENTS DE L’INFLUENCE SUBSTANTIELLE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES ................ 147 Chapitre 1. LES MUTATIONS STRUCTURELLES DU DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES ............................................................................................................ 148 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 194 Chapitre 2. LES MUTATIONS DU DROIT SUBSTANTIEL EN VIGUEUR AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES ................................................................................................... 195 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 249 CONCLUSION DU TITRE 2 ............................................................................................. 250 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ................................................................. 251 Deuxième partie. L’INFLUENCE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES.......................................................................... 253 Titre 1. L’OMNIPRÉSENCE DU DROIT CIVIL NATIONAL DANS LA CONSTRUCTION DU DROIT DE L’OHADA ................................................................ 255 Chapitre 1. UN DOMAINE DU DROIT DE L’OHADA MARQUÉ PAR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES ............................................................................. 256 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 296 V La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 2. DES RÈGLES ET PRINCIPES MARQUÉS PAR LE DROIT CIVIL NATIONAL ........................................................................................................................ 297 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 342 CONCLUSION DU TITRE 1 ............................................................................................. 343 Titre 2. L’AUTONOMIE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA .................................. 344 Chapitre 1. LES FAIBLESSES DU DROIT DE L’OHADA ............................................. 344 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 395 Chapitre 2. L’ABSENCE D’AUTOSUFFISANCE DU DROIT DE l’OHADA ............... 396 CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 448 CONCLUSION DU TITRE 2 ............................................................................................. 449 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ................................................................ 450 CONCLUSION GENERALE ............................................................................................. 452 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 457 INDEX ALPHABÉTIQUE .................................................................................................. 482 TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... 485 VI La Relation du droit de l’OHADA au droit civil PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ET SIGLES Aff. Affaire Art. Article Ass. Plén. Assemblée plénière A.U Acte uniforme AUA Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage AUDCG Acte uniforme portant sur le droit commercial général AUDSCGIE Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique AUPCAP Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif AUPSRVE Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution AUS Acte uniforme portant organisation des sûretés Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambres civiles BICC Bulletin d’Information de la Cour de cassation CA Cour d’appel Cass. civ. 1ère Première Chambre civile de la Cour de cassation Cass. civ. 2ème Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation Cass. civ. 3ème Troisième Chambre civile de la Cour de cassation Cass. com. Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation CCJA Cour Commune de Justice et d’Arbitrage CEDEAO Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest CEDH Convention européenne des droits de l’Homme CEMAC Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale Ch. Chambre CJCE Cour de justice des Communautés européennes, devenue CJUE CJUE Cour de justice de l’Union européenne CNUDCI Commission des Nations Unies pour le droit commercial international COCC Code des obligations civiles et commerciales VII La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CVIM Convention de Vienne ( des Nations Unies) sur les contrats de vente internationale de marchandises Coll. Collection D. Recueil Dalloz Sirey D. Aff. Dalloz affaires Dr. et Patrim. Droit et Patrimoine éd. Édition ou éditeur ERSUMA École régionale supérieure de la magistrature FCFA Franc de la coopération financière en Afrique (Centrale)/ Franc de la communauté financière d’Afrique (de l’Ouest) Gaz. Pal. Gazette du Palais Infra Ci-dessous JCP E La semaine juridique, édition entreprises et affaires JCP G La semaine juridique, édition générale JO Journal officiel JO OHADA Journal officiel de l’OHADA L.G.D.J Librairie générale de droit et de jurisprudence LPA Les petites affiches Obs. Observations OHADA Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires OHADATA-D Référence électronique permettant de retrouver un article de doctrine sur le site internet de l’association UNIDA, www.ohada.com. OHADATA-J Référence électronique permettant de retrouver une décision de justice sur le site internet de l’association UNIDA, www.ohada.com. Op. cit. Opere citato PME Petites et moyennes entreprises P.U.A Presses universitaires d’Afrique P.U.AM Presses universitaires d’Aix-Marseille P.U.F Presses universitaires de France RDAA Revue du droit des affaires en Afrique RDUA Revue de droit uniforme africain VIII La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Rép. com. Répertoire commercial Rev. dr. Unif. Revue de droit uniforme RIDC Revue Internationale de Droit Comparé RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires RRJ Revue de la recherche juridique RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial Spéc. Spécialement Supra Ci-dessus T. com. Tribunal de commerce TGI Tribunal de grande instance TPI Tribunal de première instance Traité OHADA Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 instituant l’OHADA Traité révisé Traité de Québec du 17 octobre 2008 portant révision du traité OHADA UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine UNIDA Association pour l’unification du droit en Afrique V. Voir IX La Relation du droit de l’OHADA au droit civil INTRODUCTION 1. L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) et le droit de l’OHADA. La création de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) n’a pas été limitée à la mise en place d’organes et d’institutions affectés à l’atteinte des objectif d’intégration. Un dispositif juridique a été élaboré, conçu par le législateur de l’OHADA en qualité de vecteur de ladite intégration par le biais de l’harmonisation même si plusieurs aspects d’uniformisation ont été relevés. Dans un contexte où la montée en puissance des théories souverainistes en Afrique était affirmée, la question de la place du dispositif juridique de l’OHADA s’est très tôt posée. D’où la nécessité que soit porté un intérêt particulier à la question de norme puis à celle de source notamment. La légitimité de tout dispositif juridique, donc du droit de l’OHADA, en étant tributaire. 2. L’équilibre et la norme. La notion d’équilibre renvoie à l’idée de dualité, de paires, de binômes, de duo ou duel, de faces, de facettes. Le Ying coexiste avec le Yang, le jour avec la nuit, le diurne avec le nocturne, le « spleen avec l’idéal »1. La conscience collective valide ce raisonnement consistant en l’appréhension d’une notion, d’un concept, dans un rapport d’opposition avec l’autre. Ainsi, soit, l’on est membre à part entière de la société au sein de laquelle l’on vit en ce que l’on rentre dans le « cadre » fixé, soit, toujours dans une approche de dualité, l’on en est exclu, parce qu’évoluant en dehors du cadre. Les actions sont guidées par un fil conducteur, une notice, en vertu desquels elles sont réputées « normales », empreintes de « normalité »2, en phase avec « la norme ». Norme qui est appréciée non pas dans une approche de contradiction avec une autre notion, mais dans un rapport de presque synonymie, de complémentarité. En effet, « norme » et « droit » sont employés à la définition du cadre commun de la vie en communauté. Et dans la mesure où les actes sont aux antipodes avec ce cadre, l’on ne peut prétendre à notre place dans la société. En clair, « le normal » agit comme « principe de coercition »3. Agir dans le cadre de la normalité, assure notre intégration sociale et dans l’hypothèse inverse, notre exclusion. 1 Le spleen caractérisant un état de souffrance qui s’oppose à l’idéal. 2 Suivant un modèle de conduite. 3 M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, 1993, p. 216. 1 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 3. La norme et le droit. La norme est une notion englobante qui renferme celle de « droit », si bien que l’on s’interroge sur « la force de la norme en droit »4. La question est cruciale, dans la mesure où elle a pour corollaire, l’effectivité de la norme, son application par ses destinataires. La force attachée à la norme, au droit, est multiforme. Ce peut être « la force obligatoire, la force contraignante ou coercitive, la force exécutoire, la force décisoire, la force de chose jugée, la force probante, la force publique, la force majeure, etc. Chacune de ces forces oblige et impose »5. L’importance de la question a amené des juristes de spécialités diverses à se prononcer. Ainsi, selon le Professeur Denis Mazeaud, la force de la norme en droit réside dans le fait qu’ « on croit qu’elle est obligatoire. C’est la croyance légitime dans son caractère obligatoire. En raison de son ancienneté, de sa conception, de l’autorité qui l’a édictée »6. Le Professeur Mustapha MEKKI, poursuit pour dire que « la force des normes en droit réside également dans la confiance des destinataires, professionnels et sujets de droit, des normes en droit »7. La norme est porteuse d’un impératif, celui de réaliser une conformité. Mais alors, comment appréhender ces deux notions de « norme » et de « droit » ? « Le droit est un ensemble de règles de conduite qui, dans une société donnée et plus ou moins organisée, régissent les rapports entre les hommes »8. Ainsi défini, le droit peut être intégré au concept de norme pris dans une approche large. « Instrument de référence »9, ce terme de norme peut être utilisé pour désigner un concept plus général que celui de règle ou de loi. Ce serait également « un énoncé explicite ou implicite, qui dicte un comportement » 10. « Ce qui fournit un modèle, que celui-ci relève de l’obligatoire, modèle imposé, ou simplement du souhaitable ou du possible, modèle proposé »11. L’illustre Hans KELSEN explique que « ce 4 C. THIBIERGE, La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009. 5 C. THIBIERGE, La force normative, op.cit., p. 43. 6 D. MAZEAUD, in La force Normative : Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009, p. 859. 7 M. MEKKI, in La force Normative : Naissance d’un concept, ibid. 8 F. TERRE, Introduction générale au droit, 10e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°3, p.3. C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règle de droit », Tome 51., A.P.D, 2008, p. 254. 9 10 F. TERRE, « Forces et faiblesses de la norme », in La force normative, Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Bruylant, 2009, p. 19. 11 C. THIBIERGE, « Le droit souple », RTD civ, 4, 2003, p. 619. 2 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil qui est exprimé, c’est l’idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu’un homme doit se conduire d’une certaine façon. La norme est un devoir être » 12. 4. Les sources du droit. Phénomène social c’est-à-dire qui naît, se développe, se transforme dans le cadre social, le droit ne saurait être mieux appréhendé, mieux compris qu’à travers ses sources. Sources multidimensionnelles, multiformes, dont le nombre n’est pas fixé de manière stricte et unanime à l’instar de la définition. Il est communément admis de renvoyer l’idée de source à la métaphore qui veut qu’une source soit « de l’eau qui sourd, qui jaillit de la terre »13, renvoyant ainsi à l’idée d’« origine, de provenance, ou lieu d’approvisionnement »14 . En utilisant l’expression « Fons legum et juris »15, Cicéron s’est positionné comme le père de la métaphore, « source du droit ». La notion de « source » est essentielle en droit, en ce que tout raisonnement juridique prend forme à partir de son identification. Attention cependant, à ne pas superposer comme étant les deux faces identiques d’une même pièce, la source et l’origine. Ces deux notions ne coïncident pas toujours. Il est distingué « la source de changement juridique, appelée origine ou source historique par certains, et la source du droit, qui est la prémisse »16. Comme le précise Stefan GOLTZBERG, « contrairement à la question de la théorie des origines du droit, la question des sources du droit est un détour pour traiter un point éminemment pratique, celui de l’acceptabilité des prémisses de l’argumentation »17. 5. La subdivision du droit en branches. La dichotomie réalisée et qui veut que le droit soit subdivisé en branches, droit privé/droit public, en familles, cultures juridiques, droit romanogermanique-Common law notamment, multiplie également les sources du droit. Même si des sources dites classiques telles que la loi, la coutume, la doctrine, la jurisprudence sont admises de manière consensuelle, encore que l’affirmation mérite d’être nuancée quant aux deux 12 H. KELSEN, Théorie pure du Droit, Trad. Fr. EINSENMANN, 2e éd., Paris, Dalloz, 1962, pp. 6-7. 13 S. GOLTZBERG, Les sources du droit, 2e éd., mise à jour, Paris, P.U.F, Coll. Que sais-je, 2018, p. 7. 14 S. GOLTZBERG, Les sources du droit, ibid. 15 Source des lois et du droit. 16 A. WATSON, Sources of Law, Legal Change, and Ambiguity, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1998, p. 102. 17 S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op.cit., pp. 10-11. Selon l’auteur « le juriste sélectionne une source de droit pour soutenir une conclusion : il invoque un article de loi en vertu duquel il considère que son client est innocent, (…), un traité de droit civil pour justifier telle interprétation d’une loi destinée à conforter sa conclusion, un précédent afin que la décision soit prise de telle ou telle manière ». 3 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dernières citées, il reste que les sources du droit sont loin d’être monochromes. Nous en voulons pour preuve, l’évolution des sources du droit et la distinction des sources. La principale distinction est celle qui s’attache à séparer les sources formelles du droit des autres sources. Le Doyen François GENY présente les sources formelles du droit comme « les injonctions d’autorités, extérieures à l’interprète et ayant qualité pour commander à son jugement, quand ces injonctions, compétemment formées, ont pour objet propre et immédiat la révélation d’une règle, qui serve à la direction de la vie juridique » 18. Il en ressort, les caractères coercitif et autonome des sources formelles. Autonomie par rapport à « l’opérateur juridique »19. Toujours selon l’auteur, « loi écrite, coutume, tradition ou autorités, voilà, dans leur ordre hiérarchique, dessiné par les faits eux-mêmes, la série des sources formelles, dont nous devrons estimer la puissance »20. 6. L’idée de source en droit comparé. Le droit comparé n’ignore pas les sources du droit, bien au contraire. Ces sources ont abondamment nourri la définition et la détermination des différents systèmes juridiques. « Les sources du droit font partie des cinq (5) paramètres du droit comparé au côté du développement historique, la pensée juridique, les institutions particulières et l’idéologie »21. Par ailleurs, « le droit comparé peut être perçu comme la comparaison, d’une part, des différentes ontologies juridiques et, d’autre part, des différentes logiques juridiques »22. En la matière, sont traditionnellement distinguées, la famille romanogermanique ou encore système de droit civil et la famille ou système de la Common law. S’y ajoutent des systèmes liés à des civilisations et des systèmes jugés mixtes. 7. La densification des sources du droit. Aujourd’hui, force est de constater que les échanges, les relations internationales ont fait peau neuve. La nouvelle société mondiale est celle de la globalisation, de la mondialisation, de la définition et de la mise en place de pôles de développement suivant la zone géographique, les intérêts en cause, le domaine concerné. Avec l’avènement de pôles de développement visant à terme, la construction de pôles 18 F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique, Tome I, Paris, L.G.D.J, 1995, p. 237. 19 S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op.cit., p. 28. 20 F. GENY, op. cit., pp. 238-239. 21 K. ZWEIGERT, H. KÖTZ, Introduction to comparative Law, Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 6872. 22 S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op. cit., p. 109. 4 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil économiques forts, l’on assiste à une redéfinition des zones d’influence à l’échelle régionale et mondiale. Une redéfinition qui s’accompagne de la multiplication des acteurs internationaux. À ces phénomènes, l’on doit la densification des sources du droit et les mutations de la norme. Le foisonnement des sources du droit est devenu un phénomène majeur, contre-révolutionnaire, postmoderne et baroque23. Au-delà d’une mutation de la norme, l’on assiste surtout à un renouvellement des sources du droit qui n’a rien de surprenant dans la mesure où le « pluralisme juridique »24 n’est pas contesté. Nous sommes à l’ère de « l’émergence de paradigmes »25. Cette émergence « insuffle une révolution qui s’opère d’abord au niveau de l’imaginaire juridique. La créativité conceptuelle se déploie sur de nouvelles terres. Des concepts, notions ou principes juridiques jusqu’alors inconcevables peuvent être formulés »26. La pluralité domine l’univers juridique pourtant reconnu et perçu comme marqué au fer rouge par l’orthodoxie. Les mutations de l’univers juridique emportent ce « classicisme » qui avait cours et fait apparaître l’idée de renouveau, de renouvellement. Les acteurs, sujets de droit, autorités édictant les règles de droit, les règles coercitives changent. Par exemple, le législateur est désormais concurrencé par d’autres acteurs. « Le législateur ne peut plus revendiquer le monopole de la production normative en raison de la complexité de l’objet de la loi tenant à sa technicité, sa dématérialisation ou encore son internationalisation, une complexité à laquelle s’ajoute la difficile gestion du temps législatif dans une société de l’instantanéité. De nombreuses sources concourent désormais à la création du droit, l’inspirant parfois, s’imposant à lui d’autres fois » 27 . 23 J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 27e éd. refondue, Paris, éd. P.U.F, Coll. Thémis Droit privé, 2002, n° 106, p. 205. 24 B. BARRAUD, Mesurer le pluralisme juridique, une expérience, Paris, l’Harmattan, 2017, p. 13. Selon l’auteur, le pluralisme juridique désigne « une situation dans laquelle coexistent effectivement, à l’échelle d’une branche du droit et d’un espace étatique donnés, des sources étatiques et des sources privées de règles de droit ». V. également, B. BARRAUD, Théories du droit et pluralisme juridique, Tome I : les théories dogmatiques du droit et la fragilité du pluralisme juridique, Aix-en-Provence, P.U.A.M, Coll. Inter-normes, 2016. 25 C. THIBIERGE, La force normative : naissance d’un concept, op.cit., p. 179. 26 C. THIBIERGE, La force normative, op.cit., p. 180. 27 C. ZOLYNSKI, « Questions de légistique soulevées par la construction de la norme à l’aune du renouvellement des sources du droit », in Les mutations de la norme : le renouvellement des sources du droit, N. MARTIAL-BRAZ, J.-F. RIFFARD, M. BEHAR-TOUCHAIS (sous. Dir.), Paris, éd. Economica, 2001, n° 1, p.51. 5 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 8. L’heure est à l’essor des règles supplétives, optionnelles qui mettent en exergue la force de la volonté des destinataires de la norme. De manière concrète, il revient aux destinataires de choisir d’appliquer la norme en question, dans la mesure où elle est facultative28. Le Professeur Pascale DEUMIER, le précise d’ailleurs, « la force normative optionnelle est attachée à une norme dont la force juridique est dépendante d’une option exercée par ses destinataires, qui peut prendre la forme d’une acceptation ou d’une non-exclusion »29. En la matière, il est important de relever que l’option ouverte aux destinataires de la norme est permise par les prévisions de chaque système juridique, chaque ordre juridique. 9. La nécessité de l’intégration juridique. Le mouvement de renouvellement des sources est accompagné par un mouvement « d’intégration » qui peut être entendu comme « la recherche d’un droit commun, ou plutôt d’un droit en commun, d’une mesure commune, qui permettrait de communiquer et d’ échanger, de commercer, dans tous les sens du terme, mais sans exclure la multiplicité des systèmes juridiques nationaux »30. À l’échelle internationale, l’Union européenne s’est imposée comme un modèle parfait d’intégration et par le biais de ses organes comme une source, une « force créatrice »31 du droit. Regroupant à ce jour vingt-huit pays, l’Union européenne a été créée, le 7 février 1992 par le Traité de Maastricht32 après un long processus dont le point de départ fut la déclaration de de Robert Schuman le 9 mai 195033. L’objectif est clair et affirmé dès que l’Organisation est portée sur les fonts baptismaux : mener une politique d’intégration économique portée par la zone euro et l’introduction de l’euro34, dans un souci de stabilité. L’Union européenne, c’est aussi et 28 C. PERES-DOURDOU, La règle supplétive, Tome 421, Paris, LGDJ, 2004, n°112, p. 105. 29 P. DEUMIER, « La force normative optionnelle », in La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009, p. 165. 30 M. DELMAS-MARTY, Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris, P.U.F, 2004, pp. 14-15. 31 G. RIPERT, Les Forces créatrices du droit, Paris, L.G.D.J, 1955, n°30, p. 84. « Ce sont toutes les forces qui peuvent imposer une règle de nature juridique ». 32 Le Traité de Maastricht entre en vigueur le 1er novembre 1993 et organise l’Union européenne autour de trois (3) piliers : les communautés européennes, la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune, la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures. 33 Alors Ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman propose la création d’une Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. La CECA naît ainsi et rassemble la France, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. 34 L’euro est la monnaie officielle de 19 des 28 pays membres de l’UE. 6 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil surtout un « marché unique » qui garantit la libre circulation des biens, la libre circulation des capitaux, la libre circulation des services et la libre circulation des personnes. Dans la mesure où, la mise en œuvre de règles communes et de règles simplement, nécessite la mise en place d’un cadre, l’œuvre de l’Union européenne s’appuie sur des organes, institutions et un dispositif juridique. Ainsi, le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, la Cour de Justice de l’Union européenne, la Banque centrale européenne et les autres organes et institutions assurent le fonctionnement de l’organisation dans le domaine qui est le leur. 10. Une intégration économique aboutie ne saurait faire l’impasse sur une intégration juridique efficiente. L’intervention de trois institutions dans le processus législatif témoigne de l’importance accordée à cet aspect de l’intégration. Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne utilisent la «procédure législative ordinaire» pour élaborer les politiques et la législation mises en œuvre dans toute l’Union européenne35. Le droit de l’Union est assez puissant dans la mesure où il s’intègre aux droits nationaux des États membres qui ont consenti à déléguer une part de leur souveraineté en raison de leur adhésion à ladite Union. Le caractère supranational de l’Union européenne est étendu au droit qu’elle sécrète, droit communautaire dont la primauté sur les législations nationales en cas de conflits a été très tôt affirmée par l’Arrêt COSTA contre ENEL36. 11. Une intégration multiforme. L’intégration ne doit pas être observée exclusivement sous le prisme de l’Union européenne. L’intégration est multiforme, plurielle, mettant en place des relations horizontales ou verticales, des mécanismes souples ou rigides. « Ces relations reposent rarement sur une stricte hiérarchie des normes (unification), mais le plus souvent sur une hiérarchie assouplie par une marge nationale d’appréciation explicite ou implicite (harmonisation) »37. « Alors que l’unification impose des règles précises auxquelles les États sont tenus de se conformer à l’identique, l’harmonisation se contente d’un rapprochement autour de principes communs »38. De manière plus précise, l’harmonisation est une modalité 35 https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies_fr#les-institutions-et-organes-de-l’ue-en-bref. 36 CJCE, 15 juillet 1964, Costa/Enel, Affaire 6/64. 37 M. DELMAS-MARTY, Critique de l’intégration normative, op.cit, p. 17. 38 M. DELMAS-MARTY, « Le phénomène de l’harmonisation : l’expérience contemporaine », in Ch. JAMIN, D. MAZEAUD (sous. Dir.), L’harmonisation du droit des contrats en Europe, Paris, Economica, 2001, p. 23 et s. 7 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil assez souple d’intégration qui laisse une marge de manœuvre à ceux à qui la norme est destinée. L’harmonisation est le cadre par excellence d’expression du pluralisme juridique et a la préférence de l’Union européenne, puisque les directives constituent les instruments les plus usités et les plus usuels. Les directives se distinguent des règlements, en ce qu’elles « fixeraient des principes directeurs, feraient usage de droit flou et non de règles précises »39. Leur force n’est cependant pas négligeable dès lors que « la transposition des directives doit se faire au sein d’un terrain propice à la réception de la norme »40. L’obligation à la charge des États est une « obligation de ne pas faire »41 selon le Professeur Romain BOFFA. Même s’il est clairement établi que l’effet direct « horizontal » est inexistant pour ce qui est des directives42. 12. Par opposition, l’unification est la substitution d’un ordre unique à la pluralité des ordres juridiques. Elle ne laisse aucune marge d’appréciation aux pays membres de l’Organisation. La complexité de ces approches s’intensifie en ce que l’uniformisation est également un mode d’intégration juridique pensé comme marquant la jonction, le point d’ancrage entre l’unification et l’harmonisation. Simplement, l’uniformisation permet l’insertion de règles identiques dans les ordres juridiques considérés. Le parti d’appréhender l’unification et l’uniformisation par un rapport de synonymie a été pris. Cette approche n’emporte pas notre totale adhésion. L’unification à vocation à effacer, gommer toute différence entre les textes, tandis que l’uniformisation vise simplement à intégrer des règles identiques dans des ensembles pouvant être hétérogènes. 13. L’efficacité des méthodes d’intégration. La question qui s’est posée face à cette hétérogénéité de méthodes d’intégration est celle de leur efficacité. Encore que l’efficacité de la norme soit fortement sinon exclusivement tributaire de son effectivité, de la production de l’effet recherché. Fallait-il plébisciter la souplesse portée par l’harmonisation ou la rigidité de l’unification ? La part de souveraineté plus importante accordée aux États membres n’est-elle pas néfaste à l’effectivité du droit communautaire? De l’intégration ? La rigidité voulue par 39 M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, Paris, P.U.F, 1986. 40 R. BOFFA, « La force normative des directives non transposées », in La force normative, naissance d’un concept, op.cit., p 325. 41 V. à ce propos notamment, CJCE, 18 déc. 1997, Inter-Environnement Wallonie, aff. C-129/96, Rec., p.I-7411. 42 CJCE, 26 fév. 1986, aff. 152/84, Marshall c/ Southampton and South-West Hampshire Area Health Autority, Rec. CJCE, 1986, p. 723. 8 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’unification n’est-elle pas un gage de sécurité juridique dès lors que les caractères de prévisibilité, de stabilité sont garantis ? Il est majoritairement admis que l’harmonisation reste la forme la plus respectueuse de la souveraineté de l’État. Loin de prendre position en faveur de l’une ou l’autre méthode, certaines organisations ont pris le parti d’avoir recours aussi bien à l’unification qu’à l’harmonisation. 14. L’OHADA et sa méthode d’intégration singulière. L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, OHADA, comme énoncé plus haut, en fait partie. Elle a été créée par le Traité de Port Louis le 17 octobre 1993, entré en vigueur le 18 septembre 1995 et révisé le 17 octobre 200843 à Québec. Selon l’article 46 du Traité, « L’OHADA a la pleine personnalité juridique internationale. Elle a en particulier la capacité : de contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer, d’ester en justice ». Organisation internationale dotée de la personnalité juridique internationale, l’OHADA regroupe dix-sept (17) pays, essentiellement des anciennes colonies françaises, dans lesquels la réglementation des affaires est « harmonisée » : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo. L’adhésion n’est pas exclusivement réservée aux pays africains contrairement aux idées reçues. En effet, peuvent adhérer à l’Organisation les pays membres de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) devenue Union Africaine (UA) et les pays qui n’en sont pas membres, mais invités du commun accord de tous les États Parties. 15. L’affirmation de l’objectif d’harmonisation. L’article 1er du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires énonce sans ambages l’objectif poursuivi par la création de l’OHADA. Il précise que « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ». Ainsi, l’organisation a pour objectif principal l’harmonisation du droit des affaires entre les dix-sept États membres qu’elle regroupe. À terme, l’instauration d’une communauté économique est recherchée. Le préambule du Traité portant création de l’OHADA prévoit en ce sens que « les hautes parties contractantes sont déterminées à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine et à établir un 43 Ce nouveau traité est entré en vigueur le 21 mars 2010. 9 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil courant de confiance en faveur des économies de leur pays en vue de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ; et qu’elles réaffirment leur engagement en faveur de l’institution d’une communauté économique africaine »44. 16. La volonté de créer un nouveau pôle de développement économique prend tout son sens lorsque l’on se réfère à l’histoire de la création de l’OHADA. L’avènement de l’OHADA intervient dans un contexte particulier de crises économiques en Afrique subsaharienne, avec toutes les conséquences néfastes que cet état de fait peut avoir. Remontons le temps de quelques années pour une meilleure perception des conditions de la création de l’OHADA. Nous sommes au lendemain des indépendances, la déferlante des années 1960. Les nouvelles équipes dirigeantes entendent et doivent faire leurs preuves. Quel sort réserver au legs de la colonisation ? Fallait-il entamer de vastes projets de réforme ? Conserver les textes en l’état ? Alors que, coexiste avec ces textes, le droit coutumier ? Le droit hérité de la colonisation connut diverses fortunes. En effet, le Mali et le Niger adoptèrent un Code de commerce respectivement en 1986 et 1992. Quand le Sénégal se dota d’un Code des Obligations Civiles et Commerciales dont la partie relative au droit des procédures collectives, était contenue dans la loi n°76-60 du 12 juin 1976. La conséquence immédiate fut l’apparition de disparités juridiques qui constituaient alors un frein à la sécurité juridique, pilier essentiel des relations d’affaires. 17. Création sur fond de crise économique. La crise économique qui sévit dans les années 80 n’est évidemment pas favorable aux pays africains. Les économies africaines perdent la confiance des investisseurs internationaux, des institutions internationales. Ces économies sont fortement déficitaires et ne peuvent plus compter sur le secteur primaire, pilier incontestable et incontesté. Les institutions de Bretton woods impulsent la mise en œuvre de plans d’ajustement structurels et l’adoption de mesures permettant l’amélioration de la bonne gouvernance. Regagner au sein de la Société internationale, une place de choix nécessitait l’instauration d’un climat des affaires sécurisé caractérisé par la sécurité juridique et judiciaire. L’OHADA a été pensée et conçue pour répondre à ces exigences de sécurisation des investissements par le biais de l’intégration. La mondialisation45 de l’économie rendant 44 V. Préambule du Traité portant création de l’OHADA. 45 La Mondialisation est présentée comme étant un phénomène d’ouverture des économies nationales sur un marché mondial libéral, lié aux progrès des communications et des transports, à la libéralisation des échanges, entrainant une indépendance croissante des pays. 10 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil indispensable le recours à des mécanismes d’intégration pour rapprocher les nations, les systèmes, les économies. N’est-ce pas vrai que la mondialisation est fondée sur l’ouverture des économies nationales sur un ensemble plus vaste, un marché mondial ? Le positionnement sur ce marché international arrimé à des principes directeurs, nécessite une mise à niveau, une mise en adéquation avec les « codes ». La mise en place d’une organisation communautaire apte à repositionner les États africains sur l’échiquier international en matière de droit des affaires, devient alors une évidence. 18. Le cadre institutionnel de l’OHADA. L’OHADA s’appuie sur un système institutionnel assez dense, qui traduit le transfert de compétences des États membres aux organes de l’OHADA. En effet, pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont transférés sur les questions embrassées par le droit OHADA, à des organes précis. Tout d’abord, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, organe politique et suprême de l’OHADA, créée lors de la révision du Traité originel au sommet de Québec du 17 octobre 2008. Elle est compétente pour connaître de toutes les questions relatives au Traité. Également, un organe politique, le Conseil des ministres détient le pouvoir normatif. Les fonctions du Conseil des ministres sont des fonctions législatives et exercées en certains aspects au détriment des parlements des pays membres. Organe législatif, le Secrétariat permanent est chargé d’assister le Conseil des ministres et de coordonner la préparation et le suivi de la procédure relative à l’adoption des Actes uniformes. L’OHADA compte également l’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) qui est une institution ayant pour finalité d’œuvrer à l’amélioration de l’environnement juridique et judiciaire dans l’ensemble des États membres. Elle est rattachée au Secrétariat permanent. Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), dont le rôle principal est en vertu de l’article 14 alinéa 1 du Traité fondateur, « d’assurer l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions ». Étant entendu que, le droit dérivé de l’OHADA est constitué par les Actes uniformes, les règlements et les décisions. 19. Les instruments juridiques au soutien de l’œuvre de l’OHADA. La mise en œuvre de la mission d’intégration économique par le biais d’une intégration juridique ne saurait intervenir Ex-nihilo. Elle nécessite le recours à des instruments juridiques particuliers, dotés d’une force juridique spécifique puisque le but est de rapprocher sinon unifier des législations. Il a été annoncé une intégration par voie « d’harmonisation » au regard de l’article 1er du 11 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Traité portant création de l’OHADA. Cependant, la lecture des Actes uniformes et les conditions de la mise en œuvre du droit de l’OHADA mettent en exergue le recours à l’uniformisation. L’article 546 du Traité fait mention « d’Actes uniformes » pour la réalisation des objectifs de l’OHADA, avec une mission « d’uniformisation ». De même, les Actes uniformes sont appliqués en l’état par les États membres de l’OHADA sans qu’il leur soit accordé la possibilité d’en modifier la forme ou le contenu. Même si, et il est important de l’indiquer, les règles de renvoi aux législations nationales témoignent des quelques aspects d’harmonisation que sécrète le droit de l’OHADA. 20. La force des instruments juridiques. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la « force » des Actes uniformes est fondée sur la portée supranationale du droit de l’OHADA avec un effet d’éviction sur les droits nationaux des États parties. Une supranationalité qui place en quelque sorte l’OHADA et le droit de l’OHADA au-dessus des nations, de leurs gouvernements, de leurs institutions, dépassant les souverainetés nationales. Le siège de ce caractère supranational est l’article 10 du Traité. Selon cet article, « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Le droit de l’OHADA est d’application directe et obligatoire dans les États parties, en lieu et place des dispositions de droit interne. D’application directe, en ce que les règles du droit de l’OHADA déploient la plénitude de leurs effets d’une manière uniforme dans les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant la durée de leur validité. L’application obligatoire réside dans le caractère impératif du droit de l’OHADA ; il s’impose donc aux États membres en dépit de l’existence de normes de droit interne contraires. 21. La portée abrogatoire des Actes uniformes. Les Actes uniformes ont une portée abrogatoire qui fait obstacle à la survie de normes nationales identiques47 ou contraires48. 46 Selon l’article 5, « les actes pris pour l’adoption des règles communes prévues à l’article premier du présent Traité sont qualifiés actes uniformes. Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ». 47 CCJA, Ass. Plén., Avis n° 02/2017 du 16 février 2017. La Haute juridiction a précisé qu’ « est incompatible avec l’acte uniforme une loi nationale qui adopte des dispositions identiques à l’Acte uniforme ou qui s’en déduisent ». Incompatibilité emportant éviction de la loi en question en vertu de l’article 10 du Traité portant création de l’OHADA. 48 V. sur ce point, CCJA, Ass. Plén., Avis n° 02/1999 d 13 Octobre 1999. « L’article 16 du projet de loi malien relatif à l’habitat déroge à l’article 39 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en ce qu’il édicte des conditions nouvelles, impératives et restrictives 12 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Dans son célèbre avis du 30 avril 2001, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en réponse aux questions de la Côte d’Ivoire, précise que « l’article 10 du traité de l’OHADA contient une règle de supranationalité puisqu’il prévoit l’application directe et obligatoire des Actes uniformes dans les États parties et leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures ou postérieures. En vertu du principe de supranationalité, l’article 10 contient une règle relative à l’abrogation du droit interne par les Actes uniformes »49. L’abrogation est réalisée à des échelles variables. Elle est totale lorsque le texte en cause contredit en tous points un Acte uniforme, ou lui est identique par exemple et partielle en ce que seules les dispositions à problème sont exclues. Se pose alors la question de la mise en conformité de la législation nationale au droit de l’OHADA. La conformité se définit en relation avec l’application d’une norme de référence. La mise en conformité du droit interne des États membres consisterait à veiller à ce qu’il soit l’exacte application du droit de l’OHADA. Quels sont les domaines encore ouverts au pouvoir du législateur national ? Un tri et une mise en harmonie des textes s’imposent aux États membres de l’OHADA. 22. Par ailleurs, le droit de l’OHADA bénéficie de l’application immédiate c’est-à-dire qu’il s’applique de manière instantanée en tant que tel sans avoir recours au mécanisme de la transposition50. Ainsi, « il y a intégration de plein droit des normes communes dans les ordres juridiques nationaux des États-parties, sans l’entremise d’un procédé national de réception comme une ratification ou une promulgation »51. L’article 952 du Traité de l’OHADA exprime clairement cette idée puisque traitant de l’entrée en vigueur des Actes uniformes, il indique le délai de leur publication après l’adoption. Il n’y a aucune indication concernant une quelconque transposition ou tout autre mécanisme de réception. pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce ; il est donc contraire et incompatible avec l’article 39 précité ». 49 www.legiafrica.com. 50 Mécanisme de transposition indispensable pour la réception au sein de l’ordre juridique national d’une directive. 51 G. NGOUMTSA-ANOU, Droit OHADA et conflits de lois, Tome 543, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, Coll. Bibliothèque de Droit privé, 2013, n°9, p. 10. 52 « Les Actes uniformes sont publiés au Journal Officiel de l’OHADA par le Secrétariat Permanent dans les soixante jours suivant leur adoption. Ils sont applicables quatre-vingt-dix jours après cette publication, sauf modalités particulières d’entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes. Ils sont également publiés dans les États parties, au Journal officiel ou par tout autre moyen approprié. Cette formalité n’a aucune incidence sur l’entrée en vigueur des Actes uniformes ». www.legiafrica.com. 13 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 23. La suprématie du droit de l’OHADA. Il est indubitable que le droit de l’OHADA jouit d’une suprématie qui s’exerce à l’endroit des législations des États membres. États dont les pouvoirs législatifs sont tenus de s’éclipser pour le rayonnement du droit « commun ». La toute-puissance de l’OHADA est porteuse de questions, de débats, dont le plus nourri demeure celui relatif à la question de la souveraineté des pays membres. Ce transfert de compétences réalisé de manière ascendante vers l’OHADA, n’emporte pas l’adhésion des tenants de théories souverainistes. Tout État est caractérisé par l’exercice plein et entier de la souveraineté qui lui assure le respect de ses pairs et la distinction internationale. Il a donc été préconisé une plus grande implication des législateurs nationaux dans l’élaboration des Actes uniformes. Ce à quoi les défenseurs de l’OHADA ont opposé que le Conseil des ministres était composé de ministres issus des gouvernements des pays membres. La représentation était malgré tout assurée. Il a de même fallu répondre à la question de la nature du droit de l’OHADA. Était-il un droit communautaire ? La réponse mériterait d’être affirmative puisque les normes et règles issues des institutions de l’OHADA, sont communes à ces États qui font partie d’une « communauté d’États » et qui sont soumis à un droit international particulier. 24. Le domaine étendu et extensif du droit de l’OHADA. Cependant, s’il est une question qui continue à être posée avec acuité, qui continue de secouer la doctrine, c’est bien celle du « domaine », du champ d’application matériel du droit de l’OHADA jugé excessivement étendu et extensif. L’article 2 du Traité dispose que « pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent Traité et aux dispositions de l’article 8 ». Comment est-ce possible quand le droit de l’OHADA revendique à cor et à cri, sa qualité de droit des affaires. 25. Droit des affaires de l’OHADA et droit civil. Droit des affaires, « corpus juridique qui vise les entreprises, voire les professionnels en général, sans se préoccuper de la qualité de commerçant. Droit qui est fait du droit commercial et du droit économique »53 et est reconnu 53 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de droit des Affaires, du droit commercial au droit économique, 19e éd., Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2010, n°7, p.5. 14 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil comme un droit spécial, dérogatoire au droit commun entendons par là droit civil, visant à combler les lacunes du droit commun, à apporter des précisions. L’application du droit des affaires demeure de ce fait, subordonnée au respect du droit commun, le droit national. Or, avec l’avènement du droit de l’OHADA, le droit civil, droit de portée générale, doté d’une place prépondérante au sein du droit privé dans la tradition romaniste, se trouve relégué à un rang inférieur. En pratique, le juge national n’a d’autre choix que de faire prévaloir le droit communautaire sur la règle de droit interne en cas de conflit. Conflit qui ne devrait en principe pas exister dans la mesure où, et cela est unanimement admis, « l’unification entraîne la suppression des conflits de lois »54. Cette assertion est limitée en ce qui concerne le droit de l’OHADA puisque l’unification connaît des limites. 26. Le fonds « civiliste » du droit de l’OHADA. Bien que ne concernant en principe que le droit des affaires, le droit de l’OHADA, du moins les Actes uniformes, traite de questions relevant, dans la tradition latine, du droit civil. C’est le cas particulier du cautionnement, seule sûreté personnelle consacrée par le Code civil de l’époque des indépendances, réglementé par l’Acte uniforme relatif aux sûretés qui lui consacre tout un chapitre, trente-huit articles précisément, sans se référer au Code civil. Le droit dit spécial semble désormais s’affirmer comme un droit de portée générale. Le projet de texte en sommeil relatif au droit général des obligations est représentatif de cette ambiguïté. Il est question d’une sorte d’incohérence étant entendu que le droit des sûretés est classé dans le droit des obligations, domaine purement civil. Aussi, devons-nous faire face, à « un rythme d’harmonisation à outrance du droit des affaires » qui fait craindre une « uniformisation de tout le droit privé général dans l’espace OHADA »55. 27. Champ de l’étude. Le travail de recherche porte ainsi sur la relation qu’entretient le droit de l’OHADA avec le droit civil. Le terme « relation » du latin « relatio » renvoie à l’idée de « rapports de droit ou (et) de fait entre deux ou plusieurs personnes, liens juridiques ou non 54 K. KREUZER, « La communautarisation du droit international privé : les acquis et les perspectives», in L. VOGEL ( sous. Dir.), Droit global, unifier le droit : le rêve impossible, Paris, éd Panthéon Assas, 2001/1, p. 98 ; J.-P. PLANTARD, « Un nouveau droit uniforme de la vente internationale : la convention des Nations Unies du 11 avril 1980 », JDI, 1988, p. 32 ; J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, éd. Bruylant, Coll. Droit uniforme africain, 2002, n°89, p. 42. H. GAUDEMET-TALLON, Le pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses (le funambule et l’arc-en-ciel), RCADI, Tome 312, 2005, p. 67. 55 F. ONANA ETOUNDI, « Les expériences d’harmonisation des lois en Afrique », in Revue de l’ERSUMA, droit des Affaires, Pratique professionnelle, n°1 , Juin 2012, p. 19. 15 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil qui les unissent » 56. De manière plus générale, par relation, il convient d’entendre le « lien, rapport, connexion, corrélation entre des choses ; caractère de deux ou plusieurs objets de pensée en tant qu’ils sont englobés dans un même acte intellectuel »57. Dans un langage plus courant, la relation ramène au caractère de deux ou plusieurs choses entre lesquelles existe un lien. Traiter de la relation qui existe entre le droit de l’OHADA, voulu comme un « droit des affaires » et le droit civil, droit commun ramènerait à l’éternelle étude des rapports, liens entre le droit spécial et le droit commun. 28. Une relation caractérisée par l’exercice d’une influence. La relation du droit de l’OHADA au droit civil met en évidence une influence du premier cité sur le second. Le droit de l’OHADA exerce une action sur le droit civil, qui subit des transformations, qui est modelé, qui est sous son emprise. L’influence est exercée en premier lieu, sur le droit substantiel des États membres. Le droit de l’OHADA règle de plus en plus de questions relevant en principe du droit civil. En pratique, il semble que le droit interne des États membres en général et le droit civil en particulier, perdent leurs lettres de noblesse face au géant OHADA et son « droit harmonisé ». Est en cause, le caractère imprécis du domaine couvert par le droit de l’OHADA, puisqu’il ressort de l’article 2 du traité que le Conseil des ministres peut décider d’inclure la matière de son choix au droit des Affaires. La décision du Conseil des ministres en date du 23 mars 2001, qui vise l’extension du champ de l’œuvre du législateur de l’OHADA, en est une illustration. Le Conseil des ministres a décidé que « sont incluses dans le domaine du droit des affaires, les matières ci-après énumérées : le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit de la propriété intellectuelle, le droit des sociétés civiles, le droit des sociétés coopératives et mutualistes, le droit des contrats, le droit de la preuve »58. Ainsi, le caractère extensif et entendu du domaine du droit de l’OHADA l’amène à y intégrer des matières relevant du droit civil. Et, en raison de son caractère supranational, de la portée abrogatoire des Actes uniformes, qui sont d’ailleurs d’application directe et immédiate, le droit de l’OHADA exerce une action sur le droit civil des États membres. Le dispositif juridique de ces États est profondément transformé. 56 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, éd. P.U.F, Coll. Quadrige, 2014, p. 887. 57 P. ROBERT, Le Petit Robert de la langue française, éd. Le Robert, 2019, p. 2174 58 CM, Décision n° 002/2001 du 23 mars 2001, article 1er. 16 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 29. L’influence exercée sur la structure du droit civil national. La toute-puissance du droit de l’OHADA est illustrée hormis la supranationalité qui le caractérise, par les changements qu’il impulse au niveau des fondements structurels du droit commun national des États membres. Avec l’avènement de ce droit, le droit civil national des États membres est désormais ce que l’on pourrait appeler un « droit hybride ». En intégrant le dispositif juridique des États membres, le droit de l’OHADA leur apporte cette mixité qui définit ses principes, ses destinataires, qui relèvent à la fois du droit privé et du droit public. Le droit de l’OHADA impose le décloisonnement entre le droit civil et le droit commercial aux États membres. Une fusion est réalisée et le droit civil national subit une mutation. Intégrant de nouveaux acteurs tels que « le professionnel », « l’entreprise », des activités nouvelles telles que celles qui sont économiques, la mutation s’opère par le passage d’un droit civil « pur » à un « droit économique ». L’influence du droit de l’OHADA est également processuelle. Les institutions et procédures relevant du droit uniforme intègrent des institutions et opérations traditionnellement soumises au droit civil. 30. Intérêt de l’étude. L’objectif principal de la présente étude est de porter un regard critique sur les orientations civilistes du droit de l’OHADA et de mettre en lumière les conséquences qui en découlent. Aussi, parle-t-on de se prononcer sur les enjeux que présenterait l’intégration de questions relevant traditionnellement du droit civil au droit des affaires de l’OHADA. L’intérêt d’une telle étude est d’améliorer l’état de la recherche sur la question de l’OHADA. Il est vrai que plusieurs études pertinentes ont été menées sur le conflit des normes et l’application du droit communautaire dans l’espace OHADA. Mais, il reste que très peu d’auteurs se sont prononcés sur la non moins importante question des rapports que le droit de l’OHADA entretient avec les autres disciplines du droit, le droit civil en l’occurrence. Sur ce point précis, la réalisation d’une étude approfondie est nécessaire, eu égard à la tendance « civiliste » du droit de l’OHADA qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Ce qui risque de réduire considérablement la portée du droit civil et de faire du droit de l’OHADA, un droit de portée générale. En effet, si le projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats destiné à fusionner avec celui sur le droit de la preuve voyait le jour, l’on devrait plutôt parler d’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit pour désigner l’OHADA. Exauçant, par la même occasion, le vœu du Professeur Philippe TIGER59, qui préconise une 59 P. TIGER, « Le droit de la preuve dans l’espace OHADA : Introduction générale », Colloque du Conseil National des Notaires, 09 février 2010, in Rev. droit Uniforme Africain, A.T.D.J, juin 2010, p.10. 17 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil « déspécialisation » de l’OHADA pour répondre au besoin civiliste au sein de l’espace OHADA. L’Analyse du dispositif juridique de l’OHADA, précisément les Actes uniformes, a fait clairement apparaître une relation marquée par l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres. 31. Problématique de l’étude. Cette étude entend aborder la question de l’étendue de l’influence exercée par le droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil est-elle absolue ? Le droit de l’OHADA, droit des affaires proclamé jouit-il d’une autonomie face au droit civil ? Dans l’hypothèse où l’hégémonie du droit de l’OHADA sur le droit civil national ne souffrirait d’aucune limite, le risque serait une évolution vers une harmonisation élargie du droit en Afrique susceptible d’intégrer le droit civil. La portée et le domaine du droit civil des États membres seraient considérablement réduits, sinon anéantis. Il est primordial de s’intéresser aux manifestations de l’incidence du droit « communautaire » sur le droit civil national et aux hypothèses de résistance du droit national des États membres. Cette résistance emporte limite de l’influence du droit de l’OHADA. 32. L’influence exercée sur la théorie générale du contrat. La portée de l’influence du droit de l’OHADA s’étend tout d’abord, à la théorie générale des obligations, précisément le droit des contrats et le droit des garanties. Le régime de la formation et de l’exécution du contrat est amélioré par le droit de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA a par exemple encadré, la phase précontractuelle en posant le principe de la possibilité d’accords partiels, la liberté de rupture des négociations et la possibilité de poursuite en dommages-intérêts en cas d’abus60. L’instauration de ce cadre général offre la possibilité aux États membres de s’en servir dans l’établissement de règles adaptées. La question de l’interprétation du contrat est traitée par l’article 238 de l’AUDCG61, qui prévoit que « lorsqu’une clause est ambiguë, la volonté d’une partie doit être interprétée selon le sens qu’une personne raisonnable, de même qualité que l’autre partie, placée dans la même situation, aurait déduit de son comportement. Pour déterminer la volonté d’une partie, il doit être tenu compte, des circonstances de fait et 60 L’article 249 de l’AUDCG dispose que « les parties sont libres de négocier et ne peuvent être tenues pour responsables si elles ne parviennent pas à un accord. Toutefois, la partie qui conduit ou rompt une négociation de mauvaise foi est responsable du préjudice qu’elle cause à l’autre partie. Est, notamment, de mauvaise foi la partie qui entame ou poursuit des négociations sans intention de parvenir à un accord ». 61 Acte uniforme portant droit commercial général. 18 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil notamment, des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des pratiques qui se sont établies entre elles, voire des usages en vigueur dans la profession concernée ». 33. Un droit des garanties national sous influence du droit de l’OHADA. Les incidences en matière de droit des garanties sont importantes et prennent la forme de la création de nouvelles sûretés par le législateur de l’OHADA, telles que la garantie autonome, le gage de créances, le nantissement des actions et des parts sociales et le nantissement de stocks. Le législateur de l’OHADA a de même enrichi le dispositif juridique des États membres de la réserve de propriété, la propriété cédée à titre de garantie, la cession de créance à titre de garantie et le transfert fiduciaire d’une somme d’argent. La clarification du dispositif en vigueur est à signaler ainsi que le renforcement du dispositif en vigueur notamment pour le droit de rétention. Le droit processuel a gagné en attractivité tant au niveau des institutions que des règles de procédure. 34. Le droit de l’OHADA, une influence limitée. Si la définition des contours de la relation qui liait le droit de l’OHADA au droit civil s’arrêtait à ce stade, notre étude serait marquée du sceau de « l’incomplétude ». Le droit de l’OHADA est à la fois auteur et sujet puisqu’il influence le droit civil des États membres d’un point de vue actif donc, mais en subit également l’influence devenant ainsi un sujet passif. Le droit de l’OHADA porte l’empreinte, la marque du droit civil dans sa construction. Il en emprunte les caractères, les traits distinctifs lorsqu’il édicte des dispositions générales ou qui s’étendent à des hypothèses de plus en plus larges. Il a été relevé que le législateur de l’OHADA procède à une généralisation de ses dispositions, à une extension, si bien que le sentiment est celui de la mise en place d’un droit commun au sens de droit civil, notamment en matière de prescription dans l’Acte uniforme portant droit commercial général. Le législateur de l’OHADA s’est attelé à définir un régime de la prescription ne se limitant pas à la fixation d’une simple durée. Hormis la définition de la prescription, le législateur en précise les traits caractéristiques en comparaison avec la forclusion, la computation des délais abordée. Il énonce les conséquences de la suspension de la prescription ainsi que les effets de la prescription. Il s’en dégage un fort sentiment de « déjà vu », un régime général à l’instar du droit civil. Surtout que et c’est en cela que la pertinence de cette approche est discutable, la plupart des nouveaux articles relatifs à la prescription sont identiques aux articles du Code civil. Peu de place est laissée à la spécificité puisque ce régime, tel qu’issu du nouvel Acte uniforme portant droit commercial général, est emprunté au droit commun. 19 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 35. Par ailleurs, certaines dispositions du Code civil français encore en vigueur dans la plupart des États membres, ont été intégrées textuellement dans certains Actes uniformes. C’est le cas des règles relatives au mandat pour les intermédiaires de commerce ; des principes de la Common law tels le principe de « mitigation of damage » en matière contractuelle, sont repris en droit de l’OHADA. L’influence du droit civil ne se limite pas à l’élaboration du droit de l’OHADA. Elle est perceptible dans l’application des textes de l’OHADA et parfois dans leur interprétation. L’analyse des règles et principes du droit de l’OHADA montre une forte inspiration du droit civil. Le législateur de l’OHADA réalise, soit une intégration textuelle de certaines dispositions au dispositif juridique de l’OHADA, soit une adaptation desdites règles au contexte de l’OHADA En matière de sûretés personnelles, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés contient des dispositions du droit civil national des États membres. Le caractère exprès du cautionnement et l’exigence d’une obligation valable sont repris par le législateur de l’OHADA. Conscient des spécificités des pays africains, le législateur a fait l’effort de prendre en compte des valeurs chères à ceux-ci en adaptant certaines dispositions des Actes uniformes. La place de la tradition orale est valorisée, à l’instar de la prise en compte des valeurs de solidarité, de travail en groupe à travers les coopératives auxquelles un Acte uniforme est consacré. 36. Une relative autonomie du droit de l’OHADA. La forte présence du droit civil au cœur de l’œuvre harmonisatrice OHADA amène à évoquer la relative autonomie du droit de l’OHADA qui s’en remet au droit national, en certaines matières. Il est ainsi renvoyé au droit civil national des Etats membres de manière expresse ou implicite pour certaines questions à traiter. Les règles qui gouvernent la validité des contrats sont exclusivement réservées aux États membres. Que ce soit, pour la vente entre professionnels, ou la vente de fonds de commerce, le législateur de l’OHADA s’en remet au droit civil national, concernant le régime juridique et la validité. Par ailleurs, il cite et emploie des concepts issus du droit civil national sans les définir. Que ce soit la dation en paiement62, la novation63, l’obligation principale par changement d’objet ou de cause qui libèrent définitivement la caution64. Ces notions ne sont 62 F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, les obligations, 12e éd., Paris, Dalloz, 2018, n°1422, p. 1501. 63 64 F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, les obligations, op. cit., n°1619, p. 1688. L’article 36 de l’AUS révisé dispose que « l’extinction partielle ou totale de l’obligation principale entraîne, dans la même mesure, celle de l’engagement de la caution. La dation en paiement libère définitivement la caution, même si le créancier est ensuite évincé de la chose acceptée par lui. Toute clause contraire est réputée non écrite. La novation de l’obligation principale par changement d’objet ou de cause, la modification des 20 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil pas définies par l’Acte uniforme. Tout comme les biens auxquels il est fait référence, toujours dans l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Les articles 9265 et 19066 parlent respectivement de meubles corporels ou incorporels et d’immeubles et droits réels immobiliers sans les définir. 37. Une efficacité et une effectivité limitées. L’autonomie réduite du droit de l’OHADA empiète fortement sur son efficacité et son effectivité qui est « le caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliqué réellement »67 ou encore « le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »68. Le droit ineffectif subit le rejet des destinataires qui refusent notamment de l’appliquer. Cette idée de résistance est perçue au niveau de certaines juridictions nationales du fond, qui trouvent à appliquer le droit civil national là où compétence exclusive est reconnue au droit de l’OHADA. Ou encore des justiciables ou Cours suprêmes nationales qui méconnaissent la compétence de la CCJA seule habilitée à connaître en cassation de questions relatives à l’interprétation des Actes uniformes, en vertu de l’article 14 du Traité fondateur. C’est ainsi que dans un arrêt du 4 novembre 2014, la CCJA a rappelé que «l’application des Actes uniformes OHADA dans les matières qu’ils régissent n’est pas une faculté mais bien une obligation qui s’impose dans leur application aux juridictions nationales. Doit être cassé, l’arrêt qui, pour une matière régie l’Acte uniforme sur les sûretés, fait application des dispositions du droit national »69. La faible force coercitive des dispositions du droit communautaire affecte son effectivité dans la mesure modalités ou sûretés dont elle était assortie libère la caution à moins qu’elle n’accepte de reporter sa garantie sur la nouvelle dette. Toute clause contraire stipulée avant la novation est réputée non écrite. Les engagements de la caution simple ou solidaire passent à ses héritiers uniquement pour les dettes nées antérieurement au décès de la caution. 65 « Le gage est le contrat par lequel le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence sur un bien meuble corporel ou un ensemble de biens meubles corporels, présents ou futurs ». 66 « L’hypothèque est l’affectation d’un immeuble déterminé ou déterminable appartenant au constituant en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures à condition qu’elles soient déterminées ou déterminables. Elle est légale, conventionnelle ou judiciaire ». 67 F. RANGEON, « Réflexions sur l’effectivité du droit », in Les usages sociaux du droit, Paris, P.U.F, 1989, p. 126. 68 P. LASCOUMES, « Effectivité », in J.-J. ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J et Story-scientia, 1988, p.13. 69 CCJA, Ass. Plén., Arrêt n° 106/2014 du 04 novembre 2014, www.legiafrica.com. 21 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil où les sanctions restent fortement adossées au droit civil ; le régime de la responsabilité civile en est un exemple. 38. L’effectivité du droit de l’OHADA est d’autant plus fragilisée par les éventuels conflits de normes qui pourraient apparaître. L’OHADA coexiste avec des organisations sous régionales avec qui elle partage le champ spatial et matériel en certains aspects. L’OHADA se présente aujourd’hui comme l’organisation qui réglemente le droit des affaires. Son domaine n’a de limites que celles imposées par le refus du Conseil des ministres d’intégrer une matière en son sein. Est alors à craindre l’apparition de conflits. L’autre type de conflit est bien celui qui concerne le droit de l’OHADA et le droit civil national. Il est vrai que, la supranationalité caractérisant le droit de l’OHADA, devrait permettre de résoudre les conflits entre droit national et droit de l’OHADA, ou même entre juridictions nationales et CCJA. Reste à relever que le dispositif juridique de l’OHADA est malgré tout lacunaire en ce qui concerne l’identification de la loi de conflit et la réglementation des lois de police. En clair, l’influence de l’OHADA sur le droit civil national est expressément affirmée. Les principes directeurs de l’organisation et du droit communautaire semblent consacrer une influence absolue, exercée sans partage. La réalité est tout autre. Le droit civil national des États membres a su marquer le droit de l’OHADA dans sa construction. Et le droit de l’OHADA présente des lacunes qui lui sont propres. Son incidence sur le droit civil national souffre de réserves. 39. Plan. L’appréciation des rapports entre le droit de l’OHADA et le droit civil commande de s’intéresser, en premier lieu, à l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil (Première partie). En second lieu, le caractère limité de l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national retiendra l’attention (Deuxième partie). Ainsi : Première partie : Une influence consacrée du droit de l’OHADA sur le droit civil des Etats membres Deuxième partie : Une influence limitée du droit de l’OHADA sur le droit civil des Etats membres 22 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Première partie. UNE INFLUENCE CONSACRÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES 40. Le besoin de réforme. L’OHADA a été créée à des fins réformatrices du monde des affaires. La quête d’une sécurité juridique et judiciaire des investissements, rendait légitime la mise en place d’une organisation forte qui parviendrait à s’imposer aux États membres, mais pas uniquement. L’investissement est le moteur de l’activité économique. À une échelle restreinte ou à plus grande échelle, il constitue un facteur essentiel de la croissance économique voire du développement économique. Par l’action d’investir à l’aide de moyens de production, de capitaux, des flux de trésorerie positifs peuvent être créés. Les politiques gouvernementales sont rythmées par le jeu des relations internationales, les accords bilatéraux, multilatéraux qui mettent en évidence des partenariats et des accords d’investissement. Ainsi, la volonté pour les États africains de regagner la confiance de la « Société internationale » avait pour condition sine qua non la sécurisation des investissements. Il paraît difficile de parler de sécurité sans convaincre de la puissance du dispositif mis en place. 41. La création d’une organisation dotée de pouvoirs importants. Les fondateurs de l’OHADA l’ont alors conçue comme une « Super-Organisation » qui viendrait exercer une certaine hégémonie sur les pays couverts par son champ. En effet, les États membres de l’OHADA doivent faire face à la force de l’Organisation communautaire et surtout à celle du droit qu’elle sécrète. L’accent est mis sur le droit de l’OHADA, en ce qu’il est l’instrument de l’intégration juridique souhaitée par les fondateurs de l’Organisation. La force du droit de l’OHADA se traduit par une influence indéniable exercée sur le droit civil national des États membres. Elle est consacrée tant d’un point de vue institutionnel que d’un point de vue substantiel. Concrètement, un transfert de compétence des États en faveur de l’OHADA si bien que celle-ci, par le biais de ses organes, dispose d’un pouvoir de décision qui s’impose directement aux États et aux particuliers70. Les caractères du droit de l’OHADA, à savoir notamment le caractère supranational garanti par les institutions mises en place dans le cadre de l’œuvre harmonisatrice, expliquent la réception impérative du droit de l’OHADA par le droit civil national des États membres. Le caractère transnational reconnu à l’OHADA et au droit uniforme, contribue au renforcement de l’influence exercée sur le droit civil national des 70 H.A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, 3e éd., Paris, l’Harmattan, 2015, p 329. 23 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil États membres. Dotée d’un champ d’application spatial étendu, l’OHADA couvre de manière uniforme le dispositif juridique des États membres, dans la limite de son cham d’application matériel. 42. Des instruments juridiques forts. Par ailleurs, aussi bien le mode d’élaboration du droit de l’OHADA que, celui de sa réception par les États membres témoignent de sa puissance. Les Actes uniformes, actes pris pour assurer l’uniformisation sont dotés d’une force obligatoire et sont directement applicables dans les États parties. Ces États, pour les domaines couverts par le droit de l’OHADA, sont tenus par les dispositions prévues par le législateur communautaire. Le droit de l’OHADA a une réelle emprise sur le droit civil national des États membres, si bien qu’il a induit des changements dans leur dispositif juridique en la matière. Cette influence est fondée sur le dispositif institutionnel qui porte le droit de l’OHADA (Titre I) avant d’être consacrée de manière substantielle (Titre II). 24 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Titre 1. LES FONDEMENTS INSTITUTIONNELS DE L’INFLUENCE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES 43. Le rôle déterminant des institutions communautaires. Le droit civil des États membres est influencé par le droit de l’OHADA. Il ne saurait en être autrement, dès lors que le mécanisme de réception par excellence du droit de l’OHADA est la substitution de ses normes à celles des États membres dans les matières qu’il réglemente désormais. Pour comprendre cette influence, un renvoi doit être fait au cadre institutionnel qui sous-tend l’œuvre du législateur de l’OHADA. Ce cadre est constitué par des organes forts qui ont pour vocation l’élaboration du dispositif juridique de l’OHADA. Ainsi, si le droit de l’OHADA réussit à s’imposer à l’ordre juridique national, c’est bien parce qu’il est protégé par des institutions supra-étatiques. L’article 3 du Traité fondateur révisé dispose que « la réalisation des tâches prévues au présent Traité est assurée par une organisation dénommée Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA). L’OHADA comprend la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et le Secrétariat permanent ». Le Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage définissent les orientations de l’OHADA, la matrice des actions à travers les Actes uniformes. Leurs décisions s’imposent aux États membres, ce qui a pour corollaire la soumission du droit national au droit qu’elles ont élaboré et aux mesures adoptées. 44. Une influence portée par les principes directeurs. Surtout, ces institutions prévoient les principes directeurs qui doivent permettre au droit de l’OHADA d’assurer sa suprématie sur le droit commun des États membres. Ces principes prennent la forme de la supranationalité et du caractère transnational. En vertu de ces principes, l’OHADA et par voie de conséquence le droit de l’OHADA, a une prééminence sur le dispositif juridique des destinataires des normes. Cette réalité sera restituée en mettant, en premier lieu, en évidence, la soumission du droit civil national au droit de l’OHADA, à travers les principes directeurs (Chapitre I). En second lieu, l’intérêt sera porté sur le fait que l’organisation judiciaire et arbitrale est régie par le droit de l’OHADA (Chapitre II). 25 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, FONDEMENTS DE LA SOUMISSION DU DROIT CIVIL NATIONAL AU DROIT DE L’OHADA 45. La soumission du droit civil national au droit de l’OHADA n’est pas sans fondement. L’OHADA étant une organisation qui vise l’intégration juridique, il était indispensable que cet objectif soit porté par des principes directeurs. Ainsi, l’on évoquera la justification de la soumission (Section 1) et les incidences de ladite soumission (Section 2). Section 1. La justification de la soumission du droit civil national au droit de l’OHADA 46. Les États membres de l’OHADA sont tenus de respecter les organes mis en place et de se conformer au dispositif juridique mis en place, au soutien de l’objectif d’harmonisation du droit des affaires. Leur obligation trouve sa source dans les caractères attachés aussi bien à l’OHADA qu’au droit de l’OHADA. Il s’agit en l’occurrence de la consécration de la supranationalité du droit de l’OHADA (§ 1) et du caractère transnational du droit de l’OHADA (§ 2). §1. La consécration de la supranationalité du droit de l’OHADA 47. Que revêt la notion de supranationalité ? Comment est-elle déclinée ? Il est essentiel d’expliquer le contenu du principe (A) pour ensuite s’intéresser à sa mise en œuvre (B). A. Le contenu du principe 48. La supranationalité est le principe fondateur de l’OHADA, le pilier qui porte et justifie toute l’œuvre harmonisatrice. La présentation du concept s’impose (1) tout comme les raisons de sa justification (2). 1. Le concept de supranationalité 49. La supranationalité. Le concept de supranationalité est un principe si important qu’il a été érigé en principe fondateur de nombreuses institutions internationales. Que faut-il entendre par supranationalité ? L’OHADA est-elle vraiment une Organisation supranationale ? La supranationalité désigne la qualité, le caractère de ce qui est supranational. Étant entendu que le qualificatif est appliqué à une institution internationale regroupant deux ou plusieurs États, qui indique qu’il y a eu un transfert de compétences des États aux organes de cette institution de telle sorte que celle-ci dispose en certaines matières d’un pouvoir de décision s’exerçant 26 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil directement sur les États eux-mêmes ou sur les particuliers ressortissants de ces États71. En clair, est supranational ce qui se place au-dessus des nations, de leurs gouvernements, de leurs institutions, ce qui dépasse les souverainetés nationales. L’organisation supranationale est dotée d’organes qui supplantent ceux des États en dépit de leur souveraineté72. Ainsi, l’idée de supranationalité s’opposerait à celle de souveraineté. En effet, l’idée de supranationalité a pu prospérer par le biais du recul d’une idée de souveraineté totale et sans limites des États. 50. À l’origine de la supranationalité, une idéologie, le supranationalisme, qui prône l’existence d’entités politiques disposant d’une supranationalité, autrement dit de pouvoirs supérieurs sur certains points à ceux d’une nation. Ce concept n’est pas nouveau. Dès le XVIIIe siècle, Montesquieu annonçait déjà le principe de supranationalité à travers cette pensée : « si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fut utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime » 73. En effet, selon le penseur, la communauté et l’intérêt commun priment les intérêts particuliers. Son assertion ne peut être perçue que comme une prémisse de l’idée de supranationalité, étant entendu que le concept fait bien état aujourd’hui de tout ce qui transcende l’État, les intérêts particuliers. Il s’agit d’un cadre de droit international public, encore appelé droit des gens et qui est constitué par « l’ensemble des règles de droit applicables aux États et aux sujets de droit ne relevant pas de l’autorité d’un État, dans les relations de la société internationale »74. C’est dans ce cadre international, que Robert SCHUMAN, reconnu et désigné « père de l’Europe », évoque pour la première fois « l’Europe supranationale », une Europe qui selon lui, « devra être faite, d’une coexistence qui ne soit pas un simple agglomérat de nations rivales, périodiquement hostiles, mais une communauté d’action librement concertée et organisée »75. La Communauté européenne du 71 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12e éd. mise à jour, Paris, P.U.F., Coll. Quadrige, 2018, v. supranational, p. 1003. 72 E. MAULIN, Dictionnaire de la culture juridique, D. ALLAND et S. RIALS (sous. Dir.), Paris, P.U.F, 2003, p. 1434. A propos de la souveraineté, l’auteur la présente comme « une notion complexe et polysémique qui désigne de nombreuses situations politiques ou juridiques relatives soit à la légitimité du pouvoir, soit à l’exercice de prérogatives, soit à la définition de l’État ». Ch. MONTESQUIEU, Œuvres diverses, in œuvres complètes de Montesquieu, Tome III, Paris, éd. Nagel, 1955, p. 355. 73 74 H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé, Paris, L.G.D.J, 1959, p.2. 75 R. SCHUMAN, « Déclaration relative à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier », 9 mai 1950, [www.europa.eu] . 27 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil charbon et de l’acier était portée sur les fonts baptismaux et la notion de « supranational » servit de fondement à l’esquisse de son plan, à travers l’instauration d’une Haute Autorité76. Des pouvoirs exorbitants ont été reconnus à cette autorité dans le but de servir l’intérêt commun qui sous-tend la « supranationalité » encore aujourd’hui. Abondant dans le même sens, le Professeur Filiga Michel SAWADOGO indique que « la supranationalité consiste en l’existence d’un système institutionnel autonome permettant de privilégier le bien commun par rapport aux intérêts nationaux et d’édicter des normes, qui non seulement s’imposent aux États, mais aussi régissent directement la situation juridique des particuliers » 77. 51. En vertu du droit international public, « la supranationalité est un pouvoir réel et autonome, placé au service d’objectifs communs à plusieurs États »78. Trois caractères sont donc nécessaires pour qualifier une organisation de supranationale. Il est impératif, tout d’abord, que les États qui en sont membres reconnaissent l’existence de valeurs communes ; valeurs qui détermineront les actions des autorités nationales. Ces autorités doivent veiller à réaliser les objectifs reconnus comme étant communs. Ensuite, à la défense de ces valeurs communes, il faudrait des pouvoirs effectifs, reconnus à des organes. Il reviendra ainsi à ces organes 76 En vertu des articles 9 al.5 et 6 du Traité du 18 avril 1951 créant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, « les membres de la Haute Autorité exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l’intérêt général de la Communauté. Dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucun organisme. Ils s’abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère supranational de leurs fonctions. Chaque État membre s’engage à respecter ce caractère supranational et à ne pas chercher à influencer les membres de la Haute Autorité dans l’exécution de leur tâche ». Malgré tout, le concept de supranationalité peine à s’affirmer, à devenir concret eu égard aux tenants de théories nationalistes. 77 F.-M. SAWADOGO, « La problématique de la cohabitation des ordres juridiques OHADA, UEMOA, CEDEAO », Actes du Colloque sur la mise en cohérence des processus d’intégration économique et juridique, Ouagadougou, 8, 9 et 10 janvier 2007, non publiés. 78 P. PESCATORE, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés européennes, Bruxelles, Bruylant, Coll. Droit de l’Union européenne, 2005, p.51; sur cette question de supranationalité, P. REUTER., énonce des critères qui pris dans leur ensemble définissent une Organisation Internationale supranationale. Ainsi, l’existence d’organes ayant le pouvoir d’adopter des actes obligatoires pour les États membres sans que ceux-ci doivent nécessairement consentir, le fait que ces actes peuvent consister en des règlements directement applicables dans l’ordre juridique interne des États membres et bénéficiant de la primauté sur toute disposition nationale, antérieure ou postérieure quel que soit son rang, la présence, la présence parmi ces organes d’une juridiction directement accessible aux ressortissants des États membres et jouissant d’une compétence exclusive pour se prononcer sur tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application du Traité de base ou de droit dérivé de celui-ci et le transfert à l’Organisation Internationale de compétences précédemment exercées par les États membres. V. en ce sens P. REUTER, « Quelques réflexions sur le vocabulaire du droit international », in Mélanges offerts au Doyen TROTABAS, Paris, L.G.D.J, 1970, rééd. dans P. REUTER, Le développement de l’ordre juridique international : écrits de droit international, Paris, Economica, Coll. Droit international, 1995, p. 16. 28 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’élaborer les règles et principes directeurs de leur Organisation. Enfin, les pouvoirs effectifs doivent être exercés de manière autonome, sans dépendre des pouvoirs des États, dont ils sont distincts. 52. Le caractère supranational de l’OHADA. À la lumière de ce qui précède, l’OHADA est sans aucun doute une Organisation supranationale. L’article 1er du Traité de Port Louis, dispose que « le présent Traité a pour objet, l’harmonisation du droit des Affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes (…) »79. Ainsi, les États membres partagent un objectif commun, celui d’harmonisation du droit des affaires. De plus, l’article 3 du Traité fait état de l’existence d’organes propres à l’OHADA, en l’occurrence le Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement qui fonctionnent selon des règles spécifiques, distinctes de celles des États membres. L’élaboration des « Actes uniformes », actes pris pour l’adoption des règles communes est laissée au soin du Secrétariat permanent80. 53. Un caractère communautaire remis en cause. Certains auteurs estiment que l’OHADA n’étant pas une organisation communautaire, elle ne pourrait être légitimement qualifiée de « supranationale ». En effet, selon Elvire VIGNON, même si le droit de l’OHADA présente des similitudes avec le droit communautaire, l’OHADA n’est pas une institution communautaire. Au soutien de ses propos, elle affirme que les institutions communautaires sont organisées autour d’un marché commun sur le plan économique ; les États forment une communauté, c’est-à-dire « un ensemble constitué par des États qui sont parties à un processus d’intégration économique qui vise l’unification des politiques et un destin commun pour les peuples de ces États. Pour parvenir à cette unification, les États transfèrent des compétences à une organisation internationale dotée de pouvoirs de décision et de compétences supranationales. L’Union, dernier stade de l’intégration économique, est donc 79 Cet article 1er est à la fois clair et obscur ; clair en ce sens qu’il établit les objectifs de l’OHADA, l’harmonisation et obscur parce qu’en réalité l’OHADA s’emploie à une œuvre d’unification du droit des affaires. L’harmonisation au sens strict du terme consiste selon le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH « à rapprocher les règles de droit d’origine différente pour les mettre en cohérence entre elles, en réduisant ou supprimant leurs différences et leurs contradictions, de manière à atteindre des résultats compatibles entre eux et avec les objectifs communautaires recherchés », J. ISSA.-SAYEGH, « L’intégration juridique des États Africains de la zone franc », Penant, 1997, n°823, p.5 et Penant 1997, n°824, p.125. 80 Selon l’article 6 du Traité de l’OHADA, « les Actes uniformes sont préparés par le Secrétariat permanent en concertation avec les gouvernements des États parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des Ministres après avis de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ». 29 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil gouvernée par une organisation supranationale ou super étatique » 81. Or, l’OHADA se limite à la coopération, « relation entretenue entre États (…) consistant à coordonner leurs actions ou politiques dans des domaines bien précis ». Elle précise que « dans les organisations interétatiques ou de coopération, les décisions sont prises à l’unanimité et dans les organisations super étatiques ou supranationales, il existe des restrictions à la règle de l’unanimité, les décisions étant plutôt prises à la majorité. C’est par exemple le cas d’une union économique telle que l’UEMOA »82. 54. Cependant, cette assertion consiste à circonscrire le droit communautaire ou encore le caractère d’institution communautaire à l’Union européenne83. Ce, alors que l’OHADA se caractérise par un processus d’intégration économique qui est fondé sur une intégration juridique des normes régissant les activités économiques. Les États membres confirment cette idée en réaffirmant leur engagement en faveur de l’institution d’une Communauté Economique Africaine. L’OHADA regroupe à ce jour dix-sept (17) États qui placent sous l’autorité du Traité, leur droit des affaires. Les normes et règles issues des institutions de l’OHADA sont communes à ces États qui font partie d’une « communauté d’États » et qui sont soumis à un droit international particulier. La « centralisation dans l’élaboration des normes communes, l’existence d’une juridiction supranationale, le partage d’une langue et d’une monnaie commune à la totalité sinon à la plupart des États membres »84 en sont la 81 E. VIGNON, « peut-on qualifier le droit OHADA de droit communautaire ? », [www.ohada.com], 15/08/2011 OHADATA D-10-51 ; v. également P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », revue de l’ERSUMA, n° spécial nov-déc 2011, pp. 9-21. La question de la qualification de l’OHADA et du droit qu’elle secrète a animé et continue d’animer les débats doctrinaux. Certains auteurs à l’instar d’Elvire VIGNON réfutent le caractère communautaire de l’OHADA. C’est notamment le cas de Stéphane DOMBE-BILLE qui estime que l’OHADA n’est pas une institution communautaire mais plutôt « une organisation interétatique chargée de régir un espace économique non intégré qui parvient à secréter un droit super-étatique, sans affecter en cela son statut institutionnel » ; V. dans ce sens S. DOMBE-BILLE, « A propos de la nature de l’OHADA », in Mélanges en l’honneur de Madjid BENCHIKH, Droit, Liberté, Paix, Développement, Paris, éd. A. PEDONE, 2011, pp. 423436. 82 E. VIGNON, ibid. 83 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op.cit., v. Communautaire, p. 207 : « Le droit communautaire est le « droit de l’Union européenne ; ensemble des règles matérielles uniformes applicables dans les États membres de l’Union dont la source primaire est constituée par les traités d’institution et la partie dérivée par les règles établies par les institutions communautaires en application des traités ». 84 J. TCHUINTE, L’application effective du droit communautaire en Afrique centrale, Cergy pontoise, 2011, p. 8. 30 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil preuve. Aussi, le fait que les décisions soient prises à l’unanimité,85 n’est-il pas problématique en soi ; encore que cette exigence concerne strictement les modalités d’adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres86. Il s’agit uniquement d’une illustration de la volonté des États de transmettre leurs pouvoirs aux organes de l’OHADA et de la volonté de préserver certains attributs de la souveraineté des États. Face au débat doctrinal qui continue d’agiter les différentes chapelles, la réalité est celle d’un jeu de mots. Dès lors que les États membres élaborent des règles et que celles-ci ont vocation à s’appliquer de manière uniforme sur leurs territoires, les relations en cause vont bien au-delà d’une simple « coopération ». L’OHADA est indéniablement « une communauté juridique à finalité économique »87. L’effet direct et l’applicabilité immédiate des actes, émanant de l’OHADA, montrent clairement que l’on a affaire à une Organisation supranationale. 55. L’influence du caractère supranational. Ce caractère supranational explique aisément la portée abrogatoire des dispositions des différents Actes uniformes quoique certaines règles assez isolées sont supplétives. Il est évident que les règles prévues en matière de sûretés personnelles, notamment de cautionnement ou de sûretés réelles telles que le gage sont désormais celles applicables aux cautionnements civils ou aux gages de nature civile au sein des États membres. L’Acte uniforme portant droit commercial général s’intéresse à la formation du contrat, notamment la question de l’offre et de l’acceptation dont la rencontre est indispensable à la conclusion du contrat. La formation du contrat est régie par les Codes civils des États membres ; États qui sont très peu nombreux à avoir pris le soin de définir la notion d’offre et celle d’acceptation. La supranationalité du droit de l’OHADA ne permettrait-elle pas de combler cette lacune en appliquant ces définitions, bien que prévues dans le cadre de la vente commerciale à d’autres types de contrats ? Ne serait-ce pas là une justification du caractère supranational reconnu à l’OHADA et aux règles qu’elle édicte ? La réponse devrait 85 Si l’on en croit Klaus von LINDEINER-WILDAU, « le moyen le plus sûr par lequel les États membres font valoir leur volonté individuelle dans une institution internationale, et par lequel ils se protègent contre des décisions contraires à leurs intérêts, est la règle de l’unanimité ». Raison pour laquelle l’auteur caractérise l’organisation supranationale par un mode particulier de formation de la volonté commune : La majorité. K. von LINDEINER-WILDAU, La supranationalité en tant que principe de droit, Thèse, Genève, 1970, p. 33. 86 Cette exigence est prévue par l’article 8 du Traité de Port-Louis et constitue un cas particulier étant donné que l’article 30 du même Traité précise que « Les décisions du Conseil des ministres autres que celles prévues à l’article 8 sont prises à la majorité absolue des États parties présents et votants. Chacun des États dispose d’une voix ». Il convient également de préciser que l’unanimité est requise pour toute extension du domaine d’application du Droit de l’OHADA en vertu de l’article 2 du Traité. 87 G. NGOUMTSA-ANOU, Droit OHADA et conflits de lois, op.cit., p. 21. 31 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil être affirmative dans la mesure où les précisions apportées aux notions d’offre et d’acceptation par l’Acte uniforme ont vocation à s’appliquer à tout type de contrat, même civil. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national des États membres n’en serait que renforcée. 2. La justification du principe 56. Un principe justifié par l’objectif d’intégration. L’instauration du principe de supranationalité soulève plusieurs questions, notamment celles de son intérêt et de sa justification. Le principe de supranationalité est un principe fondateur des Organisations internationales, du droit international public, en ce sens qu’il permet de résoudre l’épineuse question de la souveraineté des États qui a alimenté et continue d’alimenter les débats doctrinaux. La souveraineté88 est l’élément caractéristique d’un État. L’État est défini en relation avec la souveraineté. « Si l’État est conçu comme une personne que forme une multiplicité d’individus unis au moyen du contrat, la souveraineté, qui est non point la tête, mais l’âme de cette personne, est elle-même représentée anthropomorphiquement comme voluntas artificiosa et s’identifie à la volonté de ceux qui exercent le pouvoir »89. Par souveraineté, il faut entendre, selon le Professeur Raymond CARRE DE MALBERG, « caractère suprême du pouvoir : suprême en ce que ce pouvoir n’en admet aucun autre ni audessus de lui ni en concurrence avec lui. Dire de l’État qu’il est souverain, implique que, dans la sphère où son autorité est appelée à s’exercer, il détient une puissance qui ne relève d’aucun autre pouvoir et qui ne peut être égalée par aucun autre pouvoir »90. C’est également le caractère d’un organe qui n’est soumis au contrôle d’aucun autre et se trouve investi des 88 La théorie de la souveraineté de l’État doit sa systématisation à Jean BODIN, qui en fait le développement dans Les six livres de la République. Selon lui, « la souveraineté est le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la terre ». Cité par M.-P de BRICHAMBAUT, J.-Fr DOBELLE, avec la contribution de F. COULEE, Leçons de droit international public, 2e éd., Paris, Dalloz, Coll. Presses de Sciences Politiques, 2011, p. 35. Encore aujourd’hui la souveraineté est le critère déterminant en matière de constitution d’un État. Il induit la reconnaissance des pairs et l’appartenance à la Société internationale. 89 F. FARDELLA, « Le dogme de la souveraineté de l’État. Un bilan », Arch. phil. dr, Tome 41,1997, p. 199. 90 R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, Tome I, Paris, Rec. Sirey, 1985. Pour Jean COMBACAU : « ... la souveraineté est un degré de la puissance d’État, et ce degré est le plus élevé de tous. » J. COMBACAU, Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’État, « Pouvoirs », 1993, n° 67, p. 49. 32 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil compétences les plus élevées91. Il est clair que la mise en place d’organisations qui sont audessus des États poserait un problème, chaque État étant indépendant, autonome en principe, aucun type de rapport hiérarchique entre les États n’existe. Un regroupement d’États sans un minimum de règles, de principes, laisserait libre cours à l’anarchie. 57. Supranationalité et souveraineté. Le droit international, à travers ses principes, est l’indispensable régulateur de la coexistence entre les acteurs de la société internationale. Dans une approche propre au droit international, le Professeur Maurice KAMTO propose de définir l’État de la manière suivante : « l’État est une personne morale, c’est-à-dire un être juridique construit, mais reposant sur des éléments physiques constitutifs, apte à être titulaire de droits et d’obligations ou à se voir reconnaître ou attribuer des pouvoirs lui permettant de participer, en tant que sujet de droit, à la formulation et à l’application des règles de droit dans l’ordre juridique international »92. Dès lors, « le concept de souveraineté ne peut concevoir un sens absolu et signifie seulement que l’État n’est subordonné à aucun autre, mais qu’il doit respecter des règles minimales garantissant le même privilège à tous les autres »93. Par le biais de la supranationalité, les États ne renoncent pas à leur souveraineté comme le pensent certains auteurs, mais l’exercent autrement. Les théories nationalistes plaident pour un pouvoir sans partage d’un État sur la scène internationale et sont réfractaires à toute idée de réduction de pouvoir sont obsolètes. La mondialisation et l’évolution du monde commandent un changement de mentalité dans une société internationale gouvernée par les échanges, aussi bien d’un point de vue économique, politique que militaire. Appelée en anglais « globalisation », la mondialisation a été souvent présentée comme « une nouvelle extension ou une intensification des relations et des réseaux internationaux. Elle caractérise une interdépendance des économies à un niveau encore jamais atteint dans les différentes parties 91 H.-M. MONEBOULOU-MINKADA, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires) : une solution-problème à l’intégration juridique », in Juridical Tribune, vol. 3, Issue.2, déc-2013, p. 82. 92 M. KAMTO, La volonté de l’État en droit international, Académie de droit international de la Haye, Rec. de cours, Tome. 310, 2004, p. 27. V. également O. BEAUD, La puissance de l’État, Paris, P.U.F, 1994, p. 17, « la souveraineté interne, qui signifie la domination à l’intérieur du territoire, présuppose la souveraineté internationale qui exclut le pouvoir de domination d’un État tiers, de même que la souveraineté internationale implique la souveraineté interne pour être effective ». V. également T. FLEINER-GERSTER, Théorie générale de l’État, P.U.F, 1986, p. 165 s. 93 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009, p.95. 33 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil du monde »94. La multiplication des formes de fédéralisme n’a jamais été aussi accrue que depuis l’avènement de la mondialisation. Conscients de ce que la puissance est décuplée quand elle est exercée dans un cadre collégial, l’idée d’organisation a connu un essor considérable. N’en déplaise aux tenants de théories souverainistes qui s’opposent à l’idée d’organisations supranationales. 58. Dans le cadre de l’adhésion à des organisations, les États opèrent un transfert, une forme de délégation de « souveraineté » à celles-ci pour favoriser la cohérence, l’harmonisation de leurs actions, bien que la conclusion d’un Traité soit par essence, un attribut de la souveraineté et une modalité de son exercice. Comme la Cour Permanente de Justice Internationale l’a précisé dans son célèbre premier arrêt95. Ils mettent en place les institutions et désignent les personnes qui auront en charge la prise de décisions, l’adoption de règles et principes directeurs. En général, les États membres notamment ceux de l’OHADA écartent les théories lourdes de la souveraineté classique pour préférer une souveraineté représentative fondée sur la nomination96. 59. Un transfert de souveraineté consenti. Il ne s’agit aucunement d’un abandon. Un abandon réel reviendrait à admettre que les États membres se dessaisissent totalement de leurs droits, sans pouvoir influencer les actions de leur nouveau titulaire. Comme susmentionné, la souveraineté est inhérente à la qualité d’État, un État qui en est dépossédé totalement n’exerce pas de pouvoir politique autonome, et perdrait donc sa qualité97. Or, en dépit de l’adhésion à une organisation, les États membres conservent leur personnalité juridique propre et demeurent des États au sens du droit international. Il ne fait aucun doute qu’au sein de la 94 R. SCHULZE, « La mondialisation », éd. Bruylant et LB2V, Tome LXVI/ 2016, Association Henri Capitant, Journées allemandes, 2017, p. 5. 95 C.P.J.I, Affaire du vapeur Wimbledon, série A, n°1, p .25 : « la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de souveraineté de l’État ». 96 H.-M. MONEBOULOU MINKADA, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA (…) », op. cit., p. 89. 97 Il est de doctrine constante qu’en droit international, l’État n’est reconnu comme sujet que s’il dispose de la souveraineté. V. sur la question, G. MAIRET, Le principe de souveraineté. Histoires et fondements du pouvoir moderne, Gallimard, Folio/Essais, 1997, pp. 23-24. ; F. CHALTIEL, La souveraineté de l’État et l’Union européenne, l’exemple français, recherches sur la souveraineté de l’État membre, Tome 99, Paris, L.G.D.J, Coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 2000, p. 3. V. également, sur la question P. PESCATORE, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés Européennes, op.cit., p.34. L’auteur précise que le droit de l’intégration repose sur « la divisibilité de la souveraineté ». 34 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil plupart, sinon de la totalité, des Organisations internationales, les États agissent bien en amont et en aval, même s’il est vrai qu’ils sont par la suite liés par les décisions des institutions qu’ils ont mises en place. C’est ici que réside tout l’intérêt de la supranationalité. 60. Les théories volontaristes98 qui fondent le droit international, à savoir la théorie de l’autolimitation, de la Vereinbarung99 et la théorie positiviste, viennent en appui à cette assertion. D’autant plus que la combinaison de ces trois (3) théories apporte une réponse satisfaisante à la problématique de la souveraineté. Tout d’abord, selon la théorie de l’autolimitation de Georg JELLINEK100, « l’État ne peut être lié par le droit que s’il y consent ». Heinrich TRIEPEL par le biais de la théorie de la Vereinbarung, précise que « le droit international naît de la fusion des volontés étatiques en une volonté commune »101. Dans une logique complémentaire, Dionizo ANZILOTTI, tenant de la théorie positiviste, explique que « l’intervention de l’État est nécessaire du point de vue formel »102. Pour rappel, l’OHADA, ce sont des États qui ont une histoire commune, celle de la colonisation. Ces États étaient régis par les principes et règles de la puissance colonisatrice. Avec l’accession à l’indépendance, ils ont pour la plupart tenu à marquer l’avènement d’une nouvelle ère. Cette phase était caractérisée par une volonté de s’affranchir partiellement ou totalement de l’héritage normatif colonial et surtout par une forte réticence à céder une parcelle de souveraineté, aussi infime soit-elle. Et c’est cela que l’OHADA a le mérite de réussir en mettant en place un système assez souple d’exercice ou de transfert de souveraineté des États. Des États dont la souveraineté n’est nullement remise en cause103 et qui n’en perdent pas le 98 J.-M SOREL, « L’institutionnalisation des relations internationales », in E. LAGRANGE, J.-M SOREL (dous. Dir.), Traité de droit des Organisations Internationales : droit des Organisations Internationales, Issy-LesMoulineaux, L.G.D.J, 2013, n° 47, p. 28. L’auteur précise que l’exercice des compétences souveraines ne découle pas uniquement de la volonté de l’État contrairement à ce qu’affirment les volontaristes. 99 Le volontarisme plurilatéral. 100 G. JELLINEK, L’État moderne et son droit. Première partie : Théorie générale de l’État, Éd. Panthéon Assas, Paris, 2005, p. 560. 101 Heinrich TRIEPEL développe cette théorie en 1899. H. TRIEPEL, Les rapports entre le droit interne et le droit international, R.C.A.D.I., Tome I, 1923-I, pp. 82.83. 102 D. ANZILOTTI, Cours de droit international, reprint, Paris, Ed. Panthéon-Assas, 1999, p. 68. 103 H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, étude à la lumière du système des Communautés Européennes, Paris, l’Harmattan, 2009, n°160, p. 63, paraphrasant le député P. CLEMENT parlant d’Europe, « le titre de souveraineté, inaliénable, serait la nue-propriété, et les compétences transférables, l’usufruit ». 35 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil droit d’exercice au vu de leur intervention dans la gestion de la structure commune. Cette intervention est réalisée à travers les organes qui les représentent au quotidien et qui fonctionnent en matière de prise de décisions, d’adoption de normes, à l’unanimité pour les questions essentielles. 61. La justification de la création de l’OHADA. Le recours à une organisation telle que l’OHADA était une évidence face à l’impérieuse nécessité de délier le nœud gordien que constituait la crise économique. Elle sévissait au début des années 1990 en Afrique, particulièrement dans la zone franc104, du moins dans la plupart des pays africains. La dégradation des termes de l’échange, la baisse considérable de la croissance économique, l’instabilité politique dans certains pays, ont eu une incidence considérable sur les relations entre les États concernés et les investisseurs étrangers ainsi que les grandes puissances. La crédibilité des pays africains était remise en cause à l’instar de l’intérêt réel de consentir à des investissements à leur intention. Il a fallu redevenir un partenaire rentable et crédible. Il était impérieux de prouver une bonne foi et une volonté de résoudre les problèmes existants. Qui mieux, qu’une organisation visant l’intégration économique par le biais de l’intégration juridique pour en témoigner ? Une organisation qui serait dotée d’institutions fortes, assez autonomes, dans un domaine précis, le droit des affaires en l’occurrence, l’un des piliers de la croissance économique. Les autorités africaines avaient compris que « la sécurité juridique et judiciaire inspirait la confiance, l’esprit d’entreprise et de conquête et la croissance » 105. Ils ont pensé la création d’une organisation particulière dans la continuité des différents programmes d’ajustement structurel assez drastiques et rigoureux mis en œuvre, qui incluaient parfois la dévaluation de leur monnaie106. 62. Réunir une dizaine d’États, autour de la question du monde des affaires, revient à réunir des dizaines de politiques gouvernementales dans ledit domaine. Des politiques parfois aux antipodes les unes des autres, selon les fondements économiques et institutionnels retenus et 104 La zone franc est une zone économique directement liée à la France. D’un point de vue historique, il s’agissait de pays liés à la France par des accords de développement et de coopération monétaire. 105 J. ISSA-SAYEGH, J.-L. OBLE, OHADA Harmonisation du Droit des Affaires, Bruxelles, Bruylant, Coll. Droit Uniforme Africain, 2002, n° 197, p. 92. 106 La dévaluation d’une monnaie est une mesure de politique économique prise par les autorités monétaires et qui consiste à modifier la parité de la monnaie nationale en en diminuant la valeur ; elle peut servir la politique économique pour relancer la croissance économique, par la relance des exportations et le rééquilibrage de la balance commerciale. Une dévaluation de 50% du Franc CFA intervient le 11 janvier 1994 pour 13 pays africains au lendemain de la création de l’UEMOA, Organisation visant l’intégration économique. 36 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil appliqués. L’institution envisagée devait garantir une certaine cohérence dans les actions, une forme d’unicité nécessaire à la sécurisation des investissements. Aussi, était-il indispensable d’assurer une sécurité judiciaire à travers un organe qui s’imposerait aux États membres. Toute chose qui aurait été impossible à mettre en œuvre, si un accord n’était pas obtenu quant au caractère « supranational » de l’OHADA. 63. L’objectif d’intégration. L’OHADA n’aurait pas pu agir autrement, se voulant une organisation d’intégration, il est vrai juridique, mais d’intégration malgré tout. Le terme d’intégration ramène à l’idée d’unification, de réunion et de rassemblement. En clair, toute organisation dite d’intégration doit aller beaucoup plus loin que la négociation et l’élaboration du Traité. Force doit être donnée à cet engagement à travers la création d’organes communs, auxquels la compétence exclusive de mettre en œuvre et d’assurer le contrôle de la politique d’intégration sera dévolue. L’option pour l’uniformisation ou l’unification par l’OHADA au lieu d’une simple harmonisation, illustre bien la force de l’engagement des États membres. L’uniformisation consiste à instaurer, dans une matière juridique donnée, une réglementation unique, identique en tous points, pour tous les États membres, dans laquelle il n’y a pas de place, en principe, pour les différences. Alors que l’harmonisation vise à réduire les divergences107. Sur ce point, il convient de nuancer notre assertion en raison du recours à l’harmonisation pour certaines matières. Par exemple, peut être cité le renvoi au législateur national de chaque État membre en certains aspects des voies d’exécution, ou pour la détermination des sanctions pénales. L’explication d’un tel recours réside dans la nécessité de tenir compte non seulement du droit commun national, mais également des règles spéciales nationales108. Les objectifs d’intégration seront atteints par le biais d’institutions communes, dotées de certains pouvoirs, notamment de la supranationalité. La plupart voire la totalité des Organisations internationales de coopération l’ont bien compris et admis. Ce d’autant plus que, la supranationalité est « un moyen de défendre les intérêts nationaux par l’entente et la coopération. Non seulement elle n’entraîne pas la dépendance des États, mais elle protège le faible contre la domination du fort »109. 107 J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des États Africains de la zone franc », op.cit., p.125. 108 L. SHOMBA, « L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires : ombres et lumières », Doctrine OHADA, [www.ohada.com.], OHADATA D-05-39, p. 5. 109 M.- Th. BITSCH, Robert Schuman Apôtre de l’Europe, 1953-1963, éd. Scientifiques internationales, Coll. Cahiers Robert SCHUMAN, 2010, n°1, p. 53. 37 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 64. La quête de légitimité de l’État. La supranationalité reconnue à l’OHADA cache une autre explication. Selon le Professeur Mustapha MEKKI, « l’État est en perte de légitimité. Il était autrefois un principe de totalisation, source d’ordre et de cohérence. Il était l’image du tiers neutre et impartial garantissant la synthèse des intérêts particuliers face au désordre de la société civile. Il n’en va plus de même. Acceptant de s’immiscer dans la société civile en matière économique et sociale, il perd de sa superbe et de sa neutralité. Ce changement du rôle de l’État l’oblige à se mettre en quête d’une nouvelle légitimité qu’il recherche aujourd’hui à travers l’idéologie de la participation »110. L’État se lance dans un vaste programme d’interventionnisme économique qui ne peut pleinement produire ses effets qu’étant mis en œuvre à l’échelle régionale ou mondiale. L’État, dans sa quête d’une légitimité absolue, intègre les intérêts particuliers dans son plan d’action, s’intéresse à des questions qui affectent directement les particuliers, le monde des affaires, les investissements, le droit des affaires. Qui mieux que l’OHADA, pour endosser le rôle d’interface entre chacun des États membres et ses administrés, ses partenaires ? B. La mise en œuvre du principe de supranationalité La mise en œuvre du principe de supranationalité prend la forme de la primauté de l’OHADA (1) et de celle du droit de l’OHADA (2). 1. La primauté de l’OHADA 65. Une primauté consacrée par les textes et les organes. L’article 46 du Traité fondateur de l’OHADA dispose que « l’OHADA a la pleine personnalité juridique internationale. Elle a en particulier, capacité de contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer ; d’ester en justice ». Le Traité consacre la naissance d’une Organisation internationale qui relève du droit international. Grâce à son caractère supranational, l’OHADA jouit d’une prééminence institutionnelle. L’OHADA se décline en un Conseil des ministres, un Secrétariat permanent, une Cour Commune de Justice d’Arbitrage, une Conférence des Chefs d’État et de gouvernement. 66. Le Conseil des ministres est un organe essentiel en ce sens qu’il bénéficie de larges prérogatives. Il détient le pouvoir normatif et de ce fait, toutes les mesures qu’il adopte s’imposent aux États. Les fonctions du Conseil des ministres sont législatives et exercées au 110 M. MEKKI, L’intérêt général et le contrat : contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé, Tome 411, Paris, L.G.D.J, 2004, n° 128, p. 99. 38 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil détriment des parlements des pays membres111. Le principe de la séparation stricte des pouvoirs en vigueur dans la majorité des États membres impose une indépendance, une autonomie de fonctionnement entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ce qui justifie sans doute les vives critiques auxquelles doit faire face le dispositif de l’OHADA. Ainsi, il est reproché au système législatif de l’OHADA, de « porter une entorse à la distribution constitutionnelle des compétences, en ce sens qu’il confère aux membres de l’exécutif la compétence qui revient de droit aux représentants élus des peuples »112. Alors qu’en réalité, il faudrait comprendre que « la ratification du Traité fondateur de l’OHADA emporte pour chacun des parlements des États parties, dévolution de ses prérogatives, non pas à l’exécutif de chacun des États, mais à un organe communautaire qui assure les fonctions politiques, par son action législative, le Conseil des ministres »113 ; ce, conformément au principe de supranationalité qui se manifeste entre autres au sein des organisations par le transfert à cette organisation de compétences précédemment exercées par les États membres. 67. Pour rappel, cette question n’est pas nouvelle, étant donné qu’elle se posait déjà dès 1993, à la faveur de la naissance de l’OHADA. Le caractère supranational de l’organisation suscitait des réserves quant à la question de la souveraineté, de la séparation des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel du Sénégal a eu à se prononcer sur la conformité des articles 14,15 et 16 du Traité fondateur de l’OHADA à la constitution. Articles qui réduisent considérablement les compétences de la Cour de cassation et du législateur. La cour a retenu que :« bien que les articles 14 à 16 du Traité fondateur de l’OHADA réduisent les attributions de la Cour de cassation sénégalaise telles qu’elles sont définies par l’article 82, alinéa 3 de la Constitution, ils sont compatibles avec l’article 3 du préambule qui dispose que le peuple sénégalais, soucieux de préparer l’unité des États de l’Afrique et soucieux d’assurer les perspectives que comporte cette unité ne ménagera aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine d’autant plus que le Traité fondateur de l’OHADA, dans son préambule, ne prescrit des limitations de 111 L’idée des tenants des théories absolutistes est assez simple : dès lors qu’un État est reconnu comme tel, il est souverain et cette souveraineté se manifeste aussi et surtout dans la sphère législative. Une sphère qui est le reflet de la volonté du peuple. Confier ces aspects à une entité externe à l’État est une méconnaissance de la souveraineté. 112 D. ABARCHI, « La Supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA) », Doctrine, www.ohada.com., OHADATA-02-02, p.6. 113 D. ABARCHI, op. cit., p.10. 39 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil compétence nationales qu’en vue d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine » 114. 68. La décision de la haute cour s’explique aisément et conserve tout son sens encore aujourd’hui, en ce qu’une intégration réelle et parfaite est tributaire de la reconnaissance de certaines compétences aux instances de l’OHADA. Au contraire, le Docteur Alioune SALL ne voit dans la décision de la Cour constitutionnelle qu’« une politique jurisprudentielle où, puisqu’il n’est pas certain que d’autres décisions suivront, un coup de pouce est donné à une intégration africaine tant espérée » 115. Il va plus loin en qualifiant la décision de « presque partisane ». Encore qu’être partisan de l’intégration africaine ne puisse être que bénéfique à l’Afrique en général et aux États membres de l’OHADA en particulier. La décision de conférer au Conseil des ministres un rôle normatif est en parfaite adéquation avec l’objectif d’intégration juridique qui guide l’OHADA. Le Secrétariat permanent est rattaché à cet organe et chargé de la préparation de tous les actes et du programme annuel d’harmonisation du droit des affaires, ce qui est logique. Dans la procédure d’élaboration des normes, les États membres ne semblent pas laissés pour compte. Les textes sont transmis par le Secrétariat permanent pour appréciation et observations aux « commissions nationales »116 de chaque État membre avant de passer en Conseil des ministres; et le Conseil des ministres est composé des représentants des États membres. Les points de discordance sont discutés jusqu’à l’obtention d’un texte qui permet d’obtenir l’unanimité indispensable à son adoption. Malgré 114 Cour Constitutionnelle du Sénégal, Arrêt n°3/C/93 du 16/12/1993. En l’espèce, la Haute juridiction sénégalaise était saisie par le Président de la république en vertu de l’article 78 de la constitution pour vérifier la conformité des articles 14 à 16 du Traité relatif à l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires à ce texte. Ces dispositions donnent compétence à la CCJA pour connaître de toute difficulté liée à l’application ou l’interprétation du Traité. La question qui se posait était celle de savoir si le « pouvoir de juger » qui dérive de la souveraineté interne de l’État pouvait être partiellement transféré à une autorité supranationale. En clair le problème qui se posait dès le départ était celui relatif à la souveraineté des États membres. V. sur la question de la constitutionnalité du Traité OHADA, F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », Doctrine, OHADATA D-04-36, n°8, p. 3. 115 A. SALL, « conformité à la constitution des articles 14 à 16 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Penant, Revue de droit des pays d’Afrique, J., n°827, mai-août 1998, p. 234. 116 La création des Commissions Nationales relève de la pratique et n’est pas prévue par le Traité relatif à l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires. 40 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil tout, les critiques demeurent en raison du fait que les commissions nationales ne sont pas composées de représentants élus du peuple117. 69. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. L’OHADA se compose également d’une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), qui a pour rôle principal « d’assurer l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions »118. À la lecture de cette disposition, la vocation de l’OHADA apparaît clairement : assurer une uniformisation des règles juridiques, spécifiquement par le biais de la jurisprudence. Vocation qui demeurerait utopique si le soin était laissé aux dix-sept juridictions nationales suprêmes internes d’assumer les fonctions dévolues à la CCJA. La Cour de Justice de l’OHADA est l’organe qui rend le mieux compte de la primauté de l’OHADA, en ce sens qu’elle s’impose aussi bien par ses décisions que par ses fonctions aux États membres, en matière contentieuse et consultative. En effet, dans le domaine juridique uniformisé, la CCJA jouit d’une compétence exclusive en cassation au détriment des juridictions nationales suprêmes et l’avis qu’elle rend en cas de sollicitation lie l’auteur de la demande. La jurisprudence constante de l’institution confirme cette exclusivité. À titre illustratif, saisie d’un recours en annulation de l’arrêt rendu par la chambre judiciaire de la Cour suprême ivoirienne, jugée incompétente par le demandeur au pourvoi, la CCJA s’est déclarée compétente estimant qu’ « il résulte de l’article 14 alinéa 3 du Traité que la compétence de la CCJA s’apprécie non pas sur le fondement des moyens invoqués à l’appui du pourvoi, mais plutôt sur la nature de l’affaire qui a donné lieu à la décision attaquée en recherchant si l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes ou des règlements prévus au Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales »119. 117 B. MARTOR, S. THOUVENOT, « L’uniformisation du droit des Affaires en Afrique par l’OHADA », Doctrine OHADA, [www.ohada.com] , OHADATA D-12-63. 118 119 Traité de l’OHADA, article 14 al.1. CCJA, 1ère Ch., Arrêt n°003/2013 du 07 mars 2013, pourvoi n° 116/2009/ PC du 16/11/2009 : Abdoulaye Diallo c/ Monsieur LALLE Bi Ya Jacques, in Recueil de jurisprudence n° 20, Vol. 1, janvier - décembre 2013, pp. 40-44. Il s’agissait d’une affaire relative à une procédure de saisie immobilière introduite devant un tribunal en exécution de décisions de justice devenues définitives. La Cour suprême a retenu sa compétence en décidant que le moyen unique de cassation invoqué par le demandeur au pourvoi tiré de la contrariété de décisions ne soulève aucune question se rapportant à l’interprétation et à l’application d’Actes uniformes ; ce alors que l’arrêt attaqué a décidé entre autres qu’il n’y a pas lieu de surseoir à la vente de l’immeuble saisi et a ordonné au tribunal de fixer conformément à la loi, une nouvelle date pour la vente dudit immeuble ; la CCJA a donc estimé 41 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 70. Cette suprématie est fortement décriée par les tenants des théories « nationalistes » qui la voient d’un mauvais œil. Selon eux, elle signe l’affaiblissement voire la disparition de juridictions suprêmes nationales. Juridictions dont la compétence serait résiduelle, car limitée aux hypothèses dans lesquelles le droit des affaires ne serait pas applicable. Fait plus grave, la CCJA serait un troisième degré de juridiction si l’on s’en tient à ses fonctions de juge du fait et du droit comme le pensent certains auteurs, dont André AKAM AKAM. Selon lui, la CCJA est un troisième degré de juridiction parce qu’elle « évoque et statue sur le fond et surtout sans renvoi » 120. À relativiser, dans la mesure où cette particularité de la CCJA qui découle de son caractère supranational, contribue indéniablement à assurer une interprétation commune par les juges du fond de l’espace OHADA d’un même droit substantiel communautaire et à la cohérence des actions de l’OHADA. Grâce à la CCJA, les États membres ont vu la sécurité judiciaire se renforcer considérablement et l’environnement des affaires s’améliorer. 71. À la faveur de la révision du Traité originel au Sommet de Québec du 17 octobre 2008, il a été créé la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, organe suprême de l’OHADA. Elle est compétente pour connaître de toutes les questions relatives au Traité et est composée des Chefs d’État et de gouvernement des États parties. Si le Conseil des ministres, la CCJA, le Secrétariat permanent illustrent bien la primauté de l’OHADA en tant qu’institution, l’aspect supranational, il convient de relativiser l’assertion à l’égard de la conférence des chefs d’État. En dépit du rôle important qu’elle pourra jouer dans le contrôle des organes sus mentionnés et des institutions de l’OHADA, la « suprématie » qui est la sienne, son champ d’application ratione materiae illimité et sa composition, pourraient à long terme mettre à mal les objectifs fondamentaux de l’OHADA. Le premier risque serait celui de transformer ce qui est une organisation technique d’intégration juridique en une organisation politique121. Un autre risque est l’éventuelle immixtion dans l’action et le fonctionnement des autres organes tels que le Conseil des ministres ; le président de la conférence étant le chef d’État dont le pays que la juridiction suprême nationale a méconnu les dispositions de l’article 18 du traité OHADA en se déclarant à tort compétente. Déclarant sa décision est nulle et non avenue. 120 A. AKAM-AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique en Afrique », in Les mutations juridiques dans le système OHADA, (sous. Dir.), Paris, l’Harmattan, 2009, n°16, p. 29 ; toujours sur cette question, V. E.-A. ASSEPO, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, un troisième degré de juridiction ? », in R.I.D.C, vol. 57, n°4, 2005, pp.943-955. 121 J. ISSA-SAYEGH, P.-G. POUGOUE, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions », Actes du Colloque sur l’harmonisation du droit OHADA des contrats, Ouagadougou 2007, Revue de droit uniforme, UNIDROIT, 2008, p. 455. 42 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil assure la présidence du Conseil des ministres et les décisions étant prises par consensus ou à défaut à la majorité absolue. Le jeu des intérêts particuliers et des lobbyings pourrait ternir l’objectivité de l’œuvre du Conseil des ministres. 2. La primauté du droit de l’OHADA 72. Une primauté affirmée par la théorie moniste. Suivant les principes de droit international public, la primauté du droit international sur le droit interne est affirmée. L’ensemble de la doctrine objectiviste défend ce point de vue lorsqu’elle se réclame du monisme122. En réalité, et ce malgré les différentes écoles et théories qui s’affrontent, il n’y a aucun doute quant à la reconnaissance de la primauté du droit international donc du droit communautaire123 ; ce d’autant plus, qu’aussi bien la pratique diplomatique que la jurisprudence internationale l’admettent124. En la matière, deux théories s’affrontent : la théorie dualiste et la théorie moniste. Selon la théorie dualiste, il y a une égalité et une séparation de l’ordre international des ordres étatiques. En clair, la règle internationale ne s’impose pas en droit interne, droit qui a sa valeur propre et n’a pas à se conformer à la règle internationale125. Si l’on en croit les tenants de cette théorie, l’ordre étatique est seul juge de l’opportunité d’intégrer le droit international dans son ordonnancement juridique. La lourde procédure de réception prévue à cet effet en est une parfaite illustration. Une loi nationale intervient pour assurer la transmutation de la norme internationale en droit interne. Une telle théorie, bien que paraissant logique en raison de sa conformité avec les idéaux souverainistes, n’emporte pas l’adhésion et l’évolution de l’histoire des systèmes juridiques étatiques le confirme. Il en ressort effectivement une soumission de fait au droit international. Fait qui se 122 Même si sur ce point, certains auteurs rappellent qu’ « en dépit de la promotion du monisme ces dernières décennies, il est pourtant loin de rendre raison de l’état du droit positif. Un fond dualiste subsiste, sans doute de manière irréductible ». J. COMBACAU, S. SUR, Droit international public, 12e éd., Issy-les-Moulineaux, L.G.D.J, 2016, p. 185. 123 Il est tout à fait logique et justifié que l’autorité supra législative reconnue au droit international traditionnel dans les ordres internes des États, s’applique également au droit communautaire, donc au droit communautaire OHADA, droit supranational par essence. 124 CJCE Arrêt Simmenthal, 9 mars 1978 Aff. 106/77 ; dans cette affaire Administration des finances de l’État contre Société Anonyme Simmenthal, la CJCE pose le principe selon lequel la primauté du droit communautaire s’exerce sur le droit national et ce même vis-à-vis d’une loi nationale postérieure. De même « la pratique internationale confirme très nettement et souvent en termes catégoriques, la subordination du droit interne au droit des gens », Ch. ROUSSEAU, Le Droit international public, Tome I, n°30, p. 46. 125 P. VELLAS, Droit international public, Institutions internationales, 2e éd., Paris, L.G.D.J, 1970, p. 14. 43 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil manifeste par le plébiscite de la théorie moniste. Même si, suivant la théorie moniste, deux modalités existent, dont l’une consistant à reconnaître la primauté au droit interne dont le droit international est considéré comme dérivé126. La doctrine moniste affirme l’unité du système juridique tout en faisant prévaloir la primauté du droit international. Ce droit international s’applique directement dans l’ordre juridique des États, car leurs rapports sont des rapports d’interpénétration, rendus possibles par leur appartenance à un système unique fondé sur l’identité des sujets et des sources du droit127. Dans cette hypothèse de primauté du droit international sur le droit interne, l’on considère que le second dérive du premier et que leurs rapports sont comparables à ceux existant dans un État fédéral entre le droit des États membres et le droit fédéral. 73. La théorie moniste est celle qui a droit de cité dans la plupart des États, notamment au sein des États membres de l’OHADA. La primauté du droit de l’OHADA en tant que droit communautaire est affirmée comme principe. Les constitutions des États membres en consacrant la primauté des traités sur les lois dès que les conditions de ratification, de publication et d’application par l’autre partie sont respectées, consacrent de facto celle des autres actes émanant de l’organisation. Cependant, il convient de distinguer deux situations qui concernent, d’une part, le droit primaire et d’autre part, le droit dérivé de l’OHADA. Le droit primaire est constitué par le Traité fondateur de l’OHADA et répond comme sus indiqué aux exigences d’une application médiate, c’est-à-dire subordonnée à la procédure d’adoption et de ratification régulière par les États membres. Le Traité obéit aux règles du droit international conventionnel classique, c’est-à-dire qu’il est négocié, soumis à autorisation de ratification, puis à la ratification effective et à la publication au journal officiel de l’État concerné128. Quant au droit dérivé constitué par les Actes uniformes, les règlements et les autres actes, il bénéficie de l’application immédiate. 74. L’article 10 du Traité comme source de la primauté. La primauté du droit de l’OHADA a été érigée en principe dès la création de l’organisation, au sein des textes fondateurs. L’article 10 du Traité dispose que : « les Actes uniformes sont directement 126 Sur la question des deux courants de la théorie moniste, la pratique internationale n’en confirme aucune de manière absolue mais consacre en général la primauté du droit international. 127 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, op.cit., n°48, p. 106. 128 M.-F SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire dans les États francophones Ouest africains », in actes du colloque des 24-26 juin 2003, Ouagadougou, Les cahiers de l’Association Ouest africaine des Hautes juridictions francophones. 44 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure »129. Mais l’affirmation de cette primauté du droit de l’OHADA a été à l’origine d’interprétations diverses. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a tranché la question en émettant un important avis. En effet, par un avis du 30 avril 2001, répondant à la demande de la Côte d’Ivoire, elle a précisé la portée de l’article 10 du traité en admettant que : « l’article 10 (…) contient une règle de supranationalité parce qu’il prévoit l’application directe et obligatoire dans les États parties des Actes uniformes et institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures et postérieures » 130. 75. Ainsi, les Actes uniformes priment le droit national des États membres en vertu de la règle de supranationalité contenue dans l’article 10 du Traité. Les États membres sont liés par les dispositions de chacun des dix (10) Actes uniformes adoptés par le Conseil des ministres. La situation est simple : le Conseil des ministres représentatif de la volonté commune adopte à l’unanimité des Actes uniformes. Les États sont dans l’obligation de respecter lesdits Actes. Une fois le droit de l’OHADA adopté et entré en vigueur, il ne peut être contesté131 par les États parties. Son caractère supranational est d’autant plus affirmé que le droit de l’OHADA fixe lui-même sa propre place par rapport aux seuls droits internes. 76. La justification du principe de primauté est aisée : pourrait-on encore parler de droit en commun s’il était loisible à l’État qui le souhaitait de se fonder sur une disposition de son droit interne, pour se soustraire à l’application du droit issu de l’accord international auquel il a librement consenti ? En effet, les États dans le cadre de leurs relations de coopération 129 Article 10 du Traité fondateur de l’OHADA. 130 CCJA, avis n°001/2001/EP du 30 avril 2001, faisant suite à la demande d’avis n°002/2000/EP du 19 octobre 2000 République de Côte d’Ivoire, conformément au rôle consultatif attribué à la CCJA par l’article 13 du Traité en dehors de tout contentieux. Il s’agissait pour la République de Côte d’Ivoire de savoir notamment si l’article 10 contenait une règle de supranationalité. Et s’il contenait une règle relative à l’abrogation du droit interne par les Actes Uniformes. 131 Le fait que l’article 54 du Traité de Port Louis interdise les réserves dans l’engagement des États, témoigne bien du caractère intangible de leur engagement même s’il est vrai que l’option de la dénonciation leur est ouverte. Comme le précise H. TCHANTCHOU, « les États africains ne sauraient déroger au principe de l’intangibilité des conventions internationales. En consentant à la convention OHADA, les États signataires et adhérents se sont liés par son contenu ». V. H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, Etude à la lumière du système des Communautés Européennes, Paris, l’Harmattan, 2009, n°158, p. 62. 45 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil concluent des traités132 définis par leur caractère international et conventionnel. La force obligatoire tire son essence du caractère conventionnel et est affirmée comme principe, comme une sorte de « lois des lois » en droit international public. Le principe est reconnu et admis de manière unanime par la doctrine en dépit d’une explication diverse selon les courants de pensée : la volonté des États d’être liés ou encore le caractère impératif du principe en lui-même. 77. L’essence du caractère obligatoire. Ce caractère obligatoire constitue une règle fondamentale du droit international public, tant et si bien que l’article 26 de la Convention de Vienne précise que « tout Traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi »133. C’est la consécration du principe du Pacta sunt servanda qui signifie que les parties à une convention doivent respecter les obligations qui en découlent et ne sauraient en aucune manière s’en affranchir134. L’idée est simple et le raisonnement similaire à l’hypothèse de la conclusion de contrats dont la force obligatoire a pour siège l’article 1103135 du Code civil français. Dès lors que les conditions de validité, que sont le consentement libre éclairé, la capacité de contracter, un objet certain et une cause licite136, sont satisfaites, les parties ne peuvent se soustraire à l’exécution du contrat sauf dans certains cas. Il est clair qu’en ayant marqué un accord manifeste pour s’engager dans le cadre d’un contrat, le respect de notre volonté prime et que nous sommes liés par elle. Sauf si le consentement a été entaché de vices tels que ceux définis par la théorie des vices du consentement en droit civil. 78. En la matière, trois courants de pensée s’opposent. Selon le premier qui regroupe le plus grand nombre d’adeptes, dont les volontaristes, les solutions du droit interne doivent être transposées purement et simplement, pendant qu’un autre courant de pensée préconise la 132 Le Traité se définit selon l’article 2 alinéa 1 de la Convention de Vienne relative au droit des traités comme étant l’« accord conclu sous la forme écrite quelle que soit sa dénomination ». Il peut être bilatéral ou multilatéral. 133 Convention de Vienne sur le droit des Traités conclue le 22 mai 1969. 134 L’article 27 de la Convention de vienne vient renforcer la force du principe Pacta sunt servanda par le biais de ses dispositions : « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la nonexécution d’un traité ». Ce principe qui a un caractère coutumier est souvent rappelé par les juridictions internationales. 135 Selon l’article 1103 du Code civil, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à celles qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». 136 La cause a été supprimée en droit français mais subsiste au sein des États membres de l’OHADA qui appliquent le droit civil antérieur à la réforme du Droit des obligations. 46 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil prudence et l’adaptation des règles du droit interne à la vie internationale. Le dernier courant de pensée marque son hostilité envers toute idée de transposition qu’il juge dangereuse137. En droit positif, l’admission de vices de consentement est acquise, mais les principes qui gouvernent cette théorie ne sont pas purement et simplement appliqués. L’erreur est reconnue en droit international comme étant une cause de nullité du Traité , dans l’hypothèse où serait substantielle, le dol auquel s’ajoute la corruption l’est également. Cependant, la violence désignée sous le vocable de « contrainte » est diversement appréciée selon que l’on a affaire à celle exercée sur un représentant de l’État ou à celle exercée sur l’État138. La précision de la nécessité d’une exécution de bonne foi met en exergue la valeur du consentement de même que la prise en compte de la question de la licéité de l’objet du traité. C’est l’hypothèse des traités immoraux qui, selon la commission du droit international, s’intègre dans la catégorie des traités contraires aux normes impératives appelées Jus cogens. 79. Aussi, le principe du pacta sunt servanda serait-il reconnu comme faisant partie du jus cogens, normes impératives du droit international auxquelles aucune dérogation ne serait permise et dont la violation, à l’occasion de la conclusion de traités ou d’accords internationaux, entraînerait la nullité de ceux-ci139. Il y va de la crédibilité de la société internationale et du droit international public. L’ordre international n’aurait aucune raison d’être s’il était loisible à chaque État de se soustraire à ses obligations et d’invoquer sa souveraineté ; une souveraineté qui est, il convient de le préciser, le fondement de la présence sur la scène internationale. En définitive, le caractère obligatoire du pacta sunt servanda réside tant dans sa valeur intrinsèque en qualité de norme impérative que, dans la volonté des parties. 137 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, op.cit., n°119, p. 214 ; V. également L. CAVARE, Le droit international positif, Pedone, Tome II, 1969, pp.84-91. 138 La Convention de Vienne relative au droit des Traités a codifié les règles relatives aux vices du consentement ; dans son article 48 elle évoque « l’erreur essentielle » qui est en fait « l’erreur substantielle » telle que connue en droit civil et traite du dol dans son article 49. Le régime de la contrainte s’éloigne vraiment de celui de la violence. 139 F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n°259, p. 221. V. également sur la question M. VIRALLY, Réflexions sur le « jus cogens », in Le Droit international en devenir, Essais écrits au fil des ans, 1990, pp. 147 et s. La question du jus cogens est cruciale en droit international car elle est l’essence, le cœur même de la force obligatoire des actes issus de cette discipline. Sur cette question notamment l’auteur Pierre Marie DUPUY abonde dans le même sens en évoquant la possibilité de reconnaître au principe de la force obligatoire des traités une portée structurellement impérative constituant une exigence première de l’existence et de la cohérence d’un ordre juridique international. 47 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 80. L’illustration de la primauté du droit de l’OHADA. La primauté du droit de l’OHADA en tant que corollaire de la supranationalité de l’OHADA est illustrée par les différents Actes uniformes élaborés et adoptés dans le cadre de l’œuvre harmonisatrice. Par exemple, le droit civil national en vigueur au sein de la plupart des États membres présentait le nantissement comme « le contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette »140. Aussi bien le gage que l’antichrèse étaient rattachés au nantissement. Ainsi, étaient qualifiés de gage, le nantissement d’une chose mobilière et d’antichrèse celui d’une chose immobilière. Dès l’adoption du premier Acte uniforme traitant de la question des sûretés, une distinction a été opérée à l’image du droit français en consacrant, d’une part, le gage de meubles corporels et, d’autre part, le nantissement de meubles incorporels. Le nantissement devient « l’affectation d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs, en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures, à condition que celles-ci soient déterminées ou déterminables »141. Désormais contraires au texte de l’Acte uniforme, l’article 2072 du Code civil ivoirien ainsi que toutes les dispositions relatives à l’Antichrèse, sont abrogés. Cela démontre toute la suprématie du droit de l’OHADA. Droit de l’OHADA qui hormis son champ matériel très étendu dispose d’un champ spatial défiant toute concurrence et couvrant dix-sept (17) pays africains. § 2. Le caractère transnational du droit de l’OHADA 81. Le droit de l’OHADA tel qu’adopté et entré en vigueur, déploie ses effets au-delà des sièges des différents organes de l’organisation. La supranationalité induit un autre caractère et non des moindres qui veut que le dispositif juridique de l’OHADA transcende les frontières étatiques et s’applique dès lors qu’une adhésion à l’organisation a été faite. Ce caractère transnational de l’OHADA doit être expliqué (A) et ses manifestations présentées (B). A. Le concept de Transnationalité 82. Le droit de l’OHADA est présenté comme étant un droit transnational. Les contours du concept méritent qu’on s’y arrête en le définissant (1) tout en mettant en exergue l’intérêt de ce caractère transnational (2). 140 Article 2071 du Code civil Burkinabé, du Code civil Togolais, du Code civil Comorien, Code civil ivoirien… 141 Article 125 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 48 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. La définition de la transnationalité 83. Explication du concept et de son évolution. Toute organisation internationale regroupant plusieurs États bénéficie d’un champ matériel et spatial sur lequel elle peut exercer son pouvoir et mener ses actions. Ses principes et règles sont exécutés, appliqués sur un territoire donné. C’est le cas de l’OHADA dont le champ spatial est constitué par le territoire des dixsept États membres qui la composent. De ce fait, l’OHADA et le droit qu’elle sécrète revêtent un caractère transnational. Ce terme suppose le franchissement d’une frontière et/ou s’exerce par-dessus les frontières indépendamment de l’action des États142. M. le Doyen Jean CARBONNIER a fait observer, à propos du caractère transnational que « l’on n’a pas a priori affaire sur un territoire donné, à un seul droit qui serait l’étatique, mais à une pluralité de droits concurrents, étatiques, infra-étatiques, supra-étatiques (…) le droit étatique devra subir la concurrence d’ordres juridiques distincts de lui » 143. 84. La notion a énormément évolué au fil des années. Philip JESSUP lance l’idée du « droit transnational » dans sa quête d’un encadrement adapté des relations internationales. Selon lui, l’on parle d’un droit incluant le droit international public et le droit international privé, non sans oublier le droit interne à portée internationale et encore moins les relations juridiques directement nouées par les personnes privées entre elles »144. 85. Aujourd’hui, l’expression sert à évoquer, selon certains auteurs, un « tiers ordre juridique » ou encore la Lex mercatoria, ensemble de règles d’origine purement privée qu’appliquent les pouvoirs privés, principalement économiques, dans leurs rapports internes ou avec les États. Ce sont des règles appliquées et applicables aux personnes privées notamment les entreprises privées ou autres acteurs mais qui peuvent être appliquées à des personnes de droit public. En prenant le cas de l’OHADA, ses règles et principes sont élaborés et adoptés par les États membres par le biais des institutions communautaires. De ce point de vue, leur origine n’est pas purement privée. À l’origine, ce seraient des règles issues du droit privé, du monde des affaires et adoptées à l’intention des acteurs de ce monde. Que ce soit le droit des sûretés, les voies d’exécution, le statut juridique des commerçants, le droit de la vente, toutes ces matières ont pour essence non pas des règles étatiques, mais des règles purement privées et s’inspirant du droit national privé des États membres. États qui, dans leur 142 G. CORNU, in Vocabulaire juridique, op.cit., p. 1038. 143 J. CARBONNIER, Sociologie juridique, P.U.F, Coll. Thémis Droit, Paris, 1978, p. 123. 144 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international Public, op cit., n°4 bis, p.43. 49 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil volonté d’harmonisation, s’en sont servi comme fondement pour élaborer les textes qui soustendront leurs actions et appuieront l’atteinte de leur objectif d’intégration juridique. Ces règles trouvant application sur le territoire de chacun des États membres de l’OHADA, s’imposent à eux avant de lier leurs citoyens. 86. Une approche extensive. Par ailleurs, le « droit transnational » est souvent employé de manière plus extensive pour désigner les systèmes juridiques qui se développent indépendamment de l’État et couvre également des relations possédant toujours des éléments d’extranéité, des ensembles normatifs de nature mixte par leurs sujets ou par leurs sources145. C’est l’hypothèse, d’une part, de rapports entre un État ou toute autre personne morale de droit public et une personne privée étrangère, et de l’autre de contrats transnationaux et de conventions internationales. Hypothèse également vérifiée avec le droit de l’OHADA qui, comme susmentionné, a vocation à s’appliquer aussi bien à des personnes morales de droit public qu’à des personnes privées. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, s’applique y compris aux sociétés dans lesquelles un État ou personne morale de droit public est associé, ce indépendamment de la nature de la participation : à titre d’associé ou d’actionnaire unique, d’actionnaire avec des partenaires ou encore dans le cadre d’une société d’économie mixte146. 87. Le caractère transnational s’apprécie du point de vue de la compétence internationale de l’État, c’est-à-dire du « pouvoir juridique conféré ou reconnu par le droit international à un État de connaître d’une affaire, de prendre des décisions, de régler un différend »147. C’est en vertu de cette compétence internationale que l’influence de l’État, sa compétence ratione loci est définie. La compétence spatiale qui est l’élément fondateur de la différenciation des compétences exercées par un État avec à la clé l’émergence et l’affirmation d’une notion 145 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, ibid. V. également J. SALMON, (sous. Dir.), Dictionnaire de Droit international Public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 394. « Le droit transnational c’est l’ensemble des règles qui transcendent du point de vue de l’objet, du champ d’application et de la source, les frontières d’un État. Ce droit comprend les principes généraux de droit, les coutumes et usages du commerce international, certaines lois uniformes, ainsi que la jurisprudence des tribunaux arbitraux. Le droit transnational peut également englober le droit administratif international ». J.-F. LALIVE, « René-Jean DUPUY, arbitre internationall’arbitrage international à l’heure de la mondialisation », hommage à René-Jean DUPUY, ouvertures en droit international, Paris, Pedone, 2000, p. 69. 146 L’Article 1er de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au Groupement d’Intérêt Economique dispose que : « toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des États parties au Traité relatif à l’harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, est soumise aux dispositions du présent Acte uniforme ». 147 Dictionnaire de la terminologie du Droit international, Sirey, 1960, p 132. 50 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil essentielle : le territoire. En effet, sur le plan des compétences, l’on distingue les compétences exercées sur le territoire et fondées sur la souveraineté étatique et le pouvoir politique des compétences exercées hors du territoire et dont l’exercice est rendu justement possible par les règles du droit international. 88. Le principe de la territorialité. Le caractère transnational du droit de l’OHADA transparaît dans la totalité des Actes uniformes adoptés dans le cadre de l’harmonisation. En effet, tous font référence, ou du moins érigent en condition sine qua non, la présence sur le territoire d’un des États membres. L’on a affaire au principe de la territorialité qui est un fondement essentiel du droit public. Suivant ce principe les actes émis par l’État n’ont d’effets, que dans les limites de son territoire. Le territoire est aujourd’hui, dans une perspective plus complémentaire, communément présenté comme « la sphère de compétence spatiale de l’État, le cadre de validité de l’ordre étatique »148. De même, en vertu de la transnationalité, les institutions communautaires de l’OHADA se substituent aux États pour ce qui est de l’édiction de normes qui s’imposeront à lui. C’est notamment le cas des Actes uniformes qui sont adoptés par un législateur interétatique et s’appliqueront de manière uniforme à tous les États membres. Il n’est cependant pas exclu que les États soient tenus d’appliquer des normes provenant d’autres États. C’est notamment le cas en droit de l’arbitrage. Dès lors que les parties installées dans des pays différents sont d’accord dans la convention d’arbitrage quant au choix de l’arbitre, seules les procédures et règles émanant de cette institution seront appliquées. 89. Un autre aspect non négligeable du caractère transnational du droit de l’OHADA réside dans le type de relations qu’il réglemente. Lesdites relations sont en général définies par l’extranéité qu’elles font intervenir en matière d’acteurs ou de destinataires du droit de l’OHADA ; destinataires dont l’État ne fait pas partie puisque le critère principal des relations transnationales consiste à ne pas mettre des États en présence. Ainsi, les relations se développent dans un cadre international avec notamment des parties qui sont établies sur des territoires différents. L’extension de l’influence du droit de l’OHADA à l’ensemble des États membres marque l’effectivité du caractère transnational du droit de l’OHADA. 148 Ch. ROUSSEAU, Droit international public, 10e éd., Paris, Dalloz, Coll. Précis Dalloz, 1984, n°153, p.140. 51 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. L’intérêt de la transnationalité 90. Transnationalité, efficacité et effectivité. Le caractère transnational de l’OHADA et du droit uniforme est loin d’être dénué d’intérêt. L’aptitude du droit de l’OHADA à être mis en œuvre et à déployer des effets sur le territoire de ses dix-sept États membres de manière identique est vitale pour l’effectivité et l’efficacité de l’œuvre harmonisatrice. Dans le contexte de la Mondialisation149, de la prédominance de l’économie de marché et du capitalisme, le droit uniforme OHADA est un atout majeur qui renforce la crédibilité de l’organisation et est bénéfique aux États membres. En effet, le droit des États parties était balkanisé, l’investisseur étranger avait de la peine à identifier le droit applicable. À cela s’ajoute la corruption doublée d’une méconnaissance par les juges du monde des affaires150, faisant régner dans ces États une insécurité juridique et judiciaire. Il régnait « un no man’s land juridique dans le domaine économique (…) qui exposerait l’opérateur économique aux aléas d’une législation obsolète, illisible et inadaptée » 151. L’investisseur étranger qui identifie des opportunités d’investissement importantes en Afrique est davantage rassuré par l’idée qu’il pourra bénéficier de garanties renforcées grâce au droit de l’OHADA. Dans le cadre de ses activités, il pourra se prévaloir d’un dispositif juridique identique dans le champ spatial de l’OHADA et bénéficiera d’une interprétation cohérente et uniforme des règles applicables en cas de litige grâce à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. 91. À titre d’illustration, peut être citée en matière commerciale, la connaissance des modalités de création d’une société qui sont communes aux États membres152. Avec la mondialisation, des acteurs d’un autre genre apparaissent : les firmes transnationales, des entreprises qui déploient leur action sur plusieurs pays. Leurs activités sont de plus en plus orientées vers les pays en voie de développement qui constituent un marché porteur avec un pouvoir d’achat très important. L’existence d’un cadre juridique et judiciaire communs, est avantageuse pour ces firmes qui prennent déjà un risque considérable en investissant dans des 149 M. SEYMOUR, États-Nations, Multi-nations et Organisations supranationales, Québec, éd. LIBER, 2002, p. 175, citant Kai NIELSEN, « il y a mondialisation économique lorsque des Organisations Trans-territoriales dirigent et contrôlent substantiellement les structures économiques du monde ». 150 P.-S.-A. BADJI, « Réflexions sur l’attractivité du droit OHADA », B.D.E, Laval, n°2, 2014, p. 50. 151 M. AKOUETE-AKOUE, « Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les investissements étrangers », Lamy Droit civ., janv. 2010, n°67, p. 85. 152 Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (G.I.E) ; la question des G.I.E est très intéressante en ce sens qu’elle est un vecteur de coopération entre entreprises. 52 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil zones parfois méconnues et jugées instables. L’existence d’un vaste champ spatial permet la division internationale du travail qui est un moyen d’optimisation des coûts à travers la répartition dans l’espace des différentes étapes du processus de production d’un bien ou des services. Par ailleurs, même dans l’hypothèse où il déploie ses activités dans un État nonsignataire du Traité fondateur de l’OHADA, il pourrait malgré tout bénéficier de l’application du droit de l’OHADA si le ou les partenaires d’affaires y sont soumis. 92. La mondialisation et les pôles d’influence. Aujourd’hui, à la faveur de la mondialisation153, des pôles de développement, des pôles d’influence se sont formés et gouvernent les relations internationales. La société internationale est devenue le cadre par excellence du lobbying à outrance et c’est à qui fera partie du groupe le plus influent. Les négociations sont âpres, ardues et des acteurs inattendus, avec lesquels il faut désormais compter, viennent bousculer l’ordre établi par le concert des pays développés. Ce sont les pays émergents, les pays qui bien que présentant des insuffisances, connaissent une croissance importante et constante. Face à ces mutations de l’environnement économique international, l’option idoine consiste à constituer un pôle d’influence fondé sur des aspects régionalistes, mais prenant en compte un domaine clé de l’économie ou ayant des relations avec l’économie. En créant l’OHADA, les États ont mis sur pied un acteur déterminant des relations internationales et ont regagné une place de choix au cœur de la société internationale. C’est dans ce sens qu’abonde le Professeur Paul-Gérard POUGOUE quand il affirme qu’« une organisation interétatique produit un droit uniforme de nature à garantir un climat de confiance concourant à faire de l’Afrique un pôle de développement. On cherche l’intégration juridique pour faciliter les échanges et les investissements et garantir la sécurité juridique des activités économiques »154. 93. Caractère transnational et sécurité juridique. De plus, l’OHADA a induit une croissance économique non négligeable en faveur des États membres si l’on en croit la courbe d’évolution des investissements dans les pays de la zone franc. Grâce notamment aux dispositions des Actes uniformes, les investisseurs bénéficient d’une prévisibilité du droit à échelle plus ou moins grande. Les États membres, tenus d’appliquer des règles juridiques 153 La Mondialisation amorcée dès 1973 a atteint son point culminant à la faveur du nouveau millénaire. Elle se manifeste par l’interdépendance croissante des économies et l’intensification de la concurrence, l’expansion des échanges. Elle induit la circulation de flux financiers et économiques à échelle mondiale, flux qui sont d’ailleurs multipliés. Il faut s’adapter aux nouvelles règles et contraintes et se les approprier. 154 P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », Revue de l’ERSUMA n° Spécial, nov-déc 2011, pp. 9-21. 53 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil uniformes en matière notamment de droit des sociétés et de droit commercial général, se distinguent dans le domaine laissé sous leur emprise et tributaire de la politique économique en vigueur. En effet, la fiscalité est le lieu pour les États, à travers des mesures incitatives à l’investissement, d’attirer les investissements étrangers. Certains États, à l’instar de la Côte d’Ivoire, adoptent un Code des investissements qui prévoit selon la durée des investissements, leur nature ou la zone d’implantation, des exonérations, des réductions d’impôts155. Ces facilités et avantages sont tributaires du respect des règles du droit de l’OHADA en amont. 94. Les avantages du caractère transnational du droit de l’OHADA ne se limitent pas aux investissements étrangers ; il a permis de développer le sens de l’entrepreneuriat dans sa zone d’influence. L’idée d’avoir des règles communes applicables dans plusieurs autres États dans des conditions identiques réduit les craintes liées au projet d’entreprise. Les entreprises, en se conformant aux principes établis par le droit de l’OHADA, renforcent leur compétitivité et favorisent le développement de leurs pays. Les conclusions du rapport Doing Business témoignent de cette croissance exponentielle de l’initiative privée en Afrique en général et dans la zone franc en particulier et de l’amélioration du climat des affaires156. Les autorités nationales engagent des réformes visant à améliorer la sécurité des investissements et le climat des affaires, à la lumière du droit de l’OHADA. 95. La zone franc pourrait tirer un autre avantage et non des moindres du caractère transnational de l’OHADA et de son dispositif juridique. Étant donné que l’OHADA partage un champ spatial d’application identique à celui d’autres organisations communautaires telles que l’UEMOA157, et dans une certaine mesure la CEMAC158, elle pourrait contrôler 155 L’Ordonnance n°2012-487 du 07 juin 2012 portant Code des investissements ivoirien, prévoit des avantages en faveur des entreprises qui créent ou développent des activités sous certaines conditions ; l’article 5 précise que « Les investissements dans chacun des secteurs visés par les dispositions du présent Code sont réalisés librement dans le respect des lois et règlements en vigueur en Côte d’Ivoire ». 156 Le Doing business, projet de la Banque mondiale, mesure les réglementations favorables et défavorables de l’activité commerciale ; ces rapports présentent des indicateurs quantitatifs sur la réglementation des affaires et la protection des droits de propriété de 189 pays. Selon les données du Doing business 2016 [www.français.doingbusiness.org], la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Togo, sont parmi les 10 pays qui se sont améliorés en 2013/2014 dans les domaines couverts par Doing business ; ils font partie des meilleurs réformateurs et ont adopté des mesures facilitant la pratique des affaires. Le rapport souligne que les membres de l’OHADA sont particulièrement actifs et que 24 des réformes engagées ont réduit la complexité et le coût des processus réglementaires quand cinq ont renforcé les institutions juridiques. 157 Créée le 10 janvier 1994 à Dakar, l’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire. Huit États 54 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’application des règles en vigueur notamment pour ce qui est des entreprises transnationales et des holdings. Il serait tout de même opportun de réglementer de manière idoine la question des investissements nationaux au regard de la prédominance du secteur informel qui est « omniprésent » dans les États membres de l’OHADA. Est-il possible de vouloir harmoniser le droit des affaires et laisser de côté tout un pan de l’économie nationale, régionale et interrégionale159 ? Un pan de l’économie qui semble rester indifférent aux manifestations du caractère transnational du droit de l’OHADA. B. Les manifestations du caractère transnational 96. Le droit de l’OHADA est d’application directe et immédiate (1) tout en ayant un effet direct (2). 1. L’application directe et immédiate 97. L’article 10 du Traité, le siège. Le caractère transnational du droit de l’OHADA se traduit par son application directe et immédiate au sein des États membres. Le droit de l’OHADA désigne le droit dérivé constitué des Actes uniformes, des règlements et autres actes juridiques adoptés en vue de l’application du droit de l’OHADA. Les caractères d’application directe (self executing) et immédiate font strictement référence aux Actes uniformes si l’on en croit les dispositions du Traité. Il faudrait y remédier et prévoir de manière expresse des caractères identiques aux autres normes du droit dérivé. Le siège en est l’article 10 du Traité fondateur de l’OHADA qui dispose que : « Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure »160. Que faut-il entendre par Acte uniforme ? Les Actes uniformes sont les actes adoptés par les organes compétents en vue côtiers et sahéliens, liés par l’usage d’une monnaie commune, le FCFA et bénéficiant de traditions culturelles communes, composent l’UEMOA : le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. L’UEMOA couvre une superficie de 3 506 126 km2 et compte 120,2 millions d’habitants. Le taux de croissance du PIB, à prix constant, est de 6,7% en 2017. (Source : INS/C. UEMOA : RSM juin 2018). [http://www.uemoa.int/fr/presentation-de-luemoa]. 158 La Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) regroupe six États de l’Afrique centrale suivants : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée-Equatoriale, le Tchad. La principale mission de la CEMAC est de développer un espace intégré et d’y promouvoir un développement harmonieux. [https://www.cemac.int/]. 159 C. TOHON, « Le Traité OHADA : l’anthropologie du droit et le monde des affaires en Afrique et en France », in Juridicités, cahiers d’anthropologie du droit, Paris, éd. Karthala, 2006, p. 134. 160 Article 10 du Traité fondateur de l’OHADA. 55 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’atteindre l’objectif d’harmonisation comme le précise l’alinéa 1 de l’article 5 du Traité. Les Actes uniformes relèvent du droit dérivé au Traité en ce sens qu’ils constituent les actes adoptés en vue de l’atteinte des objectifs définis par lui, à savoir l’intégration juridique. Ils constituent le droit substantiel de l’OHADA. 98. L’applicabilité directe. Expliciter la notion d’applicabilité directe du droit dérivé de l’OHADA revient à se référer au droit communautaire qui la définit ainsi : «l’applicabilité directe signifie que les règles du droit communautaire doivent déployer la plénitude de leurs effets d’une manière uniforme dans les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant la durée de leur validité (…) »161. Le droit de l’OHADA étant à notre sens un droit communautaire, c’est de manière naturelle qu’il produit ses effets dès son entrée en vigueur et jusqu’au terme de sa validité. L’entrée en vigueur est subordonnée à la publication des Actes uniformes au Journal Officiel de l’OHADA qui intervient selon l’article 9 du Traité dans un délai de 60 jours après l’adoption. Les actes ne sont véritablement applicables que quatrevingt-dix (90) jours après leur publication au Journal officiel de l’OHADA162. 99. L’applicabilité immédiate. Contrairement au droit primaire, qui est d’application médiate, le droit dérivé a vocation à s’appliquer immédiatement, ce qui signifie que « ses dispositions pénètrent dans l’ordre juridique interne en tant que tel, sans qu’il soit nécessaire d’assurer sa réception ou sa transformation en droit interne » 163, sans le recours au mécanisme de la transposition qui est utilisé pour l’application des directives dans la plupart des institutions communautaires. Aussi bien l’Union européenne que l’UEMOA164, utilisent dans le but 161 C.J.C.E, Aff. 106/77, Simmenthal, 9 mars 1978, Rec. 1978, P.629 et s. Dans l’affaire Administration des finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal, il est posé le principe selon lequel la primauté du droit communautaire s’exerce même vis-à-vis d’une loi nationale postérieure. 162 Les dispositions de l’article 9 semblent curieuses étant donné que la publication des Actes uniformes au Journal officiel de l’OHADA ne se suffit pas à elle-même ; la logique aurait voulu que dès la publication au J.O, les Actes soient applicables. L’autre problème réside dans le fait qu’il existe des différences quant à la date d’entrée en vigueur des Actes uniformes dans des hypothèses précises ; notamment la prévision d’une période transitoire qui permet la survivance de l’ancienne loi. 163 J.-Cl. GAUTRON, Droit Européen, 14e éd., Paris, éd. Dalloz, 2012, p.200 ; V. également sur la question, M.F. SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire dans les États francophones Ouest africains », Actes du Colloque de Ouagadougou, 24-26 juin 2003, in les cahiers de l’Association Ouest africaine des Hautes juridictions francophones, p. 85. 164 L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine est souvent perçue comme une concurrente de l’OHADA étant donné les caractères qu’elles ont en commun ; l’UEMOA est une organisation supranationale dont les actes bénéficient ainsi de la primauté, de l’applicabilité directe et immédiate et surtout qui partage avec l’OHADA un champ spatial presqu’identique. Elle réalise ses objectifs d’intégration par le biais de directives qui font l’objet de transposition. 56 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’atteindre leurs objectifs, la directive qui, bien que n’étant pas en principe directement applicable, offre l’avantage de la souplesse en ce sens qu’elle laisse le choix aux États quant aux moyens qu’ils jugent adaptés pour l’atteinte de ceux-ci. 100. Le principe de l’immédiateté emporte trois (3) conséquences : tout d’abord, le droit communautaire est intégré de plein droit dans l’ordre juridique interne sans une formule spéciale d’introduction. Ensuite, les normes communautaires prennent leur place dans l’ordre juridique interne en tant que droit communautaire. Enfin, les juges nationaux ont l’obligation d’appliquer le droit communautaire165. Cette immédiateté n’est que le corollaire de l’option en faveur du monisme en vertu duquel le Traité international s’applique en tant que tel dans l’ordre juridique national sans réception ni transformation dans l’ordre juridique interne des États parties du traité, sous réserve de sa ratification et de sa publication166. La publication dans le Journal Officiel de l’OHADA intervient ainsi dans les formes et délais requis après l’adoption des Actes uniformes. Le caractère transnational du droit de l’OHADA est ainsi confirmé d’autant plus qu’il acquiert un statut de droit positif au sein des États membres dès son entrée en vigueur dans le respect de son champ d’application. Et ce indépendamment de la publication des Actes uniformes au Journal officiel des États membres. En effet, « la publication des Actes uniformes au journal officiel d’un État partie est sans influence sur leur entrée en vigueur immédiate »167. S’il en était autrement, la cohérence et l’unification tant recherchée dans l’application du droit de l’OHADA seraient fortement compromises. Les États membres récalcitrants peuvent arguer de l’absence de publication des Actes uniformes dans leurs Journaux Officiels respectifs pour se soustraire à leur application. Méconnaissant 165 A.-Y. SARR, L’intégration juridique dans l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA) et l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), P.U.A.M, 2008, p. 369. 166 J.-M. NTOUME, « La force obligatoire des conventions internationales de droit économique et communautaire », actes du premier Congrès de l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), « le juge de cassation à l’aube du 21e siècle », Marrakech du 17 au 19 mai 2004, p.126. 167 Cour d’Appel du Centre (Cameroun), n° 333/ Civ., 2-8-2002 : KINGUE Paul Eric c/ HAJAL MASSAD ; il a été jugé dans cette affaire que « conformément à l’article 10 du Traité OHADA, la publication des Actes uniformes au journal officiel d’un État partie est sans influence sur leur entrée en vigueur immédiate. Par conséquent, la rupture d’un contrat de bail commercial doit revêtir certaines formes prescrites à peine de nullité telles que le caractère judiciaire prévu à l’article 101 de l’AUDCG et le juge des référés demeure compétent pour prononcer l’expulsion lorsqu’il n’y pas de contestation sérieuse ». L’intégration de cette décision dans l’article 9 du Traité de Port Louis en sa version révisée de 2008, témoigne de la volonté d’accorder une force absolue et sans partage au droit uniforme OHADA et surtout elle vient mettre fin aux débats et questions relatifs à l’opposabilité des Actes uniformes aux États membres. 57 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil par la même occasion le principe de la primauté et du caractère obligatoire du droit de l’OHADA qui sont essentiels à l’œuvre harmonisatrice. 101. Le caractère obligatoire. Cette force obligatoire est consacrée, comme précisé en amont par l’article 10 du Traité fondateur de l’OHADA et subsiste en dépit de l’existence de normes de droit interne contraires. La primauté du droit de l’OHADA l’exige et en adhérant à l’organisation qui le fonde, les États membres sont tenus de le respecter. La CCJA a, à travers sa jurisprudence, consacré le caractère obligatoire du droit de l’OHADA, notamment dans l’affaire Société AFROCOM en rappelant que « l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, étant d’application directe et obligatoire dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure, il s’applique aux actes de cautionnement postérieurs à son entrée en vigueur, conformément à l’article 150 dudit Acte. Viole les articles 4 et 150 de l’Acte susvisé, une norme de droit interne, motif pris de ce que les parties, en n’exigeant pas les prescriptions de l’Acte uniforme, ont renoncé aux dispositions dudit Acte » 168. Le caractère direct et obligatoire des Actes uniformes leur permet d’échapper au contrôle de constitutionnalité. Celui-ci ne peut intervenir « que a priori, lors de l’examen des projets par les différentes commissions nationales en premier ressort ou en dernier ressort par le Conseil des ministres des Finances et de justice des États membres » 169. 2. L’effet direct du droit de l’OHADA 102. Un effet à destination des justiciables. Aux caractères obligatoires et d’applicabilité immédiate du droit de l’OHADA, s’ajoute l’effet direct qu’il convient de distinguer de l’applicabilité directe. Alors que l’applicabilité directe s’entend d’une norme de droit communautaire incorporée dans l’ordre interne et qui n’impose aucune norme nationale 168 CCJA, Arrêt n° 18/2003 du 19 octobre 2003, Société AFROCOM, contre Caisse de Stabilisation et de Soutien des Prix des Productions Agricoles dite CSSPPA, Le Juris-Ohada, n° 4/2003, p. 10, note BROU Kouakou Mathurin, Recueil de jurisprudence CCJA, n° 2, juillet-décembre 2003, p. 30. Dans cette affaire, il était question d’obtenir que soient déclarés nuls, et de nul effet, les actes de cautionnement donnés postérieurement au 1er janvier 1998 par ECOBANK et la BACI au profit de la CSSPPA. En le faisant sur le fondement de la violation de l’article 4 de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés déjà en vigueur au moment de la rédaction des actes litigieux, la CCJA confirme le caractère obligatoire des Actes Uniformes. Caractère qu’elle avait déjà affirmé dès 1999 dans son avis n°2/99/EP du 13/10/1999, in Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier 2003, p. 71 ; la Cour a estimé que le projet de loi malien qui instituait « des conditions nouvelles, impératives et restrictives » en matière de voies d’exécution, contrevenait à l’article 10 du Traité OHADA qui affirme la force obligatoire des Actes uniformes sur les dispositions du droit interne (…). 169 F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », [www.ohada.com], op.cit., p. 4. 58 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil complémentaire170, l’effet direct s’intéresse plutôt aux destinataires in fine de ce droit communautaire : les particuliers, personnes privées physiques et/ou morales. L’on dit d’une norme qu’elle est dotée de l’effet direct lorsqu’elle crée des droits en faveur des particuliers qui ont la possibilité de l’invoquer et de s’en prévaloir devant le juge national171 ; ces personnes peuvent demander elles-mêmes l’application de la norme aux organes des pouvoirs publics ou à défaut aux tribunaux de l’ordre juridique interne172. Les tribunaux sont tenus de se conformer à ladite norme en raison de son caractère supranational donc de sa primauté sur l’ordre interne. L’effet direct pose « la problématique des rapports entre le droit international et les particuliers. Une norme est dite directement applicable si elle a vocation à se saisir ès qualités des sujets nationaux et que ces sujets ont le droit de s’en prévaloir »173 . 103. L’effet direct horizontal et l’effet direct vertical. L’OHADA a été instituée en vue d’assurer l’harmonisation du droit des affaires nécessaire à la sécurisation des investissements. Il est tout à fait normal que les acteurs du monde des affaires que sont les particuliers puissent bénéficier de la force du droit de l’OHADA et en tirer tous les avantages et privilèges. En raison de son caractère transnational, le droit de l’OHADA peut être invoqué d’une part dans les rapports entre ressortissants des États membres et de l’autre dans un litige entre un individu et un État membre. Il s’agit respectivement de l’effet direct horizontal et de l’effet direct vertical174. Mais l’effet direct ne doit pas être réduit à l’invocabilité. Il est clair que dès lors qu’un dispositif juridique crée des droits, des obligations lui sont également rattachées. Par exemple, un particulier ne peut refuser que lui soit appliqué un Acte uniforme 170 H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, op. cit, n° 638, p. 180. Concernant la distinction de l’effet immédiat et l’effet direct, « par l’effet immédiat, l’application de la loi n’est ni rétroactive, ni différée, elle est instantanée. L’immédiateté relève du régime du conflit des lois dans le temps ». 171 L’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963 est fondamental. Dans cet arrêt la CJCE observe que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ». Par cette décision, c’est le droit des citoyens à invoquer le Traité pour faire valoir leurs droits qui est reconnu. 172 P.-M. DUPUY, Y. KERBRAT, Droit international public, 14e éd., Paris, Dalloz, 2018, n°419, pp. 459-460. 173 H. TCHANTCHOU, ibid. 174 B. GUEYE, S.-N. TALL, OHADA Traité et Actes uniformes commentés et annotés, note relative à l’article 10 du Traité, Juriscope, 2012, p. 37. 59 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil sous prétexte qu’il l’a écarté, ou qu’il y a renoncé175, le caractère obligatoire de celui-ci s’étendant à lui également. 104. L’effet direct n’intervient pas ex nihilo. Son déclenchement est subordonné à l’entrée en vigueur des Actes uniformes, c’est-à-dire à la publication des Actes uniformes au journal officiel de l’OHADA dans les formes et délais requis. La publication au Journal officiel des États membres est de ce fait inopérante en la matière176. Son rôle est simplement celui d’un outil de vulgarisation du droit de l’OHADA au sein des États membres. Si pour rendre applicables les Actes uniformes en droit interne, une telle publication devait suivre celle au Journal officiel de l’OHADA, « il dépendrait de la discrétion de chaque État partie de différer ou d’ajourner indéfiniment l’application du droit intégré et les Actes uniformes seraient appliqués à des dates différentes » 177. En principe, la situation est claire et ne devrait poser aucune difficulté pour ce qui est de l’application effective du droit de l’OHADA. Le taux non négligeable d’analphabétisme et le caractère limité de la vulgarisation du droit, freinent l’effectivité du droit de l’OHADA. Il aurait fallu, que le Traité OHADA érige en condition supplémentaire de l’entrée en vigueur des Actes uniformes, la publication dans les Journaux officiels des États membres sous peine de sanction. La supranationalité et le caractère transnational de l’OHADA sont les principes qui gouvernent la soumission des États membres à l’organisation et à son dispositif juridique. L’application directe et immédiate, ainsi que le caractère obligatoire du droit de l’OHADA, découlent de ces principes directeurs. L’influence du droit de l’OHADA s’étend au droit commun national des États membres. 175 Il est impossible de renoncer tacitement ou explicitement aux Actes uniformes au profit d’une norme de droit interne vu qu’ils sont obligatoires et d’application immédiate ; l’arrêt Société Afrocom rendu le 19 Octobre 2003 par la CCJA se prononce en ce sens. 176 Le caractère inopérant de la publication des Actes uniformes dans les journaux officiels des États membres pourrait sembler curieux ; les dispositions constitutionnelles desdits États conditionnent l’opposabilité d’un acte juridique de portée générale à sa publication dans le journal officiel. Il n’est pas exclu que ces dispositions soient invoquées pour écarter l’application d’un Acte Uniforme. La supranationalité de l’OHADA et donc du droit de l’OHADA permettent de résoudre la question. 177 J. ISSA-SAYEGH, « Les instruments nationaux de l’intégration juridique dans les États de la zone franc », in De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard POUGOUE, éd. du CREDIJ, 2014, p.371. 60 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Section 2. Les incidences de la soumission du droit commun national 105. Les États membres qui ont marqué leur adhésion pleine et entière, sans réserve au traité fondateur de l’OHADA, renoncent dans une certaine mesure à la souveraineté législative qui est la leur. La force du droit de l’OHADA est telle que chaque État membre doit faire face à la substitution de cet ensemble de règles aux siennes propres (§1) tant et si bien que le droit commun national au sens de droit civil, en est réduit à se mettre en retrait (§ 2). § 1. La substitution de plein droit du droit de l’OHADA au droit commun national 106. L’article 10 affirme la force obligatoire des Actes uniformes et par la même voie leur supériorité par rapport au droit national. Cette supériorité se manifeste par la réception du droit de l’OHADA dans le dispositif juridique des États membres, soit par le mécanisme de l’abrogation totale ou partielle (A), soit par la survie exceptionnelle des dispositions nationales (B). A. Le principe de l’abrogation totale ou partielle 107. Le principe de l’abrogation relève avant tout de l’application de la loi dans le temps (1) et est mis en œuvre suivant des hypothèses diverses (2). 1. Le principe de l’application dans le temps des lois nouvelles 108. Un principe de non-rétroactivité diversement appliqué. L’application de la loi nouvelle dans le temps pose une question cruciale en droit : celle de savoir quelle situation la loi nouvelle a vocation à régir quand elle intervient. Les faits ou actes demeurent-ils sous l’empire de la loi ancienne ? En la matière, c’est en se référant à l’article 2 du Code civil que l’on résout la question, en apparence du moins. Selon cet article, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » 178. De cet article, deux idées essentielles fondent la solution retenue. D’une part, il est précisé que « la loi ne dispose que pour l’avenir ». La loi régira uniquement les situations juridiques nées postérieurement à son entrée en vigueur179. C’est par exemple l’hypothèse de l’application de l’Acte uniforme portant organisation des 178 Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle a une valeur constitutionnelle en droit pénal avec sa consécration à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui est partie intégrante du bloc de constitutionnalité. En droit civil la valeur est simplement législative. 179 F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n°516, p. 427. 61 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil sûretés180 . En vertu de l’article 227, cet Acte ne s’applique qu’aux sûretés consenties ou constituées après son entrée en vigueur. Celles consenties ou constituées antérieurement restent soumises à la législation alors en vigueur jusqu’à leur extinction. Cette solution permet de traiter de la seconde idée contenue dans l’article 2 susvisé. Celle de « l’effet non rétroactif de la loi ». En effet, le principe est que la loi est sans application aux situations juridiques dont les effets ont été entièrement consommés sous l’empire d’une loi précédente181 . Un acte de cautionnement qui a été valablement constitué et dont l’obligation principale s’est vue être modifiée et par la suite éteinte sous l’empire de la loi d’un État, ne pourra subir les effets de l’Acte uniforme relatif aux sûretés. De l’article 2, il faut retenir une volonté de protéger la liberté des individus, valeur fondamentale des droits de l’homme ; s’assurer de la stabilité des situations juridiques et de la sécurité juridique. Cette valeur si chère aux juristes, la sécurité juridique, a porté toute l’action du législateur français dans la réalisation de la réforme du droit des contrats. Le Professeur Mustapha MEKKI l’affirme à raison : « pour des raisons de sécurité juridique, le législateur a fait le choix de ne soumettre à ces dispositions nouvelles que les contrats conclus après la date de l’entrée en vigueur de la réforme. Les exceptions sont rares et concernent les alinéas 3 et 4 de l’article 1123, l’article 1158 et l’article 1183 qui s’appliqueront aux contrats en cours dès son entrée en vigueur »182. 109. Des difficultés peuvent néanmoins se présenter et se présentent souvent pour ce qui est de la mise en œuvre des deux propositions contenues à l’article 2, entraînant des conflits de lois. En effet, « Si l’art de faire les lois est entre tous difficile, celui de les insérer dans le temps est plus périlleux encore. Heureux est-on lorsque, croyant aplanir quelques difficultés, l’on n’en crée pas de nouvelles » 183. La réalisation de certaines situations juridiques peut s’étaler dans le temps en raison de la nécessité de plusieurs actes ou encore de la production d’effets sous la loi nouvelle184. C’est le cas notamment pour les contrats à exécution successive tels que le 180 Acte uniforme du 15 décembre 2010, J.O OHADA, n°22, du 15/02/2011. 181 F. TERRE, Introduction générale au droit, ibid. 182 M. MEKKI, « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : Le volet régime des obligations et de la preuve : parfaire un peu et refaire beaucoup », D. 2016, p. 608. 183 J. NORMAND, « L’application dans le temps des lois de droit judiciaire privé au cours de la dernière décennie », Mélanges P. RAYNAUD, Paris, Dalloz – Sirey, 1985, p. 558. 184 V. sur ce point, G. CORNU, Droit civil : Introduction au droit, 13e éd., Paris, Montchrestien, Coll. Domat Droit privé, 2007, n° 368, p. 194, quand il affirme que « le problème des conflits de lois est complexe ; il prend tout son intérêt lorsqu’il s’agit de décider si la nouvelle saisit ou renonce à saisir des situations juridiques déjà 62 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil contrat de prêt assorti d’un taux d’intérêt ou le bail à usage d’habitation. Ces difficultés conduisent soit à « une application maximale de la loi ancienne qui couvrira les situations passées comme futures : survie de la loi ancienne ; soit à une application maximale de la loi nouvelle, qui couvrira à son tour les situations passées et futures » 185. 110. La théorie des droits acquis. En pratique, les difficultés sont résolues par le biais de l’interprétation de l’article 2 du Code civil, interprétation faite par la doctrine et la jurisprudence et qui intéresse le législateur. Pour ce qui est de la doctrine, deux écoles de pensées s’affrontent : la théorie des droits acquis et la théorie de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Pour les tenants de la théorie des droits acquis, théorie classique et traditionnelle, le principe de non-rétroactivité s’oppose à ce que les droits acquis soient remis en cause et le législateur doit respecter de tels droits186 . Les droits acquis étant ceux dont a pu bénéficier un individu sous l’empire d’une loi ancienne et qui ne peuvent plus être remis en cause par application d’une loi nouvelle. Cette théorie tend à conserver la loi ancienne qu’elle souhaite voir être pérennisée le plus longtemps possible. Elle souffre de son caractère conservateur et peu réaliste en raison justement de l’évolution des situations juridiques, de leur complexité qui nécessite l’adaptation des règles de droit , leur évolution et surtout une certaine souplesse. 111. La théorie de l’effet immédiat de la loi nouvelle. La théorie de l’effet immédiat de la loi nouvelle est une théorie plus moderne que l’on doit au Doyen Paul ROUBIER. L’auteur raisonne à partir de « la situation juridique », tient compte des situations légales contrairement à l’ancienne doctrine. Il distingue les deux propositions de l’article 2 du Code civil à savoir « la non-rétroactivité de la loi » et « la question de l’application immédiate ». Selon lui, alors établies au jour de son entrée en vigueur, mais appelées postérieurement à cette date, à produire d’autres effets de droit qui se développent dans le temps». 185 P. DEUMIER, Introduction générale au droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 2013, n° 276, p. 225. 186 Ph. MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, 18e éd., Paris, LexisNexis, 2018, n°164, p. 151. Cette doctrine distingue les droits acquis des simples expectatives qui elles peuvent être remises en cause par le législateur ; les expectatives étant selon Gérard CORNU « les situations en suspens, les simples espérances » qui sont régies par la loi nouvelle », G. CORNU, Droit civil (…), op. cit., n° 371, p. 195. Par un arrêt du 20 février 1917, la chambre civile a fait application de cette distinction dans une affaire relative à l’action en recherche de paternité ; estimant que « la recherche en paternité ne constituait pour le père qu’une expectative », Civ. 20 fév. 1917, DP 1917, 1, 81, concl. Sarrut, note H. Capitant. La doctrine des droits acquis fait l’objet de nombreuses critiques en ce sens que si elle était bien valable pour des situations contractuelles pour lesquelles elle a été conçue selon ses détracteurs, elle ne convenait pas aux situations légales qui visent pour la plupart la satisfaction de l’intérêt général. V. à titre de comparaison, H. BATIFFOL, « Conflits de lois dans l’espace et conflits de lois dans le temps », Mélanges RIPERT, 1950, t. I, p. 301. 63 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil que le passé demeure régi par la loi ancienne, l’avenir l’est par la loi nouvelle. Mais il opère une distinction pour les situations juridiques qui se sont constituées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et qui prolongent leurs effets au-delà de celle-ci : « la loi nouvelle ne peut pas revenir sur les conditions dans lesquelles ces situations se sont constituées ni modifier les effets qu’elles ont déjà sortis (non-rétroactivité de la loi nouvelle), en revanche elle s’empare de ces mêmes situations pour leur faire produire à compter de son entrée en vigueur, des conséquences éventuellement différentes (effet immédiat de la loi nouvelle) »187. Cependant, la solution est différente pour les situations contractuelles qui demeurent régies même pour l’avenir par l’ancienne loi, loi sous l’empire de laquelle elles ont été créées188. Il s’agit du principe de la survie de la loi ancienne pour les situations contractuelles en cours. Principe qui vise à sauvegarder la sécurité juridique et le respect de la volonté des co-contractants qui ont tenu à s’engager sur le fondement d’une loi précise. L’existence de ce principe ne fait aucun obstacle à l’intervention du législateur ou du juge pour déclarer une loi nouvelle immédiatement applicable au contrat en cours. 112. L’énonciation de ce principe montre bien qu’en dépit des nombreuses critiques essuyées par la doctrine classique, elle n’est pas totalement écartée pour autant. En réalité, la solution aux conflits de lois réside dans la combinaison des deux théories qui sont complémentaires. La théorie de l’effet immédiat présente l’avantage de la modernité en prenant en compte les situations juridiques et par cette voie leur vocation à évoluer tout en n’occultant pas les situations légales. Avec cette approche, la stabilité des conventions est assurée. La doctrine contemporaine considère à juste titre que les deux théories sont compatibles. « L’une n’exclut 187 P. ROUBIER, cité par F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 526, p. 439. Les lignes directrices de Paul ROUBIER demeurent valables et reconnues par la doctrine. V. également P. DEUMIER, Introduction générale au droit, op.cit, n° 278, p. 227. L’auteur énonce les différentes situations juridiques identifiées par le Doyen : « les conditions de création ou d’extinction des situations juridiques et leurs effets passés ; les situations juridiques nées avant la loi nouvelle mais dont les effets sont en cours, les situations contractuelles » ; G. CORNU, Droit civil (…), op. cit., n°373 et s., pp. 196-197 ; J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 12e éd., Paris, Dalloz, 2008, pp.88-101. Les auteurs adoptent la position du Doyen ROUBIER tout en retenant trois principes : « celui de la non-rétroactivité de loi, principe négatif et général auquel s’ajoute deux principes positifs et alternatifs qui commandent l’un l’application immédiate de la nouvelle loi et l’autre le maintien de la loi ancienne ». 188 R. CABRILLAC, Introduction générale au droit, 12e éd., Paris, Dalloz, 2017, n°140, p. 137. Le principe de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle a largement été appliqué par les tribunaux ; selon la chambre civile de la cour de cassation « les contrats passés sous l’empire d’une loi ne peuvent recevoir aucune atteinte d’une loi postérieure », Civ. 7 juin 1861. 1. 507. La Cour de cassation précise également que « les effets d’un contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé (…) », Civ., 7 juin 1901, D. 1902, 1. 105. 64 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil pas l’autre ; elles doivent être combinées, la théorie de l’effet immédiat s’appliquant au cas où une loi nouvelle vienne modifier les effets d’une situation légale, celle des droits acquis conduisant en revanche à la survie de la loi ancienne pour régir les effets d’une situation contractuelle mise en place antérieurement »189. Et c’est dans une logique similaire que la jurisprudence inscrit en général ses solutions. Un tempérament existe néanmoins au principe de la survie de la loi ancienne aux contrats en cours. En effet, la jurisprudence admet qu’une loi d’ordre public impérieux s’applique aux contrats en cours. 113. Une application des deux théories par le législateur de l’OHADA. En définitive, il apparaît clairement que l’approche du législateur de l’OHADA a consisté à retenir l’un ou l’autre des principes suivant les situations juridiques et les matières concernées. Pour ce qui est de l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés, l’on a bien affaire au plébiscite du principe de non-rétroactivité de la loi de manière stricte doublé du maintien de la loi ancienne pour les situations contractuelles. La modification par l’Acte uniforme du régime d’une sûreté légale née sous l’ancienne législation de droit interne de manière moins avantageuse, est sans effet. Son mode opératoire est fondé, dans la mesure où le mode contractuel est le mode par excellence de la constitution des sûretés et des garanties de paiement, portée par la confiance aux textes en vigueur et en l’autre partie. Si une loi nouvelle devait venir modifier les conditions relatives à une convention déterminée, cela engendrerait une situation d’injustice et remettrait en question la force du lien contractuel. 114. Le droit de l’OHADA en dépit de la puissance qui est la sienne, en dépit de son caractère supranational, voit celle-ci limitée par la nécessité du respect des droits acquis et des situations contractuelles légalement et valablement formées au sein des États membres. Encore que cette limitation intervienne de la volonté propre des institutions de l’OHADA. Tout fait qui contribue au renforcement de la confiance placée en ce nouveau dispositif et en l’atténuation des difficultés d’application qui peuvent apparaître. De manière générale et hormis des cas précis, les Actes uniformes de l’OHADA consacrent le principe de la nonrétroactivité de la loi nouvelle. La formule utilisée est celle qui énonce l’application des Actes uniformes aux actes conclus après leur entrée en vigueur190. La question des sûretés est assez complexe au sein des États membres de l’OHADA. Ces États connaissent peu ou mal le droit des garanties qu’ils doivent aux puissances colonisatrices. 189 Ph. MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, op. cit., n°166, p. 152. 190 De telles formules apparaissent dans les Actes uniformes et peuvent être perçues par le biais d’une interprétation a contrario. 65 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. Les hypothèses d’abrogation du droit civil national 115. La reconnaissance de la portée abrogatoire. En vertu de l’application de la loi nouvelle dans le temps, les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Étatsparties. Ces caractères assignés aux Actes uniformes entraîneraient la reconnaissance d’une portée abrogatoire. L’abrogation est un des modes de cessation des effets de la loi qui entraîne son inapplicabilité pour l’avenir. L’abrogation est une annulation instantanée et prospective n’ayant donc pas d’effet rétroactif. Elle ne peut concerner qu’un acte de législation qui a valablement produit ses effets. L’abrogation vise à écarter entièrement un acte de législation et c’est l’hypothèse de l’abrogation totale, ou une partie d’un acte de législation dans le cadre de l’abrogation partielle191. 116. Deux modalités d’abrogation existent : l’abrogation explicite par le biais de dispositions finales précisant les textes concernés et l’abrogation implicite ou tacite qui « résulte de l’incompatibilité des dispositions de la loi nouvelle avec les dispositions antérieures ; elle suppose une contrariété entre les textes »192. En pratique, le nouveau texte vient en remplacement du texte anciennement en vigueur qui lui est contraire par ses dispositions. L’appréciation se fait au cas par cas, ce qui soulève des questions d’autant plus que l’abrogation n’est pas prononcée expressément. Aussi bien l’abrogation totale que celle partielle, sont fondées sur la valeur des actes concernés. Un texte ne peut en abroger un autre que parce qu’il a une valeur égale ou supérieure à lui. 117. Il est généralement admis que l’article 10 du Traité consacre l’abrogation du droit interne par les Actes uniformes. La reconnaissance de cette portée abrogatoire découle de l’interprétation faite par la doctrine et les juridictions, précisément la CCJA. Faut-il réellement voir en l’article 10 une telle force193 quand il dispose que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure » ? Il ne fait aucun doute que les Actes uniformes exercent une suprématie194 sur le droit interne des États membres et c’est à juste 191 P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, Bruylant, Bruxelles, 2009, n°211, p. 307. 192 P. PESCATORE, op.cit., p. 308. 193 P. DIEDHOU, « L’article 10 du Traité de l’OHADA : quelle portée abrogatoire et supranationale ? », Rev. dr. unif., 2007, pp. 265-283. 194 K. KOUADIO, « Les atouts et les faiblesses de la réglementation uniforme de l’OHADA », Actualités économiques, éd. Économique, n°4/2012, p. 100. Selon l’auteur, la primauté du droit de l’OHADA entraîne son insertion dans le droit national qui elle consacre l’éviction ou l’abrogation des dispositions nationales contraires. 66 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil titre qu’il s’applique en dépit et au détriment de toute disposition contraire. L’application d’un Acte uniforme fait obstacle, en principe, à la survie d’un droit interne qui lui serait contraire. Un tel droit qui était valable et avait produit des effets, se verra anéanti par le droit uniforme. D’où l’émergence de l’idée d’abrogation du droit national à laquelle nous adhérons. En effet, pourrait-on valablement arguer de la suprématie du droit de l’OHADA s’il devait se contenter de déployer ses effets sans influencer le droit national ? L’œuvre harmonisatrice ou en réalité unificatrice n’existerait que de nom. 118. Les dispositions visées par l’abrogation. L’abrogation dont il est question s’adresse à des dispositions particulières du droit national des États membres. Elle concerne, en premier lieu, les dispositions contraires au droit de l’OHADA et en second lieu, les dispositions ayant un objet similaire aux Actes uniformes195. Les dispositions contraires au droit de l’OHADA sont celles qui consacrent des solutions incompatibles avec ce droit et lui sont opposées. La portée abrogatoire du droit de l’OHADA est totale en ce sens que les dispositions antérieures contraires sont abrogées. Elle est partielle dès lors que les dispositions non contraires peuvent subsister. L’abrogation n’est pas formellement exprimée dans les textes des Actes uniformes, exception faite de quelques-uns. L’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif est une illustration de l’abrogation explicite. L’article 257 dispose que « sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à celles du présent Acte uniforme » 196. Ainsi des procédures collectives mises en œuvre en vertu de dispositions nationales contraires seraient nulles et de nul effet. Cette abrogation pourrait trouver son sens dans l’existence de l’article 10 qui est clair sur la question. Cependant, dans un souci d’effectivité du droit de l’OHADA, il aurait fallu insister sur le caractère abrogatoire du droit substantiel en le précisant dans les dispositions finales de chaque Acte uniforme. Ce, afin d’éviter le recours au droit national contraire en lieu et place du droit uniforme et le contentieux en la matière. De même, la précision du caractère abrogatoire contribue à la cohérence de l’œuvre harmonisatrice. 195 La Cour Commune de Justice et d’arbitrage a par son avis du 30 avr. 2001 précisé la notion de « loi contraire » qui « selon les cas d’espèce, peut s’entendre aussi bien d’un texte de droit interne ayant le même objet qu’un Acte uniforme et dont toutes les dispositions sont contraires à celles d’un autre Acte uniforme, que d’une loi ou d’un règlement dont seulement l’une des dispositions ou quelques-unes de celles-ci sont contraires ». Dans ce dernier cas, les dispositions du droit interne non contraires à celles de l’Acte uniforme considéré demeurent applicables. CCJA Avis n°1/2001/EP du 30 avr. 2001, Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier 2003, p. 74. 196 L’Acte uniforme du 24 mars 2000, portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises consacre une règle identique en son article 112. 67 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 119. Les Actes uniformes abrogent également les textes de droit interne qui ont un objet identique au leur. Ici, le caractère contraire ou non est inopérant, seul est pris en compte l’objet du texte197. En la matière, l’article 336 de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement de créances et les voies d’exécution précise que « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les parties »198. Dès lors qu’une matière ou une question fait l’objet d’un Acte uniforme ou y est évoquée, le droit interne n’a plus vocation à s’appliquer qu’il soit antérieur ou postérieur. Avec cette formule radicale de l’article 336 susvisé, c’est presque la totalité du droit des États membres en matière de voies d’exécution qui est privé d’effet et qui n’a plus cours. Cependant, cette abrogation n’est pas dénuée de sens. Selon l’esprit du législateur de l’OHADA, le droit de l’OHADA fait office de « loi commune » en matière de droit des affaires. Il est le cadre de référence et de mise en cohérence de législations africaines éparses, obsolètes et parfois différentes suivant la culture juridique et les orientations politiques. Permettre que des textes ayant un objet identique à celui des Actes uniformes subsistent, reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore et à alimenter le contentieux déjà important en matière d’application du droit de l’OHADA199. 120. L’étendue de la portée abrogatoire. La question de la portée abrogatoire du droit de l’OHADA n’est pas sans susciter des interrogations notamment pour ce qui est du caractère exhaustif des normes concernées. N’ont de portée abrogatoire, que les Actes uniformes aux termes de l’article 10 du Traité. Alors que le droit dérivé de l’OHADA inclut les règlements200 et tout autre acte, adoptés dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’OHADA. En référence aux dispositions de l’article 10, les États membres ne seraient liés que par la 197 L’Acte uniforme portant sur le droit commercial général a abrogé celui du 17 Avril 1997. Cette abrogation est compréhensible étant donné que ledit Acte faisait office de droit national pour les États membres dès son entrée en vigueur et qu’il ne pouvait valablement subsister aux côtés d’un autre Acte uniforme ayant un objet identique au sien. 198 Article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution. 199 C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), dans un arrêt n° 106/2014, en date du 04 novembre 2014, rendu en Assemblée plénière. La Cour précise que « l’application des Actes uniformes OHADA dans les matières qu’ils régissent n’est pas une faculté mais bien une obligation qui s’impose dans leur application aux juridictions nationales. Doit être cassé l’arrêt qui, pour une matière régie l’Acte uniforme sur les sûretés, fait application des dispositions du droit national ». 200 L’article 4 du Traité de Port Louis révisé au Québec dispose que « des règlements pour l’application du présent traité et des décisions seront pris chaque fois que de besoin, par le Conseil des Ministres, à la majorité absolue ». 68 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil suprématie des Actes uniformes. Si la hiérarchie des normes201 impose une supériorité de la loi aux actes réglementaires, il se pose la question de la place des règlements OHADA face à la loi nationale des États membres. Répondent-ils à la même règle d’ordonnancement ? Bien que pouvant sembler dénuée d’importance, la question n’est pas futile si l’on prend le cas des règlements de procédure de la CCJA et d’arbitrage de la CCJA. Un État membre est-il tenu de respecter ces actes au même titre que les Actes uniformes ? En réalité, bien qu’il soit plus aisé de retenir que les Actes uniformes ont un rang supérieur à celui des règlements202, il convient de tenir compte d’un fait : des actes adoptés en vue de l’application d’actes jugés supérieurs au droit des États membres devraient pouvoir bénéficier d’une valeur identique. Les Actes uniformes constituent le principal et tout acte adopté en vue de leur application en est l’accessoire. L’accessoire suivant le principal, il est clair que les États membres de l’OHADA sont tenus de se conformer au règlement d’arbitrage de la CCJA dans le cadre de l’exercice par celle-ci de ses attributions. L’article 34 dudit règlement rappelle d’ailleurs qu’il entre en vigueur trente (30) jours après sa signature. Il aurait fallu que le législateur de l’OHADA prenne exemple sur l’UEMOA qui a, au sein de l’article 43 de son Traité fondateur, clairement énoncé la valeur de chaque type d’acte adopté203. D’autant plus que la même question est soulevée par les décisions204 adoptées par le Conseil des ministres dans le cadre de l’œuvre d’harmonisation. 121. Au total, l’abrogation du droit national contraire par le droit de l’OHADA est un aspect de la substitution du dernier au premier cité. En abrogeant le droit national dans les hypothèses prévues, le droit uniforme le remplace et devient le droit positif, mais uniquement et la précision est nécessaire, dans les matières qu’il traite. L’objectif visé des signataires du traité de Port louis justifie la suprématie accordée au droit de l’OHADA qui, en vertu de l’article 1er du Traité constitutif, est un droit commun aux Etats membres. En effet, le texte dispose que : 201 Il s’agit de l’ordonnancement pyramidal tel que défini par Hans KELSEN. 202 M.-F. SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire », op. cit., p. 84. Selon l’auteur c’est la nécessité d’obtenir l’unanimité des membres du conseil des ministres pour l’adoption des Actes uniformes qui laisse penser à leur supériorité. 203 Selon l’article 43 du Traité UEMOA, « Les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout État membre. Les directives lient tout État membre quant aux résultats à atteindre. Les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent. Les recommandations et les avis n’ont pas de force exécutoire ». 204 V. Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999, relative aux frais d’arbitrage, J.O OHADA, 15/05/99, p.21. 69 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes (…) Cette homogénéité de règles n’est cependant pas absolue puisqu’il est permis au droit national de coexister aux côtés du droit de l’OHADA. B. L’exception : La survie du droit national 122. Dans certaines hypothèses, le droit de l’OHADA autorise expressément le droit national à exister (1) lorsque ce n’est pas le droit transitoire qui y consent (2). 1. L’autorisation expresse du droit de l’OHADA 123. L’expression de la volonté du législateur de l’OHADA. Le caractère supranational reconnu à un ensemble de règles est déterminant dans sa mise en œuvre. Parce qu’un droit est « supranational », « supra-étatique », il s’impose à d’autres normes qui lui sont jugées inférieures et fait en général obstacle à leur application. L’application du droit de l’OHADA est en principe réalisée, au détriment de celle des dispositions du droit interne. Le droit de l’OHADA est le droit uniformément applicable au sein des États membres dans les matières qu’il réglemente. En sa qualité de droit supranational, il fixe lui-même l’étendue de ses pouvoirs et les modalités de son application. Le droit national peut alors subsister par le biais d’une autorisation « expresse » du droit de l’OHADA, c’est-à-dire une expression formelle205, sans équivoque qui ne laisse aucunement planer le doute quant à la volonté manifestée. De manière concrète, les dispositions du droit uniforme précisent clairement et sans équivoque que le droit interne en certaines matières, continue à trouver application en faveur des États membres. L’Acte uniforme relatif au droit commercial général206 précise dans son article 1er que « tout commerçant ou tout entreprenant demeure soumis aux lois non contraires au présent Acte uniforme, qui sont applicables dans l’État partie où se situe son établissement ou son siège social ». De telles dispositions témoignent bien de la force et de la suprématie du droit de l’OHADA qui encadre les hypothèses d’application du droit interne des États membres. En effet, seules des dispositions non contraires peuvent bénéficier d’une telle 205 G. CORNU, Le vocabulaire juridique, op. cit., p. 441. 206 Cet Acte uniforme n’est pas un cas isolé ; ainsi l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique et l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés coopératives autorisent l’application de dispositions du droit interne non contraires. 70 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil autorisation. Ce qui soulève une interrogation et non des moindres : que revêt la formule « lois non contraires » ? Quelle pourrait être la cause de la contrariété207 ? La source ? 124. L’on désigne par « contraire » tout élément différent, antinomique, opposé, contradictoire, aux antipodes de, incompatible, en comparaison à un autre. Une loi contraire serait donc celle présentant lesdits caractères. Par opposition, l’on dira d’une loi qu’elle est non contraire au droit de l’OHADA dès lors qu’elle ne retient pas de solutions incompatibles, contradictoires et qu’elle respecte l’esprit du droit uniforme. Le bien-fondé de l’autorisation spécifique ne souffre d’aucun doute étant donné qu’elle contribue à renforcer le caractère supranational du droit de l’OHADA. Elle vise à assurer une certaine conformité avec le Traité fondateur de l’OHADA, texte fondateur. L’article 10 formule clairement la mise à l’écart des dispositions nationales contraires. L’extension de l’autorisation à toute forme de disposition de droit interne serait incohérente. 125. Les difficultés d’interprétation. Le problème qui se pose néanmoins avec l’autorisation expresse de l’application de lois non contraires, est l’absence de précision du type de lois concerné. L’interprétation faite d’une loi non contraire peut être différente d’un État à un autre, d’un cocontractant à un autre. De même, l’objectif principal de l’OHADA, à savoir l’adoption et l’application de règles communes, en est quelque peu remis en cause. Il est vrai que les États membres ont reçu un héritage identique selon la tradition à laquelle ils appartiennent. Des différences de transcription, de formulation ou même de mise en œuvre existent, malgré tout. S’il leur est loisible de conserver en plus des textes qu’ils estiment non contraires au droit de l’OHADA, l’on pourra être amené à un recul de l’effectivité du droit de l’OHADA. 126. Dans la mesure où une loi non contraire peut aussi bien être une loi ayant le même objet que le droit de l’OHADA, une incohérence avec l’interprétation faite de l’article 10 du traité par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage apparaît. Selon la Cour, l’article 10 a une portée abrogatoire qu’il convient d’étendre aux dispositions dont l’objet est identique208 à celui des Actes uniformes. Mais alors, quelles seront les modalités du tri des différents textes ? En pratique, il serait difficile de résoudre la question surtout si un État hostile à l’application du droit de l’OHADA pouvait trouver là un moyen de se soustraire à 207 Cf. Supra, n°117, p. 67. 208 F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », op. cit., n° 13, p.13 ; selon l’auteur la CCJA dans son avis du 30 avril 2001, considère également comme lois contraires , des lois ou règlements dont l’objet est identique à celui des Actes uniformes. 71 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’abrogation de son droit . Un texte peut néanmoins avoir le même objet que le droit de l’OHADA mais apporter des précisions sur certains aspects de la question traitée. Quelle serait la solution dans ce cas ? 127. L’adjonction de lois non contraires complémentaires. L’autorisation de l’adjonction de lois non contraires complémentaires pourrait apporter une réponse. Les Actes uniformes en dépit du fait qu’ils réglementent des matières précises, n’en sont pas moins des textes généraux. Conscient de l’éventuelle existence de cas particuliers et de réalités tout aussi spécifiques aux États membres, le droit de l’OHADA offre la possibilité de greffer aux Actes uniformes, des textes complémentaires209. Il s’agit en l’occurrence de textes qui viendront soit expliciter le contenu des Actes uniformes, soit réglementer des situations spécifiques, soit encore des cas de figure non traités par les Actes uniformes. Mais le principe demeure le même : le texte ne doit pas contredire les Actes uniformes. 128. En vertu de l’autorité du droit de l’OHADA sur le droit national des États membres, il existe un recul de ce dernier face au premier. Malgré une reconnaissance de la supranationalité, de la primauté, des effets direct et immédiat du droit de l’OHADA, la réalité est tout autre. L’OHADA ne bénéficie pas d’un moyen de contrôle quant à une éventuelle contrariété du droit des États membres. Le droit transitoire est la preuve de la survie des dispositions nationales parfois au détriment du droit de l’OHADA. 2. Les dispositions transitoires 129. Une période de transition favorable au droit national. Le droit de l’OHADA permet également la survie du droit national en ses dispositions transitoires. Les dispositions transitoires interviennent pendant une période transitoire, celle qui marque le passage de la loi ancienne à la loi nouvelle. Leur application relève ainsi de l’application dans le temps de la loi. Les dispositions transitoires déterminent le domaine respectif de la loi ancienne et de la loi nouvelle. La présence de dispositions transitoires constitue une piste pour éviter les conflits de lois ou les résoudre. Concrètement, la loi nouvelle inclut des « dispositions transitoires dans ses dispositions finales précisant leur application dans le temps, dispositions qui tendent généralement à donner à la réforme la plus large application possible » 210. Il est vrai que la loi 209 L’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales énonce en son article 2 la possibilité pour l’associé unique ou les associés de compléter l’Acte uniforme par leurs dispositions, seulement si ledit Acte l’autorise expressément. 210 P. DEUMIER, Introduction générale au droit, op. cit., n° 277, p. 226. V. également R. CABRILLAC, op.cit., n° 130, p. 130. 72 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil nouvelle autorise l’application de la loi ancienne pendant une période précise et qu’il est possible d’y voir la manifestation de la force de la première sur la seconde. Cependant, la portée doit être relativisée, car c’est plutôt la survie de la loi ancienne qui est consacrée pour un délai précis, mais qui est consacrée malgré tout. « Les dispositions transitoires ont pour objet, soit de réserver l’application de la loi ancienne pour certaines personnes ou pendant une période donnée, soit de prévoir un régime d’adaptation graduelle à la loi nouvelle »211. 130. Une disposition transitoire revêt trois (3) caractéristiques : « elle détermine un passage partiel d’un texte à un autre ; elle établit un régime juridique temporaire visant à aménager la transition du droit ancien au droit nouveau ; elle institue un régime dérogatoire par rapport à l’ensemble du texte de sorte que certaines dispositions ne suivront pas l’entrée en vigueur globale de la réforme »212. Tout d’abord en vertu du droit transitoire, la loi nouvelle ne régira que certaines situations, les autres le seront par le droit ancien en des aspects qui sont pourtant réglementés par la loi nouvelle ; ainsi, l’application de certaines dispositions de la loi nouvelle se verra différée. Ensuite, la transition instaurée est assortie d’un terme en raison de son caractère provisoire. Enfin, la dérogation peut résulter de la survie partielle de la loi ancienne, l’application anticipée d’une partie de la loi nouvelle, ou encore, l’institution d’un régime distinct à la fois de l’ancien et du nouveau droit. 131. L’autorisation du droit uniforme. Le droit de l’OHADA autorise par le biais de dispositions transitoires, l’application du droit national des États membres. Les Actes uniformes concernés comportent des énonciations spécifiques dans leurs dispositions finales qui sont désignées à dessein par le terme « dispositions transitoires et finales » et constituent une solution au possible conflit entre le droit interne et le droit de l’OHADA respectivement loi ancienne et loi nouvelle. L’échéance du terme du droit transitoire est fixée et déterminée de manière précise ou indicative. En pratique, le droit de l’OHADA prévoit, soit l’inapplication d’une loi nouvelle aux situations qui sont antérieures à son entrée en vigueur213, soit une application de l’ancienne loi pendant un délai précis en vue d’assurer la stabilité des situations juridiques et la sécurité juridique. Le fait par exemple pour l’Acte uniforme relatif aux sûretés de maintenir l’application de la législation nationale, pour les 211 P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, op. cit., n°214, p. 314. 212 E. VERGES, « Les dispositions transitoires en droit judiciaire privé », Cahiers de méthodologie juridique, R.R.J, n°14, 1999, p. 1469. 213 Supra, n°110, pp. 63-64. 73 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil sûretés constituées sous leur empire, et ce jusqu’à leur extinction, est bien un exemple de disposition transitoire214. 132. Le droit transitoire permet le déploiement progressif du droit de l’OHADA en assurant un passage sans heurts, de la loi ancienne à la loi nouvelle. Il contribue à la protection de droits acquis et à la sécurité juridique. Pour les ressortissants des États parties qui parviennent difficilement à s’approprier le droit uniforme, l’existence d’un délai d’adaptation est importante. Cependant, les juridictions nationales suprêmes déjà assez réfractaires à leur dessaisissement au profit de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, peuvent trouver dans les dispositions transitoires un moyen d’écarter l’application du droit de l’OHADA. La Cour suprême du Cameroun, par son arrêt du 5 juin 2003, a rappelé, à propos de l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement, que « même si l’acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les États parties, les dispositions antérieures, à titre transitoire demeurent applicables » 215. Aussi, le droit transitoire constitue-t-il, un entre-deux qu’il n’est pas toujours aisé de percevoir surtout quand le terme de l’application est imprécis ou indéfini. Malgré tout, le droit commun national est supplanté par le droit de l’OHADA. §2. L’autorité du droit de l’OHADA sur le droit commun national des États membres 133. Le droit de l’OHADA a une caractéristique essentielle qui est sa force impérative (A) ; une force qui n’autorise le droit national commun des États membres à subsister que dans l’optique de la réalisation d’une mise en conformité (B). A. La force impérative du droit de l’OHADA 134. La force impérative du droit de l’OHADA prend sa source dans l’ordre public (1) et l’interdiction de mesures s’opposant à l’application du droit de l’OHADA (2). 214 V. article 227 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Une autre illustration est celle fournie par l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial général en son article 304 qui accorde un délai de deux ans aux sociétés et autres personnes pour se conformer aux nouvelles exigences de l’inscription au Registre de Commerce et du Crédit Mobilier et aux fichiers connexes qui ont été informatisés. 215 Cour suprême du Cameroun, Arrêt n°201/CC du 05 juin 2003, Sté PAMOL Plantations c/C.N.P.S. et EHONGO Nemes Alexandre. Dans cette affaire, les requérants avaient engagé la procédure de recouvrement de leur créance le 20 mars 1998, alors que l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution qui est entré en vigueur le 10 juillet 1198 ne pouvait s’y appliquer. 74 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. Le caractère d’ordre public 135. Le principe. La règle est simple : il est permis de déroger suivant des modalités précises aux dispositions législatives sauf si elles sont considérées comme étant « d’ordre public ». L’ordre public désigne l’ensemble des règles d’intérêt général régissant la vie en société. C’est pour cette raison qu’il caractérise, en vertu de l’article 6 Code civil français, ces normes auxquelles les individus ne peuvent se soustraire ni dans leur comportement ni dans leurs conventions. La loi ou disposition d’ordre public s’impose avec une force particulière si bien qu’elle est obligatoire et ne peut donc pas être contournée de quelque manière que ce soit. La reconnaissance du caractère d’ordre public à une disposition émane en général de la loi, mais peut également l’être de la jurisprudence. La sanction de la violation d’une disposition d’ordre public par notamment une clause, consiste en la « nullité absolue »216 de ladite clause. 136. Au-delà de son aspect interne propre à chaque État, l’ordre public existe et l’extranéité des échanges et relations le justifie, dans un cadre international. Cet ordre public international est un ensemble de principes écrits ou non, qui sont considérés dans un ordre juridique comme fondamentaux et qui, pour cette raison, imposent d’écarter l’effet, dans cet ordre juridique, non seulement de la volonté privée mais aussi des lois étrangères et des actes des autorités étrangères. Ainsi, au sein d’organisations internationales supranationales un ordre public propre, qui coexiste avec celui des États membres, intervient. D’un côté l’ordre public international privé, existe l’ordre public des États membres, faisant obstacle à « l’application d’une loi étrangère qui est incompatible avec leur for »217 et, de l’autre, l’ordre public qui leur est commun. 137. La consécration d’un ordre juridique communautaire. L’idée d’un ordre juridique communautaire est consacrée par la jurisprudence et la doctrine. La Cour de Justice des Communautés européennes a, dans sa décision du 1er juin 1999, décidé entre autres que « l’annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance d’une disposition d’ordre public nationale devrait être étendue à la méconnaissance d’une disposition fondamentale pour l’accomplissement de la mission confiée à la Communauté européenne » 218. La question de l’ordre public communautaire ou commun est essentielle et 216 Une nullité absolue justifiée car visant à protéger l’intérêt général. 217 S.-Y. BEBOHI-EBONGO, « L’ordre public international des États membres à l’OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, n°34, juill-août-sept. 2006, p. 4. 218 C.J.C.E, Affaire C-126/97 du 1er juin 1999, Eco swiss China time LTD contre BENETTON International NV ; selon la cour « Dans la mesure où une juridiction nationale doit, selon les règles de procédure internes, faire 75 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil nécessaire pour les organisations d’intégration, aussi bien économique que juridique qui entendent parvenir à une uniformité des règles applicables. Une telle uniformité est impossible à obtenir sans la reconnaissance d’une certaine force aux règles concernées, notamment la reconnaissance du caractère d’ordre public ; surtout si celles des États membres sont reconnues comme étant d’ordre public. Les dispositions fondamentales sont d’ordre public et imposent le respect aux États membres qui ne peuvent y déroger par des dispositions particulières. 138. L’existence d’un tel ordre public communautaire est reconnue concernant l’OHADA ; ce serait « un ordre public unifié, communautaire, donc un ordre public international pour tous les États de l’OHADA (...) »219. Ainsi, l’OHADA, dans la continuité et le renforcement du caractère obligatoire de son droit uniforme, reconnaît un caractère d’ordre public à certaines dispositions jugées fondamentales. Il est vrai que le but de l’organisation est d’assurer la sécurité juridique et judiciaire en vue d’encourager les investissements et que la forme par excellence de la matérialisation des investissements est la forme conventionnelle. L’existence de dispositions d’ordre public pourrait être perçue comme une méconnaissance de la primauté de la volonté des parties220. Il conviendrait d’y voir plutôt des cas qui sont si isolés qu’ils s’assimileraient presque à des hypothèses d’école et des moyens d’assurer l’efficacité et surtout l’effectivité du droit de l’OHADA. L’article 134 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général énumère les dispositions des articles qui sont d’ordre public ; l’article 110 de l’Acte uniforme en fait partie. Il en ressort que la cessation des droits du bailleur sur les locaux donnés à bail en matière de bail à usage professionnel, n’entraîne pas la fin du bail et que le nouveau bailleur est tenu d’en poursuivre l’exécution. droit à une demande en annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance des règles nationales d’ordre public, elle doit également faire droit à une telle demande lorsqu’elle estime que cette sentence est contraire à l’article 85 du traité (devenu article 81 CE). En effet, d’une part, cet article constitue une disposition fondamentale, indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur, d’autre part, le droit communautaire exige que des questions tenant à l’interprétation de l’interdiction édictée par ledit article puissent être examinées par les juridictions nationales lorsque celles-ci doivent se prononcer sur la validité d’une sentence arbitrale et puissent faire l’objet, le cas échéant, d’un renvoi préjudiciel devant la Cour ». 219 Ph. FOUCHARD, Rapport de synthèse in « L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique », Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 239 et 240. 220 Ce d’autant plus que « l’ordre public communautaire désignerait des règles impératives de l’ordre juridique communautaire qui ont vocation à évincer les règles nationales et à restreindre l’autonomie de la volonté », V. à ce sujet S.-Y. BEBOHI-EBONGO, « « L’ordre public international des États parties à l’OHADA, Revue camerounaise de l’arbitrage, n° 34, juill-sept., 2006, p.5. 76 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 139. Le droit interne des États membres consacre le principe de l’effet relatif des conventions221 qui trouve en cet article une véritable exception ; ce qui montre bien le caractère impératif et supérieur des dispositions d’ordre public. Par ailleurs, conscient du caractère primordial du respect de l’ordre public222 en matière arbitrale, le législateur de l’OHADA y fait référence, aussi bien dans le Traité fondateur de l’OHADA, que dans le règlement d’arbitrage de la CCJA. L’article 25 al. 4 du Traité fondateur de l’OHADA et l’article 30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA évoquent la notion d’ordre public, plus précisément l’ordre public international, dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale par le juge étatique à l’occasion de l’examen de la demande d’exequatur de la sentence et du recours en annulation introduit contre celle-ci223. Toujours dans le cadre de la reconnaissance d’une valeur impérative au droit de l’OHADA qu’elle a d’ailleurs confirmée, la CCJA a eu à répondre à une demande d’avis consultatif faite par le président de la République du Mali en date du 22 mai 1999. Il souhaitait avoir des précisions concernant la compatibilité ou non de l’article 16 de la prochaine loi malienne sur l’habitat avec l’article 39 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution. La Cour a affirmé que « l’article 16 déroge à l’article 39 en ce qu’il édicte des conditions nouvelles impératives et restrictives ; conditions qui vu leur caractère incompatible et contraire avec l’article 39 ne peuvent être maintenues »224. 221 L’article 1199 du Code civil français (article 1165 au sein des États membres : « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes »), pose le principe de l’effet relatif des contrats : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ». Ce principe signifie que seules les parties qui ont consenti au contrat sont engagées par celui-ci. 222 Le Traité énonce que l’exequatur ne peut être refusé que (...) si la sentence est contraire à l’ordre public international et d’après le Règlement CCJA, la contestation de validité de la sentence CCJA n’est ouverte que ... si la sentence est contraire à l’ordre public international. 223 G. KENFACK-DOUAJNI, « La notion d’ordre public international dans l’arbitrage OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, n°29, avr-mai-juin, 2005., p. 3. 224 CCJA, Avis n° 2/99/EP du 13 octobre 1999 ; la Cour a estimé que : « sur la première question l’article 10 du Traité relatif à l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique ayant affirmé la force obligatoire des Actes uniformes et leur supériorité sur les dispositions de droit interne des États parties et les articles 336 et 337 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ayant exclu toute possibilité de dérogation audit Acte uniforme dans les matières qu’il concerne, il s’ensuit que l’article 16 du projet de loi malien qui déroge à l’article 39 de l’Acte uniforme en ce qu’il édicte des conditions nouvelles, impératives et restrictives pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce, est contraire et incompatible avec l’article 39 précité. Sur la seconde question Eu égard à la réponse ci-dessus donnée à la première question, l’article 16 ne peut être maintenue sans aller à l’encontre de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ». 77 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 140. La nécessité de définir l’ordre public communautaire. La justification de l’instauration de dispositions d’ordre public par le législateur de l’OHADA n’occulte pas l’existence d’une limite : celle de l’absence d’une définition de l’ordre public communautaire. Le point de départ pourrait consister à adopter une approche similaire à celle de la CCJE en se fondant sur les concepts de « règles fondamentales » et en conférant ainsi « aux règles formant l’ordre juridique communautaire et aux instruments internationaux ratifiés par tous les États membres de la Communauté économique européenne »225, le caractère d’ordre public. Il convient cependant de relativiser l’étendue et la portée d’une telle approche vu que le mimétisme entraînerait une reconnaissance de caractère d’ordre public à l’ensemble de l’œuvre harmonisatrice de l’OHADA. Au demeurant, il s’agira pour la CCJA de procéder à la définition de l’ordre public communautaire OHADA. 2. L’interdiction de mesures s’opposant à l’application du droit de l’OHADA 141. Une interdiction stricte. Le caractère supranational, la suprématie de l’OHADA et du droit uniforme, n’ont pas pour unique corollaire leur caractère obligatoire envers les États membres. La substitution du droit de l’OHADA au droit national des États membres ne peut être effective, que s’il est formellement interdit aux États parties de prendre des mesures qui visent à empêcher l’application du droit de l’OHADA, notamment des Actes uniformes. Une telle interdiction résulte de l’interprétation faite par la CCJA de la portée abrogatoire de l’article 10 du traité et renforce la soumission du droit interne au droit de l’OHADA. Les mesures concernées sont toutes celles qui pourraient entraîner un retard dans l’application des Actes uniformes ou simplement écarter leur application. Le retard dans la mise en œuvre consisterait en l’institution par exemple, de formalités de publications supplémentaires et longues pour l’entrée en vigueur ou l’opposabilité d’un Acte uniforme. Ce, alors que le Traité révisé de Port Louis précise en son article 9 que la publication des Actes uniformes aux journaux officiels des États membres n’a aucune incidence sur l’entrée en vigueur des Actes uniformes. Le but, en modifiant la version précédente de l’article 9226, était d’éviter des interprétations discordantes et divergentes et surtout d’offrir une échappatoire aux mauvais élèves concernant l’application du droit de l’OHADA. Même si la difficulté demeure avec l’entrée en vigueur des Actes uniformes qui n’est pas homogène. Les Actes uniformes, qui 225 Cf. Décision de la C.J.C.E du 1er juin 1999. 226 L’ancienne version de l’article 9 se limitait en son alinéa 2 à évoquer la possibilité pour les États membres de publier les Actes uniformes dans leurs journaux officiels. 78 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil contiennent des dispositions transitoires, entrent en vigueur dans un délai différent de celui prévu par l’article 9 du Traité. 142. Les hypothèses d’adoption. L’adoption de mesures visant à écarter l’application des Actes uniformes pourrait résulter aussi bien de l’existence de normes faisant obstacle à l’adoption et l’application des Actes uniformes que de l’adoption de mesures postérieurement à un Acte uniforme. En premier lieu, dès la création de l’OHADA, il se posait la question de la constitutionnalité du droit de l’OHADA. La constitution étant la norme supérieure au sein de l’État, elle gouverne l’application et l’entrée en vigueur des autres normes et règles. La conformité à la constitution est la condition sine qua non de l’application d’un texte. Ainsi, la vérification de la constitutionnalité des normes relevant du droit international ou du droit interne, est prévue et opérée dans chaque État. Il est vrai que la situation est quelque peu différente pour ce qui est des Traités. Pour cet accord liant deux ou plusieurs États, la constitution est celle qui doit être révisée en cas de contrariété mise en lumière par le contrôle. Il ne faut pas voir dans une telle solution une remise en cause de la supériorité de la constitution. La ratification227 d’un Traité relève de la discrétion des autorités étatiques ; il est logique que celles-ci, une fois qu’elles ont décidé de leur adhésion à un Traité, prennent les mesures nécessaires à leur entrée en vigueur. 143. La constitutionnalité du Traité de l’OHADA. Il en va cependant autrement lorsqu’on a affaire à des organisations dites « supranationales »228 qui, par définition, sont caractérisées par leur suprématie sur les institutions des États membres. Le caractère supranational de l’OHADA a nourri les interrogations des États membres quant à la constitutionnalité du droit de l’OHADA ; que ce soit concernant le Traité fondateur ou le droit dérivé en général et les Actes uniformes en particulier. Cette organisation supplantant les institutions nationales, son dispositif juridique devrait également bénéficier de cette suprématie et échapper à toute remise en question résultant de contrôles. La presque totalité des constitutions des pays membres prévoit un contrôle de la conformité des Traités à la norme suprême avant leur ratification. Si elle est obligatoire pour certains pays comme le Mali, le Gabon, le Congo, la 227 Il est clair que la décision de marquer son adhésion à un Traité revient uniquement aux autorités compétentes de l’État concerné. 228 Supra, n°51, p.29. 79 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Côte d’Ivoire229, elle est facultative pour la plupart des pays membres. Malgré tout, dans la pratique que ce soient les pays qui ont procédé au contrôle, ou que ce soient ceux qui ont usé de leur faculté de ne pas le mettre en œuvre, la suprématie de l’OHADA est bien confirmée. En effet, si le contrôle effectué par la Cour suprême du Congo l’a conduit à se prononcer en faveur de la révision « de la constitution en ses articles 71 et 72 avant toute ratification en vue d’assurer sa conformité avec la constitution »230, ce conflit manifeste entre le Traité et la constitution a été purement et simplement éludé par la ratification dudit traité sans y recourir. Par ailleurs, pour confirmer cette reconnaissance de la supériorité du Traité fondateur de l’OHADA sur la constitution congolaise, la nouvelle constitution de 2002 pose le principe de « l’immunité constitutionnelle des traités communautaires définitifs »231. La reconnaissance « tacite » du caractère inopérant de l’avis émis par le conseil constitutionnel des États membres concernant le Traité fondateur de l’OHADA est ainsi opérée. 144. La question du droit dérivé. Si en ce qui concerne le Traité fondateur la question semble tranchée, en matière de droit dérivé précisément des Actes uniformes, la situation est loin d’être simple. Les Actes uniformes, droit substantiel de l’OHADA, sont jugés obligatoires et directement applicables au sein des États membres. Il en découle une affirmation de leur supériorité sur le droit interne. Cette supériorité témoigne-t-elle de la reconnaissance d’une valeur supra légale aux Actes uniformes ou simplement légale ? Toujours est-il qu’aucun État membre ne peut invoquer son droit national existant pour écarter l’application du droit de l’OHADA ; ce en raison du bénéfice de l’extension du caractère supranational de l’organisation. En second lieu, l’élaboration d’un texte postérieurement à l’entrée en vigueur d’un Acte uniforme est interdite aux États membres. Toute loi ou tout règlement ne peut valablement entrer en vigueur que s’il est complémentaire au droit de l’OHADA, non contraire et surtout s’il traite de matières non réglementées par celui-ci. Ainsi, les États 229 L’article 95 de la constitution ivoirienne du 1er août 2000 précise que « les Engagements internationaux avant leur ratification (…), doivent être déférés par le Président de la République ou le président de l’Assemblée Nationale au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la constitution (…) ». 230 Cour suprême du Congo, Avis n° 037/CS/98 du 1er octobre 1998, [www.ohada.com] ; les articles 71 et 72 concernent l’exercice du pouvoir judiciaire qui est confié à la cour suprême et aux juridictions nationales ; ainsi la dévolution d’un tel pouvoir à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA a été perçue comme une remise en cause de la souveraineté. 231 E. KAGISYE, « Normes OHADA et constitutions des États membres : conflit en léthargie ou simple temps mort ? ». [https://hal-auf.archives-ouvertes.fr/hal-01278202]. 80 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil membres ne peuvent se soustraire à l’obligation de mise en conformité des textes nationaux au droit de l’OHADA. B. La nécessaire mise en conformité des textes nationaux au droit de l’OHADA 145. La mise en conformité est un impératif à respecter dans le cadre du renforcement de la sécurité juridique. Elle est justifiée (1) et s’opère suivant un mécanisme précis (2). 1. La justification de la mise en conformité 146. Le principe de la mise en conformité. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national des États membres se manifeste également par la nécessité pour ces derniers de mettre leur droit en conformité avec le droit communautaire. Cette nécessité a pour fondement l’article 10 du Traité et les caractères qu’il octroie au droit de l’OHADA : le caractère supranational, d’une part, du droit de l’OHADA et d’autre part, sa force obligatoire et abrogatoire. Parce que le droit de l’OHADA écarte l’application du droit interne contraire ou ayant un objet similaire, il impose aux États membres de mener des actions, prendre des mesures en vue d’assurer sa suprématie. Le droit civil des États membres est essentiellement un héritage des puissances coloniales. Avant les indépendances, concernant les colonies françaises, « des textes de loi promulgués en France métropolitaine avaient été rendus applicables dans celles-ci ou dans les territoires sous tutelle et sous mandat français, en vertu de la règle de la spécialité législative » 232. La plupart ont reproduit pratiquement à l’identique les dispositions du Code civil de ces puissances. Les États membres francophones sont de tradition civiliste et ont transposé le Code civil français de 1804 dans leur ordre juridique. Ce droit est devenu obsolète, inadapté déjà que ces États n’ont pas suivi l’évolution du droit qui leur a servi d’inspiration et que le droit de l’OHADA est désormais reconnu comme le seul applicable dans les matières réglementées. 147. L’objectif principal de l’OHADA est l’intégration juridique qui se manifeste par l’adoption de normes communes, les Actes uniformes et les règlements. Mais cette uniformisation n’a de véritable sens que parce qu’opérationnelle, c’est-à-dire effective au sein des États membres. Cette effectivité est tributaire de l’existence en amont d’une uniformité de textes dans l’ordre juridique des États membres. Conserver des textes épars, marqués par leur hétérogénéité, contreviendrait aux exigences de la communauté. Ce qu’il faut comprendre, 232 G. KENFACK-DOUAJNI, « La coordination de l’avant-projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats avec les autres Actes uniformes de l’OHADA », Rev. dr. Unif., UNIDROIT, 2008, n°1/2, p. 367. 81 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil c’est que l’ensemble des matières réglementées par le droit de l’OHADA a également toute l’attention des États membres. Soit en retenant des solutions identiques, soit en énonçant des solutions aux antipodes de celles du droit de l’OHADA ou encore des solutions inédites. L’application optimale du droit substantiel de l’OHADA nécessite une réelle prise en compte de cette réalité afin d’adopter les mesures idoines. 148. Le contenu de la mise en conformité. Que faut-il entendre par mise en conformité ? Est conforme ce qui est juridiquement, l’exacte application d’une norme de référence. La mise en conformité du droit interne des États membres consisterait à faire en sorte qu’il soit l’exacte application du droit de l’OHADA. L’idée n’est pas de faire en sorte que le droit interne des États membres soit une copie identique du droit de l’OHADA, ce qui est d’ailleurs impossible en pratique puisque le droit de l’OHADA ne fait l’objet d’aucune transposition233 par le biais d’une loi. En réalité, le droit national contribue à travers ses dispositions à l’assurance de la supranationalité du droit de l’OHADA. 149. Le droit de l’OHADA, droit de référence. Simplement, le droit de l’OHADA a vocation à s’appliquer au sein de l’État membre sans autorisation expresse de celui-ci et il fait dès lors office de droit interne par voie de substitution. De manière concrète, les États membres doivent veiller à ce que le droit de référence dans les matières qui entrent dans le champ d’application de l’OHADA soit le droit uniforme de l’OHADA. Il leur incombe également de veiller à ce que les actes et opérations soient menés en toute adéquation avec le droit en question. Ils doivent s’assurer que ne demeurent applicables dans leur ordre juridique, mis à part le droit de l’OHADA, les règles qui viennent contribuer à son enrichissement sans évidemment le contredire. Il reviendra aux autorités nationales de veiller à une véritable appropriation du droit uniforme par les acteurs du monde des affaires mais pas seulement. La vulgarisation des textes visant l’intégration juridique, la formation et l’information sont des solutions envisageables. 2. Le mécanisme de mise en conformité 150. La sélection des textes. La conformité est essentielle en droit en ce qu’elle porte « le droit ». Respecter le droit en vigueur revient simplement à se conformer audit droit, à respecter les règles édictées et en vigueur sur un espace donné. Aussi bien le droit pénal, le droit civil que 233 Contrairement à l’UEMOA dont le droit dérivé est principalement constitué de directives dont l’entrée en vigueur nécessite la transposition dans le droit interne, les Actes uniformes OHADA entrent directement en vigueur dans l’État qui a ratifié le Traité dès que les délais y afférant sont respectés. 82 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil le droit des affaires, sont fondés sur l’idée de conformité. La mise en conformité relève d’un processus long et méticuleux auquel les États membres doivent s’atteler. Elle se décline en un tri des textes nationaux et en une mise en harmonie. Le tri consiste en un recensement et en une analyse des textes de droit interne qui correspondent aux Actes uniformes. L’idée est d’éviter d’abroger sans distinction tous les textes ayant un objet identique aux Actes uniformes et de pouvoir ainsi conserver les textes qui pourraient enrichir le droit de l’OHADA. Il est important de déterminer les dispositions abrogées ou maintenues. La méthode appropriée comme le préconise le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH « est réalisée en trois (3) étapes et est tout d’abord de recenser les textes applicables dans l’État partie avant la promulgation des Actes uniformes ; ensuite d’identifier des dispositions qui, dans les textes nationaux ainsi recensés, correspondent à celles des Actes uniformes pour vérifier si elles leur sont contraires ; et enfin de présenter matériellement le travail et ses résultats » 234. La recherche de la similitude d’objet se fait sur le fondement des sommaires des Actes uniformes et la comparaison des textes en présence. Une lecture approfondie et intégrale s’impose et garantit la qualité des experts retenus. Il a été recommandé dans une approche de complémentarité, une analyse de tous les textes du droit positif ayant le même objet que les Actes uniformes article par article, alinéa par alinéa, phrase par phrase, afin de permettre de repérer et de sauver les dispositions heureuses235. 151. La mise en harmonie. La mise en conformité consiste également en une mise en harmonie. Elle intervient dans l’hypothèse où les acteurs du monde des affaires, particuliers ou entreprises, ont fonctionné en s’appuyant sur le droit national. Elle vise à leur permettre de bénéficier d’un délai raisonnable variable pour procéder à leur mue et à se mettre en conformité avec le droit de l’OHADA en respectant désormais les règles qu’il a prévues. Le 234 J. ISSA-SAYEGH, « Réflexions et suggestions sur la mise en conformité du droit interne des États parties avec les Actes uniformes de l’OHADA et réciproquement », Recueil Penant, n° 850, janvier-mars 2005, p.6. Il avait été demandé à l’auteur de réaliser les travaux de mise en conformité dans certains États membres tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée-Conakry, le Gabon. Le travail est fastidieux car il nécessite un recensement aussi bien des textes applicables avant les indépendances qu’après celles-ci et surtout qu’il impose de mener des réflexions sur ce qu’est une disposition contraire ou dotée d’un même objet. 235 U. BABONGENO, « OHADA : projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique à l’épreuve de la consolidation et de l’élargissement », [www.ohada.com] , Doctrine OHADA, OHADATA D-05-25. V. également sur la question mais pour une approche spécifique au droit congolais, Roger MASAMBA, « Réflexion pour une meilleure application substantielle du droit OHADA », in Le système juridique de l’OHADA et l’attractivité économique des États parties 20 ans après: bilans et défis à relever, colloque organisé par l’Association pour l’Efficacité du Droit et de la Justice, 20 juin 2013, Université Panthéon-Sorbonne, [www.daldewolf.com] , p. 9. 83 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil cadre est celui du droit transitoire236 et la volonté, celle manifeste de consolider et protéger les droits dans un contexte de sécurité juridique. En la matière, ce sont les Actes uniformes relatifs respectivement au droit commercial général, aux sociétés commerciales et au G.I.E, aux sociétés coopératives qui prévoient expressément la mise en harmonie. Par exemple, l’article 1er alinéa 4 dispose que « les personnes physiques ou morales, et les groupements d’intérêt économique, constitués, ou en cours de formation à la date d’entrée en vigueur du présent Acte uniforme, doivent mettre les conditions d’exercice de leur activité en harmonie avec la nouvelle législation dans un délai de deux (2) ans à compter de la publication du présent Acte uniforme au Journal officiel »237. L’idée est d’une obligation dont le non-respect peut donner lieu à l’intervention d’une décision de justice à l’initiative de tout intéressé. 152. La prescription de la mise en conformité ou harmonie est essentielle pour la cohérence de l’œuvre harmonisatrice. Son effet doit être cependant relativisé dans la mesure où les États membres malgré une culture juridique française dominante, n’ont pas tous le même héritage législatif. Le travail de mise en conformité, notamment dans son aspect de tri des textes nationaux, pourrait laisser apparaître des différences tant au niveau des textes maintenus que de ceux qui encourent l’abrogation. De même, ce processus n’a de sens que parce que les États membres évitent d’élaborer des textes contraires aux Actes uniformes. En effet, « la volonté politique doit être prolongée par une discipline législative rigoureuse sinon c’est toute l’entreprise OHADA qui serait menacée »238. 153. Peu d’États ont à ce jour procédé à la mise en conformité de leur droit national avec le droit de l’OHADA ; ce qui ne fait qu’accentuer les disparités entre les législations et limiter la portée et l’efficacité de l’œuvre harmonisatrice. Il aurait fallu que le Traité soit plus explicite sur la question et qu’en complément de l’article 10 qui, à juste titre, énonce le principe de la force obligatoire des Actes uniformes, un article vienne poser l’exigence de la mise en conformité ; non sans en oublier les modalités à l’instar de l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives239. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait être également sollicitée pour émettre un avis dans un objectif de clarification et de précision. 236 Supra, n° 128, p. 72. 237 Article 1er alinéa 4 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général. 238 P.-G. POUGOUE, Y.-R. KALIEU-ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, P.U.A, éd. Ruisseau d’Afrique (Bénin), éd. Eburnie (Côte d’Ivoire), n° 141, p. 170. 239 Les articles 390 et suivants de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au droit des sociétés coopératives aménage le régime de la mise en harmonie qui selon ce qu’il en ressort peut prendre la forme d’une abrogation, 84 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil La soumission du droit civil national au droit de l’OHADA, entraîne la mise en œuvre d’un mécanisme de substitution. La substitution du droit communautaire au droit civil national est opérée de plein droit, en vertu du principe de l’abrogation. Le législateur de l’OHADA permet cependant, à titre exceptionnel, la survie de certaines dispositions nationales. De plus, l’autorité du droit de l’OHADA est assurée par sa force impérative et l’obligation de mise en conformité qui s’impose aux États membres. d’une modification, d’un remplacement des dispositions statutaires contraires aux dispositions impératives de l’Acte uniforme. 85 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 154. Ce chapitre a permis de prendre la pleine mesure des fondements de la soumission du droit civil national au droit de l’OHADA. L’influence du droit de l’OHADA est portée par des principes directeurs et des organes précis. Ces derniers donnent tout son sens à la suprématie de l’organisation et du droit qu’elle secrète. L’OHADA étant une organisation qui vise l’intégration juridique, il était indispensable que cet objectif soit porté par des principes directeurs. Simplement, l’adhésion à l’organisation communautaire emporte soumission au dispositif juridique mis en place ainsi qu’aux organes. Il ne saurait en être autrement dès lors qu’ont été consacrés la supranationalité du droit de l’OHADA et le caractère transnational du droit de l’OHADA. Ce qui a pour conséquence la substitution des règles nationales par les siennes propres. 86 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 2. UNE ORGANISATION JUDICIAIRE COMMUNAUTAIRE ET UN ARBITRAGE RÉGIS PAR LE DROIT DE L’OHADA 155. Dans la continuité de son œuvre d’intégration juridique, le législateur de l’OHADA a entamé une œuvre d’intégration judiciaire. La création de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) matérialise cette volonté du législateur. Pensée pour assurer le contrôle et sanctionner l’application et l’interprétation du droit de l’OHADA, la CCJA élabore la jurisprudence communautaire et se positionne comme une véritable source du droit de l’OHADA. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est composée de neuf (9) juges depuis la révision du Traité intervenue en 2008. Une Décision n° 04/2014/CM/OHADA du 24 juillet 2014 du Conseil des ministres est cependant, venue porter ce nombre à treize (13). Le rôle de la CCJA n’est pas restreint au contentieux pouvant naître de l’application ou de l’interprétation du droit de l’OHADA. Ayant consacré dans son acte fondateur l’arbitrage comme moyen privilégié de règlement des conflits, l’OHADA fait de la CCJA un acteur important de la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage. Pour assurer pleinement son rôle en matière contentieuse, la CCJA prévaut sur les juridictions nationales en vertu d’une supranationalité judiciaire (Section 1) et bénéficie d’une prépondérance en matière arbitrale (Section 2). Section 1. La consécration d’une supranationalité judiciaire de la CCJA 156. Le législateur de l’OHADA entendait uniformiser le droit des Affaires entre les États membres ; la pérennité de cet objectif est tributaire d’une uniformité, d’une unicité dans l’interprétation de ces règles. C’est en cela que la consécration de la supranationalité judiciaire prend tout son sens. Elle se matérialise par la prévalence de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales (§ 1) et une compétence limitée des juridictions nationales (§ 2). § 1. La prévalence de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales 157. La CCJA se substitue aux juridictions nationales (A) et ses décisions ont une autorité absolue (B). A. La substitution de la CCJA aux juridictions nationales 158. Cette substitution se manifeste par le principe de l’exclusivité de compétence de la CCJA (1) et le renvoi obligatoire vers la CCJA (2). 87 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. Le principe de l’exclusivité de compétence de la CCJA 159. La supranationalité judiciaire. La supranationalité reconnue à l’OHADA et consacrée par l’article 10 du Traité, présente deux (2) aspects : L’aspect normatif par le biais de l’effet direct et obligatoire des Actes uniformes ainsi que l’aspect judiciaire. Ce dernier aspect est porté par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), institution phare de l’OHADA et qui a la lourde tâche d’assurer l’uniformisation du droit de l’OHADA. La CCJA a une structure particulière et un rang tout aussi peu commun. L’article 14240 du Traité est le texte qui fait état de ces spécificités et surtout du rôle dévolu à la Cour. Il en ressort, tout d’abord, que « la CCJA officie en qualité de Cour de cassation ». Elle a le statut de Cour de cassation, juridiction la plus élevée dans l’organisation judiciaire et qui s’impose aux juridictions de fond parce qu’elle est juge du droit et non juge du fait241. L’exercice du pourvoi en cassation est donc possible pour la question de l’application et de l’interprétation du droit de l’OHADA devant la CCJA. Pourvoi qui est un véritable outil de sécurité juridique et judiciaire. « Exercé devant une juridiction unique, le pourvoi en cassation a une fonction dite pastorale qui vise à assurer que les juges du fond appliquent et interprètent correctement la loi » 242. Les États membres de l’OHADA sont organisés du point de vue judiciaire suivant un double degré de juridiction avec au sommet la Cour suprême équivalent de la Cour de cassation dans certains pays243. De ce fait, il apparaissait important de procéder à une répartition de compétences entre la CCJA et les juridictions suprêmes des États membres. L’impératif étant bien entendu 240 Selon l’article 14, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage assure l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions. La Cour peut être consultée par tout État Partie ou par le Conseil des ministres sur toute question entrant dans le champ de l’alinéa précédent. La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus. Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’Appel des États parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des États parties dans les mêmes contentieux. En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ». 241 Cette affirmation mérite d’être nuancée en ce que la CCJA rend deux types d’arrêts : des arrêts de rejet et des arrêts de cassation ; c’est pour cette dernière catégorie que nos propos doivent être nuancés. 242 S. AMRANI-MEKKI, Y. STRICKLER, Procédure civile, Paris, éd. P.U.F, Coll. Thémis Droit, 2014, n° 563, p. 856. 243 L’organisation judiciaire des États membres de l’OHADA est parfaitement identique à celle des anciennes puissances colonisatrices du point de vue des degrés de juridictions et presqu’identique pour ce qui est des modalités de mise en œuvre de la dualité de juridiction, étant donné que plusieurs États en dépit de la constitutionnalisation, n’ont pas encore rendues fonctionnelles certaines juridictions. 88 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’éviter toute forme d’antinomie et de contradictions entre les décisions de l’une et des autres ; et surtout de faire obstacle aux éventuels conflits que l’exercice desdites prérogatives pourrait susciter. En effet, au regard du statut de la CCJA, en l’occurrence celui de Cour de cassation, il apparaît une identité avec les Cours suprêmes des États membres, à tout le moins du point de vue formel. L’apparition d’un facteur de concurrence dans l’application du droit des affaires de l’OHADA est à craindre. Qu’adviendra-t-il de l’uniformisation qui fonde toute l’œuvre de l’OHADA si les juridictions nationales avaient la faculté de rendre leurs décisions suivant des conceptions du droit de l’OHADA qui leur seraient propres ? 160. Les fondateurs de l’OHADA ont mis un point d’honneur à l’anticipation des situations de conflits mentionnées plus haut. La mission d’intégration juridique assignée à leur organisation en dépendait. En créant la CCJA, il était impérieux de lui conférer un statut particulier perceptible bien au-delà de celui de Cour de cassation qui au demeurant est plus confligène qu’autre chose. Ainsi est instituée une juridiction communautaire qui se voit assigner un rôle essentiel : veiller à l’application uniforme du droit de l’OHADA à toutes les situations qui la justifient. Pour mener à bien la mission à elle confiée, la CCJA bénéficie de la supranationalité judiciaire. Celle-ci est l’un des aspects de la supranationalité reconnue à l’OHADA par l’article 10 du Traité. À la supranationalité normative est associée une supranationalité judiciaire en vertu de laquelle les juridictions nationales des États membres sont soumis à la prévalence de l’institution communautaire. Il est impératif que corresponde à un droit uniforme une jurisprudence uniforme. De plus, le droit de l’OHADA prime sur le droit national des États membres ; l’institution qui veille au respect de cette primauté en bénéficie par voie de conséquence. En clair, « les juridictions internationales priment sur les juridictions nationales des États » 244. Aussi, forte de sa primauté, la CCJA détient elle une compétence exclusive. Le pouvoir d’assurer « l’interprétation et l’application communes du Traité et des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions » lui est dévolu par l’article 14 du Traité. Cette exclusivité de compétence est rappelée par la CCJA dans un arrêt du 1er mars 2018. Elle précise que « le contentieux relatif à un nantissement de valeurs mobilières soulève l’application de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et relève de la seule compétence de la CCJA »245. 244 H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA (…), op.cit., n°192, p. 70. Selon l’auteur la prévalence de la CCJA sur les juridictions nationales découle de la prééminence reconnue au droit communautaire sur le droit national. 245 CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 50/2018 du 1er mars 2018. 89 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 161. De compétence exclusive, il est également question suivant les termes de l’article 56 qui prévoit une compétence exclusive de la CCJA en matière de conflit entre les États contractants au sujet de l’application ou de l’interprétation du Traité246. Cette exclusivité et cette prévalence de la CCJA sont confirmées, par les Professeurs Joseph ISSA-SAYEGH et Jacqueline LOHOUES-OBLE qui affirment que « les dispositions du Traité et du règlement de procédure de la CCJA concernant la fonction juridictionnelle de la Cour, posent un principe de supranationalité judiciaire opérant un transfert de compétence des juridictions nationales de cassation vers la haute juridiction communautaire » 247. 162. Le transfert de compétences en faveur de la CCJA. La CCJA opère dans le cadre de l’exercice de ses compétences de la même manière que le droit de l’OHADA, notamment les Actes uniformes, puisque statuant en cassation, elle se substitue aux juridictions suprêmes nationales pour toute matière relative à l’application ou l’interprétation du droit de l’OHADA. La délégation ou le transfert de compétences n’est plus simplement « normatif », tel celui opéré en faveur du Conseil des ministres, mais également judiciaire. Les modes de saisine institués visent à assurer la compétence exclusive de la CCJA. La Cour peut être saisie aussi bien par les parties au litige que par les juridictions suprêmes nationales. Tout contentieux privé, susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation, doit être obligatoirement porté devant la CCJA, s’il concerne les hypothèses prévues par l’article 14. 163. Par ailleurs, les parties au litige ne peuvent exercer qu’un recours en annulation devant la CCJA dans le cadre de l’application et de l’interprétation du droit de l’OHADA s’ils estiment que sa compétence a été méconnue par la juridiction suprême nationale248. La CCJA peut 246 L’article 56 du Traité OHADA dispose que « tout différend qui pourrait surgir entre les États parties quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne serait pas résolu à l’amiable peut être porté par un État Partie devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Si la Cour compte sur le siège un juge de la nationalité d’une des parties, toute autre partie peut désigner un juge ad hoc pour siéger dans l’affaire. Ce dernier devra remplir les conditions fixées à l’article 31 ci-dessus ». L’exclusivité de cette compétence n’est réelle qu’en l’absence de règlement du conflit à l’amiable. 247 J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : Harmonisation du droit des affaires, op.cit., n°422, p. 178. 248 Ainsi en a décidé la 2e chambre de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans un arrêt n° 30/2018 du 08 février 2018. Dans cette affaire, la Cour a retenu que le recours en cassation irrecevable en ce que « la décision dont pourvoi a été ainsi relevé, sur le fondement de l’article 14 alinéas 3 et 4 du Traité, a été rendue par la Cour suprême du Togo, haute juridiction dont les décisions sont insusceptibles de recours, à l’exception du recours en annulation prévue par l’article 18 du Traité ». L’interprétation combinée des articles 14 et 18 du Traité OHADA met en lumière l’impossibilité d’attaquer par voie d’un pourvoi en cassation la décision rendue par une juridiction suprême nationale, devant la CCJA. [www.legiafrica.com]. 90 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil confirmer l’assertion de la partie qui l’a saisie et prononcer l’incompétence de la juridiction nationale. La décision de la juridiction sera purement et simplement annulée. La CCJA en a ainsi décidé le 18 octobre 2018 dans une affaire relative à la saisine de ladite Cour d’un recours en annulation d’un arrêt rendu par la Cour suprême de Côte d’Ivoire le 6 avril 2017. Le demandeur au pourvoi entendait obtenir l’annulation de l’arrêt pour violation des dispositions de l’article 14 du Traité fondateur de l’OHADA, en ce qu’il a statué sur un contentieux relatif au bail commercial régi par l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, question qui relève exclusivement de la CCJA. La CCJA fait droit à la demande du demandeur au pourvoi au visa des articles 14 et 18 du Traité fondateur de l’OHADA en précisant que « la matière en cause est régie par l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général et relève donc en cassation de la compétence de la Cour de céans, par application de l’article 14 alinéa 3 du Traité constitutif de l’OHADA ; la Cour Suprême de Côte d’Ivoire s’étant déclarée compétente à tort, sa décision est réputée nulle et non avenue conformément à l’article 18 du Traité » 249. Il convient de voir dans cette annulation une illustration de la suprématie de la CCJA. À titre de précision et de comparaison, contrairement à la CCJA, la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E) ne peut être saisie de manière directe par les particuliers, que dans situations précises250. 164. Le dessaisissement des juridictions nationales. De même, lorsqu’un pourvoi est formé devant une juridiction nationale suprême et que la ou les questions soulevées correspondent à celles visées par la sphère de compétences de la CCJA, il appartient à la Cour de se dessaisir du litige et de transmettre le dossier par le biais d’une décision de renvoi251. En cas de doute, la juridiction nationale devrait pouvoir saisir la CCJA. Certaines organisations d’intégration sous régionale optent pour le recours préjudiciel en vue d’assurer l’effectivité de la suprématie 249 CCJA, 3e Ch. Arrêt n° 166/2018 du 18 Octobre 2018. V. également en ce sens, l’arrêt n° 139/2018, du 7 juin 2018 rendu par la 2e chambre de la C.C.JA. La Cour prononce la nullité de l’arrêt par lequel la juridiction nationale de cassation a statué sur une matière relevant du droit de l’OHADA. En l’espèce, le pourvoi était relatif à une matière régie par l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. [www.legiafrica.com]. 250 Le particulier qui a subi un dommage à la suite de l’action ou de l’inaction d’une institution de l’UE ou de son personnel peut saisir la C.J.U.E de manière indirecte en faisant appel aux juridictions nationales (qui peuvent décider de renvoyer l’affaire devant la Cour de justice); et de manière directe, en saisissant le Tribunal, si une décision prise par une institution de l’U.E le concerne de manière directe et individuelle. 251 Cf. infra, n°167, p.92. De plus, la CCJA précise qu’ « en cas de saisine de la CCJA postérieurement à une la saisine de la juridiction nationale de cassation, il n’appartient pas à la CCJA de surseoir à statuer mais plutôt à la juridiction nationale de cassation. La compétence de la CCJA doit donc être maintenue en application des articles 18 et 16 du Traité ». CCJA, 1e Ch. Arrêt n° 165/2017 du 27 juillet 2017. 91 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des juridictions qu’elles ont instituées. L’article 12 du protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA énonce que la Cour de justice peut intervenir dans le cadre d’une procédure préjudicielle. La saisine de la Cour est un impératif pour les juridictions statuant en dernier ressort252. De plus, aussi bien l’article 14 du Traité que les 56 à 58 du règlement de procédure de la CCJA qui explicitent la procédure à suivre, demeurent silencieux sur des questions qui à notre sens sont cruciales. Ce sont les délais dans lesquels l’avis de la CCJA doit intervenir et celui dans lequel la demande d’avis doit être formulée. Dès lors que la compétence des juridictions suprêmes est bridée, les formes, les contours doivent être clairement définis pour éviter, sinon à tout le moins, limiter la profusion d’ « élèves récalcitrants ». La CCJA, 3e degré de juridiction ? La suprématie et la particularité de la CCJA sont 165. telles que d’aucuns la qualifient de « troisième degré » de juridiction. Au soutien de cette assertion, la hiérarchie qui est établie sans équivoque entre la CCJA et les juridictions suprêmes nationales, les attributions traditionnelles des secondes étant dévolues à la première. À dire vrai, la plupart des auteurs se fondent sur une réalité plus « surprenante ». La CCJA qui intervient en qualité de Cour de cassation, statue en droit et aussi surprenant que cela puisse paraître « en fait » comme une juridiction du fond. L’article 14 du Traité l’énonce clairement : « en cas de cassation, la Cour commune évoque et statue sur le fond ». Alors que « l’institution de la cassation repose sur la distinction fondamentale du fait et du droit de sorte que les fonctions du juge de cassation et du juge de fait sont par nature, antinomiques » 253 et qu’en principe, une Cour suprême ne peut pas statuer en fait. 166. Le cas du droit français. Un regard porté sur le droit français et les facultés qui sont celles de la Cour de cassation lorsqu’elle juge le droit, permet d’apporter des pistes de réponse. L’article L 411-3254 du Code de l’Organisation Judiciaire français, prévoyait avant sa 252 L’article 12 alinéa 2 du protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle dispose que « les juridictions nationales statuant en dernier ressort sont tenues de saisir la Cour de Justice. La saisine de la Cour de Justice par les autres juridictions nationales ou les autorités à fonction juridictionnelle est facultative ». L’approche est identique à celle de la C.J.C.E qui rend non pas un avis mais un arrêt ou une ordonnance motivée. 253 A. PERDRIAU, « Les chambres civiles de la Cour de cassation jugent-elles en fait ? », JCP, G., 1993, I, n° 3683, p. 267. 254 L’article L 411-3 du C.O.J dispose que : « La Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond. Elle peut aussi, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie. En matière pénale, elle peut, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée. En ces cas, elle se prononce sur la charge des 92 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil modification par l’article 38 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016255, les modalités suivant lesquelles la Cour de cassation pouvait casser sans renvoi et juger en droit uniquement. C’était sans compter le nouvel article qui apporte des précisions quant à la faculté pour le juge du droit de statuer sur le fond. En clair « en matière civile, la Cour de cassation peut statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » 256 . La matière est spécifiée, témoignant d’un encadrement de l’exercice de la faculté de statuer au fond qui reste exceptionnel. Le législateur de l’OHADA ayant conçu le droit de l’OHADA comme étant un droit spécial, il est compréhensible qu’il ait eu dans l’idée d’accorder la faculté spécifique de statuer sur le fond au juge de la CCJA pour les questions particulières visant le droit de l’OHADA. 167. Sur ce point, une position nuancée en accord avec une partie de la doctrine est préférable. La CCJA est une juridiction de cassation singulière qui est amenée dans des cas précis à statuer sur le fond. Une juridiction de nature hybride parce qu’elle fait partie à la fois de l’ordre juridique interne et international. En effet, « la CCJA est nationale parce qu’elle est une Cour suprême nationale, mais en expatriation en raison du fait qu’elle ne siège pas à l’intérieur des frontières nationales »257. Elle est d’autant plus puissante que les juridictions suprêmes nationales sont tenues par la loi de procéder à un renvoi vers la CCJA lorsque le litige relève de la compétence de la cour de justice communautaire. 2. Le renvoi obligatoire vers la CCJA 168. La procédure de renvoi et la manifestation de volonté des juridictions nationales. La reconnaissance textuelle de la supranationalité de la CCJA ne souffre d’aucune remise en cause. Seule l’observation de la pratique fait un compte rendu fidèle des difficultés qui peuvent exister. Dans l’optique de renforcer l’action de la CCJA et de veiller à l’affirmation dépens afférents aux instances civiles devant les juges du fond. L’arrêt emporte exécution forcée. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État ». 255 Loi de la modernisation de la justice du XXIe siècle. Le décret n°2017-396 du 24 mars 2017 portant diverses dispositions relatives à la Cour de cassation, modifie l’article 2015 du C.O.J afin d’y intégrer la nouveauté relative aux attributions de la Cour de cassation et préciser les modalités de la cassation sur renvoi. 256 Article L 411-3 du C.O.J alinéa 2. 257 J.-Cl. AWANA, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA : point de vue africain », in Questions de droit économique : Les défis des États africains, Actes du colloque de Bruxelles et de Yaoundé, INEADEC, (Sous. Dir.) E. BALATE, S. MENETREY, Bruxelles, éd. Larcier, Coll. Droit/Economie international, 2011, p.273. 93 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil de sa primauté, une procédure dite de « renvoi » est imposée aux juridictions nationales suprêmes en vertu de l’article 15 du Traité. Qui dit renvoi, dit dessaisissement, dit abandon et surtout reconnaissance de la prévalence de la CCJA par les juridictions nationales. Quoiqu’il puisse en être dit, le renvoi procède malgré tout d’une manifestation de volonté des juridictions nationales. 169. C’est l’hypothèse dans laquelle un pourvoi est formé devant une juridiction nationale suprême et que la ou les questions soulevées correspondent à celles visées par la sphère de compétences de la CCJA. Il appartient à la juridiction nationale de se dessaisir du litige et de transmettre le dossier par le biais d’une décision de renvoi. Cette procédure est organisée par l’article 51 nouveau du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage258. Le mode de saisine par renvoi est rarement utilisé par les juridictions nationales suprêmes en pratique. La rareté du recours à ce mode de saisine par les juridictions suprêmes nationales, pourrait trouver son explication dans la volonté de ces juridictions de tenter une conservation de leur compétence ou du moins de « défier » à travers la CCJA, l’OHADA. 170. Le recours exercé par les parties. Le renvoi tel que présenté peut être spontané, mais il est des cas où il intervient en dehors de toute décision des juridictions suprêmes nationales. Les parties au litige ont la possibilité de saisir la CCJA d’un recours, visant à déclarer la juridiction nationale incompétente. Dans la mesure où la haute cour confirme cette incompétence, la décision prise est entachée de nullité. Cette sanction est bien entendu le corollaire de la saisine de la CCJA par les parties dans les formes et délais requis par l’article 18 du Traité et ne peut donc être envisagée en l’absence de tout recours. L’absence de recours permettant à la décision en cause de produire la plénitude de ses effets et de ne souffrir d’aucune contestation. Encore que le recours ne puisse être valablement exercé que si l’incompétence a été soulevée d’office ou par toute partie in limine litis259 comme la Cour commune l’a précisé dans l’affaire HYJAZI Samih contre DAGIER Habib du 24 avril 258 Règlement d’arbitrage n°01/2014/CM/OHADA modifiant et complétant le Règlement de procédure du 18 avril 1996. 259 L’exception d’incompétence étant un moyen de forme, elle ne peut être invoquée qu’au début de l’instance, avant tout moyen de fond. L’objectif est d’éviter de faire face à des procédés dilatoires qui empiètent sur la célérité de la procédure. A l’issue de l’exception d’incompétence, si le juge saisi estime être compétent, il la rejette et statue sur le fond du litige. A ne pas confondre avec la Fin de Non-recevoir, moyen qui tend à faire déclarer irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d’agir selon l’article 122 du Code de Procédure Civile français. 94 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2003260. Et il est indispensable de le préciser, la CCJA n’est habilitée à se prononcer sur la compétence d’une juridiction suprême nationale que si le recours émane de la partie qui a soulevé l’incompétence de ladite juridiction261. Le demandeur doit avoir intérêt à agir et qualité à agir. L’intérêt à agir est l’intérêt légitime qui peut être matériel, moral ou ressortir de la loi. La qualité à agir consiste à posséder un titre ou un droit particulier pour être habilité à intenter l’action. Lorsque la CCJA rend une décision d’incompétence262 de la juridiction nationale, c’est désormais elle qui est saisie de l’affaire et qui statuera en qualité de Cour de cassation mais une transmission du dossier par la Cour dessaisie n’est pas à exclure. À cette situation, il paraît opportun d’ajouter une autre : celle dans laquelle la juridiction nationale refuse de se déclarer incompétente en violation de la compétence de la CCJA et que les parties au litige ne contestent pas cette violation. Soit par ignorance, connivence ou même par conviction. En dépit de son incompétence manifeste et avérée, la Cour suprême nationale sera ainsi amenée à se prononcer à titre définitif sur une affaire qui ne relève pourtant pas de sa compétence. La difficulté réside dans les cas d’ouverture à cassation qui demeurent assez vagues et qui ne prévoient pas « l’autosaisine » de la CCJA. Cette saisine aurait pour fondement selon certains auteurs « l’intérêt de la loi et permettrait que la décision rendue soit déférée devant la CCJA par son président tout en assurant l’unité la jurisprudence 260 CCJA, n°009/2003, 24 avril 2003, Affaire Hyjazi Samih c/ Dagier Habib Rolland et Madame Dagher May dite Faghali, [www.juriscope.org]. , [www.ohada.com]. , OHADATA J-03-195 ; selon la Cour « il résulte de l’analyse des dispositions sus énoncées (article 18 du Traité ) que la Cour de céans ne peut être saisie d’un recours dirigé contre une décision rendue par une juridiction nationale statuant en cassation, en application de l’article 18 susvisé, qu’à la condition que l’incompétence de ladite juridiction nationale ait été soulevée au préalable devant celle-ci ». 261 CCJA, Avis n°01/2004/JN du 28 janvier 2004, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 3, janv-juin. 2004, p. 151, [www.ohada.com]., OHADATA J-05-277. La CCJA saisie par une cour d’appel pour se prononcer sur l’incompétence de la Cour suprême nationale pour statuer sur des matières relevant du droit de l’OHADA, a estimé qu’elle ne pouvait se prononcer sur la compétence de ladite juridiction dans la mesure où n’ayant pas été saisie par la partie qui a soulevé l’exception d’incompétence devant la Cour suprême ne l’a pas saisie. 262 V. sur cette question CCJA, n° 055/2005, 15 décembre 2005, Affaire SEMOS SA c/ BETRA, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 32. Le Juris OHADA, n° 2/2006, p. 13. En l’espèce « le litige opposant la SEMOS S.A. à BETRA ayant été soumis aux juges du fond maliens le 04 mars 1999, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, intervenue le 1er janvier 1998, ledit Acte uniforme ayant intégré l’ordre juridique interne de la République du MALI à la date de la saisine du Tribunal de Commerce de Bamako, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, telles que spécifiées à l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, étaient réunies. Dès lors, c’est à tort que la Cour Suprême de la République du MALI s’est déclarée compétente ». Dans cette affaire, le recours exercé contre l’arrêt de la cour suprême du Mali, l’a été tel que prévu par l’article 18 du Traité. 95 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil communautaire sur la question » 263. Une telle solution bien qu’appréciable, a une portée que nous estimons limitée. La CCJA ne pourra valablement s’autosaisir que pour les affaires dont elle a connaissance. Comment pourrait-elle l’être justement si ni les parties ni les juridictions nationales ne la sollicitent ? Ainsi de nombreuses décisions de justice échappent au contrôle de la CCJA dans un contexte dans lequel le pourvoi en cassation n’est pas le recours le plus exercé. 171. Les tentatives des juridictions nationales. Aussi, les juridictions suprêmes nationales usent-elles d’un moyen non négligeable pour se soustraire à leur incompétence et à l’exigence de renvoi de l’affaire vers la CCJA. Elles arguent de l’application de la loi dans le temps en général et de l’application des dispositions transitoires pour écarter l’application du droit uniforme de l’OHADA. En effet, certains Actes uniformes prévoient la survie du droit national au bénéfice des situations juridiques survenues avant leur entrée en vigueur et pendant un délai précis. Le juge tirera sa compétence des conditions d’application temporelles et évitera de renvoyer l’affaire devant la Cour commune. Le célèbre arrêt société Pamol qui n’est pas le seul du genre, en est la parfaite illustration. En l’espèce, le président de la Cour suprême du Cameroun avait été saisi d’un recours aux fins d’incompétence et de renvoi devant la CCJA. La cour a rejeté la demande en se fondant sur les dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances. La procédure de recouvrement ayant été engagée avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, il ne saurait trouver application à l’espèce264. À l’exclusivité de compétence en matière de contrôle de l’application et de l’interprétation du droit de l’OHADA et au renvoi obligatoire des juridictions nationales, s’ajoute l’autorité absolue reconnue aux décisions de la CCJA. 263 F. ANOUKAHA, « La délimitation de compétences entre la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et les Cours suprêmes nationales en matière de recouvrement des créances » in Juridis périodique (Intégration juridique-droit international-droit comparé), n°59, juill-août-sept. 2004, p. 121. Les Professeurs Joseph ISSASAYEGH et Jacqueline LOHOUES-OBLE proposent également cette saisine dans l’intérêt de la loi car selon eux, elle « permettrait de censurer une décision mal rendue en dernier ressort ainsi que celle de la juridiction nationale de cassation saisie en dernier ressort ainsi que celle de la juridiction nationale saisie à tort, cela sans effet à l’égard des parties en litige », ouvrage précité n°453, p.188. 264 Cour Suprême du Cameroun, Arrêt du 05/06/2003, n° 201/CC, Sté PAMOL Plantations c/C.N.P.S. et Ehongo Nemes Alexandre, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-210. 96 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil B. L’autorité absolue des décisions 172. L’autorité absolue des décisions rendues par la CCJA concerne la matière consultative (1) et la matière contentieuse (2). 1. En matière consultative 173. Les avis facultatifs et les avis obligatoires. La fonction consultative de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est d’une importance indéniable dans l’effectivité du droit de l’OHADA. La Cour rend deux sortes d’avis consultatifs : ceux facultatifs et ceux obligatoires. L’avis facultatif prévu par l’alinéa 2 de l’article 14 du Traité de Port-Louis est formulé à l’initiative des États membres sur toute question relative à l’application ou l’interprétation du droit uniforme, que ce soient les Actes uniformes, les règlements et les décisions. Cet avis peut être requis, d’une part, pour avoir des précisions sur l’interprétation du dispositif juridique de l’OHADA et, d’autre part, pour être éclairé sur l’applicabilité ou non du droit de l’OHADA à un litige donné. Les États, le Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, les juridictions nationales de fond peuvent solliciter la CCJA afin de s’assurer de la compréhension qu’il faudrait avoir d’une disposition ou de l’application à en faire. « Il s’agit uniquement des juridictions de fond saisies dans le cadre de l’article 13 du Traité donc en contentieux » 265 et l’énumération des bénéficiaires de l’option est exhaustive. Il n’est pas permis, par exemple aux personnes physiques de formuler une demande d’avis consultatif. Si la position du législateur est compréhensible en ce qu’elle vise à éviter l’engorgement de la CCJA, une extension de la faculté offerte par l’article 14 à d’autres acteurs clés de la vie des affaires ou aux responsables des organisations professionnelles comme l’ont suggéré le Professeur Félix ONANA ETOUNDI et Pierre BOUBOU266, est envisageable. 265 J. WAMBO, « Les procédures consultative et contentieuse devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », session de formation du CIFAF 2004, Cotonou, [www.cifaf-formation.org]., p. 2. De plus la CCJA a précisé que « la demande d’avis émanant d’une juridiction d’un État partie doit être consécutive à un contentieux judiciaire pendant devant ladite juridiction nationale et sur lequel celle-ci a estimé nécessaire d’être éclairée par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA avant de rendre sa décision », CCJA, Avis n° 01/2006/JN du 17 octobre 2006, in Recueil de jurisprudence de la CCJA n°11, janvier-juin 2008, p. 129 et suiv. 266 F. ONANA-ETOUNDI, P. BOUBOU, La problématique de l’Unification de la jurisprudence par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, Ed. Droit au Service du Développement, Coll. Pratique et Contentieux de droit communautaire, février 2008, p. 28. 97 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 174. Cette demande doit être effectuée suivant des formes particulières. Selon le règlement de procédure de la CCJA « toute demande d’avis consultatif émanant d’un État Partie ou du Conseil des ministres est présentée par requête écrite »267. De même la formulation de la question doit être précise et tout document susceptible d’aider la Cour doit être joint à la requête. Il en va de même pour la demande d’avis formulée par une juridiction. Elle doit être notifiée à la Cour commune et comporter tout élément qui pourrait s’avérer utile. À la différence de la demande formulée par les États, aucune précision n’est malheureusement faite quant à la forme que doit revêtir celle émanant des juridictions de fond. Les avis consultatifs sont très importants ; ils contribuent fortement à réduire les dissensions d’interprétation et d’application du droit de l’OHADA. L’avis le plus célèbre demeure celui du 30 avril 2001 que la haute juridiction a rendu à la suite de la demande de la Côte d’Ivoire relativement à l’interprétation de l’article 10 du Traité précisément à l’effet abrogatoire des Actes uniformes sur le droit interne268. Les juridictions suprêmes nationales peuvent saisir la CCJA pour vérifier leur compétence ou non et faire application des normes qui conviennent. 175. La procédure consultative peut être obligatoire. Dans ce cas, elle s’applique aux demandes d’avis formulées sur les projets d’Actes uniformes qui seront délibérés par le Conseil des ministres, en vertu de l’article 6 du Traité fondateur de l’OHADA. Aux termes de ce texte, les Actes uniformes sont délibérés et adoptés après avis de la CCJA qui selon l’article 7 doit se prononcer dans un délai de soixante jours à compter de la date de réception de la demande de consultation. Il s’agit là d’une indication particulière qui ne vise ni l’application ni l’interprétation du droit uniforme mais plutôt à l’élaboration des Actes uniformes. L’étape est indispensable dans la procédure d’adoption des Actes uniformes et ne peut être occultée. La Cour commune qui détenant l’exclusivité de la compétente pour connaître en cassation des questions afférentes au droit uniforme. Le caractère obligatoire de la consultation de la CCJA avant l’adoption des Actes uniformes est clairement établi mais d’une portée relative, car il apparaît que dans la mesure où la haute cour ne se prononcerait pas à l’expiration du délai, la procédure ne sera pour autant pas interrompue269. Par ailleurs, aucune précision n’est faite 267 Article 54 du Règlement de procédure de la CCJA. 268 A travers son Avis n°001/2001/EP, du 30 avril 2001, la CCJA a admis que l’article 10 du Traité contenait une règle de supranationalité (…). 269 Il ressort de l’alinéa 4 de l’article 7 et suite à l’expiration du premier délai de soixante jours accordé à la CCJA pour se prononcer qu’à l’expiration de ce nouveau délai, le Secrétaire Permanent met au point le texte définitif du projet d’Acte uniforme, dont il propose l’inscription à l’ordre du jour du prochain Conseil des Ministres. 98 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil quant aux personnes habilitées à solliciter l’avis de la CCJA et à transmettre le projet d’Acte uniforme. Vu le rôle important qu’elle joue dans l’élaboration des Actes uniformes, il est tout à fait logique que le Secrétariat permanent soit l’organe habilité. 176. La procédure consultative, comme son nom l’indique, consiste à obtenir l’avis consultatif qui est l’opinion émise par une juridiction sur une question de droit donnée et qui n’a pas l’autorité de la chose jugée270. Cela signifierait donc que l’avis consultatif ne lie pas le demandeur et qu’il pourrait parfaitement passer outre les conclusions de celui-ci. Si l’on en croit certains auteurs, cette affirmation est vraie pour l’avis requis de la CCJA dans le cadre de la procédure d’adoption des Actes uniformes. Ils se fondent sur le silence aussi bien du Traité de Port Louis que du règlement de procédure CCJA concernant les effets de l’avis pour étayer leurs propos271. L’avis ne lierait ni les États, ni la CCJA et n’a d’influence sur l’adoption des Actes uniformes que celle souhaitée par l’organe normatif de l’OHADA. 177. La portée de l’avis consultatif. Concernant l’avis consultatif émis par la Cour en matière d’application ou d’interprétation du droit de l’OHADA, le silence des textes susvisés, laisse penser que celui-ci a une portée identique à celui qui intervient en vertu de l’article 6 du Traité. Il est dépourvu de toute force obligatoire. Il est cependant important de rechercher la force obligatoire des avis consultatifs rendus par la CCJA dans le statut de cette Cour. Ces avis lient les États et les juridictions qui le sollicitent en vertu de la supranationalité judiciaire de la CCJA. Ne pas l’admettre reviendrait à mettre en péril l’uniformisation du droit, qui ne peut être garantie que s’il est fait une application et une interprétation strictement identique du droit de l’OHADA dans les États parties272. « Il est possible de penser que le demandeur d’avis a intérêt à en tenir compte, car si un litige naissait et que l’affaire arrivait par la voie de la cassation devant la CCJA, il est impossible de parier que cette dernière se « déjuge » en rendant une décision contraire à son avis. À moins que le dossier ne soit suffisamment 270 Cette autorité qui est exclusivement attachée au dispositif, interdit toute remise en cause d’un jugement en dehors des voies de recours prévues à cet effet. 271 B. GUEYE, S.-NOUROU. TALL, Commentaire du Traité OHADA, in OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p.50. V. pour une position similaire, A. AKAM-AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique (…) », op.cit., n°16, p. 29. 272 99 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil illustratif au regard de certaines des pièces communiquées qui n’étaient pas à la disposition de la Cour au moment où elle émettait son avis » 273. 178. De même, il ressort des articles 55 à 57 du règlement de procédure de la CCJA que lorsque la demande d’avis émane d’un État partie, elle est notifiée aux autres États partie, qui peuvent formuler des observations soumises à discussions. Cette faculté n’a d’importance qu’à la condition que la CCJA rende son avis en tenant compte des observations formulées. Ce qui pourrait être un argument non négligeable en faveur de la consécration de l’effet obligatoire des avis. Même si d’aucuns y verront la mise à mal de « l’indépendance » que l’on s’évertue à reconnaître à la CCJA en invoquant les modes de désignation des juges274 et de financement de l’organe et, surtout, une remise en cause de la supranationalité de la CCJA. Aussi bien les États que les juridictions nationales sont liés par l’avis de la CCJA. Il n’est apparu de la part des États aucune prise de décision contraire aux avis formulés. Et ne serait-ce pas justement pour éviter d’être tenues de se conformer à l’avis de la CCJA que les juridictions nationales usent peu de la faculté de saisine qui leur est offerte ? 2. En matière contentieuse 179. Une attribution fondamentale de la CCJA. Hormis la fonction consultative, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage exerce une fonction contentieuse275 qui est présentée par la doctrine comme étant son attribution fondamentale276. La supranationalité judiciaire de l’OHADA ne trouve véritablement son essence que dans la gestion du contentieux faite par la CCJA en termes d’application et d’interprétation du droit de l’OHADA. En matière contentieuse, la Cour commune rend essentiellement des arrêts en sa qualité de Cour de cassation et accessoirement des ordonnances277. L’article 20278 du Traité fondateur de 273 M. MAIDAGI, Actes du colloque sur le droit communautaire en Afrique « De la concurrence à la cohabitation des droits communautaires », du 24 au 26 janvier 2011 à Cotonou, publiés par l’ERSUMA, 1ère éd., octobre 2011. 274 Les juges sont élus au scrutin par le Conseil des ministres sur une liste de personne présentée à cet effet par les États parties, selon l’article 32 du Traité. 275 P. MOUDOUDOU, « Réflexions sur les fonctions de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », Rev. EDJA, n°64, janv-févr-mars. 2005, p.22 et suiv. 276 277 D. ABARCHI, « La supranationalité de l’Organisation (…) », op.cit., p. 17. Il s’agit des ordonnances rendues par la CCJA sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 32 du règlement de procédure d’après lequel lorsque la CCJA est manifestement incompétente pour connaître d’un recours ou 100 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’OHADA précise les effets attachés à ces décisions. Il en ressort que les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont trois caractères principaux à savoir l’autorité de la chose jugée, la force exécutoire et la supériorité comparativement aux décisions des juridictions nationales. 180. L’autorité de la chose jugée. Tout d’abord les arrêts de la CCJA ont l’autorité de la chose jugée279 c’est-à-dire « qu’ils sont censés être l’expression de la vérité et du droit. Expression de la vérité pour ce qui est de la constatation des faits ; expression du droit pour ce qui est de la rectitude des dispositions qu’ils contiennent et du fondement juridique de ces dispositions »280. Les parties ne seront plus fondées à remettre en cause ce qui a été définitivement jugé et le juge devra également respecter cet état de fait. Comme le dit l’adage : « Res iudicata pro veritale habetur ». 181. Parce que la décision a l’autorité de chose jugée, la même affaire ne peut être jugée entre les mêmes parties sous réserve des voies de recours. L’autorité de la chose jugée c’est « l’impossibilité où l’on est de remettre en question le point sur lequel il a été statué »281. La fin de non-recevoir, tirée de la chose jugée a pleinement effet en présence du triptyque identité des parties, de l’objet et de la cause282 en vertu de l’article 1351 du Code civil français. « Il ne lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, elle peut à tout moment rejeter le recours par une ordonnance motivée. 278 L’article 20 du Traité OHADA dispose que « les Arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des États parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions juridiques nationales. Dans une même affaire, une décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un État partie ». 279 J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : Harmonisation du droit des affaires, op. cit., n°464, p. 191. V. également V.-C. NGONO, « réflexions sur l’espace judiciaire OHADA », [www.ohada.com], OHADATA D-15-14, n°28, p. 12. 280 P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, op.cit., n°266, p. 384. 281 F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n° 750, p. 586. V. en ce sens, D. TOMASIN, Essai sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, Paris, L.G.D.J, 1975, n°10, p. 8. 282 L’arrêt Cesareo, Arrêt n° 04-10. 672, Cass. Ass. Plén., du 07 juill. 2006, ne doit pas être occulté dans la mesure où il opère un revirement sur la question de la triple identité posée par l’article 1351 du Code civil. Les juges de la Cour de cassation imposent au requérant le respect du principe de concentration des moyens, et ce, dès la première instance. En l’espèce, l’Assemblée plénière revient sur une précédente décision du 3 juin 1994, et donc, il n’est dorénavant plus possible pour les parties, lors de la seconde demande, d’invoquer un autre fondement juridique que celui qui est précisément invoqué à l’occasion de la première demande. La Cour 101 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil peut donc être utilement envisagé qu’un litige auquel a été donnée une solution devant un tribunal puisse être porté devant le même tribunal ou une autre juridiction afin qu’il soit à nouveau statué sur l’action déjà jugée »283. 182. La consécration de la supranationalité judiciaire de la CCJA emporte sa substitution aux Cours suprêmes nationales et par voie de conséquence l’assimilation des décisions qu’elle rend à celles des juridictions qu’elle remplace. Ainsi, deux conséquences découlent de ladite autorité et de cette assimilation : la suppression du contrôle du juge national et l’extension de la portée de l’autorité des décisions de la CCJA. Tout comme pour les Actes uniformes qui s’appliquent directement, les arrêts de la Cour commune ont une autorité de chose jugée automatique, dont la reconnaissance ne requiert l’intervention d’aucune procédure. Aussi, l’autorité conférée aux arrêts de la CCJA ne se limite-t-elle pas aux territoires des États parties. Elle couvre l’ensemble de l’espace OHADA quand cela s’avère nécessaire. En d’autres termes, « l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt constituera un obstacle au renouvellement, dans un État qui n’était pas à la base concernée par le litige, lors d’un procès déjà réglé dans un État membre »284. Certains auteurs estiment qu’il aurait fallu en lieu et place « d’autorité de chose jugée » parler de « passage en force de chose jugée », pour faire état de l’impossibilité de l’exercice d’un recours suspensif d’exécution285. 183. La force exécutoire des arrêts. Les arrêts de la Cour commune ont force exécutoire, tel qu’il ressort de l’article 20 du Traité. Les arrêts sont obligatoires et produisent leurs effets entre les parties. En clair, les arrêts de la Cour peuvent être mis à exécution forcée dans les conditions prévues par la loi. Ainsi, « le juge communautaire exerce un imperium supranational » 286 même si cet impérium287 n’est que partiel, car l’apposition de la formule exécutoire est nécessaire. La mise en œuvre de la procédure d’exécution forcée qui requiert considère que doivent être remplies : l’identité des parties, identité de cause et identité d’objet entre les différentes instances. Dans le cas contraire, il y a lieu de prononcer une fin de non-recevoir ; fin de non-recevoir tirée de la chose jugée. 283 S. AMRANI-MEKKI, Y. STRICKLER, Procédure civile, op.cit., n° 80, p. 156. 284 J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : harmonisation du droit, op.cit., n° 466, p. 191. 285 B. GUEYE, S.-N. TALL, Commentaire du Traité OHADA, op.cit., V. article 20, pp. 54-55. 286 P. MOUDOUDOU, « Réflexion sur les fonctions de la Cour commune de justice et d’arbitrage », op.cit., p.6. 287 L’imperium est l’autre versant des pouvoirs dont le juge est investi par l’État. Pouvoir de donner des ordres, de disposer de la force publique, d’ordonner des mesures d’exécution, des mesures conservatoires. Il coexiste avec la « juridictio », pouvoir de rendre des jugements. 102 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’apposition de la formule exécutoire à l’analyse des dispositions de l’article 46 du règlement de procédure288. La force exécutoire des arrêts de la CCJA a de réelles incidences sur l’affirmation de la prévalence de l’institution sur les juridictions suprêmes nationales. L’exécution et la reconnaissance des arrêts ne sont pas subordonnées à la mise en œuvre d’une procédure d’exequatur sur le territoire des États membres289. 184. Le cas spécifique des décisions contradictoires. Enfin, la supériorité des décisions de la CCJA sur celles des juridictions suprêmes des États membres est affirmée par l’article 20 du Traité qui précise que « dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la CCJA ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un État partie ». La contrariété des décisions est caractéristique d’une situation de conflit tranchée en faveur de la décision de la CCJA et qui empêche l’exécution forcée de la décision en cause. La supériorité des décisions de la CCJA aurait été dotée d’une force plus importante si les décisions contraires étaient plutôt entachées de nullité à l’instar de la solution adoptée lorsque le juge national méconnaît son incompétence. Cependant, en dépit de la prééminence de la CCJA et des décisions qu’elle rend, des difficultés liées au fonctionnement de la Cour et à l’application de certains Actes uniformes sont apparues. Ce fut le cas avec le célèbre arrêt Époux Karnib contre la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (S.G.B.C.I). La CCJA avait été saisie de l’application de l’article 32 de l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées et avait retenu qu’« une décision assortie d’exécution provisoire, constituait un titre exécutoire pouvant être mis à exécution par son bénéficiaire nonobstant l’exercice des voies de recours ; mais qu’il s’exposait à une procédure en répétition de l’indu »290. Ce, quand bien même les législations de plusieurs États tels que la Côte d’Ivoire prévoyaient dans leur code de procédures civiles et commerciales, des défenses à exécution qui suspendaient toute exécution même commencée. La contradiction et la résistance des juges nationaux qui en ont résulté, ont 288 Il ressort de l’article 46 du règlement de procédure de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage que l’intéressé peut poursuivre l’exécution forcée après l’accomplissement des formalités que sont entre autres l’apposition de la formule exécutoire, la vérification de l’authenticité du titre. 289 Cette dispense d’exéquatur est un facteur de célérité de la procédure judiciaire et diffère de ce qui a cours dans d’autres organisations qui à l’instar de l’OCAM, ont établi entre leurs membres une Convention générale de coopération judiciaire. 290 CCJA, Arrêt n° 002/2001, 11 octobre 2001, Affaire : Époux KARNIB c/ Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (SGBCI), [www.ohada.com]., OHADATA J-02-06. 103 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil amené la Cour commune à préciser à nouveau sa position en prenant en compte les normes nationales et les juges nationaux par le biais notamment de l’Arrêt SOCOM SARL291. 185. Les recours ouverts contre les arrêts de la CCJA. Les arrêts de la CCJA ne sont susceptibles que de voies des recours extraordinaires que sont le recours en tierce opposition, le recours en interprétation et le recours en révision d’arrêt à l’exclusion, pour des raisons évidentes, du pourvoi en cassation. La tierce opposition est ouverte à toute personne physique ou morale qui estime qu’un arrêt a préjudicié à ses droits si elle n’a pris part à aucune des instances antérieures292. La tierce opposition vise à réparer les dommages et a pour effet de modifier l’arrêt s’il y est fait droit. Le recours en interprétation d’arrêt vise toute contestation relative au sens ou à la portée du dispositif d’un arrêt de la CCJA. Il est ouvert à toute partie au litige dans un délai de trois ans suivant le prononcé de l’arrêt293. La décision rendue en interprétation prend la forme d’un arrêt. Les articles 49 et 50 du règlement de procédure consacrent le recours en révision d’arrêt dont l’exercice n’est possible qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive, qui était inconnu avant le prononcé de l’arrêt de la Cour et de la partie qui demande la révision294. Le silence de l’article 49 quant aux personnes susceptibles d’exercer le recours, permet d’affirmer que toute personne intéressée pourrait vraisemblablement agir en révision de l’arrêt. La compétence bien qu’exclusive, reconnue à la CCJA laisse subsister celle limitée, mais encadrée des juridictions nationales. 291 CCJA, 19 juin 2003, Aff. SOCOM S.A.R.L c/ Société de Banques au Cameroun (SGBC) et Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), arrêt n° 014/2003, Recueil de jurisprudence CCJA, n°1 janvier-juin 2003, pp 1921. Cet arrêt constitue avec d’autres rendus également en 2003, un revirement important ; La CCJA déclare que « contrairement à ce que prétend la défenderesse au pourvoi, l’article 32 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’est pas applicable en l’espèce, la procédure introduite le 03 février 2001 et qui a abouti à l’arrêt attaqué n’ayant pas pour objet de suspendre une exécution forcée déjà engagée mais plutôt d’empêcher qu’une telle exécution puisse être entreprise sur la base d’une décision assortie de l’exécution provisoire et frappée d’appel ; qu’il s’ensuit que la Cour de céans doit se déclarer incompétente pour statuer sur le recours en cassation introduit par SOCOM SARL » ; v. également Société d’exploitation Hôtelière et Immobilière du Cameroun dite SEHIC Hollywood SA, c/ Société générale de banques au Cameroun dite SGBC, arrêt n°012/2003. G. KENFACK-DOUAJNI, note sous arrêt du 19 juin 2003, Revue camerounaise de l’arbitrage , 22 juill-août-sept. 2003, p. 13 et s. 292 Cf. Article 47 alinéa 1 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. La demande doit être formée contre toutes les parties au litige principal et respecter les dispositions des articles 23, 27 et 47-2 du règlement. 293 Article 48 du règlement de procédure de la CCJA. 294 La demande en révision doit être exercée dans un délai maximal de dix ans à compter de l’arrêt attaqué et dans un délai de trois à compter du jour où le fait fondant le recours a été connu. 104 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil § 2. La compétence limitée des juridictions nationales 186. La compétence dévolue aux juridictions nationales est strictement encadrée au regard de son contenu (A) et doit faire face aux pouvoirs de la CCJA (B). A. Le contenu de la compétence dévolue aux juridictions nationales 187. Les juridictions de fond sont les juges de droit commun des normes de l’OHADA (1) et ont une compétence qui est bridée (2). 1. Le simple rôle de juge de droit commun des juridictions de fond 188. Les attributs de la compétence. La compétence reconnue aux juridictions est tributaire des principes qui gouvernent la matière. Une juridiction est compétente selon qu’elle bénéficie d’une compétence territoriale ou d’une compétence d’attribution. La compétence territoriale ou ratione loci détermine le tribunal devant être saisi d’une affaire, en fonction de critères de localisation géographique, en règle générale, le lieu du domicile du défendeur. Quant à la compétence d’attribution, ratione materiae, elle prévoit le tribunal dont relève une matière donnée. La compétence qui est reconnue aux juridictions de fond est avant tout une compétence d’attribution. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA exerce ses compétences en qualité de Cour de cassation et se substitue aux juridictions suprêmes nationales. Le principe de substitution ne vaut que pour celles-ci et leur est exclusivement réservé. Ainsi, les juridictions de fond que sont les tribunaux et les Cours d’appel des États membres assurent l’application du droit de l’OHADA et ont compétence pour connaître des litiges portant sur l’application des Actes uniformes. L’article 13 du Traité de Port-Louis précise que « le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des États parties ». Ces juridictions jugent les faits et le droit, le rôle qui leur est dévolu est clair : à partir des circonstances de fait, vérifier l’applicabilité du droit de l’OHADA et procéder à l’application dans l’hypothèse où l’espèce tomberait sous le coup des dispositions du droit uniforme. Ces juridictions demeurent malgré tout, placées sous la subordination de la CCJA, Cour de cassation295. 189. La dualité de l’ordre judiciaire adoptée dans les pays membres de l’OHADA et reçue du droit français pour les pays de culture romano germanique, commande une organisation judiciaire particulière. L’ordre administratif est séparé de l’ordre judiciaire qui est lui-même 295 En vertu du principe de la compétence exclusive de la CCJA. 105 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil subdivisé suivant les principaux domaines du droit privé : le civil et le pénal. Parmi les juridictions civiles, une distinction est faite entre celles purement civiles et celles commerciales. En pratique, peu d’États sont dotés de juridictions commerciales et la mise en conformité de leur organisation judiciaire avec les exigences résultant de la prédominance du monde des affaires peine à être réalisée. Ce, alors qu’il s’agit d’une condition nécessaire à l’application optimale du droit de l’OHADA. Le droit de l’OHADA est pensé pour être un droit spécial, un droit des affaires auquel s’appliquent à juste titre, des règles particulières. Du moins à titre principal. Les juridictions qui connaissent du contentieux lié à son application devraient être tout aussi spécifiques. L’autonomie institutionnelle reconnue aux États membres et qui leur permet d’organiser les compétences et procès destinés à sanctionner la violation du droit communautaire, constitue un risque de disparités et de multiplicités d’application. 190. Les juges appelés à se prononcer sur le contentieux doivent faire application de la disposition idoine et ne pourront valablement y parvenir que s’ils ont une parfaite maîtrise du droit de l’OHADA. L’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA), « établissement de formation, de perfectionnement et de recherche en droit des affaires » 296, a un rôle crucial à jouer dans la dispense d’une formation adéquate aux magistrats. D’autant plus qu’il n’est pas rare au sein des États membres, de confier au même juge, le contentieux purement civil et celui commercial. Il en résulte une application erronée du droit de l’OHADA ou une méconnaissance de l’application de ce droit. Par son arrêt en date du 15 mars 2001, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a en violation manifeste de l’article 101 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt confirmatif de la Cour d’Appel quant à la compétence du juge des référés297. Il ne faut pas occulter le fait que les cours d’appel nationales sont supérieures d’un point de vue hiérarchique aux juridictions de première instance et que l’obligation d’efficacité les concerne d’autant plus. 191. Les ressortissants des États membres sont fondés en vertu de l’effet direct des Actes uniformes à se prévaloir des droits et devoirs découlant de ceux-ci devant les juridictions 296 Article 41 du Traité tel que révisé en 2008. 297 Cour suprême de Côte d’Ivoire, 15 mars 2001, Arrêt n° 136, in Ecodroit, novembre 2005, n°5, p. 25. La Cour suprême rejette le pourvoi de dame B. contre un arrêt de la Cour d’Appel d’Abidjan confirmant une ordonnance de référé expulsant celle-ci des lieux où elle exerçait son activité pour non-paiement de loyers, et décide que « la Cour d’appel a donné une base légale à sa décision en retenant la compétence du juge des référés ». Ce alors que l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, applicable en la matière, donne compétence au tribunal et non au juge des référés. 106 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil nationales de fond. L’effet direct signifie que ce droit « complète directement le patrimoine juridique des particuliers en créant à leur égard des droits ou des obligations dans leurs rapports avec d’autres particuliers ou dans leurs relations avec l’État dont ils sont les ressortissants » 298. Ils peuvent invoquer le droit de l’OHADA devant les juridictions à qui il est fait obligation d’assurer le respect de cette prérogative299. Le juge national est contraint d’appliquer le droit de l’OHADA qui intègre l’ordre juridique national sans aucune procédure de réception. Néanmoins, bien qu’ayant le droit de requérir le respect des prérogatives reconnues par le droit de l’OHADA, les particuliers ne peuvent saisir la CCJA en premier ressort. Il leur faut respecter la procédure judiciaire en vigueur dans l’État dont les juridictions sont compétentes en l’espèce. Par ailleurs, ils ne peuvent pas saisir la juridiction communautaire alors que le jugement rendu en premier ressort est susceptible d’appel. 2. La compétence bridée des juridictions nationales 192. Les juridictions nationales garantes de la supranationalité normative du droit de l’OHADA. Les effets immédiat et obligatoire des Actes uniformes ont des incidences sur les juridictions nationales des États membres qui sont tenues d’assurer la supranationalité normative du droit de l’OHADA en l’appliquant en lieu et place du droit national300 faisant bien entendu l’objet d’une réglementation uniforme. Il est vrai que ce sont les juges internes qui, « avant la CCJA, garantissent la primauté de la norme OHADA sur la norme interne et constituent un pilier fondamental dans la réalisation de l’espace OHADA » 301, mais il n’en demeure pas moins que leur compétence que ce soit, pour les juridictions de fond que pour les Cours suprêmes est bridée. Bridée par les exigences du droit qu’elles sont tenues d’appliquer 298 A. PECHEUL, Droit communautaire général, Paris, Ellipses, 2002, pp.122-123. 299 Cour d’Appel du Port-Gentil, 28/04/1999, Arrêt société EFG C/ Société CAGRINO, Penant 1999, p. 114. Dans cette affaire la Cour d’Appel a fait application de l’article 54 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement des créances. Cet article permet la saisie conservatoire des biens meubles du débiteur si le créancier justifie d’une créance et de circonstances de nature à mesurer le recouvrement de cette créance. La Cour a retenu que « bien qu’il résulte des éléments de la cause que le débiteur reconnaît devoir une certaine somme à son créancier sous réserve de comptes à faire entre les parties, il n’est pas établi que la créance soit exposée à un risque imminent d’insolvabilité ayant pour conséquence l’impossibilité totale de son recouvrement. Dès lors, la requête de saisie conservatoire n’est pas justifiée ». D’autres juridictions de fond ont agi conformément aux compétences à elles attribuées. V. dans ce sens C A Niamey, 8 décembre 2000, Sanak Dan Nona c/ Hamidou Abou ; C A Douala, 15 mai 2000, société Soccia. 300 La C.J.U.E a consacré le principe de primauté dans l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964. 301 V.-C. NGONO, « Réflexions sur l’espace judiciaire OHADA », op.cit., n°21, p. 9. 107 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil et de respecter. En effet, la compétence attribuée aux juridictions de fond leur est reconnue par le Traité fondateur de l’OHADA et uniquement par cet acte fondateur. 193. Ainsi lorsqu’elles sont saisies d’un litige, les juridictions nationales doivent identifier, en se fondant sur le dispositif juridique de l’OHADA, l’Acte uniforme applicable. Cela ne saurait être effectif sans référence à l’article 2 du Traité fondateur de l’OHADA qui présente le domaine d’application du droit de l’OHADA, même si le domaine est appelé à évoluer et à être étendu à d’autres matières. Une fois l’application du droit uniforme avérée, les juridictions nationales ont l’obligation d’appliquer ledit droit et d’écarter toute loi nationale ayant notamment un objet identique à celui d’un Acte uniforme donné. Il se pose dès lors la question de savoir quel droit est applicable lorsque pour un litige, aussi bien le droit national que le droit de l’OHADA trouvent à s’appliquer. Les Actes uniformes réglementent la vie des affaires, mais il est des aspects qui ne sont pas pris en compte et pour lesquels le recours au droit interne est indispensable. C’est, par exemple, le cas de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général qui, bien que traitant de la vente commerciale, permet l’application du droit commun national en la matière, pour ce qui concerne notamment le droit des contrats. Bien entendu, deux cas doivent être distingués : selon que l’on est devant les juridictions de fond ou devant les cours suprêmes nationales. La solution qui est loin d’être tranchée lorsqu’un contentieux porte à la fois sur le droit uniforme et le droit interne, consisterait pour les juridictions de fond à faire application du droit de l’OHADA pour l’aspect du litige qui le nécessite et le droit interne pour les autres questions. 194. Le cas spécifique des juridictions nationales suprêmes. La situation est tout autre pour les juridictions suprêmes nationales qui, contrairement aux juridictions de fond, ne peuvent pas appliquer le droit uniforme et, qui de ce fait, se déclarent incompétentes pour le règlement de tout contentieux y afférent. Le caractère résiduel de la compétence des juridictions nationales est plus perceptible lorsqu’il s’agit des juridictions suprêmes. En effet, leur compétence se résume à la connaissance des litiges ne nécessitant pas l’application du droit de l’OHADA. Ainsi, face à un litige portant à la fois sur le droit interne et le droit de l’OHADA, la juridiction doit retenir sa compétence pour les aspects de droit interne et se déclarer incompétente pour l’autre aspect en renvoyant l’affaire devant la CCJA. En pratique, les juridictions ont dû à maintes reprises faire face à des affaires présentant de telles caractéristiques. Leurs décisions n’ont cependant pas toujours été fidèles à l’esprit du Traité fondateur de l’OHADA qui institue la supranationalité de la CCJA. La décision de la Cour suprême du Niger de connaître de tout le litige quand bien même il relevait du droit uniforme 108 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dans certains de ses aspects302, le démontre. La résistance de la juridiction nigérienne n’est pas un cas isolé. Une solution envisageable serait la formation par les plaideurs de deux pourvois, l’un devant la CCJA et l’autre devant la Cour Suprême nationale. La formation d’un seul pourvoi, mais avec deux moyens différents soumis à chacune des deux juridictions en cause serait également une option. La juridiction suprême nationale n’aura d’autre choix que de renvoyer le litige devant la CCJA après avoir réglé les questions relatives à son droit interne. 195. L’exercice par les juridictions nationales suprêmes de leurs compétences est fortement compromis par la suprématie de la Cour Commune qui est confirmée par l’article 16 du Traité OHADA à travers la reconnaissance de l’effet suspensif de la saisine de la CCJA. Cet article dispose que « la saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend la procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée ». La procédure ne peut être poursuivie que si la CCJA se déclare finalement incompétente pour connaître du litige et renvoie l’affaire devant la juridiction nationale303. Dans l’hypothèse où, dans le cadre d’un jugement rendu en premier et dernier ressort par le tribunal, la Cour suprême nationale est saisie et que son incompétence est soulevée devant la CCJA dans les formes requises, la saisine de celle-ci emporte également suspension de la procédure au niveau national. Nonobstant la saisine de la CCJA, les procédures d’exécution ne sont pas suspendues. 302 Cour Suprême du Niger , Arrêt du 16/08/2001, n° 01-158/C, SNAR-LEYMA c/ Groupe Hima Souley , [www.ohada.com]., OHADATA J-02-36 ; la Cour suprême a estimé que « Considérant l’article 18 du Traité OHADA aux termes duquel une partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation, estime que cette juridiction a, dans un litige, méconnu la compétence de la CCJA, peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée, la compétence de la CCJA n’est pas exclusive de celle des juridictions nationales de cassation. En outre, la CCJA n’étant compétente que pour l’interprétation et l’application des Actes uniformes, la Cour de suprême nationale saisie d’un pourvoi en cassation n’a pas à renvoyer ce pourvoi devant la CCJA si cette voie de recours est fondée, de façon prépondérante, non sur la violation des dispositions d’un Acte uniforme mais, comme en l’espèce, sur celle des règles du code civil et du code CIMA ». 303 CSSPPA, p. 1. La Cour Commune a rappelé qu’« étant compétente pour connaître des recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions nationales des États parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes, les conditions de cette compétences ne sont pas réunies dès lors que le moyen de cassation est la violation ou l’interprétation de l’article 214 du Code de procédure civile ivoirien, et l’arrêt attaqué ayant confirmé une ordonnance d’expulsion d’un immeuble à usage d’habitation ». Le bail d’habitation ne fait pas partie des baux réglementés par le droit de l’OHADA. 109 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil B. Les pouvoirs étendus de la CCJA 196. L’exercice du contrôle de la CCJA (1) et l’évocation sans renvoi (2), témoignent des pouvoirs de cette juridiction. 1. L’exercice d’un contrôle de la CCJA 197. Le rôle de gendarme de la CCJA. La suprématie de la CCJA sur les juridictions nationales commande le contrôle qu’elle exerce. Il revient à la Cour commune de s’assurer de l’application et de l’interprétation uniformes du droit de l’OHADA. Elle doit se prononcer sur les décisions rendues par les juridictions des États parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements. Ainsi, lorsqu’elle est saisie par voie de pourvoi, la Cour commune s’emploie à déterminer si le juge de fond d’un État membre a fait une correcte interprétation ou une juste application des dispositions prévues par les Actes uniformes. Les décisions faisant l’objet de contrôle sont celles qui sont rendues en premier et dernier ressort et qui sont donc insusceptibles d’appel. Il ne s’agit pas uniquement de s’assurer que le droit de l’OHADA était bel et bien applicable, mais il revient en plus à la Cour commune de contrôler la justesse dans l’interprétation et dans le choix des dispositions applicables à l’espèce. 198. L’interprétation du droit par le juge. La question de l’interprétation du droit requise des juges se pose. Le terme « juge » désigne au sens générique toute juridiction, quels que soient son degré dans la hiérarchie, sa composition, l’origine de son investiture, mais également le magistrat304. Le juge a un rôle précis et non des moindres : faire appliquer la loi. Lorsque la loi est suffisamment claire, le juge procède à une interprétation littérale. Cependant, lorsqu’elle paraît peu claire pour lui, obscure, il a un pouvoir d’interprétation qui lui permettra de rechercher l’intention du législateur. De pouvoir, il n’en existe pas en réalité, car il s’agit d’une obligation qui lui est faite par la loi. L’article 4 du Code civil français, également applicable au sein des États membres de l’OHADA, dispose que « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». L’interprétation consistera à recourir à des procédés de raisonnement, à réaliser une herméneutique juridique, « art de comprendre et 304 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op.cit., p. 582. 110 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’interpréter : exprimer, expliquer, comprendre. L’étymologie est éclairante, quant à la découverte du sens »305. Diverses méthodes d’interprétation existent. 199. La recherche de la volonté du législateur. La volonté du législateur est recherchée à travers l’utilisation de deux types de moyens : d’une part, la référence aux précédents historiques et aux travaux préparatoires tels que les exposés des motifs, d’autre part, le recours à des procédés logiques. Ces procédés seraient plus efficaces selon Jean-Louis BERGEL qui affirme que « c’est surtout par l’emploi d’un certain nombre de procédés logiques que l’on découvre le sens d’un texte par référence à son propre contenu, à sa propre formulation, à son contexte. On utilise alors divers raisonnements. Les raisonnements a pari, a contrario et a posteriori sont les meilleures illustrations de l’interprétation des textes par les textes » 306. Fortement critiquée et contestée307 au fil du temps, la méthode exégétique a été combinée avec d’autres méthodes. Ainsi, il a fallu admettre « une méthode téléologique et une méthode historique ou évolutive » 308. La méthode téléologique repose sur la recherche de la finalité de la règle ou de son but social, tandis que la méthode historique part du postulat que le sens d’un texte peut changer avec le temps et les circonstances. 200. La méthode d’interprétation est-elle la même lorsqu’il s’agit de Traités ? Le rôle d’interprétation reconnu au juge est-il effectif dans le cadre d’organisations supranationales instituées par des Traités ? Ces questions méritent d’être posées puisque l’interprétation des Traités ainsi que des actes qui lui sont dérivés relève de la compétence des juridictions 305 J.-L. BERGEL, « La découverte du sens en droit par la finalité », in La découverte du sens en droit, Colloque de l’Assoc. Franç. de philosophie du droit, 1991, éd. Archiv. Für Rechts und sozialphilosophie (ARSP), 1992. 306 J.-L. BERGEL, Théorie générale du Droit, 4e éd., Paris, Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 2004, n°232, p. 265. 307 L’école de l’exégèse est apparue au lendemain de la promulgation du Code civil en 1804. La méthode exégétique dans sa conception classique ne faisait pas l’unanimité parmi ses défenseurs. Aubry et Rau ont opposé à la méthode exégétique pure qui se résumait à un commentaire article par article du Code, une méthode dite dogmatique ou synthétique qui consistait à systématiser le Code. (Cités par L. HUSSON, « Analyse critique de la méthode de l’exégèse », in l’interprétation dans le droit, Arch. De philosophie du droit, T. XVII, 1972, p. 116.). Les procédés de l’exégèse ont été contestés, c’est le cas pour la relativisation de la valeur des travaux préparatoires ; le reproche a été également fait concernant les raisonnements a pari, a contrario et a posteriori qui pourraient conduire à des résultats contradictoires ou incertains selon les termes de comparaison retenus (V. J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op.cit., n° 233, pp. 266-267). Dans le sens de la critique, François GENY a proposé de recourir à la « méthode de la libre recherche scientifique », F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, 2e éd., Tome. 2, Paris, L.G.D.J, 1919, n° 223. 308 A. WEILL, F. TERRE, Introduction générale au droit civil, Paris, Dalloz, Coll. Précis, n° 175 et suiv. 111 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil supranationales tel que c’est le cas pour le Traité de Rome309. Il apparaît difficile de retenir que l’OHADA autorise de manière expresse l’interprétation des Actes uniformes, règlements et décisions par les juridictions nationales. L’article 14 alinéa 1 du Traité fondateur de l’OHADA précise que la CCJA assure l’interprétation des actes susmentionnés. Il reste aux juridictions nationales de consulter l’avis de la Cour commune concernant le sens à donner à une disposition uniforme à appliquer. Même si elles pourraient retenir leur compétence pour l’interprétation des textes en cause, en vertu du rôle qui est leur assigné dans le contentieux en instance et en appel. Sur ce point, il convient de rappeler qu’il aurait fallu que l’article 13 du Traité précise que les juridictions du fond sont tenues de transmettre à la CCJA toute question relative à l’interprétation d’une disposition obscure. Sinon, les justiciables seront confrontés à des interprétations diverses et parfois contradictoires. 201. Dans le cadre de l’exercice de son contrôle, la Cour commune devra s’assurer que le juge de fond n’ait pas, à travers son jugement, contrevenu à une disposition du traité ou d’un règlement pris en vertu du traité. Il ne suffit pas que le juge national ait appliqué le droit de l’OHADA. Son application doit être appropriée et la décision rendue doit être conforme ou non aux dispositions du droit uniforme. La CCJA ne pouvant s’autosaisir, il est évident que sa saisine est une condition sine qua non de l’exercice de ses fonctions de contrôle. Saisine qui peut intervenir dans le cadre d’un pourvoi en cassation ou d’une exception d’incompétence. D’où, il apparaît l’intérêt de la prévision d’un mécanisme de saisine dans l’intérêt de la loi. La Cour de Justice de l’OHADA contrôle, aussi bien la conformité de la décision au droit de l’OHADA que la compétence de la juridiction. Sur ce point précis, ce contrôle se limite aux juridictions suprêmes nationales, dont les décisions sont annulées en cas de méconnaissance de la compétence de la CCJA. De même, dans le cadre d’une demande d’avis d’une juridiction de fond dont la réponse ne serait finalement pas suivie par ladite juridiction, la CCJA pourrait censurer la décision prise dans le cadre de ses fonctions de Cour de cassation. 2. L’évocation sans renvoi 202. Une diversité d’arrêts rendus. Lorsque la CCJA est saisie, elle rend soit des arrêts soit des ordonnances. Les ordonnances sont rendues en vertu de l’article 32-2 du règlement de procédure de la CCJA et concernent la réponse donnée aux recours fondés sur l’exception à la 309 V. article 177 du Traité de Rome. 112 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil compétence de la Cour commune pour lesquels elle est incompétente en raison du caractère irrecevable ou non fondé des recours. Sinon, la Cour rend principalement des arrêts différents selon qu’elle a procédé ou non à un contrôle de la légalité de la décision qui lui est soumise. Ainsi, lorsqu’elle statue sur la forme et ne vérifie pas sur le fond la légalité, la Cour rend des arrêts d’irrecevabilité ou des arrêts d’incompétence. L’examen d’un point de vue légal donne lieu à des arrêts de rejet et de cassation. 203. Les arrêts d’irrecevabilité et les arrêts d’incompétence. Concernant les arrêts d’irrecevabilité et les arrêts d’incompétence, ils interviennent avant tout examen de la légalité de la décision contestée. L’irrecevabilité est « la sanction de l’inobservation en droit procédural d’une prescription légale consistant à rejeter sans l’examiner au fond, une demande qui n’a pas été formulée en temps opportun ou qui ne remplit pas les conditions de forme ou de fond exigées » 310. Une fois l’irrecevabilité constatée, la Cour sanctionne l’irrégularité mais pas de manière systématique. Les arrêts d’incompétence quant à eux sont rendus par la Cour commune lorsqu’elle juge être inapte à connaître d’une affaire. C’est le cas lorsque sont en cause, non pas l’application ou l’interprétation du droit de l’OHADA, mais le droit interne ou tout autre norme. La Cour se dessaisit du litige. Les arrêts d’irrecevabilité comme les arrêts d’incompétence, ne permettent pas à la Cour commune de mettre en application son pouvoir d’évocation en ce qu’elle ne statue pas sur le fond. C’est également le cas pour les arrêts de rejet, en dépit du fait qu’ils donnent lieu à un examen de la légalité. Par les arrêts de rejet, la Cour confirme la décision des juges de fond dès lors qu’elle juge qu’ils ont fait une bonne application du droit uniforme. 204. Les arrêts de cassation. Tout l’intérêt du pouvoir d’évocation réside dans les arrêts de cassation. Ces arrêts interviennent lorsqu’ a contrario la Cour juge qu’il a été fait une application erronée du droit de l’OHADA et entraînent l’annulation des décisions concernées. Ces décisions, une fois annulées, ne font pas l’objet comme il est de coutume d’un renvoi311 vers une juridiction d’un degré identique à celle qui a rendu la décision. Cette innovation est consacrée par le Traité fondateur de l’OHADA en son article 14-5 tel que révisé, qui précise 310 A.-C. AQUEREBURU, « La procédure contentieuse applicable devant la CCJA », www.ohada.com, OHADATA D-11-63, p. 8. L’auteur précise en citant l’article 28.5 du Règlement de procédure que concernant les pourvois formés par les parties, la CCJA décide librement quand le recours est irrecevable et quand il ne l’est pas ; ce qui à son sens pourrait être cause d’insécurité judiciaire même si cette faculté empêche l’enfermement dans un formalisme outrancier. 311 Le renvoi est fait auprès d’une juridiction dite de renvoi qui peut être une juridiction autre que celle dont la décision a été cassée ou cette même juridiction autrement composée. 113 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil qu’« en cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ». La CCJA se substitue pleinement aux juridictions du fond qui ne peuvent pas rejuger l’affaire. La cour commune rend la décision qui s’impose aux parties, aux ressortissants des autres États membres à situation égale et aux juridictions nationales. Il appartient aux parties d’exercer les voies de recours extraordinaires, en l’occurrence le recours en révision, le recours en interprétation et la tierce opposition. 205. Le pouvoir d’évocation. Le pouvoir d’évocation est celui qui, avec la supranationalité normative de l’OHADA, a suscité de nombreux débats et des critiques. L’on est bien au-delà du mécontentement des parlements nationaux qui ont estimé que leurs prérogatives normatives ont été vidées de leur substance à l’avènement de l’OHADA, au détriment de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire des États membres est impuissant face à la déferlante du géant CCJA. Aussi, les auteurs qui perçoivent la CCJA comme un troisième degré de juridiction, fondent-ils essentiellement leur assertion sur le pouvoir d’évocation312. Malgré tout, certains auteurs évitent de noircir le tableau et estiment que le droit d’évocation « participe de la volonté des rédacteurs du Traité d’unifier la jurisprudence applicable à tous les États membres »313 et même que le caractère impératif conféré à l’évocation après une cassation devait « permettre à la Cour d’asseoir rapidement une jurisprudence en matière de droit des affaires et de donner une interprétation plus harmonieuse des Actes uniformes (…) » 314. 206. Il y a également les auteurs qui voient en ce pouvoir d’évocation, une solution au conflit de juridiction qui naît à l’occasion d’un litige recelant un lien de connexité. « La Cour saisie pourra une fois qu’elle a relevé sa compétence examiner le litige au fond ; si elle note une mauvaise application du droit uniforme, elle cassera la décision et subséquemment évoque et statue sur la totalité du litige. Cette option aurait entretenu la suprématie de la CCJA » 315. Le pouvoir d’évocation permet une célérité de la procédure et contribue à l’efficacité du contrôle 312 Sur la question du troisième degré de juridiction, le Professeur Soraya AMRANI-MEKKI précise, citant J et L. BORE que « la Cour de cassation en serait limitée au droit en raison de l’effet dévolutif » ; n° 567, p. 863. 313 J. LOHOUES-OBLE, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », RIDC, 1999, p. 543. 314 L. YARGA, « L’OHADA, ses institutions et ses mécanismes de fonctionnement », [www.ohada.com]., Doctrine, OHADATA D-05-37. 315 J. FOMETEU, « Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et les juridictions nationales de Cassation », in Les mutations juridiques dans le système OHADA (sous. Dir.) André AKAM-AKAM, Cameroun, l’Harmattan, 2009, n° 27, p. 54. 114 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil étant donné que la décision définitive est prise par la Cour commune. Cependant, son utilisation en cas de connexité pour la totalité du litige est discutable. La compétence d’attribution des Cours suprêmes nationales ne doit en aucun cas être méconnue. À la CCJA, il revient exclusivement de veiller à l’application et à l’interprétation du droit de l’OHADA ; si les juridictions nationales suprêmes nationales sont tenues de s’incliner dès lors qu’une affaire relève de la compétence de la CCJA et lui renvoyer l’affaire, la CCJA exerce un contrôle sur les décisions rendues par les juridictions de fond et peut évoquer l’affaire sans la renvoyer après cassation. Ces importantes prérogatives ne donnent pas la pleine mesure de la prévalence de la CCJA sur les juridictions nationales. Sa prépondérance en matière arbitrale en est un autre exemple et non des moindres. Section 2. La prépondérance de la CCJA en matière arbitrale 207. L’arbitrage est un des modes alternatifs de règlement des conflits les plus usités dans le monde des affaires, si bien qu’il tend à prendre le pas sur le mode contentieux de règlement de conflits. Si cela est vrai pour les pays développés, il convient de relativiser la portée pour les pays en voie de développement. Ces pays ont dans un souci de mise à niveau, dans le cadre de l’OHADA par exemple, consacré un arbitrage communautaire (§1) qui marque la domination exercée par la CCJA dans la procédure arbitrale (§ 2). § 1. La consécration d’un arbitrage OHADA 208. On assiste à une unification de l’arbitrage dans l’espace OHADA (A) et à la mise en place d’un arbitrage institutionnel sous l’égide de la CCJA (B). A. L’unification de l’arbitrage dans l’espace OHADA 209. De nature mixte (1), l’arbitrage OHADA a une force certaine (2). 1. La nature mixte de l’arbitrage consacré par l’Acte uniforme 210. La consécration par l’Acte uniforme d’un arbitrage appliquant les règles de l’arbitrage ad hoc et de l’arbitrage institutionnel. L’arbitrage a été consacré dès la création de l’OHADA comme mode de règlement par excellence des litiges. La création de l’organisation répond à un besoin, celui d’assurer une sécurité juridique dans le monde des 115 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil affaires mais pas uniquement. Il est tout à fait justifié que dans un domaine au sein duquel d’énormes intérêts sont en jeu, un mode amiable ou pacifique de règlement des litiges soit privilégié. Cette préférence a été affirmée à travers le préambule316 et les articles 1 et 2 du Traité de Port-Louis. Pendant que l’un précise que l’encouragement de l’arbitrage est un moyen de mener à bien l’harmonisation, l’autre inclut le droit de l’arbitrage dans le champ d’application matériel de l’OHADA. En effet, toutes les matières énumérées à l’article 2 font l’objet d’un Acte uniforme qui aura vocation à s’appliquer dans les dix-sept États membres. La volonté des États signataires du Traité transparaît également dans le fait que tout un titre soit consacré à l’arbitrage. 211. La volonté des États signataires, essuie les critiques qui consistent à n’y voir « qu’une forme de privatisation de la justice, une volonté d’externalisation de la fonction juridictionnelle à des fins d’économies budgétaires » 317. Nonobstant cette assertion, l’espoir que représente l’arbitrage OHADA en qualité d’effet levier positif sur les investissements dans l’espace OHADA, est bien réel et fondé. Dans le cadre international, le rapport au temps est essentiel à l’instar de la confiance. Les procédures judiciaires des États membres ont cela en commun qu’elles sont jugées lentes et peinent à convaincre, tant les ressortissants que les investisseurs nationaux et internationaux. L’arbitrage avec son fondement principal, « la volonté » des parties, la célérité qu’il imprime dans la procédure et dans un climat peu ou rarement conflictuel, mérite amplement la place de choix qui lui est accordée par le législateur de l’OHADA. Il constitue surtout « L’ARBITRAGE » conçu par et pour les États africains qui ne percevaient pas d’un très bon œil l’importation de règles arbitrales qui s’imposaient à eux par le jeu des conventions internationales. Le Docteur Kenfack DOUAJNI affirme que « l’instauration d’un arbitrage OHADA, tient en une volonté de délocaliser les arbitrages car, bien que l’ayant toléré en matière internationale, les États membres de l’OHADA comme beaucoup d’autres pays d’Afrique, continuaient de percevoir l’arbitrage 316 Selon l’un des paragraphes de l’exposé des motifs du préambule, et en référence aux États, parties contractantes au traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, ceux-ci sont « désireux de promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels ». La volonté des États est clairement et très tôt affirmée. 317 O. CUPERLIER, « Arbitrage et personnes publiques », [www.ohada.com]., Doctrine, OHADATA D-13-65, n°3, p.2. 116 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil comme une institution étrangère qui leur est imposée, d’autant que cette justice est rendue à l’étranger c’est-à-dire hors d’Afrique et par des étrangers »318. 212. Les avancées notables. À travers l’adoption le 11 mars 1999 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage révisé le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée319, des avancées non négligeables sont réalisées. Il consacre un arbitrage mixte parce que, mêlant des règles relatives à l’arbitrage ad hoc et à l’arbitrage institutionnel. L’arbitrage ad hoc est celui qui ne requiert pas l’intervention d’une organisation permanente d’arbitrage. La volonté des parties est au cœur du dispositif conformément au caractère amiable de l’arbitrage. L’article 5320 de l’Acte uniforme en accordant la prééminence à la volonté des parties dans la constitution du tribunal arbitral, illustre bien l’arbitrage ad hoc. Quant à l’arbitrage institutionnel définit par une analyse a contrario de l’arbitrage ad hoc, il « suppose l’intervention d’un organisme permanent d’arbitrage réglemente la procédure. C’est en se reportant à l’article 10321 que l’on trouve un exemple de référence à l’arbitrage institutionnel. Les parties sont tenues de se conformer au règlement d’arbitrage de l’organisme choisi. L’Acte uniforme consacre bien un arbitrage particulier, hybride. 213. L’absence de distinction entre arbitrage interne et arbitrage international. L’arbitrage OHADA est d’autant plus mixte qu’aucune distinction n’est faite entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international322. Le texte uniforme énonce en son article 1er que, « le présent Acte uniforme a vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve dans l’un des États-parties ». La formulation de ce texte laisserait entrevoir une nature exclusivement optionnelle à l’Acte uniforme. Mais comme nous l’expliquerons, la réalité est toute autre. Le terme qui retient l’attention est le « siège » en ce qu’il définit le champ 318 K. DOUAJNI, « L’arbitrage OHADA », Revue Camerounaise d’Arbitrage, 2010, n° spécial, p. 212. 319 Le nouvel Acte uniforme est entré en vigueur le 23 février 2018. 320 L’article 5 alinéa 1 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage devenu article 6 alinéa 1 du nouvel Acte uniforme dispose que « les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la convention des parties ». A défaut d’une telle convention d’arbitrage ou si la convention est insuffisante la volonté des parties est requise. Mais la liberté des parties n’est pas absolue ; elle est limitée par les dispositions de l’article qui fixent le nombre maximal d’arbitres et consacrent l’égalité entre les parties. 321 Selon l’alinéa 1 de l’article 10 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage « le fait pour les parties de s’en remettre à un organisme d’arbitrage les engage à appliquer le Règlement d’arbitrage de cet organisme, sauf pour les parties à en écarter expressément certaines dispositions ». 322 En droit français, est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international. 117 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’application spatial de l’Acte uniforme. La notion de siège est très importante en termes de rattachement à un territoire donné et de détermination de la compétence juridictionnelle. 214. Plusieurs conceptions du « siège » coexistent et rendent compte des réalités qu’il recèle. Le siège est perçu soit d’un point de vue « volontariste » soit d’un point de vue « territorialiste ». Le siège est apprécié par rapport au droit auquel les parties ont souhaité soumettre l’arbitrage. Le lieu n’a aucune incidence sur la détermination du siège et c’est ce qui distingue cette conception de la conception territorialiste qui est celle retenue323 par le droit de l’OHADA. Le groupe de mots, « où se trouve le siège du tribunal arbitral », même s’il ne donne pas de précisions quant à la définition du mot siège, permet de retenir qu’il s’agit bien d’une localisation géographique. Peu importe que le lieu soit « spatialement situé dans un État partie pour que l’Acte uniforme ait vocation à s’appliquer ; le lieu d’accomplissement d’une étape de la procédure peut constituer le siège et en justifier l’application »324. Les juridictions étatiques abondent dans le sens de la conception territorialiste. La Cour d’appel d’Abidjan écarte l’application des dispositions de l’Acte uniforme, en matière de reconnaissance de la sentence au motif que « le siège du tribunal arbitral se trouvait en Suisse »325. 215. Les caractères extensif et hybride de l’arbitrage tels que prévus par l’Acte uniforme, résident également, dans le critère d’arbitrabilité du litige. L’arbitrage est ouvert à toute personne sur les droits dont elle a la libre disposition326. Aux personnes morales ou personnes physiques, qu’elles soient commerçantes ou non, le droit de recourir à l’arbitrage est accordé. Dans la mesure où les droits objets de l’arbitrage sont disponibles327. La Cour d’appel d’Abidjan a, sur ce point, décidé que « la clause compromissoire insérée dans un contrat conclu entre deux non-commerçants est valable » 328. À la clause compromissoire, il est fait 323 Les Actes uniformes s’appliquent dès lors que les parties ou les biens concernés sont localisés sur le territoire d’un État partie au Traité de l’OHADA. 324 P. MEYER, Commentaire de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, in OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 147. 325 C.A d’Abidjan, n° 1157, 19 novembre 2002. 326 Article 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, publié au J.O OHADA, n°8, du 15 mai 1999, p. 2 et s. Entré en vigueur le 11 juin 1999. 327 La disponibilité du droit consiste en la possibilité de son détenteur de l’aliéner ou d’y renoncer de manière absolue même s’il est recommandé de relativiser le caractère absolu des prérogatives du détenteur dans la qualification du droit qu’il détient. V. pour la définition, P. LEVEL « L’arbitrabilité », Rev. Arb., 1992, p. 219. 328 C.A d’Abidjan, Arrêt n° 1032, 30 juillet 2002, [www.ohada.com]., OHADATA J-03-28. 118 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil référence de manière équivalente avec le compromis dans l’Acte uniforme. La « convention d’arbitrage » étant le terme générique retenu pour évoquer aussi bien la clause compromissoire que le compromis soumis au même régime juridique en droit de l’OHADA. 216. Le droit français opère une nette distinction entre clause compromissoire et compromis. De plus, il consacre l’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat. L’originalité de l’Acte uniforme a de quoi séduire a priori. Le tableau tel que dépeint, laisserait penser que les objectifs ont été atteints grâce au texte commun OHADA en matière d’arbitrage. Les données relatives au nombre d’affaires, aux sentences, aux arbitrages, montrent un nombre « très limité en raison des espoirs placés dans cet arbitrage qui doit permettre d’éviter le recours à la justice étatique tant décriée dans l’espace OHADA. Le constat que l’on peut faire est que la simple adoption de textes dans l’ensemble adéquats, est insuffisante à entraîner le développement de la pratique de l’arbitrage dans l’espace juridique OHADA » 329. Encore faut-il s’assurer de la force juridique de la législation adoptée. 2. La force juridique de l’Acte uniforme 217. L’importance de la volonté des parties. L’arbitrage est une matière qui est gouvernée par la volonté et l’accord des parties. Le fondement de la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage est la convention des parties. Celles-ci, par une clause compromissoire, témoignent de leur souhait de résoudre les éventuels litiges par le recours à un tiers neutre, indépendant et impartial, afin d’arbitrer tous les litiges pouvant naître dans le cadre du contrat. Il paraît donc inimaginable qu’en matière d’arbitrage la volonté des parties soit méconnue. Le principe est pourtant simple : les parties sont liées par leur volonté. Dès lors que l’option pour l’arbitrage a été faite, les règles y afférentes, s’imposent aux parties. L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne déroge pas à la règle qui institue en faveur des actes de nature identique, une force obligatoire et un effet abrogatoire qui déploient leurs effets quand les conditions d’application de l’Acte uniforme sont réunies. L’article 1er de l’Acte uniforme s’intéresse au lieu du siège330 du tribunal comme seul critère de rattachement pour son application. Le siège doit être localisé dans l’un des États parties. 329 L’état du système juridique de l’OHADA, les 20 ans de l’OHADA, Bilan et perspectives, Colloque international OHADA - IRJS / AEDJ, p. 67. 330 V. supra, n°212, p. 117. 119 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 218. Il ne faut nullement se méprendre sur la force obligatoire de l’Acte uniforme en se limitant aux dispositions de l’article 1er qui précisent qu’il « a vocation à s’appliquer ». La vocation ici rappelle simplement qu’une place de choix est accordée à l’option des parties. Celles-ci, quand elles optent pour la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage, choisissent également la loi applicable à ladite procédure. Pour les parties, l’Acte uniforme serait facultatif et supplétif, indépendamment de la prise en compte du champ d’application spatial. C’est ce qui a fait dire au Professeur Joseph ISSA-SAYEGH qu’« une autre loi que l’Acte uniforme peut être choisie expressément par les parties même si le siège du tribunal arbitral se situe dans l’espace OHADA »331 ; toujours selon lui, « l’Acte uniforme peut être choisi par les parties même si le tribunal arbitral siège en dehors de l’espace OHADA et que le litige n’a aucun lien avec l’espace OHADA »332. Ces assertions, bien que logiques, inspirent la formulation de réserves. Les parties ne peuvent choisir qu’une loi nationale non contraire à l’Acte uniforme. Dans un contexte où les lois en la matière recèlent des dispositions entrant en contradiction avec l’Acte uniforme, les lois nationales ne s’appliqueront que de manière partielle. L’autre réserve réside dans l’option claire faite en faveur d’une conception territorialiste du siège du tribunal arbitral. Dès lors que les parties ont entendu régler leur litige sur le fondement de l’Acte uniforme, elles sont tenues de s’y conformer. 219. Le caractère obligatoire de l’Acte uniforme. En sa qualité d’Acte uniforme, le texte bénéficie de la règle de supranationalité consacrée par l’article 10 du Traité instituant l’OHADA. Il est d’application directe et immédiate vis-à-vis des États membres. Aucun État n’est fondé à invoquer son propre dispositif juridique en la matière pour écarter son application. Concernant les États qui possédaient déjà une législation sur l’arbitrage, l’Acte uniforme s’y substitue. La question ne se pose pas pour ceux qui n’en avaient pas. L’alinéa 1er de l’article 35 de l’Acte uniforme dispose que « le présent Acte uniforme tient lieu de loi relative à l’arbitrage dans les États parties »333. Sa force obligatoire est affirmée et de manière assez surprenante. L’Acte est le seul acte qui soit assimilé à une loi. La preuve que l’arbitrage est perçu comme le moyen par excellence de règlement des litiges dans l’espace OHADA et que le souhait du législateur de l’OHADA est de singulariser cet Acte par rapport aux autres 331 J. ISSA-SAYEGH, « Réflexions dubitatives sur le droit de l’arbitrage de l’OHADA », Rev. Camerounaise de l’arbitrage, n° spécial, octobre 2001, p.25. 332 J. ISSA-SAYEGH, ibid. 333 Cf. Article 35 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage. 120 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Actes. Une forme de hiérarchisation est opérée entre les Actes uniformes. Le texte relatif à l’arbitrage, fort de ce plébiscite, est présenté dans des termes généraux quand les autres actes régissent des situations plus ou moins particulières. Cet acte est la loi générale sur l’arbitrage dans les États parties. Il aurait donc fallu que chaque État membre adopte une loi d’application de l’Acte uniforme, au risque de rendre son application inefficace. L’Acte uniforme tenant lieu de loi, les Centres d’arbitrage nationaux, doivent mettre leurs règlements en conformité avec lui et adapter leurs dispositions aux principes qu’il consacre. 220. La portée abrogatoire de l’Acte uniforme. Aussi, l’Acte uniforme est-il doté d’une portée abrogatoire qui concerne les textes qui ont l’objet en commun avec lui ou qui lui sont contraires. Toute loi interne qui évoque en des termes identiques des questions abordées par l’Acte uniforme, est abrogée. De même, les lois contraires sont abrogées. Le célèbre avis du 30 avril 2001 de la CCJA confirme la portée abrogatoire de l’Acte. Selon la Cour, « ce texte doit être interprété comme se substituant aux lois nationales existant en la matière sous réserve des dispositions non contraires susceptibles d’exister en la matière »334. L’avis de la Cour intervient dans un climat de divergences très affirmées entre les défenseurs d’une abrogation totale du droit interne sans distinction du caractère contraire ou non et ceux qui circonscrivaient l’abrogation aux dispositions contraires335. Conformément à l’avis de la Cour commune, les dispositions non contraires pourront coexister avec l’Acte uniforme et le compléter336. Seraient contraires toutes les dispositions qui contredisent, consacrent des solutions aux antipodes de celles de l’Acte et qui s’en éloignent dans la forme, le fond, l’esprit. Dans une logique de confirmation de sa solution, la CCJA a rendu un arrêt le 19 juin 334 Il s’agit de l’avis n°001/2001 du 30 avril 2001 rendu par la CCJA qui faisait suite aux questions formulées par la Côte d’Ivoire. 335 V. pour les auteurs en faveur d’une abrogation totale donc une substitution de l’Acte uniforme à l’ensemble du droit interne des États membres en la matière N. AKA, Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage OHADA, annotations sous l’article 35 ; pour les défenseurs de la survie des lois non contraires v., J. ISSA-SAYEGH, Réflexions dubitatives sur le droit de l’arbitrage, p. 23/ P.-G. POUGOUE, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, p. 29.30. 336 Certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Togo, le Tchad, la Guinée, le Congo Brazzaville, le Sénégal disposaient d’une législation sur l’arbitrage. Selon Gaston KENFACK-DOUAJNI, « l’Acte uniforme emporte pour la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo l’abrogation des dispositions qui opèrent une distinction entre arbitrage interne et arbitrage international. Aussi réglemente t’il la convention d’arbitrage, la composition du tribunal arbitral, l’instance arbitrale, la sentence arbitrale, les recours contre la sentence arbitrale, puis la reconnaissance et l’exécution de la sentence. L’Acte uniforme se substitue aux dispositions des législations nationales sur les points mentionnés. G. KENFACK-DOUAJNI, « La portée abrogatoire de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », Rev. camerounaise de l’arbitrage, n°14, juillet-Août- septembre 2001, p. 5. 121 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2003337. La question de contrariété est au cœur de l’action de la CCJA qui doit y faire face pour chaque Acte uniforme. En clair, les dispositions contraires antérieures ou à venir, sont interdites pour assurer aux Actes uniformes leur force obligatoire et leur suprématie. Et en matière d’arbitrage, la notion de « dispositions contraires » prend un sens particulier. Il est généralement considéré comme étant contraire à l’Acte uniforme, qui garantit la liberté des parties, toute disposition qui viendrait remettre en question cette liberté ou restreindre de quelque manière que ce soit les droits qu’il consacre338. 221. L’application dans le temps. L’un des aspects de la force juridique de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage339, est son application dans le temps au regard de l’alinéa 2 de l’article 35 qui précise qu’« il n’est applicable qu’aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur ». Nous sommes dans le cadre du droit transitoire qui permet l’application, la survie du droit national des États membres. La protection des droits acquis est essentielle au maintien de la sécurité juridique. La date qui est prise en compte pour retenir qu’une instance arbitrale se tiendra sous l’empire de l’Acte uniforme est celle non pas de la date de signature de la convention d’arbitrage, mais celle du commencement de l’instance arbitrale. La Cour commune confirme bien le caractère transitoire de l’alinéa 2 de l’article 35 en se déclarant incompétente pour connaître de certaines affaires. L’incompétence trouvait justification dans l’inapplicabilité de l’Acte uniforme340. Une telle situation pourrait avoir, en contradiction avec la volonté de protéger les droits des justiciables, un effet négatif. Pour des instances arbitrales entamées avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, s’appliqueront des lois nationales qui lui sont parfois contraires car limitant les droits des parties. Seront-elles fondées à revendiquer 337 CCJA, Arrêt n°010/2003 du 19 juin 2003, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-108. La Cour a retenu que « la loi ivoirienne du 9 août 1993 sur l’arbitrage en son article 44, qui précise la juridiction compétente pour connaître des recours en annulation contre les sentences arbitrales, n’a pas été abrogé par l’Acte uniforme sur l’arbitrage». Cela est compréhensible puisque l’article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme dispose parlant de la sentence arbitrale qu’« elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’État partie ». Il revient donc à chaque État de désigner le juge compétent pour connaître des recours en annulation. 338 C.A d’Abidjan, Arrêt n° 1032, du 30 juillet 2002. La Cour d’Appel a relevé que l’article 1er alinéa 2 de la loi sur l’arbitrage a été abrogé par l’Acte uniforme en ce que les seules clauses compromissoires qu’il validait étaient celles stipulées entre commerçants ». Selon cette disposition, les clauses stipulées par exemple entre particuliers, ne sont pas valables quand bien même l’Acte uniforme leur donne le droit de compromettre. 339 Acte uniforme révisé le 23 novembre 2017. 340 CCJA, arrêt n°023/2004, 17 juin 2004, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-384 ; CCJA, arrêt n° 010/2003, 10 juin 2003, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-108. 122 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’application des dispositions plus favorables du droit uniforme ? La réponse est assurément affirmative. B. L’arbitrage institutionnel sous l’égide de l’OHADA 222. Les règles qui gouvernent l’arbitrage institutionnel doivent être précisées (1) à l’instar des fonctions d’encadrement de la CCJA (2). 1. La présentation de l’arbitrage mis en place 223. Le règlement d’arbitrage. Un règlement d’arbitrage a été adopté le 11 mars 1999. Selon ce règlement, « la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, ci-après dénommée la Cour, exerce les attributions d’administration des arbitrages dans le domaine qui lui est dévolu par l’article 21 du Traité dans les conditions ci-après définies »341. Cette disposition institue un arbitrage institutionnel qui voit en premier l’intervention de la CCJA en qualité de centre international d’arbitrage institutionnel. La CCJA exerce également des fonctions juridictionnelles en matière d’arbitrage. Le règlement délimite la compétence de la CCJA en tant que centre d’arbitrage. Comparativement à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, le règlement d’arbitrage a un caractère spécifique ou dérogatoire342. L’Acte uniforme est le droit commun de l’arbitrage OHADA. Tout d’abord, l’origine du différend doit être contractuelle par application d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Pour que le différend soit arbitrable au sens du règlement d’arbitrage, il faut qu’il soit nécessairement relatif à un contrat. Il peut porter sur la validité, l’exécution ou encore l’interprétation du contrat. Étant entendu que le contrat est soumis aux conditions de validité de l’article 1108 du Code civil. Sont alors exclus, les litiges de nature non contractuelle, sûrement dans le but de conserver une certaine cohérence entre les textes. L’on a affaire à une restriction qui différencie le règlement d’arbitrage de la Convention de New York dont l’article 2-1 vise non pas uniquement les rapports contractuels, mais les différends résultant d’un rapport de droit. Cet aspect restrictif est fondé car le recours au règlement d’arbitrage de la CCJA est tributaire 341 Article 1er alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA. 342 L’arbitrage CCJA n’est donc pas soumis à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage sauf pour les points non traités par le règlement. La CCJA a dans un arrêt n°45 du 17 juillet 2008, affirmé le caractère spécifique ou dérogatoire du règlement. Elle a affirmé que « l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne figure pas au nombre des actes juridiques qui sont applicables en l’espèce à l’arbitrage institutionnel spécifique de la CCJA. 123 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil de la volonté des parties. Le recours à des centres d’arbitrage retenant des conditions extensives leur est ouvert. 224. Ensuite, le règlement a vocation à s’appliquer, qu’il s’agisse d’un contrat civil ou commercial. Ce critère rejoint celui établi par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage qui s’applique aux arbitrages commerciaux et civils. En matière civile, il convient cependant de préciser que tous les litiges ne peuvent faire l’objet d’arbitrage. C’est notamment le cas de « la recherche en paternité ou de la validité du mariage ou du divorce » 343. Le contrat peut être interne ou international cela s’entend. Les parties bénéficient d’un champ assez large d’application du règlement. Cette application leur bénéficie également dès lors que le lien spatial est établi entre le contrat et un État partie. « Le différend contractuel peut être soumis à la CCJA si l’une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un des États parties, ou si le contrat est exécuté ou à exécuter, en tout ou partie sur le territoire d’un ou plusieurs États parties »344. 225. L’on perçoit à nouveau le critère de rattachement territorial consacré par le droit de l’OHADA. L’organisation regroupant dix-sept États membres, il est normal que l’application des différents Actes uniformes, règlements et décisions en tienne compte. Ces conditions relevant du champ d’application spatial du règlement sont alternatives et également exhaustives. Soit, le critère du domicile s’applique soit, c’est celui lié au contrat à l’origine du litige qui s’applique de manière stricte. Les affirmations et commentaires d’auteurs consistant à reconnaître la possibilité d’une extension de la compétence de la CCJA laissent perplexe. Les fonctions exercées par la Cour commune en qualité de centre d’arbitrage le sont en relation et en lien avec les juridictions étatiques nationales. « L’arbitrage institutionnel de la CCJA n’est pas intégralement détaché de la justice étatique » 345. Les juridictions étatiques appartiennent à l’espace OHADA et participent au renforcement de la légitimité des actions de la CCJA. Les décisions des juges étatiques relativement à la contestation en validité de la sentence arbitrale ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi devant la CCJA. 226. Enfin, la CCJA doit être saisie en application soit d’une clause compromissoire soit d’un compromis d’arbitrage. La volonté des parties est primordiale dans la mise en œuvre d’une 343 P. LEVEL, « L’arbitrabilité », in Revue de l’arbitrage, 1999, p. 219. 344 Alinéa 2.1 de l’article 2 du règlement d’arbitrage de la CCJA du 23 novembre 2017. 345 J.-M. TCHAKOUA, A. FENEON, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, Yaoundé, P.U.A, 2000, p. 249. 124 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil procédure arbitrale et comme déjà rappelée, l’absence d’une telle volonté est exclusive du déclenchement de l’ouverture de la procédure. Le règlement vise en employant les notions de compromis et de clause compromissoire, la convention d’arbitrage que l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage utilise de manière invariable pour les évoquer. La volonté des parties est omniprésente dans la procédure et la détermination de la loi applicable au fond du litige. En cas de silence du règlement concernant les règles de procédures applicables, les parties peuvent les déterminer. Elles sont tout aussi libres de déterminer la loi qui sera appliquée pour résoudre le litige346. La confidentialité de la procédure prévue par l’article 14 du règlement d’arbitrage est de nature à renforcer la confiance des parties en l’arbitrage en général et en celui de la CCJA en particulier347. Au bénéfice des parties, et en référence à l’article 21 du Traité fondateur de l’OHADA, la qualité de celle-ci est indifférente ; personne morale ou physique, il suffit d’être partie à un contrat. 2. Les fonctions d’encadrement de la CCJA 227. L’exercice de fonctions administratives. Le rôle de la CCJA en tant que centre d’arbitrage est spécifique et identique à celui des autres centres d’arbitrage. Les fonctions exercées sont purement administratives et concernent l’encadrement de la procédure d’arbitrage. En effet, l’article 21 alinéa 2 du Traité fondateur de l’OHADA précise que « la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne tranche pas elle-même les différends. Elle nomme ou confirme les arbitres, est informée du déroulement de l’instance, et examine les projets de sentences, conformément à l’article 24 ci-après »348. Il revient à la Cour d’administrer les procédures, conformément à l’article 1er de son règlement d’arbitrage. La CCJA a pour mission de procurer une solution arbitrale par le biais de ses activités. L’obligation à sa charge est une obligation de moyens en ce que la Cour commune doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif, « procurer une solution arbitrale ». Et les décisions prises dans le cadre de sa mission sont de nature administrative. Les décisions et actions menées sont diverses et relèvent de la compétence des organes du centre à des échelles variées. 346 V. les articles 16 et 17 du Règlement d’arbitrage de la CCJA. 347 La CCJA, à travers certaines de ses décisions avait sérieusement entamé la confiance des justiciables en l’arbitrage. V. la jurisprudence liée à l’affaire Époux Karnib. 348 Article 21 alinéa 2 du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. 125 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 228. En sa qualité de centre d’arbitrage la CCJA comprend un président, une Assemblée plénière, une formation restreinte, un secrétariat général et une régie des recettes et des dépenses. Le Président du centre, en vertu de l’article 2.5 du Règlement d’arbitrage, intervient dans la procédure d’urgence. Il peut prendre en cas d’urgence toutes les décisions nécessaires à la mise en place et au bon déroulement de la procédure arbitrale, dès lors que la Cour est informée à sa prochaine réunion. Néanmoins, il lui est interdit de prendre des décisions qui requièrent un arrêt de la Cour. Le rôle du président est déterminant dans la bonne conduite des activités du centre. Il intervient hors situation d’urgence pour notamment présider l’Assemblée plénière et la formation restreinte sauf en cas d’empêchement. Le contrôle de l’activité du secrétariat général relève de sa compétence. En clair, le président est un acteur clé du dispositif mis en place dans le cadre de l’arbitrage CCJA. 229. L’Assemblée plénière a la charge de prendre les décisions nécessaires à la mise en place et au bon déroulement des procédures arbitrales. Elle a « une compétence générale en ce qui concerne l’administration des procédures d’arbitrage » 349. Les interventions de l’Assemblée permettent le déroulement normal de la procédure parce qu’elles consistent à gérer les situations inattendues, le désaccord et les contestations des parties. Elle examine les projets de sentence dans les conditions fixées par les articles 23 et 24 du règlement. Le rôle de l’Assemblée plénière ne peut être dissocié de celui de la formation restreinte qui, composée de trois membres dont le président de la Cour, assure le suivi des procédures arbitrales. Un pouvoir de décision peut lui être délégué par la Cour et il lui est possible de permettre à l’Assemblée plénière d’exercer ce pouvoir à sa place. 230. Le secrétariat général et ses fonctions administratives. Le Secrétariat général est le véritable organe purement administratif du centre d’arbitrage. Les différentes notifications, et informations à l’intention des parties, proviennent du secrétariat général dont les fonctions sont assurées par le greffier en chef. Le secrétariat enregistre les demandes d’arbitrage, les notifie aux défendeurs. Avec l’approbation de la Cour, il établit tous les documents utiles à l’information des parties et une fois les sentences rendues, les notifie aux parties. De plus, il lui revient de superviser les opérations d’encaissement ou de paiement exécutées par le régisseur, le responsable de la régie des dépenses et des recettes. Le succès de la procédure 349 J. MBOSSO, « Le fonctionnement du centre d’arbitrage de la CCJA et le déroulement de la procédure arbitrale », Revue camerounaise de l’Arbitrage, n°15, oct-nov-déc. 2001, p. 6. 126 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’arbitrage administrée par la CCJA est lié à un exercice optimal des rôles à eux dévolus par les organes de la Cour. 231. Les conditions faisant obstacle à l’arbitrage. Les fonctions exercées par les organes de la Cour n’ont de sens que parce que la procédure a été entamée ou du moins parce que l’arbitrage a lieu. L’article 9350 du règlement d’arbitrage énonce les trois conditions qui font obstacle à l’arbitrage : l’absence de convention d’arbitrage, le fait pour la défenderesse de décliner l’arbitrage, l’absence de réponse à la demande d’arbitrage dans le délai de quarantecinq (45) jours à compter du reçu de la notification de la demande d’arbitrage par le Secrétaire général de la Cour. Les conditions ne sont pas cumulatives ou le sont de manière particulière. La condition principale est bien l’absence de convention d’arbitrage, mais elle ne se suffit pas à elle-même pour empêcher l’entame de la procédure d’arbitrage. Elle doit être cumulée avec l’une des deux autres conditions. L’absence de réponse ou le refus de l’arbitrage n’aura d’effet que si l’absence de convention d’arbitrage est caractérisée. La convention est essentielle, car c’est par son biais que la volonté des parties de recourir à l’arbitrage est exprimée. Il est tout à fait justifié qu’en l’absence d’une convention d’arbitrage et de la réunion des deux autres conditions, la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage soit remise en cause. Dans tous les cas de figure, la Cour statue sur la suite à donner une demande d’arbitrage. La Cour peut décider de donner une suite favorable à la demande et pourra alors statuer sur sa propre compétence ou refuser la demande d’arbitrage. Il est évident que le défaut de satisfaction des conditions relatives à l’application territoriale du règlement prévues à l’article 2.1, peut empêcher la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage. 232. L’existence de la convention d’arbitrage mentionnant le centre choisi, combinée à l’absence des conditions empêchant l’entame de la procédure emporte des exigences pour les parties. Lorsqu’il résulte de la convention que le centre d’arbitrage choisi est la Cour commune, les parties sont tenues de se conformer aux exigences du règlement de procédure en vertu de l’article 10. Elles doivent également se soumettre au titre IV du Traité fondateur de l’OHADA, au règlement intérieur de la Cour ainsi que tous les autres textes qui régissent la procédure d’arbitrage de la CCJA. La convention d’arbitrage a une force obligatoire entre les 350 L’article 9 du règlement dispose que : « lorsque, prima facie, il n’existe pas entre les parties de convention d’arbitrage visant l’application du présent règlement, si la défenderesse décline l’arbitrage de la Cour, ou ne répond pas dans le délai de quarante-cinq (45) jours visé ci-dessus à l’article 6, la partie demanderesse est informée par le Secrétaire Général qu’il se propose de saisir la Cour en vue de la voir décider que l’arbitrage ne peut avoir lieu. La Cour statue, au vu des observations du demandeur produites dans les trente (30) jours suivants, si celui-ci estime devoir en présenter ». 127 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil parties. Le refus ou l’abstention de l’une d’entre elles concernant sa participation à l’arbitrage postérieurement à la conclusion de la convention, est sans effet. §2. La domination exercée par la CCJA dans la procédure arbitrale 233. La domination exercée par la CCJA dans le cadre de la procédure arbitrale est illustrée par, d’une part, le rôle limité du juge étatique (A) et la suprématie de la CCJA dans l’exécution de ses compétences juridictionnelles, d’autre part (B). A. Le rôle limité du juge étatique 234. En principe, le juge étatique est incompétent (1) et dans l’hypothèse d’une compétence à lui attribuée, ses interventions sont réglementées (2). 1. L’incompétence de principe du juge étatique 235. Une consécration textuelle de l’incompétence. L’article 13 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage consacre le principe de l’incompétence des juridictions étatiques pour connaître des litiges faisant l’objet d’une procédure arbitrale. « Lorsqu’un litige, dont un Tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente »351. L’existence d’une convention d’arbitrage est la cause de l’incompétence des juridictions étatiques. La déclaration d’incompétence n’intervient pas ex-nihilo. Le juge étatique ne peut pas soulever d’office son incompétence. Seule la demande d’une partie à l’arbitrage peut y donner lieu. Plusieurs décisions de justice des juridictions étatiques ont été rendues conformément au principe posé par le texte susvisé. À titre illustratif, peut être évoquée, la décision de la Cour d’appel de Ouagadougou, qui confirme le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou et affirme que dès lors que « les parties ont prévu la voie de l’arbitrage pour le règlement de leurs litiges, les juridictions étatiques doivent se déclarer incompétentes en application de l’article 13 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage » 352. L’incompétence des juges étatiques est absolue lorsque sa saisine intervient après celle du tribunal arbitral. 351 352 Alinéa 1 de l’article 13 de l’AUA du 23 novembre 2017. C.A de Ouagadougou (Burkina Faso), Arrêt n° 116, 19 mai 2006, non publié ; V. également Trib. Com. De Kayes (Mali), 5 juillet 2007. Certaines juridictions se déclarent cependant compétentes en réduisant la portée des conventions d’arbitrage. La Cour d’Appel d’Abidjan, confirmant le Jugement du tribunal de Première Instance, a 128 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 236. L’antériorité de la saisine du juge étatique. Il en va différemment lorsque la saisine du juge étatique est antérieure à la saisine du tribunal arbitral mais uniquement à une seule condition : « la convention d’arbitrage doit être manifestement nulle ». À défaut, le juge étatique doit comme dans l’hypothèse précédente, se déclarer incompétent. Une procédure d’arbitrage engagée sur le fondement d’une convention d’arbitrage frappée de nullité n’a aucune chance d’aboutir. Il revient au juge étatique de vérifier la nullité de la convention. Le terme « manifeste » qui désigne un élément évident, très apparent, patent, qui se révèle de luimême de manière visible et flagrante, établit clairement que la vérification du juge est cantonnée à une vérification d’un point de vue formel, c’est-à-dire au regard non pas d’éléments intrinsèques mais extrinsèques de la convention. Les éléments apparents de la convention doivent être si évidents, qu’ils ne doivent laisser subsister aucun doute. La décision du juge qui après avoir constaté la nullité manifeste d’une convention, doit être motivée afin de ne laisser place à aucune décision erronée. 237. L’exception. La réelle exception au principe d’incompétence du juge étatique est énoncée par l’alinéa 4 de l’article 13. La compétence du juge étatique peut être reconnue à la demande d’une partie, pour les mesures provisoires ou conservatoires. Ce, en dépit de la présence d’une convention d’arbitrage. Il convient avant tout de préciser les notions de « mesures provisoires » et de « mesures conservatoires ». Les mesures provisoires sont « des décisions prises par le juge de l’urgence appelé juge des référés, pour la durée d’un procès ; les mesures conservatoires sont considérées comme des mesures ayant pour vocation de conserver un droit ou un bien. Le point de jonction entre les deux décisions est certainement le fait qu’une mesure conservatoire a généralement un caractère provisoire ; mais une décision provisoire n’est pas forcément conservatoire » 353. Les procédures provisoires ont tendance à se pérenniser. Ainsi, une partie peut demander au juge étatique d’ordonner des mesures provisoires ou conservatoires. La compétence de celui-ci ne peut être soulevée d’office et la réunion de deux conditions alternatives est nécessaire. estimé qu’un « litige portant sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application, ne rentrait pas dans le champ d’application de la convention d’arbitrage et par conséquent la clause compromissoire qui ne joue que dans l’exécution de la convention ne peut trouver application en l’espèce » (C.A d’Abidjan, Arrêt n°552, 12 mai 2006). 353 N. AKA, « Les mesures provisoires et conservatoires en matière d’arbitrage », rev. Cam. Arb., n° spécial, février 2010, p. 93. L’auteur rappelle que les mesures provisoires concernent la nature de la décision qui est ainsi considérée comme ayant un caractère provisoire et non définitif ; les mesures conservatoires concernent l’objet de la décision d’autant que celle-ci tend à préserver une situation, des droits ou des preuves. 129 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 238. L’urgence, condition nécessaire. En premier lieu, une « une urgence motivée et reconnue »354 est requise. Les faits doivent être de nature à justifier la prise des mesures provisoires et conservatoires. Seule une situation d’urgence est légitime à permettre la compétence du juge étatique ; encore que l’urgence devrait être admise, et ce sans équivoque. En présence d’un tribunal arbitral habilité à prendre les mesures, l’urgence ne serait pas valablement constituée. La caractérisation d’une situation d’urgence n’est pas nécessaire « lorsque la mesure sollicitée devra s’exécuter dans un État non-partie à l’OHADA ». L’exécution hors de l’espace territorial de l’OHADA doit être ordonnée par un organisme dont la légitimité est établie. Comme c’est le cas du juge étatique qui ne relève pas contrairement à l’arbitre de la justice privée. En second lieu, « les mesures à ordonner ne doivent pas impliquer un examen au fond du litige »355 par les juges étatiques. Les mesures ne doivent pas impliquer un renvoi aux dispositions légales réglementaires ou contractuelles par référence auxquelles, le juge détermine les droits de l’une ou l’autre des parties. Elles doivent uniquement renvoyer à des questions de forme, compétence, de recevabilité. Les décisions rendues sont immédiatement exécutoires mais ne lient pas la juridiction arbitrale. Le juge étatique vient apporter son appui aux parties pour le déroulement de la procédure surtout lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore constitué. 239. Cette possibilité offerte par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est exclue en ce qui concerne l’arbitrage du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). « Depuis la modification du règlement intervenue en 1984, il n’est plus possible de solliciter des mesures provisoires et conservatoires devant les juridictions étatiques, sauf convention contraire des parties » 356. Une telle restriction se justifierait par la volonté d’éviter qu’une des parties, notamment l’État puisse bénéficier de l’apport de ses propres juridictions357 et avoir ainsi un réel avantage sur l’investisseur étranger. Avant l’adoption de l’Acte uniforme, les juridictions des États membres se sont illustrées par les contradictions qui existaient dans les décisions qu’elles ont prises. Pendant que certaines 354 Article 13 in fine de l’AUA. 355 Article 13, ibid. 356 [www.icsid.world.bank.org]. 357 N. AKA, op.cit., p. 96. 130 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil rejetaient leur compétence, d’autres la retenaient358. Après l’adoption de l’Acte uniforme, les décisions prises allaient dans le sens de l’article 13 alinéa 4. La présence d’une convention d’arbitrage ne s’oppose pas à la compétence du juge étatique en matière de prononcé de mesures provisoires ou conservatoires si les conditions requises sont réunies. En dépit de l’absence de précision de l’Acte uniforme, il est évident que la convention doit être valable pour que l’on vérifie la réunion des conditions. Une convention d’arbitrage frappée d’une nullité manifeste, le juge étatique est de toute façon compétent pour connaître de la question qui requiert son intervention. Il en va différemment lorsque le tribunal arbitral est constitué, car celui-ci a une compétence générale en vertu de la force obligatoire de la convention d’arbitrage. Mais la volonté des parties prime en la matière et peut aboutir à la reconnaissance exclusive de l’une ou l’autre compétence. 2. La réglementation des interventions subsidiaires du juge étatique 240. Le silence des parties. L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et le Traité fondateur de l’OHADA réglementent les interventions du juge étatique en autorisant sa participation à la procédure arbitrale dans des hypothèses limitées et précises. Les précisions des textes citées portent sur la constitution du tribunal arbitral, l’instance arbitrale et la phase post-arbitrale. La participation du juge étatique dans la phase de constitution du tribunal arbitral est prévue par les dispositions de l’article 6 de l’Acte uniforme. Cet article énonce que « la nomination, la révocation, le remplacement des arbitres interviennent conformément à la convention des parties »359. La prééminence de la volonté des parties est affirmée et seule l’absence ou l’insuffisance de la convention des parties autorisent l’action du juge étatique. La participation du juge étatique intervient uniquement pour suppléer l’absence de manifestation de volonté des parties. Le juge ne peut s’autosaisir et il ne peut nommer le ou les arbitres que dans la mesure où une des parties en formule la demande. Le nombre d’arbitres ne peut cependant pas excéder un ou trois360 et surtout l’égalité des parties doit être respectée. L’absence de 358 T.P.I Douala, 14 octobre 1998, Rev. Camerounaise de l’arbitrage 1999, n°4, p. 13, note SOKENG (incompétence du juge étatique) ; C. suprême de Côte d’Ivoire, 5 décembre 1997, Rev. Camerounaise de l’arbitrage 1999, n°5, p. 16 (compétence du juge étatique). 359 Article 6 alinéa 1er de l’AUA révisé. 360 L’Acte uniforme opte pour une imparité du nombre de juges. Or cette imparité est imposée expressément en Droit français pour l’arbitrage interne article 1451 alinéa du Code de Procédure Civile. Et la possibilité de composer un tribunal arbitral avec des arbitres en nombre pair est autorisée en matière internationale. Est-ce à dire que l’arbitrage OHADA est interne ? 131 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil convention ne doit pas être retenue au sens propre, car sans convention d’arbitrage, il est impossible d’affirmer que les parties souhaitaient recourir à l’arbitrage. L’absence doit en l’espèce, être perçue comme désignant une convention existante, mais présentant des lacunes telles que l’absence de désignation des parties. Le juge étatique joue un rôle d’appui à la constitution du tribunal arbitral même s’il convient de le préciser, ce rôle est très limité, car strictement prévu et mis en œuvre sous les auspices de l’article 6 du nouvel Acte uniforme. 241. Malgré tout, le texte affirme que le juge dont il est question est le « juge compétent dans l’État partie » sans apporter plus de précision. Il revient donc à chaque État membre au sein duquel le siège du tribunal arbitral est localisé, de désigner le juge compétent en la matière. Sont concernées, les compétences matérielle et territoriale du juge comme il est d’usage en matière de détermination de la compétence d’une juridiction. Certains États qui étaient dotés d’une loi relative au droit de l’arbitrage avant l’adoption de l’Acte uniforme, ont désigné le juge compétent. La loi ivoirienne361 relative à l’arbitrage, le décret sénégalais362 relatif à l’arbitrage interne et international, ont procédé à une désignation expresse du juge compétent, quand le Cameroun363 l’a fait de manière implicite. Certains auteurs, dont le Professeur Paul Gérard POUGOUE, proposent pour les États qui n’ont pas désigné le juge compétent d’opter pour un « seul juge expérimenté » 364. L’absence de formation adaptée des juges étatiques étant décriée, cette proposition est opportune. Aussi, le juge étatique joue-t-il un rôle d’assistance à chaque fois que le tribunal arbitral doit être complété en vertu des alinéas 2 et 3 de l’article 8 de l’Acte uniforme. 242. Les fonctions de remplaçant du juge étatique. L’intervention du juge étatique durant l’instance arbitrale est permise lorsqu’un arbitre doit être remplacé soit, parce qu’il n’est pas capable d’assumer sa mission soit, qu’il est décédé ou a démissionné de ses fonctions soit, qu’il a été récusé de ses fonctions. L’intervention est subordonnée à l’absence de convention concernant la procédure de remplacement par les parties ou à l’échec du tribunal arbitral à résoudre le problème. Le juge étatique interviendra en vertu des dispositions des articles 7 et 8 de l’Acte uniforme. La procédure pour la récusation est particulière, car elle doit être soulevée par la partie qui souhaite s’en prévaloir et que la décision du juge étatique n’est susceptible 361 Loi n°93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage. 362 Décret n° 98-492 du 5 juin 1998. 363 Article 590 du Code de procédure civile. 364 P.-G. POUGOUE, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, op. cit., p. 293. 132 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’aucun recours. Et, en dépit du silence des articles évoqués concernant les autres cas d’ouverture de la procédure de remplacement, « il doit être admis que les décisions du juge étatique concernant lesdits événements seront également insusceptibles de recours, car ces événements pourraient d’une part conduire comme pour la récusation au remplacement de l’arbitre, et que, d’autre part, l’arbitrage étant entre autres caractérisé par sa rapidité, la célérité doit pouvoir être de mise pour la requête en remplacement en cas de décès, d’incapacité ou de démission »365. 243. Le concours du juge étatique. L’article 14 alinéa 7 de l’Acte uniforme organise une hypothèse supplémentaire d’intervention du juge étatique. En vertu de ce texte, « si l’aide des autorités judiciaires est nécessaire à l’administration de la preuve, le tribunal arbitral peut d’office ou sur requête requérir le concours du juge compétent dans l’État-partie ». L’on demeure dans le cadre de l’exercice de fonctions d’appui, d’assistance, d’aide du juge étatique qui pourra apporter son concours à la recherche de preuves. Le juge étatique parce que disposant d’un imperium, dispose d’un pouvoir d’injonction obligeant notamment une personne donnée à produire des éléments de preuve. Les autorités judiciaires font référence, aussi bien aux magistrats du siège, qu’à ceux du parquet. Toujours dans le cadre de l’instance arbitrale, le juge étatique peut intervenir dans la prorogation du délai d’arbitrage à la lumière des articles 12366 et 16367 de l’Acte uniforme. Il ressort de ces deux articles que le juge étatique peut intervenir pour proroger le délai légal ou conventionnel en l’absence de tout consensus des parties. Il est important que ce juge soit saisi avant que la mission des arbitres prenne fin, ceux-ci étant dessaisis par la sentence. L’intervention du juge étatique en fin de procédure. Une fois la sentence arbitrale368 244. prononcée, le juge étatique peut intervenir soit pour la rectifier, l’interpréter ou la compléter, 365 G. KENFACK-DOUAJNI, « Le juge étatique dans l’arbitrage OHADA », Rev. Camerounaise de l’arbitrage, n°12, janv-févr-mars. 2001, p.6. 366 Selon l’article 12 de l’A.U.A révisé, « Si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la mission des arbitres ne peut excéder six mois à compter du jour où le dernier d’entre eux l’a acceptée. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé, soit par accord des parties, soit à la demande de l’une d’elles ou du Tribunal arbitral, par le juge compétent dans l’État-partie ». 367 L’article 16 de l’A.U.A révisé dispose dans ses deux premiers alinéas que « La procédure arbitrale s'achève par le prononcé d'une sentence définitive. Elle prend également fin par une ordonnance de clôture ». 368 La jurisprudence définit les sentences comme étant « les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de 133 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil si le tribunal arbitral ne peut être à nouveau réuni. L’article 22369 de l’Acte uniforme l’y autorise. De même, le juge étatique intervient pour accorder l’exequatur à la sentence ainsi que pour son exécution forcée. Il assure l’examen de la sentence pour le recours en annulation. En effet, l’article 30 de l’Acte uniforme précise que « la sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur rendue par le juge compétent dans l’État-partie » 370. Et l’article 25 alinéa 2 d’énoncer à propos de la sentence arbitrale, qu’« elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’État-partie ». Contrairement aux précédentes prérogatives accordées aux juges étatiques, qui ont cela en commun, qu’elles sont supplétives de la carence de la mise en œuvre de la procédure et des défaillances de l’accord des parties, les prévisions des articles 25 et 30 instaurent une véritable exclusivité en faveur du juge étatique. L’exequatur accordé par le juge étatique est rendu sur le fondement du contrôle de l’existence matérielle de la convention. Il faut absolument que la sentence soit conforme à l’ordre public international. Concernant le recours en annulation, pour les États qui ne disposaient pas de loi sur l’arbitrage et qui de ce fait n’avaient pas désigné le juge compétent, il convient de se référer au juge de droit commun371. Le rôle du juge étatique est plus important selon que l’on a affaire à un arbitrage ad hoc ou à un arbitrage institutionnel. L’un lui accorde un rôle moins limité que l’autre. En pratique, le rôle du juge étatique est insignifiant, car les parties s’orientent plus vers l’arbitrage institutionnel encadré par les centres d’arbitrage. B. La suprématie de la CCJA dans l’exécution de ses compétences juridictionnelles 245. La CCJA exerce ses compétences juridictionnelles sans partage puisqu’elle détient l’exclusivité en la matière (1) et assure le contrôle de l’intervention du juge étatique (2). procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance ». Paris, 25 mars 1994, Rev., Arb., 1994, p. 391 note Ch. JARROSSON. 369 Selon l’article 22 de l’A.U.A, « la sentence dessaisit l’arbitre du litige. L’arbitre a néanmoins le pouvoir d’interpréter la sentence, ou de réparer les erreurs et omissions matérielles qui l’affectent. Lorsqu’il a omis de statuer sur un chef de demande, il peut le faire par une sentence additionnelle. Dans l’un ou l’autre cas susvisé, la requête doit être formulée dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la sentence. Le tribunal dispose d’un délai de 45 jours pour statuer. Si le tribunal arbitral ne peut à nouveau être réuni, ce pouvoir appartient au juge compétent dans l’État-partie ». 370 V. article 34 de la Loi type CNUDCI. 371 En Côte d’Ivoire et au Sénégal, la Cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue est la juridiction compétente. 134 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. L’exclusivité de compétence de la CCJA 246. La nécessité de la clause d’arbitrage CCJA. L’existence d’une convention d’arbitrage traduit la volonté des parties de s’engager dans une procédure arbitrale. Cette seule manifestation de volontés est insuffisante à caractériser la compétence de la CCJA. Est indispensable la stipulation d’une clause d’arbitrage CCJA qui atteste de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage de ce centre. Les parties sont à partir de ce moment, liées par leur accord de volonté qui ne peut être remis en cause de manière unilatérale par l’une des parties. Tout refus ou abstention intervenant a posteriori n’a aucun impact sur la mise en œuvre de la procédure, selon l’article 10 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage CCJA ; règlement auquel les parties sont tenues et qui gouverne la procédure. Une fois l’existence de la convention d’arbitrage et de la clause d’arbitrage CCJA avérée, la procédure d’arbitrage est déclenchée par sa mise en œuvre. 247. Le rôle de centre d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage n’occulte pas sa prééminence. Bien au contraire, c’est dans l’exercice de ces fonctions que la CCJA affirme sa singularité et sa puissance à l’égard des juridictions étatiques. Lorsque la procédure arbitrale est mise en œuvre sous l’égide de la CCJA, la compétence des juridictions étatiques est inexistante. La procédure est menée en vertu du règlement d’arbitrage de la CCJA qui s’impose aux parties et aux arbitres en vertu de la convention d’arbitrage. Ainsi, ce sont les organes de la Cour qui interviennent pour s’assurer de la bonne marche de la procédure et qui résolvent les éventuelles difficultés. Dans le cadre de l’exercice de ses compétences juridictionnelles, car il ne faut pas l’oublier, la CCJA qui est une juridiction, détient des prérogatives précises. Comme déjà évoquée, l’intervention du juge étatique est permise de manière ponctuelle et à la demande de l’une ou l’autre partie pour la résolution des difficultés de procédure. Ce juge n’est plus habilité à agir même dans des cas précis dans le cadre de l’arbitrage CCJA. Il revient exclusivement à la Cour commune d’exercer des fonctions d’appui en agissant en qualité de juridiction. Elle pourra notamment ordonner des mesures provisoires ou conservatoires. La constitution du tribunal arbitral. La mise en œuvre de la procédure est amorcée par 248. la constitution du tribunal arbitral, sous réserve du respect des conditions prévues par l’article 5372 du règlement d’arbitrage et de l’introduction d’une demande d’arbitrage accompagnée du 372 Ce texte est relatif à l’identité des parties, l’objet du litige et la convention d’arbitrage 135 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil paiement d’un acompte sur les frais administratifs d’arbitrage373. Seules les parties en vertu de la force accordée à leur volonté peuvent choisir les arbitres qu’elles souhaitent voir régler leur litige. Le tribunal peut être composé d’un (1) ou de trois (3) arbitres. À défaut de tout choix des parties ou d’absence d’accord sur le choix des arbitres374, il revient à la CCJA de nommer les arbitres de manière supplétive. La désignation des arbitres par les parties ou la Cour est impérativement suivie de la confirmation de la nomination de ces arbitres qui déclarent leur indépendance375 à l’égard des parties. Les fonctions de l’arbitre peuvent prendre fin du fait de la survenance d’événements tels que le décès, la démission ou la récusation. La Cour, avant de faire droit à la demande de récusation, prend le soin de vérifier le caractère fondé et la recevabilité de celle-ci. Le but étant d’éviter toute injustice et de maintenir la confiance des parties en l’arbitrage. La constitution du tribunal arbitral précède la remise du dossier à l’arbitre sous certaines conditions376. Avant le déroulement de l’instance, un procès-verbal qui constate l’objet du litige et fixe le déroulement de la procédure est établi. Il constate la réunion des conditions permettant le déclenchement de la procédure, comporte la mention de la langue choisie pour l’arbitrage, des décisions appropriées prises ou à prendre pour la bonne conduite de la procédure et du calendrier prévisionnel de la procédure. 373 Le montant des frais d’arbitrage est fixé par la Décision 004/99/CCJA du 3 février 1999, relative aux frais d’arbitrage. L’acompte à verser est d’un montant de 200.000 Francs CFA, soit 300 euros. 374 L’article 3.1 du Règlement d’arbitrage adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée, précise les modalités de la constitution du tribunal arbitral. Selon cet article « le différend peut être tranché par un arbitre unique ou par trois arbitres. Dans le présent règlement, le tribunal arbitral peut être également désigné par l’expression « l’arbitre ». Lorsque les parties sont convenues que le différend sera tranché par un arbitre unique, elles peuvent le désigner d’un commun accord pour confirmation par la Cour. Faute d’entente entre les parties dans un délai de trente (30) jours à partir de la notification de la demande d’arbitrage à l’autre partie, l’arbitre sera nommé par la Cour. Lorsque trois arbitres ont été prévus, chacune des parties - dans la demande d’arbitrage ou dans la réponse à celle-ci - désigne un arbitre indépendant pour confirmation par la Cour. Si l’une des parties s’abstient, la nomination est faite par la Cour. Le troisième arbitre, qui assume la présidence du tribunal arbitral, est nommé par la Cour, à moins que les parties n’aient prévu que les arbitres qu’elles ont désignés devraient faire choix du troisième arbitre dans un délai déterminé. Dans ce dernier cas, il appartient à la Cour de confirmer le troisième arbitre.(…) ». 375 Selon l’article 4.1 du Règlement d’arbitrage, « tout arbitre nommé ou confirmé par la Cour doit être et demeurer indépendant des parties en cause ». 376 La remise du dossier nécessite la complétude celui-ci qui est établie lorsque les conditions des articles 5 (demande d’arbitrage), 6 (la réponse à la demande d’arbitrage) et 11 (le versement des provisions). Le procès-verbal sanctionne la réunion entre la Cour et les parties assistées de leurs conseils qui intervient dans un délai de six-mois à compter de la réception du dossier en vertu de l’article 15 du Règlement d’arbitrage. 136 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 249. Le déroulement de l’instance. Durant l’instance arbitrale, le rôle dévolu à la CCJA, ses pouvoirs sont tributaires de la volonté des parties et de l’étendue qu’elle souhaite accorder aux prérogatives à l’arbitre ou aux arbitres. Le respect de principes tels que l’égalité des parties, la procédure contradictoire377 et équitable378, ainsi que les droits de la défense. La priorité durant la mise en œuvre de la procédure arbitrale est la garantie des droits des parties, de la primauté de leur volonté commune. Volonté qui transparaît dans le droit des parties de choisir la loi applicable au fond du litige. Si durant l’instance arbitrale, se matérialise plutôt la prééminence de la volonté des parties que celle de la Cour, un tout autre constat est fait une fois la sentence prononcée. Selon l’article 23.1 du Règlement d’arbitrage, « les projets de sentences sur la compétence, de sentences partielles qui mettent un terme à certaines prétentions des parties, et de sentences définitives sont soumis à l’examen de la Cour avant signature »379. Même si les modifications que la Cour peut proposer ne peuvent être que de pure forme. La transmission pour examen ne constitue nullement l’exercice d’une voie de recours. 250. La question se pose malgré tout de savoir si le tribunal arbitral est lié par les propositions de modifications faites par la Cour. La réponse est a priori négative même si le tribunal arbitral court le risque d’être tenu, dans le cadre du contentieux lié à la sentence, qui dépend exclusivement de la Cour, de se conformer « aux propositions » de celle-ci. Il est d’ailleurs observé à raison que « les dispositions des règlements d’arbitrage des centres privés d’arbitrage offrent plus de garanties d’indépendance des arbitres ; ceux-ci savent en effet que leur sentence ne sera pas soumise à un contrôle de régularité devant le centre qui a fait la proposition de modification » 380. Contrairement aux décisions rendues par la CCJA dans le cadre de l’exercice de ses fonctions d’administration des arbitrages, celles rendues en vertu des compétences juridictionnelles que sont la reconnaissance de la sentence, l’attribution de l’exequatur, ont l’autorité de la chose jugée pouvant donner lieu à exécution forcée381. La 377 Le principe de la contradiction est un principe fondamental en matière processuelle. Il est l’âme du procès comme l’affirment les Professeurs L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI. Théorie générale du procès, 2e éd. mise à jour, Paris, P.U.F, 2013, n° 173, p. 633. 378 Le principe du procès équitable est prévu par l’article de la Convention Européenne pour les Droits de l’Homme (CEDH). 379 Les autres projets de sentence ne sont transmis à la Cour que pour information. 380 P.-G. POUGOUE, A. FENEON, J.-M. TCHAKOUA, Le Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, op.cit., p. 257. 381 Cf. Article 27 du Règlement d’arbitrage de la CCJA. 137 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Cour commune est compétente de manière exclusive pour rendre la décision de l’exequatur et cette exclusivité de compétence s’impose au juge étatique. 251. La contestation de la validité d’une sentence. L’article 29 du Règlement de procédure réglemente la procédure de contestation de validité de la sentence arbitrale. Il en ressort qu’il revient à la partie qu’il souhaite contester la reconnaissance de la sentence et l’autorité définitive de la chose jugée qui en découlent, d’exercer un recours devant la CCJA par une requête dont elle informe l’autre partie par notification. La requête n’est jugée recevable que si les parties n’ont pas renoncé à la formuler dans leur convention d’arbitrage. La requête ne peut être fondée que sur l’un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article 30.6 autorisant l’apposition de l’exequatur. Une fois, les formes et délais requis respectés, la Cour rend une décision qui emporte des conséquences différentes. Le refus de la reconnaissance de la sentence et de l’autorité de la chose jugée, entraîne l’annulation de la sentence. Contrairement à la procédure qui est de rigueur concernant l’application des Actes uniformes, la Cour ne peut évoquer et statuer sur le fond que « si les parties en ont fait la demande » 382. La précision est importante, de recours en contestation de la sentence il ne s’agit en réalité que d’un recours en annulation puisqu’il peut avoir pour conséquence l’annulation de la sentence. « La procédure reprend à partir par exemple du dernier acte de l’instance arbitrale, reconnu valable par la Cour à la requête de la partie la plus diligente, lorsque les parties n’ont pas demandé l’évocation »383. Les décisions rendues par la Cour en la matière sont peu nombreuses et concernent principalement les motifs qui fondent les requêtes en contestation de validité de la sentence. Ainsi, dans un arrêt de rejet du 19 juillet 2007, la Cour a décidé que « le reproche fait dans le cadre de la contestation n’entrait pas dans le domaine d’application de l’article 30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, lequel énumère limitativement les griefs qui peuvent être opposés à la sentence » 384. 252. La demande d’exequatur. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions juridictionnelles en matière d’arbitrage, la Cour commune a l’exclusivité de compétence pour connaître d’une demande d’exequatur. Tout juge étatique saisi d’une telle demande, doit se déclarer 382 Alinéa 29.5 du Règlement d’arbitrage de la CCJA. 383 Article 29.5-3° du Règlement d’arbitrage de la CCJA. 384 CCJA, arrêt Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR ci BONA SHIPHOLDING LTD, Arrêt n°029, 19 juillet 2007. La SCPA AHOUSSOU KONAN Associés agissant au nom et pour le compte de la SIR, exerce un recours en contestation de validité contre la sentence arbitrale rendue le 31 octobre 2005 par le Tribunal arbitral, estimant que les arbitres n’ont respecté ni leur mission ni le principe contradictoire. 138 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil incompétent dès lors que la sentence a été rendue sur le fondement du règlement d’arbitrage de la CCJA. En vertu de l’article 30.1 du règlement, « la requête est adressée à la Cour » à laquelle le président de la Cour répond favorablement par une ordonnance qui confère un caractère exécutoire à la sentence dans tous les États parties. Le caractère exécutoire de la sentence est limité à l’espace géographique de l’OHADA et « l’exequatur d’une sentence rendue sur la base du règlement de procédure de la CCJA dans un État tiers à l’OHADA, relèvera de la législation nationale de l’État où l’exequatur est requis ou, le cas échéant, des conventions internationales pertinentes telles que la Convention de New York du 10 juin 1958 »385. Ainsi, à propos de l’exequatur d’une sentence CCJA en France, il a été jugé par la Cour d’appel de Paris qu’« une telle sentence est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées »386. L’article 30.6 énumère de manière exhaustive les motifs de refus de l’exequatur387. Si aucun d’entre eux n’est réuni, l’apposition de l’exequatur permet de solliciter celle de la formule exécutoire auprès de l’autorité nationale compétente. L’exequatur accordé par la Cour commune est un exequatur communautaire qui montre la pleine mesure de l’exclusivité de la compétence de la CCJA en matière contentieuse. 2. Le contrôle de l’action du juge étatique 253. Un contrôle assuré dans le cadre de l’exercice d’un pourvoi. Le juge étatique est compétent dans les conditions prévues par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et le Traité fondateur de l’OHADA. Il exerce cependant ses attributions sous le contrôle de la CCJA. Lorsque la procédure d’arbitrage est mise en œuvre suivant le règlement d’arbitrage 385 P. MEYER, Commentaires sous article 30.6 du règlement d’arbitrage de la CCJA, OHADA : Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 226. 386 C.A Paris, 31 janvier 2008, RTDJA, 2009, p.101 et s. 387 L’article 30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA dispose que « 30.6 L’exequatur ne peut être refusé et l’opposition à exequatur n’est ouverte que dans les cas suivants : 1°) si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ; 2°) si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ; 3°) lorsque le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté ; 4°) si la sentence est contraire à l’ordre public international ». 139 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’un centre d’arbitrage interne, le juge étatique est compétent, d’une part, pour accorder l’exequatur et d’autre part, connaître du contentieux relatif à la reconnaissance ou la validité de la sentence. L’article 30 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dispose que « la sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur rendue par le juge compétent dans l’État partie »388. En clair, le juge compétent pour l’apposition de l’exequatur est le juge étatique dont la détermination relève du droit interne des États membres. Selon que la décision accorde ou refuse l’exequatur, le recours est impossible ou non, selon l’article 32 de l’Acte uniforme. 254. Le refus de l’exequatur. Le refus de l’exequatur ne peut faire l’objet que d’un pourvoi devant la CCJA qui va alors exercer un contrôle sur la décision, sur les motifs qui ont fondé le refus du juge à la lumière des dispositions de l’article 31 de l’Acte uniforme. Un tempérament est toutefois apporté à la règle consacrant l’impossibilité d’exercer un recours contre la décision qui accorde l’exequatur. Elle réside dans le fait que « le recours en annulation de la sentence emporte de plein droit, dans les limites de la saisine du juge compétent de l’État partie, recours contre la décision ayant accordé l’exequatur »389. Cette exception confirme que le juge étatique est bien soumis au contrôle de la CCJA, indépendamment de la nature de la décision rendue concernant l’exequatur. Dès lors qu’un juge étatique est saisi d’une demande en annulation de la sentence, la demande peut faire l’objet du contrôle de la CCJA à la faveur de l’exercice d’un pourvoi devant la Cour par l’une des parties. Un lien étroit de dépendance existe entre l’exequatur et le recours en annulation. L’interdiction concerne uniquement l’exercice d’un recours direct contre la décision qui accorde l’exequatur. L’intérêt d’une telle interdiction est de nature à laisser perplexe dans la mesure où, le recours est susceptible d’être exercé même si ce n’est que de manière incidente et accessoirement au recours exercé contre la sentence. 255. Il ressort des dispositions de l’article 25 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage que la sentence arbitrale ne peut faire l’objet que d’un recours en annulation porté devant le juge compétent dans l’État partie390. Le juge saisi du recours peut faire droit à la demande et 388 Article 30 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage. 389 V. Article 32 alinéa 3 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage. 390 L’article 25 en ses 3 premiers alinéas précise que « la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’opposition, d’appel, ni de pourvoi en cassation. Elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’État-partie. 140 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil annuler la sentence ou rejeter la demande et reconnaître ainsi la validité de la sentence. La reconnaissance de la validité de la sentence emporte le caractère exécutoire de la sentence qui sera exequaturée391. Il reste que, la partie qui souhaite remettre en cause le rejet de sa demande en annulation, gagnerait à faire preuve de diligence et d’agir dans des délais prévus. L’Acte uniforme n’apporte pas de précision quant au caractère concomitant ou non de la reconnaissance de la validité d’une sentence et de l’exequatur392. Il est donc tout à fait possible que le juge conclût à la validité d’une sentence sans pour autant rendre une décision d’exequatur. Encore que « la reconnaissance et l’exequatur de la sentence arbitrale supposent que la partie qui s’en prévaut établisse l’existence de la sentence arbitrale »393. À notre sens, les deux procédures peuvent être distinctes et intervenir à des moments différents. Dans ce cas, que reste-t-il à la partie qui exerce un recours en annulation de la sentence devant le juge étatique avant que n’intervienne la décision d’exequatur ? Celle-ci pourra dans l’hypothèse où sa demande serait rejetée, exercer un pourvoi devant la CCJA qui sera fondée à se prononcer également de manière incidente sur l’exequatur à venir. La CCJA a le pouvoir d’évocation en vertu de l’exercice de ses compétences juridictionnelles. Spécifiquement celles exercées à l’encontre des décisions des juridictions nationales. 256. Le contrôle exercé par la CCJA. La CCJA qui assure le contrôle de la décision du juge étatique, va surtout s’assurer que la décision a été rendue en conformité avec les dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et que l’interprétation qui a été faite de ses dispositions était correcte. De manière spécifique, la Cour vérifiera la réunion des motifs d’annulation de la sentence arbitrale à savoir que la décision arbitrale a été rendue en l’absence de convention ou en présence d’une convention nulle ou expirée. Ce sont les hypothèses de l’existence d’irrégularités dans la composition du tribunal ou la désignation de l’arbitre, de la méconnaissance du tribunal de sa mission, du non-respect du principe du contradictoire, de l’absence de motivation de la sentence et de la violation de l’ordre public La décision du juge compétent dans l’État-partie n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ». 391 Cf. Article 33 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage : « Le rejet du recours en annulation emporte de plein droit validité de la sentence arbitrale ainsi que de la décision ayant accordé l’exequatur ». 392 L’exéquatur confère à la sentence, simple acte privé, la force exécutoire. L’exécution provisoire ne dispense pas d’exequatur. J.B Racine op.cit., n° 877, p. 554. V. également H-J. NOUGEIN, Y. REINHARD, P. ANCEL, M-C. RIVIER, Guide pratique de l’arbitrage et de la médiation commerciale, Paris, LexisNexis, Litec, 2004, n° 157, p. 80-81. 393 Article 31 nouveau de l’A.U.A. 141 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil international des États signataires du Traité. La Cour s’assurera également en présence d’un refus d’exequatur ou d’une décision accordant l’exequatur, et ce de manière indirecte, que les conditions requises pour le refus sont ou non réunies : l’inexistence de la sentence arbitrale ou sa contrariété avec l’ordre public international des États parties. En droit interne, l’ordre public s’entend des règles qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts de la communauté nationale que représente l’État394. L’ordre public international. Sur la question de l’ordre public international395 et de 257. l’annulation de la sentence, avec la réforme, « les parties peuvent convenir de renoncer au recours en annulation de la sentence arbitrale à la condition que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public international ». Une innovation qui même si elle est destinée à supprimer le contentieux post-arbitral, n’en demeure pas moins dangereuse, selon le Professeur Bernard HAFTEL qui ne manque pas de relever une inspiration de l’article 1522 du Code de procédure civile français avec des différences cependant. « En droit français, la renonciation au recours en annulation implique nécessairement la possibilité de faire appel de l’ordonnance d’exequatur pour l’un des cas d’ouverture du recours en annulation prévu par l’article 1520 du Code de procédure civile (…). À l’inverse, en droit de l’OHADA, la procédure d’exequatur n’implique pas la vérification des cas d’ouverture du recours en annulation. Il en résulte que, désormais, si les parties renoncent au recours en annulation, elles renonceront réellement à faire valoir tous les autres cas d’ouverture prévus par l’article 26, hormis l’ordre public »396. 258. Au-delà de cette innovation, une question essentielle demeure : que renferme l’ordre public international du point de vue du législateur de l’OHADA ? La CCJA pourrait s’inspirer de la théorie de l’ordre public transnational ou réellement international empreint d’universalité397. Cela permettra d’éviter un foisonnement de décisions des Cours suprêmes nationales fondées sur l’ordre public interne qui est diversement défini et apprécié par les États. La question des lois de police est occultée en droit de l’OHADA alors qu’elles sont d’application immédiate. 394 F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, Les obligations, op.cit., n° 486, p. 560. 395 Le droit de l’OHADA fait mention de l’ordre public sans le définir. La Cour de cassation française présente l’Ordre public international comme étant celui qui peut être invoqué pour faire obstacle à une loi étrangère contraire à des conceptions fondamentales du droit français. Cass., Ass. Plén., 14 oct., 1977, D. 1978. 396 B. HAFTEL, « Les voies de recours », LEDAF, mai 2018, n° 05, p. 7. 397 G. KENFACK-DOUAJNI, « La notion d’ordre public international dans l’arbitrage OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, n° 2, avr-mai-juin., 2005, p. 11. 142 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Les conditions de leur coexistence avec le droit uniforme OHADA en matière d’arbitrage gagneraient à être explicitées. La consécration d’un arbitrage OHADA à travers l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, témoigne de la prépondérance de la CCJA au sein de l’arbitrage. Si l’on y ajoute les fonctions d’encadrement de la CCJA et le rôle limité du juge étatique, dont l’action est contrôlée, alors l’on en prend la pleine mesure. 143 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 259. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), institution judiciaire supranationale, est le pilier de l’intégration judiciaire souhaitée par le législateur de l’OHADA. Une institution au service des justiciables et qui leur garantit la sécurité juridique à travers une interprétation uniforme du droit de l’OHADA. Même si elle ne perd pas de vue son rôle de gendarme lorsqu’elle assure le contrôle et sanctionne l’application et l’interprétation du droit de l’OHADA. Un principe directeur fort, la supranationalité judiciaire impose la CCJA aux juridictions nationales. Juridictions qui doivent faire face à la limitation de leurs prérogatives, aussi bien en matière contentieuse qu’en matière de modes alternatifs de règlement des conflits précisément l’arbitrage. 144 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU TITRE 1 260. La soumission des États membres aux institutions communautaires. Le droit civil des États membres de l’OHADA est influencé par le droit de l’OHADA. Cette influence est portée par le cadre institutionnel de l’OHADA et les principes directeurs prévus pour le fonctionnement des organes. Les États membres de l’OHADA sont soumis aux décisions prises par lesdits organes. Ils sont de même, tenus de se conformer au dispositif juridique mis en place au soutien de l’objectif d’harmonisation du droit des affaires. L’OHADA est une organisation portant le sceau de la supranationalité, à l’instar de ses organes. En vertu de ce caractère supranational, aussi bien l’OHADA, que le dispositif juridique de l’OHADA, priment sur le droit commun national des États membres. Supranationalité qui permet grâce à un transfert de souveraineté consenti par les États membres en faveur de l’OHADA, de jeter les jalons de l’intégration juridique. L’unification et l’uniformisation sont confiées à des organes communs qui supplantent les antagonismes nationaux. C’est surtout le caractère transnational reconnu au droit de l’OHADA, qui exprime toute la force attachée à cet ensemble de règles juridiques. Ce caractère concerne le champ spatial constitué par le territoire des dix-sept États membres qui le composent. Ce droit d’application directe et immédiate, doté de l’effet direct, s’impose aux États membres. 261. La force obligatoire du droit de l’OHADA. En effet, le droit de l’OHADA a une force obligatoire qui découle de son application directe et immédiate. La soumission du droit commun national des États membres au droit de l’OHADA, entraîne la substitution de plein droit du droit de l’OHADA au droit national, soit de manière totale, soit de manière partielle avec l’abrogation. Abrogation qui s’inscrit dans le respect du principe de l’application dans le temps des lois nouvelles. L’abrogation dont il est question concerne les dispositions contraires au droit de l’OHADA et les dispositions ayant un objet similaire aux Actes uniformes. 262. L’autorisation de survie du droit national. Il convient cependant de relever que dans certaines hypothèses telles que le droit transitoire, le droit national trouve à s’appliquer et à coexister avec le droit de l’OHADA. Ces hypothèses restent résiduelles et la réalité est celleci : les États membres ne sont pas autorisés à adopter des règles faisant obstacle à l’application du droit de l’OHADA et sont tenus de procéder à la mise en conformité de leur droit avec le droit communautaire. Même si l’on note une survie exceptionnelle du droit national dans le cas notamment du droit transitoire, relevons malgré tout une force impérative 145 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil du droit de l’OHADA et une interdiction pour les États membres d’adopter des mesures qui feraient obstacle à l’application du droit de l’OHADA. 263. L’influence en matière judiciaire et arbitrale. L’autre point fort de l’OHADA et du droit de l’OHADA, c’est leur emprise sur l’organisation judiciaire et l’arbitrage. En effet, la CCJA prévaut sur les juridictions suprêmes nationales puisqu’elle a une compétence exclusive en matière de contrôle de l’application et l’interprétation du droit de l’OHADA. Le renvoi est obligatoire vers la CCJA et celle-ci dans le cadre d’un arrêt de cassation, bénéficie du pouvoir d’évocation sans renvoi. La matière arbitrale n’échappe pas à la puissance du droit de l’OHADA puisqu’une unification a été entreprise à travers l’Acte uniforme adopté en la matière. De plus, la CCJA est un centre international d’arbitrage institutionnel selon le règlement d’arbitrage adopté le 11 mars 1999 et révisé le 23 novembre 2017. 146 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Titre 2. LES FONDEMENTS DE L’INFLUENCE SUBSTANTIELLE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES 264. L’adoption du Traité fondateur de l’OHADA, était fondée sur la volonté de réaliser une intégration juridique et, à terme, une intégration économique. Sa force obligatoire entraîne l’intégration du droit de l’OHADA au droit commun national des États membres. Cette intégration cause une modification de la structure même du droit commun national en lui insufflant son caractère hybride. De droit Civil, le droit commun national prend dès lors, la forme d’un droit mixte voire d’un droit économique. L’influence du droit de l’OHADA s’analyse également en des apports au droit civil national des États membres. Apports non négligeables à la théorie générale des obligations notamment la formation du contrat, l’interprétation du contrat, l’exécution du contrat du point de vue des obligations des parties et du contentieux relatif à l’exécution du contrat. 265. Par ailleurs, les apports du droit de l’OHADA concernent le droit des garanties et la matière procédurale. Le législateur de l’OHADA crée de nouvelles sûretés et améliore le dispositif existant pour les sûretés conservées. Les institutions sont renforcées et les procédures améliorées par le droit de l’OHADA. Les mutations substantielles du droit civil national sous l’influence du droit de l’OHADA sont des mutations structurelles (Chapitre 1) et des mutations du droit substantiel en vigueur (Chapitre 2). 147 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 1. LES MUTATIONS STRUCTURELLES DU DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES 266. Le législateur de l’OHADA instaure un système juridique particulier au sein des États membres (Section 1). Ce système est empreint de mixité, avec une coexistence, de deux ordres juridiques et entraîne une mutation du droit commun national en droit économique (Section 2). Section 1. L’instauration d’un système juridique particulier au sein des États membres 267. Le système juridique mis en place est mixte dans ses traits caractéristiques (§1) et cette mixité n’est pas sans conséquence (§2). § 1. La nature mixte du système juridique en place 268. S’il est vrai que la mixité du système juridique mis en place est tributaire du droit de l’OHADA (A), il n’en demeure pas moins que le dépassement de la distinction droit civil, droit commercial (B), y joue également un rôle. A. Une mixité tributaire de la nature du droit de l’OHADA 269. Le droit de l’OHADA est un droit hybride (1), et ce caractère hybride trouve une origine dans le cadre institutionnel de l’OHADA (2). 1. Le droit de l’OHADA, un droit hybride 270. Le « droit de l’OHADA », véritable droit ? Le droit de l’OHADA est un droit qui revêt des particularités non négligeables. Il se distingue des autres ordres juridiques sous régionaux ou internationaux. D’aucuns le qualifient de droit hybride en se référant à certains critères. Le préalable à toute analyse est de s’assurer que les règles juridiques de l’OHADA constituent « un droit ». La démarche pourrait paraître insensée, mais lorsque l’on a affaire à une institution, des règles dont la nature alimente perpétuellement les débats, elle trouve tout son sens. Le droit dans son sens objectif est, selon le Doyen Henri LEVY-BRUHL, « la règle ou l’ensemble de règles s’appliquant à des individus ou à des collectivités et qui doivent être 148 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil observées sous peine d’encourir une sanction »398. S’opposent doctrine spiritualiste, doctrine marxiste et doctrine sociologique à laquelle le Doyen Henri LEVY-BRUHL se rattache. La conception sociologique du droit en fait un phénomène social « le droit est l’ensemble des règles obligatoires déterminent les rapports sociaux imposés à tout moment par le groupe auquel on appartient ». Telle est la définition proposée par le Doyen LEVY-BRUHL399. 271. Aujourd’hui encore, le droit est communément perçu comme « l’ensemble des règles destinées à régir les hommes vivant en société »400. La définition qui voit dans le droit un phénomène social trouve son fondement dans la doctrine positiviste, précisément le positivisme étatique. Cette doctrine s’oppose aux doctrines du droit naturel dont l’idée fondamentale est « qu’il n’existe pas seulement le droit appliqué effectivement à un moment donné dans un pays donné, mais aussi un droit d’essence supérieure 401 ». Droit qui repose sur des idéaux tels que la justice, la religion. En effet, comme l’écrit le Doyen Jean CARBONNIER, ces doctrines ont leur titre de noblesse dans l’Antigone de Sophocle402. Le droit perçu dans son acception générale est étroitement lié à l’idée de règle403, non pas 272. dans une relation de synonymie, mais simplement parce que la règle caractérise le droit. La règle de droit s’entend d’une règle de conduite qui s’impose aux hommes vivant en société, et dont le respect est assuré par l’autorité publique » 404. L’assertion est à nuancer en ce que le 398 H. LEVY- BRUHL, Sociologie du droit, 1ere éd., Paris, P.U.F, 1990, p. 6. L’auteur distingue cette conception de celle du droit subjectif, liberté, faculté. 399 H. LEVY-BRUHL, op.cit., p. 22. 400 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil, Introduction générale, 4e éd., Paris, L.G.D.J, 1994, n°30, p. 26. 401 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil, Introduction générale, op.cit, p. 8. 402 J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, op.cit., p. 96. Antigone qui a désobéi à l’édit de Créon, en donnant sépulture à son frère, et pour se justifier dit : « je ne pensais pas, qu’il eût assez de force, ton édit, pour donner à un être mortel le pouvoir de violer les divines lois non écrites que personne ne peut ébranler. Elles ne sont pas d’aujourd’hui, ni d’hier, mais elles sont éternelles, et personne ne sait quel est leur passé profond ». 403 La règle renvoie à « toute prescription, de l’ordre de la pensée ou de l’action, qui s’impose à quelqu’un dans un cas donné ou à toute prescription propre à une science, une technique, une activité déterminée et qu’il importe de suivre dans leur étude, leur pratique ». Il s’agit dans ces cas de la règle autre que juridique qui elle se présente comme étant « toute norme juridiquement obligatoire, normalement assortie de la contrainte étatique, quels que soient sa source, son degré de généralité, sa portée ». 404 P. ROUBIER, Théorie générale du droit : Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, Paris, Dalloz, 2005, n° 1, p. 5. 149 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil droit n’a pas l’apanage de l’édiction de règles. Il existe des règles de conduite différentes qui coexistent avec le droit. La religion, la morale, la justice renferment des règles à respecter et à faire respecter. Il faut rechercher les éléments de définition et de précision de la notion de droit ailleurs ; dans la forme que revêtent ces règles. Le droit englobe toutes les règles obligatoires, générales, impersonnelles, permanentes et dirons-nous coercitives. Peut-on qualifier le droit de l’OHADA de droit véritable ? L’on a tout d’abord affaire à des règles formant un ensemble homogène. Homogène dans la mesure où, le texte originel est un Traité qui est signé en l’état par les États qui adhèrent à l’organisation, étant donné que la formulation de réserves est exclue. De même, les règles dites « dérivées » ont vocation à s’appliquer de manière « uniforme » à l’ensemble des États membres. Cet ensemble vise à régir les relations entre les États membres, leurs citoyens, leurs partenaires dans le domaine défini. Les principes établis ont vocation à s’appliquer à des destinataires donnés dans un espace tout aussi défini. Ensuite, les règles sont générales dans la mesure où elles sont d’application identique dans des situations similaires. Aucun État ou particulier ne peut se soustraire à l’application d’un texte uniforme en invoquant notamment d’autres textes ou prérogatives lorsque la première cité est applicable405. En matière de permanence, il convient de relever que le dispositif de l’OHADA bénéficie d’une certaine stabilité, les réformes et modifications de textes n’étant pas opérées de manière intempestive406. Les Actes OHADA s’appliquent bien de leur entrée en vigueur jusqu’ à leur abrogation ou leur retrait de l’ordonnancement juridique. 273. La force coercitive du droit de l’OHADA. Enfin, s’il y a bien un aspect qui est problématique c’est bien la force coercitive du droit de l’OHADA. Que risque-t-on à ne pas se conformer aux textes issus de l’OHADA ? De quelle manière le respect des Actes uniformes, règlements, décisions est-il assuré par les organes de l’OHADA ? À première vue, l’on dirait qu’il n’y en a aucun, parlant des risques encourus. Mais l’assertion doit être relativisée, car elle ne vaut dans une certaine mesure que pour les États membres. Le Traité fondateur de l’OHADA ne fait mention d’aucune forme de sanction à l’encontre des membres qui violeraient des règles définies. En revanche, chaque Acte uniforme, suivant la matière 405 Le dispositif juridique OHADA est caractérisé par sa force obligatoire et son applicabilité directe ; l’article 10 du Traité OHADA qui en est le siège, impose l’application aux destinataires du dispositif dès lors que les conditions nécessaires sont réunies. 406 Depuis la création de l’OHADA en 1997, les Actes uniformes été il est vrai révisés mais l’ont été que dans des buts précis et dans un délai raisonnable. Tout fait qui favorise la stabilité du dispositif juridique en vigueur et sa prévisibilité. 150 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil harmonisée et la nature des actes en cause, prévoit des sanctions. Ici, l’on est dans un cadre d’actes juridiques, d’opérations juridiques pour lesquelles le problème se pose concernant la validité. L’Acte uniforme relatif au droit des sûretés sanctionne les irrégularités relatives à la constitution des sûretés d’une nullité407. Celui relatif au droit commercial général pour ce qui est de la vente renvoie au régime de la responsabilité civile408. Au-delà de ces sanctions, c’est bien le prononcé et la mise en œuvre de ces sanctions qui ne sont pas dénués d’intérêt. Le juge étatique intervient afin de veiller à l’application du « droit de l’OHADA » et en cas de nonrespect et de litige, décide de la sanction. Il ne faut nullement occulter le fait que le mode de règlement de litiges promu et privilégié par les États signataires du Traité fondateur de l’OHADA est l’arbitrage qui en principe laisse peu de place à la sanction pure et simple409. 274. Les développements ci-dessus montrent bien que les règles mises en place dans le cadre de l’OHADA peuvent être qualifiées de droit, en dépit d’une force coercitive relative. Une fois reconnu aux règles de l’OHADA le statut de droit, il est plus aisé de se pencher sur un caractère non moins important qui leur est reconnu : le droit de l’OHADA serait « hybride » ou « mixte ». Bien que ces notions soient parfois utilisées de manière interchangeable, nous estimons qu’elles rendent compte de réalités différentes à bien des égards. « Hybride ne se dit que, des cas où sont mises en présence des réalités découlant de deux sources hétérogènes. Cet adjectif évoque l’existence d’une dualité alors que l’adjectif mixte comporte plutôt l’idée d’une conjonction de deux éléments ». Le terme qui conviendrait pour désigner le droit de l’OHADA est celui d’hybride, encore qu’il faille rechercher une réponse dans la notion en elle-même. Est hybride ce qui, dans une classification, occupe une place intermédiaire entre 407 Il ressort notamment de l’article 14 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés, publié au J.O n°22 du 15/02/2011, que le cautionnement ne se présume pas ; il doit être constaté par écrit à peine de nullité ; ce parce qu’en vertu de l’article 1 du même Acte uniforme le cautionnement est un contrat, soumis aux conditions de validité prévues par l’article 1101 du Code civil. 408 A la lecture de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le droit commercial général publié au J.O OHADA n° 23 du 15/02/2011, pour ce qui est de la vente commerciale, l’article 281 qui traite de l’inexécution et de la responsabilité, précise que « la partie qui ne respecte pas le préavis avant de notifier à l’autre son intention de rompre unilatéralement le contrat engage sa responsabilité ». 409 Selon l’article 2 du Traité OHADA, « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ». En mettant en place l’OHADA dans un contexte africain marqué par les crises politiques et financières, les États signataires prenaient le pari de convaincre à nouveau les investisseurs. Pour y parvenir il fallait mettre en exergue des mécanismes qui garantissent la célérité, la confidentialité, le règlement amiable indispensables dans le monde des affaires ; d’où la promotion de l’arbitrage. 151 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil deux ou plusieurs éléments, ce qui évoque une dualité. Est hybride, tout ce qui est composé d’éléments disparates. Des éléments qui sont différents et en principe incompatibles. Le caractère hybride est reconnu dès lors que dans la constitution, la formation, la création, interviennent des éléments hétérogènes qui n’ont en commun que leurs différences. Ainsi, certaines disciplines et certains domaines juridiques sont décrits comme étant hybrides ou mixtes. Par droits mixtes, il faut entendre des droits dans lesquels on ne peut pas faire de division des règles provenant du droit public et privé, c’est-à-dire des règles provenant des actions individuelles et des règles qui concernent les puissances publiques. On parle également de « droit transversal ». La mixité ou le caractère hybride résident également dans les destinataires des règles : personnes publiques et privées. 275. La nature du droit de l’OHADA. Ces éclaircissements étant apportés, il convient de porter l’attention requise à la nature du droit de l’OHADA. Seule une analyse approfondie du Traité fondateur, des Actes uniformes, des règlements ainsi que des décisions, permet d’en prendre la pleine mesure et de se prononcer de manière précise sur la question. Le Traité fondateur de l’OHADA est clair dans son préambule et dans l’article 2. Le droit de l’OHADA se veut un droit des affaires, en principe spécifique au droit privé. L’intitulé de l’objet de l’OHADA ne permet pas de percevoir le caractère hybride. Le droit dérivé constitue cependant un réel vivier en la matière. De chaque Acte uniforme, il transparaît, la mixité. Aussi bien les principes établis, que les destinataires relèvent à la fois du droit privé et du droit public. L’Acte uniforme relatif au droit des sûretés dispose en son article 1 qu’« une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci… ». Une sûreté peut être constituée indépendamment de la nature de l’obligation, de celle du créancier ou du débiteur. Dans le même ordre d’idées, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés est applicable à toute société commerciale et à tout groupement d’intérêt économique sans que la qualité des associés soit un critère discriminant. Ainsi l’Acte uniforme pourra s’appliquer, nonobstant la présence d’un État ou d’une personne morale de droit public en qualité d’associé. Droit uniforme, le droit de l’OHADA se veut également un droit des affaires, c’est-à-dire un droit particulier. 2. Un caractère lié au cadre institutionnel de l’OHADA 276. Les instruments juridiques. La mixité de l’ordre juridique découle également du dispositif institutionnel de l’OHADA. Précisément de l’organisation à proprement parler et 152 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des organes qui viennent soutenir l’œuvre harmonisatrice. L’OHADA est fondamentalement une organisation d’intégration juridique qui regroupe dix-sept (17) États. La mixité réside tout d’abord dans le fait que l’organisation vise à harmoniser un domaine donné, le droit des Affaires, reconnu comme relevant du droit privé et qu’elle est mise en place par des personnes morales de droit public, les États auxquels ses règles juridiques s’imposent. Hormis les États, les particuliers nationaux ou non, en sont également destinataires. En effet, le préambule du Traité fondateur de l’OHADA énumère les chefs d’État qu’il désigne ensuite comme étant les « Hautes parties contractantes au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ». Le dispositif juridique constitué en dehors du Traité, par les Actes uniformes, les règlements et les décisions, vise les relations d’affaires, les investissements, les opérations contractuelles de particuliers ou non. 277. La personnalité juridique de l’OHADA. L’OHADA c’est aussi et surtout une Organisation internationale dotée à ce titre de la personnalité juridique. L’article 46 du Traité indique bien qu’ayant la pleine personnalité juridique internationale l’OHADA, a capacité de contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer, d’ester en justice. Ladite personnalité juridique est régie par le droit international public, en dépit du domaine d’application du droit de l’OHADA. La situation est différente concernant le personnel de l’OHADA et atteste bien de la mixité que nous avons évoquée. Il en existe deux catégories : les fonctionnaires et les agents qui n’en ont pas la qualité. Les fonctionnaires sont identifiés en raison de la nature de leur emploi. Selon l’article 1er du Règlement n°002/98/CM du 30 janvier 1998 portant statut des fonctionnaires de l’OHADA, est fonctionnaire « toute personne nommée et titularisée dans l’un des emplois permanents de l’Organisation »410. Le critère de la permanence est fonction de la durée du contrat et de la nature des fonctions occupées. Ainsi, les agents sont les personnes qui sont « nommées à l’un des emplois non permanents ouverts dans les services de l’organisation »411. De plus, le recrutement de ces agents est fait par l’une des institutions de l’OHADA pour des tâches spécifiques dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’une durant allant de six (6) mois à deux (2) ans. La mixité apparaît clairement dans la structure des ressources humaines. 410 Règlement n°002 du 30 janvier 1998 portant statut des fonctionnaires de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, J.O de l’OHADA n°05, 2e année, 1er juillet 1998. 411 Règlement n°003 du 30 janvier 1998 portant régime applicable au personnel non permanent de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, J.O de l’OHADA n°05, 2e année, 1er juillet 1998. 153 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 278. Les ressources humaines de l’OHADA. Le personnel de l’OHADA s’entend bien des fonctionnaires et employés du Secrétariat permanent, de l’ERSUMA, de la CCJA, des juges qui jouissent de privilèges et d’immunités diplomatiques régis par le droit public412. Cependant, le statut des arbitres est problématique notamment pour ce qui concerne leurs droits. Ils jouissent également des privilèges et immunités diplomatiques en dépit du fait qu’ils ne sont ni employés ni fonctionnaires de la CCJA. Ce sont des personnes privées désignées par les parties dans le cadre de la procédure arbitrale uniquement. Ils exercent des fonctions spécifiques enfermées dans une procédure et un délai précis. Ces prérogatives ont suscité de vives critiques dont la cohérence est à relativiser. Le bénéfice des privilèges et immunités est lié à l’exercice des fonctions et non à la qualité des arbitres. Parce qu’ils jouent un rôle prépondérant dans le déroulement de la procédure arbitrale qui aboutira au prononcé d’une sentence arbitrale entre les parties, il est important d’octroyer de solides garanties aux arbitres. 279. Une mixité illustrée par les organes. Deux organes de l’OHADA illustrent bien la mixité qui règne au sein de l’Organisation. Le conseil des ministres est comme son nom l’indique, composé de ministres. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’y siègent pas uniquement des ministres de la justice. Le Conseil est également composé des ministres des Finances. L’explication est simple et réside dans la nature des questions traitées dans le cadre de l’harmonisation du droit des affaires. Il s’agit essentiellement de questions juridiques et économiques au regard du champ d’application du Traité fondateur de l’OHADA. Le statut de ces ministres ne relève pas du droit de l’OHADA, ils ne sont considérés ni comme fonctionnaires de l’OHADA ni comme agents ou employés. C’est avant tout et uniquement leur qualité de ministre d’un État membre qui leur donne le droit de siéger au sein du Conseil des ministres413. 280. L’institution de la conférence des chefs d’État et de gouvernement est due à la révision intervenue au Québec en 2008. Cet organe marque la prise de pari pour une OHADA, à dimension plus politique que juridique ou économique dans le sens où elle constitue l’organe 412 La Convention de Vienne du 18 Avril 1961 sur les relations diplomatiques demeure le texte fondamental en matière d’immunités et de privilèges accordés dans le cadre des relations internationales. 413 L’article 27-2) du Traité fondateur de l’OHADA dispose que « le Conseil des ministres est composé des ministres chargés de la justice et des finances des États parties ». 154 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil suprême et que ses compétences sont étendues et extensives414. Composée des Chefs d’État, la conférence a compétence pour connaître de toutes les questions relatives au Traité. Ainsi, l’Acte uniforme valablement adopté à l’unanimité en Conseil des ministres peut retenir l’attention des Chefs d’État sur tel ou tel aspect. L’on pourrait craindre des problèmes de fonctionnement de l’OHADA en raison de l’exercice par chaque organe de ses compétences. Le risque est négligeable dans la mesure où le président de la conférence, est le chef de l’État ou de Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des ministres. 281. L’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) est une institution de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique, du droit des Affaires (OHADA) qui a pour finalité, d’œuvrer à l’amélioration de l’environnement juridique et judiciaire dans l’ensemble des États membres. L’organisation de cette institution parle d’elle-même et illustre la mixité qui caractérise l’OHADA. Tout d’abord, l’institution qui est « rattachée au secrétariat permanent », selon l’article 41 nouveau du Traité fondateur de l’OHADA est « dotée de la personnalité morale et juridique » et dispose de l’autonomie administrative et financière. Une institution dotée de la pleine capacité d’exercice et de jouissance qui a pour corollaire son autonomie financière qui se retrouve rattachée à un organe. Ensuite, l’ERSUMA est une institution qui en cache une autre : le Conseil des ministres qui est son instance suprême415. Enfin, l’ERSUMA bénéficie du statut international. En clair, l’ERSUMA qui est un établissement de formation, exerçant des fonctions essentiellement pédagogiques, est rattachée à l’organe exécutif de l’OHADA et compte au nombre de ses instances, l’organe normatif de l’OHADA. L’OHADA apparaît comme une organisation où se mêlent organes techniques, politiques, économiques, au service de l’œuvre harmonisatrice. La qualifier ou la ranger dans une catégorie particulière relève de la sinécure ; chaque organe dans sa spécificité, son rôle, occupant une place prépondérante dans le dispositif. 414 Selon l’article 27-1) du Traité fondateur de l’OHADA, 1°), la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement est composée des Chefs d’État et de Gouvernement des États parties. Elle est présidée par le Chef de l’État ou de Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des Ministres. Elle se réunit en tant que de besoin, sur convocation de son Président, à son initiative ou à celle du tiers des États parties. Elle statue sur toute question relative au Traité. 415 Selon l’article 5 du statut de l’ERSUMA, « le Conseil des ministres de l’OHADA est l’instance suprême de l’ERSUMA. La composition et les compétences générales du conseil des ministres de l’OHADA sont définies par le traité. Le conseil des ministres tranche toutes questions relatives à l’organisation de l’ERSUMA, dans le respect des dispositions du traité et du présent statut. Conformément à l’Article 30 du traité, toutes les décisions du conseil des ministres se rapportant à l’ERSUMA sont adoptées à la majorité absolue des États présents et votant ». 155 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil B. Le dépassement de la distinction entre le droit civil et le droit commercial 282. Le droit civil et le droit commercial sont fusionnés (1) sans oublier que les règles de procédure sont à la frontière du doit civil et du droit commercial (2). 1. La fusion du droit civil et du droit commercial 283. Le principe de la dichotomie des domaines et branches juridiques. Historiquement, les disciplines, les systèmes, les sciences sont divisés en branches. Le droit ne fait pas exception à la règle, la doctrine s’accorde sur au moins deux grandes distinctions : d’une part, celle du droit international et du droit national416 et d’autre part, celle du droit public et du droit privé417. La dernière distinction a été consacrée par les conceptions classiques, qui procèdent à une division du droit interne en ces deux branches. Ces deux branches sont à leur tour subdivisées en branches. Le droit public regroupe l’ensemble des règles qui, dans un État donné, ont pour objet l’organisation, les structures et les composantes de cet État ainsi que des collectivités publiques et qui gouvernent leurs rapports avec les particuliers. L’on désigne, par droit privé, l’ensemble des règles qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux ou avec les collectivités privées. Le droit civil et le droit commercial font partie des principales branches du droit privé et sont les protagonistes de ce qu’il convient d’appeler la distinction classique en la matière, distinction que nous qualifierons « d’originelle ». 284. L’histoire du droit civil est liée à celle de l’évolution du droit français au regard de la systématisation qui a été opérée par le Professeur René DAVID418 bien qu’on l’estime 416 La distinction droit international/droit interne témoigne du fait que les lignes ont bien bougé et que la frontière n’a jamais été aussi mince qu’aujourd’hui. Si le droit national ou droit interne est le droit en vigueur sans intervention d’un autre État et que le droit international est celui qui régit les relations internationales entre les États ou les individus, l’avènement du droit communautaire qui se présente comme un droit intermédiaire a entraîné l’effritement de la distinction. A la fois interne parce qu’appliqué par les États membres de « la communauté » et international parce que régissant les relations des États à l’échelle internationale, le droit communautaire est l’illustration du dynamisme du droit et de son évolution constante. 417 La distinction droit public/ droit privé est fondée sur les buts, caractères et juridictions respectives de ces deux branches. Bien qu’étant classique, cette distinction a fait l’objet de nombreuses critiques. La percevant comme « étant liée à une société capitaliste, imprécise ou encore fausse » ; R. CABRILLAC, Introduction au Droit privé, Paris, éd. EYROLLES Université, Coll. Droit, 1992, n°58, p. 40. 418 R. DAVID, Les grands systèmes de droit contemporains : Droit comparé, Dalloz, 1964, n° 11 ; l’auteur a retenu deux critères décisifs pour distinguer les familles de droit : la technique juridique et le fondement de l’organisation sociale. Suivant ces critères, il distingue quatre familles : familles romano-germanique, de Common law, socialiste, systèmes philosophiques et religieux. La floraison de classifications différentes confirme les vives critiques soulevées par la classification du Professeur René DAVID ; de ZWEIGERT et 156 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil aujourd’hui dépassée en droit comparé. Le droit français fait partie de la famille romanogermanique qui englobe les systèmes de tradition civiliste. Le droit civil y règne en maître avec le Code civil et son fonds principalement écrit. Droit civil auquel appartiennent l’étude des droits subjectifs et celle des titulaires de ces droits. Le droit civil représente le socle, du droit privé419. 285. Le droit commercial fait partie de ces rameaux spécialisés qui au contraire du droit civil viennent apporter des réponses parcellaires sur des questions tout aussi limitées. La définition du droit commercial est liée à celle du droit civil au sein duquel il a pris forme pour ensuite se séparer. C’est au Moyen âge qu’il faut remonter pour relever les prémices du droit commercial. Avec « le développement du commerce sous l’impulsion des foires » 420. Même si l’ancien régime et la révolution ont été déterminants par la suite dans l’évolution du droit commercial. Droit commercial que l’on pourrait présenter de la manière suivante : partie du droit privé relative aux opérations juridiques faites par les commerçants, soit entre eux, soit avec leurs clients ; opérations qui se rapportent à l’exercice du commerce, et sont dites, pour cette raison, actes de commerce 421. L’on avait ainsi d’une part, le droit dit « fondamental » représenté par le droit civil et le droit que nous qualifierons de « spécial », le droit commercial d’autre part. Une discipline censée à l’origine être exclusivement réservée aux commerçants. C’est suivant le même ordre d’idées que le Doyen Didier GUEVEL affirme que « le droit commercial est l’ensemble des règles de droit privé susceptibles d’être judiciairement sanctionnées relatives à certaines opérations, les actes de commerce, certaines personnes les KÖTZ, en passant par M. MATTEI, tous ont cela de commun qu’ils ont jugés les critères de R. DAVID trop larges. 419 V. sur la question, J. CARBONNIER, Droit civil, op.cit., p. 122. 420 D. HOUTCIEFF, Droit commercial, 4e éd., Paris, DALLOZ, SIREY, 2016, n°6, pp 2-3. 421 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des affaires : Du droit commercial au Droit économique, 20e éd., Tome I, Issy-Les-Moulineaux L.G.D.J, Lextenso éditions, 2016, n°1, p.23. V. également J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. TAGLIARINO-VIGNAL, Droit commercial, Droit interne et aspects de droit international, 29e éd., Paris, L.G.D.J., Lextenso éditions, 2012, n°2, p.1. D’autres auteurs définissent le Droit commercial également dans un sens large en énonçant qu’il détermine le statut des commerçants ainsi que le régime applicable aux opérations juridiques que les uns et les autres accomplissent dans l’exercice de leur commerce. Ils précisent cependant que ce droit a connu au fil du temps de nombreuses mutations dues à l’enrichissement du droit commercial par de nouvelles réglementations et la diversification de ses sources. V. M. PEDAMON, H. KENFACK, Droit commercial : Commerçants et fonds de commerce, concurrence et contrats de commerce,4e éd, Paris, Dalloz, 2015, n°1, p. 1. 157 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil commerçants, et/ou certains biens, les fonds de commerce dans la mesure où ils s’insèrent dans la circulation des richesses, dans un esprit de lucre et sans intellectualité nécessaire » 422. 286. L’évolution vers une fusion. L’évolution et le développement des activités commerciales ont vu l’apparition de nouveaux biens, le fonds de commerce, l’entreprise notamment. Créant une forme de révolution dans les classifications et distinctions classiques. La frontière entre droit privé et droit public, droit civil et droit commercial n’est plus aussi nette. Le droit commercial sort de ses limites naturelles423. Le domaine du droit commercial a connu une extension progressive aux dépens du droit civil. Extension qui s’opère par voie d’annexion, à travers le déplacement de la frontière entre les deux branches au profit du droit commercial424 et également par voie d’infiltration en intégrant des activités considérées comme civiles425. Cette extension a donné lieu à l’apparition d’une notion concurrente au droit commercial désignée sous le vocable droit des affaires. L’opinion dominante en dépit des controverses liées au domaine, à la dénomination de cette discipline retient que le droit des affaires a un domaine plus vaste que le droit commercial. Le droit des affaires va bien au-delà de la sphère commerciale, bien au-delà des commerçants. Bien plus qu’à des personnes, c’est à un bien que cette nouvelle discipline s’intéresse. À l’entreprise, bien économique, qui s’appréhende bien plus largement que la notion de commerçant. « Est une entreprise toute entité organisée ayant une activité économique de production, de distribution ou de prestation de services » 426. 287. L’apparition de cette nouvelle entité a fortement contribué à la remise en cause de la distinction classique par le biais du droit des affaires qui peut être défini comme « l’ensemble des règles de droit applicables aux entreprises en général » 427. Cette précision est essentielle. Elle permet d’expliquer les ramifications entretenues par le droit des affaires avec d’autres 422 D. GUEVEL, Droit du commerce et des affaires, 5e éd., Paris, L.G.D.J, 2017, n°18, p. 19. 423 Ch. LAURENT, De la fusion du droit civil et du droit commercial, Paris, 1903, p. 48. 424 M. PEDAMON, H. KENFACK, Droit commercial : commerçant et fonds de commerce, concurrence et contrats du commerce, 4e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°82, p. 82. L’exemple du droit des sociétés est pris pour illustrer l’annexion ; la qualification de société civile ou commerciale dépend désormais de la forme et non plus de l’objet. 425 M. PEDAMON, H. KENFACK, ibid. ; le droit commercial applique de plus en plus les règles de droit civil et s’applique à des non-commerçants. 426 J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, Droit des Affaires : Commerçants, concurrence, distribution, 9e éd., Paris, L.G.D.J, 2017, n°2, p. 21. 427 J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, ibid. 158 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil branches du droit. Le droit des affaires « englobe par exemple des questions qui relèvent du droit public avec l’intervention de l’État dans l’économie, le droit fiscal, le droit du travail ou encore le droit civil notamment la protection des consommateurs » 428. Il englobe autant qu’il est possible de le faire, les acteurs de la vie économique. Le droit de l’OHADA se veut un droit des affaires, ou du moins un ensemble de règles visant à harmoniser le droit des affaires des États membres. En cette qualité, les actes élaborés et adoptés s’affranchissent de la distinction classique droit privé droit public. Si l’on en croit les différents Actes uniformes, il est indéniable que les rédacteurs sont sortis du cadre strict du droit civil et de celui strict du commerçant donc du droit commercial pour s’intéresser à la vie des affaires, aux entreprises429. 288. Le droit de l’OHADA réalise en certains de ses aspects une fusion entre le droit civil et le droit commercial430. Bien sûr, le droit des affaires englobe la réglementation des différentes composantes de l’économie431. La fusion est perceptible à bien des égards. Prenons à titre illustratif l’AUDCG qui « n’a pas seulement traité des commerçants dans leur ensemble. Il a également abordé les institutions publiques qui veillent sur le commerce, les auxiliaires qui prêtent leur ministère aux opérations de commerce, les institutions relevant du droit civil, mais dont la rigueur et la stabilité devront concourir à la sécurisation des biens de l’entreprise et du professionnel. Dans cet esprit et selon toute vraisemblance, l’on peut dire sans risque de se tromper que le législateur de l’OHADA ne considère pas la distinction comme un obstacle au processus en cours » 432. 428 Y. GUYON, Droit des affaires, Droit commercial général et sociétés, 12e éd., Tome I., Paris, éd. Economica, 2003, n°1, p. 1. 429 Les termes du Traité fondateur de l’OHADA sont sans équivoque. L’objectif principal est de doter les États membres de règles communes en matière de Droit des affaires avec une finalité économique : améliorer le climat des affaires et renforcer la confiance des investisseurs. 430 Cette idée de fusion n’est pas nouvelle. V° Ch. LYON-CAEN, « De l’influence du droit commercial sur le droit civil depuis 1804 », in Livre du centenaire, Code civil : 1804-1904, Paris, Dalloz, 2004, p. 208. Il affirmait que « les différences qui subsistent entre le droit civil et le droit commercial n’ont rien d’essentiel(...) ; il ne faut, par suite, pas s’étonner que beaucoup de ces différences aient disparu ou se soient, tout au moins, atténuées ». 431 432 P. DIDIER, Droit commercial, 2e éd., Tome I, Paris, P.U.F., Coll. Thémis Droit, p.21-22. J. DIFFO-TCHUKAM, « La distinction droit commercial-Droit civil à l’épreuve du droit OHADA : Prospective de droit matériel uniforme », Rev. dr. unif, UNIDORIT, Vol. XIV, 2009, p. 57. L’auteur rappelle à toutes fins utiles que « les archives de philosophie du droit révèlent que le problème de l’unification du droit civil et du droit commercial a fait l’objet de multiples études à la fin du XIXème siècle, notamment lorsque la Suisse a réuni en un seul Code, toute la matière des obligations. Depuis que les Pays-Bas (1934) et l’Italie (1942) ont 159 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. Des règles de procédures à la frontière du droit civil et du droit commercial 289. La spécificité des règles de procédure. Les règles de procédure sont différentes d’une discipline, d’une branche à une autre, ou devraient l’être. La procédure est une branche du droit processuel433, science du droit ayant pour objet de déterminer les règles d’organisation judiciaire, de compétence, d’instruction des procès et d’exécution des décisions de justice. Ainsi, l’on distingue les procédures administrative, civile, pénale ou criminelle qui constituent respectivement les règles d’organisation judiciaire, de compétences, d’instruction propres aux juridictions de l’ordre administratif, civiles de l’ordre judiciaire et pénales de l’ordre judiciaire. L’on désigne également par « procédure », l’ensemble des actes successivement accomplis pour parvenir à une décision. 290. Le dispositif des règles de procédure est conforme à la distinction classique entre le droit privé et le droit public même si le Professeur Paul Roubier préfère que la procédure soit placée tout entière dans le droit mixte434. Les règles, institutions, interlocuteurs étant différents d’un ordre à un autre. Même s’il existe des dispositions communes à toutes les juridictions435. En droit public précisément en droit administratif436, le principe d’égalité, qui gouverne le procès en droit privé est perçu de manière différente voir même n’existe pas. Les parties en présence étant les particuliers et la puissance publique dotée de prérogatives exorbitantes du renoncé à la distinction traditionnelle entre ces deux branches du droit privé, la question connaît un regain d’actualité. Elle a été évoquée comme thématique centrale des Journées de Pavie et de Milan de l’Association Henri Capitant en septembre 1953 et lors d’un colloque tenu à Paris du 6 au 10 octobre 1953. Aujourd’hui, le législateur européen a jeté les bases d’un Code européen des contrats. Au regard du rapprochement souhaité des solutions dans le processus d’harmonisation proclamé par le législateur OHADA, l’on s’acheminerait très sensiblement, toute proportion gardée, vers l’assimilation des régimes particuliers applicables tant aux opérateurs du commerce international qu’à certaines transactions professionnelles qui ne sont pas nécessairement de nature commerciale ». 433 Le droit processuel est perçu comme une science comparative fondée sur le rapprochement des procédures en différentes disciplines juridiques et l’étude des thèmes communs à tous les procès. 434 P. ROUBIER, Théorie générale du droit, op. cit., p. 315. 435 Conformément au Code de procédure civil, certaines règles sont identiques d’une juridiction à une autre ; c’est notamment le cas des principes directeurs du procès. L’article 1 du Code de procédure civile dispose que « Seules les parties introduisent l’instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d’y mettre fin avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du jugement ou en vertu de la loi ». Code de procédure civile, Paris, éd. LexisNexis, éd. 2016, annoté par Loïc CADIET, p. 6. 436 Ensemble de règles définissant les droits et les obligations de l’administration. Il constitue la partie la plus importante du droit public. 160 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil droit commun437. Aussi, toute procédure contentieuse, juridictionnelle est en réalité impérativement précédée d’un recours administratif, qualifié de hiérarchique. Si l’on s’en tient aux textes de plus en plus nombreux qui prévoient l’obligation de saisir l’autorité administrative avant toute procédure juridictionnelle : ainsi, tout recours contentieux en matière de Revenu de Solidarité Active doit être précédé d’un recours préalable devant le président du Conseil général. Le développement de ces recours préalables obligatoires est, alors, de nature à créer les conditions d’un dialogue plus fréquent entre les administrés et l’Administration. Le droit privé est défini par les rapports égalitaires, des procédures, des instances gouvernées par l’idée de réparation et d’accord. Que ce soit en droit civil ou en droit commercial, l’accent est mis sur la négociation, fondement de relation conventionnelle. Une fois des problèmes ou conflits survenus, le dialogue est le principe. Raison pour laquelle, en droit privé, les modes alternatifs de règlement des litiges sont plébiscités alors qu’hypothèse inverse en droit public, précisément en droit administratif ils sont exceptionnels quand ils ne sont pas interdits. Par exemple, l’arbitrage, c’est-à-dire le recours à des juges conventionnels, est en principe interdit, sauf si un texte le prévoit. Quant à la technique de la conciliation, elle n’a pas fait l’objet de véritable consécration438. Dans la phase contentieuse, le juge administratif dispose de prérogatives plus élargies que celles du juge de l’ordre judiciaire privé. Comme le précise Charles DEBBASCH, « le juge administratif dispose de pouvoirs importants pour éventuellement limiter le cadre de l’instance, en imposant des conditions de recevabilité plus ou moins sévères aux requêtes dont il est saisi, en accordant le sursis à exécution d’une décision administrative, en dirigeant l’instruction (…) » 439. 437 Ces prérogatives exorbitantes du droit commun sont définies en lien avec les clauses exorbitantes de droit commun dont l’utilisation et l’existence trouvent leur justification dans la satisfaction de l’intérêt général. Les clauses exorbitantes sont des clauses dérogatoires. C’est le très vieil arrêt du Conseil d’État "Société des Granits porphyroïdes des Vosges" en date du 31 juillet 1912 qui est venu quantifier cette notion. En l’espèce, la ville de Lille avait commandé des pavés pour la voirie à la société et un litige entre les deux s’était élevé. Léon Blum, commissaire de gouvernement, déclara que ces pavés étaient fournis au service de la voirie, un service public de la ville de Lille. Le Conseil d’État a donc mis en place cette condition de la clause exorbitante du droit commun pour pouvoir qualifier un contrat d’administratif et pouvoir se révéler compétent dans le litige. La plupart du temps le juge condamne un ensemble de clauses et non pas une clause unique. 438 Les différences existent également au niveau de l’instance, du procès en tant que tel : à la différence du procès civil ou le demandeur peut attaquer directement devant le juge la partie adverse, le procès administratif suppose l’existence d’une décision préalable. En effet, le juge ne peut être saisi que dans la cadre d’un recours dirigé contre une décision déterminée. La procédure administrative contentieuse est inquisitoriale, se distinguant ainsi de la procédure civile de type accusatoire ou la marche du procès est menée par les parties. 439 C. DEBBASCH, « Procédure administrative contentieuse et procédure civile : Etude de Droit comparé interne », Aix-En-Provence, La pensée universitaire, 1960, in RIDC., vol. 13, n°4, oct-déc. 1961. pp. 863-865. 161 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 291. L’option pour les procédures non contentieuses. L’OHADA n’est pas en marge de la préférence affichée en droit privé pour les procédures non contentieuses ayant à cœur d’œuvrer pour l’harmonisation du droit des affaires. Au soutien de son œuvre, intervient la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui, à côté de ses fonctions contentieuses, exerce des fonctions consultatives et arbitrales qui contribuent à la sécurité judiciaire. La CCJA a des attributions spécifiques en matière d’arbitrage institutionnel. Elle administre les procédures et statue en cassation sur les recours en contestation de validité. D’une part, elle administre les arbitrages institutionnels sous son égide, en arrêtant la liste des arbitres, en s’occupant également de désigner et/ou confirmer les arbitres et en organisant les procédures arbitrales. D’autre part, la CCJA exerce des compétences juridictionnelles pour les arbitrages. À ce titre, elle ordonne l’exequatur des sentences rendues sous son égide et, en cas de recours en contestation de validité d’une sentence arbitrale, statue en assemblée plénière. Les règles de procédure que les parties doivent respecter sont celles prévues en la matière par la CCJA. L’arbitrage OHADA a cela de particulier qu’il s’applique à tout différend d’ordre contractuel qu’il soit civil ou commercial440. Les règles de procédures tiennent compte de cette mixité consacrée par le champ d’application de l’arbitrage OHADA. 292. Les fonctions consultatives exercées par la CCJA, permettent à cette dernière d’être sollicitée par tout État partie ou par le Conseil des ministres sur toute question relative à l’application ou à l’interprétation du droit de l’OHADA. La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies. Cet instrument processuel a pour objet d’éviter une dispersion de l’interprétation du droit 441 . Grâce à ces attributions qui créent un cadre de dialogue, la CCJA intervient pour apporter une ligne directrice, une ligne de conduite lorsqu’elle est sollicitée et lorsqu’il s’agit de juridictions les incidences sur le droit processuel ne sont pas négligeables. En effet, en donnant son avis sur le droit applicable, la CCJA définit de facto, de manière implicite, la procédure appropriée. Ainsi, lorsqu’une affaire comporte des aspects relevant du droit national et du droit uniforme, la mixité des procédures ne fait l’ombre d’aucun doute ; les juridictions nationales suprêmes 440 Article 21 du Traité : « En application d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans un des États Parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le territoire d’un ou plusieurs États Parties, peut soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure d’arbitrage prévue par le présent titre ». 441 J. KAMGA, « Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du système juridique de l’OHADA », OHADATA D-12-85. 162 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil selon leurs règles connaîtront de l’aspect qui les concerne quand la juridiction commune sera saisie suivant la procédure qui est la sienne. Encore que la procédure contentieuse définie par la CCJA soit perçue comme étant imprécise et incomplète en plusieurs aspects : l’acte introductif de l’instance, les moyens de cassation ou encore les cas d’ouverture en cassation. 293. L’extension du caractère hybride du droit de l’OHADA. Le droit de l’OHADA étant un droit hybride, il n’est pas surprenant que ses règles procédurales présentent un caractère identique. En droit de l’OHADA, se mêlent personnes physiques, morales, de droit public et de droit privé. Hormis la procédure pénale qui est exclue du champ d’application du droit de l’OHADA, les questions d’ordre pénal relevant de la compétence exclusive des autorités des États membres, l’on relève à la lecture du dispositif juridique de l’OHADA, la présence de règles de procédure. Ces règles concernent aussi bien les organes mis en place en vue de l’atteinte de l’objectif d’harmonisation que les actions dont disposent les destinataires du droit de l’OHADA. Ces règles coexistent avec celles des pays membres de l’OHADA qui sont soit purement civiles ou purement commerciales. Déjà qu’il existe, une forte disparité procédurale dans l’espace OHADA, la solution idoine qui serait de nature à garantir la sécurité judiciaire consisterait à réaliser un rapprochement du droit processuel des affaires dans l’espace OHADA. La méthode idéale serait un rapprochement par voie d’harmonisation des principes directeurs. § 2. Les incidences de la mixité 294. La mixité a des incidences sur le cadre juridique (A) et sur l’organisation des États membres (B). A. Les incidences sur le cadre juridique 295. Du fait de la mixité, deux ordres juridiques doivent coexister (1) et le droit commun national se transforme en droit mixte (2). 1. La coexistence de deux ordres juridiques 296. La mutation de l’ordre juridique interne au contact du droit de l’OHADA. La création de l’OHADA a emporté de notables conséquences au niveau des États membres. Chaque État est caractérisé par sa souveraineté à laquelle sont rattachés les pouvoirs qui sous-tendent la séparation des pouvoirs. Ainsi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire déterminent l’exercice du pouvoir politique au sein des États parties au Traité OHADA. La souveraineté 163 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil commande que les règles attachées aux pouvoirs susmentionnés soient élaborées et définies par et pour lesdits États. Le pouvoir législatif par exemple, à qui incombe l’élaboration des lois qui s’appliquent sur le territoire national, ne souffre en principe d’aucune influence extérieure. Les lois élaborées, votées et en vigueur ne le sont qu’en raison de la volonté des représentants du peuple. 297. L’ordre juridique interne des États membres se présente suivant la classification qui a cours dans l’ensemble des États et qui veut que l’on distingue le droit public du droit privé. Le droit civil, le droit du travail, le droit des assurances, côtoient le droit constitutionnel et le droit administratif. L’histoire des États membres, difficilement dissociable de la colonisation, a eu une forte influence. Parlant du droit commercial, considéré dans son acception originelle, il n’est pas parvenu à réglementer de manière satisfaisante le monde des affaires. L’avènement de l’OHADA a également été celui du droit de l’OHADA, de l’ordre juridique OHADA, comme dirait le Professeur Paul Gérard POUGOUE. L’ordre juridique qui constitue « l’ensemble des règles de droit qui régissent une communauté humaine » 442. L’OHADA regroupement d’États, renferme forcément une communauté humaine. Chaque État membre doit désormais tenir compte des règles juridiques issues du Traité fondateur de l’OHADA. Des règles dont la substance se trouve dans les dix (10) Actes uniformes qui ont été élaborés. 298. La situation est simple : l’OHADA apparaît comme la solution miracle aux problèmes d’une Afrique subsaharienne qui peine à retrouver la confiance des investisseurs étrangers et des grandes puissances mondiales. Un environnement des affaires des États africains qui se définit par le règne du secteur informel, l’insécurité juridique et judiciaire. En réglementant le droit des affaires, l’OHADA entend fournir une véritable alternative aux difficultés rencontrées par la plupart des signataires du Traité fondateur. L’ordre juridique OHADA vient se greffer à celui des États membres mais de manière précise. En effet, l’on aurait pu penser que coexisteraient le droit des affaires OHADA et le droit des Affaires des États membres. Seule difficulté, le droit des affaires n’est pas formellement défini au sein de ces États, aucune définition ne lui est consacrée dans les textes. Si bien qu’il est difficile d’imaginer une superposition stricte et simple du droit de l’OHADA au droit national. 442 P.-G. POUGOUE, « Missions et organisation de l’OHADA », Doctrine OHADA, [www.ohada.com]., OHADATA D-13-01. Mais l’auteur poursuit le raisonnement qui l’amène à conclure à l’existence d’un ordre juridique OHADA. Il évoque à raison l’existence d’un ordre normatif constitué de normes structurées, cohérentes et d’un ordre judiciaire assurés concernant l’OHADA par les Actes uniformes d’une part et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’autre. 164 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 299. La classification des matières. D’autant plus que certaines des matières relevant du domaine du droit des affaires de l’OHADA relèvent quant à elles du droit civil national. Le droit des sûretés, le recouvrement des créances, les voies d’exécution sont classés dans la catégorie « droit civil ». Alors est-ce à dire qu’avec le droit des sûretés tel que perçu d’un point de vue national, coexiste un droit des sûretés « affairiste » ? Quelle est donc la frontière ? Au sein des pays membres, deux blocs de règles ont vocation à régir principalement les relations privées : celles issues du droit civil et celles du droit commercial. La frontière est très nette et marquée. Si bien que des tribunaux de commerce443 ont émergé au sein de la plupart des États membres afin de renforcer les frontières, du point de vue du droit applicable à un litige donné. 300. L’OHADA et les règles juridiques qui forment son droit trouvent leur essence dans le Traité, accord conventionnel signé par des États. Il ne fait aucun doute qu’en adhérant au Traité constitutif, les États adhèrent par voie de conséquence à l’ensemble du dispositif juridique qui ne leur est évidemment pas inconnu. Sans évoquer les modalités de la cohabitation entre les deux ordres juridiques, national et communautaire, à savoir si elle se fera par substitution, adjonction ou superposition, il est impérieux de constater que désormais deux ordres juridiques ont vocation à régir les questions d’ordre civil et commercial. Le droit dérivé de l’OHADA et donc les Actes uniformes qui en constituent l’essentiel, « font partie d’un ordre juridique propre institué par le Traité fondateur de l’OHADA couvrant l’ensemble des États partie » 444. Cet ordre juridique issu du Traité fondateur de l’OHADA qui est destiné à produire des effets prend la forme d’un droit national. L’existence de deux ordres juridiques crée des interactions qui se manifestent, soit par des influences réciproques, soit par les incidences de l’un sur l’autre et couvrent plusieurs domaines. Les incidences sont également perçues au niveau du droit commun national. 2. Un droit civil national mixte 301. Les contours de la mixité du droit civil national. L’une des importantes conséquences de la création de l’OHADA est bien l’incidence qu’elle a eue sur le droit national en général et le droit civil en particulier. De manière traditionnelle, relèvent du droit civil entre autres le droit des personnes, le droit de la famille, le droit des biens, le droit des obligations, le droit des 443 La Côte d’Ivoire s’est dotée en plus d’un Tribunal de commerce, d’une Cour d’Appel de commerce. 444 P.-G. POUGOUE, Y.-R. KALIEU-ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, op.cit, n°50, p. 64. 165 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil successions, le droit des sûretés, le droit de la consommation. Toute question relative au monde des affaires, aux entreprises, était du ressort du droit commercial ou de textes spécifiques élaborés en vue de lever la difficulté soulevée. Le droit de l’OHADA affecte le droit civil national de deux manières : en raison de la supranationalité445 consacrée textuellement, le droit de l’OHADA s’impose au droit civil, soit par substitution, soit par adjonction, entraînant par la même voie une mutation dudit droit . Dans cette hypothèse et particulièrement dans celle de la substitution, le droit national pour la matière concernée perd sa qualification de droit civil puisqu’il est remplacé par « un droit des affaires ». Par exemple, en droit des sûretés, seul le droit de l’OHADA est applicable sauf exception expressément définie. Les sûretés personnelles ou réelles sont constituées, modifiées, éteintes, suivant le régime juridique à elles prêtées par l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés. L’adjonction qui permet au droit national de subsister, intervient lorsque le droit de l’OHADA est complété ou précisé, par le mécanisme du renvoi notamment. 302. Les développements précédents ont mis en lumière une réalité : le droit de l’OHADA fait partie intégrante de l’ordre juridique applicable sur le territoire tout en conservant sa nature propre. Il exerce une réelle influence sur le droit civil national des États membres. La situation est simple : la nature du droit national civil est aussi modifiée par la nature du droit de l’OHADA. Ce droit hybride comporte effectivement des données qui relèvent aussi bien du droit privé que du droit public. Que ce soit par substitution ou adjonction, le droit civil national perd son identité parce qu’ intégrant des éléments épars et différents. Les Actes uniformes consacrent une soumission plus affirmée de l’État au droit privé par le biais de l’extension de leur champ d’application aux personnes morales de droit public. Par exemple, l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution précise en son article 1 que « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer » 446. L’élément essentiel est bien la créance indépendamment du fait qu’elle existe en faveur ou à l’encontre d’une personne publique ou privée. 445 L’article 10 du Traité de Port Louis unanimement reconnu comme étant le siège de la force impérative des Actes uniformes en ce qu’ils sont d’application directe et immédiate, définit le type de relation qui existe entre droit civil national et droit de l’OHADA. Relation qui prend plus la forme d’une relation mettant en place des rapports hiérarchiques et de force faisant intervenir une question chère et essentielle aux États membres : la souveraineté. 446 Les articles 2, 3 et 4 de l’Acte uniforme du 10 avril 1998, JO OHADA n°6, du 01/06/98, portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution confirment l’idée d’une ouverture des procédures aux personnes publiques ; en effet, aucune précision n’est apportée quant aux personnes concernées 166 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 303. L’exigence du dépassement de la distinction droit civil-droit commercial. Le droit de l’OHADA impose le dépassement de la distinction classique droit civil droit commercial aux États membres, en des aspects non négligeables. Le droit privé des États membres, principalement constitué du droit commercial et du droit civil, subit une métamorphose. L’on assiste à une sorte de fusion réalisée par le droit de l’OHADA qui renferme des aspects à la fois de droit commercial et de droit civil. Parlant du droit civil des États membres, l’on note une mutation en une nouvelle forme. Prenons à titre illustratif le droit civil ivoirien, hérité du droit français. Un passage en revue du Code civil, notamment dans la rubrique des sûretés met en exergue les transformations qui interviennent du fait du droit des sûretés de l’OHADA. S’il est vrai que les dispositions du Code civil en la matière avaient vocation à s’appliquer indépendamment du domaine en l’absence de texte spécial, c’est véritablement la nature hybride du droit de l’OHADA qui induit le changement. L’on constate que les dispositions du Code civil ivoirien en matière de cautionnement sont sommaires et manquent cruellement de précision. Selon l’article 2015, « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Le texte ne fournit aucune forme de détails sur la forme que doit revêtir le cautionnement au contraire de l’article 14 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 304. L’étendue de l’œuvre harmonisatrice de l’OHADA permet de prendre la mesure de la mixité qui existe en matière de droit civil. L’adoption d’un texte uniforme relatif au droit des contrats est en projet et à ce niveau deux théories s’affrontent : d’un côté, ceux qui pensent que le droit des contrats devrait être un droit des contrats spéciaux qui réglementerait des aspects particuliers des relations contractuelles. Et de l’autre, ceux qui militent en faveur d’un texte directeur qui englobera contrats civils et contrats commerciaux. Dans un cas comme dans l’autre, le droit civil des États membres subira l’influence du dispositif mis en place par l’OHADA. En clair, en traitant de contrats de nature civile, ces règles viendront enrichir le droit civil des États membres lorsqu’elles ne les supplanteront pas. Une approche a été retenue par la Fondation pour le Droit continental, qui a consisté à préparer un avant-projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA. Le projet couvre tout le droit des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive. Il porte sur les obligations civiles et commerciales et contient également des dispositions sur le conflit de lois en matière ou encore quant à la forme juridique de la personne morale qui dépose la requête par exemple. L’on en déduit qu’une société commerciale, une société civile ou encore une société mixte ou publique pourrait déposer une requête aux fins de demande d’ouverture de la procédure d’injonction de payer. 167 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’obligations. Si un tel projet voyait le jour, les législations nationales, suivant la nature du texte, seront caractérisées en matière civile par une réelle mixité. B. Les incidences sur l’organisation au niveau des États membres 305. La mixité induite par le droit de l’OHADA influence l’organisation étatique des États membres (1) et les particuliers (2). 1. Les incidences sur l’organisation étatique 306. Les incidences de la communauté d’institutions et d’organes. L’OHADA est un regroupement d’États souverains et organisés de manière différente, suivant le type de régime en place. La création d’une organisation qualifiée de « supranationale », de « communautaire », par une fraction de praticiens, induirait des changements importants au niveau des États membres. En effet, une organisation dotée d’une juridiction commune, d’un législateur tout aussi commun et d’un pouvoir politique, la conférence des chefs d’État et de gouvernement en l’occurrence, laisserait entrevoir l’émergence d’un super-État doté des pouvoirs judiciaires, législatif et exécutif. Dans ce cas, ceux des pays membres seraient remis en cause. En réalité, l’influence de l’OHADA, quoique réelle, est à relativiser simplement parce qu’en dépit des larges prérogatives qui sont les siennes, elle ne peut modifier la nature des États ou le régime. S’il y a un fait qui demeure immuable, c’est bien que l’adhésion à l’OHADA, n’emporte aucunement perte de la qualité d’État. Il n’y a pas de « processus de désétatisation des États membres du système juridique : ils demeurent souverains, puisque le Traité et les conventions qui sont des ordres juridiques propres se trouvant intégrés aux systèmes juridiques des États membres, n’appartiennent pas à un ordre juridique institutionnel » 447. En matière de droit des affaires, aux institutions qui matérialisent les trois pouvoirs dans l’organisation de l’État, se greffent celles communautaires issues de l’adhésion au Traité fondateur de l’OHADA. Ainsi gouvernement, justice et parlement arborent les couleurs de la mixité qu’elles impriment aux États membres. Lorsque des questions se posent, les États membres interviennent dans le cadre de l’organisation commune à laquelle elle a délégué certaines prérogatives régaliennes. 307. La limitation des pouvoirs. Cependant, la décision d’adhérer au Traité de Port Louis, emporte des changements notables. Changements qui se matérialisent par la limitation de 447 J. GATSI, L’effectivité du Droit de l’OHADA, P.U.A, Coll. Dr. unif., 2006, p. 43. 168 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’exercice de la souveraineté et par voie de conséquence de celui des trois pouvoirs. S’il est vrai que le parlement demeure investi du pouvoir de légiférer, il est tout aussi vrai qu’il sera cantonné à un rôle de conseil quand il s’agira de l’élaboration des Actes uniformes par exemple. Le pouvoir exécutif est quelque peu transféré dans le cadre de la conférence des Chefs d’État lorsque sont débattues des questions relatives aux Actes uniformes. L’organisation judiciaire est celle qui ressent l’impact de la mixité voulue par l’OHADA. Les pays membres ont été appelés à mettre en œuvre des réformes consistant en la création de tribunaux de commerce. Il était impératif de donner la tribune nécessaire au droit de l’OHADA, ce droit hybride de s’appliquer pleinement, car « à droit spécial, juridiction spéciale ». Hormis le changement au niveau des juridictions de fond, les juridictions suprêmes ont dû faire peau neuve et revêtir les vêtements de la dualité, la mixité : les cours suprêmes cohabitent pacifiquement ou non avec la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) et s’effacent dès lors que le litige concerne l’application du droit de l’OHADA448. 308. L’État, régulateur du nouvel ordre juridique. L’État intervient comme un régulateur de ce nouvel ordre juridique qui est créé et qui joint le droit de l’OHADA et le droit interne. En réalité, il incombe à chaque État membre de mettre en œuvre les conditions optimales pour l’application et la vulgarisation des règles juridiques nouvelles. Quoi qu’il en soit, il veille à assurer la conformité du dispositif national à celui qui vient s’y greffer ou qui vient le remplacer en plusieurs points. De même, il lui appartient d’apporter son concours à l’application des dispositions du nouvel ordre juridique. Cette idée ressort des Actes uniformes qui l’énoncent de manière explicite449 ou non. L’OHADA s’appuie sur les institutions nationales, locales pour produire la plénitude de ses effets. La ressource humaine ou matérielle des États membres est mise à contribution, que ce soit au niveau des institutions judiciaires qui interviennent en première instance et en appel ou les centres d’arbitrage nationaux, ou que ce soit au niveau des instances de création des entreprises. 2. Les incidences sur les justiciables 309. Le contentieux. Une règle n’a de valeur qu’en raison de son application effective à ses destinataires. Il leur revient de donner toute sa pleine mesure à un texte de loi, aux règles 448 Cf. supra, n°158, p. 87. 449 L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution fait obligation aux États membres de prêter leur concours à l’exécution des décisions et des autres titres exécutoires. 169 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil prévues par une discipline. À titre d’exemple, le droit de la consommation ne doit son efficacité qu’à l’application qui en est faite par les consommateurs et les professionnels dans une certaine mesure. La force du droit de l’OHADA réside dans le fait que ses destinataires, personnes morales ou physiques de droit public ou de droit privé, puissent s’en prévaloir. Ils doivent en menant une action en justice, en entamant une procédure quelconque, vérifier le droit applicable et la disposition concernée, d’où l’impact de la mixité. Avant l’avènement de l’OHADA, la situation était simple : le choix était fait entre droit civil et droit commercial ou autres textes spéciaux. Il faut désormais compter avec, un droit civil comportant plusieurs aspects de droit commercial ou, pour toutes les questions non réglementées en droit interne, avec un droit des affaires déroutant. Un seul contentieux bien qu’étant porté devant la CCJA, peut donner lieu à l’application de règles de droit civil pur et de droit des affaires de l’OHADA. Le justiciable portera devant les tribunaux une affaire qui relèvera dans certains de ses aspects des juridictions nationales et dans d’autres de la CCJA. Tout facteur qui, il convient de le rappeler peut avoir des conséquences néfastes sur le recours à la juridiction commune. Alors que le principe fondamental dans le milieu des affaires est la célérité. 310. Ici, n’est pas remise en question la citoyenneté ou la nationalité des ressortissants des pays membres qui demeurent soumis au droit interne, mais l’application du droit de l’OHADA perturbe un tant soit peu l’idée que l’on se fait des frontières. Le droit de l’OHADA étant un droit transnational450, l’on dira qu’il suit la personne physique ou morale sur chacun des territoires des États membres. Il est impossible parce que se trouvant hors de son pays, de se référer à son droit interne pour des questions abordées par le droit de l’OHADA, en arguant que seul celui-ci nous est applicable. Autant les États membres ne peuvent écarter l’application d’une disposition du droit de l’OHADA en invoquant le droit interne, autant les personnes physiques et morales de droit privé ne peuvent se soustraire à l’application du « droit communautaire ». 311. Le cas du contentieux de l’exécution. Le juge de l’OHADA a entendu concentrer le contentieux de l’exécution entre les mains d’un seul juge. L’AUPSRVE, à l’image de l’article 8 de la loi française n°91-650 du 9 juillet 1991, édicte en règle générale que : « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière 450 Supra, n°82., p. 49. 170 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’urgence ou le magistrat délégué par lui »451. La détermination de la nature ou de la qualité du juge dont il est question, a alimenté les débats doctrinaux et continue de le faire, d’autant plus que les États membres conservent la compétence exclusive en matière d’organisation judiciaire. Il leur revient de désigner, la juridiction compétente en matière d’exécution. Plusieurs thèses sont en présence, si bien que l’article 49 a été à l’origine d’une véritable controverse. Selon la première thèse qui est majoritaire, le juge dont traite l’article 49 est le juge des référés452. La seconde thèse soutient que l’on a affaire à un juge spécial distinct du juge des référés : le juge de l’exécution, qui conserve le statut de juridiction présidentielle c’est-à-dire un tribunal spécial dont les compétences sont exercées par un seul magistrat. Il s’agirait du Président du Tribunal de Première Instance. Mais c’est la dernière thèse qu’il convient de retenir. Elle veut que l’assimilation du juge visé à l’article 49, à la fois juge du provisoire, juge du principal et même juge des requêtes, au juge des référés ou au juge de l’exécution, soit contestable. « La juridiction visée à l’article 49 de l’Acte uniforme est un juge hybride, qui emprunte au juge des référés, juge du provisoire, sa procédure pour des raisons évidentes de célérité, et au juge de l’exécution français, juge du fond, sa compétence d’attribution pour des raisons d’efficacité » 453. Avec l’intégration du droit de l’OHADA au droit civil national, un système juridique mixte a été mis en place. La nature de l’OHADA et de son dispositif juridique, ainsi que le dépassement de la distinction classique droit civil/droit commercial en sont les facteurs. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national est bien consacrée, de ce point de vue. 451 Article 49 de l’AUPSRVE. 452 La jurisprudence abonde dans le sens de cette thèse ; par exemple l’on a un avis de la CCJA rendu en ce sens. Consultée sur la question de la compétence de la juridiction des urgences à connaître des cas de nullité affectant un acte de dénonciation de saisie avec assignation en validité de celle-ci, elle répond en effet : « De l’interprétation combinée des articles 49, 62, 63, 68 et 144 à 146 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, il résulte que la juridiction des urgences telle que déterminée par l’organisation judiciaire de chaque État membre de l’OHADA est compétente pour connaître des cas de nullité affectant un acte de dénonciation de saisie avec assignation en validité de celle-ci ». 453 F. ONANA-ETOUNDI, L’incidence du droit communautaire OHADA sur le droit interne de l’exécution des décisions de justice dans les États parties : cas du Cameroun, Thèse Soutenue publiquement le 13 janvier 2005 à l’Université de Yaoundé II. 171 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Section 2. La mutation du droit civil national vers un droit économique 312. La mutation vers un droit économique est caractérisée par des éléments (§ 1) et elle a des incidences au niveau des États membres (§ 2). § 1. Les éléments caractéristiques de la mutation 313. L’économie a une place particulière dans les changements opérés ; l’on note une prévalence de l’économie (A) et une préférence pour les acteurs et activités économiques (B). A. La prévalence de l’économie 314. Cette prévalence de l’économie est consacrée par les textes (1) et traduite par la prééminence du bien fondamental qu’est l’entreprise (2). 1. La consécration textuelle 315. Quelques aspects historiques. L’histoire des États africains ne peut être dissociée de la vague de création de regroupements d’États au sein d’organisations. Que ce soit l’UEMOA, la CEMAC454 ou encore la CEDEAO455, toutes ces organisations ont eu dès leur création une vocation économique. La CEDEAO a connu une extension de son champ d’action en 1993. L’on comprend sans peine une telle profusion d’organisations économiques. Il suffit de porter un regard sur la situation qui prévalait en Afrique pendant la période allant de la fin des années 80 aux années 90. Le contexte est celui de pays surendettés, en pleine crise économique et délaissés par les investisseurs. Une seule alternative se présente alors aux autorités des États africains : joindre leurs efforts, leurs forces et faiblesses en matière économique, afin de s’affirmer au sein des relations internationales. Il était évident que des États parlant d’une seule et même voix en matière économique, susciteraient un intérêt plus grand de la part des partenaires au développement. L’OHADA naît dans cette phase de 454 [www.cemac.int]. La Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale (CEMAC) regroupe 6 pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. Elle se donne comme mission de promouvoir un développement harmonieux des États membres dans le cadre de l’institution d’un véritable marché commun. 455 [www.ecowas.int]. La CEDEAO a été établie par le Traité de Lagos signé le 28 Mai 1975 par quinze pays de l’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. A l’origine, le Traité de Lagos se cantonnait à l’économie, mais du fait des problèmes politiques qu’a connus la région, il a fait l’objet d’une révision qui a permis, en 1993, l’élargissement de son champ d’application et de ses prérogatives. 172 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’histoire des pays africains, pendant laquelle l’économie est au cœur des priorités des pouvoirs publics. Il était impérieux que l’intégration économique tant recherchée soit soutenue en amont par une intégration tout aussi essentielle, celle juridique. Ce passage du droit à l’économie prend tout son sens dans l’imbrication de ces domaines. La plupart des textes adoptés par le parlement ont une incidence sur la vie économique. C’est ainsi que les textes de l’OHADA, bien qu’insistant sur la volonté de se doter de règles communes en matière de droit des affaires, ne perdent pas de vue l’aspect économique, « dans le but commun d’unification juridique et d’État de droit économique » 456. 316. La substitution et le transfert de règles. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres est réelle, en ce qu’elle se manifeste par la substitution de l’un à l’autre. Le droit de l’OHADA qui devient le droit commun, donc le droit des États membres en certains aspects, transfère ses caractéristiques à celui-ci. Le droit des affaires tel que conçu par l’OHADA, a cela de particulier qu’il a pour objectif à terme la réalisation d’une intégration économique par le biais d’une intégration juridique. Le préambule du Traité de Port Louis est sans équivoque à ce propos. Il y est précisé que « la réalisation progressive de l’intégration économique suppose la mise en place d’un droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté » 457. Preuve que dès la création de l’OHADA, l’économie était au cœur des préoccupations des États membres. Il n’aurait pu en être autrement quand il est apparu que ceux-ci souhaitaient établir la confiance en faveur de leurs économies. Le but ultime est de créer un véritable pôle de développement en Afrique. Le juge KEBA MBAYE ne dit pas le contraire en affirmant que « l’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ; de plus, l’OHADA a une origine africaine et sa raison d’être est économique, tout simplement » 458. 317. L’économie et le droit économique. Les dispositions générales mettent également en exergue la référence à l’économie des États membres459. Le droit de l’OHADA harmonise le droit des affaires entre les États membres. Or c’est la discipline par excellence qui, par les 456 J. GATSI, L’effectivité du Droit de l’OHADA, op.cit., p. 55. 457 Traité portant révision du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, Adopté le 17/10/2008 à Québec (CANADA). 458 K. MBAYE, « L’histoire et les objectifs de l’OHADA », Petites affiches, n° 205, 13 octobre 2004, p. 4. 459 Selon l’article 1er du Traité OHADA : « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du Droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies (…) ». 173 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil matières qu’elle regroupe, régit les activités des entreprises. Il ressort de l’article 2 du Traité fondateur de l’OHADA que : « sont inclus dans le domaine du droit des affaires, le régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, le statut juridique des commerçants ». En réglementant de telles matières, qui intéressent principalement les entreprises, acteurs économiques, en ayant pour objectif la sécurisation des activités économiques, les dispositions de l’OHADA concourent à le présenter comme un « droit économique ». Cette caractéristique est transférée au droit civil des États membres pour les matières qui à l’origine relevaient de cette discipline. 318. L’apparition et le développement du droit économique s’inscrivent dans l’évolution ou le dépassement du droit commercial classique et dans l’évolution des échanges commerciaux. Il convient malgré tout de rappeler que l’existence de tout droit économique a été niée par certains auteurs tels que André de LAUBADERE460. Évoquer le droit économique n’est pas sans difficulté vu qu’« il n’est défini nulle part et a des contours flous. « Le droit économique vit sans définition : certains de ses partisans se sont même gardés de lui en donner une » 461. Mais n’y voyons surtout pas une faiblesse, dans la mesure où, « la première preuve de la maturité d’une branche nouvelle du droit se voit dans la disparition ou, du moins dans l’apaisement de ces querelles sur les définitions »462. 319. Autant l’existence du droit public de l’économie est affirmée, autant le droit privé ne comporte pas de branches spécifiquement applicables à la vie économique. La notion de droit économique est née en Allemagne au début du XXe siècle463, mais elle n’atteint son point d’orgue que pendant la Première Guerre mondiale. À l’époque, la notion faisait référence à l’ensemble des règles juridiques par lesquelles l’État devait utiliser l’économie nationale en vue d’assurer ses fins politiques et militaires. Sous d’autres tropiques, notamment en droit 460 H.-G. HUBRECHT, Droit public économique, Paris, éd. Dalloz, Coll. Droit public, 1997, n°1, p. 1. La notion de droit économique a été au cœur des débats doctrinaux ; elle a été présentée comme transcendant la Summa divisio traditionnelle entre droit public et droit privé (G. FARJAT), quand d’autres auteurs ont affirmé qu’aucune originalité ne pouvait lui être reconnu par rapport aux catégories classiques du droit administratif. 461 G. FARJAT, « La notion de droit économique », in Arch. phil. dr., Tome 37., Droit et économie, éd. SIREY, 1992, p. 27. L’auteur fait référence à l’Association Internationale de Droit économique qui publie la Revue Internationale de Droit Economique et qui a expressément écarté toute définition. 462 G. VEDEL, « Le droit économique existe-t-il ? », in Mélanges P. VIGREUX, Toulouse, Tome II., pp. 767 et s. Pour l’auteur, le Droit économique se saisit de façon existentielle. Il n’est pas sûr qu’on puisse le définir de façon très précise ni autrement qu’à titre provisoire, mais on ne saurait s’en passer. 463 Son épanouissement est le fait de l’Institut für Wirtschaftsrecht de Berlin. 174 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil français464, il n’existe pas une, mais plusieurs acceptions du droit économique qui relèvent soit de l’approche restrictive soit de l’approche extensive. F.-Ch. JEANTET est l’un des tenants de la conception restrictive selon laquelle le droit économique est une branche du droit public. Référence est faite, selon cette conception, du « droit des interventions de la puissance publique dans l’économie privée » 465. La critique principale essuyée par la conception restrictive du droit économique est sa réservation au domaine du droit public uniquement. Or, il existerait un droit public économique et un droit privé économique qui renforcent l’attrait de la conception extensive. Suivant ladite conception, le droit économique a pour objet central, l’entreprise466 donc par la même voie, l’activité économique. Si bien qu’il a été proposé que le droit économique puisse être défini comme « l’ensemble des règles applicables aux personnes de droit dans leur activité économique ou encore à l’activité économique des personnes de droit, ou même à l’activité économique tout court » 467. 320. Le droit de l’OHADA s’intéresse principalement à l’économie en réglementant l’activité d’un de ses acteurs principaux : l’entreprise. Les règles élaborées ne font pas de distinction quant à la nature de la personne de droit. Aussi bien les personnes privées, que les personnes publiques exerçant une activité économique, relèvent du droit de l’OHADA. De droit hybride, l’on a affaire en réalité à un droit aux relents économiques qui, en intégrant l’ordre juridique 464 Le choix est opéré en faveur du droit français en ce que c’est le droit qui a le plus influencé les législations des États membres de l’OHADA qui sont pour la plupart de tradition civiliste. 465 F.-Ch. JANTET, « Aspects du Droit économique », in Mélanges HAMEL, p. 33. Son approche n’est pas isolée ; elle est jouxtée par des approches voisines telles que celle de M. SAVY qui définit le Droit économique comme « l’ensemble des règles tendant à assurer un équilibre entre les intérêts particuliers des agents économiques privés ou publics et l’intérêt économique général ». 466 Selon le Professeur CHAMPAUD, qui a été l’un des précurseurs dans la tentative de définition du droit économique de manière extensive, « l’entreprise en serait l’objet fondamental et il comprendrait trois secteurs : celui des structures de fonctionnement interne des entreprises, celui des relations entretenues avec les autres entreprises dans une logique de collaboration ou de compétition et enfin celui des relations avec la puissance publique, divisé e deux sous-secteurs, selon que l’État intervienne en tant que gardien de l’ordre public ou en tant que directeur de l’économie ». C. CHAMPAUD, « Contribution à la définition du Droit économique », D. 1967, Chr. 215 et s. 467 P. DEVOLVE, Droit public de l’Economie, Paris, Dalloz, Coll. Précis, 1998, n°6, p. 9. L’auteur fait partie de la partie de la doctrine qui estime que le droit économique transcende la distinction traditionnelle du droit public et du droit privé et qu’il est caractérisé par des relations particulières avec l’économie. Il s’interroge cependant sur la définition de la notion qu’il juge controversée. D’autant plus que la définition du droit économique diffère selon que l’on l’assimile ou non au droit de l’économie. Si oui, alors il s’agit du droit applicable à toutes les matières qui entrent dans la notion d’économie. Sinon, et c’est conforme à l’idée retenue aujourd’hui, le droit économique serait une extension du droit commercial. 175 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des États membres, le dénature et conduit les États membres à se focaliser sur l’entreprise et son activité. 2. La prééminence de l’entreprise : bien fondamental 321. L’avènement de l’entreprise. Comme déjà évoquée, la construction du droit des affaires a connu son point d’orgue avec l’avènement d’une notion essentielle, d’un bien : l’entreprise. L’entreprise est une réalité économique dont la définition n’a fait l’objet d’aucun texte particulier. Son importance justifie cependant la reconnaissance de son existence et d’effets de droit. L’entreprise peut revêtir diverses formes : Petites et Moyennes Entreprises, grande entreprise industrielle, entreprise artisanale, entreprise publique, commerce de détail, profession libérale, entreprise agricole, groupe international de sociétés, coopérative ou association. Ce sont les économistes qui étudient l’entreprise comme « d’une part, une unité de production, c’est-à-dire unité de production de biens ou de services, en qualité d’agent économique468, et d’autre part, une organisation, un système social complexe » 469. De manière plus précise en économie, « l’entreprise est une forme de production par laquelle au sein d’un même patrimoine, sont combinés les prix des divers facteurs de production apportés par des agents distincts du propriétaire de l’entreprise, en vue de vendre sur le marché un bien ou des services et pour obtenir un revenu monétaire qui résulte de la différence entre deux séries de prix »470. L’article 1er du décret 2008-1354 du 18 décembre 2008, pris en application de l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie471 dispose que « l’entreprise est une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine 468 Un Agent économique est une personne physique ou morale, ou une catégorie agrégée de personnes, à l’origine de décisions économiques telles que l’investissement, la production, la consommation, l’accumulation de capital, l’emprunt, etc. Au sens strict de la Comptabilité nationale, on dénombre six types d’agents économiques : ménages, sociétés financières, sociétés non financières, administrations publiques, institution sans but lucratif au service des ménages, et « reste du monde ». [http://financedemarche.fr/definition/agenteconomique]. 469 J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, Droit des Affaires, op.cit., n°320, p. 190. V. G. TRIOLAIRE, L’entreprise et son environnement économique, Sirey, 1988, n° 10. 470 F. PERROUX, « Cours d’Economie politique », Tome. 2, p. 9, cité par G. DAUBLON, in « Entreprise et droit de propriété », « L’entreprise et ses partenaires », 79e congrès des Notaires de France, Avignon, 8-11 mai 1983, Tome I, n°26-1, p. 56. 471 Loi n° 2008-779 du 4 août 2008 de modernisation de l’Economie. 176 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes » 472. L’entreprise est également une « organisation au service d’une action » 473. 322. De la doctrine, il ressort que d’un accord commun, l’entreprise est définie comme « comme étant une structure organisée « réunissant, sous une direction commune, des moyens tant humains que matériels en vue de l’accomplissement d’activités économiques, commerciales, industrielles ou de services » 474. Une définition « œcuménique » de l’entreprise, une définition à la fois objective et subjective a été proposée : « l’entreprise est une entité autonome, à la fois sujet et objet de droit regroupant un apport humain, un apport capitalistique et une direction dans un but spécifique non nécessairement lucratif »475. La notion d’entreprise est appréhendée comme un animal tentaculaire qui étend son champ d’action à divers domaines dès lors que référence est faite à l’économie. Ressources humaines, capitaux, exercice d’une activité sont les éléments nécessaires à la caractérisation d’une entreprise. Ces éléments peuvent se présenter de manière variable suivant la forme ou la nature de l’entreprise. L’entreprise est un élément central de l’économie. L’on s’explique mal qu’en l’état actuel du droit positif elle ne soit pas une personne juridique476, mais simplement un sujet de droit. Elle ne peut donc pas avoir de patrimoine, être titulaire de droits réels, de créances, ou être débitrice. Même si la théorie de l’affectation du patrimoine et l’insaisissabilité de certains biens mettent quelque peu à mal cette assertion. 323. L’entreprise, notion fédératrice du droit commercial et du droit civil. L’entreprise se positionne aujourd’hui comme l’élément incontournable du monde des affaires. Si bien que le droit des affaires s’en sert comme notion fédératrice entre le droit commercial et le droit civil. Le droit de l’OHADA n’y a pas fait exception. Les textes consacrent la notion d’entreprise qui est au cœur des préoccupations. Entreprises des États membres de manière préférentielle, qui, 472 Décret 2008-1354 du 18 décembre 2008, relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique. 473 J.-M. MOUSSERON, B. TEYSSIE, Dix ans de Droit de l’entreprise, LITEC, 1978, Avant-propos, p. 1. 474 S. GUINCHARD, Th. DEBARD, (Sous. Dir.), Lexique des termes juridiques, 26e éd., Paris, Dalloz, 20182019, p. 449. 475 D. GUEVEL, L’entreprise, bien juridique : fonds de commerce et notions voisines, opérations sur fonds et sur titres sociaux, Paris, éd. Juris service, 1994, n°19, p. 24. 476 La question de la personnalité juridique de l’entreprise, de la reconnaissance de l’entreprise par le droit a été très débattue. Mais il a été admis qu’en réalité les seules personnes juridiques reconnues par le droit sont les sociétés, les groupements d’intérêt économique, les associations et les entreprises publiques. Nombre d’auteurs appellent de tous leurs vœux une reconnaissance de la personnalité morale à l’entreprise. 177 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil par voie de conséquence, assistent à l’intégration de la notion dans le droit civil originaire. Mais uniquement pour les aspects supplantés par le droit de l’OHADA. En effet, « de même que le fonds commercial n’a d’existence juridique et économique qu’à travers la réalité de la clientèle, de même, l’activité économique, civile ou commerciale, ne peut exister et bénéficier de tous les attributs qui sont naturellement attachés à une telle activité, que parce qu’elle est exercée dans le cadre d’une entreprise structurée, quelle qu’en soit la taille » 477. Indépendamment de la nature de l’activité ou des acteurs, l’entreprise a droit de cité. La transformation induite en droit national est justifiée par ce caractère transversal attaché à la notion. La commercialité n’est plus le critère de rattachement d’un acteur, d’une activité au droit des affaires. Ce qui explique que les entreprises et les entrepreneurs des États membres puissent malgré une nature civile ou publique se voir appliquer les dispositions des Actes uniformes. 324. Il est important de préciser que la montée en puissance de l’entreprise a entraîné le déclin de l’acte de commerce ou du moins son recul, qui ne trouve son sens que dans l’optique d’un droit commercial pur et simple et dans la définition du commerçant. L’acte de commerce est essentiel lorsque le droit commercial est défini de manière restrictive. Non pas que le droit de l’OHADA se soit affranchi de la notion « d’acte de commerce », mais le législateur réserve son utilisation au cadre strict de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. Dans un contexte de décloisonnement des frontières entre le droit civil et le droit commercial, l’intérêt accru pour l’entreprise est plus que justifié. Au sein des États membres, la suprématie du droit de l’OHADA a amplifié cette montée en puissance de l’entreprise. 325. L’omniprésence de l’entreprise au sein des Actes uniformes. L’analyse du dispositif juridique de l’OHADA a été déterminante dans la réalisation d’un constat : l’entreprise ne fait pas l’objet d’une définition formelle, mais est omniprésente dans les Actes uniformes. En évoquant à la fois sociétés commerciales, sociétés mixtes, sociétés coopératives, sociétés au sein desquelles une personne publique est associée unique ou associé avec d’autres et en y consacrant des dispositions, il est clair que c’est l’aspect économique, l’aspect entrepreneurial qui est privilégié. 326. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives témoigne également de la mutation en droit économique au travers de la notion d’entreprise. La société coopérative y est 477 J.-D. TCHUNKAM, « La distinction Droit civil - Droit commercial à l’épreuve de l’OHADA : une prospective de droit matériel uniforme », Rev. dr. unif., UNIDROIT, vol. XIV, 2009, p. 57. 178 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil présentée comme « un groupement de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes coopératifs. Sauf dispositions contraires du présent Acte uniforme, les coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l’activité humaine » 478. La société coopérative est une entreprise dont l’activité peut être menée dans n’importe quel domaine d’activité et non exclusivement dans un domaine purement commercial. Les pays africains en général et les États membres de l’OHADA en particulier, puisqu’il s’agit d’eux, sont le lieu de foisonnement des coopératives de microfinance qui concurrencent parfois les banques et autres institutions financières. L’Acte uniforme est d’ordre public et prévoit expressément les hypothèses de son remplacement par d’autres dispositions. 327. L’Acte uniforme portant organisation des sûretés peut également être cité à titre illustratif. L’on peut déduire de son article 1er que des éléments constitutifs de l’entreprise peuvent faire l’objet de sûretés. Il ressort de ce texte que le créancier se voit affecté afin de garantir l’exécution d’une obligation, un bien précis, un ensemble de biens ou un patrimoine. L’entreprise, quelle que soit la forme particulière qu’elle prend, englobe des biens qui permettent d’exercer l’activité économique. Le nantissement de meubles incorporels479 est un exemple de référence à l’entreprise. Tel que défini, il permet une affectation de biens tels que le fonds de commerce, les droits d’associés, les valeurs mobilières, les droits de propriété intellectuelle. B. La préférence pour des acteurs et activités économiques 328. La mise en exergue des acteurs économiques (1) et des activités économiques (2) témoigne bien de la préférence affichée en leur faveur. 478 Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au Droit des sociétés coopératives, J.O OHADA, n°23, 15/02/2011 ; commentaires A.-P. SANTOS et C.-K. BOTOKRO, Juriscope 2012, p. 669. Définition énoncée à la lumière des articles 1, 2, 3, 4, 5 et 6 de l’Acte uniforme. 479 Acte uniforme du 24 mars 2010, J.O. OHADA n° 10, 20/11/2000, article 125 : « le nantissement est l’affectation d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs, en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures, à condition que celles-ci soient déterminées ou déterminables. Il est conventionnel ou judiciaire ». 179 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. Les acteurs économiques 329. Le rôle central des acteurs économiques. Le développement des échanges commerciaux et économiques est tributaire des acteurs qui y prennent part. La performance d’un système économique est indéniablement le fait des acteurs du secteur. Le droit de l’OHADA s’appuie sur le commerçant et le professionnel dans une mesure plus importante. Pour ce qui concerne le commerçant, le législateur de l’OHADA a recours à l’acteur essentiel en matière de droit commercial pur. Il désigne selon l’article L. 121-1 du Code de commerce français, les personnes qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle. Une définition quelque peu reprise à quelques mots près par le législateur de l’OHADA, qui énonce dans l’article 2 de l’Acte uniforme portant droit commercial général qu’ « est commerçant celui qui fait de l’accomplissement d’actes de commerce par nature sa profession ». Même si seuls les actes de commerce par nature sont visés dans cette dernière définition. 330. L’idée de profession a toujours été un critère important dans la reconnaissance de la qualité de commerçant, mais elle n’épuise pas la notion. D’autres acteurs non moins essentiels du monde des affaires agissent également de manière habituelle. Leur statut a été construit à partir de la notion de « profession ». Le professionnel est défini comme « une personne physique ou morale qui agit dans le cadre d’une activité habituelle et organisée de production, de distribution et de prestation de services »480. Une définition qui diffère bien de celle de commerçant et qui fait obstacle à toute forme d’assimilation. Assimilation tentée par Philippe LE TOURNEAU481, en tenant compte du comportement, sans pouvoir en tirer toutes les conséquences juridiques. En effet, toute personne peut avoir la qualité de commerçant, sauf si elle a un statut particulier établissant une incompatibilité ou une interdiction. Un salarié peut se voir reconnaître le statut de commerçant sous certaines conditions482. Alors que la notion de professionnel est exclusive de toute activité salariée. La distinction est faite entre professionnel commerçant et professionnel non commerçant. Le commerçant, tel que défini, est un professionnel commerçant à raison de l’accomplissement d’actes de commerce à titre de profession. Il existe trois catégories de professionnels non-commerçants : les agriculteurs, 480 J. CALAIS-AULOY, F. STEINMETZ, Droit de la consommation, 9e éd., Paris, Dalloz, 2015, n° 3, p. 4. 481 Ph. LE TOURNEAU, « Les professionnels ont-ils du cœur ? », Rec. Dalloz Sirey, 1990, Chr., V., 21-26. 482 L’Acte uniforme portant droit commercial général organise le régime des interdictions et des incompatibilités des articles 7 à 12. 180 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil les artisans et les membres des professions libérales. Tous relèvent fondamentalement du droit civil, même si le statut des artisans a suscité de nombreuses questions483. 331. La prise en compte du statut de professionnel. Le droit de l’OHADA n’ignore pas le statut de professionnel. Au contraire, il le positionne au cœur de son dispositif. À juste titre d’ailleurs, étant donné que les États membres de l’OHADA sont des pays surtout ceux de la zone franc dont l’essentiel de l’économie repose sur le secteur primaire, sur l’agriculture notamment. Les textes élaborés tiennent compte de cette réalité et s’appliquent directement aux pays concernés qui voient leur droit civil national réformé. L’idée de « profession » est omniprésente dans les Actes uniformes. Elle apparaît, que ce soit au sein de l’Acte uniforme portant droit commercial général, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, ou encore celui réglementant les procédures collectives. L’accomplissement d’actes à titre habituel justifie l’application des Actes uniformes. Que ce soit le commerçant, ou le non-commerçant, le point de ralliement demeure le caractère professionnel des actes. Les articles 3 et 5 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés témoignent de l’importance accordée à l’aspect économique de l’activité à travers les statuts du débiteur professionnel et de l’agent de sûretés. L’un est un débiteur dont la dette est née de l’exercice de sa profession, ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles. L’autre est une institution financière ou un établissement de crédit qui agit en qualité de mandataire. Débiteur professionnel et agent de sûretés sont des professionnels, des acteurs économiques. 332. Le statut de l’entreprenant. La préférence pour les acteurs économiques a véritablement été affirmée à travers l’institution du statut de « l’entreprenant », un nouvel acteur économique. Selon l’article 30 alinéa 1er de l’AUDCG, « l’entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole ». Au sein d’États « minés » par le secteur informel, il n’est pas à exclure que le législateur de l’OHADA ait voulu réagir. L’entreprenant peut être assimilé au professionnel, qualification générique adoptée par la doctrine et la jurisprudence de droit français pour réglementer tous les intervenants de la vie économique. Cette institution témoigne bien de l’émergence d’un 483 Il arrive que l’artisan exerce de façon habituelle et professionnelle une activité commerciale. Certains artisans n’exercent cependant aucune activité commerciale. Il a fallu attendre une consécration jurisprudentielle du statut civil de l’artisan. La jurisprudence en question a son origine dans un arrêt de la Cour de cassation du 22 Avril 1909, DP 1909.1.344. Ainsi les artisans même lorsqu’ils exercent des actes de commerce de façon habituelle, n’ont pas la qualité de commerçant. 181 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil véritable droit économique au regard non pas de la nature commerciale de l’activité, mais des conditions d’exercice de l’activité. Et ce, même si certains auteurs émettent des réserves quant à ce nouvel acteur qui selon eux ne fait que « s’insérer dans la catégorie de l’entrepreneuriat sous forme de néologisme, en tant que substantif entre l’entreprise et l’entrepreneur sans opérer une distinction convaincante sur le plan terminologique, dans la mesure où le commerçant, personne physique est également un entrepreneur individuel et où l’entreprenant accomplit également des actes de commerce à titre professionnel (…) » 484. L’OHADA régit pratiquement la plupart des intervenants de la vie économique, du simple fait de leur présence et de l’importance de leurs activités professionnelles. 2. Les activités économiques 333. Les activités économiques et non plus uniquement commerciales. La notion d’activité économique absorbe l’aspect purement commercial de l’activité. L’interprétation faite aujourd’hui par la doctrine concernant le mot « acte de commerce » en est une illustration. L’acte ne s’entend plus au sens d’acte juridique, mais d’activité au sens économique, qualifiée de commerciale par la loi. Le critère de la commercialité repose sur l’idée de spéculation, c’est-à-dire la recherche du profit. Mais l’activité économique va bien au-delà de la spéculation. Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, « l’activité économique d’une unité de production est le processus qui conduit à la fabrication d’un produit ou à la mise à disposition d’un service ». L’activité économique est un cycle de production qui comporte l’aspect spéculatif puisque la mise à disposition du produit ou du service suppose la commercialisation, la recherche de profit. Les activités économiques « sont d’une manière très générale, les activités de production, de transformation et de distribution des biens et des services. Elles sont composées de deux réalités complémentaires et interdépendantes que sont celles des marchés des produits et des services dont les marchés financiers, celle des acteurs de l’activité économique : les entreprises, les sociétés, les autorités de régulation et dans une certaine mesure les États et les Organisations interétatiques » 485. 484 J. ISSA-SAYEGH, « L’entreprenant, un nouvel acteur économique en Droit OHADA : Ambiguïtés et ambivalence », Penant n° 878, janv-mars. 2012, p. 7. 485 J. PAILLUSSEAU, L’influence de la mondialisation sur le droit des activités économiques, Conférence faite le 4 février 2008 en Grand’Chambre’ de la Cour de Cassation. 182 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 334. Il convient de préciser que l’activité économique n’a de sens que parce qu’elle se déploie sur un marché : le marché économique. L’économie de marché est le moteur de l’activité économique. C’est « la combinaison de la liberté et de la concurrence, et elle assure un équilibre, entre offre et demande, production et consommation, qui conduit à la croissance économique » 486. Le droit de l’OHADA s’intéresse de près à l’activité économique en ce qu’elle constitue l’indicateur par excellence de la croissance et du développement d’un pays. C’est à raison que Jean PAILLUSSEAU précise que « l’objet réel de l’organisation juridique réalisée par les textes de l’OHADA, c’est telle ou telle activité économique : ou bien il s’agit de l’organisation juridique des personnes physiques ou morales qui exercent des activités économiques, c’est notamment l’objet du droit commercial et de celui du droit des sociétés ; ou bien il s’agit des activités économiques elles-mêmes, et c’est l’objet des autres Actes uniformes » 487. Une activité économique satisfaisante est un gage d’amélioration du climat des affaires. En pratique, dès lors que l’exercice d’une activité génère du profit, elle est captée par l’OHADA. Raison pour laquelle l’entreprenant, qui n’est ni commerçant, ni noncommerçant, ni agriculteur, ni un artisan, a fait son apparition dans le dispositif juridique de l’OHADA. Il exerce une activité spéculative qui donne lieu à un chiffre d’affaires. Le nouvel Acte uniforme portant organisation des procédures d’apurement du passif488 335. apporte des changements notables. Contrairement à l’ancien Acte uniforme, il précise de manière expresse qu’au titre de ses objectifs principaux figure « la préservation des activités économiques » 489. La démarche du législateur de l’OHADA est parfaitement compréhensible étant donné que le but ultime demeure la sécurisation des investissements. Le traitement des difficultés des entreprises concourt à la satisfaction de cet objectif en renforçant la confiance des investisseurs. Les procédures collectives ne sont plus appréhendées comme des 486 J.-M. Daniel, « L’économie de marché : liberté et concurrence », L’Économie politique, janvier 2008, n° 37, p. 38-50, [https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2008-1-page-38.htm]. 487 J. PAILLUSSEAU, « Le droit de l’OHADA, un droit très important et original », [www.ohada.com]. OHADATA-D-12-64. 488 Acte uniforme du 10 décembre 2015, J.O n° spécial du 25 septembre 2015. 489 L’article 1er de l’AU dispose que « le présent Acte uniforme a pour objet : d’organiser les procédures préventives de conciliation et de règlement préventif ainsi que les procédures curatives de redressement judiciaire et de liquidation des biens afin de préserver les activités économiques et les niveaux d’emplois des entreprises débitrices, de redresser rapidement les entreprises viables et de liquider les entreprises non viables dans des conditions propres à maximiser la valeur des actifs des débiteurs pour augmenter les montants recouvrés par les créanciers et d’établir un ordre précis de paiement des créances garanties ou non garanties (…) ». 183 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil procédures « sanctions », mais plutôt comme des procédures de protection des opérateurs économiques dont les activités soutiennent la croissance économique d’États en quête de développement. Ici, la nature de l’activité est indifférente : commerciale ou non, elle est prise en compte par l’Acte uniforme. 336. L’investissement. Le terme investissement, qui intervient dans le cycle normal de l’activité économique, est essentiel en droit de l’OHADA. L’investissement est l’opération qui consiste pour un acteur économique à développer son activité économique ou à y participer par le biais d’un apport et dans l’espoir d’en retirer ultérieurement un revenu490. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés, celui portant organisation de la comptabilité ou l’AUDCG, évoquent l’investissement. En dépit du caractère limité de la référence qui y est faite, il est indéniable que l’investissement est au cœur du dispositif de l’OHADA. Et afin de maintenir la cohérence dans sa ligne directrice qui est celle d’accorder un rang prioritaire à l’activité économique, le législateur ne distingue pas selon l’origine de l’investissement ou la nationalité de l’investisseur. § 2. Les incidences de la mutation du droit civil national sur les États membres 337. La mutation a bien des incidences sur les États membres aussi bien du point de vue du type de secteur ou d’opération réglementé (A) que de celui de la prise en compte d’éléments économiques, telle la situation économique (B). A. Les incidences sur le type de secteur ou d’opération réglementé 338. La réglementation d’activités ou opérations purement économiques (1) est accompagnée de celle d’opérations mixtes (2). 1. La réglementation d’activités ou opérations purement économiques 339. Un droit dérivé non exclusivement réservé aux activités ou opérations commerciales. Le droit de l’OHADA réglemente des activités purement économiques qui ont cela en commun qu’elles relèvent du droit commercial pris dans sa conception restrictive. Droit mixte, parce que réalisant une fusion entre le droit commercial et le droit civil, il n’est pas surprenant que le droit de l’OHADA traite d’opérations commerciales. Ainsi sont traitées les 490 S. MANCIAUX, « Que disent les textes OHADA en matière d’investissement ? », Revue ERSUMA, n°1, juin 2012, p. 270. 184 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil opérations accomplies par les commerçants, telles que la vente commerciale. Un Acte uniforme est d’ailleurs consacré aux commerçants, aux actes qu’ils accomplissent et à leurs activités. L’Acte uniforme portant droit commercial général en dépit de son intitulé n’est pas exclusivement réservé au droit commercial. Les références au droit commun des États membres le montrent bien. Ce d’autant plus que, la plupart des États membres n’avaient pour Code de commerce que celui de 1807. Les dispositions du Code de commerce étaient transposées purement et simplement. Les États membres se retrouvent à appliquer des dispositions censées relever du droit des affaires alors même que le droit civil est leur domaine de rattachement traditionnel. Le droit de l’OHADA étant perçu comme le droit des « activités économiques », les matières qu’il réglemente sont toutes en relation avec la notion de spéculation, de profit. Raison pour laquelle le droit des sûretés qu’il transfère au droit civil national des États membres impose à ce dernier de tenir compte des professionnels, des agents économiques et des activités purement économiques, telles que celles financières ou bancaires de « l’agent des sûretés ». 340. Le droit de l’OHADA par le biais des Actes uniformes fixe le cadre général d’exercice des activités économiques commerciales ou non. Il impose aux États parties un corpus juridique à l’application duquel ils doivent veiller. Ainsi, les États membres dans le cadre de l’application efficace du droit de l’OHADA, légifèrent en vue de réglementer des opérations qui sont concernées par les Actes adoptés. Ce sont en général des opérations et activités économiques. Le droit de l’OHADA amène le droit civil des États membres à tenir compte de l’entreprenant, cette personne physique qui n’est ni commerçante, ni artisan et qui, dans la plupart des hypothèses devrait relever du droit civil. Selon l’AUDCG, « l’entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole »491. L’entreprenant qui exerce une activité de nature civile, agricole ou artisanale devrait en principe relever du droit civil. Cependant, les opérations et activités qu’il mène sont captées par le droit de l’OHADA en raison de sa participation à l’activité économique et donc à son rôle d’acteur économique. Par exemple, l’entreprenant est un acteur économique qui réalise des opérations d’ordre économique. 341. L’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises fixe les seuils qui permettent à l’entreprenant de conserver son statut. Les États parties 491 Article 30 de l’AUDCG. 185 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil interviennent également dans la mesure où ils fixent des limites. « Lorsque, durant deux années consécutives, le chiffre d’affaires de l’entreprenant excède les limites fixées pour ses activités par l’État partie sur le territoire duquel il les exerce, il est tenu, dès le premier jour de l’année suivante et avant la fin du premier trimestre de cette année de respecter toutes les charges et obligations applicables à l’entrepreneur individuel. Dès lors, il perd sa qualité d’entreprenant et ne bénéficie plus de la législation spéciale applicable à l’entreprenant »492. Au cœur du dispositif de l’OHADA, siège la notion « d’économie », qui oriente les 342. interventions du législateur. En consacrant le Groupement d’Intérêt Economique, (G.I.E), qui est « celui qui a pour but exclusif de mettre en œuvre pour une durée déterminée, tous les moyens propres à faciliter ou à développer l’activité économique de ses membres, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité »493. Ici le critère principal n’est pas la commercialité ni des opérations accomplies ni des membres du groupement. Des commerçants ou des non-commerçants peuvent parfaitement créer entre eux un G.I.E qui a cela de particulier qu’il se trouve à la frontière de la société et de l’association. Pour la plupart des États membres de l’OHADA, le G.I.E constitue une belle alternative à la constitution de groupes de sociétés qui s’avère plus onéreuse. En Côte d’Ivoire les programmes d’envergure du gouvernement en matière d’entrepreneuriat prennent la forme de G.I.E. Dans la mouvance, un Programme National d’amorçage a été élaboré et logé à l’Institut National Ivoirien de l’Entreprise (INIE) depuis 2015. Ce programme est constitué sous la forme d’un G.I.E et regroupe des structures diverses qui œuvrent pour l’exercice d’activités agricoles. 2. La réglementation d’opérations mixtes 343. L’option en faveur d’opérations à caractère mixte. Le droit de l’OHADA, c’est aussi et surtout la réglementation d’opérations mixtes, à cheval entre le droit civil et le droit commercial. L’on peut d’emblée citer le bail à usage professionnel qui s’applique selon ce qu’il ressort de la lecture combinée des articles 101 et 102 de l’AUDCG aux locaux ou immeubles à usage commercial, industriel, artisanal, ou à tout autre usage professionnel, ainsi qu’aux locaux accessoires dépendant d’un local ou d’un immeuble à usage commercial, industriel, artisanal ou à tout autre usage professionnel. Que faut-il retenir de ces dispositions ? Le bail tel que réglementé en droit civil national est un contrat entre particuliers 492 Article 30 nouveau alinéa 3 de l’AUDCG. 493 Article 869 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. 186 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil qui relève exclusivement du droit civil. L’avènement du droit de l’OHADA et du bail à usage professionnel change les données. Le champ d’application du bail à usage professionnel s’étend clairement au-delà des frontières aussi bien du droit civil que du droit commercial, puisqu’il inclut l’artisan qui a un statut particulier. En effet, il a longtemps été considéré comme relevant exclusivement du droit civil, mais son régime a connu des transformations qui le rapprochent de celui des commerçants. Ainsi, le droit civil des États membres se voit quelque peu contraint d’intégrer ce nouveau contrat dans son ordonnancement juridique. 344. Le droit de l’OHADA réglemente les procédures collectives auxquelles les entreprises peuvent être amenées à faire face. Le champ d’application de ces procédures dénote bien d’une mixité en raison des diverses hypothèses couvertes. Les procédures collectives peuvent être afférentes à des opérations et contrats qui mettent en jeu des sommes et des biens importants et dont la nature est mixte. Le leasing ou le crédit-bail fait partie de ces contrats que l’on pourrait présenter comme étant mixte car pouvant revêtir une nature civile ou commerciale. Ce qui a amené les États membres qui ont légiféré sur la question à en retenir une approche simple : la reconnaissance d’un caractère professionnel au contrat de leasing. Le parlement ivoirien a adopté une loi portant organisation du crédit-bail494 dont l’article 2 précise que « le crédit-bail est toute opération de location de biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels à usage professionnel, en vue de cette location par une entreprise qui en demeure propriétaire ». Et en cas de procédures collectives, précisément de redressement judiciaire ou de liquidation des biens du crédit-preneur, le syndic peut, dans les soixante jours de la date de sa désignation, choisir de continuer le contrat de crédit-bail dans les conditions convenues, ou d’y mettre fin495. Ainsi, le législateur de l’OHADA en évoquant le crédit-bail, aussi bien du point de vue des procédures collectives, que de celui des inscriptions au Registre de Commerce et du Crédit Mobilier a orienté l’œuvre du législateur ivoirien. 345. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Économique s’applique à toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou une personne morale de droit public est associé. Il s’applique aux sociétés dites d’économie mixte dont le capital est partiellement détenu d’une part, par l’État, les collectivités publiques décentralisées ou des sociétés à capital public, et d’autre part, par des personnes morales ou 494 Loi n°2015-905 du 30 décembre 2015 portant organisation du crédit-bail, publié au numéro spécial du Journal Officiel n°2 du 8 janvier 2016. 495 Article 46 de la Loi portant organisation du crédit-bail. 187 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil physiques de droit privé. La présence de l’État ou d’une personne morale de droit public dans l’une des formes de sociétés commerciales définies par la loi, n’affecte en rien la nature commerciale de la Société qui est régie par l’Acte uniforme. Les États membres doivent adopter des textes nationaux spécifiques pour tenir compte de l’origine publique du capital, mais ces textes devront être conformes à l’Acte uniforme et ne pas s’opposer à son application. B. La prise en compte de la situation économique 346. La solvabilité (1), indicateur par excellence de la situation économique d’une entreprise, est mise en avant. Les obligations comptables sont généralisées (2) afin de mettre l’accent sur leur caractère essentiel dans la conduite d’une activité économique. 1. La solvabilité 347. Le besoin de sécurisation des opérations. Les relations d’affaires sont fondées sur des exigences propres au monde des affaires. Le droit des affaires étant par principe dérogatoire au droit commun, il présente des particularités. Il s’agit notamment des exigences de rapidité et de simplicité des opérations d’affaires, l’exigence de sécurité, de technicité et de confiance mutuelle. Les hommes d’affaires sont amenés à investir ou à entrer en négociation dans un délai assez court puisque c’est à qui saisit la meilleure opportunité. De même, le formalisme est allégé en la matière pour éviter des contraintes inutiles qui pourraient nuire aux affaires. Le droit de l’OHADA a mis un point d’honneur à satisfaire les exigences de rapidité et de simplicité des opérations d’affaires. En promouvant l’arbitrage comme mode de règlement des litiges, le législateur de l’OHADA offre aux investisseurs un moyen rapide de résoudre les conflits. Aussi, offre-t-il la possibilité de constituer une société en un délai défiant toute concurrence. L’OHADA a été à l’origine de la création au sein des États membres d’un guichet unique qui permet la création d’une société en seulement deux (2) jours. 348. Parlant de l’exigence de sécurité, elle est loin d’être superfétatoire dans le sens où les relations d’affaires peuvent mobiliser des fonds importants et engager plusieurs personnes suivant le type de convention. De plus, l’activité économique est un cycle, comportant plusieurs étapes de la production à la distribution. Il suffit qu’un problème survienne dans un maillon de la chaîne, qu’un délai de paiement, d’exécution ne soit pas respecté, pour que l’opération soit mise en péril. Le corollaire de l’exigence de sécurité est l’exigence de 188 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil technicité, qui contribue à sécuriser les opérations économiques. Il n’est pas rare que des montages complexes soient réalisés dans le cadre de la pratique des affaires. Ainsi, aux règles d’exécution, est adjointe l’intervention de praticiens avérés, de spécialistes des questions concernées pour réduire le risque que représente la prise de la décision d’investir. Les Actes uniformes organisent les modalités d’exécution des obligations des parties et leurs prérogatives. Il est clair que la décision d’intégrer dans le champ d’harmonisation, les contrats de franchise et le crédit-bail, renforcera la sécurité juridique. 349. La confiance mutuelle est indispensable dans la bonne conduite d’une relation d’affaires. Dès lors que l’on est amené à s’engager dans un délai assez court, il est important de susciter la confiance de notre interlocuteur et de pouvoir lui faire confiance à notre tour. La conclusion et l’exécution des conventions de bonne foi, ainsi que le recours spontané à l’arbitrage ou à la transaction, témoignent de la place accordée à la confiance. À la lecture des Actes uniformes, il apparaît qu’en élaborant un Acte uniforme portant organisation des sûretés, le législateur a entendu mettre à la disposition des praticiens des affaires, les garanties nécessaires. Ne seraitce qu’au regard des exigences requises pour la constitution de ces garanties : les conditions de forme et de fond notamment. 350. L’exigence de solvabilité. Un autre élément qui témoigne de l’importance accordée aux exigences de l’activité économique, c’est bien l’exigence de la solvabilité. D’un point de vue juridique, la solvabilité « est la situation dans laquelle se trouve une personne physique ou morale dont la trésorerie est en mesure de faire face aux dettes qu’elle a contractées dès lors qu’elles sont devenues liquides et exigibles »496. Il revient au juge d’apprécier et de déduire le caractère notoire de l’insolvabilité497. D’un point de vue économique, la solvabilité traduit l’aptitude de l’entreprise à faire face à ses engagements en cas de liquidation, c’est-à-dire d’arrêt de l’exploitation et de mise en vente des actifs. Une entreprise peut donc être considérée comme insolvable dès lors que ses capitaux propres sont négatifs498. Il est impossible de bénéficier de garanties de la part d’une personne physique ou morale en situation d’insolvabilité encore moins d’obtenir d’elle, l’exécution de ses obligations de paiement. Raison pour laquelle « la caution doit présenter des garanties de solvabilité 496 [http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/insolvable.php]. 497 Cass., Ch. Com., 29 septembre 2015, n°14-18979, BICC n°836 du 15 février 2016. 498 [http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_solvabilite.html]. 189 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil appréciées en tenant compte de tous les éléments de son patrimoine »499. Les procédures collectives d’apurement du passif ne sont ouvertes qu’après appréciation de la situation économique du débiteur500. 2. La généralisation des obligations comptables 351. Les normes comptables et les exigences comptables. L’exercice de toute activité économique, met à la charge de celui qui l’exerce, un minimum d’obligations comptables qui concourent au suivi de l’évolution de celle-ci et à l’information des éventuels partenaires ou créanciers. La mondialisation des échanges exige l’harmonisation des normes comptables internationales. Aujourd’hui sont appliquées les normes IAS/IFRS, qui visent « la convergence entre système américain, les normes US Gaap, « principes américains de comptabilité généralement acceptés » et le système international IASB. L’Union européenne a adopté le 29 septembre 2003 les normes internationales IAS, devenues depuis juin 2003 IFRS pour International Financial Reporting Standards) » 501. Les normes IAS-IFRS s’inscrivent dans les grands principes des plans comptables. 352. La réglementation comptable en droit de l’OHADA. Prenant part à la mondialisation des échanges et souhaitant faire de l’Afrique un nouveau pôle de développement, l’OHADA a adopté un Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises. Bien que n’étant pas encore mise en conformité avec les normes IFRS, le droit comptable de l’OHADA « comporte l’ensemble de la réglementation comptable jugée adaptée à la situation des entreprises de l’espace et à l’évolution des techniques comptables ; il forme un ensemble cohérent et indissociable comprenant le dispositif juridique, le dispositif comptable, le plan de fonctionnement des comptes, les approfondissements techniques, la comptabilité des trésoreries »502. L’Acte uniforme généralise l’obligation de tenir une comptabilité. En effet, selon l’article 1er « toute entreprise au sens de l’article 2 ci-après doit 499 Article 15 alinéa 1 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés. 500 La mise en œuvre des différentes procédures est articulée autour de la notion de « cessation des paiements ». 501 [http://www.chefdentreprise.com/Definitions-Glossaire/normes-comptables-internationales-IAS-IFRSnouvelles--240084.htm#bVxAt4AQYqkyhUr1.97]. 502 R. NEMEDEU, « Une présentation critique de l’Acte Uniforme OHADA du 24 Mars 2000, portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises par rapport au plan OCAM-CEMAC », Jurispériodique, n°58, avr-juin 2004, p. 95. 190 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil mettre en place une comptabilité destinée à l’information externe comme à son propre usage (…) » 503. L’article 3 de poursuivre en précisant que, « la comptabilité doit satisfaire, dans le respect de la règle de prudence, aux obligations de régularité, de sincérité et de transparence inhérentes à la tenue, au contrôle, à la présentation et à la communication des informations qu’elle a traitées »504. 353. Sont concernées par ces obligations comptables les entreprises quelle que soit leur nature, les coopératives et, plus généralement, les entités produisant des biens et services marchands ou non marchands, « dans la mesure où elles exercent, dans un but lucratif ou non, les activités économiques à titre principal ou accessoire qui se fondent sur des actes répétitifs, à l’exception de celles soumises aux règles de la comptabilité publique » 505. Il apparaît sans aucun doute que le critère principal de la soumission à l’obligation de tenue d’une comptabilité est l’exercice d’une activité économique. Cette conception assez universaliste des débiteurs de l’obligation susmentionnée, répond au besoin d’une meilleure observation des opérations économiques de l’entreprise et du secteur productif. Ainsi, le secteur informel qui parvenait à se soustraire parfaitement, n’échappe plus aux radars, du moins n’y parvient qu’à moindre échelle. De plus, les établissements financiers, les banques et les compagnies d’assurance bien qu’étant assujettis à des plans comptables spécifiques, se voient appliquer les autres aspects de l’Acte uniforme. 354. Le rôle assigné à la comptabilité est énoncé par l’article 14 de l’Acte uniforme. Il ressort de ce texte, qu’elle doit servir à la fois d’instrument de mesure des droits et obligations des partenaires de l’entreprise, de moyen de preuve, d’information des tiers et de gestion. Le système de l’OHADA met à la charge des opérateurs économiques des exigences de prudence506, régularité507, sincérité508 et transparence509 dans le but d’assurer l’authenticité des 503 Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, du 24 mars 2000, J.O n° 10. Avant l’adoption de l’Acte uniforme, les référentiels comptables en vigueur étaient hétérogènes, au moins cinq référentiels comptables s’appliquaient : les deux plans comptables français de 1957 et 1982 et les trois adaptations du Plan OCAM (Organisation Commune Africaine, Malgache et Mauricienne). 504 Article 3 de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière. 505 Confère article 2 de l’Acte uniforme. 506 Le principe de la prudence commande une appréciation raisonnable des événements et des opérations à enregistrer afin d’éviter de transférer sur l’avenir des risques actuels. 507 Le principe de régularité Le principe comptable de régularité correspond au respect des dispositions législatives et réglementaires en matière de techniques comptables. 191 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil écritures. Exigences qui sont de nature à contribuer à l’amélioration du climat des affaires. Les États financiers des entreprises reflètent l’image fidèle des comptes, leur situation financière, leur résultat et renforcent la confiance qui est une valeur essentielle dans le monde des affaires. Non sans oublier qu’une comptabilité régulièrement tenue peut-être admise en justice en qualité de preuve510. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage réunie en Assemblée plénière a, par son arrêt du 27 avril 2015, cassé l’arrêt rendu le 19 juillet 2006 par la Cour d’appel de Bamako. Cour d’appel qui, en refusant d’admettre les livres comptables pour établir l’existence d’une créance, a méconnu les dispositions de l’Acte uniforme relatif à la comptabilité511. La comptabilité est un puissant outil de contrôle interne et externe à l’entreprise donc un outil de réduction des risques. Dans un contexte de sécurisation des investissements, l’information comptable permet de répondre aux attentes des différents acteurs : les partenaires commerciaux et les financiers. Pour les fournisseurs, il est impérieux de s’assurer de la solvabilité de l’entreprise avant tout et la clientèle souhaite être rassurée concernant la pérennité. Les actions des partenaires financiers sont guidées par un objectif de rentabilité. 355. Les obligations déclaratives au sein des Actes uniformes. Les autres Actes uniformes également mettent l’accent sur les obligations déclaratives qui pèsent sur les opérateurs 508 Le principe de sincérité correspond à l’idée selon laquelle les résultats comptables de l’entreprise doivent pleinement traduire la réalité de sa situation économique La mise en œuvre du principe de transparence permet à l’entreprise de donner une présentation claire et loyale de l’information. 509 510 Article 67 de l’Acte uniforme relatif au droit comptable. 511 CCJA, Arrêt n°038/2015 du 27 avril 2015, Affaire Banque de l’Habitat du Mali (BHM SA) contre Société West African Investment (WAIC SA). La Banque de l’Habitat du Mali dite BHM SA était en relations avec la société WAIC SA. Les comptes ouverts par WAIC SA dans les livres de la banque laissaient apparaître un solde débiteur de 5.654.216.799 FCFA, attesté par des extraits de comptes de cette société. Pour se prémunir contre l’insolvabilité de WAIC, la BHM S.A. sollicitait et obtenait du Président du Tribunal de la Commune IV de Bamako une ordonnance n°342, en date du 10 juin 2005, l’autorisant à prendre une inscription hypothécaire provisoire sur des biens immeubles, objet des titres fonciers n°60 et 63, appartenant à son débiteur. La cour d’appel de Bamako, pour refuser la validation de l’inscription hypothécaire provisoire, énonce que « l’hypothèque est une sûreté réservée au créancier », « qu’il ne figure au dossier aucune convention de prêt indiquant la hauteur des engagements pris de part et d’autre » et « qu’au stade actuel, la certitude et l’exigibilité de la créance de la BHM SA ne sont pas prouvées ». Alors que selon la C..C.J.A, « les extraits des livres comptables de la BHM versés au dossier font apparaitre un solde débiteur net de 5.654.216.799 FCFA à l’encontre de la société WAIC SA ; en statuant ainsi, alors que suivant l’article 68 de l’Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, « la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour servir de preuve entre les entreprises pour faits de commerce ou autres… », la cour d’appel a violé les dispositions de l’article susvisé et fait encourir la cassation à sa décision ». 192 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil économiques. L’Acte uniforme portant droit commercial général met à la charge du commerçant, « l’obligation de tenir tous les livres de commerce conformément aux dispositions de l’Acte uniforme relatif à l’organisation et à l’harmonisation des comptabilités des entreprises »512. Les livres comptables dont la tenue est obligatoire sont le livre-journal, dans lequel sont inscrits les mouvements de l’exercice enregistrés en comptabilité, dans les conditions exposées au paragraphe 4 de l’article. Le grand livre, constitué par l’ensemble des comptes de l’entreprise, où sont reportés ou inscrits simultanément au journal, compte par compte, les différents mouvements de l’exercice. La balance générale des comptes, état récapitulatif qui fait apparaître, à la clôture de l’exercice, pour chaque compte, le solde débiteur ou le solde créditeur, à l’ouverture de l’exercice, notamment le cumul depuis l’ouverture de l’exercice des mouvements débiteurs et le cumul des mouvements créditeurs. Le livre d’inventaire, sur lequel sont reportés le Bilan et le Compte de résultat de chaque exercice. Cependant, les entreprises relevant du système minimal de trésorerie, ne sont astreintes qu’à la tenue d’une simple comptabilité de trésorerie, pour laquelle est obligatoire la tenue d’un livre de recettes-dépenses et le grand livre. Le droit civil national des États membres a été dénaturé. Il emprunte les caractères du droit économique, sous l’impulsion du droit de l’OHADA. Le constat est celui de la prévalence de l’économie, de la préférence affirmée pour les acteurs et activités économiques. La mutation du droit civil national, emporte réglementation d’activités, opérations purement économiques et la prise en compte de la situation économique. 512 Article 13 de l’AUDCG. 193 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 356. Les Etats membres ont dû se résoudre à accueillir le système juridique OHADA en leur sein, entrainant ainsi des mutations d’ordre structurel de leur droit commun national. Désormais, le droit national en coexistant avec le droit communautaire, emprunte ses caractéristiques, notamment la mixité. Il entame ainsi sa transformation en un droit économique, un droit hybride. Un droit qui met en avant les notions et concepts relatifs à l’économie et à l’activité économique. A titre d’exemple, l’entreprise est plébiscitée et centralise l’attention au niveau national. 194 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 2. LES MUTATIONS DU DROIT SUBSTANTIEL EN VIGUEUR AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES 357. Les États membres de l’OHADA avaient dans leur majorité, conservé l’héritage colonial en matière juridique. Les textes étaient obsolètes, peu conformes aux exigences de la mondialisation, de l’intensification des échanges à grande échelle. Les Actes uniformes et les règlements de l’OHADA ont su contribuer à l’amélioration du droit commun national. Aussi bien du point de vue de la théorie générale des obligations (Section 1) que de celui du droit des garanties et de la procédure (Section 2). Section 1. Les apports de l’OHADA à la théorie générale des obligations 358. Le droit de l’OHADA a permis l’adaptation du dispositif contractuel des États membres. Les apports concernent la formation et l’interprétation du contrat (§ 1). Ils concernent également l’exécution du contrat (§ 2). § 1. Les apports en matière de formation et d’interprétation du contrat 359. Il convient de s’intéresser à la formation du contrat (A) et à l’interprétation du contrat (B), tel que le dispositif juridique de l’OHADA les a influencés. A. La formation du contrat 360. C’est dans l’approche conceptuelle du contrat (1) et les règles gouvernant la formation du contrat (2) que les apports doivent être recherchés. 1. L’approche conceptuelle du contrat 361. Origine de la théorie du contrat. La théorie du contrat telle que connue est « consensualiste ». « Accord de volontés de deux, voire plusieurs individus ayant pour objet la création, le transfert, ou l’extinction des droits, le contrat est une source de droit qui se suffit à elle-même en ce que les droits créés ou modifiés seront ceux que les parties ont librement déterminés » 513. Aussi bien la famille romano germanique, au sein de laquelle prépondérance 513 H. BATIFFOL, « La crise du contrat et sa portée », in Arch. Phil. dr., Tome XIII, sur les notions du contrat, SIREY, Paris, 1968, p. 13. V° sur l’origine du consensualisme, M. VILLEY, « Historique à l’étude des notions de contrat », in Arch. phil. dr, Tome XIII, sur les notions du contrat, SIREY, Paris, 1968, p. 3. Selon l’auteur les inspirateurs de notre théorie du contrat sortent d’un cercle de philosophes attachés à la science moderne tels Hobbes avec son Léviathan qui retourne la politique d’Aristote ou Locke qui reste dans sa lignée. Le point de départ c’est tout d’abord l’homme seul, Robinson, un individu séparé, dépourvu de tout lien juridique. Il faudra 195 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil est accordée à la loi, que la famille de Common law formée par les juges, ont une approche consensuelle du contrat. Les deux systèmes de droit s’accordent sur la nécessité d’obtenir un consensus. Un contrat anglais sera soumis à trois éléments qui sont l’accord, l’intention d’être lié et la notion de consideration. Aux États unis également, la primauté est accordée au consentement514. 362. Contrat d’adhésion et crise du consensualisme. Le contrat relève de la catégorie des actes juridiques par opposition aux faits juridiques. Acte juridique que la doctrine s’accorde à définir comme « l’acte qui suppose une manifestation de volonté en vue de réaliser certains effets de droit, tels que l’acquisition, la transmission, la modification ou l’extinction d’un droit »515. La volonté, le consentement, sont les fondements de l’opération contractuelle. Que penser de l’existence des contrats dits d’adhésion ? Des contrats qui laissent penser à un déclin de la liberté contractuelle et à une crise du consensualisme. Selon l’article 1110 alinéa 2 du Code civil français, « le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties »516. Le contrat d’adhésion serait un contrat imposé, qui nécessite une protection spécifique de la partie qui n’a pas pu le négocier. Mais une telle assertion doit être nuancée, car « il semble qu’il y ait toujours, dans tout contrat, à un moment quelconque, une part d’adhésion, si minime soit-elle, comme il y a une part d’aléa ou une part d’affectio societatis. La liberté de vouloir ne disparaît pas non seulement parce que la volonté de l’un des contractants tend, à l’issue d’un processus plus ou moins long, à faire la loi, mais aussi parce que la volonté de l’autre tend à réagir » 517. En tout état de cause, l’équilibre de tels contrats peut être rétabli. Comme le précise à raison le Professeur Nathalie BLANC, le juge ne peut pas véritablement rétablir l’équilibre que les institutions sociales naissent de la volonté de cet homme, plus exactement de la rencontre de volontés individuelles, du consentement. 514 Selon le « Restatement Second, Contracts, section 1 », « a contract is a promise or set of promises for the breach of which the law gives a remedy, or the performance of which the law in some way recognizes the duty , entendons par là qu’« un contrat est une promesse ou un ensemble de promesses, dont le non-accomplissement est légalement puni par une sanction ou dont l’exécution est garantie par la loi ». 515 H. LEVY-BRUHL, Aspects sociologiques du droit, Paris, 1955, pp. 97 et s. 516 La modification du texte est le fait de l’article 16 de la Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 de l’Ordonnance 2016-131 du 10 février 2016. 517 F. TERRE, « Sur la sociologie juridique du contrat », in Arch. Phil. dr., t. XIII, sur les notions du contrat, Paris, SIREY, pp. 79-80. 196 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil économique du contrat, mais rechercher un certain équilibre du contrat518. Elle rappelle que, si le texte principal est l’article 1171 du Code civil en matière, d’autres textes à l’instar des articles 1170519, 1143520 et 1231-5521 du Code civil français, ont également pour but de rétablir un certain équilibre. Ainsi, l’article 1171 du Code civil522 offre une protection à la partie la plus faible en disposant que : « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, est réputée non écrite ». Les clauses abusives sont évitées grâce à cette disposition du Code civil. Il est évident que les contrats relevant d’un régime spécial sont exclus du champ d’application de cet article et que les seules clauses susceptibles d’être éradiquées sont celles non négociables. Les clauses principales ne sont pas concernées. 363. Et c’est au Code civil que référence doit être faite concernant la définition textuelle du contrat. L’article 1101 nouveau du Code civil français dispose que « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations »523. De cette définition, deux notions essentielles retiennent l’attention : l’accord de volontés et les obligations. La définition retenue pour l’accord de volontés est celle de la convention, qui est un acte marqué par la volonté des parties agissant en toute connaissance de cause et en toute liberté. L’obligation est une notion très importante en droit, mais pas uniquement. Elle joue un rôle essentiel dans la vie courante, les activités économiques et des notions proches du droit telles que la religion, la morale. Si bien que l’obligation est perçue suivant trois acceptions différentes. L’obligation est définie au sens 518 N. BLANC, « l’équilibre du contrat d’adhésion », in Colloque sur le Contrat d’adhésion : délimitation et implications, 14 déc., 2018, Maison des sciences de l’Homme, Paris Nord, (sous. Dir.) Professeur Anne ETIENNEY de SAINTE MARIE. 519 L’article 1170 du Code civil français dispose que : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». 520 Selon l’article 1143 du Code civil, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». 521 Ce texte traite des clauses pénales. 522 Code civil français. 523 Les États membres continuent pour la majorité d’entre eux d’appliquer l’ancienne version du Code civil français étant donné que leurs différents Codes civils en sont la transposition. Ces pays n’ont pas suivi l’évolution du droit civil français. 197 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil général, au sens financier et au sens juridique. Par obligation, il faut tout d’abord entendre dans le langage courant, « le devoir » c’est-à-dire des prescriptions légales, réglementaires, ou morales qui imposent un devoir à une personne mais pas au sens juridique. Ensuite, l’obligation désigne du point de vue financier, le titre, l’acte écrit qui constate une dette. Ce sens n’est pas très éloigné de celui juridique, en raison de l’idée d’engagement qui en ressort. Enfin, au sens juridique du terme, l’obligation désigne le lien de droit par lequel une ou plusieurs, le ou les débiteurs, sont tenues d’une prestation envers une ou plusieurs autres, le ou les créanciers. C’est également le rapport juridique entre créancier et débiteur, c’est-à-dire le lien de droit qui unit l’un à l’autre524. 364. Les caractères de l’obligation. Trois caractères sont reconnus à l’obligation, à savoir les caractères obligatoires, personnel et patrimonial. En vertu de son caractère obligatoire, le débiteur est tenu d’exécuter l’obligation à laquelle il a souscrit au risque de s’en voir exiger l’exécution par une action en justice. Cela n’est vrai que pour les obligations civiles, celles qui sont naturelles ne sont pas assorties de sanction et ne contraignent qu’en conscience525 . Même s’il est indéniable que la nature de l’obligation n’est pas immuable. L’obligation naturelle peut se muer en obligation civile lorsque le débiteur notamment, prend l’engagement de la payer. « L’engagement unilatéral permet d’opérer la transformation d’une obligation naturelle en obligation civile » 526. De plus, l’obligation est personnelle à celui qui l’a souscrite et de ce fait intransmissible même si en réalité les différentes hypothèses de cession ou de délégation sont organisées par la loi. Le principe veut que l’obligation ait un caractère patrimonial, qu’elle soit évaluable en argent et soit une composante du patrimoine. L’obligation se décline en obligation de donner, de faire ou de ne pas faire527. La notion d’obligation est essentielle en droit civil, mais l’est encore plus en droit des affaires, domaine dans lequel les relations se font et se défont au gré des conventions, accords et intérêts. 365. Le droit de l’OHADA et le droit des obligations. Le droit de l’OHADA s’intéresse de très près à l’aspect conventionnel des relations d’affaires et aux obligations qui les fondent, au 524 G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Dalloz, Coll. « Bibl. thèses », vol. 116, 2012, préf. F. LEDUC. 525 Cass. Civ, 1ère, 14 février 1978, n° 76-11.428. 526 F. GENY, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, Tome II., Paris, L.G.D.J, 1964, p. 164. 527 Pour les développements sur la question V. Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, M. MEKKI, Droit des obligations, 14e éd., Paris, LexisNexis, 2017, pp.6. et s. V. également Ph. DELEBECQUE, F.-J. PANSIER, Droit des obligations : Régime général, 7e éd., Paris, LexisNexis, Coll. objectif droit, 2015, pp.7 et s. 198 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil regard de ses dispositions. La plupart des Actes uniformes évoquent ou traitent de contrats, de conventions ou autres actes juridiques. Le droit des obligations est au cœur du dispositif de l’OHADA, si bien que l’on se demande si l’on n’assiste pas à l’émergence d’une véritable théorie des obligations de l’OHADA. Les textes communautaires ont été d’un apport considérable au droit des obligations des États membres, qui sont encore marqués dans une certaine mesure par l’oralité. Le droit des contrats demeure sous l’égide du droit civil dans les États membres. Il est cependant indéniable que le droit de l’OHADA, présenté comme un droit des affaires, a fortement influencé celui-ci que ce soit, du point de vue de la formation, que de celui de l’interprétation. 2. Les règles gouvernant la formation du contrat 366. La rencontre de l’offre et de l’acceptation, condition de formation du contrat. Selon l’article 1113 nouveau du Code civil français, « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles, les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur »528. Les États membres de l’OHADA, lorsqu’ils n’éludent pas la question, l’abordent de manière peu satisfaisante529. L’Acte uniforme portant droit commercial général est plus précis, en ce qu’il énonce les caractères que doit revêtir une proposition pour être qualifiée d’offre et l’hypothèse contraire. La proposition de contracter qui n’a pas les caractères d’une offre, entre dans la catégorie des pourparlers. Et c’est dans l’article 241530 de l’Acte uniforme qu’il faut rechercher ces détails qui viennent enrichir le droit des États membres, tant il est vrai que ces développements étaient l’œuvre de la doctrine. L’article 1582 du Code civil 528 Article issu de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. 529 Les Codes civils du Burkina, du Togo, de la Côte d’Ivoire, des Comores, du Cameroun, de la Guinée n’évoquent pas la question de l’offre et de l’acceptation. Le nouveau Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal prévoit en son article 78 que « le contrat se forme par une offre ou sollicitation, suivie d’une acceptation ». 530 Article 241 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général : Le contrat se conclut soit par l’acceptation d’une offre, soit par un comportement des parties qui indique suffisamment leur accord. Une offre est suffisamment précise lorsqu’elle désigne les marchandises et, expressément ou implicitement, fixe la quantité et le prix ou donne les indications permettant de les déterminer. Une proposition de conclure un contrat, adressée à une ou plusieurs personnes déterminées, constitue une offre si elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. Une proposition adressée à des personnes indéterminées est considérée seulement comme une invitation à l’offre, à moins que la personne qui a fait la proposition n’ait clairement indiqué le contraire. 199 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil ivoirien parle de vente sans en préciser la nature. Puisque « Specialia generalibus derogant », et que les prescriptions de l’article 241 de l’AUDCG restent assez générales et viennent se substituer ou s’adjoindre aux dispositions nationales, le droit civil national gagne en clarté. Aussi, « la plupart des systèmes juridiques des États de l’espace OHADA en étaient-ils restés à la vente telle qu’elle était conçue et organisée par le Code civil français en 1804, c’est-à-dire pour constituer un droit commun de la vente (et non spécialement celle des marchandises) largement dépassé et inadapté au monde actuel » 531. La vente est un contrat usuel, un contrat nommé, un contrat spécial tel que défini par le Code civil. À l’origine, « le droit des obligations contractuelles est, pour l’essentiel, un droit des contrats spéciaux. Le droit romain classique connaît et organise un certain nombre de contrats, mais n’admet pas l’existence du contrat en tant que tel. Tout au long du XIXe siècle et pendant une bonne partie du XXe, le droit contractuel s’articule principalement sur ce qu’il est convenu d’appeler, la théorie générale des obligations » 532. Les dispositions de l’AUDCG viendraient enrichir le droit civil national des États membres en définissant de manière précise les notions essentielles à la formation d’un contrat et leur régime juridique. 367. Les avant-contrats. La formation du contrat en tant que telle est souvent précédée de négociations, de discussions, d’échanges qui prennent la forme d’avant-contrats et qui couvrent la phase dite précontractuelle. Le pacte de préférence, la promesse unilatérale et la promesse synallagmatique sont destinés à la conclusion du contrat définitif. Des effets de droit leur sont attachés tels que des sanctions en cas de violation. Le pacte de préférence est défini comme le contrat par lequel une personne s’engage envers une autre qui accepte, à ne pas conclure avec des tiers un contrat déterminé, avant de lui en avoir proposé la conclusion aux mêmes conditions533. Son non-respect a pour conséquence, une exécution forcée en faveur de la partie qui aurait dû se voir proposé le contrat en priorité sous certaines conditions534. La promesse unilatérale est définie selon l’article 1124 alinéa 1 du Code civil français, comme un « contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter 531 J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA : Apports et emprunts », [www.ohada.com]., OHADATA- D-12-08. 532 F. COLLART-DUTILLEUL, Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Paris, éd. DALLOZ, Coll. Précis droit privé, 2019, n°4, p.6. 533 F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Les obligations, op.cit., n° 260, p. 291, en référence à l’article 1123 du Code civil français. 534 Cass, Ch. Mixte, 26 mai 2006, Bull. civ. mixte, n°4, Dalloz 2006, p. 1861. 200 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ». L’alinéa 3 précise que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ». 368. Avant la réforme intervenue en droit français, la violation de la promesse n’était sanctionnée que par l’allocation de dommages-intérêts. Une promesse synallagmatique de contrat est conclue par deux personnes qui s’engagent chacune à passer ultérieurement un contrat dont les éléments essentiels sont définis. L’accomplissement d’une formalité supplémentaire dans l’avenir est prévu par les parties535. La promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix selon l’article 1589 du Code civil français. Si le droit français a réglementé les avant-contrats, au sein des États membres, cette phase précontractuelle est source d’incertitudes pour les parties. Le législateur de l’OHADA a procédé à l’encadrement de cette phase en posant le principe de la possibilité d’accords partiels, la liberté de rupture des négociations et la possibilité de poursuite en dommages-intérêts en cas d’abus536. L’instauration de ce cadre général donne matière aux États membres de s’en servir de fondement pour établir des règles adaptées non pas exclusivement à la vente commerciale. Ainsi, la sécurité juridique serait renforcée dès la phase précontractuelle et le cadre juridique des investissements, renforcé. 369. Les contrats entre absents ou par correspondance. Les apports concernent également les contrats entre absents ou par correspondance, pour lesquelles s’affrontent les adeptes de la théorie de l’émission et ceux de la théorie de la réception. En réalité, il n’y avait pas de consécration textuelle, mais de nombreux arrêts semblaient avoir opté pour la théorie de l’émission. Suivant la théorie de l’émission, le contrat doit être considéré comme conclu dès l’émission de l’acceptation, plus précisément au moment où la lettre d’acceptation est expédiée. L’avantage reconnu à cette théorie est de faire remonter la date de conclusion du contrat au moment où l’offrant se dessaisit de sa lettre et se retrouve obligé d’assumer la responsabilité de son choix de faire une proposition. 535 D. MARTIN, « des promesses précontractuelles », Etudes offertes à Jacques BEGUIN, Paris, Litec, 2005, p. 485. 536 L’article 249 de l’AUDCG dispose que « Les parties sont libres de négocier et ne peuvent être tenues pour responsables si elles ne parviennent pas à un accord. Toutefois, la partie qui conduit ou rompt une négociation de mauvaise foi est responsable du préjudice qu’elle cause à l’autre partie. Est, notamment, de mauvaise foi la partie qui entame ou poursuit des négociations sans intention de parvenir à un accord ». 201 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 370. À l’opposé, la théorie de la réception exige que l’offrant ait connu l’acceptation pour que le contrat soit conclu. Le contrat est formé lorsque l’acceptation est reçue par l’offrant. Les États membres de l’OHADA de tradition civiliste ont semble-t-il majoritairement, à l’image du droit français537, retenu la théorie de l’émission538. Mais la réforme du droit des contrats entré en vigueur en France le 1er octobre 2016, a résolu la question en retenant expressément la théorie de la réception. « Le contrat est parfait dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Il est réputé l’être au lieu où l’acceptation est parvenue »539. Le législateur de l’OHADA n’a fait que suivre cette évolution, en consacrant ladite théorie qu’il tient de la Convention des Nations unies sur les Contrats de Vente Internationale de Marchandises (CVIM). L’option pour la théorie de la réception pour les États membres serait avantageuse pour les États membres en ce qu’elle est très protectrice du consommateur. Par exemple, la théorie de la réception permet la rétractation de l’offre dans un délai plus long. Le moment du transfert de propriété et du transfert des risques liés au moment de la conclusion du contrat, est également différé en faveur de l’une des parties. En tout état de cause, l’option en faveur de la théorie de la réception, avec le délai accordé aux parties, serait un moyen pour les pays membres de l’OHADA, de garantir la réalité du consentement des parties. En l’absence540 de textes au sein du droit interne pour réglementer la formation des contrats entre absents, les dispositions du droit de l’OHADA trouvent indéniablement application dans un cadre extensif. B. L’interprétation des contrats 371. La notion d’interprétation du contrat, à l’origine d’un vaste contentieux, est essentielle. Elle mérite d’être précisée (1) tout comme les modalités d’interprétation du contrat (2). 537 Des hésitations jurisprudentielles sont à relever en droit français, avec l’adoption de la théorie de l’émission dès 1932, le retour à ladite théorie en 1981 et avec un arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 septembre 2014, un apparent abandon de la théorie de l’émission. 538 Le Sénégal par exemple, retient la théorie de la réception en vertu de l’article 82 du Code des Obligations civiles et commerciales. 539 Article 1121 du Code civil français. 540 Seul le législateur sénégalais a opéré une avancée notable en insérant dans son Code des Obligations Civiles et Commerciales, à l’article 81, des dispositions spécifiques aux contrats entre absents ou éloignés d’un point de vue géographique et qui ne disposent que de correspondances pour la formation du lien contractuel. 202 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. La notion d’interprétation des contrats 372. Présentation. La volonté des parties n’est pas toujours intelligible. Ce qui peut être préjudiciable à l’exécution du contrat. Exécution qui est liée à la connaissance par chaque partie de ses obligations, dont il faut déterminer le sens, l’objet, la portée. L’interprétation est une opération intellectuelle par laquelle une signification claire est attribuée à quelque chose. L’interprétation est inhérente au droit puisque « le plus ancien nom qu’ait à Rome porté le juriste […] est précisément celui d’interpres »541. L’interprétation juridique désigne une opération qui consiste à discerner le véritable sens d’un texte obscur. Au sens large, l’interprétation peut être exégétique ou téléologique consistant respectivement à s’attacher à la lettre du texte, à dégager l’intention de son auteur et à déterminer la finalité de la norme ou le résultat de la recherche. Sur la question de l’interprétation, s’opposent les partisans de la clôture interprétative du droit et les défenseurs du pouvoir créateur du juge. Les premiers conçoivent l’application des règles de droit aux cas particuliers comme une simple subsomption des espèces sous leurs genres. Le pouvoir d’interprétation pour ce qui est de la loi, appartient au juge. Lorsqu’un texte est suffisamment clair, son application dans les termes mêmes du texte s’impose au juge sans besoin d’interprétation : il procède à une application littérale du texte. Cependant, si le texte est flou, le juge retrouve son pouvoir d’interprétation pour en dégager le sens. 373. L’interprétation par le juge. L’interprétation du contrat relève également de la compétence du juge qui connaît de tout autre litige découlant du contrat. Son intervention est réalisée suivant des modalités précises, étant donné que le contrat est un acte consensuel des parties. La compétence du juge en la matière est fondée sur son objectivité et son aptitude à comprendre la volonté des parties et à l’analyser. L’interprétation du juge ne concerne évidemment pas tous les contrats, étant entendu que, « interpretatio cessat in claris » 542. Le critère justifiant l’intervention du juge est ce que la jurisprudence de la Cour de cassation appelle la « nécessité interprétative ». Seul le juge de fond est habilité à interpréter un contrat, selon l’article L. 111-2 du Code de l’Organisation Judiciaire français qui précise que « la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire ». 541 M. VILLEY, « Préface », in Arch. ph. dr., Tome XVII, L’interprétation en droit, Paris, Sirey, 1972, p. 3. 542 Ch. PERELMAN, « L’interprétation juridique », note 3, p. 30. 203 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. Les modalités de l’interprétation des contrats 374. La « commune intention des parties ». L’article 1188 nouveau du Code civil français dispose que « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ». Le nouvel article 1190 du Code civil français prévoit quant à lui que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ». Sur la question de la commune intention, la formulation des États membres543 est identique à celle du droit français. En la matière, la primauté est donnée à la recherche de l’intention des parties, le juge doit avant tout rechercher la commune intention des parties, sans s’arrêter au sens littéral des termes du contrat. Toutefois, cette quête de l’intention commune des parties s’avère parfois difficile, car il existe une altérité irréductible entre les parties qui fait qu’elles peuvent avoir deux intentions différentes, divergentes. Par exemple, il est aussi fréquent, notamment dans les contrats d’adhésion, qu’une clause soit rédigée par une partie, puis acceptée par l’autre alors qu’elle ne l’a pas véritablement lue. Cette partie qualifiée de faible est assurée en vertu de l’article 1190 du Code civil auquel, selon le Professeur Anne ETIENNEY de SAINTE MARIE, une valeur contraignante devrait être reconnue, « d’obtenir l’interprétation et donc a des chances de faire établir le déséquilibre et de rétablir un certain équilibre »544. Simplement, dès lors que le législateur par le biais de cette directive d’interprétation explique les modalités d’interprétation, le juge ne devrait pas avoir la faculté d’opter, mais être tenu545. Ainsi, lorsqu’il est impossible de déterminer l’intention commune des parties, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable, placée dans la même situation. Et la doctrine contemporaine a impulsé l’évolution de la conception stricte de recherche de l’intention commune des parties, puisque de vives voix se sont élevées pour dire qu’il est vrai que l’interprète doit rechercher la commune intention des parties, car le contrat reste l’œuvre des contractants, mais il doit aussi se référer à d’autres critères, tels que la bonne foi, les 543 V. à titre d’exemple l’article 1156 du Code civil ivoirien qui dispose que : « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ». 544 A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, « L’interprétation du contrat d’adhésion », in Colloque sur le Contrat d’adhésion : délimitation et implications, 14 déc., 2018, Maison des sciences de l’Homme, Paris Nord. 545 A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, ibid. 204 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil usages, l’économie du contrat ou la justice546. La recherche de la commune intention des parties s’est avérée déterminante dans le choix par les juges des pays membres du droit applicable. Dans un arrêt du 21 mars 2003, la Cour d’appel de Ouagadougou au Burkina Faso a estimé que « la situation des parties ne pouvait, en aucun cas, être analysée comme étant la résultante de la commune intention recherchée par elles et devant être entièrement exécutée comme telle. Elle en a déduit que c’est à bon droit que le premier juge a écarté l’application des dispositions de l’article 18 relatif au droit commercial général au profit de l’article 2262 du Code civil » 547. 375. L’interprétation du contrat en droit civil national. Les dispositions des États membres en matière d’interprétation du contrat manquent de clarté, alors qu’elles sont censées aider à comprendre le sens du contrat. Ces textes que prévoient que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »548. De plus, « les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat »549. Il est regrettable que les dispositions du Code civil français soient transposées purement et simplement au sein de pays membres aux réalités différentes, en des termes pouvant paraître sibyllins. 376. Les directives d’interprétation du législateur de l’OHADA. L’Acte uniforme énonce, à l’inverse, des directives d’interprétation plus claires. Selon l’article 238 de l’A.U.D.C.G, « Lorsqu’une clause est ambiguë, la volonté d’une partie doit être interprétée selon le sens qu’une personne raisonnable, de même qualité que l’autre partie, placée dans la même situation, aurait déduit de son comportement. Pour déterminer la volonté d’une partie, il doit 546 E. DE CALLATAY, Etudes sur l’interprétation des conventions, Bruylant & L.G.D.J, 1947, n°66, p. 135. 547 Cour d’Appel de Ouagadougou, Arrêt du 21/03/2003, Arrêt n° 23, aff. BURKINA & SHELL c/ PARE Adam, [www.ohada.com]., OHADATA J-06-72 ; Le propriétaire et exploitant d’un camion-citerne servant au transport de produits pétroliers met à la disposition d’une société pétrolière ledit camion qui, par la suite, est immobilisé pendant six mois sans motif. Le propriétaire demande réparation à la compagnie neuf ans plus tard devant le Tribunal de Grande Instance et obtient gain de cause. La Cour d’appel déboute la société qui invoque l’inexécution d’un contrat entre commerçants et, par conséquent, la prescription quinquennale de l’article 18 AUDCG. Elle précise que l’action entreprise par le propriétaire du camion vise à obtenir la réparation du préjudice subi par lui du fait d’autrui ; qu’il s’agit en fait d’une action en responsabilité civile, obéissant aux règles de procédure civile et régie par les dispositions du droit commun. 548 Article 115 du Code civil ivoirien. V. article 1191 nouveau du Code civil français. 549 Article 1158 du Code civil ivoirien. 205 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil être tenu compte des circonstances de fait, et notamment des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des pratiques qui se sont établies entre elles, voire des usages en vigueur dans la profession concernée ». L’interprétation du juge est exclusivement subordonnée à la présence d’une clause ambiguë. La liste des outils d’interprétation étant limitativement définie par le législateur de l’OHADA, il est fait obligation au juge de se référer à l’un des modèles retenus à l’article 238. 377. La phase préparatoire de la conclusion du contrat, notamment la négociation, les avantcontrats, les pratiques et usages interviennent dans le mécanisme d’interprétation550. Il a été largement fait application de ces directives d’interprétation dans les pays membres de l’OHADA. Le juge communautaire, a estimé d’une part, que le « juge ne peut se livrer à l’interprétation des usages et des habitudes en application de l’article 207 du même Acte uniforme, que si l’intention des parties n’est pas ou est mal exprimée »551. D’autre part, les juges ont retenu que ces directives peuvent être étendues au monde des affaires indépendamment du type de contrat dès lors que le caractère habituel et répétitif des transactions est de nature à créer des pratiques, des usages qui acquièrent force obligatoire dans le domaine concerné. Le législateur de l’OHADA a marqué de son empreinte les règles gouvernant l’exécution du contrat au-delà même de sa formation. Cependant, il lui faudrait lever une incohérence suscitée par l’article 238 de l’AUDCG. En effet, la recherche de la commune intention est à l’appréciation souveraine des juges du fond puisqu’il s’agit d’une question factuelle. Or, cet article permet de tenir compte de circonstances factuelles, ce, alors que la CCJA en sa qualité de juridiction suprême est juge du droit. Le droit de l’OHADA permettrait de réduire le contentieux lié à l’interprétation des contrats, par le biais de l’intégration de ses directives d’interprétation au droit civil national des États membres. § 2. Les apports en matière d’exécution du contrat 378. L’exécution du contrat concerne les obligations des parties (A) et le contentieux lié à ladite exécution (B). 550 S. A.-ADJITA, « L’interprétation de la volonté des parties dans la vente commerciale OHADA », Penant n° 841, oct-déc. 2002, pp. 473 et ss. 551 CCJA, Arrêt n° 064/2005, Affaire : SANY Quincaillerie c/ SUBSAHARA SERVICES NC En l’espèce, de façon manifeste, Subsahara Services inc. n’entendait pas être liée par la réponse à l’appel d’offres, d’autant que SANY Quincaillerie ne pouvait ignorer ces procédures d’appel d’offres dans le cadre desquelles elle s’était portée candidate à plusieurs reprises et avait ainsi remporté différents marchés. Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 54. Le Juris-Ohada n° 1/2007 p. 2. 206 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil A. Les obligations des parties 379. Les parties au contrat étant, d’une part, le vendeur (1) et, d’autre part, l’acheteur (2) , leurs obligations respectives seront analysées successivement. 1. Les obligations du vendeur 380. Les obligations personnelles du vendeur. Le dispositif contractuel met à la charge des parties, des obligations précises dont l’exécution leur incombe à titre personnel. L’article 1199 du Code civil français pose le principe de l’effet relatif des contrats : « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ». Ce principe signifie que seules les parties qui ont consenti au contrat, sont engagées par celui-ci. Le contrat de vente de droit commun met à la charge du vendeur et de l’acheteur des obligations spécifiques. L’un est tenu entre autres d’une obligation de livraison, de conformité et de garantie envers son client. Client qui pour sa part est tenu au paiement du prix, à la prise de livraison et qui supporte le transfert des risques. Concernant le vendeur, l’article 1603 du Code civil français prévoit que « le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer552 et celle de garantir la chose qu’il vend ». Les dispositions du Code civil français et donc de ceux des États membres excepté celui du Sénégal, pèchent par leur caractère trop général, vague et leur silence quant aux modalités pratiques de la livraison : le lieu précis, le moment. Les dispositions de l’AUDCG pour ce qui est du contrat de vente, qui ont une valeur supplétive, peuvent parfaitement pallier ces insuffisances. Il est clair que les dispositions de cet acte « peuvent être parfaitement transposables aux autres conventions génératrices de l’obligation de remettre ou de restituer la chose à autrui » 553. 381. En premier lieu, le vendeur ou tout autre contractant obligé de livrer, sont tenus de remettre les marchandises à un transporteur si le contrat prévoit un contrat de transport. L’obligation est de résultat. Dans les autres cas, le vendeur doit les mettre à la disposition de l’acheteur au lieu où elles ont été fabriquées, où elles sont stockées, ou au lieu où le vendeur a son principal 552 La délivrance est selon l’article 1604 du Code civil « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur » ; et l’article 1609 de renchérir que « la délivrance doit se faire au lieu où était, au temps de la vente, la chose qui en a fait l’objet, s’il n’en n’a été autrement convenu ». 553 J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA », op.cit., p. 350. 207 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil établissement554. Il est indéniable qu’une extension de cet article à tous les contrats de vente d’une part et aux autres contrats translatifs de propriété de l’autre, renforcerait la sécurité juridique des opérations contractuelles et contribuerait à amenuiser le contentieux relatif à l’exécution du contrat et à son interprétation. En second lieu, selon l’article 253 alinéa 3 de l’AUDCG, en l’absence de stipulation du contrat, « la livraison doit être effectuée par le vendeur dans un délai raisonnable après la conclusion du contrat ». L’article 253 alinéa 3 constitue une réelle avancée concernant le moment de la livraison quand on jette un regard sur les dispositions tant du Code civil français que sur celles du Code civil des États membres. En effet, l’article 1610 du Code civil français ne relève que « le cas d’un accord des parties sur le moment de la livraison »555. Or, l’évolution des échanges, de la forme même des activités économiques, impose une évolution de l’appréhension des relations contractuelles. À l’heure du numérique, de la dématérialisation et de l’extension des activités économiques par le biais de filiales dans plusieurs pays, il aurait fallu que les États membres innovent et légifèrent sur la question. La situation n’est pas désespérée au vu des prévisions de l’AUDCG qui a vocation à régir divers types de contrats, notamment de services, de prêts ou de location. 382. L’obligation accessoire du vendeur. Hormis le lieu et le moment de la délivrance de la chose objet du contrat, il n’est pas exclu que le contrat donne lieu à un échange de documents en plus du contrat s’il est écrit. Il peut s’agir de tous les documents devant permettre un usage paisible de la chose et surtout conforme aux attentes légitimes de l’autre contractant. Une obligation accessoire à l’obligation de livraison est donc mise à la charge du vendeur. Il ressort de l’article 254 de l’AUDCG que le vendeur est tenu si nécessaire, de délivrer tous les documents se rapportant aux marchandises. L’obligation telle que prévue, devrait être étendue à tout contrat translatif de propriété, ayant pour corollaire une obligation de délivrer et devrait enrichir la théorie générale des obligations des États membres. 554 Article 251 de l’Acte Uniforme portant droit commercial général : « lorsque le vendeur n’est pas tenu de livrer la marchandise en un lieu particulier, il doit la tenir à la disposition de l’acheteur soit au lieu où elle a été fabriquée ou stockée, soit au siège de son activité de vendeur ». 555 Selon l’article 1610 du Code civil, « Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l’acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur ». 208 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 383. L’obligation de conformité. Le vendeur est également astreint à une obligation de conformité envers l’acheteur. Le vendeur a l’obligation de délivrer la chose vendue et non une chose différente, faute de quoi sa responsabilité pour inexécution du contrat est engagée. Cette obligation trouve sa source dans l’article 1603 du Code civil susvisé. Le vendeur est responsable de tout défaut de conformité de la chose objet du contrat. Si cette obligation de conformité est tacite dans le Code civil, elle est clairement affirmée par le droit de l’OHADA. Les articles 255 à 259 de l’AUDCG sont consacrés à l’obligation de conformité à la charge du vendeur. « Le vendeur doit livrer les marchandises en quantité, qualité, spécifications et conditionnement conformes aux stipulations du contrat »556. Dans le silence du contrat, le vendeur est tenu de livrer des marchandises propres aux usages auxquels elles servent habituellement ou dotées des qualités identiques à celles des échantillons ou modèles présentés. 384. L’obligation de conformité et le consensualisme. L’obligation de conformité ne tient qu’à la volonté des parties et aux stipulations contractuelles. Ici, primauté est accordée au consensualisme, à la volonté des parties en ce sens que l’idée de conformité peut s’apprécier différemment d’un cocontractant à un autre ; il est donc très important que les parties s’accordent sur l’idée qu’elles se font de la conformité. L’on se réfère aux usages en la matière en cas de silence du contrat, pour s’assurer du respect de l’obligation de conformité. Le défaut de conformité est celui qui, selon la Cour de cassation française, exclut que la chose corresponde à sa destination normale557. Le défaut de conformité est rapproché à tort du vice alors que comme le rappelle la Cour de cassation dans son rapport, « le vice présente un aspect pathologique susceptible d’évolution, alors que la non-conformité est statique et provient du fait patent que la chose n’est pas celle désirée. En outre, le vice est la plupart du temps accidentel, alors que la non-conformité existe dès l’origine de la chose. Enfin, le vice 556 Article 255 de l’AUDCG. 557 Cass. Civ. 1ère, 8 décembre 1993, « JA » 1994, p. 96 ; la Cour a jugé, à propos d’une bétaillère fabriquée en dehors des règles de l’art à partir d’un fourgon découpé auquel avait été greffée une caisse de bétaillère qui s’était coupée en deux, que « le défaut de conformité de la chose à sa destination normale constitue le vice prévu par les articles 1641 et suivants du code civil ». La jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas totalement fixée. La chambre commerciale a retenu qu’un matériel « dont les qualités intrinsèques ne correspondent pas aux spécifications indiquées et qui n’est pas davantage conforme à la destination qui lui était assignée » est affecté d’un vice caché, Com., 6 juillet 2010, n° 09-16.405. Or, le 30 septembre 2010, dans un arrêt n° 09-11.552, la première chambre retient que la fourniture d’un matériel « inadapté à la destination convenue » caractérise au contraire un manquement du vendeur à son obligation de délivrance. 209 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil est inhérent à la chose vendue, tandis que la non-conformité exige d’être appréciée à la lumière du contrat » 558. 385. Le contenu de la garantie. Cette précision permet d’évoquer l’obligation de garantie qui incombe au vendeur et qui renferme une double réalité. Une obligation de garantie visant à protéger les droits acquis par l’acheteur sur la chose et celle contre les vices cachés559. La première garantie vise à assurer à l’acheteur une détention et une jouissance paisibles. C’est au vendeur de prémunir son cocontractant contre les droits d’un tiers sur l’objet du contrat. La garantie dont il est question est une garantie d’éviction qui est due lorsque le droit revendiqué par le tiers a une incidence sur le droit de l’acquéreur, en entraînant sa disparition totale ou partielle par exemple. Si le droit commun de la vente reste très peu précis quant à cette exigence, le droit de l’OHADA, lui, énonce que « le vendeur doit livrer les marchandises libres de tout droit ou prétention d’un tiers, à moins que l’acheteur n’accepte de les prendre dans ces conditions » 560. Ainsi, l’étendue de la garantie peut varier en fonction de la volonté de l’acheteur. Les États membres gagneraient à étendre purement et simplement le bénéfice d’une telle garantie à « tous ceux qui ont droit à une jouissance ou détention paisible de la chose, générée par des contrats autres que la vente »561. L’on a affaire à une garantie du vendeur contre toute éviction de l’acheteur du fait de l’exercice du droit d’un tiers ou de luimême. Sur la question, il a été fait une application stricte par les juges de la nécessité de garantir une jouissance paisible à l’acheteur. 386. L’acheteur bénéficie de la part du vendeur de la garantie contre les vices cachés encore appelés vices rédhibitoires. Ce sont les défauts non apparents de la chose lorsqu’elle est examinée. « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus » 562. Le bénéfice de la garantie des vices cachés n’est pas automatique, car des 558 Rapport annuel de la Cour de cassation 1994, p. 343. 559 L’article 1625 du Code civil dispose que : « La garantie que le vendeur doit à l’acquéreur a deux objets : le premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires ». 560 Confère article 260 de l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial Général tel que révisé en 2010. 561 J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA… », op.cit., p. 351. 562 Article 1645 du Code civil français. 210 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil conditions sont exigées : l’existence du vice et son caractère ; encore que la qualité de l’acheteur rentre en ligne de compte. L’existence du vice qui est antérieure ou concomitante à la vente, doit rendre la chose impropre à son usage convenu ; un trouble à l’usage de la chose est nécessaire563. Son appréciation se fait par référence à l’usage normal que l’acheteur pouvait raisonnablement envisager, par rapport au prix, usage, conditions de vente, services et économie que l’on peut attendre de cette chose. Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents qui sont perceptibles à première vue. En effet, si le vice est apparent, l’acheteur doit refuser de prendre la livraison de la chose ou d’en payer le prix, mais en aucun cas il ne saurait invoquer la garantie des vices cachés. Le défaut caché est celui que l’acheteur ne pouvait déceler compte tenu de la nature de la chose. Il existe une présomption lorsqu’on se retrouve devant un vendeur professionnel et un acquéreur profane, selon laquelle, « le vice caché ne pouvait pas être connu de l’acquéreur ». 387. L’acquéreur professionnel et l’acquéreur profane. Lorsque l’acquéreur professionnel agit dans un domaine autre que le sien, la jurisprudence estime que sa compétence technique n’est pas équivalente à celle du vendeur professionnel, de ce fait il est assimilé à un acquéreur profane, avec comme principale conséquence l’applicabilité de la présomption selon laquelle « il ne pouvait qu’ignorer le vice ». En revanche, lorsque l’acquéreur professionnel agit dans le cadre de sa profession et dans le même domaine que le vendeur, la jurisprudence retient qu’il a une compétence technique équivalente à celle du vendeur, de ce fait il est tenu des diligences importantes afin de s’assurer que la chose qu’il est en train d’acquérir est exempte de vices. Mais dans tous les cas, la présomption est simple pour l’acheteur professionnel contrairement à celle du professionnel qui est irréfragable564. Il apparaît à l’analyse que le législateur de l’OHADA assimile le vice caché au défaut de conformité lorsqu’il parle de « défaut de conformité caché »565. Le législateur de l’OHADA intègre la notion de vices cachés dans la garantie de conformité. Le Doyen Henri Bebey MODI KOKO parle plutôt d’ « une confusion de l’obligation de conformité avec la garantie des vices cachés, alors qu’en droit la non-conformité et le vice de la chose ne se confondent pas »566. L’extension des dispositions 563 F. COLLART-DUTILLEUL, Contrats civils et commerciaux, op. cit., n° 261, p. 252. 564 J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Droit civil : Contrats spéciaux, 8e éd., Paris, LexisNexis,2015, n°215, p. 186. 565 Article 259 de l’AUDCG. 566 H.-B. MODI KOKO, Droit commercial général et droit de la concurrence, in droit communautaire des Affaires (OHADA-CEMAC), Tome I, éd. Dianoia, 2008, p. 172. 211 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil relatives à l’action fondée sur un défaut de conformité à tout créancier d’un droit de jouissance ou de détention serait avantageuse pour les États membres. Il ne serait plus nécessaire d’exercer une action pour le défaut de conformité et une autre pour les vices cachés. L’exercice d’un unique recours en cas de défaut de conformité, permettrait de relever des vices cachés. Le droit civil des États membres serait simplifié et modernisé concernant cet aspect de la question, grâce à l’influence du droit de l’OHADA. 2. Les obligations de l’acheteur 388. Le paiement du prix et la prise de livraison. L’acheteur est tenu de respecter deux exigences principales : le paiement du prix et la prise de livraison de la chose. Les dispositions de l’article 1650 du Code civil français sont sans équivoque : « la principale obligation de l’acheteur est de payer le prix au jour et au lieu réglés par la vente » ainsi que « les frais de la vente qui en sont l’accessoire » 567. Les modalités de paiement du prix sont en principe définies par la convention des parties. Celles-ci sont libres de déterminer le moment du paiement du prix, quitte à ce qu’il soit différent de celui de la délivrance. Le paiement peut, suivant l’accord des parties, intervenir avant la livraison, que ce soit partiellement par le versement d’un acompte sur le prix lors de la conclusion du contrat, ou totalement comme dans la vente par colis-épargne568. Le paiement peut intervenir après la livraison de manière échelonnée comme dans la vente à tempérament. L’acheteur ne peut invoquer un cas de force majeure pour se soustraire à l’exécution de son obligation569. De même, l’obligation de paiement de l’acheteur doit être exécutée de manière spontanée sans qu’il y ait besoin de recourir à une mise en demeure570. En l’absence de stipulation particulière, l’acquéreur doit payer au temps et au lieu de la délivrance selon l’article 1651 du Code civil français. 389. Le lieu du paiement du prix. La liberté des parties concernant la détermination du lieu du paiement du prix est totale. Seul le silence du contrat rend applicable une règle dérogatoire au 567 Article 1593 du Code civil français. 568 F. COLLART-DUTILLEUL, Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, op.cit., n°328, p. 313. La vente par colis-épargne consiste pour le consommateur à acheter peu à peu des timbres-épargne jusqu’à ce que le montant total atteigne la valeur du bien qu’il entend commander. 569 Cass. Com., 23 janv. 1968, Bull. civ. IV., n°39. 570 La délivrance rend le prix exigible et les juges sont clairs sur la question car ils considèrent que « Sauf convention particulière, l’obligation, pour l’acheteur, de payer le prix de vente résulte de l’obligation complète, par le vendeur, de son obligation de délivrance ». Cass. 1ère civ., 19 nov., 1996 : JCP E 1997, II, 968, note J. HUET. 212 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil droit commun et qui veut que le paiement ait lieu à l’endroit où la livraison est effectuée. Cependant, « le paiement s’effectue au domicile du débiteur, l’acheteur en l’occurrence en vertu du droit commun, lorsque la vente n’est pas au comptant »571. L’AUDCG a approfondi la question puisqu’il établit que « le paiement du prix au vendeur est fait soit au siège de son activité, soit au lieu de la livraison si le prix est payable comptant ou si la livraison est effectuée contre remise de documents »572. Les États membres éviteraient aux acteurs économiques les difficultés inhérentes au paiement du prix face aux mauvais payeurs et acheteurs indélicats. Les règles relatives au paiement pourraient être retenues en droit des obligations interne impliquant le paiement d’un prix contre remise d’une chose. 390. La prise de livraison ou le retrait de la chose. L’acheteur doit prendre livraison de la chose ou la retirer quand il s’agit de mobilier et ne peut s’y refuser si la chose est conforme au contrat573. L’acheteur est tenu « de retirer matériellement la chose vendue ou de la faire retirer par un tiers pour son compte, ce qui implique qu’il supporte en principe, les frais liés à cette opération »574. L’obligation de l’acheteur repose sur le caractère synallagmatique du contrat de vente. La prise de livraison doit être réalisée par l’acheteur qui est tenu selon l’article 269 de l’AUDCG d’accomplir les actes permettant au vendeur d’effectuer la livraison, puis retirer les marchandises. Lorsque l’acheteur tarde à prendre livraison des marchandises ou n’en paie pas le prix, le vendeur, s’il a les marchandises en sa possession ou sous son contrôle, est fondé à les retenir jusqu’à leur complet paiement. Il doit cependant prendre les mesures raisonnables pour assurer la conservation des marchandises575. Ces dispositions pourraient enrichir le dispositif en matière de contrats translatifs de propriété. D’autant plus qu’elles renforceraient les règles en matière de garantie de paiement offertes au vendeur telles que le droit de rétention ou la réserve de propriété. 391. Le transfert de la propriété et des risques. La formation du contrat emporte pour l’acheteur le transfert de la propriété et des risques. La vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la 571 Article 1247 du Code civil français. Sauf clause contraire bien évidemment. 572 Article 266 de l’AUDCG. 573 Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., Paris, L.G.D.J, 2018, n° 518, p. 287. 574 J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Droit civil, Contrats spéciaux, op.cit., n° 247, p. 210. 575 Article 271 de l’AUDCG. 213 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé576. Le transfert de propriété a pour corollaire le transfert des risques à la charge de l’acheteur. Parce qu’il est désormais le propriétaire de la chose, l’acheteur doit en supporter la perte partielle ou totale. Contrairement au droit commun, le législateur de l’OHADA a retardé le transfert de propriété et donc des risques à la prise de livraison quoique les parties puissent décider de le différer. Une solution qui s’explique aisément, car la livraison est la condition sine qua non du paiement du prix sauf stipulation contractuelle contraire. L’exécution de ces deux obligations concrétise la formation du contrat entre les parties. Il est plus juste pour l’acheteur de subir le transfert des risques lorsque le bien est sous son influence, en sa possession. B. Le contentieux relatif à l’exécution du contrat 392. Le contentieux relatif à l’exécution du contrat naît en général de l’appréciation de la force obligatoire du contrat (1) et de la sanction de l’inexécution (2). 1. La force obligatoire du contrat 393. La consécration textuelle du principe. La conclusion d’un contrat quel qu’il soit, emporte des effets pour les parties. Celles-ci sont tenues de respecter ce à quoi le contrat les oblige. Le contrat a une force obligatoire pour les parties et les tiers au contrat. Selon Hans KELSEN, le contrat tire sa force obligatoire dans la volonté du législateur de le sanctionner. Mais le Professeur Jacques GHESTIN préfère retenir que « le législateur conformément au droit objectif qui le dépasse, ne devrait sanctionner le contrat que parce qu’il est utile et à la condition qu’il soit juste »577. L’utile et le juste seraient selon cet illustre auteur les principes fondamentaux de la théorie générale du contrat. L’article 1103 du Code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »578. L’article 1193 de renchérir : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ». La formule de l’article 1103 du Code civil applique la doctrine de droit naturel « pacta sunt servanda ». De contrats légalement formés, il s’agit de ceux conclus conformément aux règles légales exigées pour la formation des 576 Article 1583 du Code civil français. 577 J. GHESTIN, Traité de Droit civil : la formation du contrat, 3e éd., Paris, L.G.D.J, 1993, n°226, p. 203. 578 Article 1103 du Code civil français tel qu’issu de la réforme du 10 février 2016. 214 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil contrats. Ces articles sont l’expression du principe de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle. 394. La volonté des parties. Il en résulte que le contrat constitue la loi des parties qui doivent se conformer à ce dont elles sont convenues et qu’aucune partie ne peut en principe se rétracter unilatéralement. Seules peuvent être invoqués, l’accord commun ou les causes d’exemption prévues par la loi. De plus, l’article 1194 du Code civil prévoit en effet que les « les contrats obligent non seulement, à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi »579. C’est-à-dire que les parties sont tenues d’exécuter le contrat, mais également de respecter ce que ses termes induisent. Il s’agit de l’exécution des obligations résultant du contrat, qu’elles soient expressément prévues dans les clauses contractuelles ou que ce soit des obligations que la jurisprudence a ajoutées, comme l’obligation de sécurité ou l’obligation d’information ou de conseil. Le principe de la force obligatoire institue une forme d’irrévocabilité du contrat qui n’est cependant pas absolue. En effet, la théorie de l’imprévision justifierait la modification du contrat en raison des changements de circonstances. Et l’article 1195 du Code civil français, a assoupli le cadre de cette théorie dont la mise en place nécessite la réunion de trois conditions cumulatives : « la nécessité d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, un changement rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse et enfin que la partie touchée par le changement de circonstances n’ait pas accepté d’en assumer le risque »580. 395. En vertu de la force obligatoire du contrat, si l’une des parties ne respecte pas ses engagements, l’autre partie peut, saisir la justice de la mauvaise exécution ou de la nonexécution du contrat. « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut : refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ; poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ; solliciter une réduction du prix ; provoquer la résolution du contrat ; demander réparation des conséquences de l’inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »581. En fait, ces solutions offertes aux parties sont inspirées par le souci de « concilier la justice contractuelle avec l’utilité sociale du contrat ». Elles visent à rééquilibrer non pas forcément de manière stricte, les prestations réciproques des parties. Elles 579 Code civil français. 580 Ce texte est issu de la réforme du 10 février 2016. 581 Article 1217 du Code civil. 215 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil s’analysent en des sanctions, car le manquement qui est généralement en cause est l’inexécution des obligations issues du contrat. Les États membres de l’OHADA connaissent le principe de la force obligatoire, qu’ils doivent à l’ancien article 1134 du Code civil français. Le droit de l’OHADA s’intéresse à la question de la force obligatoire des contrats. Cependant, c’est en matière d’inexécution de contrat que l’importance accordée à ce principe et les apports concrets au droit civil national des États membres, sont perceptibles. 2. La sanction de l’inexécution 396. Les modalités de l’inexécution. L’inexécution du contrat peut revêtir plusieurs formes : l’inexécution totale ou partielle et le retard d’exécution. L’inexécution totale ou partielle entraîne la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, à laquelle l’on peut adjoindre une responsabilité civile. La principale sanction en matière d’inexécution est l’exception d’inexécution qui est prévue par l’article 1219 du Code civil français qui permet de retenir que l’on a affaire à un droit qu’a chaque partie à un contrat synallagmatique, de refuser d’exécuter totalement ou partiellement la prestation à laquelle elle est tenue, tant qu’elle n’a pas reçu la prestation qui lui est due. L’exception d’inexécution ne se conçoit que dans les contrats synallagmatiques et est impossible à mettre en œuvre dans les contrats unilatéraux pour lesquels l’idée de contre-prestation est inexistante. Ce moyen de droit a cela d’original qu’il peut être décidé par le cocontractant lui-même sans autorisation de justice. « C’est donc un moyen de justice privée, qui constitue une sorte de légitime défense contractuelle » 582. Moyen de justice pouvant donner lieu à des abus tant et si bien que l’article 1219 exige « une inexécution suffisamment grave » 583. 397. Les lacunes du droit commun des États membres. Les États membres de l’OHADA ne prévoient pas le régime de l’exception d’inexécution. Ils se contentent de l’évoquer en matière de contrat de vente et d’échanges ; le droit de l’OHADA non plus pour ce type d’exception d’inexécution584 fondée sur une inexécution effective, même si l’interprétation de certains articles de l’Acte uniforme portant droit commercial général permet d’en relever l’existence. Ainsi, « lorsque le contrat de vente prévoit la remise des marchandises à un transporteur, le 582 A. BENABENT, Droit des obligations, 17e éd., à jour au 4 juill. 2018, Paris, L.G.D.J, Coll. Précis DOMAT droit privé, 2018, n°368, pp. 302-303. 583 La gravité serait de nature à faire perdre au contrat pour l’autre partie son intérêt et sa raison d’être. 216 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil vendeur peut subordonner leur expédition ou la remise à l’acheteur du document qui les représente au paiement préalable du prix. Les parties peuvent aussi prévoir que l’acheteur n’est tenu de payer le prix qu’après avoir été mis en mesure d’examiner les marchandises »585. 398. L’exception d’inexécution au sens du droit de l’OHADA. S’il existe bien une matière qui a permis au législateur de l’OHADA d’être visionnaire et de devancer le législateur français, c’est bien l’exception d’inexécution préventive instituée par l’article 245 ancien de l’AUDCG. et quelque peu modifiée586, avec la réforme. Il en existe une, propre au vendeur et une autre spécifique à l’acheteur qui peuvent l’un et l’autre obtenir le report de l’exécution respectivement de leur obligation de livraison et de paiement du prix s’ils saisissent le juge en invoquant des circonstances de nature à empêcher le cocontractant d’exécuter son obligation. Les États membres gagneraient à réintégrer ce moyen de droit dans leur dispositif. Un moyen de protection contre le risque d’inexécution et qui permet de s’affranchir des aléas de l’imprévision. Son bénéfice devrait être cependant limité aux contrats translatifs de propriété. 399. La résolution du contrat. Hormis l’exception d’inexécution, est prévue la résolution du contrat qui se définit comme l’anéantissement en principe rétroactif d’un contrat synallagmatique. Il est cependant traditionnellement retenu qu’en cas d’inexécution partielle du contrat à exécution successive, la résolution pour inexécution ne saurait être rétroactive587. La résolution bénéficie à la partie qui se prévaut d’une inexécution du contrat. Elle peut l’obtenir par voie de saisine du juge ou de manière unilatérale. Ces deux cas sont prévus par le Code civil français588 et le droit de l’OHADA améliorerait le droit des États membres sur la 585 Article 268 de l’AUDCG. 586 Selon l’article 245 ancien « une partie peut demander à la Juridiction compétente l’autorisation de différer l’exécution de ses obligations lorsqu’il apparaît, après la conclusion du contrat, que l’autre partie n’exécutera pas une partie essentielle de ses obligations du fait : d’une grave insuffisance dans sa capacité d’exécution, ou de son insolvabilité, ou de la manière dont elle s’apprête à exécuter ou exécute le contrat ». Contrairement au législateur de l’OHADA, le législateur français a attendu la réforme de 2016 pour codifier l’exception d’inexécution et l’exception d’inexécution préventive du contrat. 587 Sur la question des contrats à durée indéterminée, il est indéniable que « le créancier espère souvent en une exécution prochaine du débiteur ou en une amélioration de la qualité de la prestation, d’autant plus que les liens contractuels sont anciens. Parfois même il n’opposera pas l’exception d’inexécution. L’équilibre résultant de l’exécution simultanée du contrat à durée indéterminée étant rompu, la simple résiliation pour l’avenir révèle son insuffisance. A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, La durée de la prestation, essai sur le temps dans l’obligation, Paris, L.G.D.J, 2008, n° 129, p. 86. 588 La réforme du 10 février 2016 a institué en ses article 1224 à 1230 de nouvelles dispositions relatives à la résolution du contrat. 217 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil question au regard des dispositions de l’article 281 de l’AUDCG qui prévoit que « toute partie à un contrat de vente commerciale est fondée à en demander au juge compétent la rupture pour inexécution totale ou partielle des obligations de l’autre partie. Toutefois, la gravité du comportement d’une partie au contrat de vente commerciale peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls »589. Il est possible d’affirmer sans risque de se tromper que le législateur de l’OHADA, en incluant le critère de « gravité » dans les critères de mise en œuvre de la résolution unilatérale du contrat, améliorera la sécurité juridique au sein des États membres en évitant les ruptures unilatérales mal fondées et intempestives. En effet, le droit civil national de ces États n’aborde pas de manière précise, la question des sanctions de l’inexécution du contrat. Il ressort des textes que l’octroi de dommages-intérêts est privilégié. Or, la classification des manquements aux obligations contractuelles et la détermination de leur caractère réprimable ou non en fonction de la gravité, serait d’un réel apport pour la législation des États membres. Elle serait plus attractive et plus apte à prémunir les parties de la mauvaise foi de leurs cocontractants. Les contrats affectés de manquements sans gravité pourront être préservés. 400. Le retard dans l’exécution du contrat. Le retard d’exécution peut intervenir et concerne l’exécution tardive du contrat par rapport aux stipulations du contrat. Le droit de l’OHADA prévoit cette hypothèse. Le créancier peut engager la responsabilité contractuelle de son contractant. Les dommages et intérêts compensant le préjudice subi par suite du retard d’exécution sont appelés des dommages et intérêts moratoires. Il reviendra à la partie qui se prévaut d’un retard d’exécution d’apporter la preuve d’un manquement, d’un préjudice et d’un lien de causalité afin de mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de son cocontractant. Cette sanction prévue en matière de retard dans l’exécution du contrat, si elle était étendue au droit civil national, serait dissuasive et renforcerait la célérité des opérations. Ce serait surtout un moyen de protection des parties faibles. La théorie générale des obligations des États membres a pu s’enrichir des apports du droit de l’OHADA. Aussi bien, les règles relatives à la formation et à l’interprétation du contrat, que celles relatives à son exécution, ont été adaptées, renforcées et clarifiées par le droit de l’OHADA. 589 La gravité du motif de rupture est appréciée par le juge compétent à la demande de la partie la plus diligente . 218 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Section 2. Les apports au droit des garanties et au droit processuel en matière civile 401. Le législateur de l’OHADA s’inscrit dans une logique prospective dans la mesure où il permet une amélioration du dispositif en vigueur dans les États membres en matière de droit des sûretés grâce à son caractère prospectif (§ 1) et à l’attractivité de son droit processuel (§ 2). § 1. Le caractère prospectif du droit de l’OHADA en matière de sûretés 402. De nouvelles sûretés sont créées (A) et les sûretés existantes améliorées (B). A. La création de nouvelles sûretés 403. Le législateur de l’OHADA s’est intéressé aux sûretés personnelles (1) et aux sûretés réelles (2). 1. En matière de sûretés personnelles 404. L’instauration et la redéfinition de la garantie autonome. La garantie et la contregarantie autonomes étaient inconnues du droit civil des États membres. Le cautionnement était reconnu comme l’unique sûreté personnelle. L’intégration du droit des sûretés au champ d’application matériel du droit de l’OHADA, a permis la création de sûretés en vue d’améliorer le dispositif des garanties. Principalement en matière de sûretés personnelles, celles qui font naître au profit du créancier, un droit personnel contre au moins une personne autre que le débiteur principal590, la réforme est venue redéfinir la garantie autonome qui a été introduite dans le droit substantiel de l’OHADA avec l’Acte uniforme de 1997591 et quelque peu modifier sa nature juridique et son étendue. Le régime juridique de la garantie autonome a été mis en harmonie avec les nouvelles Règles Uniformes relatives aux Garanties sur Demande (RUGD 758) qui ont été publiées par la Chambre de Commerce Internationale en juillet 2010592. La garantie autonome était connue sous le vocable de « lettre de garantie » 590 591 D. LEGEAIS, Droit des sûretés et garanties du crédit, 12e éd., Paris, L.G.D.J, 2017, n°19, p. 25. Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 avril 1997, publié dans le journal officiel n°3. 592 P. CROCQ, « L’influence des mutations de la norme sur la réforme de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés au sein de l’OHADA », in Les mutations de la norme : le renouvellement des sources du droit, Paris, Economica, Coll. Etudes juridiques, 2011, n° 6, p. 170. 219 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil avant la réforme de 2010. La lettre de garantie désignait selon l’article 28, « la convention par laquelle, à la requête ou sur instructions du donneur d’ordre, le garant s’engage à payer une somme déterminée au bénéficiaire, sur première demande de la part de ce dernier »593. Désormais, garanties et contre-garanties autonomes sont des engagements par lesquels garant et contre-garant s’engagent suivant l’article 38 en considération « d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre et sur instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au garant, soit sur première demande de la part de ce dernier, soit selon des modalités convenues » 594. Fondamentalement, l’on avait affaire à une convention, un accord de volontés prenant aujourd’hui la forme d’un engagement qui peut revêtir diverses formes dont la forme contractuelle595. À la faveur de la nouvelle approche du droit des sûretés OHADA, en plus de l’exécution à première demande, la garantie peut être exécutée selon les modalités convenues. De cette création, il résulte un gain de liberté pour ce qui est de la garantie. 405. L’intégration au droit civil national. L’instauration, puis l’amélioration du dispositif en vigueur concernant la garantie autonome par le législateur de l’OHADA sont bénéfiques aux législations nationales. L’Acte uniforme portant organisation des sûretés est sans équivoque. « Les sûretés personnelles régies par le présent Acte uniforme sont le cautionnement et la garantie autonome »596. Ainsi, en vertu du caractère supranational du droit de l’OHADA, doté d’une force obligatoire et de l’effet direct, le texte relatif aux sûretés personnelles, intègre en tant que tel, le droit civil national des États membres. Le droit civil 593 Article 28 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 Avril 1997. 594 Article 38 de l’Acte uniforme révisé Adopté le 15/12/2010 à Lomé (TOGO), entré en vigueur : 16/05/2011, publié dans le Journal Officiel n° 22 du 15/02/2011. Selon cet article, « la garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre et sur instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au bénéficiaire, soit sur première demande de la part de ce dernier, soit selon des modalités convenues. La contre-garantie autonome est l’engagement par lequel le contre-garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre et sur instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au garant, soit sur première demande de la part de ce dernier, soit selon des modalités convenues ». 595 La question s’est posée de savoir si la garantie autonome serait un engagement unilatéral de volontés qui impliquerait une existence de la garantie indépendamment de l’accord du bénéficiaire. La prudence a été prônée par certains auteurs. D’autant plus le droit de l’OHADA s’est aligné sur la définition de l’article 2321 du Code civil français depuis la réforme du droit français des sûretés, lequel demeure attaché au fondement contractuel de l’obligation du garant. 596 Article 12 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés, adopté le 15 décembre 2010. 220 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil national est alors enrichi d’une sûreté personnelle qui a cela d’intéressant qu’elle est autonome. 406. L’avantage résultant du caractère autonome de la garantie et de la contre garantie. La formation de la garantie autonome et de la contre-garantie autonomes met en lumière des éléments essentiels. En premier lieu, elles sont « autonomes ». Selon l’article 40 alinéa 2 de l’AUS, « elles créent des engagements autonomes, distincts des conventions, actes et faits susceptibles d’en constituer la base ». L’autonomie dans ce cadre signifie que « le garant ou le contre-garant contracte un engagement juridique nouveau dont l’objet est indépendant de celui de l’obligation garantie issu du contrat dit de base » 597. L’objet ou le montant de son obligation est une somme d’argent déterminée de manière directe et non ce que doit le débiteur au créancier. C’est dans le caractère autonome que la garantie et la contre-garantie trouvent tout leur sens. Autonomie qui assure la pérennité de ces garanties existant en marge, l’on dira, du contrat de base. Le garant s’engage au profit du donneur d’ordre, sans aucune condition, à régler une somme qui sera demandée par le bénéficiaire. Le garant ne pourra opposer aucune des exceptions tenant à l’obligation principale souscrite envers le créancier. C’est une des principales différences avec le cautionnement. Si la dette est nulle, prescrite, le garant doit payer, alors que la caution est libérée. La garantie autonome n’est pas transmise avec la dette sauf convention contraire. Cette autonomie présente un avantage certain pour le donneur d’ordre, dans la mesure où le garant doit payer sans délai sous peine d’engager sa responsabilité. Intégrée au droit civil national, la garantie autonome, en se présentant comme une alternative au cautionnement, caractérisé par son caractère accessoire à l’obligation principale, offrira de meilleures chances de paiement au donneur d’ordre. 407. Le bénéfice au recours en exécution de la garantie. L’exécution de la garantie autonome ou de la contre-garantie autonome offre la possibilité d’exercer deux types de recours judiciaires expressément prévus par l’Acte uniforme. Le garant ou le contre-garant dispose d’un recours contre le donneur d’ordre conformément à l’article 48 du nouvel Acte uniforme. Il peut exercer un recours personnel qui est identique à celui exercé par la caution solvens contre le débiteur principal à une différence près, c’est qu’il ne peut agir qu’après paiement du créancier bénéficiaire. Le recours personnel est un recours en remboursement intégral du montant payé. Hormis cette action, il existe la possibilité d’exercer une action subrogatoire 597 P. CROCQ, (sous. Dir.), Le nouvel Acte Uniforme portant Organisation des sûretés : la réforme du droit des sûretés de l’OHADA, éd. Lamy, Coll. Lamy Axe Droit, France, 2012, n°, 146, p.113. 221 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil qui permettra au garant d’être subrogé dans tous les droits et garanties du bénéficiaire. Le donneur d’ordre peut agir contre le garant ou le contre-garant qui n’aurait pas respecté les termes de la garantie ou aurait payé alors que la demande était abusive ou frauduleuse suivant l’article 47 nouveau de l’AUS. Deux autres recours pourraient être ouverts : celui du donneur d’ordre contre le bénéficiaire et celui du garant ou contre-garant contre le bénéficiaire. L’article 49 nouveau énonce les trois hypothèses qui mettent fin à la garantie et la contregarantie autonome ; ce sont le délai spécifié, la présentation de documents libératoires, la déclaration écrite du bénéficiaire ou du garant libérant le garant ou le contre-garant. Ces dispositions sont automatiquement applicables au sein des États membres de l’OHADA. 2. En matière de sûretés réelles 408. Que faut-il entendre par sûretés réelles préférentielles ? La notion de sûretés réelles n’a pas été définie par le législateur français contrairement au législateur de l’OHADA598. Les sûretés réelles portent sur un ou plusieurs biens déterminés ou encore sur un ensemble de biens, appartenant au débiteur ou à tiers, et confèrent au créancier sur ce ou ces biens, un droit réel. Ces sûretés ont un caractère accessoire et reposent sur l’affectation au créancier d’un droit réel sur un ou plusieurs biens599. Le principal attribut des sûretés réelles préférentielles est le droit de préférence dont bénéficie le créancier qui pourra se faire payer avant tout autre créancier chirographaire sur le prix du bien qui lui est affecté en sûreté600. Le droit de préférence perd de son efficacité, lorsque le débiteur aliène le bien. Le droit de suite vient y faire obstacle, puisqu’il permettra au créancier de saisir le bien et d’exercer son droit en quelques mains qu’il se trouve601. Les éventuels conflits nés ou à naître sont résolus par les règles de la publicité dont est tributaire l’opposabilité du droit de préférence et de suite. C’est véritablement en matière de sûretés réelles que le droit de l’OHADA a consacré de nouvelles 598 Selon l’article 4 alinéa 2 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés, « les sûretés réelles consistent soit dans le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d’un bien affecté à la garantie de l’obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition d’un bien dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation ». 599 Ph. SIMLER, Ph. DELEBECQUE, Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Paris, Dalloz., Coll. Précis, 2016, n° 360, p. 361. V. également D. LEGEAIS, Droit des sûretés et garanties du crédit, op.cit., n° 386, p. 310. Y. PICOD, Droit des sûretés, 3e éd. mise à jour, Paris, P.U.F, Coll. Thémis Droit, 2016, n° 170, p. 278-279. J.-B. SEUBE, Droit des sûretés, 9e éd., Paris, Dalloz, 2018, n° 200, p. 138. 600 L. AYNES, P. CROCQ, Droit des sûretés, 12e éd., Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, Lextenso, 2018, n° 401, p. 228. 601 L. AYNES, P. CROCQ, Droit des sûretés, ibid. 222 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil sûretés. D’une part, celles avec dépossession en l’occurrence le gage de créances, d’autre part, celles sans dépossession que sont le nantissement des actions et des parts sociales et le nantissement de stocks. 409. La consécration du nantissement de créances. Le droit de l’OHADA a créé le gage de créances devenu nantissement de créance avec le nouvel Acte uniforme. Ce type de nantissement est prévu par l’article 2356 du Code civil français. Le nantissement de créances « constitue désormais le socle commun à tous les nantissements portant sur des droits personnels » 602. Sa consécration en droit de l’OHADA répond à la volonté du législateur de s’aligner sur l’évolution du monde des affaires avec l’extension de l’assiette des biens pouvant faire l’objet de gage. Bien que représentant déjà une avancée notable, l’ancien Acte uniforme a essuyé de nombreuses critiques tenant principalement à l’inadaptation du régime juridique. Le sentiment était que le régime du gage de créances avait été construit par transposition du régime traditionnel du gage assorti, de ce fait, de dépossession. Avec le nouvel Acte uniforme, de gage de créance il s’agit désormais de nantissement de créances, avec un régime juridique adapté. Les conditions de formation du nantissement de créance sont définies. 410. Les avantages des conditions strictes de validité. « À peine de nullité, le nantissement de créance doit être constaté dans un écrit contenant la désignation des créances garanties et des créances nanties ou, si elles sont futures, les éléments de nature à permettre leur individualisation, tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et leur échéance 603 ». L’écrit est une condition de validité du nantissement de créance dont le domaine a été étendu. Toutes les créances peuvent être nanties à en croire les dispositions des articles 128 à 131 de l’A.U.S. Peu importe leur nature, qu’elles soient civiles ou commerciales, contractuelles ou délictuelles, ou même d’origine étrangère. La qualité des parties importe peu. L’assiette des créances est élargie aux créances futures ainsi qu’à des créances portant un ensemble de biens meubles incorporels. Le nantissement de créances intégrera parfaitement, en ce qu’il concerne les créances bien évidemment de nature purement civile, le droit commun national des États membres. Son assiette étendue est un avantage considérable pour des États au sein desquels, le recours à des particuliers dans le but d’obtenir des prêts, fait partie des us et coutumes. Le nantissement de créances renforcera la sécurité juridique des transactions au sein des États membres. 602 603 P. CROCQ, (dir), Le nouvel Acte uniforme portant Organisation des sûretés(…) , op.cit., n° 317, p. 223. Article 127 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. 223 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil L’exigence de l’écrit ne doit pas être perçue comme un durcissement du régime juridique puisqu’à la différence de l’Ancien Acte uniforme, il n’est besoin ni de signification ni d’acceptation par acte authentique. L’écrit n’a pas non plus besoin d’avoir date certaine. De plus, le créancier « national », en vertu de sa créance, est le seul qui soit habilité à recevoir valablement paiement, de la créance nantie. Il peut, sans autre formalité, imputer le montant payé au titre de la créance nantie sur ce qui lui est dû, au titre de la créance garantie dès lors qu’elle est échue. L’application de ce principe de paiement exclusif au créancier dépend de la chronologie entre l’échéance de la créance garantie et celle de la créance nantie. 411. Les conditions d’opposabilité attractives. L’opposabilité du nantissement nécessite l’accomplissement de formalités précises. Pour être opposable au débiteur de la créance nantie, le nantissement doit lui être notifié ou ce dernier doit intervenir à l’acte. La solution est identique à celle consacrée en droit français par l’article 2323 du Code civil. Une simple lettre suffit et la notification n’est pas obligatoire alors que l’acte authentique était nécessaire avant la réforme. Les formalités permettent de s’assurer que le débiteur a connaissance du nantissement. En ce qui concerne les autres tiers créanciers du constituant, le nantissement de créance leur est opposable dès l’inscription au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier, conformément au droit commun. Ces conditions d’opposabilité présentent l’avantage de la simplicité. Elles contribuent à l’attractivité de cette nouvelle sûreté qui vient intégrer le droit civil national des États membres. 412. Des sûretés réelles exclusives plus efficaces. Les sûretés réelles préférentielles sont limitées dans leur efficacité par l’incidence des procédures collectives et la loi du concours. Ainsi, « les créanciers désireux d’échapper à la loi du concours ont été conduits à s’intéresser à des garanties reposant sur l’exclusivité plutôt que sur la préférence qui caractérise le droit spécifique du titulaire d’une sûreté réelle » 604. Ces « techniques indirectes d’affectation » 605 relèvent d’une redéfinition de la sûreté réelle opposant de façon tranchée les sûretés offrant au créancier un droit de préférence à celles reposant sur la situation d’exclusivité606. Le législateur de l’OHADA a enrichi le dispositif juridique des États membres de la réserve de 604 Y. PICOD, Droit des sûretés, 3e éd., mise à jour, op.cit., n° 171, p. 279. 605 J. MESTRE, E. PUTMAN, M. BILLIAU, Droit commun des sûretés réelles, Paris, L.G.D.J, 1996, n°14, p. 12. 606 Y. PICOD, Droit des sûretés, ibid. 224 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil propriété, la propriété cédée à titre de garantie, la cession de créance à titre de garantie et le transfert fiduciaire d’une somme d’argent qui ne sera pas traité. 413. La réserve de propriété, une inspiration française. La réserve de propriété est perçue comme une sûreté et a fait son entrée dans les États membres avec le nouvel Acte uniforme. Acte qui s’est inspiré du régime juridique de la réserve de propriété telle que connue en droit français. « La propriété d’un bien mobilier peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie »607. Cette définition est identique à celle formulée par l’article 2367 alinéa 1er du Code civil français. Le législateur de l’OHADA a pourtant tenu à se distinguer, en ce qui concerne les conditions d’existence de la réserve de propriété. Il prévoit qu’« à peine de nullité, la réserve de propriété est convenue par écrit au plus tard au jour de la livraison du bien. Elle peut l’être dans un écrit régissant un ensemble d’opérations présentes ou à venir entre les parties »608. Et l’article 74 de rappeler que, « la réserve de propriété n’est opposable aux tiers que si celle-ci a été régulièrement publiée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier, conformément aux dispositions des articles 51 à 66 du présent Acte uniforme ». La réserve de propriété n’est valable en droit de l’OHADA que si elle est constatée par écrit et peut être stipulée dans une convention-cadre régissant les relations contractuelles à venir. L’intégration de cette sûreté, au droit civil national, offre une garantie très efficace au vendeur. Celui-ci pourra récupérer le bien litigieux, dans l’hypothèse, où il n’aurait pas reçu paiement intégral à l’échéance prévue. Il sera mis fin à cette impuissance des vendeurs face à leurs débiteurs. 414. La propriété cédée à tire de garantie et son domaine d’application large. Le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés a consacré une nouvelle forme de sûreté : la propriété cédée à titre de garantie qui se décompose en cession de créance à titre de garantie et transfert fiduciaire d’une somme d’argent. Concernant la cession de créance à titre de garantie, il est prévu qu’« une créance détenue sur un tiers peut être cédée à titre de garantie de tout crédit consenti par une personne morale nationale ou étrangère, faisant à titre de profession habituelle et pour son compte des opérations de banque ou de crédit »609. Ce 607 Article 72 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 608 Article 73 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 609 Article 80 alinéa 1 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 225 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil domaine est très large, comparé à celui de la cession Dailly en droit français610 qui exige, la qualité de professionnel au cédant ou au cédant, personne physique ou morale et celle d’établissement de crédit au cessionnaire. À l’inverse, le législateur de l’OHADA est plus souple vu qu’il n’exige nulle part la qualité de professionnel et qu’il définit le cessionnaire de manière extensive. La cession de créance peut concerner une créance non professionnelle en vertu du droit de l’OHADA et exceptionnellement comme en droit français les créances stipulées incessibles peuvent être admises comme étant cessibles en vertu de l’article 80 alinéa 2611. Ainsi, rien ne s’oppose à ce que la cession de créance s’applique au droit civil national. Le cessionnaire peut parfaitement être une personne physique qui relève du droit civil. B. L’amélioration des sûretés existantes 415. La clarification du dispositif en vigueur (1) et le renforcement du dispositif en vigueur (2) sont réalisés par le législateur de l’OHADA. 1. La clarification du dispositif en vigueur 416. Le droit des sûretés de l’OHADA est très attractif, en ce qu’il a permis de clarifier les nombreuses zones d’ombre relevées au sein du dispositif en vigueur au sein des États membres, qui n’avait pas suivi l’évolution en la matière. Les règles juridiques ont été précisées afin d’accroître l’accessibilité du droit des sûretés. Le droit de rétention n’existait dans les pays membres de l’OHADA, que sous la forme d’une sorte de droit de gage et non d’une véritable sûreté. En consacrant le droit de rétention et en l’intégrant dans la catégorie des sûretés réelles, le législateur de l’OHADA a fait un grand pas dans l’amélioration de la sécurité juridique en assurant une meilleure protection du créancier par une sûreté plus efficace. Si avec l’ancien Acte uniforme, le droit de rétention était jugé trop large dans son champ d’application, le nouvel acte uniforme l’a affiné et a redéfini les effets attachés au droit de rétention. Et les États membres n’ont d’autre choix que celui de se conformer à l’Acte 610 Selon l’article L 313-23 du Code Monétaire et Financier, « tout crédit qu’un établissement de crédit ou qu’une société de financement consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement ou de cette société, par la seule remise d’un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle ». 611 L’incessibilité de la créance ne peut être opposée au cessionnaire par le débiteur cédé lorsqu’elle est de source conventionnelle et que la créance est née en raison de l’exercice de la profession du débiteur cédé ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale. 226 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil uniforme portant organisation des sûretés. Il prévoit que « sauf disposition contraire du présent Acte uniforme, les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles qui sont régies par cet Acte »612. Ainsi, les précisions apportées au régime juridique du droit de rétention vont intégrer le droit civil national des États membres. Elles vont exercer leur pouvoir d’éviction sur les dispositions ayant le même objet ou leur étant contraires. 417. Une restriction du champ d’application du droit de rétention. Le droit de rétention permet « au créancier qui détient légitimement un bien mobilier de son débiteur, de le retenir jusqu’au complet paiement de ce qui lui est dû, indépendamment de toute autre sûreté, sous réserve de l’application de l’article 107 alinéa 2, du présent Acte uniforme »613. L’on peut relever une restriction du champ d’application du droit de rétention qui est exclusif de tout bien immobilier encore qu’il résulte de l’ancien Acte uniforme, que cette exclusion existait déjà614. L’exercice du droit de rétention suppose l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible du rétenteur. La CCJA a entériné la décision de la Cour d’appel d’Abidjan qui dans l’affaire opposant KINDA Augustin Joseph à Dame KONE Fatoumata a rejeté l’argument de droit à retenir les biens de cette dernière, estimant que le créancier ne détenait aucun titre de créance615. 418. La connexité au titre des conditions d’exercice du droit de rétention. L’existence d’un lien de connexité entre la naissance de la créance et la détention de la chose retenue est une condition d’exercice du droit de rétention. Le nouvel Acte uniforme a défini la connexité en son article 69, en admettant successivement trois formes possibles de connexités : la connexité matérielle, la connexité juridique, la connexité conventionnelle. La connexité matérielle désigne la situation dans laquelle la créance a pris naissance à l’occasion de la détention de la chose et la connexité juridique celle dans laquelle la créance et la détention relèvent d’un même rapport juridique. Contrairement aux connexités susmentionnées, la connexité 612 Articlev4 de l’AUS. 613 Article 67 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. 614 Dans l’ancien Acte Uniforme, le droit de rétention est classé dans les sûretés réelles mobilières. Le droit français admet, quant à lui, le droit de rétention ayant pour objet un bien immeuble. En effet, selon l’article 2391 du Code civil français, « le débiteur ne peut réclamer restitution de l’immeuble avant l’entier acquittement de sa dette. Ainsi le droit de rétention ne peut avoir pour objet que des biens mobiliers qui sont dans le commerce juridique ». 615 CCJA, Arrêt n° 022/2007, pourvoi n° 009/2004/PC du 12/02/2004, Affaire : 1) KINDA Augustin Joseph ; 2) Maître TE BIEGNAND André Marie (Conseils : SCPA KAKOU & DOUMBIA, Avocats à la Cour) contre Dame KONE Fatoumata. Rec. Jur., n° 9, Janvier/Juin 2007, p. 49. 227 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil conventionnelle est une consécration du nouvel Acte uniforme. Elle concerne l’hypothèse dans laquelle un débiteur remet un bien à son créancier, afin de garantir le paiement de sa dette sans pour autant donner ce bien en gage. Cependant, la connexité procédant de simples relations d’affaires est exclue. Le nouvel Acte uniforme a consacré une situation d’exclusivité au profit du créancier marquant la rupture avec l’ancien Acte uniforme qui ne réduisait les effets du droit de rétention qu’à ceux d’un gage. De même, le nouvel Acte uniforme consacre expressément l’obligation de conservation pesant sur le rétenteur et celle exceptionnelle, de disposer. Il en ressort que « le créancier a l’obligation de conserver le bien retenu en bon état. Par dérogation à l’alinéa précédent, il peut faire procéder, sur autorisation de la juridiction compétente statuant à bref délai, à la vente de ce bien »616. Les énonciations relatives à la connexité sont essentielles et viendront renforcer les conditions d’exercice du droit de rétention en droit civil national. 2. Le renforcement du dispositif en vigueur 419. La consécration d’un cautionnement des obligations futures. Le cautionnement existait déjà dans le Code civil des États membres et constituait la seule sûreté personnelle. Le législateur de l’OHADA a créé des règles nouvelles, visant à renforcer et améliorer le dispositif en vigueur. Alors que l’Ancien Acte uniforme proposait une définition similaire à celle retenue dans la législation interne des États membres, la réforme est venue étendre le champ d’application du cautionnement en consacrant un cautionnement des obligations futures617. Un formalisme ad validitatem était prescrit pour la formation du cautionnement avec l’ancien Acte uniforme, qui constituait déjà une révolution comparativement au droit civil des États membres. Le droit civil national n’exigeait explicitement aucun formalisme, si ce n’est que le cautionnement soit exprès. Le cautionnement, sous l’empire de l’ancien Acte uniforme, devait être constaté par écrit à peine de nullité, le montant de la garantie devait être exprimé en chiffres et en lettres de la main de la caution et l’engagement de la caution ne pouvait excéder ce montant618. 616 Article 70 de l’AUS. 617 Selon l’article 13 du nouvel Acte uniforme « Le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. Cet engagement peut être contracté sans ordre du débiteur ». 618 Article 4 de l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés. 228 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 420. Le passage d’une valeur ad validitatem à une valeur ad probationem. L’exigence de l’écrit se justifiait à l’époque par la sensibilité des questions liées à l’argent et le vaste contentieux qu’il suscite. L’avènement du nouvel Acte uniforme a changé la valeur de l’écrit qui n’est plus que probatoire pour les parties suivant les dispositions de l’article 14619. Désormais, il convient de retenir que cautionnement est un contrat consensuel. Ou du moins, le législateur de l’OHADA affirme de manière implicite, ce caractère consensuel. 421. Le formalisme ad validitatem en droit français. Les controverses sur le caractère formel ou consensuel du cautionnement qui ont agité la doctrine avec l’article 4 de l’ancien Acte uniforme n’ont plus lieu d’être à la lecture de l’article 14 nouveau620. Contrairement au droit de l’OHADA, le droit français a prévu et exige un formalisme ad validitatem en matière de cautionnement d’abord avec la loi Neiertz621 du 31 décembre 1989 qui s’applique aux personnes physiques qui se portent caution d’un consommateur de crédit, mobilier ou immobilier, un immeuble à usage d’habitation ou professionnel et d’habitation622. La caution qui s’engage par acte sous seing privé doit écrire une mention de sa main selon l’article L. 341-2 du Code de la consommation devenu article L 331-1623 depuis l’Ordonnance n°2016301 du 14 mars 2016. Par ailleurs, le montant doit être plafonné. Ensuite, la Loi pour l’initiative économique dite Loi Dutreil624 du 1er août 2003 a généralisé cette règle à tous les 619 Selon l’alinéa 2 de cet article, « le cautionnement se prouve par un acte comportant la signature de la caution et du créancier ainsi que la mention, écrite de la main de la caution, en toutes lettres et en chiffres, de la somme maximale garantie couvrant le principal, les intérêts et autres accessoires. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme exprimée en lettres ». 620 Ainsi pour les cautionnements conclus sous l’empire de l’ancien Acte uniforme, la sanction pour les actes dépourvus de la signature de la caution et de la mention du montant garanti en chiffres et en lettres était la nullité. La CCJA l’a retenu dans plusieurs décisions telles que son arrêt n°018/2003 du 19 Octobre 2003, Rec. CCJA n°2, p. 30 et son arrêt rendu en Assemblée plénière le 25 Avril 2014 ; arrêt n° 77/2014. La Cour avait décidé que « doit être annulé pour violation de l’article 4 de l’AUS, le cautionnement qui ne contient pas la signature de son bénéficiaire, ni la mention manuscrite de la somme maximale garantie en chiffres et en lettres ». 621 Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles. 622 Cass. Com., 11 juin 2014, n° 13- 14848, R.D Bancaire et financier, Sept-oct 2014, p. 33. Obs. A. CERLES. 623 Selon l’article L 331-1 du Code de la consommation, « toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci : En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n’y satisfait pas lui-même ». 624 Loi n° 2003-721 du 1 août 2003 pour l’initiative économique. 229 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil cautionnements sous seing privé consentis par une personne physique à un créancier professionnel625. Le droit français exige également que l’engagement de la caution soit proportionné. La Loi Dutreil a créé l’article L 341-4 du Code de la consommation qui prévoit qu’« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Concernant les actes conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Dutreil, le régime prétorien permettait de résoudre la question de la disproportion. Ce, par le biais de deux célèbres arrêts : l’arrêt Macron626 d’abord qui introduit le principe de proportionnalité dans le droit commun du cautionnement et ensuite l’arrêt Nahoum627. Le droit de l’OHADA en l’état actuel du dispositif ne prévoit pas de mention obligatoire ad validitatem encore moins de règle relative à la proportionnalité entre l’engagement et le patrimoine de la caution. À tort, dans la mesure où l’environnement des affaires serait davantage sécurisé si de telles règles étaient imposées. Il faudra sûrement attendre que la question se pose devant la CCJA pour espérer une prise en compte de ces aspects. 422. L’étendue du cautionnement en droit de l’OHADA. Le nouvel Acte uniforme a également simplifié les règles relatives à l’étendue du cautionnement en précisant le caractère supplétif de la règle. L’article 8 alinéa 1er de l’ancien Acte uniforme était ainsi formulé : « le cautionnement d’une obligation peut s’étendre, outre le principal, et dans la limite de la somme maximale garantie, aux accessoires de la dette et aux frais de recouvrement de la créance (…) ». Le nouvel article 18 lui dispose que « sauf clause contraire, le cautionnement d’une obligation s’étend, outre le principal, et dans la limite de la somme maximale garantie, aux accessoires de la dette et aux frais de recouvrement de la créance, y compris ceux 625 Article L 331-1 à 3 du Code de la consommation français. 626 Cass. Com, 17 juin 1997, n° 95-14.105. Cet arrêt a posé le principe de la responsabilité, en raison d’un manquement à son devoir de bonne foi, du créancier qui recueille un cautionnement disproportionné par rapport aux facultés contributives de la caution. Ainsi dans l’arrêt « Macron » la banque a été condamnée à payer au dirigeant-caution, la somme de 3.000.000,00 euros, somme qui finalement n’a jamais été payée puisque le juge a aussitôt ordonné la compensation entre la somme due par la caution et le montant des dommages et intérêts. En conclusion, la caution qui prouvait la disproportion de son engagement percevait des dommages et intérêts. 627 Cass. Com, 8 octobre 2002, n° 99-18.619. En vertu de cet arrêt, la simple disproportion ne suffit pas à caractériser la faute du créancier : il est nécessaire d’établir que le créancier disposait d’informations que l’on ignorait en qualité de caution. Cet arrêt est venu limiter la possibilité pour les dirigeants cautions, en exigeant qu’ils prouvent que le créancier disposait d’informations qu’eux-mêmes ignoraient. 230 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil postérieurs à la dénonciation qui est faite à la caution ». La formule « sauf clause contraire » met l’accent sur le caractère supplétif de l’extension de l’étendue du cautionnement. 423. Les caractères du cautionnement. D’un Acte uniforme à un autre, le caractère accessoire628 du cautionnement a été consacré. Le cautionnement n’est valable que si l’obligation principale l’est au contraire de la garantie autonome. L’innovation majeure pour les pays membres réside dans la validation de l’engagement d’un incapable si et seulement si la caution connaissait l’incapacité du débiteur principal au moment où elle s’engageait ellemême. Le cautionnement, peut être général ou être contracté uniquement pour une partie de la dette629, c’est ce qui a amené le législateur de l’OHADA à apporter des précisions sur les modalités de certaines formes de cautionnement telles que le cautionnement omnibus c’est-àdire de tous engagements aux articles 9 de l’ancien Acte uniforme et 19 nouveau. 424. La consécration du principe du cautionnement solidaire. Le législateur de l’OHADA a consacré de manière expresse un cautionnement solidaire faisant office de principe et relégué au rang d’exception le cautionnement simple dont l’existence reste liée à la volonté des parties ou du législateur. Par cautionnement solidaire, il faut entendre le cautionnement dans lequel la caution peut être amenée à payer en lieu et place du débiteur dès que ce dernier est défaillant. Une telle consécration est louable dans la mesure où elle renforce l’essence du cautionnement qui est de constituer une véritable garantie de paiement. La règle de solidarité exclut le bénéfice de discussion et de division au profit de la caution solidaire qui est tenue de payer la totalité de la dette630. Le paiement effectué par la caution libère totalement ou partiellement le débiteur631, suivant le montant garanti et la caution peut opposer au créancier toutes les 628 Article 7 Ancien de l’Acte uniforme et 17 nouveau de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. 629 De même, la CCJA précise qu’« aucun texte n’interdit à la caution, par une stipulation expresse dans le contrat, de ne s’engager que pour les dettes nées au cours d’une période déterminée. Le cas échant, la caution est libérée par la survenance du terme fixé comme limite à son engagement pour les dettes du débiteur principal nées après l’arrivée du terme ». CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 130/2016 du 07 juillet 2016. 630 CCJA, n° 065/2014 du 25 avril 2014, Madame KONE née OUEDRAOGO Azéta contre La Banque Internationale pour le Commerce, l’Industrie et l’Agriculture du Burkina Faso dite BICIA-B, La Société MADOUA Sarl, Monsieur OUEDRAOGO Joseph. La CCJA retient que les stipulations contractuelles qui font la loi des parties, n’ont rien de contraire aux dispositions de l’Acte uniforme sus indiqué (Acte uniforme relatif aux procédures collectives) et que la banque peut poursuivre la caution quelle que soit la procédure collective ouverte. 631 Sur ce point la CCJA retient plutôt que « le débiteur d’une créance n’en est pas libéré par le paiement même intégral de ladite créance effectué par la caution. Le paiement de la caution permet simplement à cette dernière de subroger le créancier dans ses droits, et donc de pouvoir exercer une action en réalisation de cette créance à l’encontre du débiteur ». Elle se prononçait sur l’interprétation de l’ancien article 20 de l’AUS devenu article 31 231 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil exceptions qui ne sont pas purement personnelles au débiteur. La caution n’est contrainte de payer, que si le créancier a adressé au débiteur une mise en demeure de payer restée sans suite632. Le caractère conventionnel du cautionnement a amené le législateur de l’OHADA à consacrer une obligation d’information à la charge du créancier en faveur de la caution. Le créancier est en effet tenu, aux termes de l’article 14 ancien de l’Acte uniforme et de l’article 24 nouveau, d’informer la caution de toute défaillance du débiteur. Le dernier texte précise néanmoins que cette obligation doit être exécutée pendant le mois de la mise en demeure. L’obligation d’information, appliquée au sein des États membres, ne contribuerait qu’à renforcer la sécurité et l’attractivité du cautionnement. 425. La redéfinition du régime juridique du gage. La réforme du droit des sûretés OHADA a permis de redéfinir le régime juridique du gage, en le distinguant formellement du nantissement. Le critère de distinction est redéfini et concerne désormais la nature corporelle ou incorporelle de la chose et non plus la dépossession ou l’absence de dépossession. Le gage est défini comme « le contrat par lequel le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence sur un bien meuble corporel ou un ensemble de biens meubles corporels, présents ou futurs » 633. Le gage n’est plus « défini par l’une de ses conditions de validité la remise de la chose gagée mais par son objet, le droit de préférence accordé au créancier sur le bien corporel »634. L’analyse des législations des pays membres montre que le gage est considéré avec l’antichrèse, comme une forme de nantissement. La distinction opérée par l’OHADA est salutaire pour ces États. La réalisation du gage se fait suivant trois modalités : une vente forcée, une attribution judiciaire et une innovation de la réforme, la possibilité d’une attribution conventionnelle, le pacte commissoire. qui disposait que « la caution est subrogée dans tous les droits et garanties du créancier poursuivant pour tout ce qu’elle a payé à ce dernier. S’il y a plusieurs débiteurs principaux solidaires d’une même dette, la caution est subrogée contre chacun d’eux pour tout ce qu’elle a payé, même si elle n’en a cautionné qu’un. Si les débiteurs sont conjoints, elle doit diviser ses recours ». CCJA, 3e Ch. Arrêt n° 192/2018 DU 25 octobre 2018. 632 Article 13 alinéa 2 de l’ancien A.U, Article 23 alinéa 2 nouveau de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. 633 Article 92 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés. 634 M. I.- KONATE, « La consécration des sûretés spécifiques OHADA », www.ohada.com., OHADATA D-1191. 232 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil § 2. L’attractivité du droit processuel de l’OHADA 426. Grâce au législateur de l’OHADA, les États membres bénéficient du renforcement des institutions (A) et de l’amélioration des procédures (B), gage de sécurité judiciaire. A. Le renforcement des institutions 427. Le rôle des institutions est renforcé (1) ainsi que leur champ d’application (2). 1. 428. Le renforcement du rôle des institutions Les Registres de Commerce. Le droit de l’OHADA a pour objectif, l’unification du droit des affaires des États membres. Puisque l’investissement est au cœur de l’œuvre du législateur de l’OHADA, il était important de porter un grand intérêt aux instruments qui concourent à la sécurisation de celui-ci. Que ce soit pour la création d’une société, la constitution d’une sûreté, l’information quant à la situation économique d’un débiteur, les effets ne sont pleinement produits qu’à la suite de l’accomplissement de certaines formalités telles que la publicité. Au sein de l’espace géographique de l’OHADA, il existait un Registre dit Registre de commerce, qui avait pour unique but de recevoir l’inscription des commerçants et de leurs activités. Ce registre hérité de l’époque coloniale635 a survécu à la période des indépendances et a été organisé de manière peu homogène avec des appellations diverses. Au Congo, il s’agissait du Nouveau Registre de Commerce, tandis qu’en Côte d’Ivoire l’on parlait de Registre de Commerce. 429. L’institution du Registre de Commerce et du Crédit Mobilier. Le droit de l’OHADA, par le biais, en premier lieu de l’Acte uniforme portant droit commercial général du 17 avril 1997, a institué un Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM). Il s’agit de l’une des réformes les plus cruciales opérées par le législateur, qui met en place un système centralisé d’inscription. Le RCCM est un ensemble de dossiers individuels assortis de fichiers récapitulatifs, qui configurent la vie des commerçants, que ce soient des personnes physiques ou morales. Le RCCM reçoit donc les mentions constatant les modifications survenues tout au long de la vie des entreprises depuis la date de leur immatriculation, et enregistre également leur radiation du registre. Ce nouveau registre est composé du Registre de commerce qui 635 Loi du 18 mars 1919 instituant un Registre de commerce applicable aux commerçants en France et appliquée en Afrique Equatoriale Française par décret du 14 avril 1928 et en Afrique Occidentale Française par Décret du 15 septembre 1928. 233 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil assure l’immatriculation des personnes physiques et morales et du Registre du crédit mobilier qui reçoit l’inscription des sûretés mobilières. Ces deux registres rendent compte du rôle assigné au RCCM. Aux termes des articles 19 et 34 de cet Acte uniforme, il est destiné à recevoir l’immatriculation des personnes qui y sont assujetties ainsi que l’inscription des sûretés, les modifications et radiations survenues dans les procédures collectives, des procédures prononçant des sanctions patrimoniales à l’égard des dirigeants de personnes morales ou encore des décisions de réhabilitation et d’amnistie faisant disparaître les déchéances ou interdictions. 430. Un gage de sécurité juridique. Le RCCM est « considéré comme un élément essentiel pour garantir la sécurité juridique dans les États membres, notamment en conférant aux créanciers et aux co-contractants potentiels de l’entreprise un accès aux informations relatives au statut juridique et à l’endettement de celle-ci » 636. Le Registre de commerce permet, au sein des États membres de l’OHADA, d’assurer la publicité des sûretés qui jouent un rôle crucial dans l’accès au crédit. Le contentieux relatif au RCCM, porte aussi bien sur l’immatriculation, la déclaration d’activité de l’entreprenant, l’inscription du crédit-bail, que sur le droit à l’information des tiers. Cependant, le contentieux relatif aux sûretés et aux privilèges est désormais régi par l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. En permettant l’inscription au RCCM de sûretés mobilières limitativement énumérées, le législateur de l’OHADA exerce une influence sur le droit civil national des États membres. Le nantissement des actions et des parts sociales, le nantissement du fonds de commerce, le nantissement du privilège du vendeur de fonds de commerce, le nantissement du matériel professionnel et du véhicule automobile, le nantissement des stocks, le privilège du Trésor, le privilège de l’administration des Douanes, le privilège d’une institution de sécurité sociale, la clause de réserve de propriété et le contrat de crédit-bail, doivent faire l’objet d’une inscription au RCCM. Plus particulièrement, l’inscription des sûretés qui relèvent du droit commun national atteste de la prise en compte par le législateur de l’OHADA, d’aspects du droit civil national. La réalisation de l’inscription des sûretés, leur donne, date certaine et leur permet d’accéder à un rang dans l’ordre de règlement des créances. Et surtout, l’inscription est la condition exigée à leur opposabilité au tiers. 636 B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Le Droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, Paris, LexisNexis, Litec, éd. du Juris Classeur, Coll. Affaires Finances, 2004, n° 148, p. 39. 234 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. Le renforcement du champ d’application des institutions 431. L’évolution du champ d’application. Les champs d’application rationae materiae et ratione loci ont évolué à la faveur du droit de l’OHADA. Avec l’ancien Acte uniforme, le RCCM était destiné aux termes des articles 19 et 34, à recevoir l’immatriculation des commerçants, personnes physiques et morales, du G.I.E, des autres personnes morales qui y sont assujetties, l’inscription des succursales des sociétés étrangères, des sûretés, des contrats de crédit-bail et de toutes les modifications et radiations survenues dans les procédures collectives, des procédures prononçant des sanctions patrimoniales à l’égard des dirigeants de personnes morales ou encore des décisions de réhabilitation et d’amnistie faisant disparaître les déchéances ou interdictions. Il était essentiellement concentré sur la commercialité et tout ce qui y était lié. 432. Le nouvel Acte uniforme portant droit commercial général étend le champ d’application matériel du RCCM puisqu’en vertu de l’article 35, il a également et désormais pour objet de recevoir l’immatriculation des sociétés civiles par leur forme et commerciales par leur objet, de tous les groupements dotés de la personnalité juridique que la loi soumet à l’immatriculation audit Registre ; de toute personne physique exerçant une activité professionnelle que la loi soumet à l’immatriculation audit Registre; des établissements publics ayant une activité économique et bénéficiant de l’autonomie juridique et financière ; de recevoir la déclaration d’activité de l’entreprenant et de recevoir ses déclarations modificatives et de prendre acte de sa déclaration de cessation d’activité ; de recevoir le dépôt des actes et pièces et mentionner les informations prévues par les dispositions des Actes uniformes concernés ; de délivrer, à toute époque, les documents nécessaires pour établir l’exécution par les assujettis des formalités prévues par les Actes uniformes et toute autre disposition légale ; de mettre à la disposition du public les informations figurant dans les formulaires . 433. Un champ d’application dépassant la commercialité. Désormais, le Registre de Commerce et de Crédit Mobilier, n’est plus uniquement celui des commerçants, il est devenu « le registre des activités, des professions, des acteurs, des professionnels et des opérateurs économiques »637. Cette extension est très perceptible en matière de sûretés puisque, le législateur a décidé d’étendre l’obligation de publicité au nantissement des actions et des parts 637 J. DIFFO-TCHUNKAM, « Regards croisés sur la distinction droit civil- droit commercial, à l’épreuve de l’OHADA », OHADATA D-09-37, [www.ohada.com]., n°24, p. 10. 235 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil sociales, à la réserve de propriété, au contrat de crédit-bail notamment. Le législateur de l’OHADA décide, à l’instar du dispositif juridique particulier qu’il a élaboré, de mettre en place une institution dotée d’un champ d’application étendu. Aussi bien le droit commercial que, le droit civil y sont intégrés. Le législateur centralise ainsi, dans un registre unique, la publicité de toutes les sûretés par les professionnels et qu’il conviendrait d’appeler « fichier central des opérateurs économiques » 638. Le RCCM est fondamentalement perçu comme un outil visant à favoriser l’exercice des activités économiques indépendamment de leur nature et de la qualité de leurs acteurs. C’est ce qui explique que l’entreprenant, qui n’a pas le statut de commerçant, soit tenu de procéder à la déclaration de son activité dans le RCCM. 434. L’innovation mérite d’être saluée et remarquée. Le RCCM recevra à la fois au niveau local, national et régional auprès de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage à Abidjan, l’immatriculation des personnes physiques et morales et l’inscription des sûretés mobilières. Le critère de transparence, essentiel pour le climat des affaires n’en sera que mieux satisfait. Le RCCM est donc organisé selon plusieurs échelons géographiques afin d’assurer une optimisation du rôle informatif et déclaratif de l’institution. Le rôle ne peut être cependant pleinement assuré que si les RCCM locaux ont fonctionné comme il se doit. 435. L’informatisation du RCCM au bénéfice du droit civil national. Le législateur de l’OHADA est allé plus loin en vue de renforcer l’efficacité du RCCM et lui permettre d’assumer les fonctions qui sont les siennes dans des conditions idoines. Il a mis en place un système de dématérialisation à travers l’informatisation du RCCM, du fichier national et du fichier régional. Cette innovation est organisée par le Livre 5 de l’Acte uniforme portant droit commercial général du 17 avril 2010. « Dans chaque État Partie, le Registre du Commerce et du Crédit Mobilier et le Fichier National, peuvent être tenus et exploités soit sur support papier, soit sous forme électronique. Le Fichier Régional est tenu et exploité soit sur support papier, soit sous forme électronique »639. A travers cet article, le législateur de l’OHADA admet l’utilisation de procédures électroniques qui se matérialisent suivant les énonciations des articles 82 et 83 par la transmission de documents électroniques et le recours à une signature électronique. L’article 82 consacre notamment une validité et une force probatoire équivalente aux supports électroniques et supports papier. L’article 83 quant à lui, fait de même pour la signature électronique en énonçant les caractéristiques requises de celle-ci. Les 638 J. DIFFO-TCHUNKAM, ibid. 639 Article 80 de l’AUDCG. 236 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil États membres de l’OHADA pourraient bien consacrer cette force probatoire équivalente reconnue aux supports électroniques et aux supports papier. Les législations nationales en matière de droit civil consacrent majoritairement « le caractère parfait de la preuve par écrit ». Les exigences de célérité, de sécurité et d’évolution des modalités de formalisation des engagements justifieraient une évolution vers une consécration de la preuve par voie électronique. Le RCCM est une institution clé du dispositif juridique OHADA en ce sens qu’il influencera directement les investissements. Les investisseurs ont besoin des informations détenues par le RCCM dans la conduite de leurs relations d’affaires640. 436. La résolution des conflits étendue au droit civil national. De plus, avec le RCCM, les conflits ou éventuels conflits de sûretés sont réduits grâce à la soumission de toutes les sûretés réelles mobilières sans dépossession à une exigence de publicité sous peine d’inopposabilité. En cas de conflit entre un créancier titulaire d’une sûreté réelle sans dépossession et un tiers possesseur du bien, celui qui l’emporte est celui dont le droit est devenu opposable aux tiers en premier641. L’ordre d’inscription au RCCM permet de résoudre les conflits entre créanciers titulaires de sûretés dont l’opposabilité est soumise à l’accomplissement d’une formalité de publicité, dès lors que l’inscription n’intervient pas le même jour. Dans le cas contraire, l’article 57 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés résout les éventuels conflits. B. L’amélioration des procédures 437. Cette amélioration intervient en matière de recouvrement des créances (1) et en matière de procédures collectives (2). 1. En matière de recouvrement des créances 438. Un Acte uniforme salvateur. Les pays membres de l’OHADA évoluaient dans un climat d’insécurité juridique en raison des difficultés de recouvrement des créances. Le caractère obsolète et peu adapté des dispositions héritées du droit colonial était en cause. La réforme des voies d’exécution est apparue comme salvatrice et porteuse d’espoirs, surtout que c’est le domaine qui enregistre le plus important contentieux. L’Acte uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE) a 640 Dans le but de soutenir l’efficacité attendue du RCCM, la Banque Africaine de Développement a approuvé en 2002, l’octroi d’une assistance financière pour son développement. 641 P. CROCQ, ( sous. Dir.), Le nouvel Acte Uniforme portant Organisation des sûretés(…) , op.cit., n° 183, p. 143. 237 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil consacré de nombreuses innovations visant à rendre les mesures d’exécution plus fiables qu’elles ne l’étaient. A priori, il s’agit de l’Acte uniforme qui détient la plus grande force juridique. Contrairement aux autres Actes uniformes qui se limitent à abroger dans leurs dispositions finales, les dispositions contraires, l’AUPSRVE abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les États parties. Il s’articule autour de procédures simplifiées de recouvrement et de voies d’exécution. Elles visent pour les unes à amener le débiteur à une exécution volontaire et pour les autres à contraindre le débiteur récalcitrant ou de mauvaise foi à fournir la prestation qu’il doit ou son équivalent. La seule existence de telles procédures peut contribuer à dissuader le débiteur de méconnaître ses obligations. Encore que les immunités d’exécution642 prévues par l’Acte uniforme puissent limiter leur efficacité. Selon ce texte, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution »643. 439. L’amélioration du dispositif relatif aux procédures simplifiées. Les procédures simplifiées de recouvrement de créances constituent un prélude aux voies d’exécution qui sont la véritable procédure d’exécution forcée. La procédure simplifiée constitue un moyen rapide et peu coûteux dont peut se servir un créancier pour contraindre son débiteur à le payer. Avant l’avènement du droit de l’OHADA, la plupart des pays africains ne connaissaient que l’injonction de payer, cette procédure spéciale de recouvrement des petites créances civiles ou commerciales de nature contractuelle. Le droit de l’OHADA améliore cette procédure et en ajoute une nouvelle. Il s’agit de l’injonction tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé. 440. La procédure d’injonction de payer. La procédure d’injonction de payer ne peut donner lieu à la saisie des biens, mais uniquement à l’obtention d’un titre exécutoire et vise au paiement d’une somme d’argent. La mise en œuvre de l’injonction de payer requiert une requête appelée injonction aux fins de payer, introduite auprès de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l’un des débiteurs en cas de pluralité. La satisfaction de la requête du créancier est subordonnée à la réunion de deux 642 Mais l’immunité d’exécution ne joue pas de manière automatique en certaines hypothèses. Dans un Arrêt n° 123/2014, du 11 novembre 2014, Affaire Hôpital Général de Référence Nationale, en abrégé HGRN C/ Société Total Elf Finio Sa, la CCJA, a écarté le bénéfice par l’Hôpital Général de l’immunité d’exécution. Elle retient que « l’Ordonnance n°075/07 du 16 août 2007 dont la rétractation est poursuivie, a prononcé une simple condamnation en paiement des causes d’une saisie et de dommages et intérêts ; condamnation qui ne relève pas des mesures conservatoires ou d’exécution forcées visées aux dispositions de l’article 30 précitées ». 643 Article 30 de l’AUPSRVE. 238 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil conditions : une créance certaine, liquide et exigible644 selon l’article 1er de l’Acte uniforme qui ait en plus une cause contractuelle645 ou que l’engagement résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce, ou d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante selon l’article 2. Les conditions de l’article 2 sont alternatives et il suffit donc que l’une d’entre elles, soit ajoutée à la condition de l’article 1er. L’Acte uniforme n’exige pas de plafonnement pour le recours à la procédure d’injonction de payer, à la différence des États membres. L’abandon de ce plafonnement permettra à tout créancier, indépendamment du montant de sa créance, d’obtenir, si les conditions requises sont satisfaites, paiement. Cette innovation intègre de manière impérative le droit civil national des États membres. 441. L’injonction de délivrer ou de restituer, une faculté offerte au créancier. La seconde procédure simplifiée est l’injonction de délivrer ou de restituer, qui est une nouvelle procédure qui vise spécifiquement le créancier d’une obligation de délivrer ou de restituer un bien meuble corporel déterminé. Il s’agit d’une faculté qui est offerte au créancier d’une obligation de délivrer ou de restituer646. La requête est « déposée ou adressée au greffe de la juridiction 644 CCJA, Arrêt n°001/2007 du 1er février 2007, Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ATCI C/ Société Civile Immobilière « Elite Construction » dite SCI « Elite Construction ». La Cour a estimé que les éléments constitutifs de la créance de la SCI « Elite construction » répondent bien aux conditions fixées par l’article 1er de l’Acte uniforme sus-indiqué (A.U.P.S.R.V.E) en ce que ladite créance est certaine ; et que la SCI « Elite construction » poursuivant son recouvrement qui porte sur la somme de 34.811.988 francs CFA liquide, la créance invoquée étant déterminée dans sa quantité et donc chiffrée et exigible, la requérante ne peut se prévaloir d’aucun délai ou condition susceptible d’en retarder ou d’en empêcher le paiement ». V. également dans ce sens : CCJA, Arrêt n° 009/2013 du 07 mars 2013, Affaire BIAO-CI contre La société Travaux Publics ZAROUR et CHOUR dite TPZC et ZAROUR GASSANE et ZAROUR NAIF. V. également, CCJA, Arrêt n°019 /2014 du 11 mars 2014, Affaire Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ATCI Contre Société Ivoirienne de Promotion dite SIPROM ; il s’agissait en l’espèce d’un pourvoi invoquant la violation de la loi, notamment l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’erreur dans l’application et l’interprétation de la loi. CCJA, Arrêt N°002/2015 du 12 février 2015, Affaire Société Habitat Bellecour Côte d’Ivoire dite HBCI Sarl C/ KOUOTO SOUASSOU Bruno. 645 La condition relative au caractère contractuel a donné lieu à un vaste contentieux devant la CCJA qui a tranché dans un arrêt du 29 juin 2006. Estimant que la cause de la demande avait pour fondement un accident de la circulation qui est un fait juridique, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi ayant refusé le recours à la procédure d’injonction de payer. V. CCJA, Arrêt du 29/06/2006, Arrêt n° 15, Affaire C.D c/ Société Ivoirienne d’Assurances Mutuelles dite SIDAM, Le Juris-Ohada, n° 4/2006, p. 22. CCJA, Arrêt n° 011/2013 du 07 mars 2013, Affaire Société Tropical Rubber CI dit TRCI C/ Cabinet d’Etude et de Recouvrement en Côte d’Ivoire dite CERCI. En l’espèce, la Société CERCI subrogée dans les droits de la Société FRAME-WORK SARL, sollicitait et obtenait le 09 juin 2006 l’Ordonnance n°3518 par laquelle il est fait injonction à la Société TRCI de lui payer la somme de 75 223 992 F. 646 CCJA, Arrêt n° 002/2008 du 28 février 2008, Affaire VEÏ Bernard Contre BICI-BAIL S.A. Par un contrat de crédit-bail en date du 17 avril 2000, BICI-BAIL S.A a donné en location à la Pharmacie Saint Joseph, avec 239 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur de l’obligation de délivrance ou de restitution. Les parties peuvent déroger à cette règle de compétence au moyen d’une élection de domicile prévue au contrat »647. La procédure est quasiment identique à celle de l’injonction de payer. La décision portant injonction de délivrer ou de restituer doit faire l’objet d’une signification portant à peine de nullité, sommation dans un délai de quinze jours, selon les exigences de l’article 25648. Cette nouvelle procédure semble être plus profitable au créancier en comparaison avec l’injonction de payer, parce qu’elle vise une exécution en nature qui satisfait le respect d’une obligation de faire. Dans un espace géographique où l’exécution en valeur est peu souvent obtenue. Au demeurant, ces deux procédures peuvent donner lieu à l’obtention d’un titre exécutoire qui autorisera la saisieappréhension ou la saisie-exécution. 442. Les voies d’exécution. Le dispositif dans son ensemble, a renforcé les contraintes qui pèsent sur le débiteur. Les voies d’exécution sont des procédures légales qui permettent à un créancier impayé, soit de saisir les biens de son débiteur pour les vendre le cas échéant, et se faire payer ; soit de procéder à une saisie de créance en vue de sa la faire attribuer ; soit, de se faire délivrer ou restituer un bien mobilier corporel. L’ouverture de ces procédures forcées est subordonnée à l’absence d’exécution volontaire, la nécessité d’une créance certaine, liquide et exigible et d’un titre exécutoire649. L’acte de saisie, rend indisponibles les biens qui en sont option d’achat, un véhicule automobile de marque BMW MILLENIUM, au prix de 25.690.000 F CFA toutes taxes comprises, somme payable en 48 mensualités de 603.389 F CFA chacune sur une période de quatre ans allant du 30 avril 2000 au 30 avril 2004. Il est entre autres reproché à l’arrêt attaqué une violation ou une erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi en ce que la procédure de restitution utilisée en l’espèce n’est pas conforme à celle prévue par les dispositions du « Traité OHADA » sur la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé. Alors la CCJA considère que, « contrairement aux allégations du demandeur au pourvoi, la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé est une faculté offerte au créancier d’une obligation de délivrance ou de restitution d’un bien meuble corporel déterminé pour demander au Président de la juridiction compétente d’ordonner cette délivrance ou restitution ; le créancier peut donc suivre les voies de droit commun et en faire fi ». 647 Article 19 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 648 Il ressort de l’article 25 que « la signification contient, à peine de nullité, sommation d’avoir, dans un délai de quinze jours : soit à transporter, à ses frais, le bien désigné en un lieu et dans les conditions indiqués, soit, si le détenteur du bien a des moyens de défense à faire valoir, à former opposition au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par déclaration écrite ou verbale contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout moyen laissant trace écrite, faute de quoi la décision sera rendue exécutoire ». 649 L’article 28 dispose que « à défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits. Sauf 240 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’objet. Le débiteur bien que n’étant pas totalement dépouillé de son droit de propriété, perd celui d’user du bien ou d’en disposer. Il s’agit d’une innovation, dans la mesure où le droit antérieur consacrait une saisie avec enlèvement. Lorsqu’il s’agit d’une saisie conservatoire des créances, le tiers saisi ne peut absolument pas disposer des sommes réclamées, l’indisponibilité de la créance y mettant un frein650. Le débiteur en fait les frais en raison de l’impossibilité pour lui d’obtenir un paiement de son débiteur. 443. La nouvelle saisie vente et les options offertes au débiteur. Le législateur de l’OHADA introduit une innovation importante dans la saisie vente, anciennement saisie-exécution. Le débiteur a la possibilité de choisir entre la vente amiable et la vente forcée de ses biens en vertu des articles 70 et 72 de l’AUPSRVE. La vente amiable offre la possibilité au débiteur, de tirer un meilleur prix de la cession du bien. Il est autorisé à fixer le prix à la lumière du seuil minimum autorisé. Et surtout, s’il réussit à vendre le bien à un montant supérieur au montant de ses dettes, le surplus lui revient. Le droit civil national des États membres sera enrichi de cet avantage considérable. La saisie-exécution, telle qu’en vigueur dans la plupart des États membres de l’OHADA, était dépassée, moins efficace. Le Code de procédure civile, commerciale et administrative ivoirien, prévoit expressément que la saisie-exécution est désormais régie par l’AUPSRVE. 444. La saisie-attribution, ancienne saisie-arrêt. Pour les créances autres que les rémunérations, le législateur de l’OHADA offre au créancier la possibilité de recourir à la saisie-attribution qui est la voie d’exécution mobilière par excellence et a pour effet l’attribution immédiate de la créance saisie651. En effet, « tout créancier muni d’un titre s’il s’agit d’une créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est poursuivie en premier lieu sur les biens meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles ». Pour ce qui est de la définition du titre exécutoire voir CCJA, Arrêt n° 115/2014 du 04 novembre 2014. Affaire Caisse Populaire Coopérative du Littoral (CAPCOL) C/ N’GOWI Emmanuel. Dans l’affaire selon la CCJA, le fait pour la Cour d’appel de ne pas reconnaître à la grosse en forme exécutoire de l’acte notarié authentique n°8816 du 09 septembre 1998 et le certificat d’inscription hypothécaire du 14 mai 2003 du répertoire de Maître MBOBDA MONGOUE Elie, la qualité de titre exécutoire, constitue une violation des dispositions de l’article 33 de l’A.U ». 650 Article 77 alinéa 5 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 651 Selon l’article 153 de l’Acte uniforme, « tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations ». Et l’article 154 alinéa 1 de poursuivre que « l’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée ainsi que tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ». 241 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations »652. La juridiction communautaire est intransigeante quant au respect de ce principe qu’elle a affirmé et réaffirmé dans ses décisions dont la plus récente est celle rendue par la 1ère chambre, le 25 octobre 2018653. En effet, elle rappelle que « la saisie-attribution de créance n’est pratiquée qu’en vertu d’un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible au sens des articles 31 et 153 de l’AUPSRVE ». La CCJA vient en plus, apporter des précisions concernant le type d’acte qui peut être qualifié de titre exécutoire. « Constitue un titre exécutoire régulier de nature à fonder une saisie-attribution de créances la grosse d’un jugement devenu définitif, faute de recours dans les délais légaux »654. L’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée ainsi que tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers. Les sommes saisies sont rendues indisponibles par l’acte de saisie. « Tout se passe comme si le transfert de propriété était instantané » 655. La saisie-attribution a cela d’avantages, qu’elle est plus efficace et plus rapide que l’ancienne saisie-arrêt. La force obligatoire et la force abrogatoire de l’AUPSRVE, emportent sa substitution automatique aux dispositions prévues par les Codes de procédure civile des États membres. 652 Article 153 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 653 CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 173/2018 du 25 octobre 2018. V. en ce sens également, CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 190/2018 du 25 octobre 2018 : « les saisies-attribution de créances ne peuvent être pratiquées que moyennant un titre exécutoire, et leurs contestations ne sont connues que par le juge du contentieux de l’exécution ». V. également, CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 165/2018 du 18 octobre 2018 : « la saisie-attribution de créances est jugée régulière lorsque l’acte de saisie mentionne le titre exécutoire qui sous-tend ladite saisie, et la preuve de son caractère définitif ». 654 CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 63/2017 du 30 mars 2017. Cependant, « la formule exécutoire, apposée sur l’ordonnance d’injonction de payer avant l’expiration du délai normal d’opposition, est en porte- à-faux avec les articles 10 et 335 de l’AUPSRVE et ne peut lui conférer la qualité de titre exécutoire », v. CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 38/2017 du 23 mars 2017. Dans le même sens, « les ordonnances d’injonction de payer ou de restituer ne constituent des titres exécutoires qu’à compter du défaut d’opposition par le débiteur, constaté à la suite de leur signification par exploit d’huissier », Cour d’appel de Commerce d’Abidjan, 3e Ch., Arrêt n° 08/2018 du 20 juillet 2018. 655 F. ONANA-ETOUNDI, « La réforme des procédures de recouvrement et vies d’exécution en droit OHADA : Etude pratique de législation et de jurisprudence », RDUA, n°1, p. 32. 242 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 445. La consécration nouvelle de la saisie appréhension. En matière de bien meuble corporel, le créancier peut mettre en œuvre une saisie-appréhension qui est une mesure nouvelle dans l’espace OHADA. Grâce à cette procédure, le créancier rentre matériellement en possession du bien qui lui revient, en se la faisant restituer ou en prenant livraison656. Il peut également recourir à la saisie-revendication avant toute appréhension. « Les biens meubles corporels qui doivent être délivrés ou restitués ne peuvent être appréhendés qu’en vertu d’un titre exécutoire constitué, le cas échéant, d’une injonction de la juridiction compétente devenue exécutoire. Ces mêmes biens peuvent aussi être rendus indisponibles, avant toute appréhension, au moyen d’une saisie-revendication »657. Concernant la saisie-appréhension, un commandement de délivrer ou de restituer contenant des mentions obligatoires dont le défaut est sanctionné par la nullité658, est signifié à la personne tenue de la remise. Le bien peut aussi être appréhendé immédiatement, sans commandement préalable et sur la seule présentation du titre exécutoire, si la personne tenue de la remise est présente et si, sur la question qui doit lui être posée par l’huissier ou l’agent d’exécution, elle ne s’offre pas à en effectuer le transport à ses frais. Il est dressé acte, de la remise volontaire ou de l’appréhension du bien. Si le bien a été appréhendé pour être remis à son propriétaire, une copie de l’acte prévu par l’article 221 ci-dessus est remise ou notifiée par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception ou par tout autre moyen laissant trace écrite à la personne tenue, en vertu du titre exécutoire, de délivrer ou de restituer le bien. La saisie-appréhension était inconnue des États membres de l’OHADA, à l’exception du Mali659. Elle permet la récupération d’un bien meuble corporel, une récupération en nature. 446. Les saisies conservatoires, un aménagement prévu par l’Acte uniforme. Les saisies conservatoires constituent une variété de mesures conservatoires destinées à rendre indisponibles les biens sur lesquels elles portent dans l’attente de leur conversion en mesure 656 L’article 218 dispose que « Les biens meubles corporels qui doivent être délivrés ou restitués ne peuvent être appréhendés qu’en vertu d’un titre exécutoire constitué, le cas échéant, d’une injonction de la juridiction compétente devenue exécutoire. Ces mêmes biens peuvent aussi être rendus indisponibles, avant toute appréhension, au moyen d’une saisie-revendication ». 657 Article 218 AUPSRVE. 658 Cependant, « celui qui invoque la nullité d’un commandement de restituer pour défaut de mentions obligatoires doit spécifier et caractériser lesdites mentions manquantes et ne peut se borner à déplorer l’absence dans le commandement de la « quasi-totalité » des mentions prescrites à peine de nullité ». CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 11/2008 du 27 mars 2008. 659 Article 745 du Code de procédure civile. 243 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’exécution660. L’Acte uniforme a aménagé un dispositif de saisies conservatoires qui concerne les biens meubles corporels, les créances, les droits d’associés et les valeurs mobilières. La saisie conservatoire des biens meubles corporels est mise en œuvre par l’huissier ou l’agent d’exécution qui dresse un procès-verbal de saisie devant comporter des mentions obligatoires en vertu de l’article 64 sous peine de nullité. La saisie est foraine lorsque le débiteur n’a pas de domicile fixe ou lorsque son domicile ou son établissement se trouve dans un pays étranger. 447. La consécration d’une procédure de contestation spécifique. Le constat qui est fait dans l’espace géographique OHADA, mais pas uniquement, est que les procédures de saisies font l’objet de contestation et cela de manière systématique. Sûrement parce que les biens matériels constituent un signe extérieur de richesse auquel sont fortement attachées, les populations africaines. Le législateur de l’OHADA a organisé la procédure de contestation propre aux procédures simplifiées et aux voies d’exécution qui substituera les dispositions prévues par le droit commun des États membres. L’article 62661 rappelle, pour les mesures conservatoires, la possibilité d’obtenir une main levée de la mesure conservatoire. Concernant les opérations de saisie, il faut se référer aux articles 139 à 146. Par exemple, « les demandes relatives à la propriété ou à la saisissabilité ne font pas obstacle à la saisie, mais suspendent la procédure pour les biens saisis qui en sont l’objet »662. 2. En matière de procédures collectives 448. Le renouveau du dispositif impulsé par le législateur de l’OHADA. Selon le Professeur Françoise PEROCHON, « une procédure collective est traditionnellement patrimoniale, universelle, qui appréhende tous les actifs du patrimoine du débiteur et envisage le règlement 660 A. LEBORGNE, Droit de l’exécution, 2e éd., Paris, Dalloz, 2014, n° 2826, p. 1011. 661 Selon cet article, « pour les mesures conservatoires, en matière de voies d’exécution, même lorsqu’une autorisation préalable n’est pas requise, la juridiction compétente peut, à tout moment, sur la demande du débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire si le saisissant ne rapporte pas la preuve que les conditions prescrites par les articles 54, 55, 59, 60 et 61 ci-dessus sont réunies » . 662 Article 139 de l’AUPSRVE. Et l’article 143 de poursuivre en disant que « les contestations relatives à la saisissabilité des biens compris dans la saisie sont portées devant la juridiction compétente par le débiteur, l’huissier ou l’agent d’exécution agissant comme en matière de difficultés d’exécution ». V. à propos des personnes ayant qualité pour contester la saisissabilité des biens, CCJA Arrêt n°002/2013, du 07 mars 2013, Affaire Société CENTRAL INDUSTRIE C/ Société RAYANE, M. HASSAN KAMEL FTOUNI, M. OMAÏS TOUFIC et Société CAFCACI. En vertu de l’article 144 , « la nullité de la saisie pour un vice de forme ou de fond autre que l’insaisissabilité des biens compris dans la saisie, peut être demandée par le débiteur jusqu’à la vente des biens saisis ». 244 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil de toutes ses dettes en soumettant les créanciers à une discipline collective : le paiement des créanciers est alors et demeurera pendant longtemps sa finalité essentielle »663. Par ailleurs, la procédure collective « implique tous les créanciers d’un débiteur défaillant et les soumet à une même loi, l’arrêt des procédures individuelles, l’obligation de faire valoir leurs droits par le filtre de la procédure de vérification des créances, la désignation de mandataires de justice pour des missions plus ou moins étendues qui couvrent au minimum un contrôle de la gestion, un pouvoir d’arbitrage sur les contrats en cours et le cas échéant la réalisation ordonnée des actifs » 664. Les procédures collectives sont des procédures judiciaires ouvertes lorsque le commerçant, personne physique ou la personne morale de droit privé, est en état de cessation des paiements ou connaît de sérieuses difficultés financières, dans le but d’assurer le paiement des créanciers et, dans la mesure du possible, le sauvetage de l’entreprise et, par voie de conséquence, de l’activité et des emplois. Les règles juridiques relatives aux procédures collectives en droit de l’OHADA ont permis d’améliorer le dispositif juridique en place et en vigueur au sein des États membres, au fil des différents Actes uniformes adoptés. 449. Avant l’entrée en vigueur d’un Acte uniforme relatif aux procédures collectives, la législation des États membres en la matière était principalement composée de textes français qui étaient la référence. Il s’agit notamment du Code de commerce de 1807, tel qu’il a été refondu par la loi du 28 mai 1838, de la loi du 4 mars 1889 sur la liquidation judiciaire, et des décrets-lois du 8 août et du 30 octobre 1935. Seuls quelques États tels que le Sénégal665, le Mali666, le Cameroun, le Gabon, le Bénin, la République centrafricaine et le Burkina Faso667 ont mis en œuvre des réformes ou prévu de le faire. Même si la plupart ont reproduit les textes français, ou se sont inspirés des réformes intervenues en droit français. Jusqu’à la législation de l’OHADA, les États africains n’avaient pas suivi l’évolution du droit en général et du droit français en particulier. En effet, en France, les textes se sont succédé et ont remplacé ceux 663 F. PEROCHON, Entreprises en difficultés, 10e éd., Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, 2014, n°2, p. 20. 664 A. MARTIN-SERF, J.-L. VALLENS, « La sauvegarde financière accélérée est-elle une procédure collective ? », RTD com., juillet-septembre. 2011., pp. 644-645. 665 Loi n° 76-60 du 12 juin 1976 complétée par le décret d’application n°76-781 du 23 juin 1976 dans laquelle figurent les articles 927 à 1077. 666 Loi n° 86-13/AN-RM du 21 mars 1986 portant Code de commerce, dont les articles 173 à 315 traitent notamment du règlement judiciaire. 667 L’ordonnance n°91-043 du 17 juillet 1991 a institué au Burkina Faso le redressement judiciaire inconnu jusqu’alors et qui vient enrichir le dispositif en ne s’appliquant qu’en cas de cessation des paiements du débiteur. 245 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil moins adaptés par des réformes et textes en 1967, 1985, 1994, 2005, 2008. Avec la réforme de 2015, il ne fait aucun doute que l’objet de l’Acte uniforme a évolué et s’est voulu plus vaste en mettant l’accent sur les difficultés des entreprises et leur sauvegarde. Il ressort de l’article 1er nouveau que, l’Acte uniforme a pour objet d’organiser les procédures préventives de conciliation et de règlement préventif ainsi que les procédures curatives de redressement judiciaire et de liquidation des biens. 450. L’extension générale du champ d’application, consacrée par la réforme. L’article 1-1 dispose que « le présent Acte uniforme est applicable à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, civile, commerciale, artisanale ou agricole, à toute personne morale de droit privé ainsi qu’à toute entreprise publique ayant la forme d’une personne morale de droit privé ». Il fait également référence aux personnes morales de droit privé qui exercent une activité soumise à un régime particulier, telles que les établissements de crédit au sens de la loi bancaire, les établissements de « micro finance » et les acteurs des marchés financiers ainsi que, les sociétés d’assurance et de réassurance des États parties au Traité de l’OHADA, lorsqu’il n’en est pas disposé autrement dans la réglementation spécifique régissant ladite activité. Le champ d’application des procédures collectives a été redéfini avec l’admission des personnes physiques autres que commerçantes668. L’Acte uniforme était muet sur la question du secteur informel, ce qui change avec la réforme, puisqu’en admettant dans le champ d’application les personnes physiques non commerçantes, il règle la question. Ainsi, aussi bien les professions libérales exercées à titre individuel que l’entreprenant sont captés par le droit de l’OHADA. La difficulté pourrait résider dans l’inaptitude du secteur informel à supporter le coût et la complexité des procédures collectives. Mais il ne faut pas occulter le fait que le secteur informel ait beaucoup d’importance et ait pris de l’envergure ces dernières années et surtout que l’accès aux procédures soit simplifié. 451. Les incidences du droit des procédures collectives uniforme sur les droits de garantie des créanciers. Le dispositif juridique de l’OHADA en matière de procédures collectives a des incidences sur le droit civil des États membres. Les créanciers munis de sûretés ou de 668 Tribunal de commerce d’Abidjan, Jugement n° RG260/2016 du 19 mai 2016 : « Il résulte de l’article 1-1 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif qu’à l’instar des personnes physiques exerçant une activité́ rémunératrice de revenus et des personnes morales de droit privé, même non commerçantes ainsi que des entreprises publiques, les personnes morales de droit privé exerçant une activité́ de crédit sont justiciables des procédures de conciliation, de règlement préventif, de redressement judiciaire et de liquidation des biens si elles n’en sont pas dispensées ». 246 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil privilèges sont assujettis aux règles de la procédure collective. Tout d’abord, le créancier est tenu de faire reconnaître ses droits afin d’être admis à la procédure collective. En effet, les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, sont soumis à l’arrêt des poursuites individuelles. La conservation du droit de créance et de garantie qui l’accompagne, est tributaire de la satisfaction de l’obligation de production. Elle est prévue par l’article 78 de l’AUPC. La production est « une déclaration faite au syndic par les créanciers d’un débiteur en état de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, indiquant le montant de leurs créances, accompagnée de la preuve de leurs prétentions c’est-àdire les pièces prouvant l’existence de la créance et son quantum »669. Le législateur de l’OHADA impose désormais l’obligation de production au créancier titulaire de sûreté ou de privilège. Il est tenu, dans sa déclaration, de déclarer la sûreté qui accompagne sa créance. À défaut, la sûreté ou le privilège n’est pas admis à titre de sûreté ou de privilège. 452. La liquidation de l’entreprise et les droits sur les immeubles. Dans le cadre de la réalisation de l’actif de l’entreprise, il sera procédé à la vente des biens meubles et immeubles du débiteur. Sur ce point, le législateur de l’OHADA, n’autorise pas les créanciers à procéder à la vente des immeubles. Qu’ils soient titulaires d’une hypothèque ou non, il leur est interdit d’agir en vente du bien. Le juge-commissaire est le titulaire de ce droit, en vertu de l’article 150 de l’AUPC670. Le droit des sûretés des États membres est soumis au droit des affaires de l’OHADA. 453. L’exclusion de modes de paiement pourtant admis en droit commun. Pendant la période suspecte, le législateur de l’OHADA déclare inopposables de droit, certains modes de paiement. Il ressort de l’article 68 de l’AUPC que, les paiements anticipés et ceux effectués par des mécanismes non usuels, sont inopposables. Or, le paiement est le mode par excellence, d’extinction de l’obligation. Le droit admet un aménagement des modalités de paiement, qui peut parfaitement être anticipé. 669 F.-M. SAWADOGO, OHADA, Droit des entreprises en difficulté, Bruylant, 2002, n°213, p. 209. 670 L’alinéa 1 de l’article 150 prévoit que « les ventes d’immeubles ont lieu suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière, sauf dans le cas où ladite saisie est soumise à une clause d’exécution extrajudiciaire conformément à l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Toutefois, le juge-commissaire fixe, après avoir recueilli les observations des contrôleurs, s’il en a été nommé, le débiteur et le syndic entendus ou dûment appelés, la mise à prix et les conditions essentielles de la vente et détermine les modalités de la publicité ». 247 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 454. L’inscription des sûretés mobilières et immobilières. « La décision d’ouverture du redressement judiciaire et de la liquidation des biens arrête le cours des inscriptions de toute sûreté mobilière ou immobilière »671. Toute sûreté régulièrement constituée avant le jugement d’ouverture, mais qui n’a pas fait l’objet de publication, ne peut plus l’être. La méconnaissance de cette interdiction est de nature à entraîner l’inopposabilité de la sûreté. Cependant, l’inscription des sûretés constituées après le jugement d’ouverture, est autorisée. Le droit civil des États membres est encadré par le droit des procédures collectives communautaire. Les créanciers ne peuvent déroger aux règles prévues pour l’inscription des sûretés. 455. L’influence exercée sur le sort des cautions et coobligés. En matière règlement préventif et de redressement judiciaire, le garant personne physique bénéficie de l’arrêt des poursuites de manière automatique. Le législateur communautaire prévoit que « la décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de trois (3) mois, qui peut être prorogée d’un (1) mois dans les conditions prévues à l’article 13, alinéa 2, sans préjudice de l’application de l’article 14 alinéa 3 ci-dessous »672. Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir de la suspension des poursuites. Le droit des procédures collectives vient renforcer dans ce cas précis, la protection des personnes physiques coobligées, qui bénéficient en droit commun national de l’opposabilité des exceptions inhérentes à la dette. Le droit des sûretés, tel que désormais en vigueur au sein des États membres de l’OHADA, est novateur. Le législateur communautaire a créé des sûretés et renforcé le régime juridique de certaines sûretés. Un droit processuel plus attractif a été mis à la disposition des États membres à la faveur de la création du Registre de Commerce et de Crédit Mobilier et de l’amélioration des procédures. 671 Article 73 de l’AUPC. 672 Article 9-1 de l’AUPC. 248 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 456. Le véritable changement est venu du droit substantiel. Dans un contexte de renouveau, de réformes lié à l’après indépendance, la montée en puissance des pôles économiques internationaux d’échanges, l’OHADA a entendu apporté dans son domaine, des réponses aux besoins de sécurisation et de modernisation des législations africaines. Ainsi, de profondes mutations ont été observées au niveau national à travers l’impact des instruments juridiques communautaires : les actes uniformes et les règlements de l’OHADA. Des apports notables matérialisés par la création, l’amélioration, le renforcement des régimes juridiques, du dispositif en vigueur en matière de théorie générale des obligations, droit des garanties ou encore de droit processuel. 249 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU TITRE 2 457. L’objet de ce titre était d’examiner les fondements de l’influence substantielle du droit de l’OHADA, sur le droit civil national des États membres. Il était question de déterminer dans quelle mesure le droit de l’OHADA a pu avoir des incidences sur le droit commun national. Il a pu être relevé que cette influence est effective à au moins deux titres. D’une part, le droit de l’OHADA a apporté des modifications à la structure du droit civil national et d’autre part, le droit substantiel en vigueur a dû faire face à de profonds changements. De transformation, il est surtout question de la construction d’un droit mixte, résultat du dépassement de la distinction classique droit civil/droit commercial. Le droit civil national intègre des notions, activités et acteurs économiques. 458. Bien plus, une nouvelle configuration de la théorie générale des obligations des États membres est à envisager. Le dispositif juridique en vigueur en matière de formation, d’interprétation et d’exécution du contrat, est, grâce au droit de l’OHADA, plus attractif. Au droit des sûretés obsolète de l’époque coloniale, à quelques exceptions près, est substitué un droit des sûretés mieux adapté aux exigences du monde des affaires et des investissements. Au soutien de ces nouvelles règles, des règles de procédure et des institutions nées sous l’impulsion du législateur de l’OHADA, ont contribué à l’amélioration de la sécurité juridique et judiciaire. 250 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 459. Une influence justifiée par le cadre institutionnel et les caractères du droit de l’OHADA. L’emprise du droit de l’OHADA sur le droit civil national des États membres est réelle et perceptible. Que ce soient les principes fondateurs de l’Organisation communautaire qui assurent au droit de l’OHADA une suprématie, ou encore les organes qui portent le projet OHADA, il est indéniable que les pays signataires du Traité de Port Louis, ont opéré un transfert de souveraineté en faveur de l’œuvre commune. L’OHADA étend ses tentacules aussi bien au domaine législatif qu’au domaine judiciaire. Deux instruments assez puissants du moins dans les textes sont dédiés à l’affirmation de ladite force : le droit primaire et dérivé, notamment les Actes uniformes, ainsi que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). L’uniformisation juridique et judiciaire constitue l’essence de l’OHADA. 460. La substitution partielle ou totale de l’ordre juridique de l’OHADA au droit commun national des États membres, en vertu de la supranationalité, de l’effet direct et de l’application immédiate de cet ordre juridique, illustre son influence. Les législations des États membres sont tenues de procéder à la mise en conformité de leur dispositif juridique et de leur ordre judiciaire, sous peine de leur inapplicabilité. Les juridictions de fond nationales restent inféodées à la C.C.J.A qui assure le contrôle de leur action et l’encadre. De plus, cette haute cour supplante les juridictions nationales suprêmes en matière d’application et d’interprétation du droit de l’OHADA conformément à l’article 14 du Traité fondateur de l’OHADA. Obligation leur est faite de se dessaisir de l’affaire, dès lors que la question à trancher concerne l’application du droit de l’OHADA. La puissance de la CCJA est également perceptible dans la possibilité qui lui est faite d’évoquer sans renvoi. En effet, dans l’hypothèse où la Cour juge qu’il a été fait une application erronée du droit de l’OHADA et que la décision encourt l’annulation, la Cour ne renvoie pas l’affaire. 461. Les mutations d’un point de vue substantiel, une manifestation de l’influence du droit de l’OHADA. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres est notable quant aux mutations qu’il a permises d’un point de vue substantiel. En premier lieu, la structure du droit commun national est modifiée. De droit civil, il est désormais question de droit mixte. Mixte, parce que transformé par le caractère hybride du droit de l’OHADA. En second lieu, la théorie générale des obligations notamment la formation du contrat, l’interprétation du contrat, l’exécution du contrat, du point de vue des obligations des parties et du contentieux relatif à l’exécution du contrat, ont été enrichies par le droit de l’OHADA. 251 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Les directives d’interprétation explicites, la prise en compte de la gravité du manquement aux obligations contractuelles, sont des exemples concrets. Le législateur de l’OHADA a créé de nouvelles sûretés, amélioré et renforcé le régime juridique de sûretés existantes et clarifié les règles relatives aux sûretés personnelles et aux sûretés réelles. Les institutions et le droit procédural ont été également influencés par le droit de l’OHADA. Désormais, le Registre de Commerce et de Crédit Mobilier n’est plus limité aux commerçants. Il est devenu le registre des activités, des professions, des acteurs, des professionnels et des opérateurs économiques. Il joue un rôle en matière d’inscription de sûretés. Et transcende le cloisonnement droit commercial/droit civil. Les procédures de recouvrement de créances qui concentrent le taux le plus élevé en matière de contentieux, sont améliorées et renforcées. La force obligatoire particulière reconnue à l’AUPSRVE entraîne une substitution pure et simple de ses dispositions à celles des législations nationales. Les procédures collectives sont désormais pensées comme des moyens de redressement des entreprises qui peuvent en bénéficier indépendamment de la nature de l’activité exercée. Même si les droits des créanciers et des garants sont encadrés de manière assez stricte par le droit des procédures collectives de l’OHADA. 252 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Deuxième partie. L’INFLUENCE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES 462. Un domaine marqué par le droit commun national. Dans le cadre de la relation qui existe entre le droit de l’OHADA et le droit civil national des États membres, il apparaît, il est vrai, une influence du premier sur le second, mais cette influence n’est pas absolue. Elle connaît des limites de nature à remettre en cause l’efficacité et l’effectivité du droit de l’OHADA. Tout d’abord, l’analyse de la structure de l’OHADA et du droit de l’OHADA, mettent en lumière des caractéristiques propres au droit civil. La place du droit civil national des États membres dans la construction du droit de l’OHADA est sans équivoque tant le domaine du droit de l’OHADA porte l’empreinte du droit civil. Les contours du domaine du droit de l’OHADA ne sont pas à rechercher dans des critères propres à celui d’un droit des affaires, mais bien dans la spécificité de l’OHADA étroitement liée à l’histoire et au contexte qui prévalait au sein des États membres. 463. La formulation générale des textes. Aussi, la volonté d’uniformisation se décline-t-elle en une unification, en vue de doter les États membres de règles communes, ou d’une harmonisation dans le souci de laisser s’exprimer en certains points, le droit commun national. Ce modèle d’intégration choisi interpelle, en ce qu’il a des impacts considérables sur les textes élaborés. Ces textes sont formulés en des termes généraux, à l’instar du droit commun national, quand bien même le droit de l’OHADA est présenté comme un droit spécial, dérogatoire au droit commun. Sur certaines questions, notamment celles de la preuve, la volonté du législateur de l’OHADA, d’instaurer de véritables droits communs, est sans équivoque. 464. L’absence d’autosuffisance du droit de l’OHADA et ses lacunes. Un autre aspect de l’influence limitée du droit de l’OHADA sur le droit civil national, réside dans les faiblesses du droit de l’OHADA, qui peine à se suffire à lui-même et qui reste tributaire, pour son efficacité et son effectivité, du recours au droit commun national. Si le cadre institutionnel contribue à limiter l’effectivité du droit de l’OHADA, la forte concurrence normative et institutionnelle n’est pas en reste. La situation aurait pu être moins alarmante si les insuffisances n’apparaissaient pas dans le dispositif juridique qui en certains aspects est inadapté tant du point de vue des contradictions entre textes, que de la cohérence de certains textes. L’objectif d’attractivité du droit de l’OHADA n’est pas forcément atteint au regard du 253 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dispositif contraignant retenu par le législateur en certains aspects. À la vérité, l’absence d’autosuffisance du droit de l’OHADA est principalement due à un renvoi explicite ou implicite fait au droit civil national des États membres. Afin de mettre en exergue l’influence du droit civil sur le droit de l’OHADA, nous traiterons de l’omniprésence du droit civil dans la construction du droit de l’OHADA (Titre I) avant de nous intéresser à l’autonomie limitée du droit de l’OHADA (Titre II). 254 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Titre 1. L’OMNIPRÉSENCE DU DROIT CIVIL NATIONAL DANS LA CONSTRUCTION DU DROIT DE L’OHADA 465. L’idée d’extension et de généralisation dans l’œuvre harmonisatrice. L’ombre du droit civil plane sur la construction du droit de l’OHADA. Qui dit droit commun, dit caractère étendu, général. Concrètement, le choix des matières qui constituent le champ d’application matériel du droit de l’OHADA est caractérisé par cette idée d’extension et de définition par extension. À cela s’ajoute la généralisation des textes, par exemple, au niveau de l’Acte uniforme portant droit commercial général. Cet Acte uniforme comporte, en toute conformité avec son intitulé, des règles générales, des règles de droit commun, concernant notamment les règles de l’immatriculation des personnes physiques et morales. L’Acte uniforme relatif aux droits des sûretés est un véritable droit commun en la matière, car il se positionne comme le dispositif des règles juridiques en droit des garanties. 466. L’inspiration « civiliste » des règles édictées. Les règles édictées par le législateur de l’OHADA sont fortement inspirées du droit civil ou plutôt de la tradition civiliste, tradition commune à la majorité des États membres. L’empreinte du droit civil national sur le dispositif juridique de l’OHADA prend la forme d’une incursion du premier dans l’élaboration des textes. L’instauration d’un droit commun dans certains domaines tels que la preuve illustre bien cette réalité. Il est nécessaire de traiter du domaine du droit de l’OHADA en ce qu’il est marqué par le droit civil national (Chapitre 1). Il ne doit pas être occulté, la présence du droit national au sein du droit substantiel OHADA (Chapitre II). 255 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 1. UN DOMAINE DU DROIT DE L’OHADA MARQUÉ PAR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES 467. Mettre en lumière l’influence du droit civil dans la détermination du domaine du droit de l’OHADA nécessite qu’un intérêt soit porté au concept même de droit des affaires de l’OHADA. Existe-t-il réellement un droit des affaires OHADA ? La recherche du concept de droit des affaires de l’OHADA sera effectuée (Section 1). Les mécanismes d’intégration retenus par le législateur retiendront ensuite l’attention. Puisque, la tentative de réponse se trouve dans les choix du législateur de l’OHADA (Section 2). Section 1. À la recherche du concept de droit des affaires de l’OHADA 468. Rechercher le concept de droit des affaires de l’OHADA impose une démarche précise, consistant à l’étude des éléments pouvant concourir à la définition dudit droit (§1). Cette démarche mènera à un nécessaire recours à des critères spécifiques au droit de l’OHADA (§2). §1. Les éléments d’une définition du droit des affaires de l’OHADA 469. Seront traités l’origine du droit des affaires (A) et les critères du droit des affaires (B). A. L’origine du droit des affaires 470. Il est indéniable que le droit des affaires est lié au droit commercial (1) et que ses sources doivent être précisées (2). 1. Le droit commercial 471. Une source commerciale du droit des affaires. À l’origine du droit des affaires, le droit commercial dont il s’est démarqué au fil des années et de l’évolution des relations d’affaires. Pendant longtemps, le droit des affaires était désigné par l’expression droit commercial673. L’histoire du droit des affaires se mêle à celle du droit commercial suivant trois phases de l’histoire : l’antiquité, l’ancien droit et la période postrévolutionnaire. Pendant l’antiquité, c’est véritablement le droit romain qui nous enseigne sur l’origine du droit commercial. Il est vrai que le droit romain est plus connu pour le droit civil mais il a su organiser le « commerce ». Les romains distinguaient le Jus civile du Jus gentium qui servent de fondement à la distinction du droit commercial et du droit civil. L’on doit au droit romain, la 673 Y. GUYON, Droit des affaires, Droit commercial général et sociétés, op. cit., n° 1, p.1. 256 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil représentation et la réglementation des opérations de banque qui ont joué un rôle crucial dans le développement du droit commercial. 472. La période de l’ancien droit. La période de l’ancien droit regroupe le Moyen âge, les temps modernes et le droit intermédiaire. Le Moyen âge demeure la période qui a fortement influencé l’évolution du droit commercial, avec la naissance des corporations au sein desquelles sont regroupés les commerçants. Le Jus mercatorum qui leur est appliqué est influencé par les croisades, les foires, qui apparurent à partir du XIe siècle sur les itinéraires de pèlerinages et le droit canonique. Il se caractérise par son aspect rigoureux, rapide et surtout international. Cette dernière spécificité est la principale du droit des affaires tel que pratiqué de nos jours. Que ce soient les contrats commerciaux, la lettre de change, les règles de la faillite, les opérations de banque, tous trouvent leur siège au Moyen âge. De même apparaissent les premiers éléments de la comptabilité en partie double ainsi que la société674. Les temps modernes apportent entre le XIe et le XVIIIe siècle, des changements notables, tels que la création des tribunaux consulaires par un édit de Michel DE L’HOSPITAL, selon le système de l’échevinage qui caractérise encore les tribunaux de commerce actuels. Aussi, assiste-t-on à l’adoption des ordonnances dites de Colbert, ordonnances du commerce élaborées par Jacques Savary, la suppression des corporations et la disparition de tout esprit systémique. Le droit intermédiaire est une période très peu enrichissante, si ce n’est qu’elle a été le lieu de proclamer la liberté du commerce et de l’industrie. Et également la loi de Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 qui vient confirmer la suppression des corporations et l’interdiction d’en constituer de nouvelles. 473. La période « post révolutionnaire ». La période post révolutionnaire, est marquée par l’omniprésence de questions économiques avec la succession de systèmes. Le Libéralisme est le système économique qui marque le XIXe siècle. Au libéralisme succède l’interventionnisme qui veut une intervention plus accrue de l’État dans le domaine économique. Il règne de la première guerre mondiale à la seconde. La période dite contemporaine à elle seule concentre une diversité de systèmes en ce que l’après-guerre a vu le retour du néo-libéralisme. Mais dès 1981, l’emprise de l’État a été renforcée par l’extension du secteur public ; État qui se lance dans une politique de planification avec des lois programme. Cet interventionnisme de l’État n’a pas duré, car à partir de 1983, l’esprit 674 J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. T.-VIGNAL, Droit commercial, Droit interne et aspects de droit international, 29e éd., Paris, L.G.D.J, 2012, n°6, p. 21. 257 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’entreprise a été à nouveau plébiscité. De manière précise en avril 1986, « le gouvernement a annoncé une remise en cause intégrale des mesures de nationalisations et entrepris un plan de privatisation » 675. 474. Il faut dire que, de sa naissance à sa conception actuelle, le droit commercial a connu un point culminant qui est la phase de codification marquée par le Code de commerce de 1807 composé à l’origine de 648 articles. Mais ont suivi des phases de décodification et de recodification. De décodification en fait, il s’agissait de l’adoption de lois spéciales en dehors du Code de commerce ne laissant subsister que quelques dispositions du Code676. Le Code n’a disparu pas pour autant, d’autant plus qu’un processus de codification visant sa refonte a été relancé et donna lieu à un nouveau Code de commerce en l’an 2000677. Cette « navette » entre codification et décodification, met en lumière les difficultés existentielles du droit commercial qui subit l’existence de textes spéciaux et celle du droit civil dès lors que les contrats commerciaux sont soumis aux règles du Code civil relatives à la théorie générale des contrats. Ces facteurs ont contribué au dépassement du droit commercial originaire et à l’émergence d’une discipline plus actuelle, plus au fait de la réalité du monde des affaires, puisque des matières telles que la fiscalité, le droit de la concurrence l’affaiblissent. Cette discipline est connue invariablement sous le terme de « droit des affaires » ou « droit des professionnels ». Certains auteurs estiment que le lien entre le droit des affaires et le droit commercial est un lien de synonymie le premier étant le fruit de l’évolution du second. 2. Les sources du droit des affaires 475. L’existence de sources spécifiques. Les sources du droit des affaires pourraient être directement assimilées à celles du droit commercial, mais il convient de nuancer une telle approche. S’il est vrai que la catégorie des sources ne diffère pas sensiblement, il est tout aussi vrai que le fond dénote parfois de spécificités. Ainsi, le droit des affaires possède les sources usuelles que sont la loi, les usages, dans une certaine mesure la doctrine, mais auxquelles s’ajoutent, la réglementation professionnelle et les sources découlant du caractère 675 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des Affaires : Du droit commercial au droit économique, op.cit., n°31, p. 41. 676 D. HOUTCIEFF, Droit commercial, op. cit., n° 10, p. 5. 677 Le processus débute par la proposition d’un projet de code en 1993 et l’adoption de la loi n°99-1071 du 16 décembre 1999 qui habilita le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance conformément à l’article 38 de la constitution française. 258 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil international de la matière. Concernant la loi, la source principale est la codification des lois commerciales à travers notamment le nouveau Code de commerce. L’apparition d’une nouvelle branche dans la deuxième partie du XXe siècle, grâce aux organes de défense et des associations de consommateurs, vient enrichir les sources légales du droit des affaires. Il s’agit du droit de la consommation qui, s’intéressant principalement aux relations entre professionnels et consommateurs, a fait l’objet d’un Code de la consommation promulgué par une loi du 26 juillet 1993. Par ailleurs, lois civiles et fiscales influencent le droit des affaires en ce qu’elles interviennent dans l’organisation des entreprises, acteur économique essentiel. 476. S’il y a bien un domaine pour lequel les usages ont une place de choix, c’est bien le droit des affaires à l’instar du droit commercial. Le droit des affaires a été identifié pendant très longtemps par son caractère coutumier avec des usages non écrits. L’importance de l’usage pour le droit des affaires, s’explique par les principes qui le régissent à savoir la confiance, la célérité, l’éthique. S’inspirer des règles usuelles, établies entre professionnels, renforce la confiance et le respect de l’éthique. Il est clair que l’on a forcément confiance en des pratiques élaborées et adoptées par nos pairs ; d’autant plus que la rapidité des opérations et des échanges s’en voit renforcée. Les usages étant des habitudes, pratiques, suivies de longue date au sein d’une profession, d’une région, d’une localité et dont la force obligatoire est variable. Le Code civil renvoie parfois aux usages du commerce et aux lois réalisant ainsi un renvoi légal. Il existe des usages conventionnels et des usages qui ont un caractère impératif, dans l’hypothèse où ils suppléeraient la loi ou supprimeraient son application. 477. La réglementation professionnelle est spécifique au droit des affaires qui porte l’empreinte du droit corporatif qui revêt plusieurs formes. Le droit des affaires étant par définition le siège des négociations, des transactions économiques, il est dominé par les ententes, les règlements des marchés, des professions et la déontologie. Il ne faut pas occulter les règles élaborées par les organes de contrôle et d’encadrement des professions organisées. Les contrats types ne sont pas à négliger. 478. Le développement de règles uniformes. De plus en plus, la mondialisation, la globalisation, la division du monde en zones d’influences ont contribué au développement du droit international des affaires. Cela, simplement parce que le droit des affaires devait répondre aux exigences du commerce international678. Se sont donc développées des règles 678 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des affaires : du droit commercial au Droit économique, op.cit., n°52, p. 60. 259 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil uniformes que l’on doit aux organismes internationaux et de la communauté économique internationale. Les organismes internationaux tels que l’OMC679, la CNUDCI680, la CNUCED681, rédigent et veillent à l’application des conventions internationales. À côté de ces organismes, les institutions financières internationales telles que, le FMI682 et la BIRD créés par les accords de Breton Woods, soutiennent le développement des pays membres et veillent à la stabilité des cours du change. Il existe néanmoins des règles obligatoires et des règles conventionnelles dont le caractère est tributaire de la convention internationale qui les met en place. En matière de règle obligatoire, il s’agit, d’une part, de procéder à une unification en imposant aux États membres l’adoption d’une loi interne identique. Ce procédé est très prisé dans le cadre de la mise en place d’organisations supranationales. D’autre part, la définition de la loi qui s’impose en cas de conflit de lois est une option possible. Dans une règle de conflit de lois, trois parties sont distinguées : « la catégorie de rattachement, le critère de rattachement et le droit applicable souvent appelé Lex causae. (…) La règle de conflit de lois est en général une règle bilatérale, c’est-à-dire qu’elle peut désigner indifféremment soit le droit de l’État dont elle fait partie, soit le droit d’un autre État »683. Elle prévoit de « régler le conflit de lois revient à rattacher le rapport de droit à la loi de l’État avec lequel il entretient la proximité la plus forte »684. La résolution du conflit exigera un choix entre plusieurs règles 679 L’ Organisation Mondiale du Commerce est l’Organisation qui s’occupe des règles régissant le commerce interétatique. 680 La Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International a été créée par la Résolution 2205 (XXII) de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 17 décembre 1966. Elle élabore des règles modernes, équitables et harmonisées sur les opérations commerciales. 681 La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement ; organe subsidiaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies créé en 1964. Son but est de réaliser l’intégration des pays en voie de développement dans l’économie mondiale. 682 Le Fonds Monétaire International a été créé en juillet 1944, lors d’une conférence des Nations Unies à Bretton Woods dans le New Hampshire (États-Unis). Les quarante-quatre pays représentés à la conférence voulaient établir un cadre de coopération économique pour éviter que ne se reproduisent les dévaluations compétitives qui avaient contribué à la grande crise des années 30. L’objectif premier du FMI est de veiller à la stabilité du système monétaire international, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui permet aux pays (et à leurs citoyens) de procéder à des échanges entre eux. [https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/glancef.htm]. 683 A. BUCHER, A. BONOMI, Droit international privé, 3e éd., Zurich, Helbing Lichtenhahn, 2013, n° 12, p. 3. 684 O. CACHARD, Droit international privé, 6e éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, n°294, p. 175. 260 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dans le cadre de la méthode dite du conflit de lois685. En clair, sera recherchée la résolution d’un problème, celui de « l’option entre plusieurs lois ayant toutes vocation, en raison de liens particuliers qui rattachent une solution à elles, à régir ladite situation686. La méthode unilatérale coexiste avec la méthode bilatérale même si la méthode bilatérale dite « règle savignienne » s’est imposée en droit positif. 479. L’élaboration de règles conventionnelles est souvent l’affaire d’organisations corporatistes, telles que la Chambre de commerce internationale qui est l’organisation mondiale des entreprises. Cette organisation a réglementé le crédit documentaire et élaboré des mots codes correspondant aux ventes commerciales les plus fréquentes et énumérant les obligations des parties, appelés « incoterms ». Bien que faisant partie des sources du droit des affaires, le cas des organismes européens mérite d’être traité de manière distincte et particulière. L’Union européenne est une source d’inspiration majeure de bon nombre d’organisations internationales et communautaires. Elle est le modèle par excellence le plus abouti d’intégration juridique et économique. Dans le cadre de l’Union européenne, « les États abdiquent une partie de leur souveraineté et de leur compétence normative au profit d’instances communes »687. B. Les critères du droit des affaires 480. Ils s’analysent en deux critères : d’une part, le critère de la finalité du droit des affaires (1) et d’autre part, le critère institutionnel du droit des affaires (2). 1. Le critère de la finalité du droit des affaires 481. Un critère déduit de ceux du droit commercial. Il n’existe pas de critère unanimement et textuellement admis pour définir le droit des affaires. Le droit des affaires est aujourd’hui reconnu comme la discipline juridique qui régit la vie des affaires, les entreprises donc transcende la notion stricte du droit commercial. Établir un critère du droit des affaires c’est partir de ceux du droit commercial et évoluer. Le droit commercial est défini selon deux 685 B. HAFTEL, La notion de matière contractuelle en droit international privé : étude dans le domaine du conflit de lois, Thèses de Paris, Paris, 2008, n°381, p. 183. 686 P. MAYER, V. HEUZE, Droit international privé, 10e éd., Domat Montchrestien, Paris, 2010, n° 6. V. également H. BATTIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, 8e éd., Paris, L.G.D.J, Tome I., 1993, n°3. 687 B. MATHIEU, Directives européennes et conflits de lois, Tome 560, Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, 2015, n°14, p. 13. 261 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil approches : l’une objective et l’autre subjective. Selon l’approche objective, le droit commercial serait le droit des actes de commerce, indépendamment de la qualité de celui qui les conclut et les exécute. La loi consacre parfois cette vision et cela à juste titre, en ce qu’une telle conception permet de faire entrer dans le champ de la commercialité des actes usuels de l’activité économique. C’est par exemple le cas pour les lettres de change auxquelles, est toujours appliqué, le droit commercial. Suivant ce critère, le droit commercial ne sera appliqué à un acte donné qu’ à la condition que celui-ci réunisse les caractéristiques de l’acte de commerce, peu importe que son auteur soit un commerçant ou un non commerçant. 482. Les lacunes du critère objectif. L’application du critère objectif au droit des affaires ne peut être valable que dans la mesure où le droit commercial et le droit des affaires sont assimilés l’un à l’autre de manière stricte. Or, il est clairement admis que le droit des affaires est le fruit de l’évolution, de la mue du droit commercial. Et cette discipline ne se formalise absolument pas de la nature de l’acte accompli. La conception objective du droit commercial est insuffisante ou ne parvient qu’à caractériser de manière partielle le droit des affaires. Le droit des affaires regroupe des actes de natures différentes, qu’ils soient de commerce ou civils ou encore mixtes. Ainsi, un opérateur économique qui accomplit différents types d’actes verra le droit commercial s’appliquer, pour ceux répondant à la définition de l’acte de commerce, comme prévu par le Code de commerce. Mais d’autres critères rentreront en ligne de compte pour les actes de nature civile, auxquels le droit civil sera appliqué. L’approche objective propre au droit des affaires serait une approche qui proclamerait que le droit des affaires est le droit des « actes de la vie économique, de la vie des affaires ». 483. Les carences de l’approche subjective. L’approche subjective relègue à une place subsidiaire, la nature de l’acte pour accorder la préséance à celle des auteurs de l’acte. Les tenants de cette conception précisent simplement que le droit commercial est le droit des commerçants parce qu’il a été créé pour répondre exclusivement aux besoins des commerçants. Par conséquent, suivant cette approche, un acte sera qualifié d’acte de commerce dès lors qu’il est accompli par un commerçant dans l’exercice de sa profession. A contrario et toujours en application stricte de la conception subjective, un acte n’est pas un acte de commerce lorsqu’il est accompli par un non-commerçant. La conception subjective renvoie à l’idée qu’il s’agirait d’un droit professionnel et corporatiste. Cette approche puise dans la tradition et l’histoire du droit commercial. Il est évident que l’approche subjective prise isolément ne permet pas de résoudre de manière pertinente la question du critère du droit 262 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des affaires. Les commerçants n’étant pas les seuls acteurs pris en compte par la matière. En effet, le droit des affaires n’est pas le droit des commerçants, mais le droit des acteurs économiques, c’est « un corpus juridique qui vise l’entreprise, voire les professionnels en général, sans se préoccuper de la qualité de commerçant »688. Peut-on valablement se contenter de l’approche subjective quand le commerçant fait partie des professionnels ? À la vérité, autant le droit positif ne semble pas s’être prononcé en faveur de l’une ou l’autre approche qu’il s’avère difficile de mettre en œuvre de manière séparée689, autant l’essence du droit des affaires est logée au cœur d’une notion fédératrice : l’activité économique. Activité qui se décline en acteurs économiques et en actes économiques. 484. En considérant le droit de l’OHADA qui se veut un droit des affaires, il paraît difficile de lui appliquer l’approche objective ou l’approche subjective susvisée. Déjà, parce que le droit de l’OHADA ne prend pas sa source dans le droit commercial en tant que tel ou du moins dans une moindre mesure. Il se positionne d’entrée comme le droit qui s’intéresse à l’activité économique et par voie de conséquence aux entreprises. Le droit de l’OHADA n’a pas suivi l’évolution classique du droit des affaires avec à l’origine un droit des commerçants et des actes de commerce. Si les deux approches sont désuètes pour le droit des affaires classique, elles le sont encore plus pour ce droit spécifique. 2. Le critère institutionnel du droit des affaires 485. Le particularisme des institutions. Le droit commercial est défini également par des institutions particulières telles que les institutions judiciaires et, disons, économiques. La construction du droit commercial a été consolidée grâce à la création de tribunaux de commerce qui ont le mérite de l’avoir extraite de l’influence du droit commun. De la composition aux règles applicables en passant par le droit processuel, une véritable spécificité existe. Le droit des affaires est bien au-delà de ces considérations, car il instaure sa propre « spécificité ». Une spécificité qui exigerait la mise en place de juridictions répondant au 688 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit commercial, 18e éd., Tome I., vol. 1., Paris, L.G.D.J, 2001, n°7, pp. 4-5. 689 L’article L 121-1 du Code de commerce dispose que les commerçants sont ceux qui exercent les actes de commerce et en font leur profession habituelle. L’article L 110-1 énonce la liste des actes de commerce. Si l’on s’en tient à ces dispositions, il semblerait que la conception objective l’emporte. Mais le même Code en reconnaissant un caractère commercial aux actes accomplis par les commerçants dans l’exercice de leur commerce, dans le cadre de la règle de la commercialité par l’accessoire, reconnaît la conception subjective. Ainsi la définition du Droit commercial n’est complète qu’en réunissant les deux approches. 263 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil principe de l’échevinage avec des juges à la fois spécialistes du droit commercial et ceux rompus à l’art du droit civil sans oublier les disciplines transversales. L’on peut affirmer que le droit de l’OHADA a quelque peu réussi à établir du point de vue juridictionnel, cela s’entend, une révolution en créant une juridiction supranationale qui est chargée de l’application d’un « droit des affaires ». Un droit qui rassemble droit civil et droit commercial. 486. Le cas spécifique des institutions de l’OHADA. Le problème concernant les institutions judiciaires de l’OHADA est qu’elles ne se départissent pas tant de celles du droit commun. Leur structure est calquée dans une certaine mesure sur la structure de ces institutions. En effet, la CCJA fonctionne comme une Cour suprême ou une Cour de cassation telle que connue en droit civil. Son action est précédée par celle des juges de fond qui bien qu’appliquant le droit de l’OHADA en première instance, sont en général amenés à appliquer le droit commun en appel. Les délais relatifs à la procédure judiciaire ne diffèrent pas réellement des délais de droit commun du point de vue procédural. Par exemple, le justiciable qui entend porter son affaire devant la CCJA après la décision d’une Cour d’appel dispose d’un délai de deux mois à compter de la signification de la décision attaquée à l’instar du droit national. L’on rétorquera que, lorsqu’il s’agit de l’application du droit commercial ou du droit des affaires, les juridictions sont séparées en chambres qui connaissent, de manière spécifique de ces litiges. Ce, lorsqu’il n’existe pas de tribunal de commerce. Cependant, au sein des États membres de l’OHADA, l’évolution de l’organisation judiciaire n’a pas suivi celle du dispositif juridique. 487. Le droit commercial est caractérisé par des institutions fondamentales telles que le fonds de commerce, qui ont longtemps porté la matière. Le fonds de commerce est aujourd’hui en retrait, parce que supplanté par une nouvelle institution : l’entreprise. Or, il y a encore quelques années, le fonds de commerce était la source de rayonnement de l’œuvre entrepreneuriale, car constituant l’ensemble des éléments corporels et incorporels appartenant à un commerçant ou à un industriel et réunis qui sont affectés à l’exercice d’une activité. De la consistance du fonds de commerce, dépendait le succès de l’entreprise. En effet, la valeur attachée à l’enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l’achalandage notamment, était cruciale pour l’activité de l’entreprise. Désormais, c’est l’entreprise ellemême qui cristallise l’intérêt d’un point de vue de l’activité qu’elle permet de créer ou de développer. En prenant le parti de se positionner avec l’entreprise comme valeur centrale, il est vrai que l’OHADA a pris le pari de l’économie avant tout, mais a opéré une forme de recul 264 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil en ce que la notion est entourée d’une brume. L’entreprise est une notion tentaculaire qui emprunte à différentes disciplines dont le droit civil. Le détachement de l’OHADA et par voie de conséquence du droit de l’OHADA du droit civil est ainsi difficile à accomplir. § 2. Le nécessaire recours à des critères spécifiques au droit de l’OHADA 488. Les critères tirés du droit des affaires, comme connu à l’origine, sont insuffisants pour la définition du droit des affaires de l’OHADA. Il est essentiel de revenir à l’origine du droit de l’OHADA (A) et à la structure des actes constitutifs (B). A. L’origine du droit de l’OHADA 489. La création de l’OHADA repose sur un contexte particulier à la fois historique (1) et économique (2) de l’après-indépendance. 1. Le contexte historique 490. Quelques rappels d’histoire. L’histoire du droit de l’OHADA et de l’OHADA ne peut être fidèlement énoncée, sans faire la rétrospective des faits marquants de l’histoire des États africains membres de l’OHADA. Le contexte historique est celui de la colonisation avec des colonies françaises en grande majorité. Le principe usuel et uniformément admis en matière de réglementation est que le droit des « puissances colonisatrices » est étendu aux colonies. Ainsi, une bonne partie du droit français en l’occurrence le droit commercial et le droit des sociétés, s’est vu transféré en tant que tel aux colonies françaises690. Durant donc l’époque coloniale, le droit applicable était principalement le droit du colonisateur. Aux différents Codes et autres textes de loi applicables, ont été ajoutés d’autres textes par les colonisateurs grâce au « principe de la spécialité » législative. En vertu de ce principe, les lois et règlements du colonisateur ne sont pas applicables de plein droit aux colonies et ne le seront que si cette application est prévue par une mention expresse. Après l’accession à l’indépendance, la situation ne fut pas différente, du moins, il n’eut pas de changement immédiat dans le dispositif juridique. Suivant le principe de la « continuité législative », principe à valeur constitutionnelle, les nouveaux pays indépendants ont hérité de la législation des anciennes 690 M. ZERBO, « Les spécificités de la réglementation bancaire au regard du droit OHADA des sociétés commerciales », Revue CAMES/SJP, n°001/2016, p. 193-221. 265 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil puissances, « législation désuète et souvent inadaptée au contexte social et économique des États nouvellement indépendants » 691. 491. L’accession à l’indépendance. Les premières années qui ont suivi l’accession à l’indépendance, les États africains fonctionnaient avec le droit légué par les puissances. Ce droit, s’il semblait convenir dans un premier temps, a au fil du temps, montré ses limites, tant il était de moins en moins adapté aux réalités africaines. Dans un contexte où il appartenait désormais aux pays africains de montrer qu’ils étaient des interlocuteurs aussi crédibles sinon plus que les colonisateurs, le Code civil français de 1804, le Code de commerce de 1807, notamment pour les colonies françaises, paraissaient désuets. En clair, il était estimé que « le droit hérité de l’ancienne puissance coloniale était assez largement artificiel et s’appliquait sans doute superficiellement, car il ne correspondait pas aux besoins de ses utilisateurs étrangers et au développement des échanges commerciaux interafricains »692. Les dirigeants africains ont commencé à se positionner pour la plupart en faveur de réformes totales ou partielles de leurs législations respectives. Le premier constat est que les réformes étaient faites de manière différente selon les priorités et la volonté politique des dirigeants ou encore les orientations économiques. Ainsi, pendant que certains pays entamèrent la réforme de leur droit commercial, d’autres se préoccupèrent davantage du droit commun précisément du droit des obligations civiles. 492. La conséquence immédiate pour les anciennes colonies en général et les anciennes colonies françaises en particulier fut la disparité juridique qui attisait la méfiance des investisseurs face à des textes confus et hétérogènes. Plusieurs voix se sont élevées pour dépeindre cette situation et la décrier. L’illustre juge Kéba MBAYE, figure importante de la construction de l’OHADA qui dirigea les travaux préparatoires, ne se défila pas quand il s’agit d’évoquer la question. Il exprima clairement sa pensée en affirmant que : « l’Afrique devenue indépendante a tout de suite sombré malheureusement dans une balkanisation juridique, conséquence du repli politique. En effet, chaque État s’est enfermé dans son atelier juridique et a construit un 691 E. KAGISYE, « Environnement institutionnel des affaires en Afrique : Contexte et structure d’harmonisation du droit OHADA », Archives ouvertes. [https://hal-auf.archives-ouvertes.fr/hal-01495556]. 692 D. ABARCHI, « Problématique des réformes législatives en Afrique : le mimétisme juridique comme méthode de construction du droit », Penant, janv-mars 2003, n° 842, p. 88. 266 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil arsenal de textes, en particulier relatifs au droit des affaires »693. Toutes ces réformes ont été mises en œuvre sans aucune forme d’uniformité, si bien que le droit des affaires était multiforme, très peu évolué dans des États et par contre moderne dans d’autres. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où l’indépendance acquise durement ou octroyée était un trésor qu’il « fallait garder jalousement » et il était important de marquer son autorité envers les autres pays. 493. L’insécurité juridique. La disparité de législations accentuée par les volontés politiques discordantes a affaibli le système juridique africain. L’insécurité juridique et l’insécurité judiciaire étaient d’autant plus caractérisées que les législations étaient inadaptées, difficiles d’accès et parfois peu compréhensibles. Surtout, il s’avérait parfois difficile de déterminer avec précision le texte applicable à un acte ou un fait juridique donné. Dans ce contexte de renouveau et de changement, l’Afrique en proie à des conflits politiques et/ou armés, devait, en plus, gérer la crise économique et financière qui sévissait. L’idée de la création de l’OHADA est née d’une volonté politique de renforcer le système juridique africain en adoptant un cadre juridique certain et stable pour la conduite des affaires et l’investissement en Afrique. Cette initiative est considérée comme indispensable pour le développement du continent694. Comme le précisait d’ailleurs à raison Kéba MBAYE, « l’émiettement de notre droit commun est un facteur négatif de notre progrès qui ne peut être que commun. Sur le plan national, des textes sont promulgués alors que d’autres, dans le même domaine, ne sont pas abrogés. Il en résultait des chevauchements et les opérateurs économiques restent dans l’incertitude de la règle de droit applicable »695. Et c’est bien le contexte économique qui a amené les pays africains à franchir le pas de l’harmonisation en matière de droit des affaires. 2. Le contexte économique 494. De l’opulence au déclin. L’histoire économique de l’Afrique depuis l’indépendance rime avec fluctuations et instabilité. La vague d’accession à l’indépendance des pays africains, notamment ceux d’Afrique subsaharienne, qui se situe dans les années 1960, était porteuse d’espoirs. Espoirs en des lendemains meilleurs, en une prospérité réelle et plus importante, 693 K. MBAYE, communication in Comment l’Afrique peut-elle prendre en main son développement? colloque « l’Afrique francophone les conditions d’un nouveau départ », 18 octobre 1995, [https://www.senat.fr/ga/ga5/ga-511.html]. 694 Présentation de l’OHADA par l’UNIDA, [www.ohada.com ]. 695 Séminaire sur l’OHADA, 19 et 20 avril 1993. 267 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dans la mesure où les richesses seront gérées « par les Africains pour les Africains ». Si pendant les premières années, précisément la première décennie, ces espoirs semblaient s’être concrétisés, les années 1970 révèlent d’énormes difficultés. De 1960 à 1970, le cours du temps semblait suspendu et les autorités nationales d’alors, toutes à leur installation et à la consolidation de leur pouvoir, bénéficiaient des retombées positives des actions des puissances colonisatrices. Celles-ci, ayant œuvré à doter leurs anciennes colonies d’infrastructures nécessaires à la gestion de la période de transition. Les anciennes colonies ont un modèle économique tourné vers le secteur primaire, essentiellement la production et l’exportation de matières premières. La demande étant très forte dès les indépendances, la croissance économique des pays africains s’en est donc ressentie, prenant la forme d’une hausse. 495. Après une période de croissance économique assez rapide au début des années 1960, dès le lendemain des indépendances, la progression du Produit Intérieur Brut696, (P.I.B) réel retrouvait un rythme modéré pour s’établir aux environs de 4% en 1970. Une fois « le colonisateur » parti, il incombait aux Chefs d’État africains de faire face aux fonctions régaliennes, aux charges et dépenses publiques, de mener des actions en faveur du développement. Dans un contexte de changement de l’autorité étatique accompagné de changement du mode de fonctionnement des États qui devaient se pencher sur plusieurs questions, une réelle fragilité des économies apparaît. Étaient-ce les mutations drastiques intervenues, la mauvaise gestion des équipes dirigeantes ? La baisse du coût des produits d’exportation ? Ou d’autres facteurs ? Toujours est-il que les équilibres macro-économiques sont rompus et prennent la forme de déficits budgétaires, inflation croissante, endettement étouffant, déficits commerciaux chroniques. Ces déséquilibres occasionnent pour la plupart des pays dès les années 1970, mais à une échelle variable, une phase d’endettement qui se mue en ce qu’on appellera au plus fort des années 1980, « la crise de la dette ». Cette dette se présente sous trois formes. Tout d’abord, la dette privée auprès des banques qui prêtent à des taux faibles les sommes provenant de la manne financière issue du premier choc pétrolier697 de 1973. Ensuite, les pays africains ont recours à des prêts entre États, ou d’États à États qui 696 Le P.I.B est un indicateur économique permettant de mesurer la production de richesses d’un pays ; il mesure la valeur de tous les biens et services produits dans un pays sur une année. 697 Une crise internationale très grave sévit d’octobre à décembre 1973 au Moyen-Orient ; la conséquence est l’augmentation du coût du baril de pétrole qui passe de 3 dollars à 10 dollars du fait de l’O.P.E.P. La hausse cause une inflation qui se caractérise aux États-Unis par la croissance de la masse monétaire. 268 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil s’analysent en la forme bilatérale de la dette. Enfin, les institutions de Bretton woods698 notamment le groupe de la Banque Mondiale699, entrent en scène et accordent d’importants prêts dans le cadre de la dette multilatérale. L’endettement connaît une réelle poussée et devient insoutenable, d’autant plus que les taux d’intérêt deviennent de plus en plus élevés700 et que les recettes d’exportation chutent. 496. La crise de la dette. La crise de la dette sonne le glas des pays africains, qui deviennent infréquentables sur le marché de l’emprunt. Aucun pays ne souhaitait plus leur octroyer de prêts au regard de leur surendettement. Le seul recours qui s’offrait aux pays africains était le Fonds Monétaire International qui semblait enclin à les soutenir. Ce soutien se matérialisera par des prêts à des taux assez élevés doublés d’une supervision du Fonds Monétaire International. Leur politique économique est désormais le fruit des mesures exigées par le Fonds Monétaire à travers les Plans d’Ajustement Structurel. Ces plans qui doivent être mis en œuvre se déclinent en des coupes budgétaires en réalité l’austérité budgétaire et la réduction des dépenses, la dévaluation de la monnaie locale, la privatisation des entreprises publiques, l’augmentation des taux d’intérêt, la production économique et agricole tout entière tournée vers l’exportation, l’abandon des subventions de l’État aux produits et services de première nécessité. 698 Les institutions de Bretton woods regroupent le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ont été créés lors de la conférence internationale réunie à Bretton Woods dans le New Hampshire (États-Unis) en juillet 1944. Les participants à cette conférence avaient pour ambition d’établir un cadre de coopération et de développement économiques qui jetterait les bases d’une économie mondiale plus stable et plus prospère. [https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/imfwbf.htm]. 699 Le Groupe de la Banque Mondiale est l’une des principales sources de financement et de savoir pour les pays en développement. Il se compose de cinq institutions engagées en faveur de la réduction de la pauvreté, d’un plus grand partage de la prospérité et de la promotion d’un développement durable. La BIRD, Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement ; la plus grande banque de développement du monde qui conseille et propose des produits financiers pour aider les pays à étendre les bienfaits d’une croissance durable à l’ensemble de leur population. L’IDA, Association Internationale de Développement, aide les pays à réduire leurs émissions de carbone, à renforcer leur résilience et à s’adapter aux enjeux du changement climatique. L’IFC, Société Financière Internationale. La MIGA, Agence Multilatérale de Garantie des Investissements. Le CIRDI, Centre International pour le Règlement Relatifs aux Investissements. [https://www.banquemondiale.org/fr/who-we-are]. 700 A la fin de l’année 1979, les États Unis décident d’une forte augmentation des taux d’intérêts américains ; et vu que les taux d’intérêts des emprunts accordés aux pays africains étaient faibles mais variables, mais liés aux taux d’intérêts américains, de l’ordre de 4-5% dans les années 70, ils augmentent brutalement avec les taux américains et passent à 16-18 % au moins voire plus. V. D. MILLET, « La dette du Tiers Monde », [http://www.cadtm.org/La-dette-du-Tiers-Monde]. 269 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 497. Loin d’être des remèdes miracles, ces réformes asphyxient l’économie des pays destinataires qui sont davantage dépendants de l’aide des partenaires au développement. De plus, l’on assiste à la dégradation des conditions de vie déjà précaires des populations qui subissent ces mesures d’austérité. La réduction des salaires, l’augmentation du taux de chômage, les difficultés d’accès aux infrastructures de base, la malnutrition infantile, sont entre autres les conséquences de la mise en œuvre des plans. Devrait-on véritablement mettre en cause le FMI, quand il est indéniable que les pays africains sont déjà minés à l’époque par la gabegie, la corruption et sont parfois sous le joug de régimes dictatoriaux qui veillent à leur enrichissement personnel et à celui de leurs cours ? Et même dans l’hypothèse où les fonds perçus étaient utilisés pour le financement d’infrastructures, cette utilisation n’était pas toujours opportune. Les infrastructures n’étaient pas forcément adaptées aux besoins des populations et les secteurs ciblés n’étaient pas des secteurs prioritaires. 498. Dans des États en proie à des guerres et des conflits armés, l’on se doute bien que le financement de la guerre provenait essentiellement des sommes empruntées. Cependant, s’il est vrai que les Plans d’Ajustement Structurel ont entraîné l’augmentation de la pauvreté dans un premier temps, il est tout aussi vrai qu’elle a ensuite baissé à moyen et long terme. Quelques États ont fait des efforts et mis en œuvre des réformes qui n’étaient pas toujours initiées par le FMI. Et, « après l’assainissement de la situation macro-économique, la rationalisation des dépenses publiques et certaines réformes, le taux de pauvreté a commencé à reculer grâce au retour de la croissance et la création des emplois »701. 499. La création de pôles de développement. Malgré tout, les investisseurs étrangers n’ont plus confiance dans les États africains qui demeurent endettés. C’est dans ce contexte économique global difficile que l’idée de la création de pôles de développement fait son chemin. L’idée de mettre en place une organisation interétatique solide qui permettrait à terme, un développement économique régional en restaurant la confiance des investisseurs, développant la performance du secteur privé et en facilitant les échanges entre les pays, naît. Ainsi, « en avril 1991, à Ouagadougou, au Burkina Faso que les ministres des finances de la 701 O. KODILA TEDIKA, « Pauvreté en Afrique : la faute aux programmes d’ajustement structurel ? », [http://www.libreafrique.org/Kodila_PAS_190710]. L’auteur cite une étude de 2010 de Xavier Sala-i-Martin et Maxim Pinkovskiy qui indiquent que l’incidence ou l’étendue - proportion de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour - de la pauvreté baisse très rapidement. Le taux de pauvreté qui atteignait 42% de la population en 1990 a rapidement diminué depuis 1995 pour atteindre 32% en 2006. Si le taux de pauvreté continue de diminuer à la même vitesse qu’entre 1995 et 2006, l’Objectif du Millénaire pour le Développement de diminuer de moitié la pauvreté sera atteint en 2017 pour l’Afrique Subsaharienne. 270 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil zone franc ont décidé, sur la base des observations et constatations faites par les opérateurs économiques et les bailleurs de fonds, d’organiser une réflexion sur la faisabilité d’un projet de mise en place progressive d’un droit harmonisé des affaires afin de rationaliser et d’améliorer l’environnement des entreprises et des échanges » 702. « Ce 25 avril 1991703, la volonté affichée était de conforter la communauté de monnaie CFA en l’adossant sur un socle réel d’économies convergentes et intégrées et en transformant progressivement cette communauté de monnaie en une communauté de règles et de droit »704. D’autant plus que le sommet se tenait dans un contexte où l’avenir du Franc CFA était en jeu et au cœur des préoccupations705. 500. La tenue de ce sommet a été logiquement suivie par l’engagement de projets devant permettre d’atteindre les objectifs susmentionnés. Par exemple l’entame de chantiers « d’unification des règles comme la CIMA706, dans le domaine des assurances, de la CIPRES707, dans le secteur de la prévoyance sociale, AFRISTAT708, pour les statistiques et l’OHADA pour le droit des affaires » 709. Au cours de ce premier sommet, la mission de penser le projet d’unification en droit des affaires est confiée à sept juristes sous la houlette de M. KEBA MBAYE. Suivent en 1992, l’approbation du rapport de faisabilité, la mise en place d’un comité de pilotage qui avait pour mission de rédiger l’instrument juridique de base et de déterminer le champ d’application matériel de cet instrument710. En octobre 1993, le Traité 702 M. KIRSCH, « Historique de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires », Recueil Penant, 1998, n° 827 p.129. 703 Il s’agit d’un sommet France-Afrique qui s’est tenu à Paris et qui était essentiellement centré sur des questions d’ordre économique. 704 Actualités OHADA, « Quinze ans après la réunion historique de Ouagadougou, la réunion de la zone franc de Libreville donne une impulsion décisive au projet OHADA des télécoms », [www.ohada.com]. 705 La question est encore aujourd’hui d’actualité avec le projet de création de la monnaie éco. 706 Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances, mise en place le 10 juillet 1992 à Yaoundé (République du Cameroun). [http://www.cima-afrique.org/pg.php?caller=cima]. 707 Conférence Interafricaine des Institutions de la Prévoyance sociale. La CIPRÉS a été créée le 21 septembre 1993 à Abidjan en Côte d’Ivoire. Elle regroupe quinze États africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo), tous membres de l’OHADA. 708 AFRISTAT est l’Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Subsaharienne. 709 Actualités OHADA, Ibid. 710 L’Association pour l’Unification du Droit en Afrique (UNIDA). 271 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil portant création de l’OHADA, est signé à Port Louis en Ile Maurice et est entré en vigueur en 1995. Il a cependant fait l’objet d’un amendement en 2008 au Québec. B. La structure des actes constitutifs 501. Les actes constitutifs de l’OHADA sont le préambule (1) et le Traité fondateur (2) qui constituent de droit primaire de l’OHADA. 1. Le préambule 502. La force juridique du préambule. Le préambule s’entend dans un acte de « tout ce qui se trouve entre le titre et le dispositif de l’acte »711. Le préambule fait partie de la structure d’un traité ou du moins de la plupart des Traités étant entendu que ladite structure est variable. La structure la plus usitée demeure la suivante : préambule, dispositif et clauses finales. Le préambule contient deux types d’énonciations qui résument, d’une part, l’énumération des parties ayant pris part aux négociations et d’autre part, l’exposé des motifs sous forme de déclarations générales relatives à l’objet et au but du Traité. Les parties apparaissent par ordre alphabétique en raison du principe de l’égalité des États ; principe qui n’est pourtant appliqué de manière absolue en vertu de la règle de « l’alternat » qui consiste à ce que « chaque État figure en tête de la liste des parties dans l’exemplaire du traité qui est destiné » 712. Des formules diverses désignent les parties : « les États parties au présent accord » …, parfois complétées par la formule « ci-après dénommées : les Hautes Parties contractantes ». Cette énonciation du préambule permet de définir la nature bilatérale ou multilatérale et par ce biais la nature de la structure éventuellement créée. 503. Le préambule, fondement de l’accord des parties. « Le préambule mentionne notamment les buts globaux poursuivis par les parties contractantes : il est clair qu’il ne possède pas la même valeur juridique que le corps du traité » 713. Le préambule jette les fondements de l’accord des parties, les raisons qui le sous-tendent et les objectifs de sa conclusion. Politiques, juridiques, économiques, sociaux, ces objectifs varient et il n’est pas rare que du préambule, ressorte un mélange d’objectifs divers censés converger vers l’atteinte d’un seul. La question de la valeur juridique du préambule a donné lieu à des controverses et 711 [http://publications.europa.eu/code/fr/fr-120200.htm]. 712 P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international Public, op. cit., n° 73, p. 146. 713 D. CARREAU, F. MARRELLA, Droit international, 11e éd., Paris, éd. A. PEDONE, 2012, n°16, p. 150. 272 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil non des moindres quoique dans l’ordre juridique international, il soit admis qu’il n’est pas assorti de force obligatoire714. La controverse a été bien connue en France sur les préambules constitutionnels, notamment le préambule de la constitution de 1958. Valeur juridique consacrée pour la première fois par le Conseil d’État à l’occasion, d’un arrêt sur le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale715. Malgré tout, le préambule d’un traité est un élément important puisqu’il permet de procéder à l’interprétation du texte d’un traité afin de découvrir « l’intention des parties contractantes ». Les juridictions ont rendu des décisions allant dans ce sens dans la plupart des espèces. Par exemple, dans l’affaire des ressortissants américains au Maroc, qui opposa la France et les États-Unis devant la Cour Internationale de Justice (C.I.J) en 1952, la Cour s’estima fondée à examiner le préambule d’un traité afin de pouvoir en apprécier la portée exacte716. 504. Le Traité fondateur de l’OHADA ne déroge pas à la structure usuelle des Traités avec le préambule, le dispositif et les dispositions finales. Aussi, le préambule comporte-t-il les énonciations des parties contractantes et des buts et objectifs poursuivis par celles-ci. Les énonciations sont générales et ont la forme d’une profession de foi, d’une sorte de charte des États parties au Traité. Il paraît difficile de se prononcer en faveur d’une absence de force obligatoire de ce traité. Simplement parce que le dispositif n’a de sens, qu’en raison du fait que les parties se sont accordées sur des valeurs communes et des objectifs même si à ce stade de la rédaction de l’acte, ils manquent de précision. Le préambule s’achève par, « conviennent de ce qui suit ». La force obligatoire reconnue au traité en vertu du principe de « pacta sunt servanda » est avant tout fondée sur la volonté exprimée dès le préambule. Le préambule a une force implicite pour les parties au Traité qui, au fil du dispositif, précisent le contenu de 714 V. sur cette question l’arrêt de la CIJ du 18 juillet 1966 dans l’Affaire du Sud-Ouest Africain (Libéria c. Afrique du Sud) : Le 4 novembre 1960, l’Ethiopie et le Libéria, agissant en qualité d’anciens États membres de la SDN, ont, chacun de leur côté, introduit une instance contre l’Afrique du Sud dans une affaire concernant le maintien du mandat de la SDN pour le Sud-Ouest africain et les devoirs et le comportement de l’Afrique du Sud en qualité de mandataire. La Cour était invitée à dire que le Sud-Ouest africain demeurait un territoire sous mandat, que l’Afrique du Sud avait violé les obligations imposées par le mandat et que ce mandat et, par suite, l’autorité mandataire étaient assujettis à la surveillance des Nations Unies. 715 CE, sect., 12/02/1960, Soc. Eky, Requête numéro 46922, rec. p. 101. Requête de la société Eky, agissant poursuites et diligences de ses président-directeur général et administrateurs en exercice, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions des articles R 30 6°, R 31 dernier alinéa, R 32 dernier alinéa, et R 33, alinéa 1er, du Code pénal, édictées par l’article 2 du décret IV 58.1303 du 23 décembre 1958. 716 C.I.J, Rec., 1952, p. 196, Affaire du 27 Août 1952. La CIJ a déclaré que pour interpréter les dispositions de l’acte d’Algésiras de 1906, il convenait de tenir compte de ses buts qui sont énoncés dans le préambule. 273 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil leur accord. Il est indéniable que les énonciations du préambule sont cruciales d’un point de vue interprétatif de la volonté des États parties. 505. Il n’est pas aisé de se fonder sur le droit des affaires tel que connu et défini communément pour appréhender le « droit de l’OHADA ». Ce serait alors vers les actes fondateurs même de l’organisation et de la législation qu’il faudrait se tourner. C’est bel et bien le préambule qui plante le décor en énonçant que « les États sont persuadés que la réalisation de leurs objectifs suppose la mise en place d’un droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l’activité des entreprises ». En clair, le droit des affaires dont il est question est un droit particulier, singulier, dont les critères sont appréciés et définis librement par les signataires du Traité. Dès lors, conscience doit être acquise d’être face à un droit qui sera sans commune mesure avec le droit des affaires dans sa conception classique. L’adaptation des règles étant appréciées d’abord et avant tout d’un point de vue des réalités africaines ou du moins devrait l’être. La formule la plus simple aurait été de se contenter d’évoquer « un droit des affaires ». La succession de qualificatifs témoigne d’une volonté à peine voilée des États membres de marquer leur souveraineté et de marquer la construction de ce droit de leur empreinte. Ce droit des affaires s’oriente plus vers la construction d’un droit économique, car comme le précise le Professeur Paul-Gérard POUGOUE « le préambule du traité de l’OHADA se focalise résolument sur l’économie » 717. 2. Le Traité fondateur 506. La force juridique du Traité. Le Traité fondateur tel que considéré désigne en réalité le dispositif, c’est-à-dire la partie qui contient les dispositions principales, le corps du Traité. Il contient les dispositions dites de fond notamment des titres, chapitres, articles, alinéas. Le dispositif énonce les droits et obligations des parties qui sont, précisons-le, empreintes de réciprocité. Il n’est pas rare que lui soient rattachées les dispositions finales concernant le régime juridique de la convention : entrée en vigueur, ratification, durée, mécanisme de révision, d’amendement, d’extinction notamment du traité. Au dispositif, peuvent être adjointes des annexes qui viennent parfois préciser le sens de telle ou telle disposition. Ces annexes font partie intégrante du dispositif conformément à la décision de la C.I.J dans une affaire : « déclaration jointe au texte d’un Traité Anglo-grec de 1926, faisait entièrement 717 P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », Rev. ERSUMA, n° spécial, nov- déc 2011. 274 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil partie de celui-ci et ne pouvait en être détachée »718. Le principe qui gouverne la rédaction des articles est de les rédiger au présent dans le souci de marquer leur permanence. La force obligatoire reconnue au traité tire toute sa substance du dispositif qui a une valeur contraignante pour les parties. 507. L’observation du dispositif de Traité fondateur de l’OHADA montre une structure identique à celle décrite précédemment. D’un point de vue formel, ce sont des titres et articles rédigés au présent de l’indicatif. Dans le fond, l’on note deux types de dispositions : celles qualifiées de générales qui précisent les objectifs, le champ d’application, la structure de l’OHADA et celles particulières qui sont détaillées en Actes uniformes. L’article 1er reprend, à quelques mots près une énonciation du préambule concernant la nature du droit des affaires qui est mis en place : « simple, moderne », mais il est important de le relever, « adapté à la situation des économies des parties au Traité ». Qu’est-ce à dire pour le droit des affaires pris dans la conception des pays membres de l’OHADA ? Les règles de droit commercial et ensuite de droit des affaires transférées aux pays africains durant la période coloniale avaient cela en commun qu’elles avaient été élaborées par et pour les puissances colonisatrices. 508. Ainsi, le droit de l’époque appliqué par les anciennes colonies était un droit « commun », très peu spécifique à celles-ci. Avec la crise économique qui sévit, il n’a pas soutenu les efforts de redressement entamés en Afrique, où les partenaires au développement, ont « exigé » la mise en œuvre de réformes profondes. Est-ce l’une des raisons principales qui ont impulsé la volonté de créer entre eux un droit avant tout adapté aux économies nationales ? Tant et toujours est-il que, le droit des affaires de l’OHADA est conçu comme un droit propre aux États concernés et orientés principalement vers un aspect économique. Aspect qui guidera la définition du champ d’application matériel du droit interétatique en création. Sont incluses dans le domaine du droit des Affaires de l’OHADA, « les règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports »719. 718 Affaire Ambatielos de 1952 (Rec. 1952, p. 28) entre la Grèce et la Grande-Bretagne. 719 Article 2 du Traité fondateur de l’OHADA. 275 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil L’évaluation de la place du droit civil national des États membres au sein du droit de l’OHADA, nécessite l’analyse du concept de « droit des affaires OHADA ». Les critères classiques ne permettent pas de satisfaire cette quête. Il est donc important de s’orienter vers des critères spécifiques tenant à l’origine du droit de l’OHADA et à la structure des actes constitutifs. Section 2. Un concept de droit des affaires OHADA à rechercher dans les choix du législateur de l’OHADA 509. Le préambule du Traité relatif à l’Harmonisation du droit des affaires en Afrique prévoit que les hautes parties contractantes sont « résolues à faire de l’harmonisation du droit des affaires un outil d’affermissement continu de l’État de droit et de l’intégration juridique et économique ». Le choix sans équivoque est opéré en faveur de l’intégration (§1), mais il s’agit d’un modèle d’intégration juridique particulier qui n’est pas sans incidence (§2). § 1. Le choix du législateur en faveur de l’intégration 510. Le législateur a opté pour l’intégration qui peut revêtir diverses formes. L’intégration peut être totale (A) ou partielle (B). A. Les mécanismes d’intégration totale 511. Au titre des mécanismes d’intégration totale, figurent l’unification (1) et l’uniformisation (2) des législations. 1. L’unification 512. Le concept d’unification. Le concept d’« unification » est essentiel pour les comparatistes, dans la mesure où il n’a acquis ses lettres de noblesse, qu’une fois apparu en matière de droit comparé. Dans le même temps, il est clair que l’on ne saurait parler d’unification qu’entre entités différentes à la base. Le Doyen Louis VOGEL n’affirme pas le contraire même s’il s’interroge sur son opportunité quand il dit :« l’unification du droit, éternel rêve des comparatistes, est-elle vraiment nécessaire ? »720. Il lui a été opposé que « la tendance actuelle est en faveur de l’unification, non seulement en raison de la standardisation 720 L. VOGEL, « droit global », in Unifier le droit, le rêve impossible ? (sous. Dir.), Paris, Ed. Panthéon-Assas, 2001, p.8. 276 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil toujours plus marquée de l’existence »721. Cet auteur conçoit l’unification comme un moyen, un outil juridique bien sûr mais avant tout un outil social. Un outil qui traduit cette volonté humaine de fédérer les efforts, de renforcer la solidarité et d’avancer vers une globalisation progressive. 513. D’un point de vue conceptuel, l’unification s’analyse en l’action d’amener ou de ramener à l’unité722, de rendre unique et uniforme723. D’où, une fois que cette définition est perçue dans un sens juridique, de retenir l’idée de droit comparé. Elle consiste en la réunion ou l’union de législations différentes à l’origine. Dans le langage juridique, il existe une approche stricte et une approche dite large. L’unification juridique s’entend, d’un point de vue stricto sensu, du « remplacement de deux ou de plusieurs systèmes législatifs par un seul système législatif »724. Dans son acception lato sensu, l’unification du droit « englobe tout procédé ayant pour but d’assurer que les règles juridiques présentant un même contenu soient insérées dans deux ou plusieurs systèmes de lois ». D’unification, il n’y en a réellement que dans le fond selon l’approche lato sensu qui en fournit le sens usuel de nos jours. Ainsi, « l’unification consiste à instaurer, dans une matière juridique donnée, une réglementation détaillée et identique en tous points pour tous les États membres tout en leur laissant le choix de la modalité de mise en œuvre des normes communes » 725. Cette approche lato sensu prévalait déjà il y a quelques années si l’on en croit le Professeur André TUNC. « L’unification du droit peut se réaliser par des lois uniformes. Cependant, une certaine unification résulte de lois modèles, et de codes modèles comparables à ceux qui ont été adoptés aux États unis. Il peut y avoir unification lorsque l’on adopte une attitude commune à l’égard du droit, et, par exemple, lorsque l’on prend un système, un ensemble de méthodes et de concepts. Il peut y avoir unification par introduction d’un vocabulaire uniforme, les 721 R.H, GRAVESON, « L’étendue du domaine de l’unification du droit », In RIDC. vol. 16 n°1, Janv-mars., 1964. p. 9. 722 Dictionnaire HACHETTE encyclopédique, Paris, Hachette Livre, 1997 s-V. « Unification ». 723 P. ROBERT, Le Petit Robert de la langue française, éd. 2019, p. 2655. 724 A. MALINTOPPI, « Les relations entre l’unification et l’harmonisation du droit et la technique de l’unification ou de l’harmonisation par voie d’accords internationaux », 1967-1968, 2, p.43. I.-F. KAMDEM, « Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les moyens d’intégration juridique », R.J.T, n°43, 2009, p. 618. 725 277 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil incoterms, ou encore par présentation uniforme avec des solutions différentes (…) ; l’unification du droit est donc un domaine considérable qui prend des aspects fort variés » 726. 514. Au fil du temps sont apparues d’autres acceptions de la notion d’unification juridique qui peut être internationale ou nationale. Dans le cadre de l’unification internationale, un droit unique est mis en place avec un domaine d’application international et cela n’est possible qu’avec au minimum deux législations nationales. L’unification interne ou nationale est celle qui se réalise à l’intérieur notamment d’États fédératifs, tels que les États-Unis d’Amérique. La conception qui a retenu et qui continue de retenir le plus d’attention, est celle de « l’unification du droit international privé » qui coexiste avec l’unification internationale et l’unification nationale. Portée par le Professeur René DAVID, cette forme d’unification serait selon lui un moyen de construire un « droit supranational » au-dessus de droits nationaux qui partagent des ressemblances727. Mais, l’unification ne doit pas impérativement aboutir à ériger un droit supranational. Son but ultime et réel est de ne pas altérer l’identité des législations qui sont concernées. À juste titre, dans cette logique, les procédures d’unification sont adossées à l’action d’organes étatiques. 515. Le résultat de l’unification. L’unification s’analyse en une forme d’intégration juridique qui est à la fois « relative au fond et à la forme » 728. L’unification est un processus qui donne lieu ou du moins devrait donner lieu à un résultat précis. Un processus qui débute, dès lors que le texte devant permettre l’intégration juridique totale entre au moins deux législations est élaboré. Le résultat à savoir l’unité dans le texte n’est réellement perceptible que dans la mesure où l’interprétation et l’application faites des dispositions sont identiques. Bien que figurant au nombre des procédés d’intégration juridique totale, et jugée à ce titre sévère, l’unification offre pourtant une marge de manœuvre aux pays intervenants. L’obligation d’identité du contenu de la norme leur enlève tout pouvoir de modification sur le fond, mais leur laisse une certaine liberté quant au choix des modalités de mises en œuvre du texte commun. Ainsi, les législateurs nationaux ne sont pas dépouillés de leurs prérogatives originaires : celles de l’adoption d’une loi par exemple. Appliqué aux pays membres de l’OHADA et au regard des règles qui gouvernent le mécanisme de l’unification, l’OHADA ne 726 A. TUNC, « Standards juridiques et unification du droit », In : RIDC, vol. 22 n°2, Avril-juin 1970, pp.250251. 727 R. DAVID, Cours de Droit privé comparé, Paris, Les cours de droit, 1965-1966, p. 18. 728 L. VOGEL, « Droit global », in Unifier le droit : Le rêve impossible ? op.cit., 2001, p. 98. 278 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil réalise pas une unification du droit. Lorsqu’il existe un Acte uniforme, interdiction est faite aux États membres de se soustraire à l’application de cet Acte en le transformant, par exemple, en une loi type ou en choisissant les aspects qu’ils souhaitent appliquer. 2. L’uniformisation 516. Le concept d’uniformisation. L’uniformisation consiste à donner la même forme à un ensemble d’éléments « dont toutes les parties se ressemblent entre elles » 729 . L’uniformisation suppose, par exemple, que les États impliqués dans une intégration se dotent d’un corps de normes uniformes et détaillées contenu dans un instrument unique. D’ailleurs, c’est ce support commun à tous les intervenants à une intégration juridique qui fait la particularité de l’uniformisation et la distingue de l’unification. Les parties n’ont d’autre choix que d’adhérer à un texte unique pour une matière donnée, sans pouvoir y déroger, ni sur le fond ni sur la forme. L’uniformisation est un processus plus ou moins long qui débute par l’élaboration d’un texte dont l’effectivité de la mise en œuvre est tributaire du pouvoir judiciaire. L’uniformisation est la forme la plus sévère d’intégration juridique en raison de la neutralisation de la force créatrice des législateurs nationaux. L’on est ici dans une acception moniste qui pose le postulat de la continuité entre le droit international et le droit interne ; si bien qu’une fois le texte international adopté il est d’application immédiate et obligatoire au sein des États concernés. Alors qu’au contraire, « l’unification et l’harmonisation laissent libre cours à la doctrine dualiste en vertu de laquelle une règle internationale ne peut avoir d’effet que si elle a été au préalable incorporée dans une législation nationale » 730. 517. En dépit de quelques voix discordantes minoritaires, l’uniformisation serait synonyme à l’unification prise dans son sens large. Ainsi, des auteurs dont, le Professeur Joseph ISSASAYEGH, définissent l’uniformisation ou l’unification comme « une méthode qui consiste à instaurer dans une matière juridique donnée, une réglementation unique, identique, en tous points de vue pour tous les États et dans laquelle il n’y a pas de place, en principe pour des différences »731. Le Professeur Jean PAILLUSSEAU, retenant le terme d’unification dans une approche de synonymie, précise que « le texte d’un Acte uniforme quel qu’il soit, s’applique 729 H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, 3e éd., Paris, l’Harmattan, 2015, V. Uniformisation, p. 344. 730 I.-F. KAMDEM, op.cit, p. 622. 731 J. ISSA.-SAYEGH, « l’intégration juridique des états africains de la zone franc », Rev. Penant, 1997, n°823, p. 13. 279 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil de la même manière, par exemple à Dakar, Brazzaville, Cotonou, Ouagadougou, Conakry ou Abidjan » 732. L’Association Henri Capitant retient cette synonymie et précise que l’uniformisation ou l’unification constitue une forme brutale, mais aussi plus radicale d’intégration juridique. Des règles précises sont imposées aux États dans le cadre de l’unification ou de l’uniformisation. L’objectif est d’effacer les différences entre les législations nationales en leur substituant un texte unique, rédigé en des termes identiques pour tous les États concernés. Elle peut suivre une voie douce consistant à proposer aux parlements nationaux un texte unique préparé par une instance internationale. La souveraineté nationale est respectée, mais elle est contraignante à cause de l’application du principe de supranationalité, qui permet d’introduire directement des normes dans l’ordre juridique interne des États. 518. L’enjeu de l’uniformisation. Un consensus est fait dans la doctrine concernant l’assimilation en pratique de l’uniformisation à l’unification. Malgré la conservation d’une lucidité quant aux particularités des deux notions, le Professeur Mireille DELMAS-MARTY affirme « laisser de côté la sous-distinction entre l’unification, des règles identiques appartenant à un droit commun unique et l’uniformisation, des règles identiques incorporées à des droits nationaux distincts et ne retenir que l’appellation d’unification pour désigner le caractère identique des règles nationales »733. Dans tous les cas, le sens que l’on donne aux deux notions importe peu dès lors que l’enjeu demeure inchangé : avoir un texte identique appliqué entre les intervenants. L’uniformisation présente l’avantage d’éviter les disparités législatives surtout dans des domaines vastes. L’outil par excellence de l’uniformisation est le règlement qui s’applique tel quel au sein des États. À titre illustratif, les règlements européens sont strictement obligatoires et directement applicables dans chaque État membre. Plusieurs organisations d’intégration juridique ont été créées dans ce contexte de pluralisme juridique mondial marqué par des interactions normatives se jouant aux niveaux local, national, international et régional734. À la question de savoir si l’OHADA retient l’unification ou 732 J. PAILLUSSEAU, « Le droit OHADA, un droit très important et original », JCP, Cahier de droit de l’entreprise, n°5, 28 Octobre 2004, « Dossier sur l’OHADA, dix années d’uniformisation du Droit des affaires en Afrique », p. 2. 733 M. DELMAS.-MARTY, « L’harmonisation du Droit des contrats en Europe », éd. Economica, Coll. Etudes juridiques, Paris, 2001, p. 28. 734 J.-S. BERGE, « Du droit de l’Union européenne et du droit international : de l’applicabilité à l’invocabilité », in les Interactions normatives Droit de l’Union européenne et droit international, Paris, éd. PEDONE, Coll. Cahiers Européens, n°2, 2012, p. 71. 280 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’uniformisation, a priori, la désignation des instruments juridiques représentant l’essence même du droit dérivé par le terme « Acte uniforme », nous ramènerait à l’uniformisation au lieu de l’unification. B. L’intégration juridique partielle et le cas de l’OHADA 519. À la différence de l’unification et de l’uniformisation, l’harmonisation est un mécanisme d’intégration partielle (1). Il convient cependant de relever que le modèle d’intégration de l’OHADA est singulier (2). 1. L’harmonisation 520. Le concept d’harmonisation. Très peu connu il y a quelques années, l’harmonisation est devenue populaire depuis l’entrée en vigueur du Traité CEE735 actuellement Communauté européenne (C.E), le 1er janvier 1958. Le rapprochement de législations est au cœur des objectifs de l’Union européenne qui voit en elle un moyen sûr pour améliorer le fonctionnement du marché commun. Selon l’article 100 du Traité CE, « le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun ». L’harmonisation ramène à l’idée de mettre en harmonie, de rendre cohérent, un peu comme si l’on accordait les touches d’un instrument de musique. Des éléments distincts, singuliers, différents sont accordés pour former un ensemble cohérent. Appliquée au droit et prise de manière simpliste, l’harmonisation juridique ramènerait à l’idée de permettre une conservation pour les législations concernées de leurs différences, leur individualité. L’harmonisation est une des modalités de l’intégration : elle consiste en l’adoption d’une norme laissant des marges d’appréciation aux destinataires de la norme. Elle peut également être définie comme, l’opération consistant à rapprocher des systèmes juridiques, pour les mettre en cohérence entre eux en réduisant ou supprimant leurs différences et leurs contradictions736. 735 Communauté Economique Européenne créée en 1957. 736 Il a été affirmé que « le droit national continue à exister en tant que tel mais se trouve privé de la faculté de déterminer lui-même ses finalités. Il doit se modifier et évoluer en fonction d’exigences définies et imposées par le droit communautaire de sorte que les différents systèmes juridiques nationaux présentent entre eux un certain degré d’homogénéité résultant de finalités communes ». J. BOULOUIS, Droit institutionnel des Communautés Européennes, 2ème éd., Montchrestien, Paris, 1990, p. 45. 281 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 521. L’harmonisation est présentée et reconnue comme la forme d’intégration la plus respectueuse de la souveraineté des États donc la plus souple et la plus aisée à mettre en œuvre. En effet, elle n’a d’autre prétention que celle de « réduire les différences pour atteindre des objectifs communautaires, et de ce fait a la préférence d’États ont une tradition législative ancienne profondément ancrée dans leur histoire et qui répugnent à y renoncer immédiatement et en bloc »737 . La technique d’harmonisation vise à instituer une coordination entre les législations nationales et une coopération entre les organismes chargés de les appliquer. Un tel résultat s’obtient au moyen de techniques juridiques douces telles que les directives ou les recommandations qui fixent des résultats à atteindre et se limitent à exiger une autorité de la norme internationale. L’harmonisation repose sur un accord des États sur les principes applicables à une question donnée, et sur la signification des concepts fondamentaux qui s’y rattachent. Elle a pour objectif de rapprocher les fondements même du droit, non pas en procédant à l’élaboration des règles communes, mais en rapprochant les droits dans leur mode de pensée, au moyen d’un noyau de concepts et de méthodes communs738. 522. L’Union européenne a pensé l’harmonisation dans un esprit : celui de ne pas modifier la compétence législative des États membres. « Chaque État conserve sa législation selon son esprit, ses particularités. Mais si la compétence législative subsiste, elle ne saurait créer de règles en contradiction avec le Traité : ces contradictions s’il en existe, doivent être supprimées » 739. L’harmonisation des législations nationales est fondée sur les articles 94 à 96 du Traité C.E. Ce Traité prévoit pour l’harmonisation deux méthodes les conventions et les directives. La directive est l’instrument juridique privilégié prescrit par les textes intéressant l’harmonisation des règles de droit. La directive, au cœur de l’harmonisation. Outil par excellence de l’harmonisation, la 523. directive fixe les objectifs à atteindre par les États membres, auxquels elle délègue le choix des moyens. La production d’effets par la directive est subordonnée à l’intervention du législateur national qui consiste en l’adoption d’un acte de transposition en droit interne qui adapte, met en conformité la législation nationale au regard des objectifs définis dans la 737 J. ISSA-SAYEGH, ibid. 738 J. RENAULD, Aspects de la coordination et du rapprochement des dispositions relatives aux sociétés, 1967, page 619. 739 J.-L. CLERGERIE, A. GRUBER, P. RAMBAUD, L’Union européenne, 11e éd., Paris, Dalloz, Coll. Précis, 2016, n° 368, p. 310. 282 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil directive mais le tout dans un délai défini par le texte. « L’harmonisation garantit également le maintien des particularismes locaux, au niveau de l’histoire, de la langue ou de la culture juridique. En d’autres termes, ce processus préserve les identités nationales. En outre, elle évite l’hégémonie d’un système juridique sur un autre, comme cela peut en résulter dans les mécanismes d’uniformisation ou d’unification » 740. L’harmonisation donne lieu à une similitude plus souple que celle d’une unification ou d’une uniformisation. En pratique, sont complétées par des règles nationales qui ne sont pas toujours similaires. Des divergences normatives apparaissent, puisque les particularismes ne sont pas effacés avec l’harmonisation, bien au contraire, ils persistent dans la mesure où les intervenants ne perdent pas leur identité législative. 524. La survie des particularismes. La difficulté réside justement dans la survie de particularismes au sein des législations nationales. Dès lors que les États membres peuvent prendre les mesures de leur choix pour se conformer au texte portant l’harmonisation, par exemple une directive, des incohérences peuvent apparaître. Au-delà de la forme, c’est le fond qui peut être disparate d’un État à un autre. L’interprétation peut être également différente d’un État à un autre et l’effectivité du texte peut en être affectée. L’UEMOA741 se positionne comme une organisation d’intégration une organisation qui souhaite « harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des États membres et particulièrement le régime de la fiscalité »742. L’article 5 du Traité UEMOA confirme l’idée selon laquelle l’UEMOA réalise une harmonisation et non une uniformisation comme l’ont affirmé certains auteurs. Selon cet article, « dans l’exercice des pouvoirs normatifs que le présent Traité leur attribue et dans la mesure compatible avec les objectifs de celui-ci, les organes de l’Union favorisent l’édiction de prescriptions minimales et de réglementations-cadres qu’il appartient aux États membres de compléter en tant que de besoin, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives »743. 740 M. DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, éd. Textuel, Coll. Conversations pour demain, 1996, p. 60. 741 Union Economique et Monétaire Ouest Africaine qui a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré. 742 Article 4 du Traité modifié de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine. 743 Article 5 du Traité de l’UEMOA. 283 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. L’uniformisation singulière en droit de l’OHADA 525. L’objectif d’intégration juridique commandant une uniformisation particulière. L’OHADA est une organisation d’intégration. Elle entend aboutir à une intégration économique par le biais d’une intégration juridique. Accord semble être fait quant à la méthode d’intégration juridique choisie par le législateur de l’OHADA. Ce serait l’harmonisation, c’est-à-dire une mise en cohérence des législations des États membres. L’article 1er du Traité énonce que, « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies (…) ». Les mécanismes de l’harmonisation posent le problème des canaux utilisés pour atteindre les objectifs d’intégration. L’OHADA n’a nullement recours à des directives ou des recommandations qui sont caractérisées par leur souplesse et qui s’analysent en des formes de fils conducteurs fournis aux États. À y regarder de près l’on constate que certaines institutions et certains organes de l’OHADA émettent des avis et recommandations qui donnent des pistes aux pays membres. Par exemple, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage émet des avis lorsqu’elle est sollicitée par des États ou des juridictions. Ces avis n’ont pas une force impérative expresse. L’on pourrait voir dans cet aspect, une illustration de la question d’harmonisation. 526. L’unification ou uniformisation, ramènerait à l’idée de texte commun, parfaitement identique pour les pays membres et qui s’imposent à eux tels quels. L’on serait alors dans l’hypothèse de lois types rendues applicables dans l’espace OHADA. L’OHADA se compose de règlements qui sont appliqués tels quels et qui informent notamment les pays membres sur les procédures à suivre. Le règlement de procédure de la CCJA est ainsi applicable au sein des États qui ne peuvent y substituer des règles propres. Adopté le 30 janvier 2014 au Burkina Faso, le règlement modifiant et complétant le règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage vient apporter des précisions aux États membres quant à la procédure à suivre devant la Cour commune. Le règlement vise à assurer l’application uniforme du droit dans tous les États membres. Il a aussi pour conséquence de rendre inapplicables les réglementations nationales incompatibles avec les clauses matérielles qu’il contient. 527. Selon Kéba MBAYE, responsable de la mission d’experts en charge de la préparation du projet d’harmonisation du droit des affaires, « finalement, l’option retenue a été l’harmonisation, bien que l’analyse du système actuellement en vigueur au sein de l’OHADA, c’est-à-dire l’adoption par le Conseil, des Ministres de la Justice et des Ministres des 284 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Finances, d’Actes uniformes qui sont immédiatement applicables sur le territoire de chaque État partie, soit véritablement une œuvre d’unification »744. En réalité, l’OHADA a opté pour une forme singulière d’intégration qui est à mi-chemin entre l’uniformisation et l’harmonisation. C’est ce que retiennent bon nombre d’auteurs quand ils indiquent que « certaines organisations ont préféré recourir à une autre forme d’uniformisation en adoptant le principe de la supranationalité qui leur permet d’introduire directement des normes dans l’ordre juridique interne de leurs États membres »745. Dans le cas de l’OHADA, l’on a opté pour les « Actes uniformes » qui portent bien leur nom, du moins la plupart du temps. En vertu de la règle de supranationalité figurant dans l’article 10746 du Traité, les Actes uniformes sont appliqués en l’état par les États membres de l’OHADA, sans qu’il leur soit accordé la possibilité d’en modifier la forme ou le contenu. Le pouvoir d’élaboration et d’adoption des textes uniformes échappe aux législateurs nationaux, pour être uniquement dévolu au Conseil des ministres. En ayant acquis la qualité de signataire du Traité fondateur de l’OHADA, les pays membres sont astreints à respecter le droit dérivé qui en découle. 528. L’Acte uniforme relatif au droit commercial général est formulé en des termes impératifs, apportant des précisions sur le régime applicable aux acteurs et aux actes accomplis dans le cadre de l’activité économique. En fait, la formulation du texte avec force de détails semble interdire l’intervention des États membres ou du moins leur restreindre le champ d’action. D’entrée, l’on est informé avec l’article 1747 de l’Acte uniforme, sur son champ d’application qui est en principe impératif dès lors que les conditions requises sont remplies. Mieux, une obligation de mise en harmonie des conditions d’exercice de leurs activités est imposée aux destinataires de l’Acte uniforme. 744 Discours de KEBA MBAYE in Séminaire sur l’harmonisation du droit des affaires dans les États africains de la zone franc, Abidjan (Côte d’ivoire), 19 et 20 avril 1993. 745 J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques… », ibid. 746 Selon l’article 10 du Traité OHADA, « Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». 747 « Tout commerçant, personne physique ou morale y compris toutes sociétés commerciales dans lesquelles un État ou toute autre personne de droit public est associé, ainsi que tout groupement d’intérêt économique, dont l’établissement ou le siège social est situé sur le territoire de l’un des États parties au Traité relatif à l’harmonisation du droit des Affaires en Afrique, ci-après dénommés « États parties », est soumis aux dispositions du présent Acte uniforme ». 285 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 529. Il est impossible de nier le débordement de l’OHADA du cadre de sa mission d’harmonisation. Il est également impossible de passer sous silence les hypothèses dans lesquelles les droits nationaux des États membres subsistent et survivent à l’application directe, immédiate et obligatoire des Actes uniformes. Dans plusieurs Actes uniformes, il est fait référence à la « juridiction compétente » au sens des États membres. La détermination de la juridiction compétente se fait suivant les dispositions nationales. Il existe également les cas de renvoi aux législations nationales quand il est affirmé que « les biens et droits insaisissables sont définis par chacun des États parties » 748. 530. Le constat qui s’impose est celui de la mise en exergue du caractère hybride de l’OHADA ; caractère qui transparaît dans la méthode d’intégration juridique choisie. Cette méthode s’analyse à la fois en harmonisation, lorsqu’il est laissé le soin aux États membres de définir les règles applicables pour une question donnée en l’occurrence certains aspects procéduraux ou le recouvrement des créances. Il est vrai que la marge de manœuvre n’est pas étendue, mais elle existe et ne doit pas être occultée. Ainsi, pour ces questions les Actes uniformes fonctionnent comme des boussoles avec une direction à suivre, libre aux États de définir le moyen de transport pour y parvenir. L’OHADA est aussi une uniformisation agressive qui tire sa quintessence dans la portée abrogatoire des Actes uniformes. Le procédé d’intégration choisi dans le Traité fondateur de l’OHADA, n’obéit à aucun modèle classique connu749. Des critiques identiques sont faites concernant l’UEMOA et le flou entretenu quant au mode d’intégration retenu. Il convient cependant de relever certains avantages de l’approche du législateur de l’OHADA, dans la mesure où, « l’uniformité des règles permet aux entreprises de définir leurs stratégies d’installation, de développement et de relations avec clarté et assurance; les conflits de lois sont potentiellement éliminés à l’instar des conséquences fâcheuses de leur solution telles que la lenteur des procédures pour résoudre la question préalable de la loi compétente pour trancher un litige, le choix par le juge d’une législation non prévue par les parties ou défavorable à leurs intérêts communs »750. Peu importe la loi 748 Article 51 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 749 U. BABONGENO, « OHADA, projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique à l’épreuve de la consolidation et de l’élargissement », [www.ohada.com]., OHADATA D-05-25. 750 J. ISSA-SAYEGH, « Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA : Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles », Communication au XXXI ème Congrès de l’IDEF, Lomé, 17-20 novembre 2008, Le rôle du droit dans le développement économique, [ www.ohada.com]. OHADATA D-08-65. 286 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil applicable dans une telle hypothèse, puisque l’uniformité de celle-ci en fait la chose la mieux partagée par les États membres. § 2. Les incidences du modèle d’intégration juridique particulier 531. Le modèle d’intégration juridique retenu par le législateur de l’OHADA a des incidences sur le domaine du droit de l’OHADA (A) qui est étendu et extensif. Cette incidence se ressent également sur le droit dérivé à l’appui de l’œuvre harmonisatrice (B). A. Les incidences sur le domaine du droit de l’OHADA 532. Le modèle d’intégration a des incidences sur le domaine à travers le caractère étendu des matières à harmoniser (1) et le caractère extensif par les matières à harmoniser (2). 1. Le caractère étendu du domaine de l’OHADA 533. La définition « matérielle » du droit de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA s’est, semble-t-il, positionné en faveur d’une définition « matérielle » du droit des affaires de l’OHADA. Loin de lui la prétention de définir le droit des affaires en explicitant la notion. Il a préféré déterminer les matières qui entrent dans le domaine de ce droit atypique. Le domaine, la matière, le champ du droit de l’OHADA se présentent ainsi comme une sorte de « fourretout », qui renferme des matières singulières relevant aussi bien du droit civil, du droit commercial, que du droit des sociétés. L’on pourrait, à l’instar de l’avis majoritairement partagé en doctrine retenir que le législateur de l’OHADA n’a pas vraiment défini le droit des affaires751. Il ne le définit pas il est vrai, du point de vue strict, c’est-à-dire, en définissant les règles. Cependant, traditionnellement, deux grands types de définitions nés d’une question essentielle et sur fond de querelle sont considérés. 534. La question de savoir quelle est la nature du concept, a donné lieu à deux autres questions : doit-on comprendre le concept en un sens extensionnel et l’identifier à la classe des objets vérifiant certaines propriétés caractéristiques, ou en un sens intensionnel et l’assimiler à l’ensemble des caractères conceptuels correspondant aux propriétés des objets qu’il subsume ? En effet, « les concepts de sens et d’intension font référence à la signification dans un sens strict, comme ce qui est saisi, « that which is grasped » lorsque nous comprenons une 751 Selon Djibril ABARCHI par exemple, « le Traité OHADA porte bien sur le Droit des affaires mais ne le définit pas », La supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), [www.ohada.com]., OHADATA D-02-02. Son opinion est largement partagée au sein de la doctrine. 287 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil expression sans la connaissance des faits, « without knowing the facts ». Les concepts de nominatum et d’extension font référence à l’application de l’expression, qui dépend des faits »752. De manière plus explicite, l’intension (compréhension) désigne toutes les propriétés communes aux objets qui tombent sous un terme donné753. L’extension est l’ensemble des choses auxquelles l’intension s’applique. En grammaire, l’extension consiste à étendre la signification d’un mot au-delà de son sens originel, c’est un intermédiaire entre sens propre et sens figuré754. L’illustre logicien GOTTLOB Frege à qui l’on doit d’avoir relancé le débat sur la nature du concept semble avoir clairement opté pour l’approche extensionnelle du concept. Dans son écrit posthume est précisé : « je rappelle un fait qui semble parler nettement en faveur des logiciens de l’extension, par opposition à ceux du contenu, à savoir, que sans préjudice pour la vérité, dans toute phrase, des termes conceptuels peuvent se substituer l’un à l’autre s’il leur correspond la même extension de concept que, par conséquent, également pour ce qui concerne l’inférence et pour les lois logiques, les concepts ne se comportent de façon différente que pour autant que leurs extensions sont différentes » 755. 535. L’option pour une définition par extension. Le législateur de l’OHADA avait le choix entre une définition en compréhension consistant à présenter les propriétés qui définissent les éléments d’un concept et une définition par extension qui se limite à donner la liste des éléments qui composent le concept. L’article 2 du Traité fondateur de l’OHADA dispose que, « pour l’application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports (…) ». Ici, aucune définition du droit des affaires en précisant ses propriétés, propriétés communes à tous les éléments. 752 R. CARNAP, Meaning and Necessity, Chicago, The University of Chicago Press, 1947 ; trad. franç. par F. Rivenc et Ph. de Rouilhan, Signification et nécessité, Paris, Gallimard, 1997 (ouvrage cité par numéro de section), § 29. 753 [https://dicophilo.fr/definition/intension/]. 754 C’est à la philosophie ancienne qu’il faut se référer pour avoir des précisions sur l’origine de ces deux types de définition ; Toute classe d’éléments peut être définie en extension (en nommant ou en désignant chaque individu qui en fait partie) ou en intension, par une description (spécification d’un certain nombre de prédicats) qui définit la classe. L’intension s’identifie ainsi au concept. 755 P. de ROUILHAN, Frege. Les paradoxes de la représentation, Paris, éd. Minuit, 1988, pp. 52-56. 288 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 536. Le caractère étendu du domaine. Le domaine du droit de l’OHADA, comme retenu par le législateur, est très étendu tellement étendu, qu’il renferme des matières qu’il est difficile de contenir dans le domaine du droit des affaires qui apparaît lui-même peu suffisant pour en donner la pleine substance. Le droit des affaires s’est positionné au fil du temps comme la « nouvelle discipline », qui s’est affranchi du droit commercial classique et l’a supplanté. L’on dira que le droit de l’OHADA cadre parfaitement avec cette évolution de la conception du droit des Affaires au contenu bien plus vaste que la définition originaire. En observant l’acception du droit des affaires telle que retenue en droit de l’OHADA, la question de l’obsolescence du droit des affaires tel que connu d’un point de vue strict se pose. Les matières retenues et couvertes par son domaine ne tenant pas forcément compte du critère de commercialité. 537. Le « droit des affaires » de l’OHADA est le droit qui entend faciliter les investissements et les échanges des entreprises en vue de faire de l’Afrique « un pôle de développement économique ». La prise en compte de la réalité économique peut être difficilement réalisée dans un cadre marqué par la spécialité, la spécificité dans le choix du domaine ou des matières concernées. Il est impératif de migrer vers une autre conceptualisation du droit de l’OHADA en le définissant selon une approche économique. Au lieu de partir du postulat que le droit de l’OHADA est un droit des affaires, il faut lui restituer sa véritable nature à savoir celle de « droit économique » avec pour préoccupation essentielle les acteurs et activités économiques. 2. Le caractère extensif par les matières à harmoniser 538. Un domaine évolutif. Il ressort de l’article 2 que « pour l’application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des affaires (…) et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent traité et aux dispositions de l’article 8 »756. Du point de vue des rédacteurs du Traité et même des États signataires, relèvent du droit des affaires, des matières comme les voies d’exécution, le droit des sûretés et toute autre matière que l’organe législatif de l’OHADA, le Conseil des ministres retiendra. Le domaine du droit de l’OHADA n’est pas appelé à être figé, statique ou immuable. Le domaine est évolutif suivant la ligne harmonisatrice des États membres et les 756 L’article 8 du Traité dispose que « L’adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres requiert l’unanimité des représentants des États parties présents et votants. L’adoption des Actes uniformes n’est valable que si les deux tiers au moins des États parties sont représentés. L’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des actes uniformes. 289 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil orientations que les dirigeants souhaiteront donner à leurs politiques de développement. Il ne fait aucun doute que ces dernières années les investissements étaient la priorité des dirigeants africains qui sortaient d’une crise économique aux effets dévastateurs. Les débats qui font rage au sein des organes de l’OHADA montrent bien que le domaine du droit de l’OHADA devrait s’élargir et embrasser des disciplines comme le droit du travail, le droit bancaire, le droit des contrats d’affaires ou certains contrats d’affaires, ainsi que le droit de la vente aux consommateurs. Il a même été question un moment du Crédit-bail et de la franchise. 539. Le domaine évolutif du droit de l’OHADA. Parce que le but est de supprimer les disparités entre les législations des États membres, parce que l’objectif ultime est l’application d’un droit unifié, le législateur de l’OHADA se laisse une marge quant à la détermination du champ d’application matérielle du droit de l’OHADA. Prenons le droit des sûretés, qui est l’une des matières les plus problématiques en droit africain en ce que l’héritage colonial en la matière était assez pauvre. Plusieurs sûretés n’étaient pas réglementées alors que dans la culture africaine la notion de biens matériels, de terre, est épineuse. En Afrique, la question de la propriété est porteuse de litiges, d’oppositions très fortes. Nombreux sont les pays africains qui ont été minés par des conflits liés au droit foncier, des conflits qui se sont mués en conflits armés. Le droit des sûretés, le droit des garanties très peu connu, ce droit à la consistance variable d’un État à l’autre, malgré son importance, ne pouvait être laissé à l’abandon. Surtout que la question du surendettement est une question banale en Afrique, non pas en raison de sa faible fréquence mais au contraire parce que souscrire à un emprunt de manière formelle ou non fait partie des us et coutumes africains. Ainsi, il n’est pas rare de voir des personnes physiques être prises au piège des procédures de recouvrement, qui débouchent parfois sur la saisie de leurs biens. Le problème est que le droit harmonisé en matière de droit des sûretés ne se limite pas aux sûretés purement commerciales ou usuelles en la matière. Il couvre également le droit des sûretés tel que conçu et appréhendé par le droit civil. La crainte est également que « de nombreux aspects du droit processuel, du droit des obligations et des contrats, du droit patrimonial de la famille etc… sont susceptibles, compte tenu de la situation économique et dans le but de faciliter l’activité de l’entreprise ou de garantir la sécurité juridique des activités économiques, de faire ultérieurement partie d’un domaine du droit des affaires OHADA »757. 757 H.-B. MODI KOKO, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la théorie générale du droit », Rev. ERSUMA, 2007, p. 10. 290 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 540. Le droit de l’OHADA entretient des liens avec le droit civil mais pas uniquement puisque la procédure civile ne lui est pas inconnue. Règles de droit civil et de procédure civile sont évoquées dans plusieurs Actes uniformes tels que respectivement le très célèbre « Acte uniforme portant droit commercial général » et l’« Acte uniforme portant procédures de recouvrement ». L’existence de règles uniformes dans un domaine précis, annihile le pouvoir de légiférer des législateurs nationaux. L’absence de couverture totale du droit civil et de la procédure civile par exemple peut donner lieu à des difficultés en ce que l’œuvre créatrice des parlements nationaux pourra continuer et coexister avec le droit de l’OHADA. 541. Le caractère extensif du domaine matériel du droit de l’OHADA a valu de nombreuses critiques au législateur communautaire en ce que l’Organisation qui sécrète ce droit n’évolue pas seule dans l’espace géographique qu’elle couvre. Elle n’est pas la seule organisation interétatique et le caractère extensif de son domaine est porteur de germes de conflits. Il est en effet à craindre que dans sa volonté de couvrir l’ensemble du droit des affaires tel que conçu par l’organisation, des matières réglementées par d’autres organisations soient intégrées dans son champ matériel. Créant ainsi des conflits de compétences et de droit applicable. Un autre problème réside dans l’incertitude liée au domaine du droit de l’OHADA. L’objectif qui a été déterminant au fait que l’organisation soit portée sur les fonts baptismaux est la sécurisation des investissements. La sécurisation des investissements ne peut être envisagée en dehors de toute sécurité juridique et judiciaire. La sécurité juridique suppose le caractère prévisible, lisible et accessible des lois et réglementations. Le domaine du droit civil est clairement défini de même que les contours, le contenu. Lorsque des parties à une convention, ou des justiciables, doivent se voir appliquer le droit civil, ils bénéficient de la prévisibilité et de la stabilité des règles. Dans le cas du droit de l’OHADA, au domaine si volatile, si fluctuant, il n’est pas certain que les investisseurs soient rassurés étant entendu que les éventuels conflits de normes pourraient mettre en péril l’effectivité des règles uniformes OHADA. B. Les incidences sur la formulation du droit dérivé 542. La généralisation des textes (1) et la question de la pertinence des textes (2) résument les incidences sur la formulation du droit dérivé. 1. La généralisation des textes 543. La formulation de règles générales. Le domaine matériel élargi et extensible du droit de l’OHADA n’a pas eu pour unique conséquence, les incertitudes quant à l’appréhension des 291 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil règles juridiques qu’il recouvre. Derrière la volonté du législateur de l’OHADA de mettre en place des règles juridiques relatives au droit des affaires, droit censé être spécial et dérogatoire au droit commun, se cachent des règles générales, étendues. Dans la mesure où « le droit commun est composé des règles juridiques dont le domaine d’application est indéfini »758, le droit de l’OHADA peut être présenté comme un droit commun. Son domaine est en réalité illimité. Il emprunte dans la formulation des règles, les caractères attachés à la règle de droit commun. La formulation des titres des Actes uniformes parle d’elle-même et laisse transparaître la volonté hégémonique de l’OHADA. Le fond de l’Acte uniforme portant droit commercial général est en conformité avec son intitulé en ce que l’on y trouve des règles générales, des règles de droit commun concernant notamment les règles de l’immatriculation des personnes physiques et morales. L’Acte uniforme relatif aux droits des sûretés est un véritable droit commun en la matière, car il se positionne comme le siège des règles juridiques en matière de droit des garanties. 544. Avec l’avènement du droit de l’OHADA, la réalité est que le droit national des États membres devient un « droit spécial », tandis que le droit interétatique devient la règle, le principe. Il revient désormais au droit national des États membres de chercher sa place, les conditions de son application à une situation, un fait juridique ou un acte juridique donné. Il est vrai qu’il a été affirmé que « le droit des affaires est un droit spécial qui obéit avant tout au droit commun des personnes, des biens, des actes et des faits juridiques »759. Néanmoins, il est tout aussi vrai qu’une telle assertion n’est plus absolue lorsque les règles juridiques élaborées par le législateur de l’OHADA entrent en ligne de compte. De manière concrète, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, consacre son titre préliminaire aux définitions et domaine d’application des sûretés. La formulation de l’article 1er est sans équivoque quant à la volonté d’imprimer un cachet de « droit commun » aux règles qui suivront. Selon l’article 1er en effet, « une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci et notamment qu’elles soient présentes ou futures, déterminées ou déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et que leur montant soit fixe ou fluctuant ». Cet article se borne à définir la sûreté sans faire la lumière sur le champ d’application de ladite sûreté en droit de l’OHADA. Les textes qui 758 N. BALAT, Essai sur le droit commun, Issy-les-Moulineaux, L.G.D.J, 2016, n°155, p. 107. 759 K. KOUADIO, « Les atouts et les faiblesses de la réglementation uniforme de l’OHADA », op.cit., p. 110. 292 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil suivent ne prennent pas une direction différente, bien au contraire elles ouvrent grandement la porte et contribuent au renforcement de la toute-puissance du droit de l’OHADA. 545. La possibilité d’adopter des textes spéciaux. Il n’est fait cas d’aucune spécificité dans la formulation des règles encore que l’article 4 rappelle que « les sûretés propres au droit fluvial, maritime et aérien, les sûretés légales autres que celles régies par le présent Acte uniforme, ainsi que les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre établissements de financement, peuvent faire l’objet de législations particulières »760. La référence à la possibilité d’adopter des textes particuliers témoigne d’un caractère assumé de la généralisation dans la formulation des textes par le législateur de l’OHADA. En clair, les sûretés susvisées sont soumises à l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, sauf si un texte spécial est adopté. Une telle approche n’aurait rien de surprenant si nous étions dans le cadre d’un droit commun que vient enrichir le droit spécial. Originairement, le droit de l’OHADA est dit « droit des affaires » donc droit spécial. En lieu et place d’un bâillonnement de la législation nationale, le législateur de l’OHADA aurait pu, aurait dû formuler des textes eu égard à la particularité de la question résolue. 546. Le style du législateur de l’OHADA. Le style du législateur de l’OHADA est identique à celui retenu dans la formulation ou l’édiction de règles générales, de principes généraux. Le style utilisé rappelle celui utilisé pour énoncer les règles de droit commun. La généralité d’un terme est « la capacité de s’appliquer à un nombre infini d’instances. Le sens d’une expression est général s’il ne précise pas certains détails et le manque de spécification peut être renforcé par l’expression référentielle indéfinie, mais on ne saurait restreindre la généralité à ce cas ; il y a aussi des phrases générales dont les noms sont introduits par un déterminant possessif, démonstratif ou défini »761. En effet, l’énonciation de règles générales requiert l’emploi de notions « inclusives », « englobantes » et permettant d’appréhender l’ensemble des acteurs et activités. Inclusives dans la mesure où elles contiennent en elles quelque chose d’autre762, englobantes, en raison de leur aptitude à réunir des choses en un tout763. Une analyse du Code civil que ce soit celui français ou ceux en vigueur au sein des États membres, met en exergue 760 Article 4 in fine, AUS. 761 M. LUPU, « Concepts vagues et catégorisation », Cahiers de linguistique française, vol. 25, 2003, pp. 291304. 762 P. ROBERT, Le petit Robert de la langue française, op. cit., p. 1303. 763 P. ROBERT, Le petit Robert de la langue française, op. cit., p. 873 293 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil la généralité des termes et notions employés. Sont fournies des définitions d’ensemble de termes généraux qui sont déclinés dans des sous-ensembles spéciaux par des textes tout aussi spécifiques. Les Actes uniformes OHADA ont été rédigés avec la marque et l’empreinte de la généralité. Le législateur fait souvent référence à « tout », « toute », « nul », aux articles indéfinis « un », « une » dans chacun des Actes uniformes. 2. La pertinence des textes 547. D’une extension et d’une extensibilité du domaine d’application, nous en sommes arrivés à une généralisation de textes que ce soit dans la formulation ou dans l’intitulé des instruments juridiques concernés. Si nous partons du postulat que le droit des affaires de l’OHADA a été formulé en vue de résoudre des problèmes précis au niveau des États membres, la teneur des textes aurait dû être de toute autre facture. Les États africains sont tous dotés d’une législation de base, de textes dits fondamentaux en ce qu’ils réglementent les relations entre particuliers, les relations entre les particuliers et les personnes publiques à titre exemplatif. Aucune volonté de se positionner en laudateurs de ces législations qui sont loin d’être parfaites, tant elles souffrent de réelles insuffisances. Le droit civil ivoirien par exemple, n’a pas suivi l’évolution et les réformes du droit français et date des années fastes de l’indépendance. Il en est encore à un régime très simplifié en matière de sûretés notamment. 548. Le droit de l’OHADA, tel que formulé, institue des principes généraux qui supplantent les droits nationaux des États membres. La question de la pertinence se pose avec acuité dans la mesure où certaines de ces règles générales ne diffèrent pas de manière drastique des règles nationales. Quel est l’intérêt d’instituer des règles tout aussi générales, parfois imprécises que celles énoncées en droit national ? Le droit de l’OHADA peine également du fait de son caractère trop étendu à résoudre des questions particulières, pointues, précises qui surviennent lors de relations contractuelles. Or la pertinence d’un texte est essentielle à son efficacité et à son effectivité. 549. Les pouvoirs étendus du Conseil des ministres. Le législateur de l’OHADA donne mandat au Conseil des ministres pour inclure dans le domaine du droit des affaires OHADA, toute autre matière à l’unanimité. L’article 2 du Traité qui ne définit aucun critère, permet pratiquement d’insérer dans le champ d’application matériel du droit des affaires n’importe quelle matière du droit privé. Ainsi, conformément au Traité, pourront être incluses dans le domaine du droit des affaires des matières considérées traditionnellement comme constituant 294 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des matières propres du droit civil, tels les régimes matrimoniaux, les successions, droit des personnes et de la famille, les libéralités, parce que, à maints égards, elles peuvent être happées par le droit des affaires. Il en est ainsi du nom patronymique qui peut servir aussi de nom commercial et être soumis à des règles particulières différentes de celles du droit civil. Se pose alors un problème de cohérence de l’œuvre harmonisatrice. C’est en cela que s’impose, soit une redéfinition du champ d’application du droit des affaires OHADA par la définition de critères, soit un changement de dénomination du droit uniforme. L’on retiendrait alors une approche économique du droit de l’OHADA. 550. De manière plus concrète, le regard panoramique orienté vers l’œuvre harmonisatrice, laisse apparaître des incohérences ou des insuffisances. L’Acte uniforme portant droit commercial général, précisément, son article 1er alinéa 3 dispose que : « en outre, tout commerçant ou tout entreprenant demeure soumis aux lois non contraires au présent Acte uniforme, qui sont applicables dans l’État partie où se situe son établissement ou son siège social ». Avant toute analyse, il convient de s’intéresser à la notion de « loi contraire ». La Cour Commune de Justice d’Arbitrage (CCJA) s’y attelle par le biais de son avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001. Peut être qualifiée de loi contraire, une loi ou un règlement de droit interne ayant le même objet qu’un acte uniforme et dont toutes les dispositions sont contraires à cet acte uniforme. C’est également l’hypothèse d’une loi ou d’un règlement dont seulement l’une des dispositions ou quelques-unes de celles-ci sont contraires. La loi non contraire est donc définie par opposition à la loi contraire. Le choix du législateur de l’OHADA en faveur de l’intégration, il est vrai, mais une intégration singulière, a des incidences sur la formulation des textes et règles de droit. Ainsi, le droit de l’OHADA est marqué par les caractères du droit commun national et formulé de manière générale et extensive. 295 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 551. Le droit civil marque le droit de l’OHADA de son empreinte. Cette influence est relevée à la source, dans la conception même du domaine du droit de l’OHADA. A priori, la définition du domaine du droit de l’OHADA consisterait à assimiler ledit domaine à celui du droit des affaires classique tel qu’il est connu. Les textes fondateurs de l’OHADA sont clairs à ce propos : le droit de l’OHADA est pensé comme un droit des affaires. Cette approche est apparue comme démontré plus haut, intellectuellement et juridiquement insatisfaisante. En effet, une attention particulière devait être portée au concept même de droit des affaires OHADA. Sans oublier les mécanismes d’intégration retenus par le législateur de l’OHADA. Il en ressort la mise en exergue d’un fonds civiliste qui se traduit par l’adoption des mécanismes et règles de droit civil en la matière. 296 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Chapitre 2. DES RÈGLES ET PRINCIPES MARQUÉS PAR LE DROIT CIVIL NATIONAL 552. Le droit de l’OHADA a été élaboré en vue d’améliorer le dispositif juridique des États membres en droit des affaires. Dispositif qui est essentiellement constitué par un fonds civiliste donc de règles générales. Les attentes en la matière étaient simples : parvenir grâce au droit des affaires OHADA à résoudre des questions précises du monde des affaires et des investissements. Dans certains aspects, le droit de l’OHADA, a conservé les caractéristiques du droit commun. À la vérité, le droit de l’OHADA a intégré de manière pure et simple des dispositions du droit civil des États membres. Dix (10) Actes uniformes sont en vigueur au sein des États membres. L’analyse des Actes uniformes permet de relever des transferts purs et simples du droit civil national au sein du dispositif juridique de l’OHADA. L’influence est donc celle du droit civil national sur le droit de l’OHADA. Cette influence est de nature à limiter celle consacrée du droit de l’OHADA sur le droit commun national. La relativité de l’influence dont il est question sera mise en exergue à travers, d’une part, l’élaboration de règles fortement inspirées du droit civil national (Section 1) et d’autre part, l’incursion du droit de l’OHADA dans la sphère du droit civil (Section 2). Section 1. L’élaboration de règles fortement inspirées du droit civil national 553. Parce que les règles du droit de l’OHADA portent l’empreinte du droit civil, l’on note une transposition des principes du droit civil national en droit de l’OHADA (§1) et la prise en compte du droit civil national des États membres (§ 2) dans la formulation du droit de l’OHADA. Le droit de l’OHADA est ainsi influencé par le droit civil national des États membres. § 1. La transposition des principes du droit civil national en droit de l’OHADA 554. Sur certains points, le législateur de l’OHADA décide de procéder à une intégration à l’identique des règles du droit civil. Cette intégration textuelle des principes du droit civil aux normes OHADA (A) n’est pas la seule hypothèse. L’adaptation des règles du droit civil national des États membres (B) est également réalisée. Il en résulte une autonomie limitée du droit de l’OHADA par rapport au droit civil national. 297 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil A. L’intégration textuelle des principes aux normes de l’OHADA 555. Les sûretés personnelles (1) et les sûretés réelles (2) sont les points d’intégration textuelle relevés. 1. En matière de sûretés personnelles 556. La reprise de certains aspects du droit des sûretés des États membres. En la matière, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés renferme des dispositions du droit civil national des États membres. Il est vrai qu’avec le nouvel Acte uniforme la définition du cautionnement est modifiée, mais il n’en demeure pas moins que le régime juridique de cette sûreté personnelle est sous divers aspects l’image fidèle du droit commun. L’article 2014 alinéa 1er du Code civil ivoirien, article 2291 alinéa 1er du Code civil français dispose qu’« on peut se rendre caution sans l’ordre de celui pour lequel on s’oblige et même à son insu »764. L’alinéa 2 de l’article 13 de l’Acte uniforme ne prévoit rien de bien différent puisqu’il dispose que « cet engagement peut être contracté sans ordre du débiteur ». En fait, le débiteur principal, s’il a naturellement intérêt au cautionnement, n’est pas en règle générale, partie au contrat. Celui-ci peut être conclu sans son ordre, notamment à l’initiative du créancier. Même lorsqu’il participe à la formation du contrat, le débiteur n’acquiert aucun droit en vertu de celui-ci. C’est ce qui explique la solution de la Cour de cassation française rendue par un arrêt en date du 10 juillet 2001. La haute juridiction retient notamment que « le contrat de cautionnement ne peut être cédé en cas de redressement judiciaire »765. Ainsi, à l’instar du droit commun, le législateur de l’OHADA n’exclut pas la conclusion de l’acte de cautionnement à l’insu du débiteur qui est un tiers intéressé. En effet, le cautionnement est conclu entre la caution et le créancier, et emporte engagement de la caution à exécuter l’obligation contractée par le débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Cette faculté pourrait être problématique dès lors que la caution a payé le créancier alors que le débiteur s’était déjà exécuté ou que la dette a été éteinte par un autre moyen. 557. La formation du cautionnement. Concernant la formation du cautionnement, le droit civil des États membres prévoit qu’il « ne se présume point ». L’exigence du caractère exprès du cautionnement répond à un objectif de sécurité juridique et de réduction du contentieux en la matière. La volonté des parties de s’engager doit être exprimée de manière non équivoque : 764 Article 2014 du Code civil togolais, burkinabé, comorien, guinéen, camerounais… 765 Cass. Com, 10 juillet 2001, n° 98-14-462. 298 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil à défaut, l’engagement ne vaut pas cautionnement. De même, le législateur de l’OHADA reprend en son article 17, l’exigence d’une obligation valable pour le cautionnement et l’admission du cautionnement des engagements d’un incapable tel que le mineur766. Le caractère accessoire du contrat « suppose nécessairement une dette principale à garantir » 767. Au titre des conséquences de ce caractère notamment concernant la validité du cautionnement, figure la nécessité d’une obligation principale valable. La nullité de l’obligation principale entraîne en principe, la nullité du cautionnement. Cependant, comme le précise à raison le Professeur Yves PICOD, « il faut cependant distinguer selon que la nullité de l’obligation du débiteur principal est absolue ou relative. Si la nullité de la dette principale est absolue, le cautionnement est nul (…). Si au contraire, il s’agit d’une nullité relative pour vice du consentement la question se pose en des termes plus délicats. Le Code civil distingue parmi les exceptions que la caution prétend opposer au créancier, celles inhérentes à la dette, reis coherentes et celles purement personnelles au débiteur, personae coherentes » 768. La question est d’autant plus délicate que dans un arrêt du 8 juin 2007, la chambre mixte de la Cour de cassation retient que « le dol affectant le consentement du débiteur principal constitue une exception personnelle que la caution ne peut invoquer »769. La justification de cette solution réside dans le caractère relatif de la nullité pour dol : seul le débiteur principal, victime de dol, peut s’en prévaloir. La solution est critiquable en ce qu’elle porte atteinte au caractère accessoire du cautionnement : l’engagement de la caution subsiste, alors même que la dette garantie encourt l’annulation. 558. Le paiement de la caution. Les dispositions de l’article 16 de l’Acte uniforme visant l’insolvabilité de la caution qui, dans ce cas doit en désigner une autre sauf si le créancier y procède, sont identiques à celles de l’article 2020 du Code civil ivoirien770. Les articles 14 et 18 de l’Acte uniforme reprennent l’article 2013 du Code civil ivoirien771 en évoquant 766 Confère article 2012 du Code civil ivoirien. 767 H.-L et J. MAZEAUD, Ph. JESTAZ, Leçons de Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Par Y. PICOD, 7 éd., Tome III, vol 1.,Paris, Montchrestien, 1999, n°15, p. 31. e 768 H.-L et J. MAZEAUD, Ph. JESTAZ, Leçons de Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Par Y. PICOD, op. cit., n° 21, p. 35. 769 Cass. Ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15602, Bull. Ch. Mixte, n°5. 770 V. également l’article 2020 des Codes civils togolais, camerounais, burkinabé, 771 Formulation identique à l’article 2021 des Codes civils togolais, camerounais, burkinabé, 299 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’étendue du cautionnement qui est limitée à la somme maximale souscrite par la caution et peut être circonscrite à une partie seulement de la dette et sous des conditions moins onéreuses. L’un des effets du cautionnement, notamment le caractère subsidiaire de l’engagement de la caution qui n’a obligation de payer qu’en cas de défaillance du débiteur, est prévu par l’article 2021 du Code civil ivoirien que l’alinéa 1er de l’article 23 de l’Acte uniforme reprend. L’exclusion du bénéficie de discussion dans certains cas, est affirmée par le droit national des États membres et reprise par l’article 27 de l’Acte uniforme. La question qui se pose est de savoir quel intérêt il y a-t-il à reprendre à l’identique des dispositions du droit civil national, alors que l’objectif affirmé par le législateur de l’OHADA est d’améliorer le cadre normatif des États membres ? L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national est clairement limitée par cette reprise à l’identique. 559. Le bénéfice de discussion étant « la faculté permettant à la caution de contraindre le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal, à saisir et à vendre les biens de ce dernier »772. Elle est exclue pour la caution solidaire et la caution simple qui déclare y avoir renoncé. L’article 27 de l’Acte uniforme poursuit avec les modalités de mise en œuvre du bénéfice de discussion avec l’obligation pour la caution d’indiquer les biens de ce dernier susceptibles d’être saisis immédiatement sur le territoire national et de produire des deniers suffisants pour le paiement intégral de la dette773. La caution ne peut être tenue plus sévèrement que le débiteur. 560. Le domaine du droit des sûretés. De plus, l’on relève une absence de distinction de la législation entre sûretés qui relèvent du droit commercial, parce que consenties pour les besoins du commerce et sûretés « civiles ». La qualité du créancier, du débiteur ou de la personne qui constitue la sûreté, n’a aucune importance en droit de l’OHADA. Traditionnellement, le droit des sûretés relève du droit civil pur et non du droit commercial, ce qui ne fait pas obstacle à la constitution de sûretés commerciales. Les sûretés sont rattachées à la théorie générale des obligations et aux droits réels. Il aurait été parfaitement compréhensible que dans la prise en compte de la législation interne, le législateur de l’OHADA, compte tenu de la spécificité du domaine qui fonde son œuvre, s’en distingue. L’on s’interroge sur l’intérêt de la reprise de normes internes, normes du droit commun dans 772 P. CROCQ, (sous. Dir.), Le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés : la réforme du Droit des sûretés de l’OHADA, op. cit., n°95, p. 86. 773 V. article 2023 du Code civil ivoirien. 300 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil le corpus communautaire censé présenter un caractère de spécialité. Chaque État membre est d’ailleurs bien conscient que les dispositions non contraires au droit uniforme et concernant des matières non réglementées survivent à la supranationalité du droit de l’OHADA. N’auraitil pas fallu dans ce cas dans un souci de renforcement de la part de souveraineté des États membres, se garder de reprendre à l’identique les dispositions civiles nationales ? Les États membres sont tenus de mettre leur dispositif juridique en conformité avec le droit de l’OHADA. De plus, les dispositions nationales identiques dans leur formulation ou dans leur objet, à celles du droit de l’OHADA sont abrogées. Cela est incompréhensible dans la mesure où ces dispositions identiques préexistaient au droit de l’OHADA. Dans un souci de cohérence, il aurait fallu renvoyer simplement au droit civil national sur ces points, ou se limiter à légiférer sur des questions spéciales, purement commerciales. 2. En matière de sûretés réelles 561. Une hypothèque nationale ? Le législateur de l’OHADA s’est également approprié les dispositions du droit civil en matière de sûretés réelles. Certains aspects du régime juridique de l’hypothèque l’attestent. Hypothèque qui reste mal perçue en Afrique en général et au sein des pays de l’Afrique subsaharienne en particulier. Si la richesse était fonction de l’importance de l’exploitation agricole, notamment les « têtes de bétail », l’immobilier est un signe ostentatoire de richesse. Plus la maison est immense et luxueuse, plus l’on émet des signaux de puissance et de richesse. L’hypothèque sonne le glas de cette puissance et expose à une sanction sociale : devenir un « pariât ». L’hypothèque est assimilée à une sanction de la mauvaise gestion de son patrimoine par le débiteur. Sa fonction de garantie n’est pas mise en exergue. Il n’est donc pas rare que les justiciables tentent de faire dégénérer une hypothèque en cautionnement, sans réel succès puisque la CCJA reste vigilante à ce propos. Dans un arrêt du 23 novembre 2017, la juridiction communautaire avait rappelé que « lorsque l’affaire concerne des hypothèques, une partie ne peut attaquer ces dernières en se fondant sur les dispositions relatives au cautionnement » 774. 562. L’article 192 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés dispose que « sauf disposition contraire, seuls les immeubles présents et immatriculés peuvent faire l’objet d’une hypothèque. Peuvent faire l’objet d’une hypothèque : 1°) les fonds bâtis ou non bâtis et leurs 774 CCJA, 3e ch., n° 208/2017 du 23 novembre 2017. V. également CCJA, 1e Ch., n° 43/2010, 1er juillet 2010 : « l’article 4 de l’Acte uniforme sur les sûretés s’applique au cautionnement lors de sa formation et non à l’hypothèque conventionnelle qui elle est régie par les articles 126 et suivants du même Acte uniforme ». 301 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil améliorations ou constructions survenues, à l’exclusion des meubles qui en constituent l’accessoire ; 2°) les droits réels immobiliers régulièrement inscrits selon les règles de l’État Partie ». Les législations des États de la zone Franc en matière de sûretés immobilières, ont été révisées et modernisées par des décrets fonciers qui se sont intéressés aux droits réels immobiliers et à la publicité foncière. Les textes sont sensiblement pareils et prévoient que « sont seuls susceptibles d’hypothèque : 1. Les Fonds de terre bâtis ou non bâtis qui sont dans le commerce et, avec eux, leurs accessoires réputés immeubles ; 2. L’usufruit des mêmes biens, pendant sa durée ; 3. L’emphytéose, pendant le temps de sa durée ; 4. Le droit de superficie »775. Ces dispositions réalisent une énumération exhaustive. Ce qui revient à exclure les droits d’usage et d’habitation de l’assiette de l’hypothèque. Simplement, le bénéficiaire « ne peut céder son droit ni la servitude puisque celle-ci ne peut être détachée du fonds auquel elle profite »776. Les dispositions évoquées ne sont nullement différentes de celles susvisées ; il ne s’agit que d’un jeu de notions, de formulation, de synonymie. 563. Les caractères de l’hypothèque. L’article 193 pose le principe de l’indivisibilité de l’hypothèque tel que prévu en droit national ainsi que le droit de suite qui y est attaché. En effet, l’hypothèque est indivisible entre les constituants jusqu’à complet paiement et les suit en quelques mains que les biens passent. L’hypothèque est constitutive de droit réel. Le droit réel étant indivisible, l’hypothèque l’est également ; l’hypothèque est même doublement indivisible. L’indivisibilité se rapporte en premier lieu à la créance. Ainsi, le créancier ou ses ayants cause n’ont pas à subir les conséquences de la division de la dette. L’indivisibilité de l’hypothèque concerne en second lieu l’immeuble grevé. La dette est garantie par chaque immeuble. La règle de l’indivisibilité signifie également que lorsque le bien grevé est par la suite divisé, chaque lot est grevé de l’hypothèque pour la totalité du prêt. Le débiteur subit quelques fois les inconvénients de l’indivisibilité en cas de paiement partiel notamment. Les créanciers en sont très satisfaits et l’apprécient777. Les législations nationales s’accordent sur la prohibition de l’hypothèque portant sur les biens à venir. Le législateur de l’OHADA 775 Article 32 du Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française (AOF). 776 G.A. KOUASSIGAN, (sous. Dir.), Encyclopédie juridique d’Afrique, Tome V, droit des biens, p. 169. 777 S. PIEDELIEVRE, « l’efficacité de la garantie hypothécaire », Etudes offertes à J. FLOUR, 377 (1508). 302 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil n’affirme pas le contraire. Cette prohibition est une conséquence du principe de spécialité778 appliqué à l’assiette des biens garantis. B. L’adaptation des règles du droit civil national des États membres 564. L’adaptation des règles du droit civil national par le législateur de l’OHADA concerne les sûretés personnelles (1) et les sûretés réelles (2). 1. Les sûretés personnelles 565. Une adaptation par explicitation. Tout l’intérêt d’un droit spécial et attractif réside dans son aptitude à surpasser le droit commun, à innover, à y déroger quand la nécessité est sans équivoque. Prévu pour être un « droit spécial » mais commun aux États signataires du Traité, le droit de l’OHADA ne se limite pas à calquer le droit civil national. Il a souhaité adapter ledit droit aux réalités du monde des affaires, à ses exigences. Si l’adaptation est salutaire, il n’en demeure pas moins que le socle est bien le droit civil des États membres. Son influence sur le droit de l’OHADA est perceptible puisque, le législateur communautaire, loin de réglementer des questions particulières, de formuler des règles spéciales, reprend des règles générales qu’il se limite à réécrire ou à actualiser. L’attractivité du droit de l’OHADA en est fortement affectée, dans la mesure où il a été présenté comme l’innovation des années 90, ce droit révolutionnaire sans commune mesure. 566. La formation du cautionnement. L’exemple type demeure l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Tout d’abord, pour ce qui concerne la formation du cautionnement, le législateur explicite le principe qui veut que le cautionnement soit exprès et ne se présume pas. Il reconnaît en son article 14 une valeur probatoire de l’acte établi entre le créancier et la caution ainsi que la mention manuscrite de celle-ci. La réelle adaptation concerne l’admission d’une preuve testimoniale en la matière : « la caution qui ne sait ou ne peut écrire, doit se faire assister de deux témoins qui certifient, dans l’acte de cautionnement, son identité et sa présence et attestent, en outre, que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés. La présence des témoins certificateurs dispense la caution de l’accomplissement des formalités prévues par l’alinéa précédent »779. Les affaires reposent sur une idée de confiance, d’oralité, sur des conventions très peu formalisées. Le législateur de l’OHADA a donc légiféré en tenant 778 F. MARTIN, « Le principe de spécialité de l’hypothèque, application et évolution », Dr. Et patr., Nov 2005, p. 59. 779 Article 14 de l’AUS. 303 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil compte de la place primordiale de l’oralité au sein de la société africaine ; une place liée à son histoire. Le texte relatif à la caution illettrée est inspiré des articles 20 et 22 du Code des obligations civiles et commerciales sénégalais780. L’article 20 prévoit que « la caution illettrée, doit se faire assister de deux témoins lettrés qui certifient dans l’écrit son identité et sa présence. Ils attestent en outre que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés ». L’article 22 quant à lui dispose que « l’acte sous seing privé contenant un engagement unilatéral doit être rédigé en entier de la main de celui qui le souscrit. Dans le cas contraire, il faut que celui qui s’engage écrive de sa main, outre sa signature, un bon pour ou un approuvé portant en toutes lettres le montant de son obligation dont il fait preuve. La présence des témoins certificateurs dispense les illettrés de l’accompagnement de la présente formalité ». 567. La solvabilité de la caution. Du point de vue de la solvabilité de la caution, l’article 2018 du Code civil ivoirien dispose que « le débiteur, obligé à fournir une caution, doit en fournir une qui ait la capacité de contracter, qui ait un bien suffisant pour répondre de l’objet de l’obligation et dont le domicile soit dans le ressort de la Cour d’appel où elle doit être donnée »781. Selon l’article 2019 du même Code civil, « la solvabilité d’une caution ne s’estime qu’eu égard à ses propriétés foncières, exceptée en matière de commerce, ou lorsque la dette est modique. Avec l’article 15 de l’Acte uniforme, « lorsque le débiteur est tenu, par la convention, la loi de chaque État Partie ou la décision de justice, de fournir une caution, celle-ci doit être domiciliée ou faire élection de domicile dans le ressort territorial de la juridiction où elle doit être fournie, sauf dispense du créancier ou de la juridiction compétente. La caution doit présenter des garanties de solvabilité appréciées en tenant compte de tous les éléments de son patrimoine. Le débiteur qui ne peut trouver une caution pourra la remplacer par toute sûreté réelle donnant les mêmes garanties au créancier ». 568. Le législateur de l’OHADA franchit un pas supplémentaire en étendant l’assiette de la garantie de solvabilité à l’ensemble du patrimoine de la caution. Le législateur de l’OHADA est allé bien au-delà de cette tradition africaine qui veut que la richesse, la puissance d’une personne, d’une famille se définisse à la mesure de son patrimoine foncier. Il a réalisé une avancée à mettre au compte du droit prospectif dans la mesure où la mondialisation, la dématérialisation des échanges sonne l’émergence de nouvelles formes d’instruments de 780 Loi n° 63-62, 10 juillet 1963. 781 Le texte est identique au sein des législations nationales des États membres de l’OHADA ; notamment le Togo, le Cameroun, le Burkina, la Guinée, les Comores… 304 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil richesse. Aujourd’hui l’on est « riche » à coups de parts sociales, d’actions, de prise de participation dans une entreprise. Aujourd’hui, la propriété intellectuelle et ses produits ont une place non négligeable dans l’activité économique. Le législateur communautaire aurait dû franchir un pas supplémentaire en rattachant à cette exigence de solvabilité celle de l’exclusion d’un cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus la caution. Il aurait à l’image du législateur français, renforcé la protection de la caution. En effet, la sanction des engagements disproportionnés de la caution au regard de ses facultés contributives qui s’apprécie en droit français au moment où la caution s’engage et au moment où elle est appelée en paiement viendrait renforcer l’attractivité de cette sûreté reine. 569. Le droit de poursuite de la caution. Le Code civil ivoirien se limite à énoncer que la caution n’est obligée envers le créancier à le payer qu’à défaut de paiement du débiteur782. Le législateur de l’OHADA précise en plus par le biais de l’article 23 alinéa 2 in fine de l’Acte uniforme consacré aux sûretés que « le créancier ne peut entreprendre de poursuites contre la caution qu’après une mise en demeure de payer adressée au débiteur principal et restée sans effet ». À la lecture du texte ivoirien il est loisible d’affirmer que le dès lors que le débiteur ne respecte pas son obligation, la caution est tenue. Aucune précision quant aux circonstances qui entourent cette inexécution ; aucun détail quant aux mécanismes visant à établir cette inexécution. Le législateur de l’OHADA adapte cette disposition aux exigences du droit moderne dans la mesure où toute demande de paiement doit être formulée du moins dans la procédure non judiciaire, par le biais d’une mise en demeure. L’article 1344 du Code civil français, « le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation ». Cette interpellation en forme de sommation, lettre missive ou tout acte équivalent, aux termes de laquelle un créancier notifie à son débiteur sa volonté de recouvrer sa créance, désigne aussi bien le document notifié au débiteur que les conséquences de sa réception. La règle posée par l’article 23 alinéa 2 est un tempérament à celle de solidarité en matière de cautionnement. Le cautionnement étant au sens de l’Acte uniforme portant droit des sûretés solidaire par principe et simple de manière exceptionnelle, une règle imposant une mise en demeure préalable sans distinguer selon le type de cautionnement vient y apporter un tempérament. À l’instar de l’article 26 alinéa 2 qui dispose que « le créancier ne peut poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en cause le débiteur principal ». 782 A l’instar des autres États membres. 305 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 570. L’extinction du cautionnement. L’extinction du cautionnement est également concernée par la volonté d’adaptation du législateur de l’OHADA. Par exemple l’article 2039 du Code civil ivoirien prévoit que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge point la caution, qui peut, en ce cas, poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement ». L’Acte uniforme clarifie ce texte à travers l’alinéa 2 de l’article 23 qui prévoit que « la prorogation du terme accordée au débiteur principal par le créancier doit être notifiée par ce dernier à la caution. Celle-ci est en droit de refuser le bénéfice de cette prorogation et de poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement ou obtenir une garantie ou une mesure conservatoire ». La caution a la faculté de refuser le bénéfice de la prorogation afin de se prémunir d’une insolvabilité ultérieure du débiteur. Ces règles prennent leur source dans le droit civil des États membres. Les États membres de l’OHADA auraient-ils un réel intérêt à accorder la primauté à des règles qui s’inspirent de leur droit civil, leur droit commun? Il est évident que la tentation est grande de retenir pour référence, le droit civil national, dans un sursaut nationaliste. 2. Les sûretés réelles 571. Les privilèges. Les privilèges confèrent à leurs titulaires un droit de préférence, selon le droit civil des États membres. Ils sont ainsi payés par priorité. Le créancier privilégié n’a pas de droit particulier relativement à la vente proprement dite des biens de son débiteur : il ne peut pas s’opposer à ce que les autres créanciers y procèdent, et, s’il en prend l’initiative, il suivra comme un créancier ordinaire, toutes les formalités de la saisie et de la vente (…). Mais que la vente ait été provoquée par les autres créanciers ou que le créancier privilégié y ait procédé lui-même, le privilège donne à celui qui en bénéficie, un droit de préférence sur le prix »783 . Les privilèges sont, soit généraux, soit spéciaux. Ils sont généraux lorsqu’ils portent sur l’ensemble du patrimoine du débiteur et spéciaux lorsqu’ils concernent un bien en particulier. L’Acte uniforme portant droit des sûretés affirme la suprématie des dispositions qu’il prévoit en la matière. Le rang de tous privilèges généraux créés par des textes spéciaux doit être déterminé en fonction du classement opéré par le législateur de l’OHADA au risque d’occuper le dernier rang. L’article 180 de l’Acte uniforme effectue un classement des privilèges généraux. Les privilèges généraux, comme prévu par les États membres sont pour la plupart issus du Code civil français à quelques aménagements près ; en effet certains pays 783 F. CHABAS, H. et L. MAZEAUD, J. MAZEAUD, Leçons de Droit civil, op.cit., n° 139, p. 215. Le créancier privilégié prime les créanciers chirographaires, mais aussi, en principe les créanciers hypothécaires. 306 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil ont une liste moins détaillée. À l’analyse l’Acte uniforme réduit la liste des privilèges généraux omettant ainsi certains privilèges initialement prévus par les États membres784. Sûrement pour leur laisser le soin d’en créer d’autres à l’avenir par des textes spéciaux. La justification d’une telle approche résiderait dans la nécessité d’« éliminer les privilèges qui ne correspondaient plus à l’Afrique ni à l’époque actuelle, et de déterminer de manière aussi précise que possible leur assiette et leur rang » 785. 572. En quoi est-ce que « les frais quelconques de la dernière maladie quelle qu’en ait été la terminaison, concurremment entre ceux à qui ils sont dus » ne sont pas adaptés à l’Afrique ? À l’époque actuelle ? L’Afrique est le continent où l’idée de « solidarité » prise dans son sens d’entraide est encore présente. La question de la santé, qui y est d’ailleurs sensible, fait partie des domaines dans lesquels elle se manifeste. Les programmes de développement qui visent l’amélioration des conditions de vie des populations en Afrique sont mis en place avec des secteurs prioritaires tels que celui de la santé. En Côte d’Ivoire que ce soit le Programme National pour le Développement Communautaire786 ou le Programme Présidentiel d’Urgence787, l’amélioration et le renforcement des infrastructures sanitaires, la facilitation des conditions d’accès aux soins, la réduction des coûts, sont mis en avant. La volonté d’adaptation du droit africain n’est donc pas véritablement atteinte du point de vue de ce privilège lié à la santé ; surtout que rien ne fait obstacle à la reconduction par les législations 784 Selon l’article 180 de l’AUS, « sont privilégiés, sans publicité et dans l’ordre qui suit : 1°) les frais d’inhumation, les frais de la dernière maladie du débiteur ayant précédé la saisie des biens ; 2°) les fournitures de subsistance faites au débiteur pendant la dernière année ayant précédé son décès, la saisie des biens ou la décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 3°) les sommes dues aux travailleurs et apprentis pour exécution et résiliation de leur contrat durant la dernière année ayant précédé le décès du débiteur, la saisie des biens ou la décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 4°) les sommes dues aux auteurs d’œuvres intellectuelles, littéraires et artistiques pour les trois dernières années ayant précédé le décès du débiteur, la saisie des biens ou la décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 5°) dans la limite de la somme fixée légalement pour l’exécution provisoire des décisions judiciaires, les sommes dues aux organismes de sécurité et de prévoyance sociales ; 6°) dans la limite de la somme fixée légalement pour l’exécution provisoire des décisions judiciaires, les sommes dont le débiteur est redevable au titre des créances fiscales et douanières ». 785 J. ISSA-SAYEGH, Commentaire de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, in OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 946. 786 Le PNDC a été adopté en Conseil des ministres le 15 février 2012 et créé le 11 avril 2012 par l’Arrêté N°0025/MEMPD/CAB du Ministre d’État, Ministre du Plan et du Développement. Cet arrêté a été modifié par Arrêté du 11 avril 2013. 787 Le PPU a reçu l’appui du système des Nations Unies dans le cadre du Plan Prioritaire pour la Consolidation de la Paix en Côte d’Ivoire. 307 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil nationales de privilèges supprimés dès lors qu’ils ne sont pas contraires aux dispositions de l’Acte uniforme. L’uniformité tant recherchée volerait en éclat et la sécurité juridique serait fragilisée. 573. L’hypothèque. Selon l’article 190 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, « l’hypothèque est l’affectation d’un immeuble déterminé ou déterminable appartenant au constituant en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures à condition qu’elles soient déterminées ou déterminables. Elle est légale, conventionnelle ou judiciaire ». Il est vrai qu’en droit national, l’hypothèque est présentée comme « un droit réel sur des immeubles affectés à l’acquittement d’une obligation ». Clairement, le législateur de l’OHADA a entendu être plus précis quant à la nature de la créance pouvant faire l’objet de garantie et à la détermination de l’immeuble affecté en garantie. Mais à y regarder de près, la définition issue du Code civil demeure plus adaptée en ce qu’elle est plus simple et claire. L’utilisation d’un terme général, à savoir « obligation » permet de viser de manière implicite les différents types énumérés par le législateur de l’OHADA. Ce qu’il ne faut surtout pas oublier, c’est bien que droit de l’OHADA, est jugé complexe pour ses destinataires. La définition retenue par le législateur de l’OHADA, n’est pas plus précise que celle retenue en droit civil national. La notion d’obligation renferme l’hypothèse d’un lien de droit présent ou futur, déterminé ou déterminable, en vertu de l’accord des parties. L’adaptation tant recherchée n’en est pas vraiment une, dans la mesure où le droit civil national des États membres reste présent. § 2. La prise en compte des sources sociologiques et coutumières du droit civil national des États membres 574. Hormis la transposition ou l’adaptation des principes et règles du droit civil par le législateur de l’OHADA, celui-ci tient compte du droit civil des États membres en ayant la sociologie africaine comme élément de référence (A), et en réalisant une insertion de principes civilistes du droit coutumier dans l’ordre normatif de l’OHADA (B). A. La sociologie africaine comme élément de référence 575. Le législateur de l’OHADA, conscient des réalités africaines a su valoriser la communauté (1), fondement de la société africaine et le règlement collégial des conflits (2). 308 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. La valorisation de la communauté 576. La promotion des valeurs africaines. La construction du dispositif de l’OHADA ne s’est pas totalement faite en marge des réalités africaines. Certains aspects sociologiques tels, l’idée de communauté, ont été bien pris en compte. L’Afrique et cela est d’autant plus vrai pour l’Afrique noire, possède une structure sociale caractérisée par l’idée de la « Solidarité » qui est perçue au sein de la parenté et de l’alliance et qui ramène à l’impératif d’entraide, qui dans l’épreuve, soumet les plus proches parents et alliés à des devoirs élémentaires de secours et d’assistance. Cette solidarité naît et se développe au sein de la « communauté » qui décrit « un ensemble de personnes et d’États qui ont des intérêts communs »788. « Presque partout en Afrique Noire, la vie est commandée par certaines attitudes à l’égard des biens et des personnes qui ne sont pas les attitudes courantes dans notre société occidentale. (…) Les relations personnelles et notamment les liens de la parenté demeurent au premier plan »789. En Afrique Noire, les liens de parenté ne sont pas uniquement pris dans le sens strict des liens de sang ; certains mécanismes tels que, le jeu des alliances, permettent d’élargir la famille, la communauté à des personnes d’autres Ethnies790, d’autres régions et même d’autres pays. Malgré la mondialisation et l’importance accordée à l’essor économique, l’africain n’a pas cessé de recourir aux siens, ses parents, ses voisins pour l’épauler, le soutenir dans une situation. Est ainsi instaurée, « une solidarité à deux faces : s’il peut demander leur appui, eux de leur côté comptent sur lui »791. La société y est marquée par les pactes, les alliances, « relations à plaisanteries » ou « joking relationship ». Les relations à plaisanteries s’analysent en des taquineries, des plaisanteries entre peuples, ethnies et familles. En Manding792, cela se traduit par les relations de « senankuya », « gammu » en Wolof793. « La relation à plaisanteries est une forme de relations d’amitié, qui est une combinaison singulière de bienveillance et d’antagonisme, une relation d’amitié dans laquelle existe un antagonisme 788 H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, op.cit., p. 82. 789 D. PAULME, « Structures sociales traditionnelles en Afrique Noire », in Cahiers d’études africaines, 1960, vol. 1, n° 1, p. 16. 790 Groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l’unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe. 791 D. PAULME, « Structures sociales traditionnelles en Afrique noire », op. cit., p. 17. 792 Langue principalement parlée en Afrique de l’Ouest. 793 Langue parlée au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie. 309 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil apparent, contrôlé par des règles conventionnelles. Ces relations de plaisanteries sont à ranger dans la catégorie des rivalités amicales »794. Leur rôle essentiel est un rôle de pacification et dans cet « antagonisme joué », sa répétition régulière, l’hostilité apparente est la contrepartie d’une amitié réelle795. Encore aujourd’hui, les relations à plaisanterie sont essentielles, dans la mesure où elles sont utilisées dans les techniques modernes de résolution de conflits. 577. L’entraide et la solidarité. De plus, l’économie de l’Afrique noire a reposé et continue de reposer sur le secteur agricole, que ce soit à l’échelle familiale ou industrielle. Au sein d’une famille, d’un groupe, le début du processus, marqué par la préparation de l’espace cultivable jusqu’à la récolte en passant par la culture, n’est pas individuel. La coopération est un mode traditionnel de gestion de la terre. L’activité est menée dans un climat d’entraide, de répartition des tâches. Dans la conception africaine, la terre n’appartient pas à un individu mais à la collectivité, au village, à la famille. Cette réalité a cependant entraîné d’interminables conflits fonciers après les indépendances. En effet, à la faveur des indépendances, dans le but de soutenir la migration du système de gestion coloniale à un système de gestion autonome étatique, une politique agricole a été mise en place. Elle consistait pour celui qui détenait des parcelles cultivables à les mettre à disposition de « bras valides », généralement ressortissants de la zone anciennement dite Afrique Occidentale Française (AOF), avec un partage de la récolte en contrepartie. Étant entendu que la rétribution tiendra compte de la teneur de l’investissement. « Le système communautariste est un mode de pensée traditionnel des groupements familiaux, professionnels, artisanaux dont la réussite passe avant tout par l’émergence du groupe avant la réussite individuelle »796. 578. La coopérative. Les prémices de la coopérative telle qu’elle est connue aujourd’hui sont ainsi constituées. Cependant, leur forme actuelle et moderne n’est due qu’à la volonté des puissances coloniales. Elles entendaient utiliser les coopératives « comme d’un outil stratégique pour regrouper les producteurs ruraux, de sorte que les cultures d’exportation essentielles comme le café, le cacao et le coton puissent être collectées de façon plus 794 A.-R. RADCLIFFE-BROWN, Structure et fonction dans la société primitive, Paris, éd. de minuit, Coll. Points sciences humaines, 1972, p. 124. 795 A.-R. RADCLIFFE-BROWN, Structure et fonction dans la société primitive, op.cit. p. 109. 796 G. SARR, « Les enjeux de la société coopérative : évolution et perspectives », Rev. ERSUMA, n°2, mars 2013, Doctrine, p. 188. 310 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil rentable 797 ». Le mouvement ne s’arrêta pas à la faveur des indépendances ; les nouveaux dirigeants s’inscrivent dans une politique de promotion des coopératives qui devinrent omniprésentes et se positionnèrent comme un outil essentiel pour le développement des zones rurales. Les années 1990 dites années de privatisation, de libéralisation rendirent les coopératives obsolètes pour un temps. Elles eurent un regain de vitalité avec la création de Communautés, d’Organisations interétatiques, de groupes d’influences. 579. Désormais les coopératives sont pensées comme « d’authentiques organisations d’entraide enracinées dans les communautés locales, donnant la parole aux producteurs locaux et renforçant les économies locales »798. L’Afrique noire est dotée d’un tissu économique pluriel, qui mêle plusieurs fibres en l’occurrence des entreprises de capital, des sociétés dirons-nous classiques et des structures plus spécifiques fondées sur l’idée de l’entraide. L’OHADA ne pouvait dans sa volonté affichée de réaliser une intégration économique par le biais d’une intégration juridique, occulter ces acteurs économiques ; ces acteurs qui bien qu’étant au départ cantonnés au secteur agricole ont su étendre leurs tentacules à d’autres secteurs essentiels de l’activité économique. En décidant de réglementer les sociétés coopératives, l’OHADA a consacré le principe fondamental de ces structures, à savoir « la solidarité ». En effet, l’article 4 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives dispose que « la société coopérative est un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes coopératifs » 799. 580. La tontine. Un autre aspect de la structure coopérative, est matérialisé par « la tontine », ancrée dans les mœurs africaines encore aujourd’hui. En Afrique, « la tontine est la forme la plus achevée et remarquable d’auto-organisation informelle des personnes à des fins de 797 P. DEVELTERE, I. POLLET, F. WANYAMA, L’Afrique solidaire et entrepreneuriale : La renaissance du mouvement coopératif africain, Organisation Internationale du Travail, p 9. 798 P. DEVELTERE, I. POLLET, F. WANYAMA, L’Afrique solidaire et entrepreneuriale : La renaissance du mouvement coopératif africain, op.cit., p 10. 799 Ces principes coopératifs sont « l’adhésion volontaire et ouverte à tous, le pouvoir démocratique exercé par les coopérateurs, la participation économique des coopérateurs, l’autonomie et l’indépendance, l’éducation, la formation et l’information, l’engagement volontaire envers la communauté » selon l’article 6 de l’AU. 311 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil mobilisation collectives de l’épargne et de crédit »800. Les origines de cette expression remontent en France, avec le banquier napolitain TONTI qui l’a suggéré à Louis XV. Celui-ci devait emprunter de l’argent sans le rembourser, en verser seulement chaque année la totalité de l’intérêt correspondant aux seuls souscripteurs survivants jusqu’à ce que ce dernier décède801. 581. Le champ d’application de l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives. L’intérêt de l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives, est qu’il ne limite pas son champ d’application aux sociétés coopératives commerciales ; l’article 20 est très clair à ce propos : « toute société coopérative a un objet qui est constitué par l’activité qu’elle entreprend et qui doit être déterminée et décrite dans ses statuts ». Et l’article 21 de renchérir en précisant que « l’objet de la société coopérative détermine le caractère civil ou commercial de celle-ci ». La précision est importante dans la mesure où les règles applicables à la société seront différentes selon qu’elle a un caractère civil ou commercial. Le droit commun des États membres continuant à s’appliquer dans certaines hypothèses, notamment le régime de la preuve, il aura vocation à s’appliquer pour une société coopérative civile. De même, un régime de responsabilité civile est institué par le législateur de l’OHADA. L’action individuelle permet au tiers ou au coopérateur d’engager la responsabilité du dirigeant sur le fondement de la faute802. L’existence d’un préjudice devant être également établie tout comme celle du lien de causalité. Nous percevons ici un clin d’œil à l’article vedette du Code civil qui demeure sous l’ancienne numérotation au sein des États membres : l’article 1382803. 800 M.-R. TCHEUMALIEU FANSI, « Les imbrications entre les groupements tontiniers du secteur informel et les banques et les établissements de microfinance du secteur formel », in l’effectivité du droit économique dans l’espace OHADA, (sous. Dir.), David HIEZ, Séverine MENETREY, Paris, l’Harmattan, 2016, p. 236. 801 M. LELART, De la finance informelle à la microfinance, AUF et éd., des Arch. Contemp., 2006, p.9, V. également S. BRAUDO, pour une définition de la tontine, Dictionnaire de Droit privé, nov. 2014. 802 L’article 122 alinéa 1 de l’Acte uniforme dispose que « sans préjudice de la responsabilité éventuelle de la société coopérative, chaque dirigeant social est responsable individuellement envers les tiers des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions ». 803 Du moins pour la plupart. V. Côte d’ivoire : Article 1382 du Code civil ; Sénégal : article 118 du COCC ; Guinée : article 1098 du Code civil ; Cameroun : article 1382 du Code civil ; Tchad : art. 1382 Code civil ; Centrafrique : art. 1382 du Code civil ; Comores : art. 1382 du Code civil, Mali : art. 125 du RGO ; Congo : art. 1382 du Code civil ; Guinée-Bissau : art. 1969 et 1970 du Code civil ; Guinée équatoriale : art. 1902 du Code civil ; Bénin : art. 1382 du Code civil ; Art. 119 du COCC du Sénégal. 312 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 582. Le législateur de l’OHADA va plus loin puisqu’il tient compte de l’existence de sociétés coopératives civiles en évoquant la solidarité. Solidarité de responsabilité dans l’hypothèse où plusieurs dirigeants sociaux ont participé aux mêmes faits. L’article 1202 du Code civil en vigueur au sein des États membres est sans équivoque : « la solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée ». La précision de l’article 122 alinéa 2804 de l’Acte uniforme n’est donc pas anodine. En vertu de la solidarité, l’un des dirigeants pourra être amené à réparer l’intégralité du préjudice, puisque tous sont tenus à la même responsabilité en raison de l’obligation à la dette. Il ne pourra pas invoquer le bénéfice de division, c’est-à-dire qu’il ne peut exiger que le créancier divise ses recours entre les différents codébiteurs, en agissant contre tous les codébiteurs pour leurs parts respectives. Le bénéfice de discussion ne lui est pas non plus accordé. Ainsi, le recours en paiement intégral du créancier contre l’un des codébiteurs ne nécessite pas que le créancier ait préalablement agi sans succès contre les autres codébiteurs, car les codébiteurs solidaires sont tous tenus de la dette à titre principal, et non à titre accessoire. Cependant, rien ne s’oppose à ce que le dirigeant qui a assumé l’intégralité de la réparation du préjudice exerce une action récursoire contre les autres dirigeants. 2. Le règlement collégial des conflits 583. La collégialité et le règlement amiable des conflits. S’il est une autre spécificité africaine que l’OHADA a su prendre en compte, c’est bien le règlement collégial, mais surtout amiable des conflits. En Afrique, lorsqu’un conflit ou une mésentente éclate, ce n’est jamais uniquement, ou ce n’est que rarement l’affaire des protagonistes. Le problème est résolu en communauté ou la tentative de résolution débute dans le cadre du groupe, le but ultime étant d’obtenir une issue pacifique. La volonté de résoudre les conflits justifie la place de choix accordée aux procédures de négociation par les peuples africains. Dans la société africaine traditionnelle, « l’échec d’une tentative de parvenir à une solution pacifique et négociée ouvre la voie à d’autres alternatives : la conciliation et la médiation. Le rôle instrumental de la médiation dans les sociétés africaines traditionnelles est attesté par de nombreuses traditions orales. La médiation y était pratiquée de différentes manières dans des contextes différents. 804 « Si plusieurs dirigeants sociaux ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l’égard des tiers ou des coopérateurs. Toutefois, dans les rapports entre eux, la juridiction compétente détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage. 313 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Des facteurs multiples entraient en jeu : l’objet du conflit, son importance, la personnalité du médiateur et la réelle volonté des deux parties à aboutir à un compromis »805. 584. La palabre, le tribunal coutumier. La « juridiction » qui connaissait des questions essentielles est la « palabre », cadre d’organisation de débats contradictoires, d’expression d’avis, de conseils, de déploiement de mécanismes divers de dissuasion et d’arbitrage. La palabre, terme, qui désigne la parole, désigne également dans le contexte colonial français, « une réunion judiciaire ou administrativo-judiciaire, organisée pour régler un différend plus ou moins grave sur la base d’un mode dialogué, et non d’un mode autoritaire et imposé » 806. La palabre se présente comme l’apanage de l’Afrique noire étant donné que sa conception ne varie pas tant d’une société à une autre. Palabre, qui a pour garants moraux, les personnes âgées, considérés en Afrique comme étant les dépositaires du savoir et de la sagesse et qui de ce fait, les président en général. Les interventions dans le cadre de la palabre, ne se font aucunement dans le désordre encore moins dans l’anarchie ; les échanges et la prise de parole répondent à une certaine hiérarchie et un protocole. Les lieux sont choisis en raison du symbole de sacralité qu’ils représentent ; la parole étant considérée comme sacrée en Afrique. Ainsi sont retenus les grottes, les arbres d’où l’expression « arbre à palabre » ou des cases807. La réunion dans le cadre de la palabre avait pour but de renforcer, de rétablir la cohésion et la paix au sein de la communauté. 585. L’institutionnalisation en droit uniforme. Il apparaît donc clairement que les modes alternatifs de résolution des conflits, ont jadis existé avant d’être institutionnalisés par le Traité fondateur de l’OHADA, l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage et à certains égards l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution. En érigeant l’arbitrage comme le mode de règlement de conflits par excellence, le législateur de l’OHADA bien que souhaitant être moderne et ne pas être en marge des exigences de la mondialisation, n’a pas oublié les destinataires de son dispositif juridique : les États africains. Même si l’OHADA ne traite expressément que de l’arbitrage, elle n’écarte pas le règlement amiable par voie de 805 Cercle Horizon Club OHADA ORLEANS & NORTON ROSE, « Les Modes Alternatifs de Règlement de Conflits (Marc) En OHADA », 17 et 18 Mars 2009, [http://www.ohada.com/content/newsletters/1078/intervention6.pdf]. 806 E. LE ROY, Les africains et l’institution de la justice entre mimétismes et métissages, éd. Dalloz, 2004, p. 4243. 807 Cabane, Habitation traditionnelle, généralement construite en matériaux légers, dans certains pays tropicaux. 314 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil conciliation ou de médiation. Un Acte uniforme, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée et entré en vigueur le 23 février 2018, est relatif à la médiation. La médiation. L’article 1er de l’Acte uniforme prévoit que, « le terme « médiation » 586. désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États ». Le tiers sollicité pour mener une médiation est « le médiateur » ainsi désigné indépendamment son appellation ou sa profession dans l’État Partie concerné. Le même article explique que la médiation peut être mise en œuvre par les parties (médiation conventionnelle), sur demande ou invitation d’une juridiction étatique (médiation judiciaire), d’un tribunal arbitral ou d’une entité publique compétente. La médiation peut être ad hoc ou institutionnelle. Cependant, l’Acte uniforme relatif à la médiation est d’un champ d’application assez restreint. Il ne s’applique pas aux cas dans lesquels un juge ou un arbitre, pendant une instance judiciaire ou arbitrale, tente de faciliter un règlement amiable directement avec les parties808. 587. Selon l’article 15 alinéa 2 de l’Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage, « les arbitres peuvent statuer en amiable compositeur lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir ». L’amiable composition rapproche l’arbitrage de la conciliation dans la mesure par ce procédé les parties dispensent les arbitres de l’obligation qui leur est faite de statuer en appliquant les règles du droit, ce qui revient à les autoriser à statuer en équité en recherchant la solution la plus adéquate809. 588. La transaction. Un autre aspect de la prise en compte de l’aspect amiable dans la résolution des conflits réside dans les dispositions de l’article 16 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage qui prévoit que l’instance arbitrale peut prendre fin en cas d’acquiescement à la demande, de désistement, de transaction ou de sentence définitive. Contrat par lequel les parties à un litige y mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques, la transaction permet d’échapper à une résolution judiciaire du conflit, en cas d’échec de la 808 Article 2 de l’Acte uniforme relatif à la Médiation. Acte uniforme adopté le 23/11/2017 à Conakry en Guinée et entré en vigueur le 23 février 2018. 809 Cass Civ. 2e, 10 juillet 2003 BICC n°587 du 15 novembre 2003. 315 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil procédure d’arbitrage. Le problème avec la transaction est que les parties ne peuvent bénéficier des dispositions relatives à l’exequatur communautaire des sentences arbitrales rendues sous l’égide de la CCJA, notamment la formule exécutoire. 589. La conciliation de l’AUPSRVE. L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, est en quelque sorte le siège du règlement amiable des conflits en ce qu’il met en exergue la conciliation même devant les juridictions. Aux termes de l’article 9 de cet Acte uniforme, le recours ordinaire contre la décision d’injonction de payer est l’opposition. Celle-ci est portée devant la juridiction compétente dont le président a rendu la décision d’injonction de payer. L’article 12 du même Acte uniforme dispose que « la juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation. Si celle-ci aboutit, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. » L’article 26 de l’Acte précité, prévoit la même procédure de conciliation obligatoire dans le cadre de la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé. 590. Les centres d’arbitrage. La volonté du législateur de l’OHADA de vulgariser et de promouvoir les modes alternatifs de règlements des conflits avec une primauté accordée aux règlements amiables et négociés, transparaît également au niveau des États membres. Puisque ces États, dans la dynamique du législateur de l’OHADA, qui entend de l’arbitrage le mécanisme par excellence de règlement de conflits, ont créé des centres d’arbitrage qui coexistent avec la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Installés dans l’espace géographique d’États africains sur les territoires desquels l’attachement aux coutumes et à la culture demeure, en dépit de la modernisation, ces centres d’arbitrage ont pris le parti de ne pas limiter leur champ d’action à l’arbitrage pur et simple. Ces institutions ou centres ont tous souhaité mettre également en œuvre des procédures de médiation et/ou de conciliation et d’où, l’existence d’un règlement de médiation et de conciliation. 591. En Côte d’Ivoire, le centre permanent d’arbitrage est dénommé Centre d’Arbitrage de Côte d’Ivoire et ce centre a pour mission de mettre à la disposition des opérateurs économiques deux modes alternatifs pour le règlement de leurs différends : la conciliation-médiation et l’arbitrage810. Ce centre est logé au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie à l’instar 810 Article 2 du Décret n°92-19 du 8 janvier 1992 portant création de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire. 316 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des autres pays membres. Il est doté d’un règlement dit règlement de médiation qui fixe les conditions de la mise en œuvre de cette procédure. Au Sénégal également il existe de telles institutions créées par le Décret n° 98-493 du 5 juin 1998 relatif à la création d’institutions permanentes d’arbitrage au Sénégal, dont l’article 1er dispose que « l’institution permanente d’arbitrage peut également proposer des procédures de médiation et de conciliation ». Paradoxalement à cette prise en compte des réalités africaines par l’OHADA, du droit coutumier, le recours à la médiation est moins fréquent que celui à l’arbitrage. En droit français, la vulgarisation et la préférence affichée en faveur des modes alternatifs de règlement des conflits, s’expliquent par des raisons budgétaires. B. L’insertion de principes civilistes du droit coutumier dans l’ordre normatif de l’OHADA 592. Tenant compte de certaines spécificités de la société africaine marquée par son droit coutumier, le législateur accorde une place certaine à l’oralité (1) et au témoin (2). Cette prise en compte s’opère aussi bien en matière contractuelle qu’en matière processuelle. 1. La place de l’oralité en matière contractuelle 593. Une société marquée du sceau de la tradition orale. Les sociétés africaines, du moins celles de l’Afrique subsaharienne, font partie de ce que l’on pourrait appeler « des sociétés sans écriture ». Elles sont marquées par la tradition orale qui se définit comme « la somme des données qu’une société juge essentielles, retient et codifie, principalement sous forme orale, afin d’en faciliter la mémorisation, et dont elle assure la diffusion aux générations présentes et à venir »811. La tradition orale a toujours été le mécanisme par excellence de collecte et de pérennisation des informations, des us et coutumes, de l’histoire. L’oralité était le contenant de la mémoire collective et l’on pourrait dire que la tradition orale contribuait à fortifier la société africaine. Était mise en place et conservée, une chaîne de transmission qui trouvait toute son essence dans les relations de confiance créées entre les différents maillons de la chaîne. En général, le rôle noble de matrice de conservation, revenait aux personnes âgées qui, en Afrique, sont les « sages ». Il est indéniable qu’en Afrique, la mort d’un vieillard équivaut à la destruction d’une bibliothèque. Que ce soit, pour effectuer des recherches, des études sur la civilisation africaine, les interlocuteurs agréés, sont prioritairement les personnes âgées. 811 R. NDIAYE, « la Tradition orale : de la collecte à la numérisation », Conférence de l’IFLA Council and General du 20 au 28 août 1999 à Bangkok. [http://archive.ifla.org/IV/ifla65/65rn-f.htm]. 317 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 594. La tradition orale est une caractéristique essentielle de l’Afrique qui du reste, n’a été ouverte aux questions de l’alphabétisation et de l’écriture telles que connues actuellement, qu’assez tardivement. Comme le soulignait Hamadou Hampâté Bâ, « la tradition orale est au cœur de l’histoire de l’Afrique, de l’héritage de connaissance de tous ordres patiemment de bouche à oreille et de maître à disciple à travers les âges »812. La connaissance de l’Afrique et de tous ses secrets ne peut être valable en dehors de la tradition orale. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les groupes au sein d’une collectivité sont dotés d’une ou plusieurs personnes dont la fonction est uniquement de transmettre les informations de manière orale, de faire les éloges de la famille ou du groupe auquel il est affecté, toujours, il convient de le rappeler, de manière dithyrambique ? Il s’agit du mécanisme des castes. Une caste est un groupe social hiérarchisé, endogame et héréditaire. Le mot vient du portugais casta qui signifie « pur, non mélangé », à rapprocher du français « chaste ». Parmi les castes, figurent en Afrique les Nobles, les Forgerons et les Griots. En Afrique noire, le griot est un poète, chanteur et musicien ambulant, appartenant à une caste professionnelle endogame et auquel sont souvent attribués des pouvoirs surnaturels. 595. Le griot, dépositaire de la tradition orale. Une des principales fonctions des griots et griottes consiste à chanter les louanges des hommes libres. Poètes, musiciens, ils sont dépositaires de la tradition orale. À la fois objets de mépris et de crainte, ils maintiennent, par leur fonction sociale, la « littérature orale africaine ». En dépit des voix qui se sont élevées et qui continuent de s’élever contre le phénomène des castes et donc la survie des griots, ceux-ci n’ont jamais été aussi célèbres et plébiscités qu’aujourd’hui. Human Rights Watch fait partie des structures qui condamnent ce phénomène, à travers ses rapports. « L’existence des castes est un argument invoqué pour justifier le traitement discriminatoire, cruel, inhumain et dégradant d’une partie importante de la population mondiale. Sur la majeure partie du territoire asiatique ainsi que dans certaines parties de l’Afrique, la caste est le fondement sur lequel reposent la définition et l’exclusion de groupes particuliers de population en raison de leur ascendance »813. 813 Human Rights Watch, « la discrimination fondée sur la caste : Un problème aux dimensions globales », Rapport pour la Conférence des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Durban, Afrique du Sud, septembre 2001. 318 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 596. Le constat encore aujourd’hui est qu’en dépit de la modernisation de la civilisation africaine, des effets la mondialisation avec le brassage de cultures, l’importation d’usages d’autres civilisations marquées par l’écriture, l’Afrique reste marquée par la tradition orale qui occupe une réelle place dans la société. En témoigne le recours systématique aux griots pour l’annonce d’événements marquants au sein des familles. Dans le monde des affaires également, les anciennes pratiques continuent d’avoir droit de cité. Bon nombre d’accords continuent d’être conclus de manière orale et de nombreux engagements se passent de trace écrite. Simplement parce que l’oralité demeure ancrée dans les habitudes de l’africain. Sûrement en raison du fait que, selon un auteur « l’oralité valorise l’individualisation des rapports sociaux, dans la mesure où la parole ne peut se propager au-delà d’une certaine zone territoriale, les groupes concernés par la règle de droit en question ne peuvent être trop éloignés les uns des autres ; ce qui implique une proximité sociale et géographique » 814. Le contentieux a d’ailleurs été très vaste en Afrique pour ce qui concerne notamment la preuve des obligations, des conventions et accords, en l’absence de tout écrit. 2. La place du témoin en matière contractuelle 597. L’oralité et le témoignage. L’oralité est un caractère qui ne peut être dénié au continent africain, en dépit de la modernisation de la société africaine. Les sources de l’histoire de l’Afrique noire sont pour la plupart des sources orales. Dans une société où l’écriture dans son acception moderne n’est apparue que plus tard dans l’histoire, la conservation des acquis de l’histoire, la transmission des usages, des coutumes, des principes de vie, de gestion de la vie en communauté, la mise en œuvre de la politique, l’exercice des activités telles que le commerce étaient fondés sur des mécanismes particuliers. Pour faire la lumière sur ces mécanismes il convient de s’intéresser à la définition de Jan VANSINA, concernant la tradition, précisément ses traits caractéristiques. Selon l’auteur, « la tradition est orale, est transmise et se rapporte au passé » 815. 598. La transmission se fait justement dans une société empreinte d’oralité par le biais des acteurs de la société, par leurs dires, leur mémoire personnelle et collective. Dans une telle 814 O. BALLAL, Les usages et le Droit OHADA, éd. P.U.A.M, Coll. Horizons Juridiques Africains, vol. 7, n°75, p. 45. 815 J. VANSINA, De la tradition orale, essai de méthode historique, Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, vol. 19, n°6, 1964, p. 1184. 319 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil société, « la transmission par la bouche, la transmission par la mémoire » 816 ont contribué à l’avènement d’un mécanisme précis, « le témoignage ». La notion de témoin est essentielle au sein de la société africaine ; témoin de l’histoire, témoin au cours d’une transaction économique, témoin au cours d’une affaire connue par notamment l’arbre à palabre. Par exemple, en Afrique en l’occurrence dans la culture Malinké817, au cours de la célébration du mariage, les futurs époux ne prennent pas la parole. Ce rôle est exclusivement dévolu aux témoins choisis. Leur rôle est prépondérant et la cérémonie se déroule de telle sorte que l’on croirait avoir affaire aux mariés. 599. La prépondérance du témoin en matière contractuelle. Par ailleurs, le continent africain dans son aspect Afrique noire surtout, possède un taux d’alphabétisation qui malgré une croissance non négligeable demeure en deçà des attentes. Un facteur qui, a consolidé et renforcé la place du témoignage dans la société africaine traditionnelle, qui laissait peu de place à l’écrit au profit de l’oralité. Ainsi, lors de la prise d’engagement, la conclusion d’accords, « la parole étant sacrée », les pactes étaient scellés de manière orale, la présence d’un ou plusieurs témoins donnait dirons-nous, force probante à ces engagements. Encore aujourd’hui, la présence d’écrits, la conclusion de contrats par écrit, n’exclut nullement la présence de témoins. La preuve testimoniale conserve une place de choix qui ne s’est pas effritée au fil du temps. Le législateur de l’OHADA bien que fils de son temps et soumis à la mondialisation avec tout ce qu’elle comporte en termes d’exigences, a conservé dans son dispositif juridique les aspects traditionnels de la société qu’il entend régir en droit des affaires. 600. Lorsque l’on se réfère au droit des sûretés, l’on perçoit sans équivoque le rôle primordial accordé au témoin dans la formation et les effets des sûretés. Les espoirs fondés dans les sûretés pour la sécurisation des investissements, du crédit, expliquent la volonté du législateur, d’accroître son caractère incitatif. L’Acte uniforme portant organisation des sûretés prévoit en son article 14 alinéa 2 que « la caution qui ne sait ou ne peut écrire doit se faire assister de deux témoins qui certifient, dans l’acte de cautionnement son identité et sa présence et attestent, en outre, que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés. La 816 J. VANSINA, op.cit., p. 1184. 817 Peuple d’Afrique de l’Ouest qui est à l’origine de la formation de tous les groupes Mandingues. 320 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil présence des témoins certificateurs dispense la caution de l’accomplissement des formalités prévues par l’alinéa précédent »818. 601. La protection de la caution analphabète ou illettrée. Le législateur, conscient du faible taux d’alphabétisation instaure un mécanisme de protection de la caution analphabète ou illettrée. La présence de témoins certificateurs est une exigence formelle qui vise à s’assurer de la réalité et de la validité de la caution illettrée819. Le législateur a souhaité permettre aux débiteurs de bénéficier du cautionnement de personnes alors même qu’elles ne sauraient ni lire ni écrire. Ce, d’autant plus que les riches commerçants et hommes d’affaires africains n’ont pas toujours connu l’instruction moderne. De plus, le cautionnement avec le législateur, reconnaît au contrat de cautionnement un caractère consensuel, l’écrit n’ayant plus qu’une valeur probatoire. La difficulté soulevée par l’admission du cautionnement de personnes analphabètes concerne les vices du consentement qui pourraient affecter leur engagement. Auront-elles la pleine mesure de ce à quoi elles s’engagent véritablement ? auront-elles véritablement conscience du sens et de la portée de leur engagement ? L’apparition d’un vaste contentieux est à craindre. Encore que l’erreur de la caution soit très peu admise par les tribunaux. 602. La preuve par tous moyens ou par témoin. L’Acte uniforme portant droit commercial général ne fait pas exception à la volonté du législateur de plébisciter le témoin. L’article 176 dispose que « le mandat de l’intermédiaire peut être écrit ou verbal. Il n’est soumis à aucune condition de forme. En l’absence d’un écrit, il peut être prouvé par tous moyens, y compris par témoin ». Un acte juridique soumis aux règles de droit commun donc de droit civil, relatives à la validité. Toujours, dans la sphère conventionnelle, l’Acte uniforme poursuit en indiquant en son article 240 pour ce contrat qui demeure également soumis aux règles du droit commun des contrats et de la vente qui ne sont pas contraires aux dispositions de l’Acte uniforme que « le contrat de vente commerciale peut être écrit ou verbal ; il n’est soumis à aucune condition de forme. Il est prouvé par tous moyens ». Moyens qui n’excluent pas la preuve testimoniale. 818 Le cautionnement tel que pensé par le législateur de l’OHADA, tient compte de la place des témoins au sein de la société africaine. 819 J. ISSA-SAYEGH, Commentaires sous Acte uniforme portant organisation des sûretés, in OHADA, Traité et Actes uniformes OHADA commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 886. 321 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Les règles du droit de l’OHADA sont fortement inspirées du droit civil national. En effet, le droit commun est transposé en droit de l’OHADA, lorsque ce ne sont pas ses sources qui sont prises en compte. Section 2. L’incursion du droit de l’OHADA dans la sphère du droit civil 603. L’incursion du droit de l’OHADA dans le domaine traditionnellement réservé au droit civil se manifeste par l’instauration d’un droit commun dans certains domaines (§ 1) tels que la preuve, la prescription. L’élargissement et l’extension opérés par le droit de l’OHADA (§ 2) en constituent également une manifestation. § 1. L’instauration d’un droit commun dans certains domaines par le droit de l’OHADA 604. La lecture des Actes uniformes de l’OHADA laisse entrevoir l’instauration d’un droit commun de la preuve (A) et de la prescription (B). A. Vers l’instauration d’un droit commun de la preuve 605. Le dispositif actuel (1) et le projet d’uniformisation (2) permettent de se rendre compte de la tendance à l’instauration d’un droit commun de la preuve. 1. Le dispositif actuel 606. Quelques éléments conceptuels. Le concept de preuve doit être perçu dans une double acception : d’une part en ce qu’elle constitue la démonstration de la véracité d’une affirmation, jusqu’à la démonstration contraire, pour bénéficier d’un résultat juridique qui y est attaché ; d’autre part, la preuve est aussi un procédé technique utilisé pour établir l’existence d’un droit , ou soutenir une prétention juridique. La preuve telle que définie relève de la théorie générale du droit et a de manière naturelle sa place dans le Code civil. Le principe en la matière est ainsi formulé : « les éléments de fait, c’est-à-dire les faits, les actes et les situations juridiques doivent être prouvés »820. Par opposition et par principe, « les parties n’ont pas à prouver l’existence, le contenu ou la portée des règles juridiques qu’elles invoquent pour appuyer leur prétention » 821. L’explication de ce dernier principe réside dans 820 F. TERRE, Introduction Générale au droit, op. cit., n°576, p. 480. V° de manière plus générale A. LEPAGE, Recherche sur la connaissance du fait en droit, thèse Ronéot, Paris XI, 1998. 821 F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n° 589, p. 488. 322 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil le caractère général et abstrait de la règle qui s’impose de ce fait à tous. De même, le rôle du juge dans le procès est de dire le droit quand les faits sont réservés aux parties822. Même si ce principe est de moins en moins vérifié, il est exprimé par la formule « Da mihi factum, Dabo tibi jus »823. Cinq modes de preuve sont admis en vertu de l’article 1315-1 du Code civil français et de l’article 1316 des Codes civils des États membres de l’OHADA : « la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l’aveu de la partie et le serment ». Comme l’affirme le Professeur Raymond LEGEAIS, « la preuve se réalise grâce à des preuves » 824. En la matière, la question concerne l’admissibilité et la force probante des modes de preuve. L’admissibilité conduit à privilégier certains modes de preuve au point de les admettre exclusivement dans certaines hypothèses. La force probante accrédite certains modes de preuve d’une portée plus ou moins forte. La preuve littérale ou preuve par écrit a une forte portée. 607. La preuve en droit de l’OHADA. En droit de l’OHADA, le droit de la preuve tend à se différencier de celui prévu par le Code civil puisque la preuve par écrit y a un rôle moins déterminant dans la preuve des obligations. En principe, le législateur de l’OHADA ne serait pas fondé à légiférer en droit général de la preuve comme le précisait le Professeur Philippe TIGER dans les propos introductifs d’un colloque dédié à la question, car le droit de la preuve « ne doit pas être confondu, ni même superposé avec les modalités particulières qu’en organisent les droits spéciaux dont le droit des affaires »825. En mars 2001, le Conseil des ministres avait décidé que le programme d’harmonisation inclurait désormais le « droit de la preuve ». Prévu à l’origine pour se voir consacrer un Acte uniforme distinct, le droit de la preuve fera l’objet d’une fusion avec le droit des contrats. Des questions se posent déjà quant à la teneur d’un tel Acte uniforme, lorsque tout porte à croire qu’il sera abordé en termes généraux. Mais, en marge de l’amorce de cette œuvre harmonisatrice, le législateur tend vers la consécration de la liberté de la preuve comme principe. Le contrat de mandat jouit de la 822 H. MOTULSKY, Le rôle respectif du juge et des parties dans l’allégation des faits, Etudes de dr. Contemp., 1959, Tome XV, pp. 355 et s. 823 J. DUPICHOT, « L’adage Da mihi factum, dabo tibi jus », Mélanges J.-L. AUBERT, Dalloz, 2005, pp. 425 et s. 824 R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil. Permanences et transformations, Préf. R. SAVATIER, L.G.D.J., 1955, spéc. p. 144. 825 Ph. TIGER, Actes du Colloque sur le droit de la preuve dans l’espace OHADA tenu à Paris le 9 février 2010. Dossier publié, in RDUA, n° 01 p. 10. 323 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil liberté de la preuve tout comme le contrat de vente. L’écrit n’est cependant pas exclu du jeu probatoire dans la mesure où il demeure le mode de preuve exigé pour certains contrats civils des Actes uniformes. 608. En clair, il apparaît que le législateur de l’OHADA pose les jalons de l’élaboration d’un droit commun de la preuve à travers les Actes uniformes. Sa démarche est simple et consiste à ne pas rejeter totalement le mode de preuve par excellence qu’est l’écrit en droit civil. Tout en mettant en exergue la liberté de preuve qui a valeur principielle en droit commercial. Le législateur a retenu des mécanismes de preuve à la frontière du droit civil et du droit commercial. En vue de l’ouverture de la procédure de conciliation, le demandeur doit fournir des documents, lorsqu’il dépose sa requête aux fins de règlement préventif. Ces documents prennent la forme d’un extrait d’immatriculation au registre du commerce et crédit mobilier, de documents comptables qui doivent être datés, signés et certifiés conformes. Ils serviront à apporter la preuve de la situation économique du requérant et ainsi de l’opportunité d’ouvrir une procédure de conciliation. La valeur accordée à la preuve par l’écrit demeure, même si elle apparaît de manière implicite. Dans le même temps la preuve par tous moyens est également admise. Par exemple, dans le cadre de la vérification de créances, le créancier dispose d’un délai de trente (30) jours à compter de la réception de cet avis pour fournir ses explications écrites ou verbales au juge commissaire. 2. Le projet d’uniformisation 609. Le droit prospectif. L’ambition du législateur de l’OHADA qui n’apparaît que de manière implicite dans le dispositif juridique actuel, ne fait plus l’ombre d’un doute. Dans l’Avantprojet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats confié au Professeur Marcel FONTAINE, la matière de la preuve n’est pas traitée, car un autre Acte uniforme devait y être consacré. Par la suite, il a été décidé de fusionner le droit des contrats et le droit de la preuve dans un texte unique si bien que la mission confiée à la Fondation pour le droit continental était d’une autre envergure. Il leur incombait d’élaborer un projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA. L’intitulé du projet en lui-même interroge, en ce qu’il rentre en contradiction avec le domaine du droit de l’OHADA. Droit de l’OHADA qui est par principe, un droit des affaires, un droit spécial, constitué de règles particulières, dérogatoires au droit commun. Comment expliquer qu’il soit envisagé d’adopter un texte qui viendra uniformiser le droit des obligations, intrinsèquement rattaché au droit civil ? Le projet est un texte uniforme. 324 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 610. La nature du texte uniforme. Qu’est-ce à dire ? S’il s’agissait d’un Acte uniforme, l’intitulé aurait été clair. Aura-t-on affaire à une loi type comme l’ont suggéré certains auteurs ? L’intérêt de la réponse réside dans la force obligatoire du texte qui est différente selon qu’il prendra la forme d’un Acte uniforme ou d’une loi type. L’Acte uniforme étant caractérisé par sa force obligatoire, viendra s’imposer au droit des obligations national qui ne survivra que de manière résiduelle, lorsqu’il ne sera pas contraire aux dispositions de l’Acte uniforme. Dans l’hypothèse inverse, la loi type est une forme de directive qui donne les grandes orientations aux législateurs nationaux. L’utilisation de formules très générales par les concepteurs du projet laisse penser que le texte proposé est une loi d’orientation. Ils sont les premiers à admettre la difficulté pour les États membres de renoncer à leur souveraineté dans de vastes domaines tels que le droit des obligations, de la preuve et de la prescription. 611. Dans le projet, est traitée dans un même chapitre, la preuve de l’existence et de l’extinction des obligations afin d’éviter l’inconvénient du Code civil. Le chapitre 6 est ainsi intitulé « la preuve des obligations et leur exécution ». Selon l’Article 527 « les moyens de preuve retenus par la loi sont : l’écrit, le témoignage, la présomption, l’aveu, le serment ». L’article 527 vient expliciter la volonté du législateur de l’OHADA en consacrant à la fois le moyen de preuve par excellence en droit civil et la liberté de probatoire en droit commercial. Mais, il apparaît une prééminence accordée à la liberté de preuve puisque l’Article 528 poursuit en disposant que « Tous les moyens de preuve retenus par la loi peuvent être utilisés pour la preuve des faits juridiques et des obligations commerciales ». Les rédacteurs de ce projet en utilisant des termes généraux, surtout pour l’article 528, posent les jalons d’un véritable droit commun de la preuve. 612. Le problème n’est pas tant que le législateur de l’OHADA s’intéresse à la question de la preuve. Il aurait été plus opportun qu’il s’intéresse à ces aspects méconnus du droit commun des États membres. En sa qualité de droit des affaires, donc en principe de droit spécial, le législateur de l’OHADA aurait mieux fait de légiférer sur des points qui présentent des enjeux certains, en raison de l’évolution du droit. Par exemple, la question de la preuve est de plus en plus indissociable de celle du principe de précaution. B. La prescription, une généralisation au niveau des institutions 613. Un droit commun de la prescription est instauré en matière commerciale (1) et un projet d’instauration d’un régime général de la prescription extinctive est envisagé (2). 325 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. L’instauration d’un droit commun de la prescription en matière commerciale 614. Précisions conceptuelles. L’ancien article 2219 du Code civil français, tel qu’en vigueur au sein des États membres de l’OHADA, dispose que « la prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi »826. La prescription est définie par un moyen et une fin. Selon le Professeur Soraya AMRANI-MEKKI, « la prescription est définie par un moyen et une fin. Son moyen est l’écoulement d’un laps de temps et sa fin, un effet acquisitif ou extinctif. Seul l’effet extinctif concerne le temps de l’action. Le droit utilise le temps pour inciter les justiciables à agir en justice. Ce faisant, il pose une limite temporelle à la protection judiciaire des droits substantiels » 827. Le siège de la prescription est le droit civil, qui en énonce les règles communes et générales. C’est même l’article 2219 nouveau du Code civil qui définit la prescription extinctive. « La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». La définition s’applique indépendamment du domaine concerné. Des règles spéciales, des délais particuliers sont établis pour des matières spéciales et des acteurs tout aussi particuliers. En matière commerciale, il est généralement admis que le délai de prescription est fixé à 5 ans pour les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants. La durée de ce délai identique à celle prévue en matière civile pour les paiements des salaires, des loyers, les charges locatives, les pensions alimentaires en vertu de l’article 2277 du Code civil français828. 615. L’option du législateur de l’OHADA. Avec l’Acte uniforme portant droit commercial général, le législateur de l’OHADA a retenu en l’article 18, un délai de cinq (5) ans également pour obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes. Il s’agissait du seul texte consacré à la prescription, ce qui dénotait le souci de ne pas remettre en cause le caractère spécial du droit commercial. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage semble l’affirmer lorsqu’elle décide en son arrêt en date 826 Cet article a été modifié par la Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. La définition est reprise par Gérard CORNU dans le Vocabulaire juridique, 12e éd., 2018, p. 794. 827 S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procès civil, Paris, Dalloz, Coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2002, n°30, pp. 32-33. 828 Tel qu’appliqué au sein des États membres de l’OHADA. 326 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil du 23 novembre 2017 que : « viole l’article 18 de l’AUDCG, l’arrêt qui soumet le litige né entre commerçants à l’occasion de leur commerce, à la prescription de droit commun prévue par le droit national alors que l’article 18 précité prévoit une prescription quinquennale »829. 616. Le nouvel Acte uniforme. À l’avènement du nouvel Acte uniforme, la démarche du législateur est toute autre. Deux chapitres sont entièrement consacrés à la prescription : un concernant le statut des commerçants et un autre pour l’entreprenant. L’analyse de ces dispositions montre que le législateur de l’OHADA définit le régime de la prescription allant ainsi bien plus loin que la fixation d’une simple durée. La prescription est définie, ses spécificités précisées en comparaison avec la forclusion, la computation des délais abordée, les conséquences de la suspension de la prescription ainsi que les effets de la prescription sont précisés. Le sentiment est celui de l’élaboration d’un régime général de la prescription à l’instar du droit civil. D’autant plus que la plupart des nouveaux articles relatifs à la prescription sont identiques aux articles des Codes civils des États membres. Emprunté au droit commun, ce régime n’a pas une grande spécificité. L’on assiste à la création d’un droit commun de la prescription commerciale qui serait inspiré, en grande partie, selon le Professeur Akueté Pedro SANTOS, de la loi française n° 2008-561 du 17 juin 2008830. Le législateur de l’OHADA s’écarte ainsi de son objectif principal qui est l’harmonisation du droit des affaires. Cette harmonisation devrait se limiter aux questions qui se rattachent directement au droit des affaires. 2. Le projet d’adoption d’un régime général de la prescription extinctive 617. La disparition de l’obligation avec le temps dans le projet. Le législateur de l’OHADA ne s’est pas limité à instaurer une sorte de droit commun de la prescription en droit commercial. Il a formulé des vœux qui ont été exaucés dans le projet de texte uniforme de la Fondation du droit continental. Un chapitre 5 traite de la disparition d’une obligation avec le temps en distinguant très nettement, d’une part, le délai de prescription et, d’autre part, le délai préfix et la forclusion. La prescription est définie par l’article 512 comme étant « l’extinction de l’obligation au terme d’un délai fixé par la loi sans action en justice du créancier contre le débiteur ». Et le texte de poursuivre en précisant que « sauf textes particuliers, le délai et le régime de la prescription sont soumis aux dispositions suivantes ». 829 CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 201/2017 du 23 novembre 2017. [www.legiafica.com]. 830 A.-M. LEROYER, « Réforme de la prescription civile. Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (JO 18 avr. 2008, p.9856) », RTD civ. 2008, pp.563 et s. 327 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil La définition identique à celle générale du Code civil est sans équivoque quant à la volonté d’instaurer un droit commun de la prescription. À l’instar de tout texte général, l’alinéa 2 traite des dérogations prévues par des textes spéciaux. 618. Les délais en matière civile et commerciale. Il ressort du chapitre relatif à la prescription que deux délais de prescription sont consacrés selon que l’obligation est civile (dix ans) ou commerciale (cinq ans), ce dernier délai étant conforme à l’Acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général notamment l’article 18 AUDCG. Qu’un texte censé relever du droit des affaires définisse le délai de prescription lorsque l’obligation est commerciale, n’appelle pas d’observation particulière. Mais que le même texte s’intéresse aux obligations civiles pose un réel problème. Dans la mesure où le caractère supranational du droit de l’OHADA viendrait vider le droit civil national es États membres du peu de substance qui lui reste. Le schéma est identique en matière d’interruption des délais de prescription. La distinction est faite entre obligations civiles, obligations commerciales et actions dirigées contre les professionnels. 619. L’encadrement de la notion. Le chapitre consacré à la prescription encadre la notion, en relevant notamment les caractères du délai de prescription qui en principe ne peut être modifié et également que le moyen d’exception qu’elle constitue n’est pas d’ordre public mais d’intérêt privé, si bien qu’un tiers y ayant intérêt peut le soulever. Les situations particulières ne sont pas occultées puisqu’il est précisé le point de départ du délai en cas d’obligation conditionnelle, d’action en garantie, la fin de la mission des professionnels ayant représenté ou assisté les parties…). De nouvelles causes d’interruption du délai de prescription sont prévues (saisine d’un arbitre, d’un médiateur ou d’un conciliateur ; saisine d’une juridiction incompétente…). 620. La question des actes mixtes. Le projet de texte uniforme ne vise pas expressément la prescription relative aux actes mixtes. Ces actes sont de nature commerciale pour une des parties et de nature civile pour l’autre. L’Acte uniforme portant droit commercial général prévoit à l’article 16 que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non-commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes. Cette prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu’elle affecte ». En effet, les actes mixtes sont visés lorsque le législateur de l’OHADA traite d’obligations nées entre « commerçants et non-commerçants ». Dans la mesure où la question a été régulièrement soumise à la CCJA des précisions auraient 328 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil dû être apportées au dispositif existant dans le cadre du droit prospectif. De telles précisions, au lieu de trouver leur siège dans un projet de texte assez général, auraient pu prendre la forme d’un avis après consultation ou d’une décision. 621. L’apport de la CCJA. Dans son arrêt du 29 juillet 2016, la Cour communautaire apporte « un éclairage sur la démarcation entre la prescription quinquennale de l’article 16 et la prescription biennale de l’article 301, alinéa 2, de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général »831. La CCJA rappelle que « la prescription de l’article 301, alinéa 2, n’est applicable qu’en cas de vente commerciale. Or, ne constitue pas une vente commerciale la vente de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique, sauf si le vendeur, avant ou lors de la conclusion de la vente, ne savait pas et n’était pas censé savoir que les marchandises avaient été achetées pour un tel usage. En conséquence, se fondant sur l’article 235 de l’AUDCG, la CCJA décide que la prescription biennale de l’article 301, alinéa 2, est inapplicable à un contrat de vente d’une voiture conclu entre un concessionnaire et un particulier »832. La Haute juridiction africaine a été amenée à connaître d’une affaire relative à la détermination de la prescription. Ainsi dans son arrêt du 25 janvier 2018, les juges ont retenu que « la prescription selon l’article 301 de l’AUDCG n’implique que des actes commerciaux et non des actes mixtes ». Il en ressort implicitement que la question des actes mixtes est résolue par l’article 16 de l’AUDCG. La CCJA « confirme la distinction essentielle entre la prescription biennale applicable en matière de vente entre commerçants et la prescription quinquennale de droit commun »833. Le projet de texte uniforme, en son article 513 dispose que « le délai de la prescription extinctive est de : dix (10) ans pour les obligations civiles ; de cinq (5) ans pour les obligations commerciales et les professionnels ou autres personnes représentant ou assistant les parties ; trois (3) ans pour les obligations payables périodiquement par année ou à des termes plus courts ». Il est indéniable qu’il n’entend pas étendre sa sphère d’influence aux actes mixtes. 831 E. NSIE, « OHADA, la prescription des obligations commerciales », LEDAF, déc. 2017, n° 11, p. 1. 832 CCJA, 2e Ch., 29 juill. 2016, n°204/2016. 833 M.-N. DONAT-MANDIANGU, « Prescription d’une créance, conditions d’injonction de payer et responsabilité du commettant », LEDAF, juill. 2018, n°07, p. 5. 329 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil § 2. L’élargissement et l’extension opérés par le droit de l’OHADA 622. Dans la continuité de l’idée selon laquelle le droit de l’OHADA est fortement marqué par le droit civil, il doit être relevé l’extension des mécanismes de droit commercial (A) de même que l’élargissement et l’extension des solutions du droit civil (B). A. L’extension des mécanismes de droit commercial 1. L’extension des notions et des institutions 623. Une ouverture du droit commercial au droit civil. L’Acte uniforme relatif aux sûretés est bien celui qui a marqué l’ouverture du droit commercial tel qu’il est connu, au droit civil. Cet Acte uniforme a créé, en remplacement des warrants sans dépossession, une sûreté unique appelée gage des stocks. Selon l’article 120 de l’Acte uniforme, anciennement article 100, « sans préjudice des dispositions de la présente sous-section, les matières premières, les produits d’une exploitation agricole ou industrielle, les marchandises peuvent faire l’objet d’un gage en application des dispositions des articles 92 à 117 du présent Acte uniforme »834. Cette nouvelle sûreté n’est plus strictement réservée aux seuls commerçants. Tous les professionnels devraient pouvoir recourir à cette sûreté dès lors qu’ils opèrent sur les stocks relevant de cette énumération. Le droit de l’OHADA part du droit commercial classique dont il étend les tentacules à d’autres matières, d’autres acteurs. 624. Les règles applicables à un acte donné sont différentes selon que l’on a affaire à un acte de nature civile ou à un acte de commerce. La validité d’un acte de nature civile est notamment soumise à la capacité civile de l’auteur tandis que l’auteur de l’acte de commerce est tenu d’avoir la capacité commerciale. Parlant de commercialité un acte est réputé de commerce en raison de sa nature, ou selon la théorie de l’accessoire ou en raison de sa forme. La théorie de l’accessoire a pour rôle d’éviter la séparation de deux éléments matériellement ou juridiquement liés l’un à l’autre835. L’acte de commerce par la forme est l’acte qui, une fois accompli par une personne la soumet au droit commercial indépendamment de l’objet de L’article 100 définissait le stock en précisant que “les matières premières, les produits d’une exploitation agricole ou industrielle, les marchandises destinées à la vente peuvent être nantis sans dépossession par l’émission d’un bordereau de nantissement, à condition de constituer un ensemble déterminé de choses fongibles avant l’émission du titre” ». 834 835 M. COTTET, Essai critique sur la théorie de l’accessoire en droit privé, Paris, L.G.D.J, 2013, n° 18, p. 17. 330 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil l’acte et du statut de son auteur. En la matière et à l’origine, parmi les effets de commerce836, titres négociables qui constatent l’existence au profit du porteur d’une créance à court terme et servent à son paiement837, seule la lettre de change838 est reconnue comme acte de commerce par la forme. Cela peut être expliqué par le fait que contrairement au warrant ou au billet à ordre, la lettre de change fait obligatoirement intervenir un fournisseur et un client dans le cadre d’opérations commerciales. La lettre de change est toujours de nature commerciale peu importe son utilisateur ou l’objet de la créance pour laquelle elle a été émise. Le billet à ordre839 par exemple n’est un acte de commerce que dans la mesure où sa signature intervient dans le cadre d’une transaction commerciale. Le droit majoritairement applicable au sein des États membres en matière commerciale était celui issu du Code de commerce de 1807 hérité du droit français. L’article 632 réputait acte de commerce par la forme la signature de la lettre de change. 625. L’application de solutions commerciales. Avec l’avènement de l’OHADA, l’Acte uniforme portant droit commercial général a apporté un réel changement sur la question. Selon l’article 4, « ont notamment le caractère d’actes de commerce, par leur forme, la lettre de change, le billet à ordre et le warrant ». Ces effets de commerce se voient aujourd’hui appliquer, sans égard à leur nature civile ou commerciale, par extension, des solutions commerciales. Le législateur de l’OHADA étend la commercialité par la forme à tous les effets de commerce, à l’exclusion du chèque. La solution est assez radicale dans la mesure où ce n’est plus uniquement la signature de l’acte qui est constitutive de l’acte de commerce mais 836 On compte parmi les effets de commerce la lettre de change, le billet à ordre, le chèque. Les effets de commerce sont des moyens de paiement utiles aux entreprises dans le cadre de relations commerciales avec des délais de paiement. Cela permet de sécuriser et formaliser les conditions de paiement. 837 G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU, Traité de Droit des affaires, Effets de commerce et entreprises en difficultés, op. cit., n°1, p. 9. 838 La lettre de change est un titre qui remis par le tireur au bénéficiaire, donne à celui-ci, ou à celui qui est à son ordre, le droit de se faire payer, à une date déterminée, une certaine somme d’argent par le tiré. V. G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU, op.cit., n°5, p. 13. V. également sur la question, J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, effets de commerce, chèque, carte de paiement, transfert de fonds, 8e éd., Paris, LexisNexis, 2012, n°11, p.26. 839 le billet à ordre est un titre par lequel une personne s’engage à payer une somme déterminée, à une date déterminée, à un bénéficiaire ou à l’ordre de celui-ci. V° Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU, op.cit., n° 215, p. 119. Considéré comme un des moyens de paiement et de crédit, son régime s’apparente beaucoup à celui de la lettre de change avec quelques points de divergence. La lettre de change met en relation trois personnes lorsque le billet à ordre n’en met que deux. La lettre de change doit absolument être acceptée par le tiré contrairement au billet à ordre. 331 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil c’est bien l’acte lui-même de manière intrinsèque. Le billet à ordre et le warrant entrent dans le champ de la commercialité et ne peuvent désormais être que des actes de commerce. Cette approche du législateur de l’OHADA est contestable. La mise en œuvre par ces effets de commerce de procédés fondamentalement commerciaux ne justifie pas l’extension de la commercialité aux non-commerçants et aux actes ayant pour objet une activité de nature civile. 2. La généralisation des mécanismes 626. L’incursion du droit civil. Les mécanismes réservés au droit commercial, droit spécial, ont été pénétrés par le droit civil avec tout ce qu’il a de général. C’est par exemple le cas des modes alternatifs de résolution de conflits tels que l’arbitrage, classiquement réservés au règlement de litiges nés des échanges à caractère commercial. En vertu de l’article 29 du Traité OHADA, « en application d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans un des États parties, soit que le contrat soit exécuté en tout ou en partie sur le territoire d’un ou de plusieurs États, peut soumettre un différend d’ordre contractuel, et nonobstant son caractère civil ou commercial, à la procédure d’arbitrage ». Tous les différends d’ordre contractuel, peuvent être soumis à l’arbitrage indépendamment de leur nature commerciale ou civile. Le droit de l’OHADA n’a établi aucune distinction entre le contrat civil et le contrat commercial. 627. L’objectif du législateur de l’OHADA est une uniformisation du droit des affaires en Afrique. Cette uniformisation passe suivant la démarche du législateur par une uniformisation, une généralisation des mécanismes ou institutions. En matière de prescription, les délais retenus pour les actes entre commerçants et qui relèvent du domaine du droit commercial ont été étendus aux actes mixtes840. Selon l’article 16 alinéa premier de l’Acte uniforme portant droit commercial général, « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non-commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes » 841. 840 Les décisions de la CCJA viennent confirmer cette application du délai de prescription prévu par l’article 16 de l’AUDCG aux actes mixtes. 841 La CCJA retient cette approche large de la notion de créance ayant une origine contractuelle puisque dans un arrêt du 30 juin 2009, elle retient la compétence du tribunal de commerce en dépit du fait que le conflit était social. En effet elle a estimé qu’il s’agissait en l’espèce d’ordonner le paiement d’une créance qui représente le 332 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 628. Le recouvrement de créances. Le recouvrement de créances constitue le talon d’Achille du droit des affaires africain, en ce qu’il donne lieu à un vaste contentieux. Certaines procédures ont été simplifiées en vue de faciliter de renforcer la sécurisation desdites procédures. L’article 2 premièrement de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution prévoit que « la procédure d’injonction de payer peut-être introduite lorsque la créance a une cause contractuelle ». Une conception large de la notion de créance ayant une cause contractuelle est retenue. La procédure susvisée peut être introduite aussi bien pour une créance de nature commerciale, civile ou même relevant du droit du travail. Par exemple, « la procédure d’injonction de payer peut-être engagée par le preneur pour obtenir le remboursement de sommes versées conformément aux stipulations du contrat de bail lorsque le bailleur reconnaît avoir reçu lesdites sommes n’a pu mettre les locaux loués à sa disposition »842. Il a été également décidé qu’« en cas de défaillance du débiteur principal portée à la connaissance de la caution, celle-ci peut être poursuivie en remboursement par la procédure d’injonction de payer »843. De plus, « dès lors que tout le matériel commandé a été livré de jour dans locaux du débiteur et le véhicule convoyant le matériel déchargé par ses préposés, il y a lieu d’affirmer qu’il a bel et bien existé un mandat apparent entre le débiteur et son préposé et que partant, la créance a une origine contractuelle et est certaine »844. La créance peut ainsi être recouvrée par la procédure d’injonction de payer dans ce cas également. A contrario et sans que cela n’appelle de contestation, « les créances d’origine délictuelle ne peuvent donner lieu à une procédure d’injonction de payer »845. montant de retenues illicites opérées par une société sur les droits légaux et conventionnels calculés par l’administration du travail et acceptés par ladite société. 842 CCJA, Arrêt n° 048/2005 du 21 juillet 2005, société civile particulière Brule Mouchel dite SCP BM et a. c/ société Loteny Télécom dite telecel : Juris OHADA 2006, n° 1, p. 21. 843 CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 38/2018 du 22 février 2018. La Cour communautaire rappelle que « la créance de ACEP Cameroun résulte d’une convention de prêt et que sa certitude, sa liquidité et son exigibilité ne sont pas contestées ; c’est à bon droit que le juge a accédé à la demande en paiement de ACEP à travers la procédure d’injonction de payer de la somme de 5 508 692 FCFA ». 844 CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 10/2°18 du 25 janvier 2018, Aff. Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours (Association religieuse de droit ivoirien), c. M. DJOUKA AMON Hilaire. 845 CCJA, Assemblée plénière, Arrêt n° 25/2017 du 02 mars 2017. Société Forestière Hazim Chéhade et Compagnie (SFH & Cie SA) et consorts, c. État du Cameroun représenté par le Ministère des Finances et le Ministère des Forêts et de la Faune. 333 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil L’origine contractuelle de la créance permet de mettre en œuvre la procédure d’injonction 629. de payer encore qu’il faille réunir les conditions propres à la créance à savoir les caractères certain, liquide et exigible. En effet, les conditions de l’article 1er et de l’article 2 de l’AUPSRVE, relatives aux caractères de la créance, à sa nature, sont cumulatives. La CCJA confirme cette exigence à travers sa décision du 21 janvier 2016 puisqu’elle rappelle que « la mise en œuvre de la procédure d’injonction de payer suppose non seulement l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible mais aussi et surtout que cette créance ait une cause contractuelle ou qu’elle résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce ou d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante »846. Dans un ordre d’idée similaire, la CCJA a décidé que « la créance ne remplit pas les conditions de liquidité, certitude et d’exigibilité lorsque le créancier n’a pas exécuté les obligations contractuelles pour lesquelles il réclame paiement »847. Simplement, de l’exécution des obligations nées du contrat dépend la détermination des caractères attachés à la créance. Le législateur de l’OHADA se lance dans une forme d’unification des modes de résolution des différends. Ce, au détriment du droit civil national des États membres. B. L’élargissement et l’extension des solutions de droit civil 630. Le législateur adhère au renouveau de la théorie du contrat (1) et à l’extension des sûretés civiles au droit des affaires (2). 1. Le renouveau de la théorie du contrat 631. Une mutation de la conception du contrat. Le droit commercial et le droit des affaires évoluent vers le droit économique. Cela est perceptible au niveau du droit commercial international dont le dispositif juridique laisse apparaître un recul des intérêts individuels en faveur de l’intérêt économique. Il y a encore quelques années, le droit commercial était fortement adossé aux notions de « commerçants », « sociétés commerciales », « activités commerciales ». Aujourd’hui et de plus en plus ce sont des notions économiques qui règnent en maître. Nous entendons par là « l’entreprise », « l’activité économique », « les biens économiques », « le professionnel ». Le droit de l’OHADA n’est pas en reste puisque le droit qu’il secrète relève bien plus du droit économique que du droit des affaires. N’est-ce pas 846 CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 03/2016 du 21 janvier 2016. Aff. BICICI c. FOLDAH-KOUASSI Yolande. [www.legiafrica.com]. 847 CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 24/2018 du 08 février 2018. Société Yaouré Mining SA c. Société Gestion, Comptabilité et Etude de Faisabilité, en abrégé GCEF. 334 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’ailleurs le droit de l’OHADA qui a créé sur mesure un statut « d’entreprenant » afin de capter le secteur informel 848 ? 632. L’analyse économique du contrat. Si en droit civil, les intérêts particuliers des parties étaient primordiaux en matière contractuelle, il convient de noter que la théorie économique du contrat a droit de cité aujourd’hui. L’analyse économique du contrat désigne le contrat comme « une opération économique fondée sur l’équilibre objectif ou subjectif des valeurs échangées. Tout contrat n’est en définitive qu’un échange de valeurs »849. En clair le contrat est aujourd’hui une valeur économique qui doit survivre aux difficultés qui surviennent en cours d’exécution. Il n’est plus simplement défini comme un lien de droit entre plusieurs personnes mais il représente bien plus. La théorie économique se penche sur l’idée selon laquelle une transaction est mutuellement profitable entre les parties. La théorie économique du contrat retient le maintien du contrat comme principe et érige la nullité comme une solution exceptionnelle. Cette nouvelle approche du contrat a acquis ses lettres de noblesse grâce au droit des entreprises en difficulté. Le contrat y est considéré comme un bien au service de l’entreprise ; un bien qui doit survivre aux difficultés de l’entreprise. Le contrat est utile à l’entreprise, il fait partie de son patrimoine. Une analyse économique du contrat qui a pénétré le droit des obligations. L’objectif commun de sauver, de sauvegarder l’entreprise est étendu au droit des obligations et donne lieu à la volonté de maintenir le contrat850. 633. La réforme du droit des contrats français. La réforme du droit des contrats français répond à une volonté de remettre l’aspect économique au cœur du dispositif. Le préambule du rapport remis au Président de la République est sans équivoque. « En réformant le droit des contrats, le législateur a proclamé avoir été inspiré par un souci d’efficacité économique et de compétitivité ». Le Professeur Frédéric ROUVIERE constate que « cette réforme est 848 Article 30 de l’Acte uniforme révisé portant Droit commercial général, alinéas 1 et 2 : « l’entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole. L’entreprenant conserve son statut si le chiffre d’affaires annuel généré par son activité pendant deux exercices successifs n’excède pas les seuils fixés dans l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises au titre du système minimal de trésorerie ». 849 J. GHESTIN, « Le contrat en tant qu’échange économique », in Revue d’économie industrielle, vol. 92, 2e et 3eme trimestres 2000. Économie des contrats : bilan et perspectives, sous la direction de Éric Brousseau et JeanMichel GLACHANT, n°5, p. 84. 850 Le droit des procédures collectives a introduit le facteur économique dans le contrat en le considérant comme un bien et a contribué à l’évolution de la théorie générale du contrat, au-delà du cadre de la procédure collective. 335 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil fortement inspirée par le Cadre Commun de Référence (C.C.R) européen pour une unification du droit des contrats. Cette inspiration est très nette dans la forme comme dans le fond . (…) dans le fond, l’ordonnance reprend massivement l’idée du raisonnable, de la souplesse, de l’équilibre nécessaire entre les buts contradictoires et les valeurs » 851. Ainsi, selon lui, « nous sommes en présence d’une volonté de mise en conformité avec les valeurs voulues par l’Europe. Si le contrat est bel et bien pensé comme un instrument au service du marché et de la libre circulation, c’est bien par cette voie qu’il s’imprègne des idées de l’analyse économique du droit »852. 634. De même, le choix des termes économiques témoigne de cette volonté de mettre le droit au service de l’économie et de la promotion d’une appréciation économique du contrat. Ainsi, « la contrepartie prend la place et suggère une appréciation plus quantitative que qualitative. La notion d’avantage est elle aussi directement issue de l’analyse économique du droit »853. Il faut que chaque partie réalise un gain, qu’elle obtienne ce qu’elle désire854. « L’enrichissement sans cause » est remplacé par la traduction anglaise de « injust enrichment », « l’enrichissement injustifié ». Il en va de même pour l’idée d’information qui est en relation directe avec d’innombrables théories économiques855. Il y a encore ces termes qui ramènent à la proportionnalité et l’équilibre économique comme le déséquilibre significatif, en vertu de l’article 1171 du Code civil français856, la disproportion de l’article 1221 du Code civil. 635. L’adhésion du législateur de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA adhère pleinement à cette nouvelle théorie. L’article 283 alinéas 1 et 2 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général, dispose que « Si l’acheteur invoque dans les délais fixés aux articles 258 et 259 du présent Acte uniforme un défaut de conformité des marchandises livrées, le vendeur 851 F. ROUVIERE, « Les valeurs économiques de la réforme du droit des contrats », RDC, n°03, 10/09/2016, p. 600. 852 F. ROUVIERE, « Les valeurs économiques de la réforme du droit des contrats », ibid. 853 E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, Analyse économique du droit, 2e éd., Dalloz, Coll. Méthodes du droit, Paris, 2008, n° 1295, p. 362. 854 J. GORDLEY, Foundations of Private Law: Property, Tort, Contract, Unjust Enrichment, Oxford University Press, 2006, p. 333. 855 E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, Analyse économique du droit, op.cit., n° 983, p. 266. 856 Cet article traite des clauses abusives en matière de contrat d’adhésion. 336 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil a la faculté d’imposer, à ses frais exclusifs et sans délai, à l’acheteur le remplacement des marchandises défectueuses par des marchandises conformes. En outre, l’acheteur peut convenir avec le vendeur d’un délai supplémentaire pour le remplacement, aux frais exclusifs du vendeur, des marchandises défectueuses par des marchandises conformes. L’Acte uniforme relatif aux contrats, du moins l’avant-projet, prévoit un droit à la réparation ou au remplacement de l’objet et tout autre moyen de remédier à une exécution défectueuse. Le contrat peut donner lieu à une rupture unilatérale si le manquement est grave. La gravité est appréciée par le juge. Ainsi, l’objectif est de sauver le contrat, de parvenir à obtenir son exécution en mettant en place des mécanismes. La démarche du législateur de l’OHADA est cohérente. L’intégration juridique portée par le droit de l’OHADA vise, à terme, une intégration économique. L’élément essentiel de l’œuvre d’intégration est l’investissement. La préservation des investissements, leur sécurisation, leur pérennisation, sont au cœur de l’action du législateur de l’OHADA. La consécration d’une théorie économique du contrat, consistant à réduire les cas de résolution du contrat, est parfaitement justifiée. 636. L’imprévision. L’introduction en droit privé français de la théorie de l’imprévision témoigne de cette mutation vers une théorie économique du contrat. Le terme « imprévision » est utilisé pour désigner les situations où un contrat, dont l’exécution est échelonnée dans le temps ou du moins différée, voit son équilibre profondément bouleversé par suite d’un changement imprévisible des circonstances qui avaient présidé à sa conclusion, de sorte que son exécution devient excessivement difficile pour la partie au détriment de laquelle s’opère ce déséquilibre857. La jurisprudence était au XIXe siècle hostile à l’admission de situations d’imprévision. Le célèbre arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876 témoigne de ladite hostilité. La Cour de cassation avait décidé que « la règle que consacre l’article 1134 du Code civil étant générale et absolue et régissant notamment les contrats à exécution successive, il n’appartient pas aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qu’elles ont librement acceptées ». La force obligatoire du contrat est alors préservée et plébiscitée. Le Professeur Pascal ANCEL précise cependant que « sans vouloir en aucune manière diminuer l’importance de cet arrêt (…), on doit souligner que cette importance n’est pas apparue immédiatement et qu’elle est largement le fruit d’une construction doctrinale postérieure. (...) Il est assez douteux qu’en 1876 la Cour 857 P. ANCEL, « imprévision », Répertoire de Droit civil, Dalloz, Mai 2017. 337 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil de cassation ait eu conscience de fixer la règle en matière d’imprévision, même si, objectivement, l’attendu de principe exprime bien cette règle »858. C’est bien au débat doctrinal qui naît et qui prend de l’ampleur que la consécration juridique de la théorie de l’imprévision est due. 637. Le législateur français a attendu plus d’un siècle après l’arrêt Canal de Craponne pour entendre les voix qui s’élevaient. Selon l’article 1195 du Code civil, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». L’imprévision résulte de ce fait, d’un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat et qui rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. Les changements de circonstances visés dans le cadre de l’imprévision semblent être ceux essentiellement économiques tels que l’évolution de l’offre et de la demande sur le marché ou l’inflation monétaire. L’ordonnance prévoit, en ne perdant pas de vue la sauvegarde du contrat, un triple mécanisme : une renégociation, une adaptation ou une révision ; la solution ultime en cas d’échec de toutes ces solutions étant la résolution du contrat. Dans une approche similaire, le législateur de l’OHADA écarte la possibilité de rompre le contrat en prenant n’importe quelle inexécution comme fondement. Il revient à la 858 P. ANCEL, « imprévision », Répertoire de droit civil, Dalloz, mai 2017. L’auteur précise que c’est dans les années 1920 que naît l’intérêt de la doctrine civiliste pour l’imprévision ; il en veut pour preuve le grand nombre de thèses soutenues dans la période. Par exemple les thèses de LOUVEAU (Théorie de l’imprévision en droit civil et en droit administratif, 1920), VOIRIN (De l’imprévision dans les rapports de droit privé, 1922), BRUZIN (Essai sur la notion d’imprévision et sur son rôle en matière contractuelle, 1922), FYOT (Essai d’une justification nouvelle de la théorie de l’imprévision à l’égard des contrats portant sur des objets autres qu’une somme d’argent, 1921) . La question est également abordée dans les thèses de GUEULETTE (Effets juridiques de la guerre sur les contrats, thèse, Paris, 1918) et de J. RADOUANT (Du cas fortuit et de la force majeure, thèse, Paris, 1920). Selon l’auteur la plupart des auteurs de ces travaux ne considèrent pas que la question a été définitivement tranchée par l’arrêt de 1876 (à peine cité comme on l’a déjà dit) et militent pour une reconnaissance de la théorie de l’imprévision par la jurisprudence civile, sur des fondements variés. 338 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil partie qui souhaite résoudre le contrat d’apporter impérativement la preuve d’un manquement essentiel859. 638. La consécration de la théorie de l’imprévision en droit de l’OHADA. Aussi, le législateur de l’OHADA consacre-t-il à son tour la théorie de l’imprévision à l’article 162 du Projet de réforme. Selon cet article, « en cas de bouleversement des circonstances, la partie lésée peut demander l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard injustifié et être motivée. La demande ne donne pas, par elle-même, à la partie lésée le droit de suspendre l’exécution de ses obligations. Faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le président de la juridiction compétente ». Le législateur de l’OHADA accorde au juge, les pouvoirs de résolution et d’adaptation du contrat. L’exigence de la preuve de manquements essentiels pour la résolution du contrat et la consécration à venir de l’imprévision en droit de l’OHADA, marquent une évolution vers une approche économique du contrat. D’autant plus que les Actes uniformes n’abordent pas directement pour l’heure la question de l’imprévision, il est indispensable de relever que l’article 12 de l’Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route fait référence aux circonstances qui affectent la livraison de la marchandise860. Par ailleurs, la définition que l’article 294 alinéa 2 de l’AUDCG donne de la force majeure, est peu convaincante. Il prévoit que « constitue un cas de force majeure tout empêchement indépendant de la volonté et que l’on ne peut raisonnablement prévoir dans sa survenance ou dans ses conséquences ». Le Législateur de l’OHADA ne définit-il pas ainsi la force majeure de manière extensive y incluant ainsi l’idée d’imprévision ? La force majeure est définie par ses caractères imprévisible, irrésistible et extérieur. La définition retenue par le législateur de l’OHADA est assez générale pour entretenir le doute et laisser entrevoir une possibilité d’y intégrer la théorie de l’imprévision. N’est-elle pas présentée comme la survenance 859 Confère article 281 de l’Acte uniforme révisé portant droit commercial général ; selon ce texte : « toute partie à un contrat de vente commerciale est fondée à en demander au juge compétent la rupture pour inexécution totale ou partielle des obligations de l’autre partie. Toutefois, la gravité du comportement d’une partie au contrat de vente commerciale peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. La gravité du motif de rupture est appréciée par le juge compétent à la demande de la partie la plus diligente. Quelle que soit la gravité du comportement, la partie qui l’invoque peut-être tenue de respecter un préavis avant de notifier à l’autre partie sa décision unilatérale. Faute de préavis suffisant, l’auteur de la rupture engage sa responsabilité même si la juridiction admet le bien-fondé de la rupture. La partie qui impose ou obtient la rupture du contrat peut obtenir en outre des dommages-intérêts en réparation de la perte subie et du gain manqué qui découlent immédiatement et directement de l’inexécution ». 860 Acte uniforme adopté le 22/03/2003 et entré en vigueur le 01/01/2004. 339 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’événements imprévisibles, qui affecte de manière déterminante l’exécution du contrat ? Le pas qui consiste à assimiler force majeure et théorie de l’imprévision à l’aune du droit de l’OHADA ne doit cependant pas être franchi. 2. L’extension des sûretés de nature civile au droit des affaires 639. L’indifférence de la nature des sûretés en droit de l’OHADA. Une sûreté est une garantie fournie pour l’exécution d’une obligation. La notion a été de tout temps, rattachée au droit civil. Pour preuve le siège du droit des sûretés est localisé dans le Code civil. Il est vrai que l’exigence de confiance et la célérité voulues pour la conduite des transactions commerciales dans le monde des affaires ont rendu nécessaire le recours aux sûretés dans ledit domaine. La matière commerciale et le monde des affaires donc ont capté les sûretés. Le droit de l’OHADA ne déroge pas à cette règle, appliquant l’Acte uniforme portant droit des sûretés à tout type de sûreté. En effet, selon cet Acte uniforme, « une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci et notamment qu’elles soient présentes ou futures, déterminées ou déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et que leur montant soit fixe ou fluctuant »861. Le législateur de l’OHADA énonce une définition extensive de la notion de sûreté. La définition est extensive quant à la nature des biens pouvant servir de garantie et à la nature des sûretés. Il apparaît sans équivoque que le champ d’application de l’Acte uniforme est étendu aux sûretés civiles et aux sûretés commerciales. 640. Le droit des sûretés offre des garanties au créancier d’obtenir l’exécution d’une obligation en sa faveur. En réalité, ce domaine offre des garanties complémentaires à celles prévues par les articles 2284 et 2093 du Code civil français, qui disposent respectivement que : « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir » et que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». Ces dispositions sont insuffisantes quant à l’octroi de garantie de paiement au créancier. Les sûretés réglementées par le Code civil quand bien même elles se sont développées en dehors, restent pour certaines indissociables du droit civil de manière intrinsèque. Les sûretés personnelles que sont le 861 Article 1er de l’Acte uniforme révisé portant droit des sûretés. 340 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil cautionnement et la garantie autonome sont exclusivement régies par les différents Codes civils des États membres. Codes qui en donnent la définition, en précisent les contours et le mode de constitution. En traitant de ces sûretés de manière générale, dans le cadre du « droit des affaires de l’OHADA », le législateur de l’OHADA, transcende leur domaine originel. 641. Les attributs attachés aux sûretés. Les effets et attributs attachés aux sûretés en l’occurrence le droit de préférence, le droit de suite, sont régis par le droit civil. Le droit de préférence est l’avantage que détiennent certains créanciers limitativement désignés par la loi d’être payés avant d’autres créanciers. La notion de droit préférentiel a été définie comme visant « tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance »862. Le droit de préférence constitue une exception au principe de l’égalité des créanciers. Le droit de suite est la prérogative qui appartient à certains créanciers d’exercer leurs droits sur un bien en quelque main qu’il se trouve. Ce droit appartient ainsi au créancier hypothécaire et d’une façon générale à tout titulaire d’un privilège. Droit de préférence et droit de suite sont une composante des droits réels. En effet, alors que le droit de suite permet au titulaire du droit réel d’exercer ce droit sur la chose, le droit de préférence intervient en cas de conflit entre le titulaire d’un droit réel et un titulaire d’un droit personnel863. Ces prérogatives sont prévues expressément par le droit civil. Le législateur de l’OHADA les rattache également aux sûretés relevant du droit commercial. L’instauration ou la volonté d’instauration d’un droit commun, en certaines matières, caractérise l’incursion du droit de l’OHADA en droit civil national. L’élargissement et l’extension des mécanismes et solutions sont également des manifestations de l’influence que le droit civil exerce sur le droit de l’OHADA. 862 M. CABRILLAC, S. CABRILLAC, Ph. PETEL, Ch. MOULY, Droit des sûretés, 10e éd., Paris, LexisNexis, 2015, V. sur la question, n°582, p. 427. 863 H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, op.cit., V°. Droit(s) réel (s), p. 133. 341 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU CHAPITRE 642. Le droit civil est caractérisé par des règles générales, étendues et extensives. Il constitue le droit commun, la boussole qui oriente les droits spéciaux. En retenant des règles générales, le dispositif juridique de l’OHADA prend des distances avec ce qu’il est attendu d’un droit spécial. Cela est d’autant plus vrai qu’il s’approprie dans l’élaboration des règles communes, les dispositions de droit civil national. Il est également question du dépassement par le droit communautaire africain de sa sphère. Certains domaines retenus dans le champ d’application matériel du droit de l’OHADA sont marqués du sceau « droit commun » tant les dispositions sont générales ou extensives. 342 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil CONCLUSION DU TITRE 1 643. Un domaine et un concept aux caractéristiques civilistes. La construction du droit de l’OHADA a été faite en étroite relation avec le droit civil national des États membres de l’organisation. Le droit civil national a marqué l’élaboration des règles du droit de l’OHADA. Tout d’abord, le domaine étendu et extensif du droit communautaire intègre des matières relevant du droit civil. L’empreinte du droit civil national est perceptible au niveau du champ matériel du droit de l’OHADA. Le concept même de « droit des affaires de l’OHADA » ne peut être défini de manière idoine, si référence est faite à des critères classiques du droit des affaires. Tant, le critère institutionnel, que le critère de la finalité du droit des affaires, n’apportent pas satisfaction quant à la perception de ce droit singulier. Le recours à des critères spécifiques au droit de l’OHADA, notamment, les contextes historique et économique qui ont donné lieu à la création de l’OHADA, apporte des pistes de réflexion. Le Traité fondateur et le préambule qui constituent le droit primaire, sont autant d’éléments à prendre en compte dans la recherche du concept de « droit des affaires de l’OHADA ». Le législateur de l’OHADA a opté pour un modèle d’intégration juridique particulier qui emporte pour conséquences, le caractère étendu et extensif du domaine de l’OHADA. Le droit dérivé subit les effets de cette option, dans la mesure où la généralisation des textes est à noter. Par exemple, l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés est un véritable droit commun en la matière. Il est le cadre de référence en matière de droit des garanties. 644. L’empreinte du droit civil dans l’élaboration du droit de l’OHADA. Aussi, le législateur de l’OHADA n’a-t-il pas fait preuve d’originalité, lorsqu’il s’est inspiré du droit civil national des États membres dans le cadre de la mise en place de son cadre juridique. En matière, principalement de droit des sûretés, les règles du droit civil ont été transposées à l’identique, malgré des cas d’adaptation en certains aspects. La sociologie africaine et les institutions fortes de la société africaine telles que la coopérative, le règlement amiable et collégial des conflits, ont été prises en compte par le législateur de l’OHADA. Le droit coutumier n’a pas été occulté dans la construction du droit de l’OHADA avec la mise en exergue du témoin. L’instauration d’un croit commun de la preuve et de la prescription est un indicateur à prendre en compte. Si l’on y ajoute l’élargissement des solutions et mécanismes aussi bien du droit commercial, que du droit civil, alors, réponse est apportée la question de la place du droit civil national au sein du droit de l’OHADA. 343 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Titre 2. L’AUTONOMIE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA 645. La question de l’autonomie s’est longtemps posée concernant le droit des affaires quant à ses rapports avec le droit commercial. Étant voulu comme un droit des affaires, le droit de l’OHADA n’échappe pas à cette interrogation à laquelle toute discipline qui se veut spéciale, doit faire face. L’autonomie est le pouvoir de se déterminer soi-même. C’est la caractéristique en vertu de laquelle l’on se suffit à soi-même, l’on peut être apte à produire seul un plein effet de droit. L’étude du dispositif juridique et du cadre institutionnel de l’OHADA amène à prendre conscience d’une réalité : le droit des affaires de l’OHADA jouit d’une autonomie limitée. L’effectivité du droit de l’OHADA n’est pas totale et reste freinée par des carences. Le droit civil, droit commun exerce une influence sur le droit de l’OHADA ; influence qui prend la forme de recours au droit commun. Le droit de l’OHADA et l’organisation qui l’a fait naître ne sont pas aussi puissants qu’ils en ont l’air. Des faiblesses existent et tiennent au cadre institutionnel qui présente des limites ainsi qu’à la dépendance à l’égard du droit commun des États membres. Le dispositif juridique qui en certains aspects présente des contradictions et le maintien d’un dispositif contraignant là où l’exigence d’attractivité est encore d’actualité, ne militent pas en faveur du droit de l’OHADA. En fait, les faiblesses du droit de l’OHADA (Chapitre I) et l’absence d’autosuffisance du droit de l’OHADA (Chapitre II) empiètent sur l’efficacité et la légitimité du droit de l’OHADA Chapitre 1. LES FAIBLESSES DU DROIT DE L’OHADA 646. Les carences qui affectent le droit de l’OHADA sont avant tout liées aux institutions qui soutiennent l’œuvre harmonisatrice. Le Traité en certaines de ses dispositions, les organes créés en certaines de leurs attributions et dans des modalités de fonctionnement posent problème. Au-delà de l’aspect institutionnel, il ne faut pas perdre de vue les faiblesses d’ordre normatif qui concernent la pertinence ou la question du caractère inadapté de certaines dispositions. Résoudre ces épineuses questions, revient à traiter les faiblesses d’ordre institutionnel (Section 1) et les faiblesses d’ordre normatif propres au droit de l’OHADA (Section 2). 344 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Section 1. Des faiblesses d’ordre institutionnel 647. Le cadre institutionnel du droit de l’OHADA est limité (§1) dans la mesure où le fonctionnement n’est pas exempt d’imperfections et qu’il est fortement concurrencé par des institutions internationales (§ 2). § 1. Un cadre institutionnel limité 648. Le fonctionnement des institutions (A) et le processus normatif qui en est issu (B) sont en cause en la matière. A. Le fonctionnement des institutions 649. Le fonctionnement des institutions est limité par les faiblesses du Traité (1) et l’inadaptation dudit fonctionnement (2). 1. Les faiblesses du Traité fondateur 650. Le Traité, texte fondamental de l’OHADA ? Le Traité est l’acte fondateur de l’OHADA et par voie de conséquence du droit qui en découle. Il est au sommet de la hiérarchie des normes relative à l’OHADA et énonce de ce fait les principes directeurs de l’œuvre de l’organisation interétatique. Les différents Actes uniformes, règlements de procédures, sentences, avis ne sont en principe élaborés, émis qu’en conformité avec le Traité instituant l’OHADA. C’est bien parce que le Traité fixe les attributions générales de la CCJA que le règlement de procédure vient en préciser les contours. Les Actes uniformes ne sont élaborés qu’en raison de l’énumération des matières qu’ils réglementent à l’article 2 du Traité. Ce traité n’a pas fait et ne parvient toujours pas à faire l’unanimité en ce qu’il est encore accusé de nombreux maux en dépit de sa révision. Avant que la révision n’intervienne, l’on comprenait aisément les vives critiques des praticiens et des auteurs, puisque le cadre institutionnel de l’OHADA se développait en marge du Traité. En effet, les arrangements de N’DJAMENA sont intervenus lors de la mise en route des institutions de l’OHADA et ont énoncé des règles de répartition des institutions et des fonctions en leur sein. La survie de ces arrangements après la mise en œuvre du Traité instituant l’OHADA dérangeait fortement, car elle remettait en cause la philosophie de l’Organisation. Le cas des postes de juges à la CCJA était en contradiction formelle avec les termes du Traité864. Les accords de N’DJAMENA sont évoqués simplement parce qu’en dépit de leur abolition le Traité OHADA n’a pas défini de 864 Anciens articles 31, 32 et 37 du Traité de l’OHADA. 345 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil critères liés au mérite dans le choix des magistrats de la CCJA et des dirigeants du Secrétariat permanent. 651. Le renforcement limité du cadre institutionnel. En vue de renforcer le cadre institutionnel de l’OHADA, la création d’institutions avait été proposée et prévue. Si la Conférence des chefs d’État et de gouvernement a vu le jour et l’ERSUMA a connu une réforme, l’institutionnalisation des Commissions Nationales et la précision de leur rôle n’ont pas été au cœur de la révision du Traité. Alors que ces commissions sont essentielles et nécessaires dans l’élaboration des Actes uniformes. Elles viennent suppléer l’absence d’intervention des parlements nationaux dans l’élaboration et l’adoption des Actes uniformes. Cette absence de consécration des commissions par le Traité, fragilise le cadre institutionnel de l’OHADA puisque chaque État conserve la latitude de les mettre en place ou non et de les organiser à sa guise. Leur consécration textuelle ne ferait que renforcer la légitimité du droit de l’OHADA en raison de l’implication de praticiens nationaux. Que l’appréhension de commissions nationales échappe au contrôle du Traité de l’OHADA censé être le cadre juridique originel de l’Organisation, met en lumière les limites du Traité. Les commissions connaissent un essor considérable qui n’a fait qu’être amplifié au fil de l’élaboration des Actes uniformes. La volonté des acteurs nationaux de restaurer certains aspects de la souveraineté qu’ils ont cédés aux institutions communautaires explique sûrement cet état de fait. 652. La résistance des États membres. Le Traité fondateur de l’OHADA est resté fidèle à luimême en conservant le champ d’application matériel de l’OHADA. La modification de l’article 2 qui cristallisait les critiques acerbes était attendue et réclamée. Il était attendu que le domaine de l’harmonisation soit recentré, parce qu’il commençait à embrasser plus le droit économique que le droit des affaires865 et que le droit civil national était vidé de sa substance. L’imprécision du domaine du droit de l’OHADA et son caractère illimité, ne seraient pas étrangers à la résistance de certaines juridictions nationales qui entendent maintenir leurs prérogatives et la suprématie du droit civil national. Au-delà des juridictions, ce sont bien les États membres qui continuent de résister et essaient de conserver leur pouvoir législatif même dans des matières entrant désormais dans le domaine du droit des affaires de l’OHADA. Par exemple, en matière de saisie conservatoire, le nouveau Code d’organisation et de compétence judiciaire de la République Démocratique du Congo, dispose en son article 111 : « quelle que soit la valeur du litige, les présidents des tribunaux de paix, ou, à défaut, les présidents des 865 A. HARISSOU, « Le nouveau traité OHADA : Forces et faiblesses », RDUA, 00, 1er trimestre 2010, p. 2. 346 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil tribunaux de grande instance, là où les tribunaux de paix ne sont pas installés, peuvent autoriser les saisies-arrêts et les saisies conservatoires en matière civile ou commerciale ». Or, l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution donne formellement compétence au « président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui » qui seul peut « statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ». Il s’agit clairement du juge des référés qui n’existe pas encore en République Démocratique du Congo. 2. Un fonctionnement peu satisfaisant 653. Des institutions limitant l’œuvre de l’OHADA. Il ressort de l’article 3 du Traité fondateur de l’OHADA tel que révisé que la réalisation des tâches prévues au présent Traité est assurée par une organisation dénommée Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). L’OHADA comprend la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et le Secrétariat permanent. Pour l’application effective du droit de l’OHADA et l’atteinte des objectifs d’intégration juridique, des missions sont confiées à quatre organes. Le caractère d’organisation supranationale de l’OHADA définit également ses institutions. Ainsi, en principe les décisions et actes de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et le Secrétariat permanent s’imposent aux États membres, aux populations de ces États sans équivoque, sans limites. Le raisonnement ne semble souffrir d’aucune limite à première vue puisque le Conseil des ministres assure des fonctions législatives, le Secrétariat permanent est l’organe exécutif de l’OHADA, la CCJA l’organe judiciaire, quand la Conférence des chefs d’État se voit confier une mission politique. Les organes différents aussi bien dans leur structure que leurs fonctions constituent a priori un réel atout pour l’OHADA. 654. Au sein des institutions, siègent pour ce qui est du Conseil des ministres et de la Conférence, respectivement des ministres et des gouvernants. Les projets d’Actes uniformes émanent de ministres donc reflètent la politique gouvernementale en matière de droit des affaires. À la tête de la Conférence, le Chef de l’État ou de Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des ministres866. Une telle disposition vient apporter du grain à 866 Article 27 du Traité fondateur de l’OHADA. 347 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil moudre au moulin de ces auteurs qui fustigent la création de ladite conférence qui à leur sens transformera l’OHADA en organisation politique. Leur crainte est compréhensible, puisque c’est l’autonomie effective de l’OHADA qui est limitée par la création de cet organe, « organe suprême » de l’Organisation. Que se retrouvent à la tête des institutions clés de l’OHADA les représentants d’un même pays n’est pas opportun. Les décisions risquent de souffrir de jeux d’intérêts, de négociations, de lobbyings, dans un seul but : celui d’influencer d’une manière ou d’une autre l’élaboration des règles et la prise de décision. Le projet d’Acte uniforme relatif au droit des contrats n’a pas encore été adopté parce qu’il suscite des réserves au niveau de certains États membres. Un autre exemple concret : l’adoption des Actes uniformes requiert l’unanimité des membres du Conseil des ministres. La onférence des Chefs d’État statue sur toute question relative au traité. Les Actes uniformes qui sont au cœur du Traité peuvent donc faire l’objet de discussions de l’organe suprême. Si l’adoption de l’Acte est bloquée par le ministre qui préside le Conseil, ce blocage peut perdurer au niveau de la conférence ; quand on sait que les Chefs d’État qui composent la conférence, se réunissent au sein d’autres organisations politiques, économiques, le président de la Conférence pourra obtenir un consensus allant dans le sens des intérêts de son pays. 655. L’inexistence d’un contrôle. Aucune disposition du Traité ne fait état de l’existence d’un organe de contrôle ou de l’exercice d’attributions de contrôle par un organe de l’OHADA du fonctionnement du cadre institutionnel. Si l’assimilation est souvent faite entre l’OHADA et l’Union européenne dont elle est fortement inspirée, il convient de rappeler que des moyens de contrôle de l’action des organes sont mis en place en Europe. Le Parlement dispose de moyens de contrôle sur l’ensemble de l’activité de l’Union européenne, qui ont été confirmés par le Traité de Lisbonne. Des questions écrites ou orales peuvent être posées à la Commission ou au Conseil qui sont tenus de répondre. Dans le contexte africain, il est impensable qu’un organe composé de ministres puisse remettre en question ou contrôler les actions d’un autre, au sein duquel siègent des personnes dont tous relèvent. Le fonctionnement des institutions de l’OHADA n’est pas évalué par un organe interne ou externe. Il paraît alors difficile de mesurer l’impact réel de ces institutions et de leurs moyens d’action sur l’effectivité et l’efficacité du droit de l’OHADA. B. Le processus normatif issu des institutions 656. Le législateur de l’OHADA a opté à la fois pour une approche rigide (1) et une approche souple qui s’avère inadaptée (2). 348 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 1. Une approche rigide 657. L’uniformisation retenue. Le texte fondateur de l’OHADA énonce que l’Organisation est instaurée dans un but d’harmonisation. Harmonisation qui est un mécanisme souple d’intégration juridique. En adoptant finalement des règles communes, des Actes uniformes, commandés par des principes d’application directe et immédiate, le législateur de l’OHADA a plutôt opté pour un mécanisme rigide d’intégration juridique. Les Actes uniformes doivent être appliqués tels quels au sein des États membres et se substituent en partie ou en totalité aux législations nationales. La rigidité de l’uniformisation qui laisse peu de place à l’œuvre créatrice des parlements nationaux peut être justifiée : la fixation d’une stricte ligne de conduite aux États membres limiterait les risques d’insécurité juridique ; une forme de stabilité, de prévisibilité est assurée par l’adoption de règles communes. De l’adoption de règles communes à l’application uniforme et commune de ces règles il y a un grand pas. L’importance du contentieux montre bien que l’application du droit de l’OHADA soulève des difficultés au sein des États membres. Les juridictions nationales luttent pour assurer la survie d’un droit national commun appelé à disparaître face à l’hégémonie du droit de l’OHADA. Certains particuliers profitent encore des failles du système et de la tolérance des juridictions nationales pour contourner l’application du droit communautaire. 658. La structure du droit applicable. En portant une attention particulière à la structure du droit applicable et appliqué au sein des États membres, du fait de l’approche rigide, il est impossible de ne pas relever l’originalité de la situation ; même si, dira-t-on elle n’est pas si surprenante que cela dès lors que l’on désigne un système d’intégration juridique. « Tout acte uniforme tient lieu de droit positif pour tous les États parties au Traité fondateur de l’OHADA. L’Acte uniforme s’applique aux rapports juridiques dont les éléments sont localisés à l’intérieur de chaque État membre, entre les États membres et entre un État membre et un État tiers. En revanche, il ne s’applique pas aux rapports juridiques localisés exclusivement entre États tiers »867. En clair, il suffit d’avoir la qualité d’État membre ou à tout le moins, qu’une des parties dans un rapport contractuel ait la qualité de membre pour que le droit de l’OHADA ait vocation à s’appliquer. 867 P.-G. POUGOUE, B.-R. GUIMDO DONGMO, « Modèle d’intégration juridique OHADA », Encyclopédie juridique OHADA, n°28, p. 1126. 349 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 659. Cette situation semble d’un premier abord ne soulever aucune difficulté alors que la réalité est tout autre. En effet, le droit de l’OHADA intègre l’ordre juridique interne par le biais d’un mécanisme singulier qui commande une application identique dans chaque État. Le droit national commun, le droit civil des États membres ne s’en porte que très mal dans la mesure où soit le droit de l’OHADA les intègre pour compléter les règles existantes soit il les éclipse totalement lorsqu’il vise une matière ou un point de droit identiques. Il est admis que « les Actes uniformes sans exception consacrent une législation de type directe et ne laissent par conséquent aucune marge d’appréciation au profit des États membres. Les États ainsi privés de la possibilité de légiférer dans le domaine de l’unification du droit, puisque les règles découlant des Actes uniformes sont suffisamment claires et précises pour ne pas appeler une intervention complémentaire des États membres »868. 660. Une telle suprématie du droit de l’OHADA est effrayante, les États membres ayant il est vrai majoritairement une culture juridique commune, mais avec quelques particularismes malgré tout. L’OHADA réglemente le droit des sûretés, un domaine qui relève en principe du droit civil si bien que pour les sûretés, il est logiquement opéré une distinction selon que la sûreté n’est pas de nature civile mais plutôt commerciale869. Il ressort de l’Acte uniforme portant organisation du droit des sûretés, à l’instar de l’ensemble du dispositif juridique OHADA, un caractère impératif des règles édictées et prévues en matière de sûretés. Par exemple, l’article 4 alinéa 2 dispose que « sauf disposition contraire du présent Acte uniforme, les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles régies par cet Acte »870. L’on peut y voir une interdiction pour les législateurs nationaux de créer de nouvelles sûretés réelles. Or, il est fort compréhensible et possible qu’un État en raison des particularités d’ordre social ou économique estime nécessaire la réglementation d’une sûreté réelle non prévue par le législateur de l’OHADA et surtout non contraire au droit de l’OHADA. Le principe est clairement établi : le droit de légiférer du législateur national se trouve encadré par deux limites à savoir la réglementation d’une question par un Acte uniforme et les dispositions contraires à ceux-ci. 868 P. DIEDHOU, L’unification du Droit des affaires OHADA, Etude de Droit uniforme et de Droit international privé, Thèse, Droit, Université de Genève, 2009, p. 88 et 89. 869 Le législateur de l’OHADA ne procède cependant pas à une telle distinction. 870 Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 Avril 1997 et révisé le 15 décembre 2010. 350 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 2. Une approche souple inadaptée 661. La souplesse de l’harmonisation et ses écueils. Comme déjà rappelé, le législateur de l’OHADA a pris le parti dès le Traité fondateur d’une intégration juridique par harmonisation. Même si la réalité des faits et des textes met en exergue des aspects d’uniformisation, il n’en demeure pas moins que l’approche souple a été bien retenue dans certaines dispositions des Actes uniformes. Le législateur de l’OHADA ne censure pas ou n’anéantit pas systématiquement le droit interne des États membres. Il est des hypothèses dans lesquelles il consent à concéder une certaine compétence au législateur national. Législateur qui peut instituer une règle, compléter les règles uniformes. « L’harmonisation désigne un simple rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques, afin d’en réduire ou d’en supprimer certaines contradictions. Ainsi, l’harmonisation est un moyen qui sert à établir les grandes lignes d’un cadre juridique en laissant aux différentes parties prenantes à l’intégration le soin de compléter l’ossature commune par des dispositions qui correspondent mieux à leurs valeurs, à leurs préférences ou à leur niveau de développement »871. En laissant la latitude au législateur national d’intervenir dans la construction de l’œuvre harmonisatrice, le législateur de l’OHADA, semble vouloir préserver le peu de souveraineté qu’il reste aux États membres tant la suprématie reconnue aux Actes uniformes et aux institutions de l’Organisation interétatique la vide de sa substance. 662. L’initiative pourrait être saluée a priori ; elle est présente dans certaines prévisions de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Les auteurs s’accordent sur le recours à l’harmonisation en certains points de cet Acte uniforme. Le Professeur Michel GRIMALDI abonde dans le même sens et pousse un peu plus loin la réflexion, lorsqu’il affirme que « dans notre domaine, l’Acte uniforme n’a pas une compétence exclusive, mais une compétence sinon concurrente, du moins partagée avec des législations nationales qui peuvent se déployer pour autant qu’elles ne lui sont pas contraires. Il permet ainsi une densification des droits nationaux autour d’un tronc commun : il limite l’expression des sensibilités nationales, il ne l’interdit pas »872. Selon l’article 179 alinéa 2, « les textes spéciaux créant des privilèges généraux doivent préciser le rang de ceux-ci en le déterminant par rapport aux dispositions de l’article 180 du présent Acte uniforme ». La liberté accordée aux États membres d’instituer 871 I.-F. KAMDEM, « Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les moyens d’intégration juridique », 2009, 43 R.J.T. 605, p. 617. 872 M. GRIMALDI, « L’Acte uniforme portant organisation des sûretés », L.P.A, n° 205, 13 Octobre 2004, p. 30. 351 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil des privilèges généraux est limitée en ce qu’elle ne s’exerce obligatoirement qu’en considération des dispositions de l’Acte uniforme et en toute conformité avec celui-ci. 663. La liberté « encadrée » des États membres. Le postulat est simple : les États membres sont « autorisés » à légiférer tant qu’ils n’adoptent pas, pour les questions concernées, des règles qui viendraient contredire l’Acte uniforme. La conséquence est tout aussi peu difficile à imaginer. Chaque État membre pourrait décider d’exercer la prérogative à lui accordée et il y aurait pour le cas spécifique des privilèges généraux autant de privilèges que d’États ou du moins autant de déclinaisons d’un privilège que d’approches. Il est évidemment exclu que chaque pays membre institue des privilèges sans fondement juridique et nécessité réelle. De plus, leur action ne peut être faite ex-nihilo. Dans un contexte où la sécurité juridique est l’objectif à atteindre, les signataires du Traité créateur de l’OHADA auraient dû faire preuve de prudence. Le droit des sûretés est un domaine très important, une importance d’autant plus marquée au sein de la société africaine. Le crédit y est essentiel et ancré dans les mœurs. Les organismes de micro finance n’ont jamais autant foisonné que ces dernières années au côté des établissements bancaires. Une prévision et une stabilité des règles prévues en droit des sûretés renforceraient la sécurité juridique873 et la confiance que les investisseurs porteront au dispositif. De même, la personne physique ou morale qui souhaite consentir une sûreté ou une garantie au bénéfice d’une autre y sera plus favorable. 664. Rares sont les États qui avaient élaboré des textes particuliers en matière de droit des obligations ou de sûretés. Seuls le Sénégal et le Mali avaient élaboré des lois en matière d’obligations civiles et commerciales qui étaient en vigueur avant que l’Acte uniforme ne soit adopté et qui coexistaient avec le Code civil hérité du droit français. La Loi sénégalaise n° 7660 du 12 juin 1976 portant Code des obligations civiles et commerciales réglementait les sûretés. Si la solution a été aisée concernant les autres États avec la substitution du Code civil en ses points réglementant les sûretés, en l’occurrence les articles 2011 à 2203, par l’Acte uniforme, elle ne l’a pas été pour les États susvisés. La troisième partie de la loi sénégalaise 873 La sécurité juridique est fondée sur une exigence de confiance. La sécurité juridique est un impératif de protection des citoyens contre l’insécurité juridique. Il s’agit des risques résultant des difficultés d’accès au droit, de défaut de clarté et de lisibilité du droit, de ses incohérences et complexités, de ses modifications trop fréquentes. La sécurité juridique est un aspect du droit naturel de sûreté, c’est une des facettes de la sécurité. La sécurité juridique exige par ailleurs une stabilité des situations juridiques individuelles, qui doit être garantie dans un équilibre avec le principe de légalité. [http://www.lexinter.net/JF/securite_juridique.htm]. 352 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil était consacrée aux « garanties des créanciers » telles que le cautionnement, les sûretés mobilières et immobilières. Si l’on s’en tient de manière stricte à la méthode de pénétration du droit de l’OHADA dans l’ordre juridique interne, l’on conclura automatiquement à l’abrogation pure et simple de ces dispositions, étant entendu que sont abordées des questions identiques à l’Acte uniforme. Cependant, la réponse devrait être nuancée puisque ce n’est que l’analyse approfondie de la loi qui pourrait mettre en lumière des spécificités. Ce d’autant plus que le droit des sûretés africain ne peut exister, évoluer sans la prise en compte du droit foncier. La survie de certaines dispositions particulières de textes africains étant envisageable au détriment des Actes uniformes, la situation serait plus désastreuse si les législateurs africains décidaient d’exercer leur droit pour l’institution de certaines sûretés et garanties. § 2. Une forte concurrence d’institutions 665. Le champ d’application spatial de l’OHADA et partant du droit de l’OHADA s’étend sur les territoires des dix-sept États membres. Il se calque sur ces territoires, mais la difficulté réside dans le fait que l’OHADA ne détient pas l’exclusivité en la matière. Il existe d’autres institutions qui partagent un champ d’application spatial identique à celui de l’OHADA. L’organisation doit ainsi faire face à un conflit de normes (A) et à un conflit de juridictions (B). A. Le conflit de normes 666. Le conflit de normes auquel doit faire face l’OHADA et qui pourrait empiéter sur son effectivité peut être réel (1) ou virtuel (2). 1. Le conflit de normes réel 667. L’inflation normative dans un contexte de pluralisme. « Le pluralisme juridique serait l’existence, au sein d’une société déterminée, de mécanismes juridiques différents s’appliquant à des situations identiques »874. Essuyant des critiques, cette définition s’est éclipsée en faveur de celle qui présente le pluralisme juridique comme « la situation pour un individu, dans laquelle des mécanismes juridiques relevant d’ordonnancements différents sont 874 G.-J. BELLEY, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., L.G.D.J, Coll. « Droit et société », 1993, v° « Pluralisme juridique ». Cité par A. OUATTARA, « Prolégomènes pour une épistémologie du droit en Afrique », in Recueil juridique sur l’OHADA et les normes juridiques africaines, P.U.A.M, Coll. Horizons juridiques Africains, 2013, p. 31. 353 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil susceptibles de s’appliquer à cette situation »875 ; pluralisme juridique qui apparaît comme l’une des composantes de l’inflation normative876. Le foisonnement de normes au sein de la société internationale est en certains aspects générateur de conflits, dès lors que se chevauchent et s’entremêlent champs d’application spatial et matériel. L’OHADA est venue bousculer l’ordre établi en Afrique et dans la sous-région. Elle fait concurrence aux organisations communautaires existantes, créant des situations de conflits de lois. Le Professeur Nathalie BLANC rappelle qu’« il y a conflit de lois lorsque deux règles qui ont vocation à s’appliquer à une même situation juridique se révèlent contradictoires »877. Elle propose notamment comme premier jalon dans la résolution du conflit de « déterminer le lieu de rencontre de ces dispositions antinomiques autrement dit de préciser les cas dans lesquels, elles sont susceptibles de s’appliquer concurremment »878. Par ailleurs, « l’expression conflit de lois désigne, en droit international privé, une concurrence entre des normes, résolue par le choix d’une des normes en conflit par le juge saisi d’un litige suscitant, précisément en raison de la dispersion de ses éléments constitutifs, une concurrence entre des règles. Ce choix entre les lois en concurrence est effectué au moyen d’une règle dite de conflit de lois. Le juge étatique résout donc un conflit de lois. Le juge communautaire, lui, n’a pas à résoudre de conflit de lois. Il doit vérifier si la situation entre dans le champ d’application du droit communautaire. Si sa réponse est positive, il déclare qu’il faut lui appliquer les dispositions pertinentes du droit communautaire. Si tel n’est pas le cas, il n’a pas à déterminer quel autre droit que le droit communautaire est applicable à la situation »879. 668. L’OHADA, une organisation ambivalente. « On appellera droits communautaires, les ordres juridiques ayant abouti à la création d’un groupement d’États conduisant une politique commune d’intégration juridique, politique et économique sur un plan très large au moyen 875 J. VANDERLINDEN, « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », in Revue de la Recherche Juridique, Droit prospectif (R.R.J), 1993, n°2, p. 573 et s. 876 A. OUATTARA, « Prolégomènes pour une épistemologie du Droit en Afrique », in Recueil juridique sur l’OHADA et les normes juridiques africaines, P.U.A.M, Coll. Horizons juridiques Africains, 2013, p. 31. 877 N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés, Paris, éd. Dalloz, 2010, n° 431, p. 377. 878 N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés, ibid. 879 P. MEYER, « Les conflits de juridictions dans les espaces OHADA, UEMOA, CEDEAO », in Sensibilisation au droit communautaire de l’UEMOA, Actes du Séminaire Sous-régional à Ouagadougou, Burkina Faso du 6-10 octobre 2003, éd. Giraf, Coll. DTE, p.186. 354 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’une législation harmonisée ou uniforme, dérivée de ces groupements et droits régionaux ceux qui également réunissent plusieurs États, unis par des liens régionaux, mais qui ne mènent une telle politique d’intégration juridique que dans des domaines juridiques sectoriels bien précis »880. L’OHADA, dans sa volonté d’harmoniser par uniformisation le droit des affaires ou si l’on préfère le droit économique de ses États membres est entre organisation communautaire et organisation régionale. L’OHADA est ambivalente dans sa nature en ce qu’elle est à la fois une organisation communautaire qui par le biais de son Traité fondateur entend mener une politique commune d’intégration juridique et une organisation régionale qui a réglementé notamment le transport par route des marchandises. 669. Une ambivalence justifiant la concurrence. Cette ambivalence contribue fortement à la concurrence faite par l’OHADA aux autres organisations communautaires et régionales qu’il convient de présenter succinctement, afin d’en comprendre les contours. Tout d’abord, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Créée le 10 janvier 1994 à Dakar, l’UEMOA a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire. Huit États côtiers et sahéliens, liés par l’usage d’une monnaie commune, le Franc CFA et bénéficiant de traditions culturelles communes, composent l’UEMOA881. Ensuite, la Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui regroupe 6 pays : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. Le Traité instituant la CEMAC a été signé le 16 mars 1994 à N’Djamena (Tchad) et l’organisation vise essentiellement la promotion des marchés nationaux par l’élimination des entraves au commerce intercommunautaire, la coordination des programmes de développement, l’harmonisation des projets industriels ; la création d’un véritable marché commun africain. 880 J. ISSA-SAYEGH, « Conflits entre droit communautaire et droit régional dans l’Espace OHADA », OHADATA-D-06-05, p. 1. 881 Le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. L’UEMOA couvre une superficie de 3 506 126 km2 et compte 112 millions d’habitants. Le taux de croissance du PIB, à prix constant, est de 7% en 2015. 355 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil Enfin la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances en abrégé CIMA, instituée par le Traité du 10 juillet 1992 signé à Yaoundé (République du Cameroun)882. 670. Les aspects de la concurrence. La concurrence entre ces organisations et l’OHADA a plusieurs fondements qui se déclinent en trois aspects : l’aspect territorial, l’aspect matériel et l’aspect juridictionnel. Tous les États membres de l’UEMOA et de la CEMAC sont également membres de l’OHADA ce qui entraîne un chevauchement dans le champ d’application territorial des normes produites par ces organisations. Les trois organisations partagent le même espace géographique. L’OHADA empiète sur tous les domaines de compétences des organisations existantes883 d’un point de vue matériel. Et chaque organisation est dotée d’une juridiction propre ; ainsi nous avons la Cour de justice pour l’UEMOA qui veille à l’interprétation uniforme du droit communautaire et à son application et juge, notamment, les manquements des États à leurs « obligations communautaires ». Elle arbitre les conflits entre les États membres ou entre l’Union et ses agents. Concernant la CEMAC, la Cour de Justice Communautaire, comprenant une chambre judiciaire et une chambre des comptes y est rattachée et bien évidemment l’OHADA est dotée de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). 671. Le conflit entre ces organisations concerne avant tout le champ d’application matériel. L’OHADA se présente aujourd’hui comme l’organisation qui réglemente le droit des affaires d’un point de vue commun avec le droit commercial général, les procédures collectives ou le droit des sûretés, mais également en ce qu’il a de spécial. Le domaine du droit de l’OHADA ne souffre de limite que celle imposée par le refus du Conseil des ministres d’intégrer une matière en son sein. La mise en œuvre de l’adage specialia generalibus derogant permet de résoudre les conflits entre une norme général et norme spéciale. Mais l’application de l’adage est malaisée lorsque les normes en conflits sont spéciales. Il convient alors de déterminer laquelle est plus spéciale que l’autre. La règle spéciale ayant été définie comme celle qui ne 882 Le Traité a été signé par les gouvernements suivants : Bénin, Burkina, Cameroun, Centrafrique, Comores, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Des quatorze (14) États signataires, seules les Comores n’ont pas encore ratifié le Traité. Le Traité de la CIMA est entré en vigueur le 15 février 1995. Il prévoit l’adhésion de tout autre État Africain qui le désire. Le nombre des États membres de la CIMA est passé de treize (13) à quatorze (14) avec l’adhésion de la Guinée Bissau, le 15 avril 2002. 883 J. ISSA-SAYEGH, « Conflits de normes.», ibid. 356 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil régit qu’une fraction de l’objet de la règle générale. La spécialité s’apprécie donc au regard d’une norme considérée comme plus générale dans son objet884. 672. Le cas spécifique de l’UEMOA et de l’OHADA. De manière concrète et en matière de procédure collective notamment, l’UEMOA et l’OHADA, sont des exemples concrets. Il existe un conflit entre l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives et d’apurement du passif et le Règlement relatif aux systèmes de paiements dans l’UEMOA en raison de dispositions antinomiques. Ce conflit résulte du fait que l’Acte uniforme consacre la règle du « zéro heure » aux antipodes du principe de l’irrévocabilité des ordres de transfert introduits dans un système bancaire porté par le Règlement de l’UEMOA. Deux règles spéciales en raison de leur objet spécifique rentrent en conflit. Lequel l’emporte ? Selon l’article 52 de l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, « la décision qui prononce le redressement judiciaire emporte, de plein droit, à partir de sa date, et jusqu’à l’homologation du concordat ou la conversion du redressement judiciaire en liquidation des biens, assistance obligatoire du débiteur pour tous les actes concernant l’administration et la disposition de ses biens, sous peine d’inopposabilité de ces actes ». 673. La règle dite du « zéro heure » qui découle de ce texte prévoit l’invalidation rétroactive des transactions effectuées par un établissement en faillite après zéro heure le même jour de sa mise en faillite885. Ainsi, les paiements réalisés le jour de la décision d’ouverture de la procédure collective seront déclarés inopposables à la masse des créanciers en raison du dessaisissement qui frappe le débiteur déclaré en cessation des paiements. Le redressement judiciaire et la liquidation des biens produisant leurs effets à « zéro heure » au jour du jugement886. Cette règle est inconciliable avec le principe de l’irrévocabilité des ordres de transfert introduits dans un système bancaire porté par le Règlement n°15. 674. C’est l’article 6 dudit règlement qui est le siège de ce principe en vertu duquel les ordres de transfert introduits dans un système bancaire sont irrévocables, même en cas d’ouverture 884 N. BLANC, Les contrats du Droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés, op. cit., n°439, p. 384. E. KAGISYE, « Conflit entre l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif et la réglementation des systèmes de paiement de l’UEMOA », p. 6, [https://hal-auf.archivesouvertes.fr/hal-01278213/document]. 885 886 A.-T. NDIAYE, « conflits de normes en Droit communautaire OHADA et UEMOA : exemple des paiements réalisés dans les systèmes de paiement intégrés en cas de procédures collectives d’apurement du passif », Revue UNIDROIT, n°2- 2007, p. 291. 357 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil d’une procédure collective contre un participant au système de paiement interbancaire. Selon cet article, « nonobstant toute disposition contraire, les ordres de transferts introduits dans un système de paiements interbancaires conformément aux règles de fonctionnement dudit système sont opposables aux tiers et à la masse et ne peuvent être annulés jusqu’à l’expiration du jour où est rendu le jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens à l’encontre d’un participant, même au motif qu’est intervenu ce jugement. Ces dispositions sont également applicables aux ordres de transfert devenus irrévocables. Le moment auquel un ordre de transfert devient irrévocable dans le système est défini par les règles de fonctionnement dudit système ». Les textes sont, il est vrai inconciliables, mais sont appelés à régir une situation juridique identique localisée dans un espace géographique unique puisque OHADA et UEMOA partagent le même. Au regard de leur formulation, il semble plus juste de se prononcer en faveur de l’application de la règle du zéro heure qui apparaît plus spéciale que la règle de l’irrévocabilité des transferts. 675. Le cas spécifique du droit comptable. Un conflit tout aussi réel est apparu en droit comptable. Le Système Comptable Ouest-Africain (SYSCOA), a été mis en place par le biais du règlement 04/96/CM/UEMOA du 20/12/1996 entré en vigueur le 1er janvier 1998. Or le Conseil des ministres de l’OHADA avait adopté un Acte uniforme ayant exactement le même objet, entré en vigueur le 1er janvier 2001. Son objectif est d’harmoniser les règles comptables applicables dans les pays membres de l’OHADA (dont font partie ceux de l’UEMOA) grâce au référentiel mis en place, le Système Comptable OHADA (en abrégé SYSCOHADA). Les deux référentiels sont différents en plusieurs points. 676. Pour résoudre le conflit qui était inévitable concernant l’application de ces textes au sein des États membres de l’UEMOA également membres de l’OHADA, une solution pacifique a été trouvée. Le SYSCOA a été mis à jour afin d’assurer une parfaite compatibilité du SYSCOA avec le droit comptable de l’OHADA. La matérialisation de cette révision est opérée par le règlement 07/2001/CM/UEMOA887 qui a donné lieu à l’application d’un seul référentiel comptable, le SYSCOHADA, commun à l’ensemble des pays membres de l’OHADA. Cependant, contre toute attente le conflit a été remis au gout du jour avec le Règlement n°05/2013/CM/UEMOA du 28 juin 2013 portant modification du SYSCOA et le 887 Ce, d’autant plus que l’article 112 de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises sises dans les États-parties au Traité de l’OHADA est clair quand il dispose que « sont abrogées à compter de la date d’entrée en vigueur du présent Acte Uniforme et de son Annexe toutes dispositions contraires ». 358 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil règlement d’exécution n°005/2014/COM/UEMOA du 31 mai 2014 qui disposent que les nouvelles règles et méthodes comptables du SYSCOA sont adoptées, et s’appliquent aux comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2014. Ainsi, au sein de l’espace UEMOA, deux référentiels comptables différents coexistent, entraînant des différences dans les méthodes de comptabilisation de certaines opérations et dans la présentation des informations dans les états financiers.888 Si bien que le conseil des ministres de l’OHADA a dû intervenir et rappeler que « le système comptable OHADA devait constituer l’unique référentiel comptable en vigueur dans l’espace OHADA ». 677. Le droit des transports. Le droit des transports n’est pas épargné par les conflits entre l’OHADA et les autres organisations. Dans ce domaine précis, le conflit concerne la CEMAC dont le droit communautaire réglemente le transport de marchandises par route et l’OHADA qui a consacré un Acte uniforme à la question. Il ressort de l’article 5 alinéa 1 de la Convention CEMAC, que deux mentions obligatoires requises sur la lettre de voiture ; « l’indication que le transport est soumis, nonobstant toute clause contraire, au régime établi par la présente convention et la signature de l’expéditeur, du transporteur et du destinataire ». Or le droit de l’OHADA ne requiert nullement de telles mentions. L’on s’interroge alors sur la démarche à suivre pour déterminer les obligations du transporteur face à des règles contradictoires. 2. Le conflit de normes virtuel 678. De potentiels conflits à venir avec la CEDEAO ? L’OHADA est dotée de compétences larges qui ont vocation à s’élargir davantage si le Conseil des ministres le décide à l’unanimité. Sur son champ spatial, l’OHADA est concurrencée ou du moins concurrence d’autres organisations dotées de compétences tout aussi larges. Il est à craindre d’éventuels ou de potentiels conflits entre ces organisations et l’OHADA. Il s’agit, en l’occurrence, de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), établie par le Traité de Lagos signé le 28 mai 1975 par quinze pays de l’Afrique de l’Ouest889. Son objectif 888 O. SAMBE , M.-I. DIALLO, « SYSCOA révisé ou Système comptable OHADA (SYSCOHADA) : Quel référentiel appliquer ? », 05-07-2014, [http://www.ohada.com/actualite/2238/syscoa-revise-ou-systemecomptable-ohada-syscohada-quel-referentiel-appliquer.html]. 889 Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Le Cap-Vert a rejoint la Communauté en 1976 mais la Mauritanie a décidé de la quitter en 2000. [https://www.uneca.org/fr/oria/pages/cedeao-communaut%C3%A9-economique-des-États-de l%E2%80%99afrique-de-l%E2%80%99ouest]. 359 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil principal est de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ». La CEDEAO vise principalement l’intégration économique en Afrique de l’Ouest. Dans la mesure où la méthode d’intégration retenue par la CEDEAO est la coopération, il ne faut pas perdre de vue les différentes modalités de celle-ci. En effet la CEDEAO a un organe législatif, le parlement et dans la volonté d’atteindre ses objectifs a le choix entre hormis le Traité fondateur, les règlements, les directives. Ainsi dans un objectif normatif, rien ne s’oppose à un recours à des règlements dont la force obligatoire pourrait entraîner des conflits avec les Actes uniformes OHADA par exemple dotés également de force obligatoire. 679. L’élargissement du domaine au dit de la concurrence et au droit bancaire. Un autre conflit à craindre est cette fois-ci celui qui peut naître de la vocation de l’UEMOA, de la CEMAC et de l’OHADA à adopter des règles dans les matières identiques. Comme déjà évoqué, leurs objectifs sont assez proches et le domaine du droit de l’OHADA est défini par extension; une extension qui ne cesse de prendre de l’ampleur. L’élargissement du champ d’application du Traité à certaines matières qui intéressent également les secteurs économiques de l’UEMOA et de la CEMAC tels que droit de la concurrence, le droit bancaire890, l’atteste. Ce, quand bien même la CEMAC s’est déjà dotée d’instruments juridiques qui réglementent ces matières. Le règlement du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles règlement du 18 août 1999 portant règlement des pratiques étatiques affectant le commerce entre les États membres, pour l’aspect droit de la concurrence. Et la réglementation bancaire issue de la Convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire en Afrique Centrale. Ces potentiels conflits affecteront la sécurité juridique et la sécurisation des investissements tant recherchés par les gouvernements africains ainsi que les partenaires au développement. L’impact sera encore plus visible pour les particuliers, les justiciables auxquels les instruments juridiques élaborés par les organisations susvisées sont obligatoires, d’applicabilité directe et ignorent royalement les dispositions nationales contraires. 680. Le droit des assurances. Il n’est pas à exclure que l’OHADA décide de légiférer dans le domaine du droit des assurances qui est en principe de la compétence de la CIMA 890 Elargissement intervenu en Mars 2001. 360 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil (Conférence interafricaine des marchés d’assurance). Elle pourrait intervenir dans les branches qui n’ont pas encore été abordées par la CIMA puisque le droit des assurances relève bien du droit des affaires. Un tel risque n’est pas à écarter même si le Professeur Joseph ISSASAYEGH juge « douteux qu’elle le fasse par souci de ne pas briser l’homogénéité des sources formelles de la matière et de ne pas amputer la CIMA de ses compétences 891 ». Pour converger quelque peu dans son sens, l’on peut évoquer l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement à Intérêt économique qui prévoit en son article 916 que « le présent Acte uniforme s’applique aux sociétés soumises à un régime particulier sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties ». Ainsi, l’Acte uniforme n’abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime particulier ; ce pour éviter le conflit avec les règles de constitution, de fonctionnement, de dissolution et de liquidation des entreprises d’assurance obligatoirement constituées en sociétés anonymes. 681. L’éventuel conflit entre juridictions. Les juridictions des organisations que sont la CEMAC, l’UEMOA et l’OHADA ne sont pas en reste dans cette éventualité de conflits même s’ils sont limités. Il est clair que les chances de voir des litiges ayant le même objet, portés devant des juridictions de deux organisations différentes, sont limitées. Il est vrai que les juridictions ont fixé sûrement dans un souci d’anticiper les éventuels conflits, les limites de leurs compétences. En effet à ce propos, la Cour de justice de l’UEMOA a rendu un avis le 2 février 2000 lors de l’examen de l’avant-projet du Code des investissements de l’UEMOA. Il a été affirmé, d’une part, que la Cour de justice de l’OHADA ne peut saisir la Cour de l’UEMOA en renvoi préjudiciel parce qu’elle n’est pas une juridiction nationale, et d’autre part, que l’interprétation par la Cour de l’UEMOA des Actes uniformes de l’OHADA porterait atteinte à l’exclusivité de la Cour Commune de Justice d’Abidjan (CCJA) dans l’application et l’interprétation des Actes uniformes892. L’autre aspect juridictionnel qui pourrait donner lieu à des conflits est bien celui de l’aspect consultatif. Les juridictions des trois organisations disposent d’un pouvoir consultatif qui peut occasionner des conflits de compétence. 891 J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA », Rev. dr. unif, n°1, 1999, p. 12. 892 G. TATY, « Pluralité des juridictions régionales dans l’espace francophone et unité de l’ordre juridique communautaire : problématiques et enjeux », rencontre inter juridictionnelle- Cour de justice UEMOA CEDEAO - CEMAC – OHADA, [http://www.institut-idef.org/Nouvel-article,3304.html]. 361 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 682. Mettre fin aux conflits réels ou virtuels n’est pas impossible, mais relève de l’adoption de mesures conséquentes. Il faudrait repenser les actes fondateurs des organisations que sont notamment l’UEMOA et l’OHADA puisque la situation conflictuelle les concerne le plus. L’idée serait une répartition précise des compétences matérielles entre les organisations et surtout de redéfinir le droit des affaires, tel que conçu en droit de l’OHADA. B. Le conflit de juridictions 683. Les dispositions du Traité peuvent être responsables de ces conflits (1) au même titre que le silence du Traité (2). 1. Les conflits nés des dispositions du Traité fondateur 684. Les difficultés soulevées par les dispositions du Traité. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est la seule juridiction investie du pouvoir de connaître des affaires relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements. L’article 14 alinéa 3 du traité Ohada et l’article 28-C du règlement de procédure déclarent que la CCJA est compétente pour les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au traité ; de telles dispositions semblent claires et ne soulever aucune question. Les juges nationaux qui doivent statuer sur des affaires relevant du droit de l’OHADA, doivent s’en dessaisir. Un autre article vient préciser que « les pourvois en cassation prévus à l’article 14 ci-dessus sont portés devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes ». Ce texte exclut les règlements pour ce qui est des pourvois en cassation. Cela pourrait prêter à confusion dans la mesure où se poserait la question de la disposition qui l’emporte sur l’autre. Cependant, dès lors que les règlements ont pour objet l’application du Traité et non celle des Actes uniformes, les justiciables, dans le cadre d’un recours en cassation, ne peuvent donc être concernés que par les Actes uniformes et non par les règlements qui n’ont pas pour objet l’application des Actes uniformes. Il aurait été préférable de préciser que la compétence de la CCJA est exclusivement limitée aux affaires soulevant les questions relatives aux actes uniformes. 685. Les lacunes des dispositions des Actes uniformes. Certaines dispositions des Actes uniformes renvoient parfois aux dispositions nationales de manière explicite en indiquant clairement que les règles applicables sont celles du droit commun national ou de manière 362 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil implicite en évoquant sans les définir par exemple des notions qui sont définies par les législations nationales. Que devra faire le juge national qui doit statuer sur une affaire qui porte, il est vrai, sur une question réglementée par le droit de l’OHADA mais dont la question essentielle vise des concepts ou règles non définis par ce droit ? Il ne fait aucun doute que concernant de telles règles ou concepts nommés et non définis par le droit uniforme, la recherche de leur définition et de leur nature juridique devrait s’accomplir sur le terrain du droit commun ou de la théorie générale du droit, c’est-à-dire du droit interne ou des principes généraux du droit . Mais une fois une telle recherche effectuée, il est fort à parier que le juge national soit tenté d’appliquer le droit civil national par exemple. Le cas des dommagesintérêts qui peuvent constituer une question de fond du litige lorsqu’ils peuvent être octroyés à une partie au litige mérite qu’on s’y arrête. Que les dommages-intérêts soient ou non cités dans des Actes uniformes, notamment l’article 156 AUPSRVE, ceux-ci ne précisent pas le régime juridique si bien que seul le droit commun peut permettre de les appréhender de manière idoine. 686. La répartition de compétences en matière pénale. Selon l’article 5 alinéa 2 du Traité fondateur de l’OHADA, « les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ». La constitution de l’infraction en droit pénal requiert la réunion d’un élément légal, d’un élément matériel et d’un élément moral. Un fait ne peut être pénalement sanctionné que si la loi le prévoit expressément. Le législateur de l’OHADA et les États membres ont, en la matière, décidé de procéder à une répartition de compétence qui est en faveur de ces derniers. Concrètement, le législateur de l’OHADA prévoit dans les Actes uniformes quel fait est constitutif d’une infraction et est donc passible d’une sanction. Mais le soin est laissé à chaque État de déterminer la sanction pénale. Le droit pénal des sociétés en est un exemple. En matière juridictionnelle, l’article 14 alinéa 3 du Traité révisé ne paraît pas très précis : « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des États parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ». Que faut-il entendre par « à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales » ? La compétence de la CCJA est-elle totalement écartée en matière pénale ? Les juridictions nationales saisies en matière pénale ont-elles une compétence exclusive ? 363 La Relation du droit de l’OHADA au droit civil 687. La distinction entre l’incrimination et la sanction pénale. La première approche serait de répondre par l’affirmative, mais elle n’est pas satisfaisante dans la mesure où il est important de faire la distinction entre l’incrimination et la sanction pénale. La CCJA serait alors compétente pour se prononcer sur le texte d’incrimination et les juridictions nationales suprêmes traiteront de l’aspect répressif. Une solution tout aussi peu satisfaisante dans la mesure où elle est source de complexité. Le Professeur Roger MASAMBA pointe bien du doigt cette complexité lorsqu’il explique que « la justice devient acrobatique et repose sur une distribution paradoxale et spectaculaire : la CCJA apprécie la qualification de l’infraction et la Cour de cassation nationale porte son examen sur la légalité de la sanction. Cette mixité procédurale doit susciter une réflexion incitant à rechercher la solution adéquate, laquelle consisterait notamment à reconnaître à la CCJA une compétence en matière de sanctions pénales, sans nécessairement que l