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Tnèse La relation Droit OHADA et droit civil

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UNIVERSITÉ PARIS 13
UFR DROIT – SCIENCES
POLITIQUES ET SOCIALES
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS 13
Discipline : DROIT PRIVÉ
Présentée et soutenue publiquement par
Mariama Maty DIABY
Le 12 décembre 2019
Titre :
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
- Directeur de thèse –
Monsieur Mustapha MEKKI, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris
13 (Sorbonne Paris Nord)
- Membres du jury Madame Nathalie BLANC, Agrégée des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 13
(Sorbonne Paris Nord)
Monsieur Philippe CHAUVIRÉ, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université de
Lorraine (Rapporteur)
Monsieur Bernard HAFTEL, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Paris
13 (Sorbonne Paris Nord) (Président)
Madame Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Agrégée des facultés de droit, Professeur à
l’Université de Dschang
Monsieur Henri Bebey MODI KOKO, Agrégé des facultés françaises de droit, Doyen de la
faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang (Rapporteur)
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
L’Université Paris 13 (Sorbonne Paris Nord) n’entend donner aucune approbation ou
improbation aux opinions émises dans les thèses, ces opinions doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.
II
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
REMERCIEMENTS
Mes premiers et vifs remerciements vont à l’endroit de Monsieur le Professeur Mustapha
MEKKI, pour l’honneur qu’il m’a fait en acceptant d’encadrer ce travail de recherche et pour
m’avoir accompagnée à chaque étape. Sa rigueur, sa confiance, son soutien, ses précieux
conseils et son humanisme, ont été d’un apport inestimable à la réalisation puis
l’aboutissement de ce travail. Je tiens à lui exprimer ma plus grande reconnaissance.
Je remercie également les Professeurs Nathalie BLANC, Rachel Yvette KALIEU ELONGO,
Philippe CHAUVIRÉ, Bernard HAFTEL et Henri Bebey MODI KOKO, pour l’honneur
qu’ils m’ont fait en acceptant d’être membres du jury de ma soutenance ainsi que pour le
temps qu’ils m’ont accordé et leurs précieux conseils.
Mes remerciements sont également adressés,
À l’équipe de l’IRDA, spécialement à Mesdames Claudine MOUTARDIER, Pascaline
ADONAI et Sandrine CARON, pour le soutien et la disponibilité.
À mes amis et proches pour les encouragements.
À mon époux, ce compagnon de vie, que je remercie pour son indéfectible soutien et son
investissement.
À mon frère et mes sœurs sur qui j’ai toujours pu compter.
Je ne saurais oublier mon père et ma mère, sans qui je ne serai pas là aujourd’hui. Aucun mot
ne suffirait pour les remercier de leur soutien moral, matériel, spirituel et les sacrifices
consentis.
Ce travail n’est que le fruit de la contribution de plusieurs personnes qui ont permis de le
parfaire. Que toutes reçoivent mes sincères remerciements pour leur participation utile et
indispensable.
III
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
RÉSUMÉ
L’OHADA a été mise en place dans l’objectif de réaliser une intégration économique par le
biais d’une intégration juridique. Le droit de l’OHADA, porteur de l’œuvre d’intégration
juridique, avait vocation à devenir le cadre normatif de référence. Sa force obligatoire devait
lui permettre de s’imposer au droit des États membres. Si la question de l’avenir du droit
commercial ou du droit des affaires national n’a pas soulevé de difficulté particulière, il en a
été différemment pour le droit civil national. La présente étude revient sur la relation qui
existe entre le droit de l’OHADA et le droit civil, entendu le droit civil national. Une relation
qui met en lumière, une influence : celle du droit de l’OHADA sur le droit civil national.
Ainsi, dans une première partie, l’étude montre que l’influence du droit de l’OHADA sur le
droit civil national est consacrée. Elle est fondée sur le dispositif institutionnel qui porte le
droit de l’OHADA, avant d’être consacrée de manière substantielle.
Dans une deuxième partie, l’étude relativise l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil
national, en ce qu’elle est limitée. Sont en cause l’omniprésence du droit civil dans la
construction du droit de l’OHADA et l’autonomie limitée du droit de l’OHADA.
ABSTRACT
OHADA was set up to achieve economic integration through legal integration. The right of
the OHADA, the bearer of the work of legal integration, was destined to become the reference
normative framework. Its binding force should enable it to impose itself on the law of the
Member States. If the question of the future of commercial law or national business law did
not raise any particular difficulty, it was different for civil law. This study examines the
relationship between OHADA law and civil law, understood as national civil law. A
relationship that highlights, an influence: that of the law of OHADA on the national civil law.
Thus, in the first part, the study shows that the influence of OHADA law on national civil law
is consecrated. It is based on the institutional framework that bears the right of the OHADA,
before being devoted substantially.
In the second part, the study relativizes the influence of OHADA law on the national civil
law, in that it is limited. Are involved, the omnipresence of the civil law in the construction of
the right of the OHADA and the limited autonomy of the right of the OHADA.
IV
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
SOMMAIRE
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
Première partie. UNE INFLUENCE CONSACRÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE
DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES............................................................................ 23
Titre 1. LES FONDEMENTS INSTITUTIONNELS DE L’INFLUENCE DU DROIT DE
L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES .................. 25
Chapitre 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, FONDEMENTS DE LA SOUMISSION DU
DROIT CIVIL NATIONAL AU DROIT DE L’OHADA .................................................... 26
CONCLUSION DU CHAPITRE.......................................................................................... 86
Chapitre 2. UNE ORGANISATION JUDICIAIRE COMMUNAUTAIRE ET UN
ARBITRAGE RÉGIS PAR LE DROIT DE L’OHADA ...................................................... 87
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 144
CONCLUSION DU TITRE 1 ............................................................................................. 145
Titre 2. LES FONDEMENTS DE L’INFLUENCE SUBSTANTIELLE DU DROIT DE
L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES ................ 147
Chapitre 1. LES MUTATIONS STRUCTURELLES DU DROIT CIVIL NATIONAL DES
ÉTATS MEMBRES ............................................................................................................ 148
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 194
Chapitre 2. LES MUTATIONS DU DROIT SUBSTANTIEL EN VIGUEUR AU SEIN
DES ÉTATS MEMBRES ................................................................................................... 195
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 249
CONCLUSION DU TITRE 2 ............................................................................................. 250
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ................................................................. 251
Deuxième partie. L’INFLUENCE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA SUR LE
DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES.......................................................................... 253
Titre 1. L’OMNIPRÉSENCE DU DROIT CIVIL NATIONAL DANS LA
CONSTRUCTION DU DROIT DE L’OHADA ................................................................ 255
Chapitre 1. UN DOMAINE DU DROIT DE L’OHADA MARQUÉ PAR LE DROIT CIVIL
NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES ............................................................................. 256
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 296
V
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 2. DES RÈGLES ET PRINCIPES MARQUÉS PAR LE DROIT CIVIL
NATIONAL ........................................................................................................................ 297
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 342
CONCLUSION DU TITRE 1 ............................................................................................. 343
Titre 2. L’AUTONOMIE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA .................................. 344
Chapitre 1. LES FAIBLESSES DU DROIT DE L’OHADA ............................................. 344
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 395
Chapitre 2. L’ABSENCE D’AUTOSUFFISANCE DU DROIT DE l’OHADA ............... 396
CONCLUSION DU CHAPITRE........................................................................................ 448
CONCLUSION DU TITRE 2 ............................................................................................. 449
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ................................................................ 450
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................. 452
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 457
INDEX ALPHABÉTIQUE .................................................................................................. 482
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... 485
VI
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ET SIGLES
Aff.
Affaire
Art.
Article
Ass. Plén.
Assemblée plénière
A.U
Acte uniforme
AUA
Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage
AUDCG
Acte uniforme portant sur le droit commercial général
AUDSCGIE
Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique
AUPCAP
Acte uniforme portant organisation des procédures collectives
d’apurement du passif
AUPSRVE
Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution
AUS
Acte uniforme portant organisation des sûretés
Bull. civ.
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambres civiles
BICC
Bulletin d’Information de la Cour de cassation
CA
Cour d’appel
Cass. civ. 1ère
Première Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. civ. 2ème
Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. civ. 3ème
Troisième Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com.
Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation
CCJA
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
CEDEAO
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
CEDH
Convention européenne des droits de l’Homme
CEMAC
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
Ch.
Chambre
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes, devenue CJUE
CJUE
Cour de justice de l’Union européenne
CNUDCI
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
COCC
Code des obligations civiles et commerciales
VII
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CVIM
Convention de Vienne ( des Nations Unies) sur les contrats de vente
internationale de marchandises
Coll.
Collection
D.
Recueil Dalloz Sirey
D. Aff.
Dalloz affaires
Dr. et Patrim.
Droit et Patrimoine
éd.
Édition ou éditeur
ERSUMA
École régionale supérieure de la magistrature
FCFA
Franc de la coopération financière en Afrique (Centrale)/ Franc de la
communauté financière d’Afrique (de l’Ouest)
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
Infra
Ci-dessous
JCP E
La semaine juridique, édition entreprises et affaires
JCP G
La semaine juridique, édition générale
JO
Journal officiel
JO OHADA
Journal officiel de l’OHADA
L.G.D.J
Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA
Les petites affiches
Obs.
Observations
OHADA
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
OHADATA-D
Référence électronique permettant de retrouver un article de doctrine sur le
site internet de l’association UNIDA, www.ohada.com.
OHADATA-J
Référence électronique permettant de retrouver une décision de justice sur
le site internet de l’association UNIDA, www.ohada.com.
Op. cit.
Opere citato
PME
Petites et moyennes entreprises
P.U.A
Presses universitaires d’Afrique
P.U.AM
Presses universitaires d’Aix-Marseille
P.U.F
Presses universitaires de France
RDAA
Revue du droit des affaires en Afrique
RDUA
Revue de droit uniforme africain
VIII
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Rép. com.
Répertoire commercial
Rev. dr. Unif.
Revue de droit uniforme
RIDC
Revue Internationale de Droit Comparé
RJDA
Revue de jurisprudence de droit des affaires
RRJ
Revue de la recherche juridique
RTD civ.
Revue trimestrielle de droit civil
RTD com.
Revue trimestrielle de droit commercial
Spéc.
Spécialement
Supra
Ci-dessus
T. com.
Tribunal de commerce
TGI
Tribunal de grande instance
TPI
Tribunal de première instance
Traité OHADA
Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 instituant l’OHADA
Traité révisé
Traité de Québec du 17 octobre 2008 portant révision du traité OHADA
UEMOA
Union économique et monétaire ouest-africaine
UNIDA
Association pour l’unification du droit en Afrique
V.
Voir
IX
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
INTRODUCTION
1.
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) et
le droit de l’OHADA. La création de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA) n’a pas été limitée à la mise en place d’organes et d’institutions
affectés à l’atteinte des objectif d’intégration. Un dispositif juridique a été élaboré, conçu par
le législateur de l’OHADA en qualité de vecteur de ladite intégration par le biais de
l’harmonisation même si plusieurs aspects d’uniformisation ont été relevés. Dans un contexte
où la montée en puissance des théories souverainistes en Afrique était affirmée, la question de
la place du dispositif juridique de l’OHADA s’est très tôt posée. D’où la nécessité que soit
porté un intérêt particulier à la question de norme puis à celle de source notamment. La
légitimité de tout dispositif juridique, donc du droit de l’OHADA, en étant tributaire.
2. L’équilibre et la norme. La notion d’équilibre renvoie à l’idée de dualité, de paires, de
binômes, de duo ou duel, de faces, de facettes. Le Ying coexiste avec le Yang, le jour avec la
nuit, le diurne avec le nocturne, le « spleen avec l’idéal »1. La conscience collective valide ce
raisonnement consistant en l’appréhension d’une notion, d’un concept, dans un rapport
d’opposition avec l’autre. Ainsi, soit, l’on est membre à part entière de la société au sein de
laquelle l’on vit en ce que l’on rentre dans le « cadre » fixé, soit, toujours dans une approche
de dualité, l’on en est exclu, parce qu’évoluant en dehors du cadre. Les actions sont guidées
par un fil conducteur, une notice, en vertu desquels elles sont réputées « normales »,
empreintes de « normalité »2, en phase avec « la norme ». Norme qui est appréciée non pas
dans une approche de contradiction avec une autre notion, mais dans un rapport de presque
synonymie, de complémentarité. En effet, « norme » et « droit » sont employés à la définition
du cadre commun de la vie en communauté. Et dans la mesure où les actes sont aux antipodes
avec ce cadre, l’on ne peut prétendre à notre place dans la société. En clair, « le normal » agit
comme « principe de coercition »3. Agir dans le cadre de la normalité, assure notre intégration
sociale et dans l’hypothèse inverse, notre exclusion.
1
Le spleen caractérisant un état de souffrance qui s’oppose à l’idéal.
2
Suivant un modèle de conduite.
3
M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, 1993, p. 216.
1
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
3.
La norme et le droit. La norme est une notion englobante qui renferme celle de « droit »,
si bien que l’on s’interroge sur « la force de la norme en droit »4. La question est cruciale,
dans la mesure où elle a pour corollaire, l’effectivité de la norme, son application par ses
destinataires. La force attachée à la norme, au droit, est multiforme. Ce peut être « la force
obligatoire, la force contraignante ou coercitive, la force exécutoire, la force décisoire, la force
de chose jugée, la force probante, la force publique, la force majeure, etc. Chacune de ces
forces oblige et impose »5. L’importance de la question a amené des juristes de spécialités
diverses à se prononcer. Ainsi, selon le Professeur Denis Mazeaud, la force de la norme en
droit réside dans le fait qu’ « on croit qu’elle est obligatoire. C’est la croyance légitime dans
son caractère obligatoire. En raison de son ancienneté, de sa conception, de l’autorité qui l’a
édictée »6. Le Professeur Mustapha MEKKI, poursuit pour dire que « la force des normes en
droit réside également dans la confiance des destinataires, professionnels et sujets de droit, des
normes en droit »7. La norme est porteuse d’un impératif, celui de réaliser une conformité.
Mais alors, comment appréhender ces deux notions de « norme » et de « droit » ? « Le droit
est un ensemble de règles de conduite qui, dans une société donnée et plus ou moins
organisée, régissent les rapports entre les hommes »8. Ainsi défini, le droit peut être intégré au
concept de norme pris dans une approche large. « Instrument de référence »9, ce terme de
norme peut être utilisé pour désigner un concept plus général que celui de règle ou de loi. Ce
serait également « un énoncé explicite ou implicite, qui dicte un comportement » 10. « Ce qui
fournit un modèle, que celui-ci relève de l’obligatoire, modèle imposé, ou simplement du
souhaitable ou du possible, modèle proposé »11. L’illustre Hans KELSEN explique que « ce
4
C. THIBIERGE, La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009.
5
C. THIBIERGE, La force normative, op.cit., p. 43.
6
D. MAZEAUD, in La force Normative : Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009, p.
859.
7
M. MEKKI, in La force Normative : Naissance d’un concept, ibid.
8
F. TERRE, Introduction générale au droit, 10e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°3, p.3.
C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règle de
droit », Tome 51., A.P.D, 2008, p. 254.
9
10
F. TERRE, « Forces et faiblesses de la norme », in La force normative, Naissance d’un concept, Paris,
L.G.D.J, Bruylant, 2009, p. 19.
11
C. THIBIERGE, « Le droit souple », RTD civ, 4, 2003, p. 619.
2
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
qui est exprimé, c’est l’idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu’un
homme doit se conduire d’une certaine façon. La norme est un devoir être » 12.
4.
Les sources du droit. Phénomène social c’est-à-dire qui naît, se développe, se transforme
dans le cadre social, le droit ne saurait être mieux appréhendé, mieux compris qu’à travers ses
sources. Sources multidimensionnelles, multiformes, dont le nombre n’est pas fixé de manière
stricte et unanime à l’instar de la définition. Il est communément admis de renvoyer l’idée de
source à la métaphore qui veut qu’une source soit « de l’eau qui sourd, qui jaillit de la
terre »13,
renvoyant
ainsi
à
l’idée
d’« origine,
de
provenance,
ou
lieu
d’approvisionnement »14 . En utilisant l’expression « Fons legum et juris »15, Cicéron s’est
positionné comme le père de la métaphore, « source du droit ». La notion de « source » est
essentielle en droit, en ce que tout raisonnement juridique prend forme à partir de son
identification. Attention cependant, à ne pas superposer comme étant les deux faces identiques
d’une même pièce, la source et l’origine. Ces deux notions ne coïncident pas toujours. Il est
distingué « la source de changement juridique, appelée origine ou source historique par
certains, et la source du droit, qui est la prémisse »16. Comme le précise Stefan
GOLTZBERG, « contrairement à la question de la théorie des origines du droit, la question
des sources du droit est un détour pour traiter un point éminemment pratique, celui de
l’acceptabilité des prémisses de l’argumentation »17.
5.
La subdivision du droit en branches. La dichotomie réalisée et qui veut que le droit soit
subdivisé en branches, droit privé/droit public, en familles, cultures juridiques, droit romanogermanique-Common law notamment, multiplie également les sources du droit. Même si des
sources dites classiques telles que la loi, la coutume, la doctrine, la jurisprudence sont admises
de manière consensuelle, encore que l’affirmation mérite d’être nuancée quant aux deux
12
H. KELSEN, Théorie pure du Droit, Trad. Fr. EINSENMANN, 2e éd., Paris, Dalloz, 1962, pp. 6-7.
13
S. GOLTZBERG, Les sources du droit, 2e éd., mise à jour, Paris, P.U.F, Coll. Que sais-je, 2018, p. 7.
14
S. GOLTZBERG, Les sources du droit, ibid.
15
Source des lois et du droit.
16
A. WATSON, Sources of Law, Legal Change, and Ambiguity, Philadelphia, University of Pennsylvania Press,
1998, p. 102.
17
S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op.cit., pp. 10-11. Selon l’auteur « le juriste sélectionne une source de
droit pour soutenir une conclusion : il invoque un article de loi en vertu duquel il considère que son client est
innocent, (…), un traité de droit civil pour justifier telle interprétation d’une loi destinée à conforter sa
conclusion, un précédent afin que la décision soit prise de telle ou telle manière ».
3
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dernières citées, il reste que les sources du droit sont loin d’être monochromes. Nous en
voulons pour preuve, l’évolution des sources du droit et la distinction des sources. La
principale distinction est celle qui s’attache à séparer les sources formelles du droit des autres
sources. Le Doyen François GENY présente les sources formelles du droit comme « les
injonctions d’autorités, extérieures à l’interprète et ayant qualité pour commander à son
jugement, quand ces injonctions, compétemment formées, ont pour objet propre et immédiat
la révélation d’une règle, qui serve à la direction de la vie juridique » 18. Il en ressort, les
caractères coercitif et autonome des sources formelles. Autonomie par rapport à « l’opérateur
juridique »19. Toujours selon l’auteur, « loi écrite, coutume, tradition ou autorités, voilà, dans
leur ordre hiérarchique, dessiné par les faits eux-mêmes, la série des sources formelles, dont
nous devrons estimer la puissance »20.
6.
L’idée de source en droit comparé. Le droit comparé n’ignore pas les sources du droit,
bien au contraire. Ces sources ont abondamment nourri la définition et la détermination des
différents systèmes juridiques. « Les sources du droit font partie des cinq (5) paramètres du
droit comparé au côté du développement historique, la pensée juridique, les institutions
particulières et l’idéologie »21. Par ailleurs, « le droit comparé peut être perçu comme la
comparaison, d’une part, des différentes ontologies juridiques et, d’autre part, des différentes
logiques juridiques »22. En la matière, sont traditionnellement distinguées, la famille romanogermanique ou encore système de droit civil et la famille ou système de la Common law. S’y
ajoutent des systèmes liés à des civilisations et des systèmes jugés mixtes.
7.
La densification des sources du droit. Aujourd’hui, force est de constater que les
échanges, les relations internationales ont fait peau neuve. La nouvelle société mondiale est
celle de la globalisation, de la mondialisation, de la définition et de la mise en place de pôles
de développement suivant la zone géographique, les intérêts en cause, le domaine concerné.
Avec l’avènement de pôles de développement visant à terme, la construction de pôles
18
F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique, Tome I, Paris, L.G.D.J,
1995, p. 237.
19
S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op.cit., p. 28.
20
F. GENY, op. cit., pp. 238-239.
21
K. ZWEIGERT, H. KÖTZ, Introduction to comparative Law, Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 6872.
22
S. GOLTZBERG, Les sources du droit, op. cit., p. 109.
4
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
économiques forts, l’on assiste à une redéfinition des zones d’influence à l’échelle régionale
et mondiale. Une redéfinition qui s’accompagne de la multiplication des acteurs
internationaux. À ces phénomènes, l’on doit la densification des sources du droit et les
mutations de la norme. Le foisonnement des sources du droit est devenu un phénomène
majeur, contre-révolutionnaire, postmoderne et baroque23. Au-delà d’une mutation de la
norme, l’on assiste surtout à un renouvellement des sources du droit qui n’a rien de surprenant
dans la mesure où le « pluralisme juridique »24 n’est pas contesté. Nous sommes à l’ère de
« l’émergence de paradigmes »25. Cette émergence « insuffle une révolution qui s’opère
d’abord au niveau de l’imaginaire juridique. La créativité conceptuelle se déploie sur de
nouvelles terres. Des concepts, notions ou principes juridiques jusqu’alors inconcevables
peuvent être formulés »26. La pluralité domine l’univers juridique pourtant reconnu et perçu
comme marqué au fer rouge par l’orthodoxie. Les mutations de l’univers juridique emportent
ce « classicisme » qui avait cours et fait apparaître l’idée de renouveau, de renouvellement.
Les acteurs, sujets de droit, autorités édictant les règles de droit, les règles coercitives
changent. Par exemple, le législateur est désormais concurrencé par d’autres acteurs. « Le
législateur ne peut plus revendiquer le monopole de la production normative en raison de la
complexité de l’objet de la loi tenant à sa technicité, sa dématérialisation ou encore son
internationalisation, une complexité à laquelle s’ajoute la difficile gestion du temps législatif
dans une société de l’instantanéité. De nombreuses sources concourent désormais à la création
du droit, l’inspirant parfois, s’imposant à lui d’autres fois » 27 .
23
J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 27e éd. refondue, Paris, éd. P.U.F, Coll. Thémis Droit privé, 2002,
n° 106, p. 205.
24
B. BARRAUD, Mesurer le pluralisme juridique, une expérience, Paris, l’Harmattan, 2017, p. 13. Selon
l’auteur, le pluralisme juridique désigne « une situation dans laquelle coexistent effectivement, à l’échelle d’une
branche du droit et d’un espace étatique donnés, des sources étatiques et des sources privées de règles de droit ».
V. également, B. BARRAUD, Théories du droit et pluralisme juridique, Tome I : les théories dogmatiques du
droit et la fragilité du pluralisme juridique, Aix-en-Provence, P.U.A.M, Coll. Inter-normes, 2016.
25
C. THIBIERGE, La force normative : naissance d’un concept, op.cit., p. 179.
26
C. THIBIERGE, La force normative, op.cit., p. 180.
27
C. ZOLYNSKI, « Questions de légistique soulevées par la construction de la norme à l’aune du
renouvellement des sources du droit », in Les mutations de la norme : le renouvellement des sources du droit, N.
MARTIAL-BRAZ, J.-F. RIFFARD, M. BEHAR-TOUCHAIS (sous. Dir.), Paris, éd. Economica, 2001, n° 1,
p.51.
5
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
8.
L’heure est à l’essor des règles supplétives, optionnelles qui mettent en exergue la force de
la volonté des destinataires de la norme. De manière concrète, il revient aux destinataires de
choisir d’appliquer la norme en question, dans la mesure où elle est facultative28. Le
Professeur Pascale DEUMIER, le précise d’ailleurs, « la force normative optionnelle est
attachée à une norme dont la force juridique est dépendante d’une option exercée par ses
destinataires, qui peut prendre la forme d’une acceptation ou d’une non-exclusion »29. En la
matière, il est important de relever que l’option ouverte aux destinataires de la norme est
permise par les prévisions de chaque système juridique, chaque ordre juridique.
9.
La nécessité de l’intégration juridique. Le mouvement de renouvellement des sources
est accompagné par un mouvement « d’intégration » qui peut être entendu comme « la
recherche d’un droit commun, ou plutôt d’un droit en commun, d’une mesure commune, qui
permettrait de communiquer et d’ échanger, de commercer, dans tous les sens du terme, mais
sans exclure la multiplicité des systèmes juridiques nationaux »30. À l’échelle internationale,
l’Union européenne s’est imposée comme un modèle parfait d’intégration et par le biais de ses
organes comme une source, une « force créatrice »31 du droit. Regroupant à ce jour vingt-huit
pays, l’Union européenne a été créée, le 7 février 1992 par le Traité de Maastricht32 après un
long processus dont le point de départ fut la déclaration de de Robert Schuman le 9 mai
195033. L’objectif est clair et affirmé dès que l’Organisation est portée sur les fonts
baptismaux : mener une politique d’intégration économique portée par la zone euro et
l’introduction de l’euro34, dans un souci de stabilité. L’Union européenne, c’est aussi et
28
C. PERES-DOURDOU, La règle supplétive, Tome 421, Paris, LGDJ, 2004, n°112, p. 105.
29
P. DEUMIER, « La force normative optionnelle », in La force normative : naissance d’un concept, Paris,
L.G.D.J, Lextenso éditions, 2009, p. 165.
30
M. DELMAS-MARTY, Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des
droits, Paris, P.U.F, 2004, pp. 14-15.
31
G. RIPERT, Les Forces créatrices du droit, Paris, L.G.D.J, 1955, n°30, p. 84. « Ce sont toutes les forces qui
peuvent imposer une règle de nature juridique ».
32
Le Traité de Maastricht entre en vigueur le 1er novembre 1993 et organise l’Union européenne autour de trois
(3) piliers : les communautés européennes, la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité
commune, la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures.
33
Alors Ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman propose la création d’une Communauté
Européenne du Charbon et de l’Acier. La CECA naît ainsi et rassemble la France, l’Italie, l’Allemagne de
l’Ouest, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
34
L’euro est la monnaie officielle de 19 des 28 pays membres de l’UE.
6
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
surtout un « marché unique » qui garantit la libre circulation des biens, la libre circulation des
capitaux, la libre circulation des services et la libre circulation des personnes. Dans la mesure
où, la mise en œuvre de règles communes et de règles simplement, nécessite la mise en place
d’un cadre, l’œuvre de l’Union européenne s’appuie sur des organes, institutions et un
dispositif juridique. Ainsi, le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil de l’Union
européenne, la Commission européenne, la Cour de Justice de l’Union européenne, la Banque
centrale européenne et les autres organes et institutions assurent le fonctionnement de
l’organisation dans le domaine qui est le leur.
10. Une intégration économique aboutie ne saurait faire l’impasse sur une intégration
juridique efficiente. L’intervention de trois institutions dans le processus législatif témoigne
de l’importance accordée à cet aspect de l’intégration. Le Parlement européen, le Conseil de
l’Union européenne et la Commission européenne utilisent la «procédure législative
ordinaire» pour élaborer les politiques et la législation mises en œuvre dans toute l’Union
européenne35. Le droit de l’Union est assez puissant dans la mesure où il s’intègre aux droits
nationaux des États membres qui ont consenti à déléguer une part de leur souveraineté en
raison de leur adhésion à ladite Union. Le caractère supranational de l’Union européenne est
étendu au droit qu’elle sécrète, droit communautaire dont la primauté sur les législations
nationales en cas de conflits a été très tôt affirmée par l’Arrêt COSTA contre ENEL36.
11. Une intégration multiforme. L’intégration ne doit pas être observée exclusivement sous
le prisme de l’Union européenne. L’intégration est multiforme, plurielle, mettant en place des
relations horizontales ou verticales, des mécanismes souples ou rigides. « Ces relations
reposent rarement sur une stricte hiérarchie des normes (unification), mais le plus souvent sur
une hiérarchie assouplie par une marge nationale d’appréciation explicite ou implicite
(harmonisation) »37. « Alors que l’unification impose des règles précises auxquelles les États
sont tenus de se conformer à l’identique, l’harmonisation se contente d’un rapprochement
autour de principes communs »38. De manière plus précise, l’harmonisation est une modalité
35
https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies_fr#les-institutions-et-organes-de-l’ue-en-bref.
36
CJCE, 15 juillet 1964, Costa/Enel, Affaire 6/64.
37
M. DELMAS-MARTY, Critique de l’intégration normative, op.cit, p. 17.
38
M. DELMAS-MARTY, « Le phénomène de l’harmonisation : l’expérience contemporaine », in Ch. JAMIN,
D. MAZEAUD (sous. Dir.), L’harmonisation du droit des contrats en Europe, Paris, Economica, 2001, p. 23 et
s.
7
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
assez souple d’intégration qui laisse une marge de manœuvre à ceux à qui la norme est
destinée. L’harmonisation est le cadre par excellence d’expression du pluralisme juridique et
a la préférence de l’Union européenne, puisque les directives constituent les instruments les
plus usités et les plus usuels. Les directives se distinguent des règlements, en ce qu’elles
« fixeraient des principes directeurs, feraient usage de droit flou et non de règles précises »39.
Leur force n’est cependant pas négligeable dès lors que « la transposition des directives doit
se faire au sein d’un terrain propice à la réception de la norme »40. L’obligation à la charge des
États est une « obligation de ne pas faire »41 selon le Professeur Romain BOFFA. Même s’il
est clairement établi que l’effet direct « horizontal » est inexistant pour ce qui est des
directives42.
12. Par opposition, l’unification est la substitution d’un ordre unique à la pluralité des ordres
juridiques. Elle ne laisse aucune marge d’appréciation aux pays membres de l’Organisation.
La complexité de ces approches s’intensifie en ce que l’uniformisation est également un mode
d’intégration juridique pensé comme marquant la jonction, le point d’ancrage entre
l’unification et l’harmonisation. Simplement, l’uniformisation permet l’insertion de règles
identiques dans les ordres juridiques considérés. Le parti d’appréhender l’unification et
l’uniformisation par un rapport de synonymie a été pris. Cette approche n’emporte pas notre
totale adhésion. L’unification à vocation à effacer, gommer toute différence entre les textes,
tandis que l’uniformisation vise simplement à intégrer des règles identiques dans des
ensembles pouvant être hétérogènes.
13. L’efficacité des méthodes d’intégration. La question qui s’est posée face à cette
hétérogénéité de méthodes d’intégration est celle de leur efficacité. Encore que l’efficacité de
la norme soit fortement sinon exclusivement tributaire de son effectivité, de la production de
l’effet recherché. Fallait-il plébisciter la souplesse portée par l’harmonisation ou la rigidité de
l’unification ? La part de souveraineté plus importante accordée aux États membres n’est-elle
pas néfaste à l’effectivité du droit communautaire? De l’intégration ? La rigidité voulue par
39
M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, Paris, P.U.F, 1986.
40
R. BOFFA, « La force normative des directives non transposées », in La force normative, naissance d’un
concept, op.cit., p 325.
41
V. à ce propos notamment, CJCE, 18 déc. 1997, Inter-Environnement Wallonie, aff. C-129/96, Rec., p.I-7411.
42
CJCE, 26 fév. 1986, aff. 152/84, Marshall c/ Southampton and South-West Hampshire Area Health Autority,
Rec. CJCE, 1986, p. 723.
8
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’unification n’est-elle pas un gage de sécurité juridique dès lors que les caractères de
prévisibilité, de stabilité sont garantis ? Il est majoritairement admis que l’harmonisation reste
la forme la plus respectueuse de la souveraineté de l’État. Loin de prendre position en faveur
de l’une ou l’autre méthode, certaines organisations ont pris le parti d’avoir recours aussi bien
à l’unification qu’à l’harmonisation.
14. L’OHADA
et
sa
méthode
d’intégration
singulière.
L’Organisation
pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, OHADA, comme énoncé plus haut, en fait
partie. Elle a été créée par le Traité de Port Louis le 17 octobre 1993, entré en vigueur le 18
septembre 1995 et révisé le 17 octobre 200843 à Québec. Selon l’article 46 du Traité,
« L’OHADA a la pleine personnalité juridique internationale. Elle a en particulier la capacité :
de contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer, d’ester en justice ».
Organisation internationale dotée de la personnalité juridique internationale, l’OHADA
regroupe dix-sept (17) pays, essentiellement des anciennes colonies françaises, dans lesquels
la réglementation des affaires est « harmonisée » : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores,
Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée, Guinée Équatoriale, Mali, Niger,
République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo.
L’adhésion n’est pas exclusivement réservée aux pays africains contrairement aux idées
reçues. En effet, peuvent adhérer à l’Organisation les pays membres de l’Organisation de
l’Union Africaine (OUA) devenue Union Africaine (UA) et les pays qui n’en sont pas
membres, mais invités du commun accord de tous les États Parties.
15. L’affirmation de l’objectif d’harmonisation. L’article 1er du Traité relatif à
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires énonce sans ambages l’objectif poursuivi par
la création de l’OHADA. Il précise que « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du
droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes
simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de
procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le
règlement des différends contractuels ». Ainsi, l’organisation a pour objectif principal
l’harmonisation du droit des affaires entre les dix-sept États membres qu’elle regroupe. À
terme, l’instauration d’une communauté économique est recherchée. Le préambule du Traité
portant création de l’OHADA prévoit en ce sens que « les hautes parties contractantes sont
déterminées à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine et à établir un
43
Ce nouveau traité est entré en vigueur le 21 mars 2010.
9
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
courant de confiance en faveur des économies de leur pays en vue de créer un nouveau pôle
de développement en Afrique ; et qu’elles réaffirment leur engagement en faveur de
l’institution d’une communauté économique africaine »44.
16. La volonté de créer un nouveau pôle de développement économique prend tout son sens
lorsque l’on se réfère à l’histoire de la création de l’OHADA. L’avènement de l’OHADA
intervient dans un contexte particulier de crises économiques en Afrique subsaharienne, avec
toutes les conséquences néfastes que cet état de fait peut avoir. Remontons le temps de
quelques années pour une meilleure perception des conditions de la création de l’OHADA.
Nous sommes au lendemain des indépendances, la déferlante des années 1960. Les nouvelles
équipes dirigeantes entendent et doivent faire leurs preuves. Quel sort réserver au legs de la
colonisation ? Fallait-il entamer de vastes projets de réforme ? Conserver les textes en l’état ?
Alors que, coexiste avec ces textes, le droit coutumier ? Le droit hérité de la colonisation
connut diverses fortunes. En effet, le Mali et le Niger adoptèrent un Code de commerce
respectivement en 1986 et 1992. Quand le Sénégal se dota d’un Code des Obligations Civiles
et Commerciales dont la partie relative au droit des procédures collectives, était contenue dans
la loi n°76-60 du 12 juin 1976. La conséquence immédiate fut l’apparition de disparités
juridiques qui constituaient alors un frein à la sécurité juridique, pilier essentiel des relations
d’affaires.
17. Création sur fond de crise économique. La crise économique qui sévit dans les années
80 n’est évidemment pas favorable aux pays africains. Les économies africaines perdent la
confiance des investisseurs internationaux, des institutions internationales. Ces économies
sont fortement déficitaires et ne peuvent plus compter sur le secteur primaire, pilier
incontestable et incontesté. Les institutions de Bretton woods impulsent la mise en œuvre de
plans d’ajustement structurels et l’adoption de mesures permettant l’amélioration de la bonne
gouvernance. Regagner au sein de la Société internationale, une place de choix nécessitait
l’instauration d’un climat des affaires sécurisé caractérisé par la sécurité juridique et
judiciaire. L’OHADA a été pensée et conçue pour répondre à ces exigences de sécurisation
des investissements par le biais de l’intégration. La mondialisation45 de l’économie rendant
44
V. Préambule du Traité portant création de l’OHADA.
45
La Mondialisation est présentée comme étant un phénomène d’ouverture des économies nationales sur un
marché mondial libéral, lié aux progrès des communications et des transports, à la libéralisation des échanges,
entrainant une indépendance croissante des pays.
10
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
indispensable le recours à des mécanismes d’intégration pour rapprocher les nations, les
systèmes, les économies. N’est-ce pas vrai que la mondialisation est fondée sur l’ouverture
des économies nationales sur un ensemble plus vaste, un marché mondial ? Le positionnement
sur ce marché international arrimé à des principes directeurs, nécessite une mise à niveau, une
mise en adéquation avec les « codes ». La mise en place d’une organisation communautaire
apte à repositionner les États africains sur l’échiquier international en matière de droit des
affaires, devient alors une évidence.
18. Le cadre institutionnel de l’OHADA. L’OHADA s’appuie sur un système institutionnel
assez dense, qui traduit le transfert de compétences des États membres aux organes de
l’OHADA. En effet, pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont transférés sur les questions
embrassées par le droit OHADA, à des organes précis. Tout d’abord, la Conférence des Chefs
d’État et de gouvernement, organe politique et suprême de l’OHADA, créée lors de la
révision du Traité originel au sommet de Québec du 17 octobre 2008. Elle est compétente
pour connaître de toutes les questions relatives au Traité. Également, un organe politique, le
Conseil des ministres détient le pouvoir normatif. Les fonctions du Conseil des ministres sont
des fonctions législatives et exercées en certains aspects au détriment des parlements des pays
membres. Organe législatif, le Secrétariat permanent est chargé d’assister le Conseil des
ministres et de coordonner la préparation et le suivi de la procédure relative à l’adoption des
Actes uniformes. L’OHADA compte également l’École Régionale Supérieure de la
Magistrature (ERSUMA) qui est une institution ayant pour finalité d’œuvrer à l’amélioration
de l’environnement juridique et judiciaire dans l’ensemble des États membres. Elle
est rattachée au Secrétariat permanent. Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage (CCJA), dont le rôle principal est en vertu de l’article 14 alinéa 1 du
Traité fondateur, « d’assurer l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des
règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions ». Étant entendu
que, le droit dérivé de l’OHADA est constitué par les Actes uniformes, les règlements et les
décisions.
19. Les instruments juridiques au soutien de l’œuvre de l’OHADA. La mise en œuvre de
la mission d’intégration économique par le biais d’une intégration juridique ne saurait
intervenir Ex-nihilo. Elle nécessite le recours à des instruments juridiques particuliers, dotés
d’une force juridique spécifique puisque le but est de rapprocher sinon unifier des législations.
Il a été annoncé une intégration par voie « d’harmonisation » au regard de l’article 1er du
11
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Traité portant création de l’OHADA. Cependant, la lecture des Actes uniformes et les
conditions de la mise en œuvre du droit de l’OHADA mettent en exergue le recours à
l’uniformisation. L’article 546 du Traité fait mention « d’Actes uniformes » pour la réalisation
des objectifs de l’OHADA, avec une mission « d’uniformisation ». De même, les Actes
uniformes sont appliqués en l’état par les États membres de l’OHADA sans qu’il leur soit
accordé la possibilité d’en modifier la forme ou le contenu. Même si, et il est important de
l’indiquer, les règles de renvoi aux législations nationales témoignent des quelques aspects
d’harmonisation que sécrète le droit de l’OHADA.
20. La force des instruments juridiques. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la
« force » des Actes uniformes est fondée sur la portée supranationale du droit de l’OHADA
avec un effet d’éviction sur les droits nationaux des États parties. Une supranationalité qui
place en quelque sorte l’OHADA et le droit de l’OHADA au-dessus des nations, de leurs
gouvernements, de leurs institutions, dépassant les souverainetés nationales. Le siège de ce
caractère supranational est l’article 10 du Traité. Selon cet article, « les Actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Le droit de l’OHADA est d’application
directe et obligatoire dans les États parties, en lieu et place des dispositions de droit interne.
D’application directe, en ce que les règles du droit de l’OHADA déploient la plénitude de
leurs effets d’une manière uniforme dans les États membres, à partir de leur entrée en vigueur
et pendant la durée de leur validité. L’application obligatoire réside dans le caractère impératif
du droit de l’OHADA ; il s’impose donc aux États membres en dépit de l’existence de normes
de droit interne contraires.
21. La portée abrogatoire des Actes uniformes. Les Actes uniformes ont une portée
abrogatoire qui fait obstacle à la survie de normes nationales identiques47 ou contraires48.
46
Selon l’article 5, « les actes pris pour l’adoption des règles communes prévues à l’article premier du présent
Traité sont qualifiés actes uniformes. Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination
pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ».
47
CCJA, Ass. Plén., Avis n° 02/2017 du 16 février 2017. La Haute juridiction a précisé qu’ « est incompatible
avec l’acte uniforme une loi nationale qui adopte des dispositions identiques à l’Acte uniforme ou qui s’en
déduisent ». Incompatibilité emportant éviction de la loi en question en vertu de l’article 10 du Traité portant
création de l’OHADA.
48
V. sur ce point, CCJA, Ass. Plén., Avis n° 02/1999 d 13 Octobre 1999. « L’article 16 du projet de loi malien
relatif à l’habitat déroge à l’article 39 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution en ce qu’il édicte des conditions nouvelles, impératives et restrictives
12
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Dans son célèbre avis du 30 avril 2001, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en
réponse aux questions de la Côte d’Ivoire, précise que « l’article 10 du traité de l’OHADA
contient une règle de supranationalité puisqu’il prévoit l’application directe et obligatoire des
Actes uniformes dans les États parties et leur suprématie sur les dispositions de droit interne
antérieures ou postérieures. En vertu du principe de supranationalité, l’article 10 contient une
règle relative à l’abrogation du droit interne par les Actes uniformes »49. L’abrogation est
réalisée à des échelles variables. Elle est totale lorsque le texte en cause contredit en tous
points un Acte uniforme, ou lui est identique par exemple et partielle en ce que seules les
dispositions à problème sont exclues. Se pose alors la question de la mise en conformité de la
législation nationale au droit de l’OHADA. La conformité se définit en relation avec
l’application d’une norme de référence. La mise en conformité du droit interne des États
membres consisterait à veiller à ce qu’il soit l’exacte application du droit de l’OHADA. Quels
sont les domaines encore ouverts au pouvoir du législateur national ? Un tri et une mise en
harmonie des textes s’imposent aux États membres de l’OHADA.
22. Par ailleurs, le droit de l’OHADA bénéficie de l’application immédiate c’est-à-dire qu’il
s’applique de manière instantanée en tant que tel sans avoir recours au mécanisme de la
transposition50. Ainsi, « il y a intégration de plein droit des normes communes dans les ordres
juridiques nationaux des États-parties, sans l’entremise d’un procédé national de réception
comme une ratification ou une promulgation »51. L’article 952 du Traité de l’OHADA exprime
clairement cette idée puisque traitant de l’entrée en vigueur des Actes uniformes, il indique le
délai de leur publication après l’adoption. Il n’y a aucune indication concernant une
quelconque transposition ou tout autre mécanisme de réception.
pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce ; il est donc contraire et incompatible avec l’article 39
précité ».
49
www.legiafrica.com.
50
Mécanisme de transposition indispensable pour la réception au sein de l’ordre juridique national d’une
directive.
51
G. NGOUMTSA-ANOU, Droit OHADA et conflits de lois, Tome 543, Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions,
Coll. Bibliothèque de Droit privé, 2013, n°9, p. 10.
52
« Les Actes uniformes sont publiés au Journal Officiel de l’OHADA par le Secrétariat Permanent dans les
soixante jours suivant leur adoption. Ils sont applicables quatre-vingt-dix jours après cette publication, sauf
modalités particulières d’entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes. Ils sont également publiés dans les
États parties, au Journal officiel ou par tout autre moyen approprié. Cette formalité n’a aucune incidence sur
l’entrée en vigueur des Actes uniformes ». www.legiafrica.com.
13
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
23. La suprématie du droit de l’OHADA. Il est indubitable que le droit de l’OHADA jouit
d’une suprématie qui s’exerce à l’endroit des législations des États membres. États dont les
pouvoirs législatifs sont tenus de s’éclipser pour le rayonnement du droit « commun ». La
toute-puissance de l’OHADA est porteuse de questions, de débats, dont le plus nourri
demeure celui relatif à la question de la souveraineté des pays membres. Ce transfert de
compétences réalisé de manière ascendante vers l’OHADA, n’emporte pas l’adhésion des
tenants de théories souverainistes. Tout État est caractérisé par l’exercice plein et entier de la
souveraineté qui lui assure le respect de ses pairs et la distinction internationale. Il a donc été
préconisé une plus grande implication des législateurs nationaux dans l’élaboration des Actes
uniformes. Ce à quoi les défenseurs de l’OHADA ont opposé que le Conseil des ministres
était composé de ministres issus des gouvernements des pays membres. La représentation était
malgré tout assurée. Il a de même fallu répondre à la question de la nature du droit de
l’OHADA. Était-il un droit communautaire ? La réponse mériterait d’être affirmative puisque
les normes et règles issues des institutions de l’OHADA, sont communes à ces États qui font
partie d’une « communauté d’États » et qui sont soumis à un droit international particulier.
24. Le domaine étendu et extensif du droit de l’OHADA. Cependant, s’il est une question
qui continue à être posée avec acuité, qui continue de secouer la doctrine, c’est bien celle du
« domaine », du champ d’application matériel du droit de l’OHADA jugé excessivement
étendu et extensif. L’article 2 du Traité dispose que « pour l’application du présent Traité,
entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des
sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et
aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation
judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et
des transports, et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y
inclure, conformément à l’objet du présent Traité et aux dispositions de l’article 8 ».
Comment est-ce possible quand le droit de l’OHADA revendique à cor et à cri, sa qualité de
droit des affaires.
25. Droit des affaires de l’OHADA et droit civil. Droit des affaires, « corpus juridique qui
vise les entreprises, voire les professionnels en général, sans se préoccuper de la qualité de
commerçant. Droit qui est fait du droit commercial et du droit économique »53 et est reconnu
53
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de droit des Affaires, du droit commercial au droit
économique, 19e éd., Paris, L.G.D.J, Lextenso éditions, 2010, n°7, p.5.
14
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
comme un droit spécial, dérogatoire au droit commun entendons par là droit civil, visant à
combler les lacunes du droit commun, à apporter des précisions. L’application du droit des
affaires demeure de ce fait, subordonnée au respect du droit commun, le droit national. Or,
avec l’avènement du droit de l’OHADA, le droit civil, droit de portée générale, doté d’une
place prépondérante au sein du droit privé dans la tradition romaniste, se trouve relégué à un
rang inférieur. En pratique, le juge national n’a d’autre choix que de faire prévaloir le droit
communautaire sur la règle de droit interne en cas de conflit. Conflit qui ne devrait en principe
pas exister dans la mesure où, et cela est unanimement admis, « l’unification entraîne la
suppression des conflits de lois »54. Cette assertion est limitée en ce qui concerne le droit de
l’OHADA puisque l’unification connaît des limites.
26. Le fonds « civiliste » du droit de l’OHADA. Bien que ne concernant en principe que le
droit des affaires, le droit de l’OHADA, du moins les Actes uniformes, traite de questions
relevant, dans la tradition latine, du droit civil. C’est le cas particulier du cautionnement, seule
sûreté personnelle consacrée par le Code civil de l’époque des indépendances, réglementé par
l’Acte uniforme relatif aux sûretés qui lui consacre tout un chapitre, trente-huit articles
précisément, sans se référer au Code civil. Le droit dit spécial semble désormais s’affirmer
comme un droit de portée générale. Le projet de texte en sommeil relatif au droit général des
obligations est représentatif de cette ambiguïté. Il est question d’une sorte d’incohérence étant
entendu que le droit des sûretés est classé dans le droit des obligations, domaine purement
civil. Aussi, devons-nous faire face, à « un rythme d’harmonisation à outrance du droit des
affaires » qui fait craindre une « uniformisation de tout le droit privé général dans l’espace
OHADA »55.
27. Champ de l’étude. Le travail de recherche porte ainsi sur la relation qu’entretient le droit
de l’OHADA avec le droit civil. Le terme « relation » du latin « relatio » renvoie à l’idée de
« rapports de droit ou (et) de fait entre deux ou plusieurs personnes, liens juridiques ou non
54
K. KREUZER, « La communautarisation du droit international privé : les acquis et les perspectives», in L.
VOGEL ( sous. Dir.), Droit global, unifier le droit : le rêve impossible, Paris, éd Panthéon Assas, 2001/1, p. 98 ;
J.-P. PLANTARD, « Un nouveau droit uniforme de la vente internationale : la convention des Nations Unies du
11 avril 1980 », JDI, 1988, p. 32 ; J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, Harmonisation du droit des affaires,
Bruxelles, éd. Bruylant, Coll. Droit uniforme africain, 2002, n°89, p. 42. H. GAUDEMET-TALLON, Le
pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses (le funambule et l’arc-en-ciel), RCADI, Tome
312, 2005, p. 67.
55
F. ONANA ETOUNDI, « Les expériences d’harmonisation des lois en Afrique », in Revue de l’ERSUMA,
droit des Affaires, Pratique professionnelle, n°1 , Juin 2012, p. 19.
15
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
qui les unissent » 56. De manière plus générale, par relation, il convient d’entendre le « lien,
rapport, connexion, corrélation entre des choses ; caractère de deux ou plusieurs objets de
pensée en tant qu’ils sont englobés dans un même acte intellectuel »57. Dans un langage plus
courant, la relation ramène au caractère de deux ou plusieurs choses entre lesquelles existe un
lien. Traiter de la relation qui existe entre le droit de l’OHADA, voulu comme un « droit des
affaires » et le droit civil, droit commun ramènerait à l’éternelle étude des rapports, liens entre
le droit spécial et le droit commun.
28. Une relation caractérisée par l’exercice d’une influence. La relation du droit de
l’OHADA au droit civil met en évidence une influence du premier cité sur le second. Le droit
de l’OHADA exerce une action sur le droit civil, qui subit des transformations, qui est
modelé, qui est sous son emprise. L’influence est exercée en premier lieu, sur le droit
substantiel des États membres. Le droit de l’OHADA règle de plus en plus de questions
relevant en principe du droit civil. En pratique, il semble que le droit interne des États
membres en général et le droit civil en particulier, perdent leurs lettres de noblesse face au
géant OHADA et son « droit harmonisé ». Est en cause, le caractère imprécis du domaine
couvert par le droit de l’OHADA, puisqu’il ressort de l’article 2 du traité que le Conseil des
ministres peut décider d’inclure la matière de son choix au droit des Affaires. La décision du
Conseil des ministres en date du 23 mars 2001, qui vise l’extension du champ de l’œuvre du
législateur de l’OHADA, en est une illustration. Le Conseil des ministres a décidé que « sont
incluses dans le domaine du droit des affaires, les matières ci-après énumérées : le droit de la
concurrence, le droit bancaire, le droit de la propriété intellectuelle, le droit des sociétés
civiles, le droit des sociétés coopératives et mutualistes, le droit des contrats, le droit de la
preuve »58. Ainsi, le caractère extensif et entendu du domaine du droit de l’OHADA l’amène à
y intégrer des matières relevant du droit civil. Et, en raison de son caractère supranational, de
la portée abrogatoire des Actes uniformes, qui sont d’ailleurs d’application directe et
immédiate, le droit de l’OHADA exerce une action sur le droit civil des États membres. Le
dispositif juridique de ces États est profondément transformé.
56
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, éd. P.U.F, Coll. Quadrige, 2014, p. 887.
57
P. ROBERT, Le Petit Robert de la langue française, éd. Le Robert, 2019, p. 2174
58
CM, Décision n° 002/2001 du 23 mars 2001, article 1er.
16
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
29. L’influence exercée sur la structure du droit civil national. La toute-puissance du droit
de l’OHADA est illustrée hormis la supranationalité qui le caractérise, par les changements
qu’il impulse au niveau des fondements structurels du droit commun national des États
membres. Avec l’avènement de ce droit, le droit civil national des États membres est
désormais ce que l’on pourrait appeler un « droit hybride ». En intégrant le dispositif juridique
des États membres, le droit de l’OHADA leur apporte cette mixité qui définit ses principes,
ses destinataires, qui relèvent à la fois du droit privé et du droit public. Le droit de l’OHADA
impose le décloisonnement entre le droit civil et le droit commercial aux États membres. Une
fusion est réalisée et le droit civil national subit une mutation. Intégrant de nouveaux acteurs
tels que « le professionnel », « l’entreprise », des activités nouvelles telles que celles qui sont
économiques, la mutation s’opère par le passage d’un droit civil « pur » à un « droit
économique ». L’influence du droit de l’OHADA est également processuelle. Les institutions
et procédures relevant du droit uniforme intègrent des institutions et opérations
traditionnellement soumises au droit civil.
30. Intérêt de l’étude. L’objectif principal de la présente étude est de porter un regard
critique sur les orientations civilistes du droit de l’OHADA et de mettre en lumière les
conséquences qui en découlent. Aussi, parle-t-on de se prononcer sur les enjeux que
présenterait l’intégration de questions relevant traditionnellement du droit civil au droit des
affaires de l’OHADA. L’intérêt d’une telle étude est d’améliorer l’état de la recherche sur la
question de l’OHADA. Il est vrai que plusieurs études pertinentes ont été menées sur le conflit
des normes et l’application du droit communautaire dans l’espace OHADA. Mais, il reste que
très peu d’auteurs se sont prononcés sur la non moins importante question des rapports que le
droit de l’OHADA entretient avec les autres disciplines du droit, le droit civil en l’occurrence.
Sur ce point précis, la réalisation d’une étude approfondie est nécessaire, eu égard à la
tendance « civiliste » du droit de l’OHADA qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Ce qui
risque de réduire considérablement la portée du droit civil et de faire du droit de l’OHADA,
un droit de portée générale. En effet, si le projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats
destiné à fusionner avec celui sur le droit de la preuve voyait le jour, l’on devrait plutôt parler
d’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit pour désigner l’OHADA. Exauçant,
par la même occasion, le vœu du Professeur Philippe TIGER59, qui préconise une
59
P. TIGER, « Le droit de la preuve dans l’espace OHADA : Introduction générale », Colloque du Conseil
National des Notaires, 09 février 2010, in Rev. droit Uniforme Africain, A.T.D.J, juin 2010, p.10.
17
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
« déspécialisation » de l’OHADA pour répondre au besoin civiliste au sein de l’espace
OHADA. L’Analyse du dispositif juridique de l’OHADA, précisément les Actes uniformes, a
fait clairement apparaître une relation marquée par l’influence du droit de l’OHADA sur le
droit civil des États membres.
31. Problématique de l’étude. Cette étude entend aborder la question de l’étendue de
l’influence exercée par le droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres. L’influence
du droit de l’OHADA sur le droit civil est-elle absolue ? Le droit de l’OHADA, droit des
affaires proclamé jouit-il d’une autonomie face au droit civil ? Dans l’hypothèse où
l’hégémonie du droit de l’OHADA sur le droit civil national ne souffrirait d’aucune limite, le
risque serait une évolution vers une harmonisation élargie du droit en Afrique susceptible
d’intégrer le droit civil. La portée et le domaine du droit civil des États membres seraient
considérablement réduits, sinon anéantis. Il est primordial de s’intéresser aux manifestations
de l’incidence du droit « communautaire » sur le droit civil national et aux hypothèses de
résistance du droit national des États membres. Cette résistance emporte limite de l’influence
du droit de l’OHADA.
32. L’influence exercée sur la théorie générale du contrat. La portée de l’influence du droit
de l’OHADA s’étend tout d’abord, à la théorie générale des obligations, précisément le droit
des contrats et le droit des garanties. Le régime de la formation et de l’exécution du contrat est
amélioré par le droit de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA a par exemple encadré, la
phase précontractuelle en posant le principe de la possibilité d’accords partiels, la liberté de
rupture des négociations et la possibilité de poursuite en dommages-intérêts en cas d’abus60.
L’instauration de ce cadre général offre la possibilité aux États membres de s’en servir dans
l’établissement de règles adaptées. La question de l’interprétation du contrat est traitée par
l’article 238 de l’AUDCG61, qui prévoit que « lorsqu’une clause est ambiguë, la volonté d’une
partie doit être interprétée selon le sens qu’une personne raisonnable, de même qualité que
l’autre partie, placée dans la même situation, aurait déduit de son comportement. Pour
déterminer la volonté d’une partie, il doit être tenu compte, des circonstances de fait et
60
L’article 249 de l’AUDCG dispose que « les parties sont libres de négocier et ne peuvent être tenues pour
responsables si elles ne parviennent pas à un accord. Toutefois, la partie qui conduit ou rompt une négociation de
mauvaise foi est responsable du préjudice qu’elle cause à l’autre partie. Est, notamment, de mauvaise foi la partie
qui entame ou poursuit des négociations sans intention de parvenir à un accord ».
61
Acte uniforme portant droit commercial général.
18
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
notamment, des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des pratiques qui se sont
établies entre elles, voire des usages en vigueur dans la profession concernée ».
33. Un droit des garanties national sous influence du droit de l’OHADA. Les incidences
en matière de droit des garanties sont importantes et prennent la forme de la création de
nouvelles sûretés par le législateur de l’OHADA, telles que la garantie autonome, le gage de
créances, le nantissement des actions et des parts sociales et le nantissement de stocks. Le
législateur de l’OHADA a de même enrichi le dispositif juridique des États membres de la
réserve de propriété, la propriété cédée à titre de garantie, la cession de créance à titre de
garantie et le transfert fiduciaire d’une somme d’argent. La clarification du dispositif en
vigueur est à signaler ainsi que le renforcement du dispositif en vigueur notamment pour le
droit de rétention. Le droit processuel a gagné en attractivité tant au niveau des institutions
que des règles de procédure.
34.
Le droit de l’OHADA, une influence limitée. Si la définition des contours de la relation
qui liait le droit de l’OHADA au droit civil s’arrêtait à ce stade, notre étude serait marquée du
sceau de « l’incomplétude ». Le droit de l’OHADA est à la fois auteur et sujet puisqu’il
influence le droit civil des États membres d’un point de vue actif donc, mais en subit
également l’influence devenant ainsi un sujet passif. Le droit de l’OHADA porte l’empreinte,
la marque du droit civil dans sa construction. Il en emprunte les caractères, les traits distinctifs
lorsqu’il édicte des dispositions générales ou qui s’étendent à des hypothèses de plus en plus
larges. Il a été relevé que le législateur de l’OHADA procède à une généralisation de ses
dispositions, à une extension, si bien que le sentiment est celui de la mise en place d’un droit
commun au sens de droit civil, notamment en matière de prescription dans l’Acte uniforme
portant droit commercial général. Le législateur de l’OHADA s’est attelé à définir un régime
de la prescription ne se limitant pas à la fixation d’une simple durée. Hormis la définition de
la prescription, le législateur en précise les traits caractéristiques en comparaison avec la
forclusion, la computation des délais abordée. Il énonce les conséquences de la suspension de
la prescription ainsi que les effets de la prescription. Il s’en dégage un fort sentiment de « déjà
vu », un régime général à l’instar du droit civil. Surtout que et c’est en cela que la pertinence
de cette approche est discutable, la plupart des nouveaux articles relatifs à la prescription sont
identiques aux articles du Code civil. Peu de place est laissée à la spécificité puisque ce
régime, tel qu’issu du nouvel Acte uniforme portant droit commercial général, est emprunté
au droit commun.
19
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
35. Par ailleurs, certaines dispositions du Code civil français encore en vigueur dans la plupart
des États membres, ont été intégrées textuellement dans certains Actes uniformes. C’est le cas
des règles relatives au mandat pour les intermédiaires de commerce ; des principes de la
Common law tels le principe de « mitigation of damage » en matière contractuelle, sont repris
en droit de l’OHADA. L’influence du droit civil ne se limite pas à l’élaboration du droit de
l’OHADA. Elle est perceptible dans l’application des textes de l’OHADA et parfois dans leur
interprétation. L’analyse des règles et principes du droit de l’OHADA montre une forte
inspiration du droit civil. Le législateur de l’OHADA réalise, soit une intégration textuelle de
certaines dispositions au dispositif juridique de l’OHADA, soit une adaptation desdites règles
au contexte de l’OHADA En matière de sûretés personnelles, l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés contient des dispositions du droit civil national des États membres. Le
caractère exprès du cautionnement et l’exigence d’une obligation valable sont repris par le
législateur de l’OHADA. Conscient des spécificités des pays africains, le législateur a fait
l’effort de prendre en compte des valeurs chères à ceux-ci en adaptant certaines dispositions
des Actes uniformes. La place de la tradition orale est valorisée, à l’instar de la prise en
compte des valeurs de solidarité, de travail en groupe à travers les coopératives auxquelles un
Acte uniforme est consacré.
36.
Une relative autonomie du droit de l’OHADA. La forte présence du droit civil au cœur
de l’œuvre harmonisatrice OHADA amène à évoquer la relative autonomie du droit de
l’OHADA qui s’en remet au droit national, en certaines matières. Il est ainsi renvoyé au droit
civil national des Etats membres de manière expresse ou implicite pour certaines questions à
traiter. Les règles qui gouvernent la validité des contrats sont exclusivement réservées aux
États membres. Que ce soit, pour la vente entre professionnels, ou la vente de fonds de
commerce, le législateur de l’OHADA s’en remet au droit civil national, concernant le régime
juridique et la validité. Par ailleurs, il cite et emploie des concepts issus du droit civil national
sans les définir. Que ce soit la dation en paiement62, la novation63, l’obligation principale par
changement d’objet ou de cause qui libèrent définitivement la caution64. Ces notions ne sont
62
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, les obligations, 12e éd., Paris, Dalloz,
2018, n°1422, p. 1501.
63
64
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, les obligations, op. cit., n°1619, p. 1688.
L’article 36 de l’AUS révisé dispose que « l’extinction partielle ou totale de l’obligation principale entraîne,
dans la même mesure, celle de l’engagement de la caution. La dation en paiement libère définitivement la
caution, même si le créancier est ensuite évincé de la chose acceptée par lui. Toute clause contraire est réputée
non écrite. La novation de l’obligation principale par changement d’objet ou de cause, la modification des
20
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
pas définies par l’Acte uniforme. Tout comme les biens auxquels il est fait référence, toujours
dans l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Les articles 9265 et 19066 parlent
respectivement de meubles corporels ou incorporels et d’immeubles et droits réels
immobiliers sans les définir.
37. Une efficacité et une effectivité limitées. L’autonomie réduite du droit de l’OHADA
empiète fortement sur son efficacité et son effectivité qui est « le caractère d’une règle de
droit qui produit l’effet voulu, qui est appliqué réellement »67 ou encore « le degré de
réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »68. Le droit ineffectif
subit le rejet des destinataires qui refusent notamment de l’appliquer. Cette idée de résistance
est perçue au niveau de certaines juridictions nationales du fond, qui trouvent à appliquer le
droit civil national là où compétence exclusive est reconnue au droit de l’OHADA. Ou encore
des justiciables ou Cours suprêmes nationales qui méconnaissent la compétence de la CCJA
seule habilitée à connaître en cassation de questions relatives à l’interprétation des Actes
uniformes, en vertu de l’article 14 du Traité fondateur. C’est ainsi que dans un arrêt du 4
novembre 2014, la CCJA a rappelé que «l’application des Actes uniformes OHADA dans les
matières qu’ils régissent n’est pas une faculté mais bien une obligation qui s’impose dans leur
application aux juridictions nationales. Doit être cassé, l’arrêt qui, pour une matière régie
l’Acte uniforme sur les sûretés, fait application des dispositions du droit national »69. La faible
force coercitive des dispositions du droit communautaire affecte son effectivité dans la mesure
modalités ou sûretés dont elle était assortie libère la caution à moins qu’elle n’accepte de reporter sa garantie sur
la nouvelle dette. Toute clause contraire stipulée avant la novation est réputée non écrite. Les engagements de la
caution simple ou solidaire passent à ses héritiers uniquement pour les dettes nées antérieurement au décès de la
caution.
65
« Le gage est le contrat par lequel le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence
sur un bien meuble corporel ou un ensemble de biens meubles corporels, présents ou futurs ».
66
« L’hypothèque est l’affectation d’un immeuble déterminé ou déterminable appartenant au constituant en
garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures à condition qu’elles soient déterminées ou
déterminables. Elle est légale, conventionnelle ou judiciaire ».
67
F. RANGEON, « Réflexions sur l’effectivité du droit », in Les usages sociaux du droit, Paris, P.U.F, 1989, p.
126.
68
P. LASCOUMES, « Effectivité », in J.-J. ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie
du droit, L.G.D.J et Story-scientia, 1988, p.13.
69
CCJA, Ass. Plén., Arrêt n° 106/2014 du 04 novembre 2014, www.legiafrica.com.
21
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
où les sanctions restent fortement adossées au droit civil ; le régime de la responsabilité civile
en est un exemple.
38. L’effectivité du droit de l’OHADA est d’autant plus fragilisée par les éventuels conflits de
normes qui pourraient apparaître. L’OHADA coexiste avec des organisations sous régionales
avec qui elle partage le champ spatial et matériel en certains aspects. L’OHADA se présente
aujourd’hui comme l’organisation qui réglemente le droit des affaires. Son domaine n’a de
limites que celles imposées par le refus du Conseil des ministres d’intégrer une matière en son
sein. Est alors à craindre l’apparition de conflits. L’autre type de conflit est bien celui qui
concerne le droit de l’OHADA et le droit civil national. Il est vrai que, la supranationalité
caractérisant le droit de l’OHADA, devrait permettre de résoudre les conflits entre droit
national et droit de l’OHADA, ou même entre juridictions nationales et CCJA. Reste à relever
que le dispositif juridique de l’OHADA est malgré tout lacunaire en ce qui concerne
l’identification de la loi de conflit et la réglementation des lois de police.
En clair, l’influence de l’OHADA sur le droit civil national est expressément affirmée. Les
principes directeurs de l’organisation et du droit communautaire semblent consacrer une
influence absolue, exercée sans partage. La réalité est tout autre. Le droit civil national des
États membres a su marquer le droit de l’OHADA dans sa construction. Et le droit de
l’OHADA présente des lacunes qui lui sont propres. Son incidence sur le droit civil national
souffre de réserves.
39. Plan. L’appréciation des rapports entre le droit de l’OHADA et le droit civil commande
de s’intéresser, en premier lieu, à l’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil
(Première partie). En second lieu, le caractère limité de l’influence du droit de l’OHADA sur
le droit civil national retiendra l’attention (Deuxième partie). Ainsi :
Première partie : Une influence consacrée du droit de l’OHADA sur le droit civil des Etats
membres
Deuxième partie : Une influence limitée du droit de l’OHADA sur le droit civil des Etats
membres
22
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Première partie. UNE INFLUENCE CONSACRÉE DU DROIT
DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES
40.
Le besoin de réforme. L’OHADA a été créée à des fins réformatrices du monde des
affaires. La quête d’une sécurité juridique et judiciaire des investissements, rendait légitime la
mise en place d’une organisation forte qui parviendrait à s’imposer aux États membres, mais
pas uniquement. L’investissement est le moteur de l’activité économique. À une échelle
restreinte ou à plus grande échelle, il constitue un facteur essentiel de la croissance
économique voire du développement économique. Par l’action d’investir à l’aide de moyens
de production, de capitaux, des flux de trésorerie positifs peuvent être créés. Les politiques
gouvernementales sont rythmées par le jeu des relations internationales, les accords
bilatéraux, multilatéraux qui mettent en évidence des partenariats et des accords
d’investissement. Ainsi, la volonté pour les États africains de regagner la confiance de la
« Société internationale » avait pour condition sine qua non la sécurisation des
investissements. Il paraît difficile de parler de sécurité sans convaincre de la puissance du
dispositif mis en place.
41. La création d’une organisation dotée de pouvoirs importants. Les fondateurs de
l’OHADA l’ont alors conçue comme une « Super-Organisation » qui viendrait exercer une
certaine hégémonie sur les pays couverts par son champ. En effet, les États membres de
l’OHADA doivent faire face à la force de l’Organisation communautaire et surtout à celle du
droit qu’elle sécrète. L’accent est mis sur le droit de l’OHADA, en ce qu’il est l’instrument de
l’intégration juridique souhaitée par les fondateurs de l’Organisation. La force du droit de
l’OHADA se traduit par une influence indéniable exercée sur le droit civil national des États
membres. Elle est consacrée tant d’un point de vue institutionnel que d’un point de vue
substantiel. Concrètement, un transfert de compétence des États en faveur de l’OHADA si
bien que celle-ci, par le biais de ses organes, dispose d’un pouvoir de décision qui s’impose
directement aux États et aux particuliers70. Les caractères du droit de l’OHADA, à savoir
notamment le caractère supranational garanti par les institutions mises en place dans le cadre
de l’œuvre harmonisatrice, expliquent la réception impérative du droit de l’OHADA par le
droit civil national des États membres. Le caractère transnational reconnu à l’OHADA et au
droit uniforme, contribue au renforcement de l’influence exercée sur le droit civil national des
70
H.A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, 3e éd., Paris, l’Harmattan, 2015, p 329.
23
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
États membres. Dotée d’un champ d’application spatial étendu, l’OHADA couvre de manière
uniforme le dispositif juridique des États membres, dans la limite de son cham d’application
matériel.
42. Des instruments juridiques forts. Par ailleurs, aussi bien le mode d’élaboration du droit
de l’OHADA que, celui de sa réception par les États membres témoignent de sa puissance.
Les Actes uniformes, actes pris pour assurer l’uniformisation sont dotés d’une force
obligatoire et sont directement applicables dans les États parties. Ces États, pour les domaines
couverts par le droit de l’OHADA, sont tenus par les dispositions prévues par le législateur
communautaire. Le droit de l’OHADA a une réelle emprise sur le droit civil national des États
membres, si bien qu’il a induit des changements dans leur dispositif juridique en la matière.
Cette influence est fondée sur le dispositif institutionnel qui porte le droit de l’OHADA (Titre
I) avant d’être consacrée de manière substantielle (Titre II).
24
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Titre 1. LES FONDEMENTS INSTITUTIONNELS DE L’INFLUENCE
DU DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES
ÉTATS MEMBRES
43. Le rôle déterminant des institutions communautaires. Le droit civil des États membres
est influencé par le droit de l’OHADA. Il ne saurait en être autrement, dès lors que le
mécanisme de réception par excellence du droit de l’OHADA est la substitution de ses normes
à celles des États membres dans les matières qu’il réglemente désormais. Pour comprendre
cette influence, un renvoi doit être fait au cadre institutionnel qui sous-tend l’œuvre du
législateur de l’OHADA. Ce cadre est constitué par des organes forts qui ont pour vocation
l’élaboration du dispositif juridique de l’OHADA. Ainsi, si le droit de l’OHADA réussit à
s’imposer à l’ordre juridique national, c’est bien parce qu’il est protégé par des institutions
supra-étatiques. L’article 3 du Traité fondateur révisé dispose que « la réalisation des tâches
prévues au présent Traité est assurée par une organisation dénommée Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA). L’OHADA comprend la
Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage et le Secrétariat permanent ». Le Conseil des ministres, le Secrétariat
permanent, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, la Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage définissent les orientations de l’OHADA, la matrice des actions à travers les
Actes uniformes. Leurs décisions s’imposent aux États membres, ce qui a pour corollaire la
soumission du droit national au droit qu’elles ont élaboré et aux mesures adoptées.
44. Une influence portée par les principes directeurs. Surtout, ces institutions prévoient les
principes directeurs qui doivent permettre au droit de l’OHADA d’assurer sa suprématie sur le
droit commun des États membres. Ces principes prennent la forme de la supranationalité et du
caractère transnational. En vertu de ces principes, l’OHADA et par voie de conséquence le
droit de l’OHADA, a une prééminence sur le dispositif juridique des destinataires des normes.
Cette réalité sera restituée en mettant, en premier lieu, en évidence, la soumission du droit
civil national au droit de l’OHADA, à travers les principes directeurs (Chapitre I). En second
lieu, l’intérêt sera porté sur le fait que l’organisation judiciaire et arbitrale est régie par le droit
de l’OHADA (Chapitre II).
25
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, FONDEMENTS DE LA
SOUMISSION DU DROIT CIVIL NATIONAL AU DROIT DE L’OHADA
45. La soumission du droit civil national au droit de l’OHADA n’est pas sans fondement.
L’OHADA étant une organisation qui vise l’intégration juridique, il était indispensable que
cet objectif soit porté par des principes directeurs. Ainsi, l’on évoquera la justification de la
soumission (Section 1) et les incidences de ladite soumission (Section 2).
Section 1. La justification de la soumission du droit civil national au droit de
l’OHADA
46. Les États membres de l’OHADA sont tenus de respecter les organes mis en place et de se
conformer au dispositif juridique mis en place, au soutien de l’objectif d’harmonisation du
droit des affaires. Leur obligation trouve sa source dans les caractères attachés aussi bien à
l’OHADA qu’au droit de l’OHADA. Il s’agit en l’occurrence de la consécration de la
supranationalité du droit de l’OHADA (§ 1) et du caractère transnational du droit de
l’OHADA (§ 2).
§1. La consécration de la supranationalité du droit de l’OHADA
47. Que revêt la notion de supranationalité ? Comment est-elle déclinée ? Il est essentiel
d’expliquer le contenu du principe (A) pour ensuite s’intéresser à sa mise en œuvre (B).
A. Le contenu du principe
48. La supranationalité est le principe fondateur de l’OHADA, le pilier qui porte et justifie
toute l’œuvre harmonisatrice. La présentation du concept s’impose (1) tout comme les raisons
de sa justification (2).
1. Le concept de supranationalité
49. La supranationalité. Le concept de supranationalité est un principe si important qu’il a été
érigé en principe fondateur de nombreuses institutions internationales. Que faut-il entendre
par supranationalité ? L’OHADA est-elle vraiment une Organisation supranationale ? La
supranationalité désigne la qualité, le caractère de ce qui est supranational. Étant entendu que
le qualificatif est appliqué à une institution internationale regroupant deux ou plusieurs États,
qui indique qu’il y a eu un transfert de compétences des États aux organes de cette institution
de telle sorte que celle-ci dispose en certaines matières d’un pouvoir de décision s’exerçant
26
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
directement sur les États eux-mêmes ou sur les particuliers ressortissants de ces États71. En
clair, est supranational ce qui se place au-dessus des nations, de leurs gouvernements, de leurs
institutions, ce qui dépasse les souverainetés nationales. L’organisation supranationale est
dotée d’organes qui supplantent ceux des États en dépit de leur souveraineté72. Ainsi, l’idée de
supranationalité s’opposerait à celle de souveraineté. En effet, l’idée de supranationalité a pu
prospérer par le biais du recul d’une idée de souveraineté totale et sans limites des États.
50. À l’origine de la supranationalité, une idéologie, le supranationalisme, qui prône
l’existence d’entités politiques disposant d’une supranationalité, autrement dit de pouvoirs
supérieurs sur certains points à ceux d’une nation. Ce concept n’est pas nouveau. Dès le
XVIIIe siècle, Montesquieu annonçait déjà le principe de supranationalité à travers cette
pensée : « si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou
bien qui fut utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un
crime » 73. En effet, selon le penseur, la communauté et l’intérêt commun priment les intérêts
particuliers. Son assertion ne peut être perçue que comme une prémisse de l’idée de
supranationalité, étant entendu que le concept fait bien état aujourd’hui de tout ce qui
transcende l’État, les intérêts particuliers. Il s’agit d’un cadre de droit international public,
encore appelé droit des gens et qui est constitué par « l’ensemble des règles de droit
applicables aux États et aux sujets de droit ne relevant pas de l’autorité d’un État, dans les
relations de la société internationale »74. C’est dans ce cadre international, que Robert
SCHUMAN, reconnu et désigné « père de l’Europe », évoque pour la première fois
« l’Europe supranationale », une Europe qui selon lui, « devra être faite, d’une coexistence
qui ne soit pas un simple agglomérat de nations rivales, périodiquement hostiles, mais une
communauté d’action librement concertée et organisée »75. La Communauté européenne du
71
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12e éd. mise à jour, Paris, P.U.F., Coll.
Quadrige, 2018, v. supranational, p. 1003.
72
E. MAULIN, Dictionnaire de la culture juridique, D. ALLAND et S. RIALS (sous. Dir.), Paris, P.U.F, 2003,
p. 1434. A propos de la souveraineté, l’auteur la présente comme « une notion complexe et polysémique qui
désigne de nombreuses situations politiques ou juridiques relatives soit à la légitimité du pouvoir, soit à
l’exercice de prérogatives, soit à la définition de l’État ».
Ch. MONTESQUIEU, Œuvres diverses, in œuvres complètes de Montesquieu, Tome III, Paris, éd. Nagel,
1955, p. 355.
73
74
H. BATIFFOL, Traité élémentaire de droit international privé, Paris, L.G.D.J, 1959, p.2.
75
R. SCHUMAN, « Déclaration relative à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier »,
9 mai 1950, [www.europa.eu] .
27
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
charbon et de l’acier était portée sur les fonts baptismaux et la notion de « supranational »
servit de fondement à l’esquisse de son plan, à travers l’instauration d’une Haute Autorité76.
Des pouvoirs exorbitants ont été reconnus à cette autorité dans le but de servir l’intérêt
commun qui sous-tend la « supranationalité » encore aujourd’hui. Abondant dans le même
sens, le Professeur Filiga Michel SAWADOGO indique que « la supranationalité consiste en
l’existence d’un système institutionnel autonome permettant de privilégier le bien commun
par rapport aux intérêts nationaux et d’édicter des normes, qui non seulement s’imposent aux
États, mais aussi régissent directement la situation juridique des particuliers » 77.
51. En vertu du droit international public, « la supranationalité est un pouvoir réel et autonome,
placé au service d’objectifs communs à plusieurs États »78. Trois caractères sont donc
nécessaires pour qualifier une organisation de supranationale. Il est impératif, tout d’abord,
que les États qui en sont membres reconnaissent l’existence de valeurs communes ; valeurs
qui détermineront les actions des autorités nationales. Ces autorités doivent veiller à réaliser
les objectifs reconnus comme étant communs. Ensuite, à la défense de ces valeurs communes,
il faudrait des pouvoirs effectifs, reconnus à des organes. Il reviendra ainsi à ces organes
76
En vertu des articles 9 al.5 et 6 du Traité du 18 avril 1951 créant la Communauté Européenne du Charbon et de
l’Acier, « les membres de la Haute Autorité exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l’intérêt
général de la Communauté. Dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils ne sollicitent ni n’acceptent
d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucun organisme. Ils s’abstiennent de tout acte incompatible avec le
caractère supranational de leurs fonctions. Chaque État membre s’engage à respecter ce caractère supranational
et à ne pas chercher à influencer les membres de la Haute Autorité dans l’exécution de leur tâche ». Malgré tout,
le concept de supranationalité peine à s’affirmer, à devenir concret eu égard aux tenants de théories nationalistes.
77
F.-M. SAWADOGO, « La problématique de la cohabitation des ordres juridiques OHADA, UEMOA,
CEDEAO », Actes du Colloque sur la mise en cohérence des processus d’intégration économique et juridique,
Ouagadougou, 8, 9 et 10 janvier 2007, non publiés.
78
P. PESCATORE, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations
internationales selon l’expérience des Communautés européennes, Bruxelles, Bruylant, Coll. Droit de l’Union
européenne, 2005, p.51; sur cette question de supranationalité, P. REUTER., énonce des critères qui pris dans
leur ensemble définissent une Organisation Internationale supranationale. Ainsi, l’existence d’organes ayant le
pouvoir d’adopter des actes obligatoires pour les États membres sans que ceux-ci doivent nécessairement
consentir, le fait que ces actes peuvent consister en des règlements directement applicables dans l’ordre juridique
interne des États membres et bénéficiant de la primauté sur toute disposition nationale, antérieure ou postérieure
quel que soit son rang, la présence, la présence parmi ces organes d’une juridiction directement accessible aux
ressortissants des États membres et jouissant d’une compétence exclusive pour se prononcer sur tout différend
relatif à l’interprétation ou à l’application du Traité de base ou de droit dérivé de celui-ci et le transfert à
l’Organisation Internationale de compétences précédemment exercées par les États membres. V. en ce sens P.
REUTER, « Quelques réflexions sur le vocabulaire du droit international », in Mélanges offerts au Doyen
TROTABAS, Paris, L.G.D.J, 1970, rééd. dans P. REUTER, Le développement de l’ordre juridique
international : écrits de droit international, Paris, Economica, Coll. Droit international, 1995, p. 16.
28
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’élaborer les règles et principes directeurs de leur Organisation. Enfin, les pouvoirs effectifs
doivent être exercés de manière autonome, sans dépendre des pouvoirs des États, dont ils sont
distincts.
52. Le caractère supranational de l’OHADA. À la lumière de ce qui précède, l’OHADA est
sans aucun doute une Organisation supranationale. L’article 1er du Traité de Port Louis,
dispose que « le présent Traité a pour objet, l’harmonisation du droit des Affaires dans les
États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes (…) »79. Ainsi, les États
membres partagent un objectif commun, celui d’harmonisation du droit des affaires. De plus,
l’article 3 du Traité fait état de l’existence d’organes propres à l’OHADA, en l’occurrence le
Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et
la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement qui fonctionnent selon des règles
spécifiques, distinctes de celles des États membres. L’élaboration des « Actes uniformes »,
actes pris pour l’adoption des règles communes est laissée au soin du Secrétariat permanent80.
53. Un caractère communautaire remis en cause. Certains auteurs estiment que l’OHADA
n’étant pas une organisation communautaire, elle ne pourrait être légitimement qualifiée
de « supranationale ». En effet, selon Elvire VIGNON, même si le droit de l’OHADA
présente des similitudes avec le droit communautaire, l’OHADA n’est pas une institution
communautaire. Au soutien de ses propos, elle affirme que les institutions communautaires
sont organisées autour d’un marché commun sur le plan économique ; les États forment une
communauté, c’est-à-dire « un ensemble constitué par des États qui sont parties à un
processus d’intégration économique qui vise l’unification des politiques et un destin commun
pour les peuples de ces États. Pour parvenir à cette unification, les États transfèrent des
compétences à une organisation internationale dotée de pouvoirs de décision et de
compétences supranationales. L’Union, dernier stade de l’intégration économique, est donc
79
Cet article 1er est à la fois clair et obscur ; clair en ce sens qu’il établit les objectifs de l’OHADA,
l’harmonisation et obscur parce qu’en réalité l’OHADA s’emploie à une œuvre d’unification du droit des
affaires. L’harmonisation au sens strict du terme consiste selon le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH « à
rapprocher les règles de droit d’origine différente pour les mettre en cohérence entre elles, en réduisant ou
supprimant leurs différences et leurs contradictions, de manière à atteindre des résultats compatibles entre eux et
avec les objectifs communautaires recherchés », J. ISSA.-SAYEGH, « L’intégration juridique des États Africains
de la zone franc », Penant, 1997, n°823, p.5 et Penant 1997, n°824, p.125.
80
Selon l’article 6 du Traité de l’OHADA, « les Actes uniformes sont préparés par le Secrétariat permanent en
concertation avec les gouvernements des États parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des Ministres
après avis de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ».
29
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
gouvernée par une organisation supranationale ou super étatique » 81. Or, l’OHADA se limite
à la coopération, « relation entretenue entre États (…) consistant à coordonner leurs actions ou
politiques dans des domaines bien précis ». Elle précise que « dans les organisations
interétatiques ou de coopération, les décisions sont prises à l’unanimité et dans les
organisations super étatiques ou supranationales, il existe des restrictions à la règle de
l’unanimité, les décisions étant plutôt prises à la majorité. C’est par exemple le cas d’une
union économique telle que l’UEMOA »82.
54. Cependant, cette assertion consiste à circonscrire le droit communautaire ou encore le
caractère d’institution communautaire à l’Union européenne83. Ce, alors que l’OHADA se
caractérise par un processus d’intégration économique qui est fondé sur une intégration
juridique des normes régissant les activités économiques. Les États membres confirment cette
idée en réaffirmant leur engagement en faveur de l’institution d’une Communauté
Economique Africaine. L’OHADA regroupe à ce jour dix-sept (17) États qui placent sous
l’autorité du Traité, leur droit des affaires. Les normes et règles issues des institutions de
l’OHADA sont communes à ces États qui font partie d’une « communauté d’États » et qui
sont soumis à un droit international particulier. La « centralisation dans l’élaboration des
normes communes, l’existence d’une juridiction supranationale, le partage d’une langue et
d’une monnaie commune à la totalité sinon à la plupart des États membres »84 en sont la
81
E. VIGNON, « peut-on qualifier le droit OHADA de droit communautaire ? », [www.ohada.com], 15/08/2011
OHADATA D-10-51 ; v. également P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », revue de
l’ERSUMA, n° spécial nov-déc 2011, pp. 9-21. La question de la qualification de l’OHADA et du droit qu’elle
secrète a animé et continue d’animer les débats doctrinaux. Certains auteurs à l’instar d’Elvire VIGNON réfutent
le caractère communautaire de l’OHADA. C’est notamment le cas de Stéphane DOMBE-BILLE qui estime que
l’OHADA n’est pas une institution communautaire mais plutôt « une organisation interétatique chargée de régir
un espace économique non intégré qui parvient à secréter un droit super-étatique, sans affecter en cela son statut
institutionnel » ; V. dans ce sens S. DOMBE-BILLE, « A propos de la nature de l’OHADA », in Mélanges en
l’honneur de Madjid BENCHIKH, Droit, Liberté, Paix, Développement, Paris, éd. A. PEDONE, 2011, pp. 423436.
82
E. VIGNON, ibid.
83
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op.cit., v. Communautaire, p. 207 : « Le droit communautaire est le
« droit de l’Union européenne ; ensemble des règles matérielles uniformes applicables dans les États membres
de l’Union dont la source primaire est constituée par les traités d’institution et la partie dérivée par les règles
établies par les institutions communautaires en application des traités ».
84
J. TCHUINTE, L’application effective du droit communautaire en Afrique centrale, Cergy pontoise, 2011, p.
8.
30
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
preuve. Aussi, le fait que les décisions soient prises à l’unanimité,85 n’est-il pas problématique
en soi ; encore que cette exigence concerne strictement les modalités d’adoption des Actes
uniformes par le Conseil des ministres86. Il s’agit uniquement d’une illustration de la volonté
des États de transmettre leurs pouvoirs aux organes de l’OHADA et de la volonté de préserver
certains attributs de la souveraineté des États. Face au débat doctrinal qui continue d’agiter les
différentes chapelles, la réalité est celle d’un jeu de mots. Dès lors que les États membres
élaborent des règles et que celles-ci ont vocation à s’appliquer de manière uniforme sur leurs
territoires, les relations en cause vont bien au-delà d’une simple « coopération ». L’OHADA
est indéniablement « une communauté juridique à finalité économique »87. L’effet direct et
l’applicabilité immédiate des actes, émanant de l’OHADA, montrent clairement que l’on a
affaire à une Organisation supranationale.
55. L’influence du caractère supranational. Ce caractère supranational explique aisément la
portée abrogatoire des dispositions des différents Actes uniformes quoique certaines règles
assez isolées sont supplétives. Il est évident que les règles prévues en matière de sûretés
personnelles, notamment de cautionnement ou de sûretés réelles telles que le gage sont
désormais celles applicables aux cautionnements civils ou aux gages de nature civile au sein
des États membres. L’Acte uniforme portant droit commercial général s’intéresse à la
formation du contrat, notamment la question de l’offre et de l’acceptation dont la rencontre est
indispensable à la conclusion du contrat. La formation du contrat est régie par les Codes civils
des États membres ; États qui sont très peu nombreux à avoir pris le soin de définir la notion
d’offre et celle d’acceptation. La supranationalité du droit de l’OHADA ne permettrait-elle
pas de combler cette lacune en appliquant ces définitions, bien que prévues dans le cadre de la
vente commerciale à d’autres types de contrats ? Ne serait-ce pas là une justification du
caractère supranational reconnu à l’OHADA et aux règles qu’elle édicte ? La réponse devrait
85
Si l’on en croit Klaus von LINDEINER-WILDAU, « le moyen le plus sûr par lequel les États membres font
valoir leur volonté individuelle dans une institution internationale, et par lequel ils se protègent contre des
décisions contraires à leurs intérêts, est la règle de l’unanimité ». Raison pour laquelle l’auteur caractérise
l’organisation supranationale par un mode particulier de formation de la volonté commune : La majorité. K. von
LINDEINER-WILDAU, La supranationalité en tant que principe de droit, Thèse, Genève, 1970, p. 33.
86
Cette exigence est prévue par l’article 8 du Traité de Port-Louis et constitue un cas particulier étant donné que
l’article 30 du même Traité précise que « Les décisions du Conseil des ministres autres que celles prévues à
l’article 8 sont prises à la majorité absolue des États parties présents et votants. Chacun des États dispose d’une
voix ». Il convient également de préciser que l’unanimité est requise pour toute extension du domaine
d’application du Droit de l’OHADA en vertu de l’article 2 du Traité.
87
G. NGOUMTSA-ANOU, Droit OHADA et conflits de lois, op.cit., p. 21.
31
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
être affirmative dans la mesure où les précisions apportées aux notions d’offre et
d’acceptation par l’Acte uniforme ont vocation à s’appliquer à tout type de contrat, même
civil. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national des États membres n’en
serait que renforcée.
2. La justification du principe
56. Un principe justifié par l’objectif d’intégration. L’instauration du principe de
supranationalité soulève plusieurs questions, notamment celles de son intérêt et de sa
justification. Le principe de supranationalité est un principe fondateur des Organisations
internationales, du droit international public, en ce sens qu’il permet de résoudre l’épineuse
question de la souveraineté des États qui a alimenté et continue d’alimenter les débats
doctrinaux. La souveraineté88 est l’élément caractéristique d’un État. L’État est défini en
relation avec la souveraineté. « Si l’État est conçu comme une personne que forme une
multiplicité d’individus unis au moyen du contrat, la souveraineté, qui est non point la tête,
mais l’âme de cette personne, est elle-même représentée anthropomorphiquement comme
voluntas artificiosa et s’identifie à la volonté de ceux qui exercent le pouvoir »89.
Par
souveraineté, il faut entendre, selon le Professeur Raymond CARRE DE MALBERG,
« caractère suprême du pouvoir : suprême en ce que ce pouvoir n’en admet aucun autre ni audessus de lui ni en concurrence avec lui. Dire de l’État qu’il est souverain, implique que, dans
la sphère où son autorité est appelée à s’exercer, il détient une puissance qui ne relève d’aucun
autre pouvoir et qui ne peut être égalée par aucun autre pouvoir »90. C’est également le
caractère d’un organe qui n’est soumis au contrôle d’aucun autre et se trouve investi des
88
La théorie de la souveraineté de l’État doit sa systématisation à Jean BODIN, qui en fait le développement
dans Les six livres de la République. Selon lui, « la souveraineté est le pouvoir de commander et de contraindre
sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la terre ». Cité par M.-P de BRICHAMBAUT, J.-Fr
DOBELLE, avec la contribution de F. COULEE, Leçons de droit international public, 2e éd., Paris, Dalloz, Coll.
Presses de Sciences Politiques, 2011, p. 35. Encore aujourd’hui la souveraineté est le critère déterminant en
matière de constitution d’un État. Il induit la reconnaissance des pairs et l’appartenance à la Société
internationale.
89
F. FARDELLA, « Le dogme de la souveraineté de l’État. Un bilan », Arch. phil. dr, Tome 41,1997, p. 199.
90
R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, Tome I, Paris, Rec. Sirey, 1985.
Pour Jean COMBACAU : « ... la souveraineté est un degré de la puissance d’État, et ce degré est le plus élevé de
tous. » J. COMBACAU, Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’État, « Pouvoirs »,
1993, n° 67, p. 49.
32
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
compétences les plus élevées91. Il est clair que la mise en place d’organisations qui sont audessus des États poserait un problème, chaque État étant indépendant, autonome en principe,
aucun type de rapport hiérarchique entre les États n’existe. Un regroupement d’États sans un
minimum de règles, de principes, laisserait libre cours à l’anarchie.
57. Supranationalité et souveraineté. Le droit international, à travers ses principes, est
l’indispensable régulateur de la coexistence entre les acteurs de la société internationale. Dans
une approche propre au droit international, le Professeur Maurice KAMTO propose de définir
l’État de la manière suivante : « l’État est une personne morale, c’est-à-dire un être juridique
construit, mais reposant sur des éléments physiques constitutifs, apte à être titulaire de droits
et d’obligations ou à se voir reconnaître ou attribuer des pouvoirs lui permettant de participer,
en tant que sujet de droit, à la formulation et à l’application des règles de droit dans l’ordre
juridique international »92. Dès lors, « le concept de souveraineté ne peut concevoir un sens
absolu et signifie seulement que l’État n’est subordonné à aucun autre, mais qu’il doit
respecter des règles minimales garantissant le même privilège à tous les autres »93. Par le biais
de la supranationalité, les États ne renoncent pas à leur souveraineté comme le pensent
certains auteurs, mais l’exercent autrement. Les théories nationalistes plaident pour un
pouvoir sans partage d’un État sur la scène internationale et sont réfractaires à toute idée de
réduction de pouvoir sont obsolètes. La mondialisation et l’évolution du monde commandent
un changement de mentalité dans une société internationale gouvernée par les échanges, aussi
bien d’un point de vue économique, politique que militaire. Appelée en anglais
« globalisation », la mondialisation a été souvent présentée comme « une nouvelle extension
ou une intensification des relations et des réseaux internationaux. Elle caractérise une
interdépendance des économies à un niveau encore jamais atteint dans les différentes parties
91
H.-M. MONEBOULOU-MINKADA, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA
(l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires) : une solution-problème à l’intégration
juridique », in Juridical Tribune, vol. 3, Issue.2, déc-2013, p. 82.
92
M. KAMTO, La volonté de l’État en droit international, Académie de droit international de la Haye, Rec. de
cours, Tome. 310, 2004, p. 27. V. également O. BEAUD, La puissance de l’État, Paris, P.U.F, 1994, p. 17, « la
souveraineté interne, qui signifie la domination à l’intérieur du territoire, présuppose la souveraineté
internationale qui exclut le pouvoir de domination d’un État tiers, de même que la souveraineté internationale
implique la souveraineté interne pour être effective ». V. également T. FLEINER-GERSTER, Théorie générale
de l’État, P.U.F, 1986, p. 165 s.
93
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J, Lextenso
éditions, 2009, p.95.
33
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
du monde »94. La multiplication des formes de fédéralisme n’a jamais été aussi accrue que
depuis l’avènement de la mondialisation. Conscients de ce que la puissance est décuplée
quand elle est exercée dans un cadre collégial, l’idée d’organisation a connu un essor
considérable. N’en déplaise aux tenants de théories souverainistes qui s’opposent à l’idée
d’organisations supranationales.
58. Dans le cadre de l’adhésion à des organisations, les États opèrent un transfert, une forme de
délégation de « souveraineté » à celles-ci pour favoriser la cohérence, l’harmonisation de leurs
actions, bien que la conclusion d’un Traité soit par essence, un attribut de la souveraineté et
une modalité de son exercice. Comme la Cour Permanente de Justice Internationale l’a précisé
dans son célèbre premier arrêt95. Ils mettent en place les institutions et désignent les personnes
qui auront en charge la prise de décisions, l’adoption de règles et principes directeurs. En
général, les États membres notamment ceux de l’OHADA écartent les théories lourdes de la
souveraineté classique pour préférer une souveraineté représentative fondée sur la
nomination96.
59.
Un transfert de souveraineté consenti. Il ne s’agit aucunement d’un abandon. Un
abandon réel reviendrait à admettre que les États membres se dessaisissent totalement de leurs
droits, sans pouvoir influencer les actions de leur nouveau titulaire. Comme susmentionné, la
souveraineté est inhérente à la qualité d’État, un État qui en est dépossédé totalement n’exerce
pas de pouvoir politique autonome, et perdrait donc sa qualité97. Or, en dépit de l’adhésion à
une organisation, les États membres conservent leur personnalité juridique propre et
demeurent des États au sens du droit international. Il ne fait aucun doute qu’au sein de la
94
R. SCHULZE, « La mondialisation », éd. Bruylant et LB2V, Tome LXVI/ 2016, Association Henri Capitant,
Journées allemandes, 2017, p. 5.
95
C.P.J.I, Affaire du vapeur Wimbledon, série A, n°1, p .25 : « la faculté de contracter des engagements
internationaux est précisément un attribut de souveraineté de l’État ».
96
H.-M. MONEBOULOU MINKADA, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA
(…) », op. cit., p. 89.
97
Il est de doctrine constante qu’en droit international, l’État n’est reconnu comme sujet que s’il dispose de la
souveraineté. V. sur la question, G. MAIRET, Le principe de souveraineté. Histoires et fondements du pouvoir
moderne, Gallimard, Folio/Essais, 1997, pp. 23-24. ; F. CHALTIEL, La souveraineté de l’État et l’Union
européenne, l’exemple français, recherches sur la souveraineté de l’État membre, Tome 99, Paris, L.G.D.J, Coll.
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 2000, p. 3. V. également, sur la question P. PESCATORE,
Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon
l’expérience des Communautés Européennes, op.cit., p.34. L’auteur précise que le droit de l’intégration repose
sur « la divisibilité de la souveraineté ».
34
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
plupart, sinon de la totalité, des Organisations internationales, les États agissent bien en amont
et en aval, même s’il est vrai qu’ils sont par la suite liés par les décisions des institutions
qu’ils ont mises en place. C’est ici que réside tout l’intérêt de la supranationalité.
60. Les théories volontaristes98 qui fondent le droit international, à savoir la théorie de
l’autolimitation, de la Vereinbarung99 et la théorie positiviste, viennent en appui à cette
assertion. D’autant plus que la combinaison de ces trois (3) théories apporte une réponse
satisfaisante à la problématique de la souveraineté. Tout d’abord, selon la théorie de
l’autolimitation de Georg JELLINEK100, « l’État ne peut être lié par le droit que s’il y
consent ». Heinrich TRIEPEL par le biais de la théorie de la Vereinbarung, précise que « le
droit international naît de la fusion des volontés étatiques en une volonté commune »101. Dans
une logique complémentaire, Dionizo ANZILOTTI, tenant de la théorie positiviste, explique
que « l’intervention de l’État est nécessaire du point de vue formel »102. Pour rappel,
l’OHADA, ce sont des États qui ont une histoire commune, celle de la colonisation. Ces États
étaient régis par les principes et règles de la puissance colonisatrice. Avec l’accession à
l’indépendance, ils ont pour la plupart tenu à marquer l’avènement d’une nouvelle ère. Cette
phase était caractérisée par une volonté de s’affranchir partiellement ou totalement de
l’héritage normatif colonial et surtout par une forte réticence à céder une parcelle de
souveraineté, aussi infime soit-elle. Et c’est cela que l’OHADA a le mérite de réussir en
mettant en place un système assez souple d’exercice ou de transfert de souveraineté des États.
Des États dont la souveraineté n’est nullement remise en cause103 et qui n’en perdent pas le
98
J.-M SOREL, « L’institutionnalisation des relations internationales », in E. LAGRANGE, J.-M SOREL (dous.
Dir.), Traité de droit des Organisations Internationales : droit des Organisations Internationales, Issy-LesMoulineaux, L.G.D.J, 2013, n° 47, p. 28. L’auteur précise que l’exercice des compétences souveraines ne
découle pas uniquement de la volonté de l’État contrairement à ce qu’affirment les volontaristes.
99
Le volontarisme plurilatéral.
100
G. JELLINEK, L’État moderne et son droit. Première partie : Théorie générale de l’État, Éd. Panthéon Assas,
Paris, 2005, p. 560.
101
Heinrich TRIEPEL développe cette théorie en 1899. H. TRIEPEL, Les rapports entre le droit interne et le
droit international, R.C.A.D.I., Tome I, 1923-I, pp. 82.83.
102
D. ANZILOTTI, Cours de droit international, reprint, Paris, Ed. Panthéon-Assas, 1999, p. 68.
103
H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, étude à la lumière du système
des Communautés Européennes, Paris, l’Harmattan, 2009, n°160, p. 63, paraphrasant le député P. CLEMENT
parlant d’Europe, « le titre de souveraineté, inaliénable, serait la nue-propriété, et les compétences transférables,
l’usufruit ».
35
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
droit d’exercice au vu de leur intervention dans la gestion de la structure commune. Cette
intervention est réalisée à travers les organes qui les représentent au quotidien et qui
fonctionnent en matière de prise de décisions, d’adoption de normes, à l’unanimité pour les
questions essentielles.
61. La justification de la création de l’OHADA. Le recours à une organisation telle que
l’OHADA était une évidence face à l’impérieuse nécessité de délier le nœud gordien que
constituait la crise économique. Elle sévissait au début des années 1990 en Afrique,
particulièrement dans la zone franc104, du moins dans la plupart des pays africains. La
dégradation des termes de l’échange, la baisse considérable de la croissance économique,
l’instabilité politique dans certains pays, ont eu une incidence considérable sur les relations
entre les États concernés et les investisseurs étrangers ainsi que les grandes puissances. La
crédibilité des pays africains était remise en cause à l’instar de l’intérêt réel de consentir à des
investissements à leur intention. Il a fallu redevenir un partenaire rentable et crédible. Il était
impérieux de prouver une bonne foi et une volonté de résoudre les problèmes existants. Qui
mieux, qu’une organisation visant l’intégration économique par le biais de l’intégration
juridique pour en témoigner ? Une organisation qui serait dotée d’institutions fortes, assez
autonomes, dans un domaine précis, le droit des affaires en l’occurrence, l’un des piliers de la
croissance économique. Les autorités africaines avaient compris que « la sécurité juridique et
judiciaire inspirait la confiance, l’esprit d’entreprise et de conquête et la croissance » 105. Ils
ont pensé la création d’une organisation particulière dans la continuité des différents
programmes d’ajustement structurel assez drastiques et rigoureux mis en œuvre, qui incluaient
parfois la dévaluation de leur monnaie106.
62. Réunir une dizaine d’États, autour de la question du monde des affaires, revient à réunir
des dizaines de politiques gouvernementales dans ledit domaine. Des politiques parfois aux
antipodes les unes des autres, selon les fondements économiques et institutionnels retenus et
104
La zone franc est une zone économique directement liée à la France. D’un point de vue historique, il s’agissait
de pays liés à la France par des accords de développement et de coopération monétaire.
105
J. ISSA-SAYEGH, J.-L. OBLE, OHADA Harmonisation du Droit des Affaires, Bruxelles, Bruylant, Coll.
Droit Uniforme Africain, 2002, n° 197, p. 92.
106
La dévaluation d’une monnaie est une mesure de politique économique prise par les autorités monétaires et
qui consiste à modifier la parité de la monnaie nationale en en diminuant la valeur ; elle peut servir la politique
économique pour relancer la croissance économique, par la relance des exportations et le rééquilibrage de la
balance commerciale. Une dévaluation de 50% du Franc CFA intervient le 11 janvier 1994 pour 13 pays
africains au lendemain de la création de l’UEMOA, Organisation visant l’intégration économique.
36
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
appliqués. L’institution envisagée devait garantir une certaine cohérence dans les actions, une
forme d’unicité nécessaire à la sécurisation des investissements. Aussi, était-il indispensable
d’assurer une sécurité judiciaire à travers un organe qui s’imposerait aux États membres.
Toute chose qui aurait été impossible à mettre en œuvre, si un accord n’était pas obtenu quant
au caractère « supranational » de l’OHADA.
63.
L’objectif d’intégration. L’OHADA n’aurait pas pu agir autrement, se voulant une
organisation d’intégration, il est vrai juridique, mais d’intégration malgré tout. Le terme
d’intégration ramène à l’idée d’unification, de réunion et de rassemblement. En clair, toute
organisation dite d’intégration doit aller beaucoup plus loin que la négociation et l’élaboration
du Traité. Force doit être donnée à cet engagement à travers la création d’organes communs,
auxquels la compétence exclusive de mettre en œuvre et d’assurer le contrôle de la politique
d’intégration sera dévolue. L’option pour l’uniformisation ou l’unification par l’OHADA au
lieu d’une simple harmonisation, illustre bien la force de l’engagement des États membres.
L’uniformisation consiste à instaurer, dans une matière juridique donnée, une réglementation
unique, identique en tous points, pour tous les États membres, dans laquelle il n’y a pas de
place, en principe, pour les différences. Alors que l’harmonisation vise à réduire les
divergences107. Sur ce point, il convient de nuancer notre assertion en raison du recours à
l’harmonisation pour certaines matières. Par exemple, peut être cité le renvoi au législateur
national de chaque État membre en certains aspects des voies d’exécution, ou pour la
détermination des sanctions pénales. L’explication d’un tel recours réside dans la nécessité de
tenir compte non seulement du droit commun national, mais également des règles spéciales
nationales108. Les objectifs d’intégration seront atteints par le biais d’institutions communes,
dotées de certains pouvoirs, notamment de la supranationalité. La plupart voire la totalité des
Organisations internationales de coopération l’ont bien compris et admis. Ce d’autant plus
que, la supranationalité est « un moyen de défendre les intérêts nationaux par l’entente et la
coopération. Non seulement elle n’entraîne pas la dépendance des États, mais elle protège le
faible contre la domination du fort »109.
107
J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des États Africains de la zone franc », op.cit., p.125.
108
L. SHOMBA, « L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires : ombres et lumières »,
Doctrine OHADA, [www.ohada.com.], OHADATA D-05-39, p. 5.
109
M.- Th. BITSCH, Robert Schuman Apôtre de l’Europe, 1953-1963, éd. Scientifiques internationales, Coll.
Cahiers Robert SCHUMAN, 2010, n°1, p. 53.
37
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
64. La quête de légitimité de l’État. La supranationalité reconnue à l’OHADA cache une
autre explication. Selon le Professeur Mustapha MEKKI, « l’État est en perte de légitimité. Il
était autrefois un principe de totalisation, source d’ordre et de cohérence. Il était l’image du
tiers neutre et impartial garantissant la synthèse des intérêts particuliers face au désordre de la
société civile. Il n’en va plus de même. Acceptant de s’immiscer dans la société civile en
matière économique et sociale, il perd de sa superbe et de sa neutralité. Ce changement du
rôle de l’État l’oblige à se mettre en quête d’une nouvelle légitimité qu’il recherche
aujourd’hui à travers l’idéologie de la participation »110. L’État se lance dans un vaste
programme d’interventionnisme économique qui ne peut pleinement produire ses effets
qu’étant mis en œuvre à l’échelle régionale ou mondiale. L’État, dans sa quête d’une
légitimité absolue, intègre les intérêts particuliers dans son plan d’action, s’intéresse à des
questions qui affectent directement les particuliers, le monde des affaires, les investissements,
le droit des affaires. Qui mieux que l’OHADA, pour endosser le rôle d’interface entre chacun
des États membres et ses administrés, ses partenaires ?
B. La mise en œuvre du principe de supranationalité
La mise en œuvre du principe de supranationalité prend la forme de la primauté de l’OHADA
(1) et de celle du droit de l’OHADA (2).
1. La primauté de l’OHADA
65. Une primauté consacrée par les textes et les organes. L’article 46 du Traité fondateur
de l’OHADA dispose que « l’OHADA a la pleine personnalité juridique internationale. Elle a
en particulier, capacité de contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en
disposer ; d’ester en justice ». Le Traité consacre la naissance d’une Organisation
internationale qui relève du droit international. Grâce à son caractère supranational, l’OHADA
jouit d’une prééminence institutionnelle. L’OHADA se décline en un Conseil des ministres,
un Secrétariat permanent, une Cour Commune de Justice d’Arbitrage, une Conférence des
Chefs d’État et de gouvernement.
66. Le Conseil des ministres est un organe essentiel en ce sens qu’il bénéficie de larges
prérogatives. Il détient le pouvoir normatif et de ce fait, toutes les mesures qu’il adopte
s’imposent aux États. Les fonctions du Conseil des ministres sont législatives et exercées au
110
M. MEKKI, L’intérêt général et le contrat : contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit
privé, Tome 411, Paris, L.G.D.J, 2004, n° 128, p. 99.
38
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
détriment des parlements des pays membres111. Le principe de la séparation stricte des
pouvoirs en vigueur dans la majorité des États membres impose une indépendance, une
autonomie de fonctionnement entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ce qui
justifie sans doute les vives critiques auxquelles doit faire face le dispositif de l’OHADA.
Ainsi, il est reproché au système législatif de l’OHADA, de « porter une entorse à la
distribution constitutionnelle des compétences, en ce sens qu’il confère aux membres de
l’exécutif la compétence qui revient de droit aux représentants élus des peuples »112. Alors
qu’en réalité, il faudrait comprendre que « la ratification du Traité fondateur de l’OHADA
emporte pour chacun des parlements des États parties, dévolution de ses prérogatives, non pas
à l’exécutif de chacun des États, mais à un organe communautaire qui assure les fonctions
politiques, par son action législative, le Conseil des ministres »113 ; ce, conformément au
principe de supranationalité qui se manifeste entre autres au sein des organisations par le
transfert à cette organisation de compétences précédemment exercées par les États membres.
67. Pour rappel, cette question n’est pas nouvelle, étant donné qu’elle se posait déjà dès 1993,
à la faveur de la naissance de l’OHADA. Le caractère supranational de l’organisation suscitait
des réserves quant à la question de la souveraineté, de la séparation des pouvoirs. Le Conseil
constitutionnel du Sénégal a eu à se prononcer sur la conformité des articles 14,15 et 16 du
Traité fondateur de l’OHADA à la constitution. Articles qui réduisent considérablement les
compétences de la Cour de cassation et du législateur. La cour a retenu que :« bien que les
articles 14 à 16 du Traité fondateur de l’OHADA réduisent les attributions de la Cour de
cassation sénégalaise telles qu’elles sont définies par l’article 82, alinéa 3 de la Constitution,
ils sont compatibles avec l’article 3 du préambule qui dispose que le peuple sénégalais,
soucieux de préparer l’unité des États de l’Afrique et soucieux d’assurer les perspectives que
comporte cette unité ne ménagera aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine d’autant
plus que le Traité fondateur de l’OHADA, dans son préambule, ne prescrit des limitations de
111
L’idée des tenants des théories absolutistes est assez simple : dès lors qu’un État est reconnu comme tel, il est
souverain et cette souveraineté se manifeste aussi et surtout dans la sphère législative. Une sphère qui est le reflet
de la volonté du peuple. Confier ces aspects à une entité externe à l’État est une méconnaissance de la
souveraineté.
112
D. ABARCHI, « La Supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires
(OHADA) », Doctrine, www.ohada.com., OHADATA-02-02, p.6.
113
D. ABARCHI, op. cit., p.10.
39
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
compétence nationales qu’en vue d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité
africaine » 114.
68. La décision de la haute cour s’explique aisément et conserve tout son sens encore
aujourd’hui, en ce qu’une intégration réelle et parfaite est tributaire de la reconnaissance de
certaines compétences aux instances de l’OHADA. Au contraire, le Docteur Alioune SALL
ne voit dans la décision de la Cour constitutionnelle qu’« une politique jurisprudentielle où,
puisqu’il n’est pas certain que d’autres décisions suivront, un coup de pouce est donné à une
intégration africaine tant espérée » 115. Il va plus loin en qualifiant la décision de « presque
partisane ». Encore qu’être partisan de l’intégration africaine ne puisse être que bénéfique à
l’Afrique en général et aux États membres de l’OHADA en particulier. La décision de
conférer au Conseil des ministres un rôle normatif est en parfaite adéquation avec l’objectif
d’intégration juridique qui guide l’OHADA. Le Secrétariat permanent est rattaché à cet
organe et chargé de la préparation de tous les actes et du programme annuel d’harmonisation
du droit des affaires, ce qui est logique. Dans la procédure d’élaboration des normes, les États
membres ne semblent pas laissés pour compte. Les textes sont transmis par le Secrétariat
permanent pour appréciation et observations aux « commissions nationales »116 de chaque
État membre avant de passer en Conseil des ministres; et le Conseil des ministres est composé
des représentants des États membres. Les points de discordance sont discutés jusqu’à
l’obtention d’un texte qui permet d’obtenir l’unanimité indispensable à son adoption. Malgré
114
Cour Constitutionnelle du Sénégal, Arrêt n°3/C/93 du 16/12/1993. En l’espèce, la Haute juridiction
sénégalaise était saisie par le Président de la république en vertu de l’article 78 de la constitution pour vérifier la
conformité des articles 14 à 16 du Traité relatif à l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires à ce texte. Ces
dispositions donnent compétence à la CCJA pour connaître de toute difficulté liée à l’application ou
l’interprétation du Traité. La question qui se posait était celle de savoir si le « pouvoir de juger » qui dérive de la
souveraineté interne de l’État pouvait être partiellement transféré à une autorité supranationale.
En clair le problème qui se posait dès le départ était celui relatif à la souveraineté des États membres. V. sur la
question de la constitutionnalité du Traité OHADA, F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », Doctrine,
OHADATA D-04-36, n°8, p. 3.
115
A. SALL, « conformité à la constitution des articles 14 à 16 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique », Penant, Revue de droit des pays d’Afrique, J., n°827, mai-août 1998, p. 234.
116
La création des Commissions Nationales relève de la pratique et n’est pas prévue par le Traité relatif à
l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires.
40
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
tout, les critiques demeurent en raison du fait que les commissions nationales ne sont pas
composées de représentants élus du peuple117.
69. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. L’OHADA se compose également d’une
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), qui a pour rôle principal « d’assurer
l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son
application, des Actes uniformes et des décisions »118. À la lecture de cette disposition, la
vocation de l’OHADA apparaît clairement : assurer une uniformisation des règles juridiques,
spécifiquement par le biais de la jurisprudence. Vocation qui demeurerait utopique si le soin
était laissé aux dix-sept juridictions nationales suprêmes internes d’assumer les fonctions
dévolues à la CCJA. La Cour de Justice de l’OHADA est l’organe qui rend le mieux compte
de la primauté de l’OHADA, en ce sens qu’elle s’impose aussi bien par ses décisions que par
ses fonctions aux États membres, en matière contentieuse et consultative. En effet, dans le
domaine juridique uniformisé, la CCJA jouit d’une compétence exclusive en cassation au
détriment des juridictions nationales suprêmes et l’avis qu’elle rend en cas de sollicitation lie
l’auteur de la demande. La jurisprudence constante de l’institution confirme cette exclusivité.
À titre illustratif, saisie d’un recours en annulation de l’arrêt rendu par la chambre judiciaire
de la Cour suprême ivoirienne, jugée incompétente par le demandeur au pourvoi, la CCJA
s’est déclarée compétente estimant qu’ « il résulte de l’article 14 alinéa 3 du Traité que la
compétence de la CCJA s’apprécie non pas sur le fondement des moyens invoqués à l’appui
du pourvoi, mais plutôt sur la nature de l’affaire qui a donné lieu à la décision attaquée en
recherchant si l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes ou
des règlements prévus au Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions
pénales »119.
117
B. MARTOR, S. THOUVENOT, « L’uniformisation du droit des Affaires en Afrique par l’OHADA »,
Doctrine OHADA, [www.ohada.com] , OHADATA D-12-63.
118
119
Traité de l’OHADA, article 14 al.1.
CCJA, 1ère Ch., Arrêt n°003/2013 du 07 mars 2013, pourvoi n° 116/2009/ PC du 16/11/2009 : Abdoulaye
Diallo c/ Monsieur LALLE Bi Ya Jacques, in Recueil de jurisprudence n° 20, Vol. 1, janvier - décembre 2013,
pp. 40-44. Il s’agissait d’une affaire relative à une procédure de saisie immobilière introduite devant un tribunal
en exécution de décisions de justice devenues définitives. La Cour suprême a retenu sa compétence en décidant
que le moyen unique de cassation invoqué par le demandeur au pourvoi tiré de la contrariété de décisions ne
soulève aucune question se rapportant à l’interprétation et à l’application d’Actes uniformes ; ce alors que l’arrêt
attaqué a décidé entre autres qu’il n’y a pas lieu de surseoir à la vente de l’immeuble saisi et a ordonné au
tribunal de fixer conformément à la loi, une nouvelle date pour la vente dudit immeuble ; la CCJA a donc estimé
41
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
70. Cette suprématie est fortement décriée par les tenants des théories « nationalistes » qui la
voient d’un mauvais œil. Selon eux, elle signe l’affaiblissement voire la disparition de
juridictions suprêmes nationales. Juridictions dont la compétence serait résiduelle, car limitée
aux hypothèses dans lesquelles le droit des affaires ne serait pas applicable. Fait plus grave, la
CCJA serait un troisième degré de juridiction si l’on s’en tient à ses fonctions de juge du fait
et du droit comme le pensent certains auteurs, dont André AKAM AKAM. Selon lui, la CCJA
est un troisième degré de juridiction parce qu’elle « évoque et statue sur le fond et surtout sans
renvoi » 120. À relativiser, dans la mesure où cette particularité de la CCJA qui découle de son
caractère supranational, contribue indéniablement à assurer une interprétation commune par
les juges du fond de l’espace OHADA d’un même droit substantiel communautaire et à la
cohérence des actions de l’OHADA. Grâce à la CCJA, les États membres ont vu la sécurité
judiciaire se renforcer considérablement et l’environnement des affaires s’améliorer.
71. À la faveur de la révision du Traité originel au Sommet de Québec du 17 octobre 2008, il
a été créé la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, organe suprême de l’OHADA.
Elle est compétente pour connaître de toutes les questions relatives au Traité et est composée
des Chefs d’État et de gouvernement des États parties. Si le Conseil des ministres, la CCJA, le
Secrétariat permanent illustrent bien la primauté de l’OHADA en tant qu’institution, l’aspect
supranational, il convient de relativiser l’assertion à l’égard de la conférence des chefs d’État.
En dépit du rôle important qu’elle pourra jouer dans le contrôle des organes sus mentionnés et
des institutions de l’OHADA, la « suprématie » qui est la sienne, son champ d’application
ratione materiae illimité et sa composition, pourraient à long terme mettre à mal les objectifs
fondamentaux de l’OHADA. Le premier risque serait celui de transformer ce qui est une
organisation technique d’intégration juridique en une organisation politique121. Un autre
risque est l’éventuelle immixtion dans l’action et le fonctionnement des autres organes tels
que le Conseil des ministres ; le président de la conférence étant le chef d’État dont le pays
que la juridiction suprême nationale a méconnu les dispositions de l’article 18 du traité OHADA en se déclarant
à tort compétente. Déclarant sa décision est nulle et non avenue.
120
A. AKAM-AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique en Afrique », in Les mutations juridiques dans le
système OHADA, (sous. Dir.), Paris, l’Harmattan, 2009, n°16, p. 29 ; toujours sur cette question, V. E.-A.
ASSEPO, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, un troisième degré de juridiction ? », in
R.I.D.C, vol. 57, n°4, 2005, pp.943-955.
121
J. ISSA-SAYEGH, P.-G. POUGOUE, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions », Actes du
Colloque sur l’harmonisation du droit OHADA des contrats, Ouagadougou 2007, Revue de droit uniforme,
UNIDROIT, 2008, p. 455.
42
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
assure la présidence du Conseil des ministres et les décisions étant prises par consensus ou à
défaut à la majorité absolue. Le jeu des intérêts particuliers et des lobbyings pourrait ternir
l’objectivité de l’œuvre du Conseil des ministres.
2. La primauté du droit de l’OHADA
72. Une primauté affirmée par la théorie moniste. Suivant les principes de droit
international public, la primauté du droit international sur le droit interne est affirmée.
L’ensemble de la doctrine objectiviste défend ce point de vue lorsqu’elle se réclame du
monisme122. En réalité, et ce malgré les différentes écoles et théories qui s’affrontent, il n’y a
aucun doute quant à la reconnaissance de la primauté du droit international donc du droit
communautaire123 ; ce d’autant plus, qu’aussi bien la pratique diplomatique que la
jurisprudence internationale l’admettent124. En la matière, deux théories s’affrontent : la
théorie dualiste et la théorie moniste. Selon la théorie dualiste, il y a une égalité et une
séparation de l’ordre international des ordres étatiques. En clair, la règle internationale ne
s’impose pas en droit interne, droit qui a sa valeur propre et n’a pas à se conformer à la règle
internationale125. Si l’on en croit les tenants de cette théorie, l’ordre étatique est seul juge de
l’opportunité d’intégrer le droit international dans son ordonnancement juridique. La lourde
procédure de réception prévue à cet effet en est une parfaite illustration. Une loi nationale
intervient pour assurer la transmutation de la norme internationale en droit interne. Une telle
théorie, bien que paraissant logique en raison de sa conformité avec les idéaux souverainistes,
n’emporte pas l’adhésion et l’évolution de l’histoire des systèmes juridiques étatiques le
confirme. Il en ressort effectivement une soumission de fait au droit international. Fait qui se
122
Même si sur ce point, certains auteurs rappellent qu’ « en dépit de la promotion du monisme ces dernières
décennies, il est pourtant loin de rendre raison de l’état du droit positif. Un fond dualiste subsiste, sans doute de
manière irréductible ». J. COMBACAU, S. SUR, Droit international public, 12e éd., Issy-les-Moulineaux,
L.G.D.J, 2016, p. 185.
123
Il est tout à fait logique et justifié que l’autorité supra législative reconnue au droit international traditionnel
dans les ordres internes des États, s’applique également au droit communautaire, donc au droit communautaire
OHADA, droit supranational par essence.
124
CJCE Arrêt Simmenthal, 9 mars 1978 Aff. 106/77 ; dans cette affaire Administration des finances de l’État
contre Société Anonyme Simmenthal, la CJCE pose le principe selon lequel la primauté du droit communautaire
s’exerce sur le droit national et ce même vis-à-vis d’une loi nationale postérieure.
De même « la pratique internationale confirme très nettement et souvent en termes catégoriques, la subordination
du droit interne au droit des gens », Ch. ROUSSEAU, Le Droit international public, Tome I, n°30, p. 46.
125
P. VELLAS, Droit international public, Institutions internationales, 2e éd., Paris, L.G.D.J, 1970, p. 14.
43
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
manifeste par le plébiscite de la théorie moniste. Même si, suivant la théorie moniste, deux
modalités existent, dont l’une consistant à reconnaître la primauté au droit interne dont le droit
international est considéré comme dérivé126. La doctrine moniste affirme l’unité du système
juridique tout en faisant prévaloir la primauté du droit international. Ce droit international
s’applique directement dans l’ordre juridique des États, car leurs rapports sont des rapports
d’interpénétration, rendus possibles par leur appartenance à un système unique fondé sur
l’identité des sujets et des sources du droit127. Dans cette hypothèse de primauté du droit
international sur le droit interne, l’on considère que le second dérive du premier et que leurs
rapports sont comparables à ceux existant dans un État fédéral entre le droit des États
membres et le droit fédéral.
73. La théorie moniste est celle qui a droit de cité dans la plupart des États, notamment au sein
des États membres de l’OHADA. La primauté du droit de l’OHADA en tant que droit
communautaire est affirmée comme principe. Les constitutions des États membres en
consacrant la primauté des traités sur les lois dès que les conditions de ratification, de
publication et d’application par l’autre partie sont respectées, consacrent de facto celle des
autres actes émanant de l’organisation. Cependant, il convient de distinguer deux situations
qui concernent, d’une part, le droit primaire et d’autre part, le droit dérivé de l’OHADA. Le
droit primaire est constitué par le Traité fondateur de l’OHADA et répond comme sus indiqué
aux exigences d’une application médiate, c’est-à-dire subordonnée à la procédure d’adoption
et de ratification régulière par les États membres. Le Traité obéit aux règles du droit
international conventionnel classique, c’est-à-dire qu’il est négocié, soumis à autorisation de
ratification, puis à la ratification effective et à la publication au journal officiel de l’État
concerné128. Quant au droit dérivé constitué par les Actes uniformes, les règlements et les
autres actes, il bénéficie de l’application immédiate.
74. L’article 10 du Traité comme source de la primauté. La primauté du droit de
l’OHADA a été érigée en principe dès la création de l’organisation, au sein des textes
fondateurs. L’article 10 du Traité dispose que : « les Actes uniformes sont directement
126
Sur la question des deux courants de la théorie moniste, la pratique internationale n’en confirme aucune de
manière absolue mais consacre en général la primauté du droit international.
127
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, op.cit., n°48, p. 106.
128
M.-F SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire dans les États francophones Ouest
africains », in actes du colloque des 24-26 juin 2003, Ouagadougou, Les cahiers de l’Association Ouest africaine
des Hautes juridictions francophones.
44
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit
interne, antérieure ou postérieure »129. Mais l’affirmation de cette primauté du droit de
l’OHADA a été à l’origine d’interprétations diverses. La Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage a tranché la question en émettant un important avis. En effet, par un avis du 30
avril 2001, répondant à la demande de la Côte d’Ivoire, elle a précisé la portée de l’article 10
du traité en admettant que : « l’article 10 (…) contient une règle de supranationalité parce
qu’il prévoit l’application directe et obligatoire dans les États parties des Actes uniformes et
institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures et
postérieures » 130.
75. Ainsi, les Actes uniformes priment le droit national des États membres en vertu de la règle
de supranationalité contenue dans l’article 10 du Traité. Les États membres sont liés par les
dispositions de chacun des dix (10) Actes uniformes adoptés par le Conseil des ministres. La
situation est simple : le Conseil des ministres représentatif de la volonté commune adopte à
l’unanimité des Actes uniformes. Les États sont dans l’obligation de respecter lesdits Actes.
Une fois le droit de l’OHADA adopté et entré en vigueur, il ne peut être contesté131 par les
États parties. Son caractère supranational est d’autant plus affirmé que le droit de l’OHADA
fixe lui-même sa propre place par rapport aux seuls droits internes.
76. La justification du principe de primauté est aisée : pourrait-on encore parler de droit en
commun s’il était loisible à l’État qui le souhaitait de se fonder sur une disposition de son
droit interne, pour se soustraire à l’application du droit issu de l’accord international auquel il
a librement consenti ? En effet, les États dans le cadre de leurs relations de coopération
129
Article 10 du Traité fondateur de l’OHADA.
130
CCJA, avis n°001/2001/EP du 30 avril 2001, faisant suite à la demande d’avis n°002/2000/EP du 19 octobre
2000 République de Côte d’Ivoire, conformément au rôle consultatif attribué à la CCJA par l’article 13 du Traité
en dehors de tout contentieux. Il s’agissait pour la République de Côte d’Ivoire de savoir notamment si l’article
10 contenait une règle de supranationalité. Et s’il contenait une règle relative à l’abrogation du droit interne par
les Actes Uniformes.
131
Le fait que l’article 54 du Traité de Port Louis interdise les réserves dans l’engagement des États, témoigne
bien du caractère intangible de leur engagement même s’il est vrai que l’option de la dénonciation leur est
ouverte. Comme le précise H. TCHANTCHOU, « les États africains ne sauraient déroger au principe de
l’intangibilité des conventions internationales. En consentant à la convention OHADA, les États signataires et
adhérents se sont liés par son contenu ». V. H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de
l’OHADA, Etude à la lumière du système des Communautés Européennes, Paris, l’Harmattan, 2009, n°158, p.
62.
45
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
concluent des traités132 définis par leur caractère international et conventionnel. La force
obligatoire tire son essence du caractère conventionnel et est affirmée comme principe,
comme une sorte de « lois des lois » en droit international public. Le principe est reconnu et
admis de manière unanime par la doctrine en dépit d’une explication diverse selon les
courants de pensée : la volonté des États d’être liés ou encore le caractère impératif du
principe en lui-même.
77. L’essence du caractère obligatoire. Ce caractère obligatoire constitue une règle
fondamentale du droit international public, tant et si bien que l’article 26 de la Convention de
Vienne précise que « tout Traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de
bonne foi »133. C’est la consécration du principe du Pacta sunt servanda qui signifie que les
parties à une convention doivent respecter les obligations qui en découlent et ne sauraient en
aucune manière s’en affranchir134. L’idée est simple et le raisonnement similaire à l’hypothèse
de la conclusion de contrats dont la force obligatoire a pour siège l’article 1103135 du Code
civil français. Dès lors que les conditions de validité, que sont le consentement libre éclairé, la
capacité de contracter, un objet certain et une cause licite136, sont satisfaites, les parties ne
peuvent se soustraire à l’exécution du contrat sauf dans certains cas. Il est clair qu’en ayant
marqué un accord manifeste pour s’engager dans le cadre d’un contrat, le respect de notre
volonté prime et que nous sommes liés par elle. Sauf si le consentement a été entaché de vices
tels que ceux définis par la théorie des vices du consentement en droit civil.
78. En la matière, trois courants de pensée s’opposent. Selon le premier qui regroupe le plus
grand nombre d’adeptes, dont les volontaristes, les solutions du droit interne doivent être
transposées purement et simplement, pendant qu’un autre courant de pensée préconise la
132
Le Traité se définit selon l’article 2 alinéa 1 de la Convention de Vienne relative au droit des traités comme
étant l’« accord conclu sous la forme écrite quelle que soit sa dénomination ». Il peut être bilatéral ou
multilatéral.
133
Convention de Vienne sur le droit des Traités conclue le 22 mai 1969.
134
L’article 27 de la Convention de vienne vient renforcer la force du principe Pacta sunt servanda par le biais
de ses dispositions : « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la nonexécution d’un traité ». Ce principe qui a un caractère coutumier est souvent rappelé par les juridictions
internationales.
135
Selon l’article 1103 du Code civil, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à celles qui les
ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi
autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
136
La cause a été supprimée en droit français mais subsiste au sein des États membres de l’OHADA qui
appliquent le droit civil antérieur à la réforme du Droit des obligations.
46
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
prudence et l’adaptation des règles du droit interne à la vie internationale. Le dernier courant
de pensée marque son hostilité envers toute idée de transposition qu’il juge dangereuse137. En
droit positif, l’admission de vices de consentement est acquise, mais les principes qui
gouvernent cette théorie ne sont pas purement et simplement appliqués. L’erreur est reconnue
en droit international comme étant une cause de nullité du Traité , dans l’hypothèse où serait
substantielle, le dol auquel s’ajoute la corruption l’est également. Cependant, la violence
désignée sous le vocable de « contrainte » est diversement appréciée selon que l’on a affaire à
celle exercée sur un représentant de l’État ou à celle exercée sur l’État138. La précision de la
nécessité d’une exécution de bonne foi met en exergue la valeur du consentement de même
que la prise en compte de la question de la licéité de l’objet du traité. C’est l’hypothèse des
traités immoraux qui, selon la commission du droit international, s’intègre dans la catégorie
des traités contraires aux normes impératives appelées Jus cogens.
79. Aussi, le principe du pacta sunt servanda serait-il reconnu comme faisant partie du jus
cogens, normes impératives du droit international auxquelles aucune dérogation ne serait
permise et dont la violation, à l’occasion de la conclusion de traités ou d’accords
internationaux, entraînerait la nullité de ceux-ci139. Il y va de la crédibilité de la société
internationale et du droit international public. L’ordre international n’aurait aucune raison
d’être s’il était loisible à chaque État de se soustraire à ses obligations et d’invoquer sa
souveraineté ; une souveraineté qui est, il convient de le préciser, le fondement de la présence
sur la scène internationale. En définitive, le caractère obligatoire du pacta sunt servanda
réside tant dans sa valeur intrinsèque en qualité de norme impérative que, dans la volonté des
parties.
137
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, op.cit., n°119, p. 214 ; V. également
L. CAVARE, Le droit international positif, Pedone, Tome II, 1969, pp.84-91.
138
La Convention de Vienne relative au droit des Traités a codifié les règles relatives aux vices du
consentement ; dans son article 48 elle évoque « l’erreur essentielle » qui est en fait « l’erreur substantielle » telle
que connue en droit civil et traite du dol dans son article 49. Le régime de la contrainte s’éloigne vraiment de
celui de la violence.
139
F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n°259, p. 221. V. également sur la question M. VIRALLY,
Réflexions sur le « jus cogens », in Le Droit international en devenir, Essais écrits au fil des ans, 1990, pp. 147
et s. La question du jus cogens est cruciale en droit international car elle est l’essence, le cœur même de la force
obligatoire des actes issus de cette discipline. Sur cette question notamment l’auteur Pierre Marie DUPUY
abonde dans le même sens en évoquant la possibilité de reconnaître au principe de la force obligatoire des traités
une portée structurellement impérative constituant une exigence première de l’existence et de la cohérence d’un
ordre juridique international.
47
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
80. L’illustration de la primauté du droit de l’OHADA. La primauté du droit de l’OHADA
en tant que corollaire de la supranationalité de l’OHADA est illustrée par les différents Actes
uniformes élaborés et adoptés dans le cadre de l’œuvre harmonisatrice. Par exemple, le droit
civil national en vigueur au sein de la plupart des États membres présentait le nantissement
comme « le contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la
dette »140. Aussi bien le gage que l’antichrèse étaient rattachés au nantissement. Ainsi, étaient
qualifiés de gage, le nantissement d’une chose mobilière et d’antichrèse celui d’une chose
immobilière. Dès l’adoption du premier Acte uniforme traitant de la question des sûretés, une
distinction a été opérée à l’image du droit français en consacrant, d’une part, le gage de
meubles corporels et, d’autre part, le nantissement de meubles incorporels. Le nantissement
devient « l’affectation d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles
incorporels, présents ou futurs, en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures, à
condition que celles-ci soient déterminées ou déterminables »141. Désormais contraires au
texte de l’Acte uniforme, l’article 2072 du Code civil ivoirien ainsi que toutes les dispositions
relatives à l’Antichrèse, sont abrogés. Cela démontre toute la suprématie du droit de
l’OHADA. Droit de l’OHADA qui hormis son champ matériel très étendu dispose d’un
champ spatial défiant toute concurrence et couvrant dix-sept (17) pays africains.
§ 2. Le caractère transnational du droit de l’OHADA
81. Le droit de l’OHADA tel qu’adopté et entré en vigueur, déploie ses effets au-delà des
sièges des différents organes de l’organisation. La supranationalité induit un autre caractère et
non des moindres qui veut que le dispositif juridique de l’OHADA transcende les frontières
étatiques et s’applique dès lors qu’une adhésion à l’organisation a été faite. Ce caractère
transnational de l’OHADA doit être expliqué (A) et ses manifestations présentées (B).
A. Le concept de Transnationalité
82. Le droit de l’OHADA est présenté comme étant un droit transnational. Les contours du
concept méritent qu’on s’y arrête en le définissant (1) tout en mettant en exergue l’intérêt de
ce caractère transnational (2).
140
Article 2071 du Code civil Burkinabé, du Code civil Togolais, du Code civil Comorien, Code civil ivoirien…
141
Article 125 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
48
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1.
La définition de la transnationalité
83. Explication du concept et de son évolution. Toute organisation internationale regroupant
plusieurs États bénéficie d’un champ matériel et spatial sur lequel elle peut exercer son
pouvoir et mener ses actions. Ses principes et règles sont exécutés, appliqués sur un territoire
donné. C’est le cas de l’OHADA dont le champ spatial est constitué par le territoire des dixsept États membres qui la composent. De ce fait, l’OHADA et le droit qu’elle sécrète revêtent
un caractère transnational. Ce terme suppose le franchissement d’une frontière et/ou s’exerce
par-dessus les frontières indépendamment de l’action des États142. M. le Doyen Jean
CARBONNIER a fait observer, à propos du caractère transnational que « l’on n’a pas a priori
affaire sur un territoire donné, à un seul droit qui serait l’étatique, mais à une pluralité de
droits concurrents, étatiques, infra-étatiques, supra-étatiques (…) le droit étatique devra subir
la concurrence d’ordres juridiques distincts de lui » 143.
84. La notion a énormément évolué au fil des années. Philip JESSUP lance l’idée du « droit
transnational » dans sa quête d’un encadrement adapté des relations internationales. Selon lui,
l’on parle d’un droit incluant le droit international public et le droit international privé, non
sans oublier le droit interne à portée internationale et encore moins les relations juridiques
directement nouées par les personnes privées entre elles »144.
85. Aujourd’hui, l’expression sert à évoquer, selon certains auteurs, un « tiers ordre
juridique » ou encore la Lex mercatoria, ensemble de règles d’origine purement privée
qu’appliquent les pouvoirs privés, principalement économiques, dans leurs rapports internes
ou avec les États. Ce sont des règles appliquées et applicables aux personnes privées
notamment les entreprises privées ou autres acteurs mais qui peuvent être appliquées à des
personnes de droit public. En prenant le cas de l’OHADA, ses règles et principes sont
élaborés et adoptés par les États membres par le biais des institutions communautaires. De ce
point de vue, leur origine n’est pas purement privée. À l’origine, ce seraient des règles issues
du droit privé, du monde des affaires et adoptées à l’intention des acteurs de ce monde. Que ce
soit le droit des sûretés, les voies d’exécution, le statut juridique des commerçants, le droit de
la vente, toutes ces matières ont pour essence non pas des règles étatiques, mais des règles
purement privées et s’inspirant du droit national privé des États membres. États qui, dans leur
142
G. CORNU, in Vocabulaire juridique, op.cit., p. 1038.
143
J. CARBONNIER, Sociologie juridique, P.U.F, Coll. Thémis Droit, Paris, 1978, p. 123.
144
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international Public, op cit., n°4 bis, p.43.
49
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
volonté d’harmonisation, s’en sont servi comme fondement pour élaborer les textes qui soustendront leurs actions et appuieront l’atteinte de leur objectif d’intégration juridique. Ces
règles trouvant application sur le territoire de chacun des États membres de l’OHADA,
s’imposent à eux avant de lier leurs citoyens.
86. Une approche extensive. Par ailleurs, le « droit transnational » est souvent employé de
manière plus extensive pour désigner les systèmes juridiques qui se développent
indépendamment de l’État et couvre également des relations possédant toujours des éléments
d’extranéité, des ensembles normatifs de nature mixte par leurs sujets ou par leurs sources145.
C’est l’hypothèse, d’une part, de rapports entre un État ou toute autre personne morale de
droit public et une personne privée étrangère, et de l’autre de contrats transnationaux et de
conventions internationales. Hypothèse également vérifiée avec le droit de l’OHADA qui,
comme susmentionné, a vocation à s’appliquer aussi bien à des personnes morales de droit
public qu’à des personnes privées. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales
et du GIE, s’applique y compris aux sociétés dans lesquelles un État ou personne morale de
droit public est associé, ce indépendamment de la nature de la participation : à titre d’associé
ou d’actionnaire unique, d’actionnaire avec des partenaires ou encore dans le cadre d’une
société d’économie mixte146.
87. Le caractère transnational s’apprécie du point de vue de la compétence internationale de
l’État, c’est-à-dire du « pouvoir juridique conféré ou reconnu par le droit international à un
État de connaître d’une affaire, de prendre des décisions, de régler un différend »147. C’est en
vertu de cette compétence internationale que l’influence de l’État, sa compétence ratione loci
est définie. La compétence spatiale qui est l’élément fondateur de la différenciation des
compétences exercées par un État avec à la clé l’émergence et l’affirmation d’une notion
145
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, ibid. V. également J. SALMON, (sous. Dir.), Dictionnaire de
Droit international Public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 394. « Le droit transnational c’est l’ensemble des
règles qui transcendent du point de vue de l’objet, du champ d’application et de la source, les frontières d’un
État. Ce droit comprend les principes généraux de droit, les coutumes et usages du commerce international,
certaines lois uniformes, ainsi que la jurisprudence des tribunaux arbitraux. Le droit transnational peut également
englober le droit administratif international ». J.-F. LALIVE, « René-Jean DUPUY, arbitre internationall’arbitrage international à l’heure de la mondialisation », hommage à René-Jean DUPUY, ouvertures en droit
international, Paris, Pedone, 2000, p. 69.
146
L’Article 1er de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au Groupement d’Intérêt Economique
dispose que : « toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou une personne morale de droit
public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des États parties au Traité relatif à
l’harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, est soumise aux dispositions du présent Acte uniforme ».
147
Dictionnaire de la terminologie du Droit international, Sirey, 1960, p 132.
50
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
essentielle : le territoire. En effet, sur le plan des compétences, l’on distingue les compétences
exercées sur le territoire et fondées sur la souveraineté étatique et le pouvoir politique des
compétences exercées hors du territoire et dont l’exercice est rendu justement possible par les
règles du droit international.
88. Le principe de la territorialité. Le caractère transnational du droit de l’OHADA
transparaît dans la totalité des Actes uniformes adoptés dans le cadre de l’harmonisation. En
effet, tous font référence, ou du moins érigent en condition sine qua non, la présence sur le
territoire d’un des États membres. L’on a affaire au principe de la territorialité qui est un
fondement essentiel du droit public. Suivant ce principe les actes émis par l’État n’ont
d’effets, que dans les limites de son territoire. Le territoire est aujourd’hui, dans une
perspective plus complémentaire, communément présenté comme « la sphère de compétence
spatiale de l’État, le cadre de validité de l’ordre étatique »148. De même, en vertu de la
transnationalité, les institutions communautaires de l’OHADA se substituent aux États pour ce
qui est de l’édiction de normes qui s’imposeront à lui. C’est notamment le cas des Actes
uniformes qui sont adoptés par un législateur interétatique et s’appliqueront de manière
uniforme à tous les États membres. Il n’est cependant pas exclu que les États soient tenus
d’appliquer des normes provenant d’autres États. C’est notamment le cas en droit de
l’arbitrage. Dès lors que les parties installées dans des pays différents sont d’accord dans la
convention d’arbitrage quant au choix de l’arbitre, seules les procédures et règles émanant de
cette institution seront appliquées.
89. Un autre aspect non négligeable du caractère transnational du droit de l’OHADA réside
dans le type de relations qu’il réglemente. Lesdites relations sont en général définies par
l’extranéité qu’elles font intervenir en matière d’acteurs ou de destinataires du droit de
l’OHADA ; destinataires dont l’État ne fait pas partie puisque le critère principal des relations
transnationales consiste à ne pas mettre des États en présence. Ainsi, les relations se
développent dans un cadre international avec notamment des parties qui sont établies sur des
territoires différents. L’extension de l’influence du droit de l’OHADA à l’ensemble des États
membres marque l’effectivité du caractère transnational du droit de l’OHADA.
148
Ch. ROUSSEAU, Droit international public, 10e éd., Paris, Dalloz, Coll. Précis Dalloz, 1984, n°153, p.140.
51
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. L’intérêt de la transnationalité
90. Transnationalité, efficacité et effectivité. Le caractère transnational de l’OHADA et du
droit uniforme est loin d’être dénué d’intérêt. L’aptitude du droit de l’OHADA à être mis en
œuvre et à déployer des effets sur le territoire de ses dix-sept États membres de manière
identique est vitale pour l’effectivité et l’efficacité de l’œuvre harmonisatrice. Dans le
contexte de la Mondialisation149, de la prédominance de l’économie de marché et du
capitalisme, le droit uniforme OHADA est un atout majeur qui renforce la crédibilité de
l’organisation et est bénéfique aux États membres. En effet, le droit des États parties était
balkanisé, l’investisseur étranger avait de la peine à identifier le droit applicable. À cela
s’ajoute la corruption doublée d’une méconnaissance par les juges du monde des affaires150,
faisant régner dans ces États une insécurité juridique et judiciaire. Il régnait « un no man’s
land juridique dans le domaine économique (…) qui exposerait l’opérateur économique aux
aléas d’une législation obsolète, illisible et inadaptée » 151. L’investisseur étranger qui
identifie des opportunités d’investissement importantes en Afrique est davantage rassuré par
l’idée qu’il pourra bénéficier de garanties renforcées grâce au droit de l’OHADA. Dans le
cadre de ses activités, il pourra se prévaloir d’un dispositif juridique identique dans le champ
spatial de l’OHADA et bénéficiera d’une interprétation cohérente et uniforme des règles
applicables en cas de litige grâce à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
91. À titre d’illustration, peut être citée en matière commerciale, la connaissance des
modalités de création d’une société qui sont communes aux États membres152. Avec la
mondialisation, des acteurs d’un autre genre apparaissent : les firmes transnationales, des
entreprises qui déploient leur action sur plusieurs pays. Leurs activités sont de plus en plus
orientées vers les pays en voie de développement qui constituent un marché porteur avec un
pouvoir d’achat très important. L’existence d’un cadre juridique et judiciaire communs, est
avantageuse pour ces firmes qui prennent déjà un risque considérable en investissant dans des
149
M. SEYMOUR, États-Nations, Multi-nations et Organisations supranationales, Québec, éd. LIBER, 2002, p.
175, citant Kai NIELSEN, « il y a mondialisation économique lorsque des Organisations Trans-territoriales
dirigent et contrôlent substantiellement les structures économiques du monde ».
150
P.-S.-A. BADJI, « Réflexions sur l’attractivité du droit OHADA », B.D.E, Laval, n°2, 2014, p. 50.
151
M. AKOUETE-AKOUE, « Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les investissements
étrangers », Lamy Droit civ., janv. 2010, n°67, p. 85.
152
Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (G.I.E) ; la
question des G.I.E est très intéressante en ce sens qu’elle est un vecteur de coopération entre entreprises.
52
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
zones parfois méconnues et jugées instables. L’existence d’un vaste champ spatial permet la
division internationale du travail qui est un moyen d’optimisation des coûts à travers la
répartition dans l’espace des différentes étapes du processus de production d’un bien ou des
services. Par ailleurs, même dans l’hypothèse où il déploie ses activités dans un État nonsignataire du Traité fondateur de l’OHADA, il pourrait malgré tout bénéficier de l’application
du droit de l’OHADA si le ou les partenaires d’affaires y sont soumis.
92. La mondialisation et les pôles d’influence. Aujourd’hui, à la faveur de la
mondialisation153, des pôles de développement, des pôles d’influence se sont formés et
gouvernent les relations internationales. La société internationale est devenue le cadre par
excellence du lobbying à outrance et c’est à qui fera partie du groupe le plus influent. Les
négociations sont âpres, ardues et des acteurs inattendus, avec lesquels il faut désormais
compter, viennent bousculer l’ordre établi par le concert des pays développés. Ce sont les
pays émergents, les pays qui bien que présentant des insuffisances, connaissent une croissance
importante et constante. Face à ces mutations de l’environnement économique international,
l’option idoine consiste à constituer un pôle d’influence fondé sur des aspects régionalistes,
mais prenant en compte un domaine clé de l’économie ou ayant des relations avec l’économie.
En créant l’OHADA, les États ont mis sur pied un acteur déterminant des relations
internationales et ont regagné une place de choix au cœur de la société internationale. C’est
dans ce sens qu’abonde le Professeur Paul-Gérard POUGOUE quand il affirme qu’« une
organisation interétatique produit un droit uniforme de nature à garantir un climat de
confiance concourant à faire de l’Afrique un pôle de développement. On cherche l’intégration
juridique pour faciliter les échanges et les investissements et garantir la sécurité juridique des
activités économiques »154.
93. Caractère transnational et sécurité juridique. De plus, l’OHADA a induit une
croissance économique non négligeable en faveur des États membres si l’on en croit la courbe
d’évolution des investissements dans les pays de la zone franc. Grâce notamment aux
dispositions des Actes uniformes, les investisseurs bénéficient d’une prévisibilité du droit à
échelle plus ou moins grande. Les États membres, tenus d’appliquer des règles juridiques
153
La Mondialisation amorcée dès 1973 a atteint son point culminant à la faveur du nouveau millénaire. Elle se
manifeste par l’interdépendance croissante des économies et l’intensification de la concurrence, l’expansion des
échanges. Elle induit la circulation de flux financiers et économiques à échelle mondiale, flux qui sont d’ailleurs
multipliés. Il faut s’adapter aux nouvelles règles et contraintes et se les approprier.
154
P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », Revue de l’ERSUMA n° Spécial, nov-déc
2011, pp. 9-21.
53
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
uniformes en matière notamment de droit des sociétés et de droit commercial général, se
distinguent dans le domaine laissé sous leur emprise et tributaire de la politique économique
en vigueur. En effet, la fiscalité est le lieu pour les États, à travers des mesures incitatives à
l’investissement, d’attirer les investissements étrangers. Certains États, à l’instar de la Côte
d’Ivoire, adoptent un Code des investissements qui prévoit selon la durée des investissements,
leur nature ou la zone d’implantation, des exonérations, des réductions d’impôts155. Ces
facilités et avantages sont tributaires du respect des règles du droit de l’OHADA en amont.
94. Les avantages du caractère transnational du droit de l’OHADA ne se limitent pas aux
investissements étrangers ; il a permis de développer le sens de l’entrepreneuriat dans sa zone
d’influence. L’idée d’avoir des règles communes applicables dans plusieurs autres États dans
des conditions identiques réduit les craintes liées au projet d’entreprise. Les entreprises, en se
conformant aux principes établis par le droit de l’OHADA, renforcent leur compétitivité et
favorisent le développement de leurs pays. Les conclusions du rapport Doing Business
témoignent de cette croissance exponentielle de l’initiative privée en Afrique en général et
dans la zone franc en particulier et de l’amélioration du climat des affaires156. Les autorités
nationales engagent des réformes visant à améliorer la sécurité des investissements et le climat
des affaires, à la lumière du droit de l’OHADA.
95. La zone franc pourrait tirer un autre avantage et non des moindres du caractère
transnational de l’OHADA et de son dispositif juridique. Étant donné que l’OHADA partage
un champ spatial d’application identique à celui d’autres organisations communautaires telles
que l’UEMOA157, et dans une certaine mesure la CEMAC158, elle pourrait contrôler
155
L’Ordonnance n°2012-487 du 07 juin 2012 portant Code des investissements ivoirien, prévoit des avantages
en faveur des entreprises qui créent ou développent des activités sous certaines conditions ; l’article 5 précise que
« Les investissements dans chacun des secteurs visés par les dispositions du présent Code sont réalisés librement
dans le respect des lois et règlements en vigueur en Côte d’Ivoire ».
156
Le Doing business, projet de la Banque mondiale, mesure les réglementations favorables et défavorables de
l’activité commerciale ; ces rapports présentent des indicateurs quantitatifs sur la réglementation des affaires et la
protection des droits de propriété de 189 pays.
Selon les données du Doing business 2016
[www.français.doingbusiness.org], la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Togo, sont parmi les 10 pays qui se
sont améliorés en 2013/2014 dans les domaines couverts par Doing business ; ils font partie des meilleurs
réformateurs et ont adopté des mesures facilitant la pratique des affaires. Le rapport souligne que les membres de
l’OHADA sont particulièrement actifs et que 24 des réformes engagées ont réduit la complexité et le coût des
processus réglementaires quand cinq ont renforcé les institutions juridiques.
157
Créée le 10 janvier 1994 à Dakar, l’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a pour
objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein
duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des
facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les
professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire. Huit États
54
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’application des règles en vigueur notamment pour ce qui est des entreprises transnationales
et des holdings. Il serait tout de même opportun de réglementer de manière idoine la question
des investissements nationaux au regard de la prédominance du secteur informel qui est
« omniprésent » dans les États membres de l’OHADA. Est-il possible de vouloir harmoniser
le droit des affaires et laisser de côté tout un pan de l’économie nationale, régionale et interrégionale159 ? Un pan de l’économie qui semble rester indifférent aux manifestations du
caractère transnational du droit de l’OHADA.
B. Les manifestations du caractère transnational
96. Le droit de l’OHADA est d’application directe et immédiate (1) tout en ayant un effet
direct (2).
1. L’application directe et immédiate
97. L’article 10 du Traité, le siège. Le caractère transnational du droit de l’OHADA se
traduit par son application directe et immédiate au sein des États membres. Le droit de
l’OHADA désigne le droit dérivé constitué des Actes uniformes, des règlements et autres
actes juridiques adoptés en vue de l’application du droit de l’OHADA. Les caractères
d’application directe (self executing) et immédiate font strictement référence aux Actes
uniformes si l’on en croit les dispositions du Traité. Il faudrait y remédier et prévoir de
manière expresse des caractères identiques aux autres normes du droit dérivé. Le siège en est
l’article 10 du Traité fondateur de l’OHADA qui dispose que : « Les Actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure »160. Que faut-il entendre par Acte
uniforme ? Les Actes uniformes sont les actes adoptés par les organes compétents en vue
côtiers et sahéliens, liés par l’usage d’une monnaie commune, le FCFA et bénéficiant de traditions culturelles
communes, composent l’UEMOA : le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le
Sénégal et le Togo. L’UEMOA couvre une superficie de 3 506 126 km2 et compte 120,2 millions d’habitants. Le
taux de croissance du PIB, à prix constant, est de 6,7% en 2017. (Source : INS/C. UEMOA : RSM juin 2018).
[http://www.uemoa.int/fr/presentation-de-luemoa].
158
La Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) regroupe six États de l’Afrique
centrale suivants : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée-Equatoriale, le Tchad. La
principale mission de la CEMAC est de développer un espace intégré et d’y promouvoir un développement
harmonieux. [https://www.cemac.int/].
159
C. TOHON, « Le Traité OHADA : l’anthropologie du droit et le monde des affaires en Afrique et en
France », in Juridicités, cahiers d’anthropologie du droit, Paris, éd. Karthala, 2006, p. 134.
160
Article 10 du Traité fondateur de l’OHADA.
55
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’atteindre l’objectif d’harmonisation comme le précise l’alinéa 1 de l’article 5 du Traité. Les
Actes uniformes relèvent du droit dérivé au Traité en ce sens qu’ils constituent les actes
adoptés en vue de l’atteinte des objectifs définis par lui, à savoir l’intégration juridique. Ils
constituent le droit substantiel de l’OHADA.
98.
L’applicabilité directe. Expliciter la notion d’applicabilité directe du droit dérivé de
l’OHADA revient à se référer au droit communautaire qui la définit ainsi : «l’applicabilité
directe signifie que les règles du droit communautaire doivent déployer la plénitude de leurs
effets d’une manière uniforme dans les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et
pendant la durée de leur validité (…) »161. Le droit de l’OHADA étant à notre sens un droit
communautaire, c’est de manière naturelle qu’il produit ses effets dès son entrée en vigueur et
jusqu’au terme de sa validité. L’entrée en vigueur est subordonnée à la publication des Actes
uniformes au Journal Officiel de l’OHADA qui intervient selon l’article 9 du Traité dans un
délai de 60 jours après l’adoption. Les actes ne sont véritablement applicables que quatrevingt-dix (90) jours après leur publication au Journal officiel de l’OHADA162.
99. L’applicabilité immédiate. Contrairement au droit primaire, qui est d’application médiate,
le droit dérivé a vocation à s’appliquer immédiatement, ce qui signifie que « ses dispositions
pénètrent dans l’ordre juridique interne en tant que tel, sans qu’il soit nécessaire d’assurer sa
réception ou sa transformation en droit interne » 163, sans le recours au mécanisme de la
transposition qui est utilisé pour l’application des directives dans la plupart des institutions
communautaires. Aussi bien l’Union européenne que l’UEMOA164, utilisent dans le but
161
C.J.C.E, Aff. 106/77, Simmenthal, 9 mars 1978, Rec. 1978, P.629 et s. Dans l’affaire Administration des
finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal, il est posé le principe selon lequel la primauté du droit
communautaire s’exerce même vis-à-vis d’une loi nationale postérieure.
162
Les dispositions de l’article 9 semblent curieuses étant donné que la publication des Actes uniformes au
Journal officiel de l’OHADA ne se suffit pas à elle-même ; la logique aurait voulu que dès la publication au J.O,
les Actes soient applicables. L’autre problème réside dans le fait qu’il existe des différences quant à la date
d’entrée en vigueur des Actes uniformes dans des hypothèses précises ; notamment la prévision d’une période
transitoire qui permet la survivance de l’ancienne loi.
163
J.-Cl. GAUTRON, Droit Européen, 14e éd., Paris, éd. Dalloz, 2012, p.200 ; V. également sur la question, M.F. SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire dans les États francophones Ouest africains »,
Actes du Colloque de Ouagadougou, 24-26 juin 2003, in les cahiers de l’Association Ouest africaine des Hautes
juridictions francophones, p. 85.
164
L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine est souvent perçue comme une concurrente de l’OHADA
étant donné les caractères qu’elles ont en commun ; l’UEMOA est une organisation supranationale dont les actes
bénéficient ainsi de la primauté, de l’applicabilité directe et immédiate et surtout qui partage avec l’OHADA un
champ spatial presqu’identique. Elle réalise ses objectifs d’intégration par le biais de directives qui font l’objet
de transposition.
56
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’atteindre leurs objectifs, la directive qui, bien que n’étant pas en principe directement
applicable, offre l’avantage de la souplesse en ce sens qu’elle laisse le choix aux États quant
aux moyens qu’ils jugent adaptés pour l’atteinte de ceux-ci.
100. Le principe de l’immédiateté emporte trois (3) conséquences : tout d’abord, le droit
communautaire est intégré de plein droit dans l’ordre juridique interne sans une formule
spéciale d’introduction. Ensuite, les normes communautaires prennent leur place dans l’ordre
juridique interne en tant que droit communautaire. Enfin, les juges nationaux ont l’obligation
d’appliquer le droit communautaire165. Cette immédiateté n’est que le corollaire de l’option en
faveur du monisme en vertu duquel le Traité international s’applique en tant que tel dans
l’ordre juridique national sans réception ni transformation dans l’ordre juridique interne des
États parties du traité, sous réserve de sa ratification et de sa publication166. La publication
dans le Journal Officiel de l’OHADA intervient ainsi dans les formes et délais requis après
l’adoption des Actes uniformes. Le caractère transnational du droit de l’OHADA est ainsi
confirmé d’autant plus qu’il acquiert un statut de droit positif au sein des États membres dès
son entrée en vigueur dans le respect de son champ d’application. Et ce indépendamment de la
publication des Actes uniformes au Journal officiel des États membres. En effet, « la
publication des Actes uniformes au journal officiel d’un État partie est sans influence sur leur
entrée en vigueur immédiate »167. S’il en était autrement, la cohérence et l’unification tant
recherchée dans l’application du droit de l’OHADA seraient fortement compromises. Les
États membres récalcitrants peuvent arguer de l’absence de publication des Actes uniformes
dans leurs Journaux Officiels respectifs pour se soustraire à leur application. Méconnaissant
165
A.-Y. SARR, L’intégration juridique dans l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA) et
l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), P.U.A.M, 2008, p. 369.
166
J.-M. NTOUME, « La force obligatoire des conventions internationales de droit économique et
communautaire », actes du premier Congrès de l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant
en partage l’usage du français (AHJUCAF), « le juge de cassation à l’aube du 21e siècle », Marrakech du 17 au
19 mai 2004, p.126.
167
Cour d’Appel du Centre (Cameroun), n° 333/ Civ., 2-8-2002 : KINGUE Paul Eric c/ HAJAL MASSAD ; il a
été jugé dans cette affaire que « conformément à l’article 10 du Traité OHADA, la publication des Actes
uniformes au journal officiel d’un État partie est sans influence sur leur entrée en vigueur immédiate. Par
conséquent, la rupture d’un contrat de bail commercial doit revêtir certaines formes prescrites à peine de nullité
telles que le caractère judiciaire prévu à l’article 101 de l’AUDCG et le juge des référés demeure compétent pour
prononcer l’expulsion lorsqu’il n’y pas de contestation sérieuse ».
L’intégration de cette décision dans l’article 9 du Traité de Port Louis en sa version révisée de 2008, témoigne de
la volonté d’accorder une force absolue et sans partage au droit uniforme OHADA et surtout elle vient mettre fin
aux débats et questions relatifs à l’opposabilité des Actes uniformes aux États membres.
57
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
par la même occasion le principe de la primauté et du caractère obligatoire du droit de
l’OHADA qui sont essentiels à l’œuvre harmonisatrice.
101. Le caractère obligatoire. Cette force obligatoire est consacrée, comme précisé en amont
par l’article 10 du Traité fondateur de l’OHADA et subsiste en dépit de l’existence de normes
de droit interne contraires. La primauté du droit de l’OHADA l’exige et en adhérant à
l’organisation qui le fonde, les États membres sont tenus de le respecter. La CCJA a, à travers
sa jurisprudence, consacré le caractère obligatoire du droit de l’OHADA, notamment dans
l’affaire Société AFROCOM en rappelant que « l’Acte uniforme portant organisation des
sûretés, étant d’application directe et obligatoire dans les États parties, nonobstant toute
disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure, il s’applique aux actes de
cautionnement postérieurs à son entrée en vigueur, conformément à l’article 150 dudit Acte.
Viole les articles 4 et 150 de l’Acte susvisé, une norme de droit interne, motif pris de ce que
les parties, en n’exigeant pas les prescriptions de l’Acte uniforme, ont renoncé aux
dispositions dudit Acte » 168. Le caractère direct et obligatoire des Actes uniformes leur
permet d’échapper au contrôle de constitutionnalité. Celui-ci ne peut intervenir « que a priori,
lors de l’examen des projets par les différentes commissions nationales en premier ressort ou
en dernier ressort par le Conseil des ministres des Finances et de justice des États
membres » 169.
2. L’effet direct du droit de l’OHADA
102.
Un effet à destination des justiciables. Aux caractères obligatoires et d’applicabilité
immédiate du droit de l’OHADA, s’ajoute l’effet direct qu’il convient de distinguer de
l’applicabilité directe. Alors que l’applicabilité directe s’entend d’une norme de droit
communautaire incorporée dans l’ordre interne et qui n’impose aucune norme nationale
168
CCJA, Arrêt n° 18/2003 du 19 octobre 2003, Société AFROCOM, contre Caisse de Stabilisation et de Soutien
des Prix des Productions Agricoles dite CSSPPA, Le Juris-Ohada, n° 4/2003, p. 10, note BROU Kouakou
Mathurin, Recueil de jurisprudence CCJA, n° 2, juillet-décembre 2003, p. 30. Dans cette affaire, il était question
d’obtenir que soient déclarés nuls, et de nul effet, les actes de cautionnement donnés postérieurement au 1er
janvier 1998 par ECOBANK et la BACI au profit de la CSSPPA. En le faisant sur le fondement de la violation
de l’article 4 de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés déjà en vigueur au moment de la rédaction des
actes litigieux, la CCJA confirme le caractère obligatoire des Actes Uniformes. Caractère qu’elle avait déjà
affirmé dès 1999 dans son avis n°2/99/EP du 13/10/1999, in Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier
2003, p. 71 ; la Cour a estimé que le projet de loi malien qui instituait « des conditions nouvelles, impératives et
restrictives » en matière de voies d’exécution, contrevenait à l’article 10 du Traité OHADA qui affirme la force
obligatoire des Actes uniformes sur les dispositions du droit interne (…).
169
F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », [www.ohada.com], op.cit., p. 4.
58
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
complémentaire170, l’effet direct s’intéresse plutôt aux destinataires in fine de ce droit
communautaire : les particuliers, personnes privées physiques et/ou morales. L’on dit d’une
norme qu’elle est dotée de l’effet direct lorsqu’elle crée des droits en faveur des particuliers
qui ont la possibilité de l’invoquer et de s’en prévaloir devant le juge national171 ; ces
personnes peuvent demander elles-mêmes l’application de la norme aux organes des pouvoirs
publics ou à défaut aux tribunaux de l’ordre juridique interne172. Les tribunaux sont tenus de
se conformer à ladite norme en raison de son caractère supranational donc de sa primauté sur
l’ordre interne. L’effet direct pose « la problématique des rapports entre le droit international
et les particuliers. Une norme est dite directement applicable si elle a vocation à se saisir ès
qualités des sujets nationaux et que ces sujets ont le droit de s’en prévaloir »173 .
103.
L’effet direct horizontal et l’effet direct vertical. L’OHADA a été instituée en vue
d’assurer l’harmonisation du droit des affaires nécessaire à la sécurisation des
investissements. Il est tout à fait normal que les acteurs du monde des affaires que sont les
particuliers puissent bénéficier de la force du droit de l’OHADA et en tirer tous les avantages
et privilèges. En raison de son caractère transnational, le droit de l’OHADA peut être invoqué
d’une part dans les rapports entre ressortissants des États membres et de l’autre dans un litige
entre un individu et un État membre. Il s’agit respectivement de l’effet direct horizontal et de
l’effet direct vertical174. Mais l’effet direct ne doit pas être réduit à l’invocabilité. Il est clair
que dès lors qu’un dispositif juridique crée des droits, des obligations lui sont également
rattachées. Par exemple, un particulier ne peut refuser que lui soit appliqué un Acte uniforme
170
H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, op. cit, n° 638, p. 180.
Concernant la distinction de l’effet immédiat et l’effet direct, « par l’effet immédiat, l’application de la loi n’est
ni rétroactive, ni différée, elle est instantanée. L’immédiateté relève du régime du conflit des lois dans le
temps ».
171
L’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963 est fondamental. Dans cet arrêt la CJCE observe que « la
Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien
que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres
mais également leurs ressortissants ». Par cette décision, c’est le droit des citoyens à invoquer le Traité pour faire
valoir leurs droits qui est reconnu.
172
P.-M. DUPUY, Y. KERBRAT, Droit international public, 14e éd., Paris, Dalloz, 2018, n°419, pp. 459-460.
173
H. TCHANTCHOU, ibid.
174
B. GUEYE, S.-N. TALL, OHADA Traité et Actes uniformes commentés et annotés, note relative à l’article 10
du Traité, Juriscope, 2012, p. 37.
59
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
sous prétexte qu’il l’a écarté, ou qu’il y a renoncé175, le caractère obligatoire de celui-ci
s’étendant à lui également.
104.
L’effet direct n’intervient pas ex nihilo. Son déclenchement est subordonné à l’entrée en
vigueur des Actes uniformes, c’est-à-dire à la publication des Actes uniformes au journal
officiel de l’OHADA dans les formes et délais requis. La publication au Journal officiel des
États membres est de ce fait inopérante en la matière176. Son rôle est simplement celui d’un
outil de vulgarisation du droit de l’OHADA au sein des États membres. Si pour rendre
applicables les Actes uniformes en droit interne, une telle publication devait suivre celle au
Journal officiel de l’OHADA, « il dépendrait de la discrétion de chaque État partie de différer
ou d’ajourner indéfiniment l’application du droit intégré et les Actes uniformes seraient
appliqués à des dates différentes » 177. En principe, la situation est claire et ne devrait poser
aucune difficulté pour ce qui est de l’application effective du droit de l’OHADA. Le taux non
négligeable d’analphabétisme et le caractère limité de la vulgarisation du droit, freinent
l’effectivité du droit de l’OHADA. Il aurait fallu, que le Traité OHADA érige en condition
supplémentaire de l’entrée en vigueur des Actes uniformes, la publication dans les Journaux
officiels des États membres sous peine de sanction.
La supranationalité et le caractère transnational de l’OHADA sont les principes qui
gouvernent la soumission des États membres à l’organisation et à son dispositif juridique.
L’application directe et immédiate, ainsi que le caractère obligatoire du droit de l’OHADA,
découlent de ces principes directeurs. L’influence du droit de l’OHADA s’étend au droit
commun national des États membres.
175
Il est impossible de renoncer tacitement ou explicitement aux Actes uniformes au profit d’une norme de droit
interne vu qu’ils sont obligatoires et d’application immédiate ; l’arrêt Société Afrocom rendu le 19 Octobre 2003
par la CCJA se prononce en ce sens.
176
Le caractère inopérant de la publication des Actes uniformes dans les journaux officiels des États membres
pourrait sembler curieux ; les dispositions constitutionnelles desdits États conditionnent l’opposabilité d’un acte
juridique de portée générale à sa publication dans le journal officiel. Il n’est pas exclu que ces dispositions soient
invoquées pour écarter l’application d’un Acte Uniforme. La supranationalité de l’OHADA et donc du droit de
l’OHADA permettent de résoudre la question.
177
J. ISSA-SAYEGH, « Les instruments nationaux de l’intégration juridique dans les États de la zone franc », in
De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard POUGOUE, éd. du CREDIJ, 2014, p.371.
60
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Section 2. Les incidences de la soumission du droit commun national
105.
Les États membres qui ont marqué leur adhésion pleine et entière, sans réserve au traité
fondateur de l’OHADA, renoncent dans une certaine mesure à la souveraineté législative qui
est la leur. La force du droit de l’OHADA est telle que chaque État membre doit faire face à la
substitution de cet ensemble de règles aux siennes propres (§1) tant et si bien que le droit
commun national au sens de droit civil, en est réduit à se mettre en retrait (§ 2).
§ 1. La substitution de plein droit du droit de l’OHADA au droit commun
national
106.
L’article 10 affirme la force obligatoire des Actes uniformes et par la même voie leur
supériorité par rapport au droit national. Cette supériorité se manifeste par la réception du
droit de l’OHADA dans le dispositif juridique des États membres, soit par le mécanisme de
l’abrogation totale ou partielle (A), soit par la survie exceptionnelle des dispositions
nationales (B).
A. Le principe de l’abrogation totale ou partielle
107.
Le principe de l’abrogation relève avant tout de l’application de la loi dans le temps (1) et
est mis en œuvre suivant des hypothèses diverses (2).
1. Le principe de l’application dans le temps des lois nouvelles
108.
Un principe de non-rétroactivité diversement appliqué. L’application de la loi nouvelle
dans le temps pose une question cruciale en droit : celle de savoir quelle situation la loi
nouvelle a vocation à régir quand elle intervient. Les faits ou actes demeurent-ils sous
l’empire de la loi ancienne ? En la matière, c’est en se référant à l’article 2 du Code civil que
l’on résout la question, en apparence du moins. Selon cet article, « la loi ne dispose que pour
l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » 178. De cet article, deux idées essentielles fondent la
solution retenue. D’une part, il est précisé que « la loi ne dispose que pour l’avenir ». La loi
régira uniquement les situations juridiques nées postérieurement à son entrée en vigueur179.
C’est par exemple l’hypothèse de l’application de l’Acte uniforme portant organisation des
178
Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle a une valeur constitutionnelle en droit pénal avec sa
consécration à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui est partie intégrante
du bloc de constitutionnalité. En droit civil la valeur est simplement législative.
179
F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n°516, p. 427.
61
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
sûretés180 . En vertu de l’article 227, cet Acte ne s’applique qu’aux sûretés consenties ou
constituées après son entrée en vigueur. Celles consenties ou constituées antérieurement
restent soumises à la législation alors en vigueur jusqu’à leur extinction. Cette solution permet
de traiter de la seconde idée contenue dans l’article 2 susvisé. Celle de « l’effet non rétroactif
de la loi ». En effet, le principe est que la loi est sans application aux situations juridiques dont
les effets ont été entièrement consommés sous l’empire d’une loi précédente181 . Un acte de
cautionnement qui a été valablement constitué et dont l’obligation principale s’est vue être
modifiée et par la suite éteinte sous l’empire de la loi d’un État, ne pourra subir les effets de
l’Acte uniforme relatif aux sûretés. De l’article 2, il faut retenir une volonté de protéger la
liberté des individus, valeur fondamentale des droits de l’homme ; s’assurer de la stabilité des
situations juridiques et de la sécurité juridique. Cette valeur si chère aux juristes, la sécurité
juridique, a porté toute l’action du législateur français dans la réalisation de la réforme du
droit des contrats. Le Professeur Mustapha MEKKI l’affirme à raison : « pour des raisons de
sécurité juridique, le législateur a fait le choix de ne soumettre à ces dispositions nouvelles
que les contrats conclus après la date de l’entrée en vigueur de la réforme. Les exceptions sont
rares et concernent les alinéas 3 et 4 de l’article 1123, l’article 1158 et l’article 1183 qui
s’appliqueront aux contrats en cours dès son entrée en vigueur »182.
109.
Des difficultés peuvent néanmoins se présenter et se présentent souvent pour ce qui est de
la mise en œuvre des deux propositions contenues à l’article 2, entraînant des conflits de lois.
En effet, « Si l’art de faire les lois est entre tous difficile, celui de les insérer dans le temps est
plus périlleux encore. Heureux est-on lorsque, croyant aplanir quelques difficultés, l’on n’en
crée pas de nouvelles » 183. La réalisation de certaines situations juridiques peut s’étaler dans
le temps en raison de la nécessité de plusieurs actes ou encore de la production d’effets sous la
loi nouvelle184. C’est le cas notamment pour les contrats à exécution successive tels que le
180
Acte uniforme du 15 décembre 2010, J.O OHADA, n°22, du 15/02/2011.
181
F. TERRE, Introduction générale au droit, ibid.
182
M. MEKKI, « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations : Le volet régime des obligations et de la preuve : parfaire un peu et
refaire beaucoup », D. 2016, p. 608.
183
J. NORMAND, « L’application dans le temps des lois de droit judiciaire privé au cours de la dernière
décennie », Mélanges P. RAYNAUD, Paris, Dalloz – Sirey, 1985, p. 558.
184
V. sur ce point, G. CORNU, Droit civil : Introduction au droit, 13e éd., Paris, Montchrestien, Coll. Domat
Droit privé, 2007, n° 368, p. 194, quand il affirme que « le problème des conflits de lois est complexe ; il prend
tout son intérêt lorsqu’il s’agit de décider si la nouvelle saisit ou renonce à saisir des situations juridiques déjà
62
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
contrat de prêt assorti d’un taux d’intérêt ou le bail à usage d’habitation. Ces difficultés
conduisent soit à « une application maximale de la loi ancienne qui couvrira les situations
passées comme futures : survie de la loi ancienne ; soit à une application maximale de la loi
nouvelle, qui couvrira à son tour les situations passées et futures » 185.
110.
La théorie des droits acquis. En pratique, les difficultés sont résolues par le biais de
l’interprétation de l’article 2 du Code civil, interprétation faite par la doctrine et la
jurisprudence et qui intéresse le législateur. Pour ce qui est de la doctrine, deux écoles de
pensées s’affrontent : la théorie des droits acquis et la théorie de l’effet immédiat de la loi
nouvelle. Pour les tenants de la théorie des droits acquis, théorie classique et traditionnelle, le
principe de non-rétroactivité s’oppose à ce que les droits acquis soient remis en cause et le
législateur doit respecter de tels droits186 . Les droits acquis étant ceux dont a pu bénéficier un
individu sous l’empire d’une loi ancienne et qui ne peuvent plus être remis en cause par
application d’une loi nouvelle. Cette théorie tend à conserver la loi ancienne qu’elle souhaite
voir être pérennisée le plus longtemps possible. Elle souffre de son caractère conservateur et
peu réaliste en raison justement de l’évolution des situations juridiques, de leur complexité qui
nécessite l’adaptation des règles de droit , leur évolution et surtout une certaine souplesse.
111.
La théorie de l’effet immédiat de la loi nouvelle. La théorie de l’effet immédiat de la loi
nouvelle est une théorie plus moderne que l’on doit au Doyen Paul ROUBIER. L’auteur
raisonne à partir de « la situation juridique », tient compte des situations légales contrairement
à l’ancienne doctrine. Il distingue les deux propositions de l’article 2 du Code civil à savoir
« la non-rétroactivité de la loi » et « la question de l’application immédiate ». Selon lui, alors
établies au jour de son entrée en vigueur, mais appelées postérieurement à cette date, à produire d’autres effets de
droit qui se développent dans le temps».
185
P. DEUMIER, Introduction générale au droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 2013, n° 276, p. 225.
186
Ph. MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, 18e éd., Paris, LexisNexis, 2018, n°164, p. 151. Cette
doctrine distingue les droits acquis des simples expectatives qui elles peuvent être remises en cause par le
législateur ; les expectatives étant selon Gérard CORNU « les situations en suspens, les simples espérances » qui
sont régies par la loi nouvelle », G. CORNU, Droit civil (…), op. cit., n° 371, p. 195. Par un arrêt du 20 février
1917, la chambre civile a fait application de cette distinction dans une affaire relative à l’action en recherche de
paternité ; estimant que « la recherche en paternité ne constituait pour le père qu’une expectative », Civ. 20 fév.
1917, DP 1917, 1, 81, concl. Sarrut, note H. Capitant.
La doctrine des droits acquis fait l’objet de nombreuses critiques en ce sens que si elle était bien valable pour des
situations contractuelles pour lesquelles elle a été conçue selon ses détracteurs, elle ne convenait pas aux
situations légales qui visent pour la plupart la satisfaction de l’intérêt général. V. à titre de comparaison, H.
BATIFFOL, « Conflits de lois dans l’espace et conflits de lois dans le temps », Mélanges RIPERT, 1950, t. I, p.
301.
63
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
que le passé demeure régi par la loi ancienne, l’avenir l’est par la loi nouvelle. Mais il opère
une distinction pour les situations juridiques qui se sont constituées avant l’entrée en vigueur
de la nouvelle loi et qui prolongent leurs effets au-delà de celle-ci : « la loi nouvelle ne peut
pas revenir sur les conditions dans lesquelles ces situations se sont constituées ni modifier les
effets qu’elles ont déjà sortis (non-rétroactivité de la loi nouvelle), en revanche elle s’empare
de ces mêmes situations pour leur faire produire à compter de son entrée en vigueur, des
conséquences éventuellement différentes (effet immédiat de la loi nouvelle) »187. Cependant,
la solution est différente pour les situations contractuelles qui demeurent régies même pour
l’avenir par l’ancienne loi, loi sous l’empire de laquelle elles ont été créées188. Il s’agit du
principe de la survie de la loi ancienne pour les situations contractuelles en cours. Principe qui
vise à sauvegarder la sécurité juridique et le respect de la volonté des co-contractants qui ont
tenu à s’engager sur le fondement d’une loi précise. L’existence de ce principe ne fait aucun
obstacle à l’intervention du législateur ou du juge pour déclarer une loi nouvelle
immédiatement applicable au contrat en cours.
112.
L’énonciation de ce principe montre bien qu’en dépit des nombreuses critiques essuyées
par la doctrine classique, elle n’est pas totalement écartée pour autant. En réalité, la solution
aux conflits de lois réside dans la combinaison des deux théories qui sont complémentaires.
La théorie de l’effet immédiat présente l’avantage de la modernité en prenant en compte les
situations juridiques et par cette voie leur vocation à évoluer tout en n’occultant pas les
situations légales. Avec cette approche, la stabilité des conventions est assurée. La doctrine
contemporaine considère à juste titre que les deux théories sont compatibles. « L’une n’exclut
187
P. ROUBIER, cité par F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 526, p. 439. Les lignes
directrices de Paul ROUBIER demeurent valables et reconnues par la doctrine. V. également P. DEUMIER,
Introduction générale au droit, op.cit, n° 278, p. 227. L’auteur énonce les différentes situations juridiques
identifiées par le Doyen : « les conditions de création ou d’extinction des situations juridiques et leurs effets
passés ; les situations juridiques nées avant la loi nouvelle mais dont les effets sont en cours, les situations
contractuelles » ; G. CORNU, Droit civil (…), op. cit., n°373 et s., pp. 196-197 ; J.-L AUBERT, E. SAVAUX,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 12e éd., Paris, Dalloz, 2008, pp.88-101. Les auteurs
adoptent la position du Doyen ROUBIER tout en retenant trois principes : « celui de la non-rétroactivité de loi,
principe négatif et général auquel s’ajoute deux principes positifs et alternatifs qui commandent l’un
l’application immédiate de la nouvelle loi et l’autre le maintien de la loi ancienne ».
188
R. CABRILLAC, Introduction générale au droit, 12e éd., Paris, Dalloz, 2017, n°140, p. 137. Le principe de
la survie de la loi ancienne en matière contractuelle a largement été appliqué par les tribunaux ; selon la chambre
civile de la cour de cassation « les contrats passés sous l’empire d’une loi ne peuvent recevoir aucune atteinte
d’une loi postérieure », Civ. 7 juin 1861. 1. 507. La Cour de cassation précise également que « les effets d’un
contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé (…) », Civ., 7 juin 1901, D. 1902,
1. 105.
64
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
pas l’autre ; elles doivent être combinées, la théorie de l’effet immédiat s’appliquant au cas où
une loi nouvelle vienne modifier les effets d’une situation légale, celle des droits acquis
conduisant en revanche à la survie de la loi ancienne pour régir les effets d’une situation
contractuelle mise en place antérieurement »189. Et c’est dans une logique similaire que la
jurisprudence inscrit en général ses solutions. Un tempérament existe néanmoins au principe
de la survie de la loi ancienne aux contrats en cours. En effet, la jurisprudence admet qu’une
loi d’ordre public impérieux s’applique aux contrats en cours.
113.
Une application des deux théories par le législateur de l’OHADA. En définitive, il
apparaît clairement que l’approche du législateur de l’OHADA a consisté à retenir l’un ou
l’autre des principes suivant les situations juridiques et les matières concernées. Pour ce qui
est de l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés, l’on a bien affaire au plébiscite du principe
de non-rétroactivité de la loi de manière stricte doublé du maintien de la loi ancienne pour les
situations contractuelles. La modification par l’Acte uniforme du régime d’une sûreté légale
née sous l’ancienne législation de droit interne de manière moins avantageuse, est sans effet.
Son mode opératoire est fondé, dans la mesure où le mode contractuel est le mode par
excellence de la constitution des sûretés et des garanties de paiement, portée par la confiance
aux textes en vigueur et en l’autre partie. Si une loi nouvelle devait venir modifier les
conditions relatives à une convention déterminée, cela engendrerait une situation d’injustice et
remettrait en question la force du lien contractuel.
114.
Le droit de l’OHADA en dépit de la puissance qui est la sienne, en dépit de son caractère
supranational, voit celle-ci limitée par la nécessité du respect des droits acquis et des
situations contractuelles légalement et valablement formées au sein des États membres.
Encore que cette limitation intervienne de la volonté propre des institutions de l’OHADA.
Tout fait qui contribue au renforcement de la confiance placée en ce nouveau dispositif et en
l’atténuation des difficultés d’application qui peuvent apparaître. De manière générale et
hormis des cas précis, les Actes uniformes de l’OHADA consacrent le principe de la nonrétroactivité de la loi nouvelle. La formule utilisée est celle qui énonce l’application des Actes
uniformes aux actes conclus après leur entrée en vigueur190. La question des sûretés est assez
complexe au sein des États membres de l’OHADA. Ces États connaissent peu ou mal le droit
des garanties qu’ils doivent aux puissances colonisatrices.
189
Ph. MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, op. cit., n°166, p. 152.
190
De telles formules apparaissent dans les Actes uniformes et peuvent être perçues par le biais d’une
interprétation a contrario.
65
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. Les hypothèses d’abrogation du droit civil national
115.
La reconnaissance de la portée abrogatoire. En vertu de l’application de la loi nouvelle
dans le temps, les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Étatsparties. Ces caractères assignés aux Actes uniformes entraîneraient la reconnaissance d’une
portée abrogatoire. L’abrogation est un des modes de cessation des effets de la loi qui entraîne
son inapplicabilité pour l’avenir. L’abrogation est une annulation instantanée et prospective
n’ayant donc pas d’effet rétroactif. Elle ne peut concerner qu’un acte de législation qui a
valablement produit ses effets. L’abrogation vise à écarter entièrement un acte de législation
et c’est l’hypothèse de l’abrogation totale, ou une partie d’un acte de législation dans le cadre
de l’abrogation partielle191.
116.
Deux modalités d’abrogation existent : l’abrogation explicite par le biais de dispositions
finales précisant les textes concernés et l’abrogation implicite ou tacite qui « résulte de
l’incompatibilité des dispositions de la loi nouvelle avec les dispositions antérieures ; elle
suppose une contrariété entre les textes »192. En pratique, le nouveau texte vient en
remplacement du texte anciennement en vigueur qui lui est contraire par ses dispositions.
L’appréciation se fait au cas par cas, ce qui soulève des questions d’autant plus que
l’abrogation n’est pas prononcée expressément. Aussi bien l’abrogation totale que celle
partielle, sont fondées sur la valeur des actes concernés. Un texte ne peut en abroger un autre
que parce qu’il a une valeur égale ou supérieure à lui.
117.
Il est généralement admis que l’article 10 du Traité consacre l’abrogation du droit interne
par les Actes uniformes. La reconnaissance de cette portée abrogatoire découle de
l’interprétation faite par la doctrine et les juridictions, précisément la CCJA. Faut-il réellement
voir en l’article 10 une telle force193 quand il dispose que « les Actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure » ? Il ne fait aucun doute que les Actes
uniformes exercent une suprématie194 sur le droit interne des États membres et c’est à juste
191
P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, Bruylant, Bruxelles, 2009, n°211, p. 307.
192
P. PESCATORE, op.cit., p. 308.
193
P. DIEDHOU, « L’article 10 du Traité de l’OHADA : quelle portée abrogatoire et supranationale ? », Rev. dr.
unif., 2007, pp. 265-283.
194
K. KOUADIO, « Les atouts et les faiblesses de la réglementation uniforme de l’OHADA », Actualités
économiques, éd. Économique, n°4/2012, p. 100. Selon l’auteur, la primauté du droit de l’OHADA entraîne son
insertion dans le droit national qui elle consacre l’éviction ou l’abrogation des dispositions nationales contraires.
66
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
titre qu’il s’applique en dépit et au détriment de toute disposition contraire. L’application d’un
Acte uniforme fait obstacle, en principe, à la survie d’un droit interne qui lui serait contraire.
Un tel droit qui était valable et avait produit des effets, se verra anéanti par le droit uniforme.
D’où l’émergence de l’idée d’abrogation du droit national à laquelle nous adhérons. En effet,
pourrait-on valablement arguer de la suprématie du droit de l’OHADA s’il devait se contenter
de déployer ses effets sans influencer le droit national ? L’œuvre harmonisatrice ou en réalité
unificatrice n’existerait que de nom.
118.
Les dispositions visées par l’abrogation. L’abrogation dont il est question s’adresse à
des dispositions particulières du droit national des États membres. Elle concerne, en premier
lieu, les dispositions contraires au droit de l’OHADA et en second lieu, les dispositions ayant
un objet similaire aux Actes uniformes195. Les dispositions contraires au droit de l’OHADA
sont celles qui consacrent des solutions incompatibles avec ce droit et lui sont opposées. La
portée abrogatoire du droit de l’OHADA est totale en ce sens que les dispositions antérieures
contraires sont abrogées. Elle est partielle dès lors que les dispositions non contraires peuvent
subsister. L’abrogation n’est pas formellement exprimée dans les textes des Actes uniformes,
exception faite de quelques-uns. L’Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif est une illustration de l’abrogation explicite. L’article 257
dispose que « sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à celles du présent
Acte uniforme » 196. Ainsi des procédures collectives mises en œuvre en vertu de dispositions
nationales contraires seraient nulles et de nul effet. Cette abrogation pourrait trouver son sens
dans l’existence de l’article 10 qui est clair sur la question. Cependant, dans un souci
d’effectivité du droit de l’OHADA, il aurait fallu insister sur le caractère abrogatoire du droit
substantiel en le précisant dans les dispositions finales de chaque Acte uniforme. Ce, afin
d’éviter le recours au droit national contraire en lieu et place du droit uniforme et le
contentieux en la matière. De même, la précision du caractère abrogatoire contribue à la
cohérence de l’œuvre harmonisatrice.
195
La Cour Commune de Justice et d’arbitrage a par son avis du 30 avr. 2001 précisé la notion de « loi
contraire » qui « selon les cas d’espèce, peut s’entendre aussi bien d’un texte de droit interne ayant le même objet
qu’un Acte uniforme et dont toutes les dispositions sont contraires à celles d’un autre Acte uniforme, que d’une
loi ou d’un règlement dont seulement l’une des dispositions ou quelques-unes de celles-ci sont contraires ».
Dans ce dernier cas, les dispositions du droit interne non contraires à celles de l’Acte uniforme considéré
demeurent applicables. CCJA Avis n°1/2001/EP du 30 avr. 2001, Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial,
janvier 2003, p. 74.
196
L’Acte uniforme du 24 mars 2000, portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises
consacre une règle identique en son article 112.
67
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
119.
Les Actes uniformes abrogent également les textes de droit interne qui ont un objet
identique au leur. Ici, le caractère contraire ou non est inopérant, seul est pris en compte
l’objet du texte197. En la matière, l’article 336 de l’Acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement de créances et les voies d’exécution précise que « le présent Acte
uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les
parties »198. Dès lors qu’une matière ou une question fait l’objet d’un Acte uniforme ou y est
évoquée, le droit interne n’a plus vocation à s’appliquer qu’il soit antérieur ou postérieur.
Avec cette formule radicale de l’article 336 susvisé, c’est presque la totalité du droit des États
membres en matière de voies d’exécution qui est privé d’effet et qui n’a plus cours.
Cependant, cette abrogation n’est pas dénuée de sens. Selon l’esprit du législateur de
l’OHADA, le droit de l’OHADA fait office de « loi commune » en matière de droit des
affaires. Il est le cadre de référence et de mise en cohérence de législations africaines éparses,
obsolètes et parfois différentes suivant la culture juridique et les orientations politiques.
Permettre que des textes ayant un objet identique à celui des Actes uniformes subsistent,
reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore et à alimenter le contentieux déjà important en matière
d’application du droit de l’OHADA199.
120.
L’étendue de la portée abrogatoire. La question de la portée abrogatoire du droit de
l’OHADA n’est pas sans susciter des interrogations notamment pour ce qui est du caractère
exhaustif des normes concernées. N’ont de portée abrogatoire, que les Actes uniformes aux
termes de l’article 10 du Traité. Alors que le droit dérivé de l’OHADA inclut les règlements200
et tout autre acte, adoptés dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’OHADA. En
référence aux dispositions de l’article 10, les États membres ne seraient liés que par la
197
L’Acte uniforme portant sur le droit commercial général a abrogé celui du 17 Avril 1997. Cette abrogation est
compréhensible étant donné que ledit Acte faisait office de droit national pour les États membres dès son entrée
en vigueur et qu’il ne pouvait valablement subsister aux côtés d’un autre Acte uniforme ayant un objet identique
au sien.
198
Article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement de créances
et des voies d’exécution.
199
C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), dans un arrêt n°
106/2014, en date du 04 novembre 2014, rendu en Assemblée plénière. La Cour précise que « l’application des
Actes uniformes OHADA dans les matières qu’ils régissent n’est pas une faculté mais bien une obligation qui
s’impose dans leur application aux juridictions nationales. Doit être cassé l’arrêt qui, pour une matière régie
l’Acte uniforme sur les sûretés, fait application des dispositions du droit national ».
200
L’article 4 du Traité de Port Louis révisé au Québec dispose que « des règlements pour l’application du
présent traité et des décisions seront pris chaque fois que de besoin, par le Conseil des Ministres, à la majorité
absolue ».
68
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
suprématie des Actes uniformes. Si la hiérarchie des normes201 impose une supériorité de la
loi aux actes réglementaires, il se pose la question de la place des règlements OHADA face à
la loi nationale des États membres. Répondent-ils à la même règle d’ordonnancement ? Bien
que pouvant sembler dénuée d’importance, la question n’est pas futile si l’on prend le cas des
règlements de procédure de la CCJA et d’arbitrage de la CCJA. Un État membre est-il tenu de
respecter ces actes au même titre que les Actes uniformes ? En réalité, bien qu’il soit plus aisé
de retenir que les Actes uniformes ont un rang supérieur à celui des règlements202, il convient
de tenir compte d’un fait : des actes adoptés en vue de l’application d’actes jugés supérieurs
au droit des États membres devraient pouvoir bénéficier d’une valeur identique. Les Actes
uniformes constituent le principal et tout acte adopté en vue de leur application en est
l’accessoire. L’accessoire suivant le principal, il est clair que les États membres de l’OHADA
sont tenus de se conformer au règlement d’arbitrage de la CCJA dans le cadre de l’exercice
par celle-ci de ses attributions. L’article 34 dudit règlement rappelle d’ailleurs qu’il entre en
vigueur trente (30) jours après sa signature. Il aurait fallu que le législateur de l’OHADA
prenne exemple sur l’UEMOA qui a, au sein de l’article 43 de son Traité fondateur,
clairement énoncé la valeur de chaque type d’acte adopté203. D’autant plus que la même
question est soulevée par les décisions204 adoptées par le Conseil des ministres dans le cadre
de l’œuvre d’harmonisation.
121.
Au total, l’abrogation du droit national contraire par le droit de l’OHADA est un aspect de
la substitution du dernier au premier cité. En abrogeant le droit national dans les hypothèses
prévues, le droit uniforme le remplace et devient le droit positif, mais uniquement et la
précision est nécessaire, dans les matières qu’il traite. L’objectif visé des signataires du traité
de Port louis justifie la suprématie accordée au droit de l’OHADA qui, en vertu de l’article 1er
du Traité constitutif, est un droit commun aux Etats membres. En effet, le texte dispose que :
201
Il s’agit de l’ordonnancement pyramidal tel que défini par Hans KELSEN.
202
M.-F. SAWADOGO, « Le juge national et le droit communautaire », op. cit., p. 84. Selon l’auteur c’est la
nécessité d’obtenir l’unanimité des membres du conseil des ministres pour l’adoption des Actes uniformes qui
laisse penser à leur supériorité.
203
Selon l’article 43 du Traité UEMOA, « Les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous
leurs éléments et sont directement applicables dans tout État membre. Les directives lient tout État membre quant
aux résultats à atteindre. Les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles
désignent. Les recommandations et les avis n’ont pas de force exécutoire ».
204
V. Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999, relative aux frais d’arbitrage, J.O OHADA, 15/05/99, p.21.
69
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États
parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes (…)
Cette homogénéité de règles n’est cependant pas absolue puisqu’il est permis au droit national
de coexister aux côtés du droit de l’OHADA.
B. L’exception : La survie du droit national
122.
Dans certaines hypothèses, le droit de l’OHADA autorise expressément le droit national à
exister (1) lorsque ce n’est pas le droit transitoire qui y consent (2).
1. L’autorisation expresse du droit de l’OHADA
123.
L’expression de la volonté du législateur de l’OHADA. Le caractère supranational
reconnu à un ensemble de règles est déterminant dans sa mise en œuvre. Parce qu’un droit est
« supranational », « supra-étatique », il s’impose à d’autres normes qui lui sont jugées
inférieures et fait en général obstacle à leur application. L’application du droit de l’OHADA
est en principe réalisée, au détriment de celle des dispositions du droit interne. Le droit de
l’OHADA est le droit uniformément applicable au sein des États membres dans les matières
qu’il réglemente. En sa qualité de droit supranational, il fixe lui-même l’étendue de ses
pouvoirs et les modalités de son application. Le droit national peut alors subsister par le biais
d’une autorisation « expresse » du droit de l’OHADA, c’est-à-dire une expression formelle205,
sans équivoque qui ne laisse aucunement planer le doute quant à la volonté manifestée. De
manière concrète, les dispositions du droit uniforme précisent clairement et sans équivoque
que le droit interne en certaines matières, continue à trouver application en faveur des États
membres. L’Acte uniforme relatif au droit commercial général206 précise dans son article 1er
que « tout commerçant ou tout entreprenant demeure soumis aux lois non contraires au
présent Acte uniforme, qui sont applicables dans l’État partie où se situe son établissement ou
son siège social ». De telles dispositions témoignent bien de la force et de la suprématie du
droit de l’OHADA qui encadre les hypothèses d’application du droit interne des États
membres. En effet, seules des dispositions non contraires peuvent bénéficier d’une telle
205
G. CORNU, Le vocabulaire juridique, op. cit., p. 441.
206
Cet Acte uniforme n’est pas un cas isolé ; ainsi l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et
du Groupement d’intérêt économique et l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés coopératives autorisent
l’application de dispositions du droit interne non contraires.
70
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
autorisation. Ce qui soulève une interrogation et non des moindres : que revêt la formule
« lois non contraires » ? Quelle pourrait être la cause de la contrariété207 ? La source ?
124.
L’on désigne par « contraire » tout élément différent, antinomique, opposé, contradictoire,
aux antipodes de, incompatible, en comparaison à un autre. Une loi contraire serait donc celle
présentant lesdits caractères. Par opposition, l’on dira d’une loi qu’elle est non contraire au
droit de l’OHADA dès lors qu’elle ne retient pas de solutions incompatibles, contradictoires et
qu’elle respecte l’esprit du droit uniforme. Le bien-fondé de l’autorisation spécifique ne
souffre d’aucun doute étant donné qu’elle contribue à renforcer le caractère supranational du
droit de l’OHADA. Elle vise à assurer une certaine conformité avec le Traité fondateur de
l’OHADA, texte fondateur. L’article 10 formule clairement la mise à l’écart des dispositions
nationales contraires. L’extension de l’autorisation à toute forme de disposition de droit
interne serait incohérente.
125.
Les difficultés d’interprétation. Le problème qui se pose néanmoins avec l’autorisation
expresse de l’application de lois non contraires, est l’absence de précision du type de lois
concerné. L’interprétation faite d’une loi non contraire peut être différente d’un État à un
autre, d’un cocontractant à un autre. De même, l’objectif principal de l’OHADA, à savoir
l’adoption et l’application de règles communes, en est quelque peu remis en cause. Il est vrai
que les États membres ont reçu un héritage identique selon la tradition à laquelle ils
appartiennent. Des différences de transcription, de formulation ou même de mise en œuvre
existent, malgré tout. S’il leur est loisible de conserver en plus des textes qu’ils estiment non
contraires au droit de l’OHADA, l’on pourra être amené à un recul de l’effectivité du droit de
l’OHADA.
126.
Dans la mesure où une loi non contraire peut aussi bien être une loi ayant le même objet
que le droit de l’OHADA, une incohérence avec l’interprétation faite de l’article 10 du traité
par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage apparaît. Selon la Cour, l’article 10 a une
portée abrogatoire qu’il convient d’étendre aux dispositions dont l’objet est identique208 à
celui des Actes uniformes. Mais alors, quelles seront les modalités du tri des différents
textes ? En pratique, il serait difficile de résoudre la question surtout si un État hostile à
l’application du droit de l’OHADA pouvait trouver là un moyen de se soustraire à
207
Cf. Supra, n°117, p. 67.
208
F. ANOUKAHA, « L’OHADA en marche », op. cit., n° 13, p.13 ; selon l’auteur la CCJA dans son avis du 30
avril 2001, considère également comme lois contraires , des lois ou règlements dont l’objet est identique à celui
des Actes uniformes.
71
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’abrogation de son droit . Un texte peut néanmoins avoir le même objet que le droit de
l’OHADA mais apporter des précisions sur certains aspects de la question traitée. Quelle
serait la solution dans ce cas ?
127.
L’adjonction de lois non contraires complémentaires. L’autorisation de l’adjonction de
lois non contraires complémentaires pourrait apporter une réponse. Les Actes uniformes en
dépit du fait qu’ils réglementent des matières précises, n’en sont pas moins des textes
généraux. Conscient de l’éventuelle existence de cas particuliers et de réalités tout aussi
spécifiques aux États membres, le droit de l’OHADA offre la possibilité de greffer aux Actes
uniformes, des textes complémentaires209. Il s’agit en l’occurrence de textes qui viendront soit
expliciter le contenu des Actes uniformes, soit réglementer des situations spécifiques, soit
encore des cas de figure non traités par les Actes uniformes. Mais le principe demeure le
même : le texte ne doit pas contredire les Actes uniformes.
128.
En vertu de l’autorité du droit de l’OHADA sur le droit national des États membres, il
existe un recul de ce dernier face au premier. Malgré une reconnaissance de la
supranationalité, de la primauté, des effets direct et immédiat du droit de l’OHADA, la réalité
est tout autre. L’OHADA ne bénéficie pas d’un moyen de contrôle quant à une éventuelle
contrariété du droit des États membres. Le droit transitoire est la preuve de la survie des
dispositions nationales parfois au détriment du droit de l’OHADA.
2. Les dispositions transitoires
129.
Une période de transition favorable au droit national. Le droit de l’OHADA permet
également la survie du droit national en ses dispositions transitoires. Les dispositions
transitoires interviennent pendant une période transitoire, celle qui marque le passage de la loi
ancienne à la loi nouvelle. Leur application relève ainsi de l’application dans le temps de la
loi. Les dispositions transitoires déterminent le domaine respectif de la loi ancienne et de la loi
nouvelle. La présence de dispositions transitoires constitue une piste pour éviter les conflits de
lois ou les résoudre. Concrètement, la loi nouvelle inclut des « dispositions transitoires dans
ses dispositions finales précisant leur application dans le temps, dispositions qui tendent
généralement à donner à la réforme la plus large application possible » 210. Il est vrai que la loi
209
L’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales énonce en son article 2 la possibilité pour l’associé unique
ou les associés de compléter l’Acte uniforme par leurs dispositions, seulement si ledit Acte l’autorise
expressément.
210
P. DEUMIER, Introduction générale au droit, op. cit., n° 277, p. 226. V. également R. CABRILLAC, op.cit.,
n° 130, p. 130.
72
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
nouvelle autorise l’application de la loi ancienne pendant une période précise et qu’il est
possible d’y voir la manifestation de la force de la première sur la seconde. Cependant, la
portée doit être relativisée, car c’est plutôt la survie de la loi ancienne qui est consacrée pour
un délai précis, mais qui est consacrée malgré tout. « Les dispositions transitoires ont pour
objet, soit de réserver l’application de la loi ancienne pour certaines personnes ou pendant une
période donnée, soit de prévoir un régime d’adaptation graduelle à la loi nouvelle »211.
130.
Une disposition transitoire revêt trois (3) caractéristiques : « elle détermine un passage
partiel d’un texte à un autre ; elle établit un régime juridique temporaire visant à aménager la
transition du droit ancien au droit nouveau ; elle institue un régime dérogatoire par rapport à
l’ensemble du texte de sorte que certaines dispositions ne suivront pas l’entrée en vigueur
globale de la réforme »212. Tout d’abord en vertu du droit transitoire, la loi nouvelle ne régira
que certaines situations, les autres le seront par le droit ancien en des aspects qui sont pourtant
réglementés par la loi nouvelle ; ainsi, l’application de certaines dispositions de la loi nouvelle
se verra différée. Ensuite, la transition instaurée est assortie d’un terme en raison de son
caractère provisoire. Enfin, la dérogation peut résulter de la survie partielle de la loi ancienne,
l’application anticipée d’une partie de la loi nouvelle, ou encore, l’institution d’un régime
distinct à la fois de l’ancien et du nouveau droit.
131.
L’autorisation du droit uniforme. Le droit de l’OHADA autorise par le biais de
dispositions transitoires, l’application du droit national des États membres. Les Actes
uniformes concernés comportent des énonciations spécifiques dans leurs dispositions finales
qui sont désignées à dessein par le terme « dispositions transitoires et finales » et constituent
une solution au possible conflit entre le droit interne et le droit de l’OHADA respectivement
loi ancienne et loi nouvelle. L’échéance du terme du droit transitoire est fixée et déterminée
de manière précise ou indicative. En pratique, le droit de l’OHADA prévoit, soit
l’inapplication d’une loi nouvelle aux situations qui sont antérieures à son entrée en
vigueur213, soit une application de l’ancienne loi pendant un délai précis en vue d’assurer la
stabilité des situations juridiques et la sécurité juridique. Le fait par exemple pour l’Acte
uniforme relatif aux sûretés de maintenir l’application de la législation nationale, pour les
211
P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, op. cit., n°214, p. 314.
212
E. VERGES, « Les dispositions transitoires en droit judiciaire privé », Cahiers de méthodologie juridique,
R.R.J, n°14, 1999, p. 1469.
213
Supra, n°110, pp. 63-64.
73
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
sûretés constituées sous leur empire, et ce jusqu’à leur extinction, est bien un exemple de
disposition transitoire214.
132.
Le droit transitoire permet le déploiement progressif du droit de l’OHADA en assurant un
passage sans heurts, de la loi ancienne à la loi nouvelle. Il contribue à la protection de droits
acquis et à la sécurité juridique. Pour les ressortissants des États parties qui parviennent
difficilement à s’approprier le droit uniforme, l’existence d’un délai d’adaptation est
importante. Cependant, les juridictions nationales suprêmes déjà assez réfractaires à leur
dessaisissement au profit de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, peuvent trouver dans
les dispositions transitoires un moyen d’écarter l’application du droit de l’OHADA. La Cour
suprême du Cameroun, par son arrêt du 5 juin 2003, a rappelé, à propos de l’Acte uniforme
relatif aux procédures simplifiées de recouvrement, que « même si l’acte uniforme abroge
toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les États parties, les
dispositions antérieures, à titre transitoire demeurent applicables » 215. Aussi, le droit
transitoire constitue-t-il, un entre-deux qu’il n’est pas toujours aisé de percevoir surtout quand
le terme de l’application est imprécis ou indéfini. Malgré tout, le droit commun national est
supplanté par le droit de l’OHADA.
§2. L’autorité du droit de l’OHADA sur le droit commun national des États
membres
133.
Le droit de l’OHADA a une caractéristique essentielle qui est sa force impérative (A) ; une
force qui n’autorise le droit national commun des États membres à subsister que dans
l’optique de la réalisation d’une mise en conformité (B).
A. La force impérative du droit de l’OHADA
134.
La force impérative du droit de l’OHADA prend sa source dans l’ordre public (1) et
l’interdiction de mesures s’opposant à l’application du droit de l’OHADA (2).
214
V. article 227 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Une autre illustration est celle
fournie par l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial général en son article 304 qui accorde un délai de
deux ans aux sociétés et autres personnes pour se conformer aux nouvelles exigences de l’inscription au Registre
de Commerce et du Crédit Mobilier et aux fichiers connexes qui ont été informatisés.
215
Cour suprême du Cameroun, Arrêt n°201/CC du 05 juin 2003, Sté PAMOL Plantations c/C.N.P.S. et
EHONGO Nemes Alexandre. Dans cette affaire, les requérants avaient engagé la procédure de recouvrement de
leur créance le 20 mars 1998, alors que l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution qui est entré en vigueur le 10 juillet 1198 ne pouvait s’y appliquer.
74
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. Le caractère d’ordre public
135.
Le principe. La règle est simple : il est permis de déroger suivant des modalités précises
aux dispositions législatives sauf si elles sont considérées comme étant « d’ordre public ».
L’ordre public désigne l’ensemble des règles d’intérêt général régissant la vie en société.
C’est pour cette raison qu’il caractérise, en vertu de l’article 6 Code civil français, ces normes
auxquelles les individus ne peuvent se soustraire ni dans leur comportement ni dans leurs
conventions. La loi ou disposition d’ordre public s’impose avec une force particulière si bien
qu’elle est obligatoire et ne peut donc pas être contournée de quelque manière que ce soit. La
reconnaissance du caractère d’ordre public à une disposition émane en général de la loi, mais
peut également l’être de la jurisprudence. La sanction de la violation d’une disposition d’ordre
public par notamment une clause, consiste en la « nullité absolue »216 de ladite clause.
136.
Au-delà de son aspect interne propre à chaque État, l’ordre public existe et l’extranéité des
échanges et relations le justifie, dans un cadre international. Cet ordre public international est
un ensemble de principes écrits ou non, qui sont considérés dans un ordre juridique comme
fondamentaux et qui, pour cette raison, imposent d’écarter l’effet, dans cet ordre juridique,
non seulement de la volonté privée mais aussi des lois étrangères et des actes des autorités
étrangères. Ainsi, au sein d’organisations internationales supranationales un ordre public
propre, qui coexiste avec celui des États membres, intervient. D’un côté l’ordre public
international privé, existe l’ordre public des États membres, faisant obstacle à « l’application
d’une loi étrangère qui est incompatible avec leur for »217 et, de l’autre, l’ordre public qui leur
est commun.
137.
La consécration d’un ordre juridique communautaire. L’idée d’un ordre juridique
communautaire est consacrée par la jurisprudence et la doctrine. La Cour de Justice des
Communautés européennes a, dans sa décision du 1er juin 1999, décidé entre autres que
« l’annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance d’une disposition
d’ordre public nationale devrait être étendue à la méconnaissance d’une disposition
fondamentale pour l’accomplissement de la mission confiée à la Communauté
européenne » 218. La question de l’ordre public communautaire ou commun est essentielle et
216
Une nullité absolue justifiée car visant à protéger l’intérêt général.
217
S.-Y. BEBOHI-EBONGO, « L’ordre public international des États membres à l’OHADA », Revue
camerounaise de l’arbitrage, n°34, juill-août-sept. 2006, p. 4.
218
C.J.C.E, Affaire C-126/97 du 1er juin 1999, Eco swiss China time LTD contre BENETTON International
NV ; selon la cour « Dans la mesure où une juridiction nationale doit, selon les règles de procédure internes, faire
75
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
nécessaire pour les organisations d’intégration, aussi bien économique que juridique qui
entendent parvenir à une uniformité des règles applicables. Une telle uniformité est impossible
à obtenir sans la reconnaissance d’une certaine force aux règles concernées, notamment la
reconnaissance du caractère d’ordre public ; surtout si celles des États membres sont
reconnues comme étant d’ordre public. Les dispositions fondamentales sont d’ordre public et
imposent le respect aux États membres qui ne peuvent y déroger par des dispositions
particulières.
138.
L’existence d’un tel ordre public communautaire est reconnue concernant l’OHADA ; ce
serait « un ordre public unifié, communautaire, donc un ordre public international pour tous
les États de l’OHADA (...) »219. Ainsi, l’OHADA, dans la continuité et le renforcement du
caractère obligatoire de son droit uniforme, reconnaît un caractère d’ordre public à certaines
dispositions jugées fondamentales. Il est vrai que le but de l’organisation est d’assurer la
sécurité juridique et judiciaire en vue d’encourager les investissements et que la forme par
excellence de la matérialisation des investissements est la forme conventionnelle. L’existence
de dispositions d’ordre public pourrait être perçue comme une méconnaissance de la primauté
de la volonté des parties220. Il conviendrait d’y voir plutôt des cas qui sont si isolés qu’ils
s’assimileraient presque à des hypothèses d’école et des moyens d’assurer l’efficacité et
surtout l’effectivité du droit de l’OHADA. L’article 134 de l’Acte uniforme portant sur le
droit commercial général énumère les dispositions des articles qui sont d’ordre public ;
l’article 110 de l’Acte uniforme en fait partie. Il en ressort que la cessation des droits du
bailleur sur les locaux donnés à bail en matière de bail à usage professionnel, n’entraîne pas la
fin du bail et que le nouveau bailleur est tenu d’en poursuivre l’exécution.
droit à une demande en annulation d’une sentence arbitrale fondée sur la méconnaissance des règles nationales
d’ordre public, elle doit également faire droit à une telle demande lorsqu’elle estime que cette sentence est
contraire à l’article 85 du traité (devenu article 81 CE). En effet, d’une part, cet article constitue une disposition
fondamentale, indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier,
pour le fonctionnement du marché intérieur, d’autre part, le droit communautaire exige que des questions tenant
à l’interprétation de l’interdiction édictée par ledit article puissent être examinées par les juridictions nationales
lorsque celles-ci doivent se prononcer sur la validité d’une sentence arbitrale et puissent faire l’objet, le cas
échéant, d’un renvoi préjudiciel devant la Cour ».
219
Ph. FOUCHARD, Rapport de synthèse in « L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique »,
Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 239 et 240.
220
Ce d’autant plus que « l’ordre public communautaire désignerait des règles impératives de l’ordre juridique
communautaire qui ont vocation à évincer les règles nationales et à restreindre l’autonomie de la volonté », V. à
ce sujet S.-Y. BEBOHI-EBONGO, « « L’ordre public international des États parties à l’OHADA, Revue
camerounaise de l’arbitrage, n° 34, juill-sept., 2006, p.5.
76
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
139.
Le droit interne des États membres consacre le principe de l’effet relatif des
conventions221 qui trouve en cet article une véritable exception ; ce qui montre bien le
caractère impératif et supérieur des dispositions d’ordre public. Par ailleurs, conscient du
caractère primordial du respect de l’ordre public222 en matière arbitrale, le législateur de
l’OHADA y fait référence, aussi bien dans le Traité fondateur de l’OHADA, que dans le
règlement d’arbitrage de la CCJA. L’article 25 al. 4 du Traité fondateur de l’OHADA et
l’article 30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA évoquent la notion d’ordre public, plus
précisément l’ordre public international, dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale par
le juge étatique à l’occasion de l’examen de la demande d’exequatur de la sentence et du
recours en annulation introduit contre celle-ci223. Toujours dans le cadre de la reconnaissance
d’une valeur impérative au droit de l’OHADA qu’elle a d’ailleurs confirmée, la CCJA a eu à
répondre à une demande d’avis consultatif faite par le président de la République du Mali en
date du 22 mai 1999. Il souhaitait avoir des précisions concernant la compatibilité ou non de
l’article 16 de la prochaine loi malienne sur l’habitat avec l’article 39 de l’Acte uniforme
portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies
d’exécution. La Cour a affirmé que « l’article 16 déroge à l’article 39 en ce qu’il édicte des
conditions nouvelles impératives et restrictives ; conditions qui vu leur caractère incompatible
et contraire avec l’article 39 ne peuvent être maintenues »224.
221
L’article 1199 du Code civil français (article 1165 au sein des États membres : « les conventions n’ont d’effet
qu’entre les parties contractantes »), pose le principe de l’effet relatif des contrats : « Le contrat ne crée
d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de
l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ». Ce
principe signifie que seules les parties qui ont consenti au contrat sont engagées par celui-ci.
222
Le Traité énonce que l’exequatur ne peut être refusé que (...) si la sentence est contraire à l’ordre public
international et d’après le Règlement CCJA, la contestation de validité de la sentence CCJA n’est ouverte que ...
si la sentence est contraire à l’ordre public international.
223
G. KENFACK-DOUAJNI, « La notion d’ordre public international dans l’arbitrage OHADA », Revue
camerounaise de l’arbitrage, n°29, avr-mai-juin, 2005., p. 3.
224
CCJA, Avis n° 2/99/EP du 13 octobre 1999 ; la Cour a estimé que : « sur la première question l’article 10 du
Traité relatif à l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique ayant affirmé la force obligatoire des Actes
uniformes et leur supériorité sur les dispositions de droit interne des États parties et les articles 336 et 337 de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ayant
exclu toute possibilité de dérogation audit Acte uniforme dans les matières qu’il concerne, il s’ensuit que l’article
16 du projet de loi malien qui déroge à l’article 39 de l’Acte uniforme en ce qu’il édicte des conditions nouvelles,
impératives et restrictives pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce, est contraire et incompatible avec
l’article 39 précité. Sur la seconde question Eu égard à la réponse ci-dessus donnée à la première question,
l’article 16 ne peut être maintenue sans aller à l’encontre de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ».
77
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
140.
La nécessité de définir l’ordre public communautaire. La justification de l’instauration
de dispositions d’ordre public par le législateur de l’OHADA n’occulte pas l’existence d’une
limite : celle de l’absence d’une définition de l’ordre public communautaire. Le point de
départ pourrait consister à adopter une approche similaire à celle de la CCJE en se fondant sur
les concepts de « règles fondamentales » et en conférant ainsi « aux règles formant l’ordre
juridique communautaire et aux instruments internationaux ratifiés par tous les États membres
de la Communauté économique européenne »225, le caractère d’ordre public. Il convient
cependant de relativiser l’étendue et la portée d’une telle approche vu que le mimétisme
entraînerait une reconnaissance de caractère d’ordre public à l’ensemble de l’œuvre
harmonisatrice de l’OHADA. Au demeurant, il s’agira pour la CCJA de procéder à la
définition de l’ordre public communautaire OHADA.
2. L’interdiction de mesures s’opposant à l’application du droit de l’OHADA
141.
Une interdiction stricte. Le caractère supranational, la suprématie de l’OHADA et du
droit uniforme, n’ont pas pour unique corollaire leur caractère obligatoire envers les États
membres. La substitution du droit de l’OHADA au droit national des États membres ne peut
être effective, que s’il est formellement interdit aux États parties de prendre des mesures qui
visent à empêcher l’application du droit de l’OHADA, notamment des Actes uniformes. Une
telle interdiction résulte de l’interprétation faite par la CCJA de la portée abrogatoire de
l’article 10 du traité et renforce la soumission du droit interne au droit de l’OHADA. Les
mesures concernées sont toutes celles qui pourraient entraîner un retard dans l’application des
Actes uniformes ou simplement écarter leur application. Le retard dans la mise en œuvre
consisterait en l’institution par exemple, de formalités de publications supplémentaires et
longues pour l’entrée en vigueur ou l’opposabilité d’un Acte uniforme. Ce, alors que le Traité
révisé de Port Louis précise en son article 9 que la publication des Actes uniformes aux
journaux officiels des États membres n’a aucune incidence sur l’entrée en vigueur des Actes
uniformes. Le but, en modifiant la version précédente de l’article 9226, était d’éviter des
interprétations discordantes et divergentes et surtout d’offrir une échappatoire aux mauvais
élèves concernant l’application du droit de l’OHADA. Même si la difficulté demeure avec
l’entrée en vigueur des Actes uniformes qui n’est pas homogène. Les Actes uniformes, qui
225
Cf. Décision de la C.J.C.E du 1er juin 1999.
226
L’ancienne version de l’article 9 se limitait en son alinéa 2 à évoquer la possibilité pour les États membres de
publier les Actes uniformes dans leurs journaux officiels.
78
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
contiennent des dispositions transitoires, entrent en vigueur dans un délai différent de celui
prévu par l’article 9 du Traité.
142.
Les hypothèses d’adoption. L’adoption de mesures visant à écarter l’application des
Actes uniformes pourrait résulter aussi bien de l’existence de normes faisant obstacle à
l’adoption et l’application des Actes uniformes que de l’adoption de mesures postérieurement
à un Acte uniforme. En premier lieu, dès la création de l’OHADA, il se posait la question de
la constitutionnalité du droit de l’OHADA. La constitution étant la norme supérieure au sein
de l’État, elle gouverne l’application et l’entrée en vigueur des autres normes et règles. La
conformité à la constitution est la condition sine qua non de l’application d’un texte. Ainsi, la
vérification de la constitutionnalité des normes relevant du droit international ou du droit
interne, est prévue et opérée dans chaque État. Il est vrai que la situation est quelque peu
différente pour ce qui est des Traités. Pour cet accord liant deux ou plusieurs États, la
constitution est celle qui doit être révisée en cas de contrariété mise en lumière par le contrôle.
Il ne faut pas voir dans une telle solution une remise en cause de la supériorité de la
constitution. La ratification227 d’un Traité relève de la discrétion des autorités étatiques ; il est
logique que celles-ci, une fois qu’elles ont décidé de leur adhésion à un Traité, prennent les
mesures nécessaires à leur entrée en vigueur.
143.
La constitutionnalité du Traité de l’OHADA. Il en va cependant autrement lorsqu’on a
affaire à des organisations dites « supranationales »228 qui, par définition, sont caractérisées
par leur suprématie sur les institutions des États membres. Le caractère supranational de
l’OHADA a nourri les interrogations des États membres quant à la constitutionnalité du droit
de l’OHADA ; que ce soit concernant le Traité fondateur ou le droit dérivé en général et les
Actes uniformes en particulier. Cette organisation supplantant les institutions nationales, son
dispositif juridique devrait également bénéficier de cette suprématie et échapper à toute
remise en question résultant de contrôles. La presque totalité des constitutions des pays
membres prévoit un contrôle de la conformité des Traités à la norme suprême avant leur
ratification. Si elle est obligatoire pour certains pays comme le Mali, le Gabon, le Congo, la
227
Il est clair que la décision de marquer son adhésion à un Traité revient uniquement aux autorités compétentes
de l’État concerné.
228
Supra, n°51, p.29.
79
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Côte d’Ivoire229, elle est facultative pour la plupart des pays membres. Malgré tout, dans la
pratique que ce soient les pays qui ont procédé au contrôle, ou que ce soient ceux qui ont usé
de leur faculté de ne pas le mettre en œuvre, la suprématie de l’OHADA est bien confirmée.
En effet, si le contrôle effectué par la Cour suprême du Congo l’a conduit à se prononcer en
faveur de la révision « de la constitution en ses articles 71 et 72 avant toute ratification en vue
d’assurer sa conformité avec la constitution »230, ce conflit manifeste entre le Traité et la
constitution a été purement et simplement éludé par la ratification dudit traité sans y recourir.
Par ailleurs, pour confirmer cette reconnaissance de la supériorité du Traité fondateur de
l’OHADA sur la constitution congolaise, la nouvelle constitution de 2002 pose le principe de
« l’immunité constitutionnelle des traités communautaires définitifs »231. La reconnaissance
« tacite » du caractère inopérant de l’avis émis par le conseil constitutionnel des États
membres concernant le Traité fondateur de l’OHADA est ainsi opérée.
144.
La question du droit dérivé. Si en ce qui concerne le Traité fondateur la question semble
tranchée, en matière de droit dérivé précisément des Actes uniformes, la situation est loin
d’être simple. Les Actes uniformes, droit substantiel de l’OHADA, sont jugés obligatoires et
directement applicables au sein des États membres. Il en découle une affirmation de leur
supériorité sur le droit interne. Cette supériorité témoigne-t-elle de la reconnaissance d’une
valeur supra légale aux Actes uniformes ou simplement légale ? Toujours est-il qu’aucun État
membre ne peut invoquer son droit national existant pour écarter l’application du droit de
l’OHADA ; ce en raison du bénéfice de l’extension du caractère supranational de
l’organisation. En second lieu, l’élaboration d’un texte postérieurement à l’entrée en vigueur
d’un Acte uniforme est interdite aux États membres. Toute loi ou tout règlement ne peut
valablement entrer en vigueur que s’il est complémentaire au droit de l’OHADA, non
contraire et surtout s’il traite de matières non réglementées par celui-ci. Ainsi, les États
229
L’article 95 de la constitution ivoirienne du 1er août 2000 précise que « les Engagements internationaux avant
leur ratification (…), doivent être déférés par le Président de la République ou le président de l’Assemblée
Nationale au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la constitution (…) ».
230
Cour suprême du Congo, Avis n° 037/CS/98 du 1er octobre 1998, [www.ohada.com] ; les articles 71 et 72
concernent l’exercice du pouvoir judiciaire qui est confié à la cour suprême et aux juridictions nationales ; ainsi
la dévolution d’un tel pouvoir à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA a été perçue comme
une remise en cause de la souveraineté.
231
E. KAGISYE, « Normes OHADA et constitutions des États membres : conflit en léthargie ou simple temps
mort ? ». [https://hal-auf.archives-ouvertes.fr/hal-01278202].
80
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
membres ne peuvent se soustraire à l’obligation de mise en conformité des textes nationaux au
droit de l’OHADA.
B. La nécessaire mise en conformité des textes nationaux au droit de l’OHADA
145.
La mise en conformité est un impératif à respecter dans le cadre du renforcement de la
sécurité juridique. Elle est justifiée (1) et s’opère suivant un mécanisme précis (2).
1. La justification de la mise en conformité
146.
Le principe de la mise en conformité. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil
national des États membres se manifeste également par la nécessité pour ces derniers de
mettre leur droit en conformité avec le droit communautaire. Cette nécessité a pour fondement
l’article 10 du Traité et les caractères qu’il octroie au droit de l’OHADA : le caractère
supranational, d’une part, du droit de l’OHADA et d’autre part, sa force obligatoire et
abrogatoire. Parce que le droit de l’OHADA écarte l’application du droit interne contraire ou
ayant un objet similaire, il impose aux États membres de mener des actions, prendre des
mesures en vue d’assurer sa suprématie. Le droit civil des États membres est essentiellement
un héritage des puissances coloniales. Avant les indépendances, concernant les colonies
françaises, « des textes de loi promulgués en France métropolitaine avaient été rendus
applicables dans celles-ci ou dans les territoires sous tutelle et sous mandat français, en vertu
de la règle de la spécialité législative » 232. La plupart ont reproduit pratiquement à l’identique
les dispositions du Code civil de ces puissances. Les États membres francophones sont de
tradition civiliste et ont transposé le Code civil français de 1804 dans leur ordre juridique. Ce
droit est devenu obsolète, inadapté déjà que ces États n’ont pas suivi l’évolution du droit qui
leur a servi d’inspiration et que le droit de l’OHADA est désormais reconnu comme le seul
applicable dans les matières réglementées.
147.
L’objectif principal de l’OHADA est l’intégration juridique qui se manifeste par
l’adoption de normes communes, les Actes uniformes et les règlements. Mais cette
uniformisation n’a de véritable sens que parce qu’opérationnelle, c’est-à-dire effective au sein
des États membres. Cette effectivité est tributaire de l’existence en amont d’une uniformité de
textes dans l’ordre juridique des États membres. Conserver des textes épars, marqués par leur
hétérogénéité, contreviendrait aux exigences de la communauté. Ce qu’il faut comprendre,
232
G. KENFACK-DOUAJNI, « La coordination de l’avant-projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats avec
les autres Actes uniformes de l’OHADA », Rev. dr. Unif., UNIDROIT, 2008, n°1/2, p. 367.
81
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
c’est que l’ensemble des matières réglementées par le droit de l’OHADA a également toute
l’attention des États membres. Soit en retenant des solutions identiques, soit en énonçant des
solutions aux antipodes de celles du droit de l’OHADA ou encore des solutions inédites.
L’application optimale du droit substantiel de l’OHADA nécessite une réelle prise en compte
de cette réalité afin d’adopter les mesures idoines.
148.
Le contenu de la mise en conformité. Que faut-il entendre par mise en conformité ? Est
conforme ce qui est juridiquement, l’exacte application d’une norme de référence. La mise en
conformité du droit interne des États membres consisterait à faire en sorte qu’il soit l’exacte
application du droit de l’OHADA. L’idée n’est pas de faire en sorte que le droit interne des
États membres soit une copie identique du droit de l’OHADA, ce qui est d’ailleurs impossible
en pratique puisque le droit de l’OHADA ne fait l’objet d’aucune transposition233 par le biais
d’une loi. En réalité, le droit national contribue à travers ses dispositions à l’assurance de la
supranationalité du droit de l’OHADA.
149.
Le droit de l’OHADA, droit de référence. Simplement, le droit de l’OHADA a vocation
à s’appliquer au sein de l’État membre sans autorisation expresse de celui-ci et il fait dès lors
office de droit interne par voie de substitution. De manière concrète, les États membres
doivent veiller à ce que le droit de référence dans les matières qui entrent dans le champ
d’application de l’OHADA soit le droit uniforme de l’OHADA. Il leur incombe également de
veiller à ce que les actes et opérations soient menés en toute adéquation avec le droit en
question. Ils doivent s’assurer que ne demeurent applicables dans leur ordre juridique, mis à
part le droit de l’OHADA, les règles qui viennent contribuer à son enrichissement sans
évidemment le contredire. Il reviendra aux autorités nationales de veiller à une véritable
appropriation du droit uniforme par les acteurs du monde des affaires mais pas seulement. La
vulgarisation des textes visant l’intégration juridique, la formation et l’information sont des
solutions envisageables.
2. Le mécanisme de mise en conformité
150.
La sélection des textes. La conformité est essentielle en droit en ce qu’elle porte « le droit
». Respecter le droit en vigueur revient simplement à se conformer audit droit, à respecter les
règles édictées et en vigueur sur un espace donné. Aussi bien le droit pénal, le droit civil que
233
Contrairement à l’UEMOA dont le droit dérivé est principalement constitué de directives dont l’entrée en
vigueur nécessite la transposition dans le droit interne, les Actes uniformes OHADA entrent directement en
vigueur dans l’État qui a ratifié le Traité dès que les délais y afférant sont respectés.
82
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
le droit des affaires, sont fondés sur l’idée de conformité. La mise en conformité relève d’un
processus long et méticuleux auquel les États membres doivent s’atteler. Elle se décline en un
tri des textes nationaux et en une mise en harmonie. Le tri consiste en un recensement et en
une analyse des textes de droit interne qui correspondent aux Actes uniformes. L’idée est
d’éviter d’abroger sans distinction tous les textes ayant un objet identique aux Actes
uniformes et de pouvoir ainsi conserver les textes qui pourraient enrichir le droit de
l’OHADA. Il est important de déterminer les dispositions abrogées ou maintenues. La
méthode appropriée comme le préconise le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH « est réalisée
en trois (3) étapes et est tout d’abord de recenser les textes applicables dans l’État partie avant
la promulgation des Actes uniformes ; ensuite d’identifier des dispositions qui, dans les textes
nationaux ainsi recensés, correspondent à celles des Actes uniformes pour vérifier si elles leur
sont contraires ; et enfin de présenter matériellement le travail et ses résultats » 234. La
recherche de la similitude d’objet se fait sur le fondement des sommaires des Actes uniformes
et la comparaison des textes en présence. Une lecture approfondie et intégrale s’impose et
garantit la qualité des experts retenus. Il a été recommandé dans une approche de
complémentarité, une analyse de tous les textes du droit positif ayant le même objet que les
Actes uniformes article par article, alinéa par alinéa, phrase par phrase, afin de permettre de
repérer et de sauver les dispositions heureuses235.
151.
La mise en harmonie. La mise en conformité consiste également en une mise en
harmonie. Elle intervient dans l’hypothèse où les acteurs du monde des affaires, particuliers
ou entreprises, ont fonctionné en s’appuyant sur le droit national. Elle vise à leur permettre de
bénéficier d’un délai raisonnable variable pour procéder à leur mue et à se mettre en
conformité avec le droit de l’OHADA en respectant désormais les règles qu’il a prévues. Le
234
J. ISSA-SAYEGH, « Réflexions et suggestions sur la mise en conformité du droit interne des États parties
avec les Actes uniformes de l’OHADA et réciproquement », Recueil Penant, n° 850, janvier-mars 2005, p.6. Il
avait été demandé à l’auteur de réaliser les travaux de mise en conformité dans certains États membres tels que la
Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée-Conakry, le Gabon. Le travail est fastidieux car il nécessite un recensement
aussi bien des textes applicables avant les indépendances qu’après celles-ci et surtout qu’il impose de mener des
réflexions sur ce qu’est une disposition contraire ou dotée d’un même objet.
235
U. BABONGENO, « OHADA : projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique à l’épreuve de la
consolidation et de l’élargissement », [www.ohada.com] , Doctrine OHADA, OHADATA D-05-25. V.
également sur la question mais pour une approche spécifique au droit congolais, Roger MASAMBA, « Réflexion
pour une meilleure application substantielle du droit OHADA », in Le système juridique de l’OHADA et
l’attractivité économique des États parties 20 ans après: bilans et défis à relever, colloque organisé par
l’Association pour l’Efficacité du Droit et de la Justice, 20 juin 2013, Université Panthéon-Sorbonne,
[www.daldewolf.com] , p. 9.
83
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
cadre est celui du droit transitoire236 et la volonté, celle manifeste de consolider et protéger les
droits dans un contexte de sécurité juridique. En la matière, ce sont les Actes uniformes
relatifs respectivement au droit commercial général, aux sociétés commerciales et au G.I.E,
aux sociétés coopératives qui prévoient expressément la mise en harmonie. Par exemple,
l’article 1er alinéa 4 dispose que « les personnes physiques ou morales, et les groupements
d’intérêt économique, constitués, ou en cours de formation à la date d’entrée en vigueur du
présent Acte uniforme, doivent mettre les conditions d’exercice de leur activité en harmonie
avec la nouvelle législation dans un délai de deux (2) ans à compter de la publication du
présent Acte uniforme au Journal officiel »237. L’idée est d’une obligation dont le non-respect
peut donner lieu à l’intervention d’une décision de justice à l’initiative de tout intéressé.
152.
La prescription de la mise en conformité ou harmonie est essentielle pour la cohérence de
l’œuvre harmonisatrice. Son effet doit être cependant relativisé dans la mesure où les États
membres malgré une culture juridique française dominante, n’ont pas tous le même héritage
législatif. Le travail de mise en conformité, notamment dans son aspect de tri des textes
nationaux, pourrait laisser apparaître des différences tant au niveau des textes maintenus que
de ceux qui encourent l’abrogation. De même, ce processus n’a de sens que parce que les
États membres évitent d’élaborer des textes contraires aux Actes uniformes. En effet, « la
volonté politique doit être prolongée par une discipline législative rigoureuse sinon c’est toute
l’entreprise OHADA qui serait menacée »238.
153.
Peu d’États ont à ce jour procédé à la mise en conformité de leur droit national avec le
droit de l’OHADA ; ce qui ne fait qu’accentuer les disparités entre les législations et limiter la
portée et l’efficacité de l’œuvre harmonisatrice. Il aurait fallu que le Traité soit plus explicite
sur la question et qu’en complément de l’article 10 qui, à juste titre, énonce le principe de la
force obligatoire des Actes uniformes, un article vienne poser l’exigence de la mise en
conformité ; non sans en oublier les modalités à l’instar de l’Acte uniforme relatif aux sociétés
coopératives239. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait être également sollicitée
pour émettre un avis dans un objectif de clarification et de précision.
236
Supra, n° 128, p. 72.
237
Article 1er alinéa 4 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général.
238
P.-G. POUGOUE, Y.-R. KALIEU-ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, P.U.A, éd. Ruisseau
d’Afrique (Bénin), éd. Eburnie (Côte d’Ivoire), n° 141, p. 170.
239
Les articles 390 et suivants de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au droit des sociétés coopératives
aménage le régime de la mise en harmonie qui selon ce qu’il en ressort peut prendre la forme d’une abrogation,
84
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
La soumission du droit civil national au droit de l’OHADA, entraîne la mise en œuvre d’un
mécanisme de substitution. La substitution du droit communautaire au droit civil national est
opérée de plein droit, en vertu du principe de l’abrogation. Le législateur de l’OHADA permet
cependant, à titre exceptionnel, la survie de certaines dispositions nationales. De plus,
l’autorité du droit de l’OHADA est assurée par sa force impérative et l’obligation de mise en
conformité qui s’impose aux États membres.
d’une modification, d’un remplacement des dispositions statutaires contraires aux dispositions impératives de
l’Acte uniforme.
85
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
154. Ce chapitre a permis de prendre la pleine mesure des fondements de la soumission du droit
civil national au droit de l’OHADA. L’influence du droit de l’OHADA est portée par des
principes directeurs et des organes précis. Ces derniers donnent tout son sens à la suprématie
de l’organisation et du droit qu’elle secrète. L’OHADA étant une organisation qui vise
l’intégration juridique, il était indispensable que cet objectif soit porté par des principes
directeurs. Simplement, l’adhésion à l’organisation communautaire emporte soumission au
dispositif juridique mis en place ainsi qu’aux organes. Il ne saurait en être autrement dès lors
qu’ont été consacrés la supranationalité du droit de l’OHADA et le caractère transnational du
droit de l’OHADA. Ce qui a pour conséquence la substitution des règles nationales par les
siennes propres.
86
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 2. UNE ORGANISATION JUDICIAIRE COMMUNAUTAIRE
ET UN ARBITRAGE RÉGIS PAR LE DROIT DE L’OHADA
155.
Dans la continuité de son œuvre d’intégration juridique, le législateur de l’OHADA a
entamé une œuvre d’intégration judiciaire. La création de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA) matérialise cette volonté du législateur. Pensée pour assurer le contrôle et
sanctionner l’application et l’interprétation du droit de l’OHADA, la CCJA élabore la
jurisprudence communautaire et se positionne comme une véritable source du droit de
l’OHADA. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est composée de neuf (9) juges
depuis la révision du Traité intervenue en 2008. Une Décision n° 04/2014/CM/OHADA du 24
juillet 2014 du Conseil des ministres est cependant, venue porter ce nombre à treize (13). Le
rôle de la CCJA n’est pas restreint au contentieux pouvant naître de l’application ou de
l’interprétation du droit de l’OHADA. Ayant consacré dans son acte fondateur l’arbitrage
comme moyen privilégié de règlement des conflits, l’OHADA fait de la CCJA un acteur
important de la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage. Pour assurer pleinement son rôle
en matière contentieuse, la CCJA prévaut sur les juridictions nationales en vertu d’une
supranationalité judiciaire (Section 1) et bénéficie d’une prépondérance en matière arbitrale
(Section 2).
Section 1. La consécration d’une supranationalité judiciaire de la CCJA
156.
Le législateur de l’OHADA entendait uniformiser le droit des Affaires entre les États
membres ; la pérennité de cet objectif est tributaire d’une uniformité, d’une unicité dans
l’interprétation de ces règles. C’est en cela que la consécration de la supranationalité judiciaire
prend tout son sens. Elle se matérialise par la prévalence de la CCJA sur les juridictions
suprêmes nationales (§ 1) et une compétence limitée des juridictions nationales (§ 2).
§ 1. La prévalence de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales
157.
La CCJA se substitue aux juridictions nationales (A) et ses décisions ont une autorité
absolue (B).
A. La substitution de la CCJA aux juridictions nationales
158.
Cette substitution se manifeste par le principe de l’exclusivité de compétence de la CCJA
(1) et le renvoi obligatoire vers la CCJA (2).
87
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. Le principe de l’exclusivité de compétence de la CCJA
159.
La supranationalité judiciaire. La supranationalité reconnue à l’OHADA et consacrée
par l’article 10 du Traité, présente deux (2) aspects : L’aspect normatif par le biais de l’effet
direct et obligatoire des Actes uniformes ainsi que l’aspect judiciaire. Ce dernier aspect est
porté par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), institution phare de l’OHADA
et qui a la lourde tâche d’assurer l’uniformisation du droit de l’OHADA. La CCJA a une
structure particulière et un rang tout aussi peu commun. L’article 14240 du Traité est le texte
qui fait état de ces spécificités et surtout du rôle dévolu à la Cour. Il en ressort, tout d’abord,
que « la CCJA officie en qualité de Cour de cassation ». Elle a le statut de Cour de cassation,
juridiction la plus élevée dans l’organisation judiciaire et qui s’impose aux juridictions de
fond parce qu’elle est juge du droit et non juge du fait241. L’exercice du pourvoi en cassation
est donc possible pour la question de l’application et de l’interprétation du droit de l’OHADA
devant la CCJA. Pourvoi qui est un véritable outil de sécurité juridique et judiciaire. « Exercé
devant une juridiction unique, le pourvoi en cassation a une fonction dite pastorale qui vise à
assurer que les juges du fond appliquent et interprètent correctement la loi » 242. Les États
membres de l’OHADA sont organisés du point de vue judiciaire suivant un double degré de
juridiction avec au sommet la Cour suprême équivalent de la Cour de cassation dans certains
pays243. De ce fait, il apparaissait important de procéder à une répartition de compétences
entre la CCJA et les juridictions suprêmes des États membres. L’impératif étant bien entendu
240
Selon l’article 14, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage assure l’interprétation et l’application
communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions. La
Cour peut être consultée par tout État Partie ou par le Conseil des ministres sur toute question entrant dans le
champ de l’alinéa précédent. La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux
juridictions nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus. Saisie par la voie du recours en cassation,
la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’Appel des États parties dans toutes les
affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent
Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle se prononce dans les mêmes conditions
sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des États parties dans les mêmes
contentieux. En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ».
241
Cette affirmation mérite d’être nuancée en ce que la CCJA rend deux types d’arrêts : des arrêts de rejet et des
arrêts de cassation ; c’est pour cette dernière catégorie que nos propos doivent être nuancés.
242
S. AMRANI-MEKKI, Y. STRICKLER, Procédure civile, Paris, éd. P.U.F, Coll. Thémis Droit, 2014, n° 563,
p. 856.
243
L’organisation judiciaire des États membres de l’OHADA est parfaitement identique à celle des anciennes
puissances colonisatrices du point de vue des degrés de juridictions et presqu’identique pour ce qui est des
modalités de mise en œuvre de la dualité de juridiction, étant donné que plusieurs États en dépit de la
constitutionnalisation, n’ont pas encore rendues fonctionnelles certaines juridictions.
88
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’éviter toute forme d’antinomie et de contradictions entre les décisions de l’une et des
autres ; et surtout de faire obstacle aux éventuels conflits que l’exercice desdites prérogatives
pourrait susciter. En effet, au regard du statut de la CCJA, en l’occurrence celui de Cour de
cassation, il apparaît une identité avec les Cours suprêmes des États membres, à tout le moins
du point de vue formel. L’apparition d’un facteur de concurrence dans l’application du droit
des affaires de l’OHADA est à craindre. Qu’adviendra-t-il de l’uniformisation qui fonde toute
l’œuvre de l’OHADA si les juridictions nationales avaient la faculté de rendre leurs décisions
suivant des conceptions du droit de l’OHADA qui leur seraient propres ?
160.
Les fondateurs de l’OHADA ont mis un point d’honneur à l’anticipation des situations de
conflits mentionnées plus haut. La mission d’intégration juridique assignée à leur organisation
en dépendait. En créant la CCJA, il était impérieux de lui conférer un statut particulier
perceptible bien au-delà de celui de Cour de cassation qui au demeurant est plus confligène
qu’autre chose. Ainsi est instituée une juridiction communautaire qui se voit assigner un rôle
essentiel : veiller à l’application uniforme du droit de l’OHADA à toutes les situations qui la
justifient. Pour mener à bien la mission à elle confiée, la CCJA bénéficie de la
supranationalité judiciaire. Celle-ci est l’un des aspects de la supranationalité reconnue à
l’OHADA par l’article 10 du Traité. À la supranationalité normative est associée une
supranationalité judiciaire en vertu de laquelle les juridictions nationales des États membres
sont soumis à la prévalence de l’institution communautaire. Il est impératif que corresponde à
un droit uniforme une jurisprudence uniforme. De plus, le droit de l’OHADA prime sur le
droit national des États membres ; l’institution qui veille au respect de cette primauté en
bénéficie par voie de conséquence. En clair, « les juridictions internationales priment sur les
juridictions nationales des États » 244. Aussi, forte de sa primauté, la CCJA détient elle une
compétence exclusive. Le pouvoir d’assurer « l’interprétation et l’application communes du
Traité et des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions » lui
est dévolu par l’article 14 du Traité. Cette exclusivité de compétence est rappelée par la CCJA
dans un arrêt du 1er mars 2018. Elle précise que « le contentieux relatif à un nantissement de
valeurs mobilières soulève l’application de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et
relève de la seule compétence de la CCJA »245.
244
H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA (…), op.cit., n°192, p. 70.
Selon l’auteur la prévalence de la CCJA sur les juridictions nationales découle de la prééminence reconnue au
droit communautaire sur le droit national.
245
CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 50/2018 du 1er mars 2018.
89
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
161.
De compétence exclusive, il est également question suivant les termes de l’article 56 qui
prévoit une compétence exclusive de la CCJA en matière de conflit entre les États
contractants au sujet de l’application ou de l’interprétation du Traité246. Cette exclusivité et
cette prévalence de la CCJA sont confirmées, par les Professeurs Joseph ISSA-SAYEGH et
Jacqueline LOHOUES-OBLE qui affirment que « les dispositions du Traité et du règlement
de procédure de la CCJA concernant la fonction juridictionnelle de la Cour, posent un
principe de supranationalité judiciaire opérant un transfert de compétence des juridictions
nationales de cassation vers la haute juridiction communautaire » 247.
162.
Le transfert de compétences en faveur de la CCJA. La CCJA opère dans le cadre de
l’exercice de ses compétences de la même manière que le droit de l’OHADA, notamment les
Actes uniformes, puisque statuant en cassation, elle se substitue aux juridictions suprêmes
nationales pour toute matière relative à l’application ou l’interprétation du droit de l’OHADA.
La délégation ou le transfert de compétences n’est plus simplement « normatif », tel celui
opéré en faveur du Conseil des ministres, mais également judiciaire. Les modes de saisine
institués visent à assurer la compétence exclusive de la CCJA. La Cour peut être saisie aussi
bien par les parties au litige que par les juridictions suprêmes nationales. Tout contentieux
privé, susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation, doit être obligatoirement porté
devant la CCJA, s’il concerne les hypothèses prévues par l’article 14.
163.
Par ailleurs, les parties au litige ne peuvent exercer qu’un recours en annulation devant la
CCJA dans le cadre de l’application et de l’interprétation du droit de l’OHADA s’ils estiment
que sa compétence a été méconnue par la juridiction suprême nationale248. La CCJA peut
246
L’article 56 du Traité OHADA dispose que « tout différend qui pourrait surgir entre les États parties quant à
l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne serait pas résolu à l’amiable peut être porté par un
État Partie devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Si la Cour compte sur le siège un juge de la
nationalité d’une des parties, toute autre partie peut désigner un juge ad hoc pour siéger dans l’affaire. Ce dernier
devra remplir les conditions fixées à l’article 31 ci-dessus ». L’exclusivité de cette compétence n’est réelle qu’en
l’absence de règlement du conflit à l’amiable.
247
J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : Harmonisation du droit des affaires, op.cit., n°422, p.
178.
248
Ainsi en a décidé la 2e chambre de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans un arrêt n° 30/2018 du 08
février 2018. Dans cette affaire, la Cour a retenu que le recours en cassation irrecevable en ce que « la décision
dont pourvoi a été ainsi relevé, sur le fondement de l’article 14 alinéas 3 et 4 du Traité, a été rendue par la Cour
suprême du Togo, haute juridiction dont les décisions sont insusceptibles de recours, à l’exception du recours en
annulation prévue par l’article 18 du Traité ». L’interprétation combinée des articles 14 et 18 du Traité OHADA
met en lumière l’impossibilité d’attaquer par voie d’un pourvoi en cassation la décision rendue par une
juridiction suprême nationale, devant la CCJA. [www.legiafrica.com].
90
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
confirmer l’assertion de la partie qui l’a saisie et prononcer l’incompétence de la juridiction
nationale. La décision de la juridiction sera purement et simplement annulée. La CCJA en a
ainsi décidé le 18 octobre 2018 dans une affaire relative à la saisine de ladite Cour d’un
recours en annulation d’un arrêt rendu par la Cour suprême de Côte d’Ivoire le 6 avril 2017.
Le demandeur au pourvoi entendait obtenir l’annulation de l’arrêt pour violation des
dispositions de l’article 14 du Traité fondateur de l’OHADA, en ce qu’il a statué sur un
contentieux relatif au bail commercial régi par l’Acte uniforme portant sur le droit commercial
général, question qui relève exclusivement de la CCJA. La CCJA fait droit à la demande du
demandeur au pourvoi au visa des articles 14 et 18 du Traité fondateur de l’OHADA en
précisant que « la matière
en cause est régie par l’Acte uniforme portant sur le droit
commercial général et relève donc en cassation de la compétence de la Cour de céans, par
application de l’article 14 alinéa 3 du Traité constitutif de l’OHADA ; la Cour Suprême de
Côte d’Ivoire s’étant déclarée compétente à tort, sa décision est réputée nulle et non avenue
conformément à l’article 18 du Traité » 249. Il convient de voir dans cette annulation une
illustration de la suprématie de la CCJA. À titre de précision et de comparaison, contrairement
à la CCJA, la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E) ne peut être saisie de manière
directe par les particuliers, que dans situations précises250.
164.
Le dessaisissement des juridictions nationales. De même, lorsqu’un pourvoi est formé
devant une juridiction nationale suprême et que la ou les questions soulevées correspondent à
celles visées par la sphère de compétences de la CCJA, il appartient à la Cour de se dessaisir
du litige et de transmettre le dossier par le biais d’une décision de renvoi251. En cas de doute,
la juridiction nationale devrait pouvoir saisir la CCJA. Certaines organisations d’intégration
sous régionale optent pour le recours préjudiciel en vue d’assurer l’effectivité de la suprématie
249
CCJA, 3e Ch. Arrêt n° 166/2018 du 18 Octobre 2018. V. également en ce sens, l’arrêt n° 139/2018, du 7 juin
2018 rendu par la 2e chambre de la C.C.JA. La Cour prononce la nullité de l’arrêt par lequel la juridiction
nationale de cassation a statué sur une matière relevant du droit de l’OHADA. En l’espèce, le pourvoi était relatif
à une matière régie par l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des
voies d’exécution. [www.legiafrica.com].
250
Le particulier qui a subi un dommage à la suite de l’action ou de l’inaction d’une institution de l’UE ou de son
personnel peut saisir la C.J.U.E de manière indirecte en faisant appel aux juridictions nationales (qui peuvent
décider de renvoyer l’affaire devant la Cour de justice); et de manière directe, en saisissant le Tribunal, si une
décision prise par une institution de l’U.E le concerne de manière directe et individuelle.
251
Cf. infra, n°167, p.92. De plus, la CCJA précise qu’ « en cas de saisine de la CCJA postérieurement à une la
saisine de la juridiction nationale de cassation, il n’appartient pas à la CCJA de surseoir à statuer mais plutôt à la
juridiction nationale de cassation. La compétence de la CCJA doit donc être maintenue en application des articles
18 et 16 du Traité ». CCJA, 1e Ch. Arrêt n° 165/2017 du 27 juillet 2017.
91
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des juridictions qu’elles ont instituées. L’article 12 du protocole additionnel n°1 relatif aux
organes de contrôle de l’UEMOA énonce que la Cour de justice peut intervenir dans le cadre
d’une procédure préjudicielle. La saisine de la Cour est un impératif pour les juridictions
statuant en dernier ressort252. De plus, aussi bien l’article 14 du Traité que les 56 à 58 du
règlement de procédure de la CCJA qui explicitent la procédure à suivre, demeurent
silencieux sur des questions qui à notre sens sont cruciales. Ce sont les délais dans lesquels
l’avis de la CCJA doit intervenir et celui dans lequel la demande d’avis doit être formulée.
Dès lors que la compétence des juridictions suprêmes est bridée, les formes, les contours
doivent être clairement définis pour éviter, sinon à tout le moins, limiter la profusion d’
« élèves récalcitrants ».
La CCJA, 3e degré de juridiction ? La suprématie et la particularité de la CCJA sont
165.
telles que d’aucuns la qualifient de « troisième degré » de juridiction. Au soutien de cette
assertion, la hiérarchie qui est établie sans équivoque entre la CCJA et les juridictions
suprêmes nationales, les attributions traditionnelles des secondes étant dévolues à la première.
À dire vrai, la plupart des auteurs se fondent sur une réalité plus « surprenante ». La CCJA qui
intervient en qualité de Cour de cassation, statue en droit et aussi surprenant que cela puisse
paraître « en fait » comme une juridiction du fond. L’article 14 du Traité l’énonce clairement :
« en cas de cassation, la Cour commune évoque et statue sur le fond ». Alors que
« l’institution de la cassation repose sur la distinction fondamentale du fait et du droit de sorte
que les fonctions du juge de cassation et du juge de fait sont par nature, antinomiques » 253 et
qu’en principe, une Cour suprême ne peut pas statuer en fait.
166.
Le cas du droit français. Un regard porté sur le droit français et les facultés qui sont celles
de la Cour de cassation lorsqu’elle juge le droit, permet d’apporter des pistes de réponse.
L’article L 411-3254 du Code de l’Organisation Judiciaire français, prévoyait avant sa
252
L’article 12 alinéa 2 du protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle dispose que « les juridictions
nationales statuant en dernier ressort sont tenues de saisir la Cour de Justice. La saisine de la Cour de Justice par
les autres juridictions nationales ou les autorités à fonction juridictionnelle est facultative ». L’approche est
identique à celle de la C.J.C.E qui rend non pas un avis mais un arrêt ou une ordonnance motivée.
253
A. PERDRIAU, « Les chambres civiles de la Cour de cassation jugent-elles en fait ? », JCP, G., 1993, I, n°
3683, p. 267.
254
L’article L 411-3 du C.O.J dispose que : « La Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation
n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond. Elle peut aussi, en matière civile, statuer au fond lorsque
l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie. En matière pénale, elle peut, en cassant sans renvoi,
mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du
fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée. En ces cas, elle se prononce sur la charge des
92
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
modification par l’article 38 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016255, les modalités
suivant lesquelles la Cour de cassation pouvait casser sans renvoi et juger en droit
uniquement. C’était sans compter le nouvel article qui apporte des précisions quant à la
faculté pour le juge du droit de statuer sur le fond. En clair « en matière civile, la Cour de
cassation peut statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le
justifie » 256 . La matière est spécifiée, témoignant d’un encadrement de l’exercice de la
faculté de statuer au fond qui reste exceptionnel. Le législateur de l’OHADA ayant conçu le
droit de l’OHADA comme étant un droit spécial, il est compréhensible qu’il ait eu dans l’idée
d’accorder la faculté spécifique de statuer sur le fond au juge de la CCJA pour les questions
particulières visant le droit de l’OHADA.
167.
Sur ce point, une position nuancée en accord avec une partie de la doctrine est préférable.
La CCJA est une juridiction de cassation singulière qui est amenée dans des cas précis à
statuer sur le fond. Une juridiction de nature hybride parce qu’elle fait partie à la fois de
l’ordre juridique interne et international. En effet, « la CCJA est nationale parce qu’elle est
une Cour suprême nationale, mais en expatriation en raison du fait qu’elle ne siège pas à
l’intérieur des frontières nationales »257. Elle est d’autant plus puissante que les juridictions
suprêmes nationales sont tenues par la loi de procéder à un renvoi vers la CCJA lorsque le
litige relève de la compétence de la cour de justice communautaire.
2. Le renvoi obligatoire vers la CCJA
168.
La procédure de renvoi et la manifestation de volonté des juridictions nationales. La
reconnaissance textuelle de la supranationalité de la CCJA ne souffre d’aucune remise en
cause. Seule l’observation de la pratique fait un compte rendu fidèle des difficultés qui
peuvent exister. Dans l’optique de renforcer l’action de la CCJA et de veiller à l’affirmation
dépens afférents aux instances civiles devant les juges du fond. L’arrêt emporte exécution forcée. Les modalités
d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État ».
255
Loi de la modernisation de la justice du XXIe siècle. Le décret n°2017-396 du 24 mars 2017 portant diverses
dispositions relatives à la Cour de cassation, modifie l’article 2015 du C.O.J afin d’y intégrer la nouveauté
relative aux attributions de la Cour de cassation et préciser les modalités de la cassation sur renvoi.
256
Article L 411-3 du C.O.J alinéa 2.
257
J.-Cl. AWANA, « La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA : point de vue africain », in
Questions de droit économique : Les défis des États africains, Actes du colloque de Bruxelles et de Yaoundé,
INEADEC, (Sous. Dir.) E. BALATE, S. MENETREY, Bruxelles, éd. Larcier, Coll. Droit/Economie
international, 2011, p.273.
93
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
de sa primauté, une procédure dite de « renvoi » est imposée aux juridictions nationales
suprêmes en vertu de l’article 15 du Traité. Qui dit renvoi, dit dessaisissement, dit abandon et
surtout reconnaissance de la prévalence de la CCJA par les juridictions nationales. Quoiqu’il
puisse en être dit, le renvoi procède malgré tout d’une manifestation de volonté des
juridictions nationales.
169.
C’est l’hypothèse dans laquelle un pourvoi est formé devant une juridiction nationale
suprême et que la ou les questions soulevées correspondent à celles visées par la sphère de
compétences de la CCJA. Il appartient à la juridiction nationale de se dessaisir du litige et de
transmettre le dossier par le biais d’une décision de renvoi. Cette procédure est organisée par
l’article 51 nouveau du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage258. Le mode de saisine par renvoi est rarement utilisé par les juridictions
nationales suprêmes en pratique. La rareté du recours à ce mode de saisine par les juridictions
suprêmes nationales, pourrait trouver son explication dans la volonté de ces juridictions de
tenter une conservation de leur compétence ou du moins de « défier » à travers la CCJA,
l’OHADA.
170.
Le recours exercé par les parties. Le renvoi tel que présenté peut être spontané, mais il
est des cas où il intervient en dehors de toute décision des juridictions suprêmes nationales.
Les parties au litige ont la possibilité de saisir la CCJA d’un recours, visant à déclarer la
juridiction nationale incompétente. Dans la mesure où la haute cour confirme cette
incompétence, la décision prise est entachée de nullité. Cette sanction est bien entendu le
corollaire de la saisine de la CCJA par les parties dans les formes et délais requis par l’article
18 du Traité et ne peut donc être envisagée en l’absence de tout recours. L’absence de recours
permettant à la décision en cause de produire la plénitude de ses effets et de ne souffrir
d’aucune contestation. Encore que le recours ne puisse être valablement exercé que si
l’incompétence a été soulevée d’office ou par toute partie in limine litis259 comme la Cour
commune l’a précisé dans l’affaire HYJAZI Samih contre DAGIER Habib du 24 avril
258
Règlement d’arbitrage n°01/2014/CM/OHADA modifiant et complétant le Règlement de procédure du 18
avril 1996.
259
L’exception d’incompétence étant un moyen de forme, elle ne peut être invoquée qu’au début de l’instance,
avant tout moyen de fond. L’objectif est d’éviter de faire face à des procédés dilatoires qui empiètent sur la
célérité de la procédure. A l’issue de l’exception d’incompétence, si le juge saisi estime être compétent, il la
rejette et statue sur le fond du litige. A ne pas confondre avec la Fin de Non-recevoir, moyen qui tend à faire
déclarer irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d’agir selon l’article 122 du Code
de Procédure Civile français.
94
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2003260. Et il est indispensable de le préciser, la CCJA n’est habilitée à se prononcer sur la
compétence d’une juridiction suprême nationale que si le recours émane de la partie qui a
soulevé l’incompétence de ladite juridiction261. Le demandeur doit avoir intérêt à agir et
qualité à agir. L’intérêt à agir est l’intérêt légitime qui peut être matériel, moral ou ressortir de
la loi. La qualité à agir consiste à posséder un titre ou un droit particulier pour être habilité à
intenter l’action. Lorsque la CCJA rend une décision d’incompétence262 de la juridiction
nationale, c’est désormais elle qui est saisie de l’affaire et qui statuera en qualité de Cour de
cassation mais une transmission du dossier par la Cour dessaisie n’est pas à exclure. À cette
situation, il paraît opportun d’ajouter une autre : celle dans laquelle la juridiction nationale
refuse de se déclarer incompétente en violation de la compétence de la CCJA et que les parties
au litige ne contestent pas cette violation. Soit par ignorance, connivence ou même par
conviction. En dépit de son incompétence manifeste et avérée, la Cour suprême nationale sera
ainsi amenée à se prononcer à titre définitif sur une affaire qui ne relève pourtant pas de sa
compétence. La difficulté réside dans les cas d’ouverture à cassation qui demeurent assez
vagues et qui ne prévoient pas « l’autosaisine » de la CCJA. Cette saisine aurait pour
fondement selon certains auteurs « l’intérêt de la loi et permettrait que la décision rendue soit
déférée devant la CCJA par son président tout en assurant l’unité la jurisprudence
260
CCJA, n°009/2003, 24 avril 2003, Affaire Hyjazi Samih c/ Dagier Habib Rolland et Madame Dagher May
dite Faghali, [www.juriscope.org]. , [www.ohada.com]. , OHADATA J-03-195 ; selon la Cour « il résulte de
l’analyse des dispositions sus énoncées (article 18 du Traité ) que la Cour de céans ne peut être saisie d’un
recours dirigé contre une décision rendue par une juridiction nationale statuant en cassation, en application de
l’article 18 susvisé, qu’à la condition que l’incompétence de ladite juridiction nationale ait été soulevée au
préalable devant celle-ci ».
261
CCJA, Avis n°01/2004/JN du 28 janvier 2004, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 3, janv-juin. 2004, p.
151, [www.ohada.com]., OHADATA J-05-277. La CCJA saisie par une cour d’appel pour se prononcer sur
l’incompétence de la Cour suprême nationale pour statuer sur des matières relevant du droit de l’OHADA, a
estimé qu’elle ne pouvait se prononcer sur la compétence de ladite juridiction dans la mesure où n’ayant pas été
saisie par la partie qui a soulevé l’exception d’incompétence devant la Cour suprême ne l’a pas saisie.
262
V. sur cette question CCJA, n° 055/2005, 15 décembre 2005, Affaire SEMOS SA c/ BETRA, Recueil de
jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 32. Le Juris OHADA, n° 2/2006, p. 13. En l’espèce « le
litige opposant la SEMOS S.A. à BETRA ayant été soumis aux juges du fond maliens le 04 mars 1999, soit
postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, intervenue le
1er janvier 1998, ledit Acte uniforme ayant intégré l’ordre juridique interne de la République du MALI à la date
de la saisine du Tribunal de Commerce de Bamako, les conditions de compétence de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage, telles que spécifiées à l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique, étaient réunies. Dès lors, c’est à tort que la Cour Suprême de la République du MALI s’est déclarée
compétente ». Dans cette affaire, le recours exercé contre l’arrêt de la cour suprême du Mali, l’a été tel que prévu
par l’article 18 du Traité.
95
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
communautaire sur la question » 263. Une telle solution bien qu’appréciable, a une portée que
nous estimons limitée. La CCJA ne pourra valablement s’autosaisir que pour les affaires dont
elle a connaissance. Comment pourrait-elle l’être justement si ni les parties ni les juridictions
nationales ne la sollicitent ? Ainsi de nombreuses décisions de justice échappent au contrôle
de la CCJA dans un contexte dans lequel le pourvoi en cassation n’est pas le recours le plus
exercé.
171.
Les tentatives des juridictions nationales. Aussi, les juridictions suprêmes nationales
usent-elles d’un moyen non négligeable pour se soustraire à leur incompétence et à l’exigence
de renvoi de l’affaire vers la CCJA. Elles arguent de l’application de la loi dans le temps en
général et de l’application des dispositions transitoires pour écarter l’application du droit
uniforme de l’OHADA. En effet, certains Actes uniformes prévoient la survie du droit
national au bénéfice des situations juridiques survenues avant leur entrée en vigueur et
pendant un délai précis. Le juge tirera sa compétence des conditions d’application temporelles
et évitera de renvoyer l’affaire devant la Cour commune. Le célèbre arrêt société Pamol qui
n’est pas le seul du genre, en est la parfaite illustration. En l’espèce, le président de la Cour
suprême du Cameroun avait été saisi d’un recours aux fins d’incompétence et de renvoi
devant la CCJA. La cour a rejeté la demande en se fondant sur les dispositions de l’Acte
uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances. La
procédure de recouvrement ayant été engagée avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, il
ne saurait trouver application à l’espèce264.
À l’exclusivité de compétence en matière de contrôle de l’application et de l’interprétation du
droit de l’OHADA et au renvoi obligatoire des juridictions nationales, s’ajoute l’autorité
absolue reconnue aux décisions de la CCJA.
263
F. ANOUKAHA, « La délimitation de compétences entre la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et les
Cours suprêmes nationales en matière de recouvrement des créances » in Juridis périodique (Intégration
juridique-droit international-droit comparé), n°59, juill-août-sept. 2004, p. 121. Les Professeurs Joseph ISSASAYEGH et Jacqueline LOHOUES-OBLE proposent également cette saisine dans l’intérêt de la loi car selon
eux, elle « permettrait de censurer une décision mal rendue en dernier ressort ainsi que celle de la juridiction
nationale de cassation saisie en dernier ressort ainsi que celle de la juridiction nationale saisie à tort, cela sans
effet à l’égard des parties en litige », ouvrage précité n°453, p.188.
264
Cour Suprême du Cameroun, Arrêt du 05/06/2003, n° 201/CC, Sté PAMOL Plantations c/C.N.P.S. et Ehongo
Nemes Alexandre, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-210.
96
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
B. L’autorité absolue des décisions
172.
L’autorité absolue des décisions rendues par la CCJA concerne la matière consultative (1)
et la matière contentieuse (2).
1. En matière consultative
173.
Les avis facultatifs et les avis obligatoires. La fonction consultative de la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage est d’une importance indéniable dans l’effectivité du droit de
l’OHADA. La Cour rend deux sortes d’avis consultatifs : ceux facultatifs et ceux obligatoires.
L’avis facultatif prévu par l’alinéa 2 de l’article 14 du Traité de Port-Louis est formulé à
l’initiative des États membres sur toute question relative à l’application ou l’interprétation du
droit uniforme, que ce soient les Actes uniformes, les règlements et les décisions. Cet avis
peut être requis, d’une part, pour avoir des précisions sur l’interprétation du dispositif
juridique de l’OHADA et, d’autre part, pour être éclairé sur l’applicabilité ou non du droit de
l’OHADA à un litige donné. Les États, le Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, les
juridictions nationales de fond peuvent solliciter la CCJA afin de s’assurer de la
compréhension qu’il faudrait avoir d’une disposition ou de l’application à en faire. « Il s’agit
uniquement des juridictions de fond saisies dans le cadre de l’article 13 du Traité donc en
contentieux » 265 et l’énumération des bénéficiaires de l’option est exhaustive. Il n’est pas
permis, par exemple aux personnes physiques de formuler une demande d’avis consultatif. Si
la position du législateur est compréhensible en ce qu’elle vise à éviter l’engorgement de la
CCJA, une extension de la faculté offerte par l’article 14 à d’autres acteurs clés de la vie des
affaires ou aux responsables des organisations professionnelles comme l’ont suggéré le
Professeur Félix ONANA ETOUNDI et Pierre BOUBOU266, est envisageable.
265
J. WAMBO, « Les procédures consultative et contentieuse devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
de l’OHADA », session de formation du CIFAF 2004, Cotonou, [www.cifaf-formation.org]., p. 2.
De plus la CCJA a précisé que « la demande d’avis émanant d’une juridiction d’un État partie doit être
consécutive à un contentieux judiciaire pendant devant ladite juridiction nationale et sur lequel celle-ci a estimé
nécessaire d’être éclairée par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA avant de rendre sa
décision », CCJA, Avis n° 01/2006/JN du 17 octobre 2006, in Recueil de jurisprudence de la CCJA n°11,
janvier-juin 2008, p. 129 et suiv.
266
F. ONANA-ETOUNDI, P. BOUBOU, La problématique de l’Unification de la jurisprudence par la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage, Ed. Droit au Service du Développement, Coll. Pratique et Contentieux de
droit communautaire, février 2008, p. 28.
97
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
174.
Cette demande doit être effectuée suivant des formes particulières. Selon le règlement de
procédure de la CCJA « toute demande d’avis consultatif émanant d’un État Partie ou du
Conseil des ministres est présentée par requête écrite »267. De même la formulation de la
question doit être précise et tout document susceptible d’aider la Cour doit être joint à la
requête. Il en va de même pour la demande d’avis formulée par une juridiction. Elle doit être
notifiée à la Cour commune et comporter tout élément qui pourrait s’avérer utile. À la
différence de la demande formulée par les États, aucune précision n’est malheureusement faite
quant à la forme que doit revêtir celle émanant des juridictions de fond. Les avis consultatifs
sont très importants ; ils contribuent fortement à réduire les dissensions d’interprétation et
d’application du droit de l’OHADA. L’avis le plus célèbre demeure celui du 30 avril 2001 que
la haute juridiction a rendu à la suite de la demande de la Côte d’Ivoire relativement à
l’interprétation de l’article 10 du Traité précisément à l’effet abrogatoire des Actes uniformes
sur le droit interne268. Les juridictions suprêmes nationales peuvent saisir la CCJA pour
vérifier leur compétence ou non et faire application des normes qui conviennent.
175.
La procédure consultative peut être obligatoire. Dans ce cas, elle s’applique aux demandes
d’avis formulées sur les projets d’Actes uniformes qui seront délibérés par le Conseil des
ministres, en vertu de l’article 6 du Traité fondateur de l’OHADA. Aux termes de ce texte, les
Actes uniformes sont délibérés et adoptés après avis de la CCJA qui selon l’article 7 doit se
prononcer dans un délai de soixante jours à compter de la date de réception de la demande de
consultation. Il s’agit là d’une indication particulière qui ne vise ni l’application ni
l’interprétation du droit uniforme mais plutôt à l’élaboration des Actes uniformes. L’étape est
indispensable dans la procédure d’adoption des Actes uniformes et ne peut être occultée. La
Cour commune qui détenant l’exclusivité de la compétente pour connaître en cassation des
questions afférentes au droit uniforme. Le caractère obligatoire de la consultation de la CCJA
avant l’adoption des Actes uniformes est clairement établi mais d’une portée relative, car il
apparaît que dans la mesure où la haute cour ne se prononcerait pas à l’expiration du délai, la
procédure ne sera pour autant pas interrompue269. Par ailleurs, aucune précision n’est faite
267
Article 54 du Règlement de procédure de la CCJA.
268
A travers son Avis n°001/2001/EP, du 30 avril 2001, la CCJA a admis que l’article 10 du Traité contenait une
règle de supranationalité (…).
269
Il ressort de l’alinéa 4 de l’article 7 et suite à l’expiration du premier délai de soixante jours accordé à la
CCJA pour se prononcer qu’à l’expiration de ce nouveau délai, le Secrétaire Permanent met au point le texte
définitif du projet d’Acte uniforme, dont il propose l’inscription à l’ordre du jour du prochain Conseil des
Ministres.
98
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
quant aux personnes habilitées à solliciter l’avis de la CCJA et à transmettre le projet d’Acte
uniforme. Vu le rôle important qu’elle joue dans l’élaboration des Actes uniformes, il est tout
à fait logique que le Secrétariat permanent soit l’organe habilité.
176.
La procédure consultative, comme son nom l’indique, consiste à obtenir l’avis consultatif
qui est l’opinion émise par une juridiction sur une question de droit donnée et qui n’a pas
l’autorité de la chose jugée270. Cela signifierait donc que l’avis consultatif ne lie pas le
demandeur et qu’il pourrait parfaitement passer outre les conclusions de celui-ci. Si l’on en
croit certains auteurs, cette affirmation est vraie pour l’avis requis de la CCJA dans le cadre de
la procédure d’adoption des Actes uniformes. Ils se fondent sur le silence aussi bien du Traité
de Port Louis que du règlement de procédure CCJA concernant les effets de l’avis pour étayer
leurs propos271. L’avis ne lierait ni les États, ni la CCJA et n’a d’influence sur l’adoption des
Actes uniformes que celle souhaitée par l’organe normatif de l’OHADA.
177.
La portée de l’avis consultatif. Concernant l’avis consultatif émis par la Cour en matière
d’application ou d’interprétation du droit de l’OHADA, le silence des textes susvisés, laisse
penser que celui-ci a une portée identique à celui qui intervient en vertu de l’article 6 du
Traité. Il est dépourvu de toute force obligatoire. Il est cependant important de rechercher la
force obligatoire des avis consultatifs rendus par la CCJA dans le statut de cette Cour. Ces
avis lient les États et les juridictions qui le sollicitent en vertu de la supranationalité judiciaire
de la CCJA. Ne pas l’admettre reviendrait à mettre en péril l’uniformisation du droit, qui ne
peut être garantie que s’il est fait une application et une interprétation strictement identique du
droit de l’OHADA dans les États parties272. « Il est possible de penser que le demandeur
d’avis a intérêt à en tenir compte, car si un litige naissait et que l’affaire arrivait par la voie de
la cassation devant la CCJA, il est impossible de parier que cette dernière se « déjuge » en
rendant une décision contraire à son avis. À moins que le dossier ne soit suffisamment
270
Cette autorité qui est exclusivement attachée au dispositif, interdit toute remise en cause d’un jugement en
dehors des voies de recours prévues à cet effet.
271
B. GUEYE, S.-NOUROU. TALL, Commentaire du Traité OHADA, in OHADA, Traité et Actes uniformes
commentés et annotés, Juriscope, 2018, p.50.
V. pour une position similaire, A. AKAM-AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique (…) », op.cit.,
n°16, p. 29.
272
99
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
illustratif au regard de certaines des pièces communiquées qui n’étaient pas à la disposition de
la Cour au moment où elle émettait son avis » 273.
178.
De même, il ressort des articles 55 à 57 du règlement de procédure de la CCJA que lorsque
la demande d’avis émane d’un État partie, elle est notifiée aux autres États partie, qui peuvent
formuler des observations soumises à discussions. Cette faculté n’a d’importance qu’à la
condition que la CCJA rende son avis en tenant compte des observations formulées. Ce qui
pourrait être un argument non négligeable en faveur de la consécration de l’effet obligatoire
des avis. Même si d’aucuns y verront la mise à mal de « l’indépendance » que l’on s’évertue à
reconnaître à la CCJA en invoquant les modes de désignation des juges274 et de financement
de l’organe et, surtout, une remise en cause de la supranationalité de la CCJA. Aussi bien les
États que les juridictions nationales sont liés par l’avis de la CCJA. Il n’est apparu de la part
des États aucune prise de décision contraire aux avis formulés. Et ne serait-ce pas justement
pour éviter d’être tenues de se conformer à l’avis de la CCJA que les juridictions nationales
usent peu de la faculté de saisine qui leur est offerte ?
2. En matière contentieuse
179.
Une attribution fondamentale de la CCJA. Hormis la fonction consultative, la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage exerce une fonction contentieuse275 qui est présentée par
la doctrine comme étant son attribution fondamentale276. La supranationalité judiciaire de
l’OHADA ne trouve véritablement son essence que dans la gestion du contentieux faite par la
CCJA en termes d’application et d’interprétation du droit de l’OHADA. En matière
contentieuse, la Cour commune rend essentiellement des arrêts en sa qualité de Cour de
cassation et accessoirement des ordonnances277. L’article 20278 du Traité fondateur de
273
M. MAIDAGI, Actes du colloque sur le droit communautaire en Afrique « De la concurrence à la
cohabitation des droits communautaires », du 24 au 26 janvier 2011 à Cotonou, publiés par l’ERSUMA, 1ère éd.,
octobre 2011.
274
Les juges sont élus au scrutin par le Conseil des ministres sur une liste de personne présentée à cet effet par
les États parties, selon l’article 32 du Traité.
275
P. MOUDOUDOU, « Réflexions sur les fonctions de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA », Rev. EDJA, n°64, janv-févr-mars. 2005, p.22 et suiv.
276
277
D. ABARCHI, « La supranationalité de l’Organisation (…) », op.cit., p. 17.
Il s’agit des ordonnances rendues par la CCJA sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 32 du règlement de
procédure d’après lequel lorsque la CCJA est manifestement incompétente pour connaître d’un recours ou
100
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’OHADA précise les effets attachés à ces décisions. Il en ressort que les arrêts de la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage ont trois caractères principaux à savoir l’autorité de la
chose jugée, la force exécutoire et la supériorité comparativement aux décisions des
juridictions nationales.
180.
L’autorité de la chose jugée. Tout d’abord les arrêts de la CCJA ont l’autorité de la chose
jugée279 c’est-à-dire « qu’ils sont censés être l’expression de la vérité et du droit. Expression
de la vérité pour ce qui est de la constatation des faits ; expression du droit pour ce qui est de
la rectitude des dispositions qu’ils contiennent et du fondement juridique de ces
dispositions »280. Les parties ne seront plus fondées à remettre en cause ce qui a été
définitivement jugé et le juge devra également respecter cet état de fait. Comme le dit
l’adage :
« Res iudicata pro veritale habetur ».
181.
Parce que la décision a l’autorité de chose jugée, la même affaire ne peut être jugée entre
les mêmes parties sous réserve des voies de recours. L’autorité de la chose jugée c’est
« l’impossibilité où l’on est de remettre en question le point sur lequel il a été statué »281. La
fin de non-recevoir, tirée de la chose jugée a pleinement effet en présence du triptyque identité
des parties, de l’objet et de la cause282 en vertu de l’article 1351 du Code civil français. « Il ne
lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, elle peut à tout moment rejeter le
recours par une ordonnance motivée.
278
L’article 20 du Traité OHADA dispose que « les Arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont
l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des États parties une
exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions juridiques nationales. Dans une même affaire, une
décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution
forcée sur le territoire d’un État partie ».
279
J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : Harmonisation du droit des affaires, op. cit., n°464, p.
191. V. également V.-C. NGONO, « réflexions sur l’espace judiciaire OHADA », [www.ohada.com],
OHADATA D-15-14, n°28, p. 12.
280
P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, op.cit., n°266, p. 384.
281
F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n° 750, p. 586. V. en ce sens, D. TOMASIN, Essai sur
l’autorité de la chose jugée en matière civile, Paris, L.G.D.J, 1975, n°10, p. 8.
282
L’arrêt Cesareo, Arrêt n° 04-10. 672, Cass. Ass. Plén., du 07 juill. 2006, ne doit pas être occulté dans la
mesure où il opère un revirement sur la question de la triple identité posée par l’article 1351 du Code civil. Les
juges de la Cour de cassation imposent au requérant le respect du principe de concentration des moyens, et ce,
dès la première instance. En l’espèce, l’Assemblée plénière revient sur une précédente décision du 3 juin 1994, et
donc, il n’est dorénavant plus possible pour les parties, lors de la seconde demande, d’invoquer un autre
fondement juridique que celui qui est précisément invoqué à l’occasion de la première demande. La Cour
101
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
peut donc être utilement envisagé qu’un litige auquel a été donnée une solution devant un
tribunal puisse être porté devant le même tribunal ou une autre juridiction afin qu’il soit à
nouveau statué sur l’action déjà jugée »283.
182.
La consécration de la supranationalité judiciaire de la CCJA emporte sa substitution aux
Cours suprêmes nationales et par voie de conséquence l’assimilation des décisions qu’elle
rend à celles des juridictions qu’elle remplace. Ainsi, deux conséquences découlent de ladite
autorité et de cette assimilation : la suppression du contrôle du juge national et l’extension de
la portée de l’autorité des décisions de la CCJA. Tout comme pour les Actes uniformes qui
s’appliquent directement, les arrêts de la Cour commune ont une autorité de chose jugée
automatique, dont la reconnaissance ne requiert l’intervention d’aucune procédure. Aussi,
l’autorité conférée aux arrêts de la CCJA ne se limite-t-elle pas aux territoires des États
parties. Elle couvre l’ensemble de l’espace OHADA quand cela s’avère nécessaire. En
d’autres termes, « l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt constituera un obstacle au
renouvellement, dans un État qui n’était pas à la base concernée par le litige, lors d’un procès
déjà réglé dans un État membre »284. Certains auteurs estiment qu’il aurait fallu en lieu et
place « d’autorité de chose jugée » parler de « passage en force de chose jugée », pour faire
état de l’impossibilité de l’exercice d’un recours suspensif d’exécution285.
183.
La force exécutoire des arrêts. Les arrêts de la Cour commune ont force exécutoire, tel
qu’il ressort de l’article 20 du Traité. Les arrêts sont obligatoires et produisent leurs effets
entre les parties. En clair, les arrêts de la Cour peuvent être mis à exécution forcée dans les
conditions prévues par la loi. Ainsi, « le juge communautaire exerce un imperium
supranational » 286 même si cet impérium287 n’est que partiel, car l’apposition de la formule
exécutoire est nécessaire. La mise en œuvre de la procédure d’exécution forcée qui requiert
considère que doivent être remplies : l’identité des parties, identité de cause et identité d’objet entre les
différentes instances. Dans le cas contraire, il y a lieu de prononcer une fin de non-recevoir ; fin de non-recevoir
tirée de la chose jugée.
283
S. AMRANI-MEKKI, Y. STRICKLER, Procédure civile, op.cit., n° 80, p. 156.
284
J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, OHADA : harmonisation du droit, op.cit., n° 466, p. 191.
285
B. GUEYE, S.-N. TALL, Commentaire du Traité OHADA, op.cit., V. article 20, pp. 54-55.
286
P. MOUDOUDOU, « Réflexion sur les fonctions de la Cour commune de justice et d’arbitrage », op.cit., p.6.
287
L’imperium est l’autre versant des pouvoirs dont le juge est investi par l’État. Pouvoir de donner des ordres,
de disposer de la force publique, d’ordonner des mesures d’exécution, des mesures conservatoires. Il coexiste
avec la « juridictio », pouvoir de rendre des jugements.
102
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’apposition de la formule exécutoire à l’analyse des dispositions de l’article 46 du règlement
de procédure288. La force exécutoire des arrêts de la CCJA a de réelles incidences sur
l’affirmation de la prévalence de l’institution sur les juridictions suprêmes nationales.
L’exécution et la reconnaissance des arrêts ne sont pas subordonnées à la mise en œuvre d’une
procédure d’exequatur sur le territoire des États membres289.
184.
Le cas spécifique des décisions contradictoires. Enfin, la supériorité des décisions de la
CCJA sur celles des juridictions suprêmes des États membres est affirmée par l’article 20 du
Traité qui précise que « dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la
CCJA ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un État partie ». La
contrariété des décisions est caractéristique d’une situation de conflit tranchée en faveur de la
décision de la CCJA et qui empêche l’exécution forcée de la décision en cause. La supériorité
des décisions de la CCJA aurait été dotée d’une force plus importante si les décisions
contraires étaient plutôt entachées de nullité à l’instar de la solution adoptée lorsque le juge
national méconnaît son incompétence. Cependant, en dépit de la prééminence de la CCJA et
des décisions qu’elle rend, des difficultés liées au fonctionnement de la Cour et à l’application
de certains Actes uniformes sont apparues. Ce fut le cas avec le célèbre arrêt Époux Karnib
contre la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (S.G.B.C.I). La CCJA avait été saisie
de l’application de l’article 32 de l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées et avait
retenu qu’« une décision assortie d’exécution provisoire, constituait un titre exécutoire
pouvant être mis à exécution par son bénéficiaire nonobstant l’exercice des voies de recours ;
mais qu’il s’exposait à une procédure en répétition de l’indu »290. Ce, quand bien même les
législations de plusieurs États tels que la Côte d’Ivoire prévoyaient dans leur code de
procédures civiles et commerciales, des défenses à exécution qui suspendaient toute exécution
même commencée. La contradiction et la résistance des juges nationaux qui en ont résulté, ont
288
Il ressort de l’article 46 du règlement de procédure de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage que
l’intéressé peut poursuivre l’exécution forcée après l’accomplissement des formalités que sont entre autres
l’apposition de la formule exécutoire, la vérification de l’authenticité du titre.
289
Cette dispense d’exéquatur est un facteur de célérité de la procédure judiciaire et diffère de ce qui a cours
dans d’autres organisations qui à l’instar de l’OCAM, ont établi entre leurs membres une Convention générale de
coopération judiciaire.
290
CCJA, Arrêt n° 002/2001, 11 octobre 2001, Affaire : Époux KARNIB c/ Société Générale de Banques en
Côte d’Ivoire (SGBCI), [www.ohada.com]., OHADATA J-02-06.
103
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
amené la Cour commune à préciser à nouveau sa position en prenant en compte les normes
nationales et les juges nationaux par le biais notamment de l’Arrêt SOCOM SARL291.
185.
Les recours ouverts contre les arrêts de la CCJA. Les arrêts de la CCJA ne sont
susceptibles que de voies des recours extraordinaires que sont le recours en tierce opposition,
le recours en interprétation et le recours en révision d’arrêt à l’exclusion, pour des raisons
évidentes, du pourvoi en cassation. La tierce opposition est ouverte à toute personne physique
ou morale qui estime qu’un arrêt a préjudicié à ses droits si elle n’a pris part à aucune des
instances antérieures292. La tierce opposition vise à réparer les dommages et a pour effet de
modifier l’arrêt s’il y est fait droit. Le recours en interprétation d’arrêt vise toute contestation
relative au sens ou à la portée du dispositif d’un arrêt de la CCJA. Il est ouvert à toute partie
au litige dans un délai de trois ans suivant le prononcé de l’arrêt293. La décision rendue en
interprétation prend la forme d’un arrêt. Les articles 49 et 50 du règlement de procédure
consacrent le recours en révision d’arrêt dont l’exercice n’est possible qu’en raison de la
découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive, qui était inconnu avant le
prononcé de l’arrêt de la Cour et de la partie qui demande la révision294. Le silence de l’article
49 quant aux personnes susceptibles d’exercer le recours, permet d’affirmer que toute
personne intéressée pourrait vraisemblablement agir en révision de l’arrêt.
La compétence bien qu’exclusive, reconnue à la CCJA laisse subsister celle limitée, mais
encadrée des juridictions nationales.
291
CCJA, 19 juin 2003, Aff. SOCOM S.A.R.L c/ Société de Banques au Cameroun (SGBC) et Banque des États
de l’Afrique Centrale (BEAC), arrêt n° 014/2003, Recueil de jurisprudence CCJA, n°1 janvier-juin 2003, pp 1921. Cet arrêt constitue avec d’autres rendus également en 2003, un revirement important ; La CCJA déclare que
« contrairement à ce que prétend la défenderesse au pourvoi, l’article 32 de l’Acte uniforme portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’est pas applicable en l’espèce, la
procédure introduite le 03 février 2001 et qui a abouti à l’arrêt attaqué n’ayant pas pour objet de suspendre une
exécution forcée déjà engagée mais plutôt d’empêcher qu’une telle exécution puisse être entreprise sur la base
d’une décision assortie de l’exécution provisoire et frappée d’appel ; qu’il s’ensuit que la Cour de céans doit se
déclarer incompétente pour statuer sur le recours en cassation introduit par SOCOM SARL » ; v. également
Société d’exploitation Hôtelière et Immobilière du Cameroun dite SEHIC Hollywood SA, c/ Société générale de
banques au Cameroun dite SGBC, arrêt n°012/2003. G. KENFACK-DOUAJNI, note sous arrêt du 19 juin 2003,
Revue camerounaise de l’arbitrage , 22 juill-août-sept. 2003, p. 13 et s.
292
Cf. Article 47 alinéa 1 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. La
demande doit être formée contre toutes les parties au litige principal et respecter les dispositions des articles 23,
27 et 47-2 du règlement.
293
Article 48 du règlement de procédure de la CCJA.
294
La demande en révision doit être exercée dans un délai maximal de dix ans à compter de l’arrêt attaqué et
dans un délai de trois à compter du jour où le fait fondant le recours a été connu.
104
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
§ 2. La compétence limitée des juridictions nationales
186.
La compétence dévolue aux juridictions nationales est strictement encadrée au regard de
son contenu (A) et doit faire face aux pouvoirs de la CCJA (B).
A. Le contenu de la compétence dévolue aux juridictions nationales
187.
Les juridictions de fond sont les juges de droit commun des normes de l’OHADA (1) et ont
une compétence qui est bridée (2).
1. Le simple rôle de juge de droit commun des juridictions de fond
188.
Les attributs de la compétence. La compétence reconnue aux juridictions est tributaire
des principes qui gouvernent la matière. Une juridiction est compétente selon qu’elle bénéficie
d’une compétence territoriale ou d’une compétence d’attribution. La compétence territoriale
ou ratione loci détermine le tribunal devant être saisi d’une affaire, en fonction de critères de
localisation géographique, en règle générale, le lieu du domicile du défendeur. Quant à la
compétence d’attribution, ratione materiae, elle prévoit le tribunal dont relève une matière
donnée. La compétence qui est reconnue aux juridictions de fond est avant tout une
compétence d’attribution. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA exerce
ses compétences en qualité de Cour de cassation et se substitue aux juridictions suprêmes
nationales. Le principe de substitution ne vaut que pour celles-ci et leur est exclusivement
réservé. Ainsi, les juridictions de fond que sont les tribunaux et les Cours d’appel des États
membres assurent l’application du droit de l’OHADA et ont compétence pour connaître des
litiges portant sur l’application des Actes uniformes. L’article 13 du Traité de Port-Louis
précise que « le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première
instance et en appel par les juridictions des États parties ». Ces juridictions jugent les faits et
le droit, le rôle qui leur est dévolu est clair : à partir des circonstances de fait, vérifier
l’applicabilité du droit de l’OHADA et procéder à l’application dans l’hypothèse où l’espèce
tomberait sous le coup des dispositions du droit uniforme. Ces juridictions demeurent malgré
tout, placées sous la subordination de la CCJA, Cour de cassation295.
189.
La dualité de l’ordre judiciaire adoptée dans les pays membres de l’OHADA et reçue du
droit français pour les pays de culture romano germanique, commande une organisation
judiciaire particulière. L’ordre administratif est séparé de l’ordre judiciaire qui est lui-même
295
En vertu du principe de la compétence exclusive de la CCJA.
105
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
subdivisé suivant les principaux domaines du droit privé : le civil et le pénal. Parmi les
juridictions civiles, une distinction est faite entre celles purement civiles et celles
commerciales. En pratique, peu d’États sont dotés de juridictions commerciales et la mise en
conformité de leur organisation judiciaire avec les exigences résultant de la prédominance du
monde des affaires peine à être réalisée. Ce, alors qu’il s’agit d’une condition nécessaire à
l’application optimale du droit de l’OHADA. Le droit de l’OHADA est pensé pour être un
droit spécial, un droit des affaires auquel s’appliquent à juste titre, des règles particulières. Du
moins à titre principal. Les juridictions qui connaissent du contentieux lié à son application
devraient être tout aussi spécifiques. L’autonomie institutionnelle reconnue aux États
membres et qui leur permet d’organiser les compétences et procès destinés à sanctionner la
violation du droit communautaire, constitue un risque de disparités et de multiplicités
d’application.
190.
Les juges appelés à se prononcer sur le contentieux doivent faire application de la
disposition idoine et ne pourront valablement y parvenir que s’ils ont une parfaite maîtrise du
droit de l’OHADA. L’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA),
« établissement de formation, de perfectionnement et de recherche en droit des affaires » 296, a
un rôle crucial à jouer dans la dispense d’une formation adéquate aux magistrats. D’autant
plus qu’il n’est pas rare au sein des États membres, de confier au même juge, le contentieux
purement civil et celui commercial. Il en résulte une application erronée du droit de l’OHADA
ou une méconnaissance de l’application de ce droit. Par son arrêt en date du 15 mars 2001, la
Cour Suprême de Côte d’Ivoire a en violation manifeste de l’article 101 de l’Acte uniforme
sur le droit commercial général rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt confirmatif de la Cour
d’Appel quant à la compétence du juge des référés297. Il ne faut pas occulter le fait que les
cours d’appel nationales sont supérieures d’un point de vue hiérarchique aux juridictions de
première instance et que l’obligation d’efficacité les concerne d’autant plus.
191.
Les ressortissants des États membres sont fondés en vertu de l’effet direct des Actes
uniformes à se prévaloir des droits et devoirs découlant de ceux-ci devant les juridictions
296
Article 41 du Traité tel que révisé en 2008.
297
Cour suprême de Côte d’Ivoire, 15 mars 2001, Arrêt n° 136, in Ecodroit, novembre 2005, n°5, p. 25. La Cour
suprême rejette le pourvoi de dame B. contre un arrêt de la Cour d’Appel d’Abidjan confirmant une ordonnance
de référé expulsant celle-ci des lieux où elle exerçait son activité pour non-paiement de loyers, et décide que « la
Cour d’appel a donné une base légale à sa décision en retenant la compétence du juge des référés ». Ce alors que
l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, applicable en la matière, donne compétence
au tribunal et non au juge des référés.
106
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
nationales de fond. L’effet direct signifie que ce droit « complète directement le patrimoine
juridique des particuliers en créant à leur égard des droits ou des obligations dans leurs
rapports avec d’autres particuliers ou dans leurs relations avec l’État dont ils sont les
ressortissants » 298. Ils peuvent invoquer le droit de l’OHADA devant les juridictions à qui il
est fait obligation d’assurer le respect de cette prérogative299. Le juge national est contraint
d’appliquer le droit de l’OHADA qui intègre l’ordre juridique national sans aucune procédure
de réception. Néanmoins, bien qu’ayant le droit de requérir le respect des prérogatives
reconnues par le droit de l’OHADA, les particuliers ne peuvent saisir la CCJA en premier
ressort. Il leur faut respecter la procédure judiciaire en vigueur dans l’État dont les juridictions
sont compétentes en l’espèce. Par ailleurs, ils ne peuvent pas saisir la juridiction
communautaire alors que le jugement rendu en premier ressort est susceptible d’appel.
2. La compétence bridée des juridictions nationales
192.
Les juridictions nationales garantes de la supranationalité normative du droit de
l’OHADA. Les effets immédiat et obligatoire des Actes uniformes ont des incidences sur les
juridictions nationales des États membres qui sont tenues d’assurer la supranationalité
normative du droit de l’OHADA en l’appliquant en lieu et place du droit national300 faisant
bien entendu l’objet d’une réglementation uniforme. Il est vrai que ce sont les juges internes
qui, « avant la CCJA, garantissent la primauté de la norme OHADA sur la norme interne et
constituent un pilier fondamental dans la réalisation de l’espace OHADA » 301, mais il n’en
demeure pas moins que leur compétence que ce soit, pour les juridictions de fond que pour les
Cours suprêmes est bridée. Bridée par les exigences du droit qu’elles sont tenues d’appliquer
298
A. PECHEUL, Droit communautaire général, Paris, Ellipses, 2002, pp.122-123.
299
Cour d’Appel du Port-Gentil, 28/04/1999, Arrêt société EFG C/ Société CAGRINO, Penant 1999, p. 114.
Dans cette affaire la Cour d’Appel a fait application de l’article 54 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures
simplifiées de recouvrement des créances. Cet article permet la saisie conservatoire des biens meubles du
débiteur si le créancier justifie d’une créance et de circonstances de nature à mesurer le recouvrement de cette
créance. La Cour a retenu que « bien qu’il résulte des éléments de la cause que le débiteur reconnaît devoir une
certaine somme à son créancier sous réserve de comptes à faire entre les parties, il n’est pas établi que la créance
soit exposée à un risque imminent d’insolvabilité ayant pour conséquence l’impossibilité totale de son
recouvrement. Dès lors, la requête de saisie conservatoire n’est pas justifiée ». D’autres juridictions de fond ont
agi conformément aux compétences à elles attribuées. V. dans ce sens C A Niamey, 8 décembre 2000, Sanak
Dan Nona c/ Hamidou Abou ; C A Douala, 15 mai 2000, société Soccia.
300
La C.J.U.E a consacré le principe de primauté dans l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964.
301
V.-C. NGONO, « Réflexions sur l’espace judiciaire OHADA », op.cit., n°21, p. 9.
107
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
et de respecter. En effet, la compétence attribuée aux juridictions de fond leur est reconnue par
le Traité fondateur de l’OHADA et uniquement par cet acte fondateur.
193.
Ainsi lorsqu’elles sont saisies d’un litige, les juridictions nationales doivent identifier, en
se fondant sur le dispositif juridique de l’OHADA, l’Acte uniforme applicable. Cela ne saurait
être effectif sans référence à l’article 2 du Traité fondateur de l’OHADA qui présente le
domaine d’application du droit de l’OHADA, même si le domaine est appelé à évoluer et à
être étendu à d’autres matières. Une fois l’application du droit uniforme avérée, les
juridictions nationales ont l’obligation d’appliquer ledit droit et d’écarter toute loi nationale
ayant notamment un objet identique à celui d’un Acte uniforme donné. Il se pose dès lors la
question de savoir quel droit est applicable lorsque pour un litige, aussi bien le droit national
que le droit de l’OHADA trouvent à s’appliquer. Les Actes uniformes réglementent la vie des
affaires, mais il est des aspects qui ne sont pas pris en compte et pour lesquels le recours au
droit interne est indispensable. C’est, par exemple, le cas de l’Acte uniforme relatif au droit
commercial général qui, bien que traitant de la vente commerciale, permet l’application du
droit commun national en la matière, pour ce qui concerne notamment le droit des contrats.
Bien entendu, deux cas doivent être distingués : selon que l’on est devant les juridictions de
fond ou devant les cours suprêmes nationales. La solution qui est loin d’être tranchée
lorsqu’un contentieux porte à la fois sur le droit uniforme et le droit interne, consisterait pour
les juridictions de fond à faire application du droit de l’OHADA pour l’aspect du litige qui le
nécessite et le droit interne pour les autres questions.
194.
Le cas spécifique des juridictions nationales suprêmes. La situation est tout autre pour
les juridictions suprêmes nationales qui, contrairement aux juridictions de fond, ne peuvent
pas appliquer le droit uniforme et, qui de ce fait, se déclarent incompétentes pour le règlement
de tout contentieux y afférent. Le caractère résiduel de la compétence des juridictions
nationales est plus perceptible lorsqu’il s’agit des juridictions suprêmes. En effet, leur
compétence se résume à la connaissance des litiges ne nécessitant pas l’application du droit de
l’OHADA. Ainsi, face à un litige portant à la fois sur le droit interne et le droit de l’OHADA,
la juridiction doit retenir sa compétence pour les aspects de droit interne et se déclarer
incompétente pour l’autre aspect en renvoyant l’affaire devant la CCJA. En pratique, les
juridictions ont dû à maintes reprises faire face à des affaires présentant de telles
caractéristiques. Leurs décisions n’ont cependant pas toujours été fidèles à l’esprit du Traité
fondateur de l’OHADA qui institue la supranationalité de la CCJA. La décision de la Cour
suprême du Niger de connaître de tout le litige quand bien même il relevait du droit uniforme
108
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dans certains de ses aspects302, le démontre. La résistance de la juridiction nigérienne n’est pas
un cas isolé. Une solution envisageable serait la formation par les plaideurs de deux pourvois,
l’un devant la CCJA et l’autre devant la Cour Suprême nationale. La formation d’un seul
pourvoi, mais avec deux moyens différents soumis à chacune des deux juridictions en cause
serait également une option. La juridiction suprême nationale n’aura d’autre choix que de
renvoyer le litige devant la CCJA après avoir réglé les questions relatives à son droit interne.
195.
L’exercice par les juridictions nationales suprêmes de leurs compétences est fortement
compromis par la suprématie de la Cour Commune qui est confirmée par l’article 16 du Traité
OHADA à travers la reconnaissance de l’effet suspensif de la saisine de la CCJA. Cet article
dispose que « la saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend la procédure
de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée ». La
procédure ne peut être poursuivie que si la CCJA se déclare finalement incompétente pour
connaître du litige et renvoie l’affaire devant la juridiction nationale303. Dans l’hypothèse où,
dans le cadre d’un jugement rendu en premier et dernier ressort par le tribunal, la Cour
suprême nationale est saisie et que son incompétence est soulevée devant la CCJA dans les
formes requises, la saisine de celle-ci emporte également suspension de la procédure au
niveau national. Nonobstant la saisine de la CCJA, les procédures d’exécution ne sont pas
suspendues.
302
Cour Suprême du Niger , Arrêt du 16/08/2001, n° 01-158/C, SNAR-LEYMA c/ Groupe Hima Souley ,
[www.ohada.com]., OHADATA J-02-36 ; la Cour suprême a estimé que « Considérant l’article 18 du Traité
OHADA aux termes duquel une partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale
statuant en cassation, estime que cette juridiction a, dans un litige, méconnu la compétence de la CCJA, peut
saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée, la
compétence de la CCJA n’est pas exclusive de celle des juridictions nationales de cassation. En outre, la CCJA
n’étant compétente que pour l’interprétation et l’application des Actes uniformes, la Cour de suprême nationale
saisie d’un pourvoi en cassation n’a pas à renvoyer ce pourvoi devant la CCJA si cette voie de recours est
fondée, de façon prépondérante, non sur la violation des dispositions d’un Acte uniforme mais, comme en
l’espèce, sur celle des règles du code civil et du code CIMA ».
303
CSSPPA, p. 1. La Cour Commune a rappelé qu’« étant compétente pour connaître des recours en cassation
contre les décisions rendues par les juridictions nationales des États parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes, les conditions de cette compétences ne sont pas réunies
dès lors que le moyen de cassation est la violation ou l’interprétation de l’article 214 du Code de procédure civile
ivoirien, et l’arrêt attaqué ayant confirmé une ordonnance d’expulsion d’un immeuble à usage d’habitation ». Le
bail d’habitation ne fait pas partie des baux réglementés par le droit de l’OHADA.
109
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
B. Les pouvoirs étendus de la CCJA
196.
L’exercice du contrôle de la CCJA (1) et l’évocation sans renvoi (2), témoignent des
pouvoirs de cette juridiction.
1. L’exercice d’un contrôle de la CCJA
197.
Le rôle de gendarme de la CCJA. La suprématie de la CCJA sur les juridictions
nationales commande le contrôle qu’elle exerce. Il revient à la Cour commune de s’assurer de
l’application et de l’interprétation uniformes du droit de l’OHADA. Elle doit se prononcer sur
les décisions rendues par les juridictions des États parties dans toutes les affaires soulevant
des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements. Ainsi,
lorsqu’elle est saisie par voie de pourvoi, la Cour commune s’emploie à déterminer si le juge
de fond d’un État membre a fait une correcte interprétation ou une juste application des
dispositions prévues par les Actes uniformes. Les décisions faisant l’objet de contrôle sont
celles qui sont rendues en premier et dernier ressort et qui sont donc insusceptibles d’appel. Il
ne s’agit pas uniquement de s’assurer que le droit de l’OHADA était bel et bien applicable,
mais il revient en plus à la Cour commune de contrôler la justesse dans l’interprétation et dans
le choix des dispositions applicables à l’espèce.
198.
L’interprétation du droit par le juge. La question de l’interprétation du droit requise des
juges se pose. Le terme « juge » désigne au sens générique toute juridiction, quels que soient
son degré dans la hiérarchie, sa composition, l’origine de son investiture, mais également le
magistrat304. Le juge a un rôle précis et non des moindres : faire appliquer la loi. Lorsque la
loi est suffisamment claire, le juge procède à une interprétation littérale. Cependant,
lorsqu’elle paraît peu claire pour lui, obscure, il a un pouvoir d’interprétation qui lui permettra
de rechercher l’intention du législateur. De pouvoir, il n’en existe pas en réalité, car il s’agit
d’une obligation qui lui est faite par la loi. L’article 4 du Code civil français, également
applicable au sein des États membres de l’OHADA, dispose que « le juge qui refusera de
juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être
poursuivi comme coupable de déni de justice ». L’interprétation consistera à recourir à des
procédés de raisonnement, à réaliser une herméneutique juridique, « art de comprendre et
304
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op.cit., p. 582.
110
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’interpréter : exprimer, expliquer, comprendre. L’étymologie est éclairante, quant à la
découverte du sens »305. Diverses méthodes d’interprétation existent.
199.
La recherche de la volonté du législateur. La volonté du législateur est recherchée à
travers l’utilisation de deux types de moyens : d’une part, la référence aux précédents
historiques et aux travaux préparatoires tels que les exposés des motifs, d’autre part, le recours
à des procédés logiques. Ces procédés seraient plus efficaces selon Jean-Louis BERGEL qui
affirme que « c’est surtout par l’emploi d’un certain nombre de procédés logiques que l’on
découvre le sens d’un texte par référence à son propre contenu, à sa propre formulation, à son
contexte. On utilise alors divers raisonnements. Les raisonnements a pari, a contrario et a
posteriori sont les meilleures illustrations de l’interprétation des textes par les textes » 306.
Fortement critiquée et contestée307 au fil du temps, la méthode exégétique a été combinée avec
d’autres méthodes. Ainsi, il a fallu admettre « une méthode téléologique et une méthode
historique ou évolutive » 308. La méthode téléologique repose sur la recherche de la finalité de
la règle ou de son but social, tandis que la méthode historique part du postulat que le sens
d’un texte peut changer avec le temps et les circonstances.
200.
La méthode d’interprétation est-elle la même lorsqu’il s’agit de Traités ? Le rôle
d’interprétation reconnu au juge est-il effectif dans le cadre d’organisations supranationales
instituées par des Traités ? Ces questions méritent d’être posées puisque l’interprétation des
Traités ainsi que des actes qui lui sont dérivés relève de la compétence des juridictions
305
J.-L. BERGEL, « La découverte du sens en droit par la finalité », in La découverte du sens en droit, Colloque
de l’Assoc. Franç. de philosophie du droit, 1991, éd. Archiv. Für Rechts und sozialphilosophie (ARSP), 1992.
306
J.-L. BERGEL, Théorie générale du Droit, 4e éd., Paris, Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 2004, n°232, p.
265.
307
L’école de l’exégèse est apparue au lendemain de la promulgation du Code civil en 1804. La méthode
exégétique dans sa conception classique ne faisait pas l’unanimité parmi ses défenseurs. Aubry et Rau ont
opposé à la méthode exégétique pure qui se résumait à un commentaire article par article du Code, une méthode
dite dogmatique ou synthétique qui consistait à systématiser le Code. (Cités par L. HUSSON, « Analyse critique
de la méthode de l’exégèse », in l’interprétation dans le droit, Arch. De philosophie du droit, T. XVII, 1972, p.
116.). Les procédés de l’exégèse ont été contestés, c’est le cas pour la relativisation de la valeur des travaux
préparatoires ; le reproche a été également fait concernant les raisonnements a pari, a contrario et a posteriori
qui pourraient conduire à des résultats contradictoires ou incertains selon les termes de comparaison retenus (V.
J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op.cit., n° 233, pp. 266-267). Dans le sens de la critique, François
GENY a proposé de recourir à la « méthode de la libre recherche scientifique », F. GENY, Méthode
d’interprétation et sources en droit privé positif, 2e éd., Tome. 2, Paris, L.G.D.J, 1919, n° 223.
308
A. WEILL, F. TERRE, Introduction générale au droit civil, Paris, Dalloz, Coll. Précis, n° 175 et suiv.
111
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
supranationales tel que c’est le cas pour le Traité de Rome309. Il apparaît difficile de retenir
que l’OHADA autorise de manière expresse l’interprétation des Actes uniformes, règlements
et décisions par les juridictions nationales. L’article 14 alinéa 1 du Traité fondateur de
l’OHADA précise que la CCJA assure l’interprétation des actes susmentionnés. Il reste aux
juridictions nationales de consulter l’avis de la Cour commune concernant le sens à donner à
une disposition uniforme à appliquer. Même si elles pourraient retenir leur compétence pour
l’interprétation des textes en cause, en vertu du rôle qui est leur assigné dans le contentieux en
instance et en appel. Sur ce point, il convient de rappeler qu’il aurait fallu que l’article 13 du
Traité précise que les juridictions du fond sont tenues de transmettre à la CCJA toute question
relative à l’interprétation d’une disposition obscure. Sinon, les justiciables seront confrontés à
des interprétations diverses et parfois contradictoires.
201.
Dans le cadre de l’exercice de son contrôle, la Cour commune devra s’assurer que le juge
de fond n’ait pas, à travers son jugement, contrevenu à une disposition du traité ou d’un
règlement pris en vertu du traité. Il ne suffit pas que le juge national ait appliqué le droit de
l’OHADA. Son application doit être appropriée et la décision rendue doit être conforme ou
non aux dispositions du droit uniforme. La CCJA ne pouvant s’autosaisir, il est évident que sa
saisine est une condition sine qua non de l’exercice de ses fonctions de contrôle. Saisine qui
peut intervenir dans le cadre d’un pourvoi en cassation ou d’une exception d’incompétence.
D’où, il apparaît l’intérêt de la prévision d’un mécanisme de saisine dans l’intérêt de la loi. La
Cour de Justice de l’OHADA contrôle, aussi bien la conformité de la décision au droit de
l’OHADA que la compétence de la juridiction. Sur ce point précis, ce contrôle se limite aux
juridictions suprêmes nationales, dont les décisions sont annulées en cas de méconnaissance
de la compétence de la CCJA. De même, dans le cadre d’une demande d’avis d’une
juridiction de fond dont la réponse ne serait finalement pas suivie par ladite juridiction, la
CCJA pourrait censurer la décision prise dans le cadre de ses fonctions de Cour de cassation.
2. L’évocation sans renvoi
202.
Une diversité d’arrêts rendus. Lorsque la CCJA est saisie, elle rend soit des arrêts soit
des ordonnances. Les ordonnances sont rendues en vertu de l’article 32-2 du règlement de
procédure de la CCJA et concernent la réponse donnée aux recours fondés sur l’exception à la
309
V. article 177 du Traité de Rome.
112
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
compétence de la Cour commune pour lesquels elle est incompétente en raison du caractère
irrecevable ou non fondé des recours. Sinon, la Cour rend principalement des arrêts différents
selon qu’elle a procédé ou non à un contrôle de la légalité de la décision qui lui est soumise.
Ainsi, lorsqu’elle statue sur la forme et ne vérifie pas sur le fond la légalité, la Cour rend des
arrêts d’irrecevabilité ou des arrêts d’incompétence. L’examen d’un point de vue légal donne
lieu à des arrêts de rejet et de cassation.
203.
Les arrêts d’irrecevabilité et les arrêts d’incompétence. Concernant les arrêts
d’irrecevabilité et les arrêts d’incompétence, ils interviennent avant tout examen de la légalité
de la décision contestée. L’irrecevabilité est « la sanction de l’inobservation en droit
procédural d’une prescription légale consistant à rejeter sans l’examiner au fond, une demande
qui n’a pas été formulée en temps opportun ou qui ne remplit pas les conditions de forme ou
de fond exigées » 310. Une fois l’irrecevabilité constatée, la Cour sanctionne l’irrégularité mais
pas de manière systématique. Les arrêts d’incompétence quant à eux sont rendus par la Cour
commune lorsqu’elle juge être inapte à connaître d’une affaire. C’est le cas lorsque sont en
cause, non pas l’application ou l’interprétation du droit de l’OHADA, mais le droit interne ou
tout autre norme. La Cour se dessaisit du litige. Les arrêts d’irrecevabilité comme les arrêts
d’incompétence, ne permettent pas à la Cour commune de mettre en application son pouvoir
d’évocation en ce qu’elle ne statue pas sur le fond. C’est également le cas pour les arrêts de
rejet, en dépit du fait qu’ils donnent lieu à un examen de la légalité. Par les arrêts de rejet, la
Cour confirme la décision des juges de fond dès lors qu’elle juge qu’ils ont fait une bonne
application du droit uniforme.
204.
Les arrêts de cassation. Tout l’intérêt du pouvoir d’évocation réside dans les arrêts de
cassation. Ces arrêts interviennent lorsqu’ a contrario la Cour juge qu’il a été fait une
application erronée du droit de l’OHADA et entraînent l’annulation des décisions concernées.
Ces décisions, une fois annulées, ne font pas l’objet comme il est de coutume d’un renvoi311
vers une juridiction d’un degré identique à celle qui a rendu la décision. Cette innovation est
consacrée par le Traité fondateur de l’OHADA en son article 14-5 tel que révisé, qui précise
310
A.-C. AQUEREBURU, « La procédure contentieuse applicable devant la CCJA », www.ohada.com,
OHADATA D-11-63, p. 8. L’auteur précise en citant l’article 28.5 du Règlement de procédure que concernant
les pourvois formés par les parties, la CCJA décide librement quand le recours est irrecevable et quand il ne l’est
pas ; ce qui à son sens pourrait être cause d’insécurité judiciaire même si cette faculté empêche l’enfermement
dans un formalisme outrancier.
311
Le renvoi est fait auprès d’une juridiction dite de renvoi qui peut être une juridiction autre que celle dont la
décision a été cassée ou cette même juridiction autrement composée.
113
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
qu’« en cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ». La CCJA se substitue pleinement
aux juridictions du fond qui ne peuvent pas rejuger l’affaire. La cour commune rend la
décision qui s’impose aux parties, aux ressortissants des autres États membres à situation
égale et aux juridictions nationales. Il appartient aux parties d’exercer les voies de recours
extraordinaires, en l’occurrence le recours en révision, le recours en interprétation et la tierce
opposition.
205.
Le pouvoir d’évocation. Le pouvoir d’évocation est celui qui, avec la supranationalité
normative de l’OHADA, a suscité de nombreux débats et des critiques. L’on est bien au-delà
du mécontentement des parlements nationaux qui ont estimé que leurs prérogatives
normatives ont été vidées de leur substance à l’avènement de l’OHADA, au détriment de la
séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire des États membres est impuissant face à la
déferlante du géant CCJA. Aussi, les auteurs qui perçoivent la CCJA comme un troisième
degré de juridiction, fondent-ils essentiellement leur assertion sur le pouvoir d’évocation312.
Malgré tout, certains auteurs évitent de noircir le tableau et estiment que le droit d’évocation
« participe de la volonté des rédacteurs du Traité d’unifier la jurisprudence applicable à tous
les États membres »313 et même que le caractère impératif conféré à l’évocation après une
cassation devait « permettre à la Cour d’asseoir rapidement une jurisprudence en matière de
droit des affaires et de donner une interprétation plus harmonieuse des Actes uniformes
(…) » 314.
206.
Il y a également les auteurs qui voient en ce pouvoir d’évocation, une solution au conflit de
juridiction qui naît à l’occasion d’un litige recelant un lien de connexité. « La Cour saisie
pourra une fois qu’elle a relevé sa compétence examiner le litige au fond ; si elle note une
mauvaise application du droit uniforme, elle cassera la décision et subséquemment évoque et
statue sur la totalité du litige. Cette option aurait entretenu la suprématie de la CCJA » 315. Le
pouvoir d’évocation permet une célérité de la procédure et contribue à l’efficacité du contrôle
312
Sur la question du troisième degré de juridiction, le Professeur Soraya AMRANI-MEKKI précise, citant J et
L. BORE que « la Cour de cassation en serait limitée au droit en raison de l’effet dévolutif » ; n° 567, p. 863.
313
J. LOHOUES-OBLE, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », RIDC, 1999, p. 543.
314
L. YARGA, « L’OHADA, ses institutions et ses mécanismes de fonctionnement », [www.ohada.com].,
Doctrine, OHADATA D-05-37.
315
J. FOMETEU, « Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage et les juridictions nationales de Cassation », in Les mutations juridiques dans le système OHADA
(sous. Dir.) André AKAM-AKAM, Cameroun, l’Harmattan, 2009, n° 27, p. 54.
114
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
étant donné que la décision définitive est prise par la Cour commune. Cependant, son
utilisation en cas de connexité pour la totalité du litige est discutable. La compétence
d’attribution des Cours suprêmes nationales ne doit en aucun cas être méconnue.
À la CCJA, il revient exclusivement de veiller à l’application et à l’interprétation du droit de
l’OHADA ; si les juridictions nationales suprêmes nationales sont tenues de s’incliner dès lors
qu’une affaire relève de la compétence de la CCJA et lui renvoyer l’affaire, la CCJA exerce
un contrôle sur les décisions rendues par les juridictions de fond et peut évoquer l’affaire sans
la renvoyer après cassation. Ces importantes prérogatives ne donnent pas la pleine mesure de
la prévalence de la CCJA sur les juridictions nationales. Sa prépondérance en matière arbitrale
en est un autre exemple et non des moindres.
Section 2. La prépondérance de la CCJA en matière arbitrale
207.
L’arbitrage est un des modes alternatifs de règlement des conflits les plus usités dans le
monde des affaires, si bien qu’il tend à prendre le pas sur le mode contentieux de règlement de
conflits. Si cela est vrai pour les pays développés, il convient de relativiser la portée pour les
pays en voie de développement. Ces pays ont dans un souci de mise à niveau, dans le cadre de
l’OHADA par exemple, consacré un arbitrage communautaire (§1) qui marque la domination
exercée par la CCJA dans la procédure arbitrale (§ 2).
§ 1. La consécration d’un arbitrage OHADA
208.
On assiste à une unification de l’arbitrage dans l’espace OHADA (A) et à la mise en place
d’un arbitrage institutionnel sous l’égide de la CCJA (B).
A. L’unification de l’arbitrage dans l’espace OHADA
209.
De nature mixte (1), l’arbitrage OHADA a une force certaine (2).
1. La nature mixte de l’arbitrage consacré par l’Acte uniforme
210.
La consécration par l’Acte uniforme d’un arbitrage appliquant les règles de
l’arbitrage ad hoc et de l’arbitrage institutionnel. L’arbitrage a été consacré dès la création
de l’OHADA comme mode de règlement par excellence des litiges. La création de
l’organisation répond à un besoin, celui d’assurer une sécurité juridique dans le monde des
115
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
affaires mais pas uniquement. Il est tout à fait justifié que dans un domaine au sein duquel
d’énormes intérêts sont en jeu, un mode amiable ou pacifique de règlement des litiges soit
privilégié. Cette préférence a été affirmée à travers le préambule316 et les articles 1 et 2 du
Traité de Port-Louis. Pendant que l’un précise que l’encouragement de l’arbitrage est un
moyen de mener à bien l’harmonisation, l’autre inclut le droit de l’arbitrage dans le champ
d’application matériel de l’OHADA. En effet, toutes les matières énumérées à l’article 2 font
l’objet d’un Acte uniforme qui aura vocation à s’appliquer dans les dix-sept États membres.
La volonté des États signataires du Traité transparaît également dans le fait que tout un titre
soit consacré à l’arbitrage.
211.
La volonté des États signataires, essuie les critiques qui consistent à n’y voir « qu’une
forme de privatisation de la justice, une volonté d’externalisation de la fonction
juridictionnelle à des fins d’économies budgétaires » 317. Nonobstant cette assertion, l’espoir
que représente l’arbitrage OHADA en qualité d’effet levier positif sur les investissements
dans l’espace OHADA, est bien réel et fondé. Dans le cadre international, le rapport au temps
est essentiel à l’instar de la confiance. Les procédures judiciaires des États membres ont cela
en commun qu’elles sont jugées lentes et peinent à convaincre, tant les ressortissants que les
investisseurs nationaux et internationaux. L’arbitrage avec son fondement principal, « la
volonté » des parties, la célérité qu’il imprime dans la procédure et dans un climat peu ou
rarement conflictuel, mérite amplement la place de choix qui lui est accordée par le législateur
de l’OHADA. Il constitue surtout « L’ARBITRAGE » conçu par et pour les États africains
qui ne percevaient pas d’un très bon œil l’importation de règles arbitrales qui s’imposaient à
eux par le jeu des conventions internationales. Le Docteur Kenfack DOUAJNI affirme que
« l’instauration d’un arbitrage OHADA, tient en une volonté de délocaliser les
arbitrages car, bien que l’ayant toléré en matière internationale, les États membres de
l’OHADA comme beaucoup d’autres pays d’Afrique, continuaient de percevoir l’arbitrage
316
Selon l’un des paragraphes de l’exposé des motifs du préambule, et en référence aux États, parties
contractantes au traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, ceux-ci sont « désireux de
promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels ». La volonté des États est
clairement et très tôt affirmée.
317
O. CUPERLIER, « Arbitrage et personnes publiques », [www.ohada.com]., Doctrine, OHADATA D-13-65,
n°3, p.2.
116
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
comme une institution étrangère qui leur est imposée, d’autant que cette justice est rendue à
l’étranger c’est-à-dire hors d’Afrique et par des étrangers »318.
212.
Les avancées notables. À travers l’adoption le 11 mars 1999 de l’Acte uniforme relatif au
droit de l’arbitrage révisé le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée319, des avancées non
négligeables sont réalisées. Il consacre un arbitrage mixte parce que, mêlant des règles
relatives à l’arbitrage ad hoc et à l’arbitrage institutionnel. L’arbitrage ad hoc est celui qui ne
requiert pas l’intervention d’une organisation permanente d’arbitrage. La volonté des parties
est au cœur du dispositif conformément au caractère amiable de l’arbitrage. L’article 5320 de
l’Acte uniforme en accordant la prééminence à la volonté des parties dans la constitution du
tribunal arbitral, illustre bien l’arbitrage ad hoc. Quant à l’arbitrage institutionnel définit par
une analyse a contrario de l’arbitrage ad hoc, il « suppose l’intervention d’un organisme
permanent d’arbitrage réglemente la procédure. C’est en se reportant à l’article 10321 que l’on
trouve un exemple de référence à l’arbitrage institutionnel. Les parties sont tenues de se
conformer au règlement d’arbitrage de l’organisme choisi. L’Acte uniforme consacre bien un
arbitrage particulier, hybride.
213.
L’absence de distinction entre arbitrage interne et arbitrage international. L’arbitrage
OHADA est d’autant plus mixte qu’aucune distinction n’est faite entre l’arbitrage interne et
l’arbitrage international322. Le texte uniforme énonce en son article 1er que, « le présent Acte
uniforme a vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se
trouve dans l’un des États-parties ». La formulation de ce texte laisserait entrevoir une nature
exclusivement optionnelle à l’Acte uniforme. Mais comme nous l’expliquerons, la réalité est
toute autre. Le terme qui retient l’attention est le « siège » en ce qu’il définit le champ
318
K. DOUAJNI, « L’arbitrage OHADA », Revue Camerounaise d’Arbitrage, 2010, n° spécial, p. 212.
319
Le nouvel Acte uniforme est entré en vigueur le 23 février 2018.
320
L’article 5 alinéa 1 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage devenu article 6 alinéa 1 du nouvel Acte
uniforme dispose que « les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la convention des
parties ». A défaut d’une telle convention d’arbitrage ou si la convention est insuffisante la volonté des parties est
requise. Mais la liberté des parties n’est pas absolue ; elle est limitée par les dispositions de l’article qui fixent le
nombre maximal d’arbitres et consacrent l’égalité entre les parties.
321
Selon l’alinéa 1 de l’article 10 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage « le fait pour les parties
de s’en remettre à un organisme d’arbitrage les engage à appliquer le Règlement d’arbitrage de cet organisme,
sauf pour les parties à en écarter expressément certaines dispositions ».
322
En droit français, est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international.
117
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’application spatial de l’Acte uniforme. La notion de siège est très importante en termes de
rattachement à un territoire donné et de détermination de la compétence juridictionnelle.
214.
Plusieurs conceptions du « siège » coexistent et rendent compte des réalités qu’il recèle. Le
siège est perçu soit d’un point de vue « volontariste » soit d’un point de vue « territorialiste ».
Le siège est apprécié par rapport au droit auquel les parties ont souhaité soumettre l’arbitrage.
Le lieu n’a aucune incidence sur la détermination du siège et c’est ce qui distingue cette
conception de la conception territorialiste qui est celle retenue323 par le droit de l’OHADA. Le
groupe de mots, « où se trouve le siège du tribunal arbitral », même s’il ne donne pas de
précisions quant à la définition du mot siège, permet de retenir qu’il s’agit bien d’une
localisation géographique. Peu importe que le lieu soit « spatialement situé dans un État partie
pour que l’Acte uniforme ait vocation à s’appliquer ; le lieu d’accomplissement d’une étape
de la procédure peut constituer le siège et en justifier l’application »324. Les juridictions
étatiques abondent dans le sens de la conception territorialiste. La Cour d’appel d’Abidjan
écarte l’application des dispositions de l’Acte uniforme, en matière de reconnaissance de la
sentence au motif que « le siège du tribunal arbitral se trouvait en Suisse »325.
215.
Les caractères extensif et hybride de l’arbitrage tels que prévus par l’Acte uniforme,
résident également, dans le critère d’arbitrabilité du litige. L’arbitrage est ouvert à toute
personne sur les droits dont elle a la libre disposition326. Aux personnes morales ou personnes
physiques, qu’elles soient commerçantes ou non, le droit de recourir à l’arbitrage est accordé.
Dans la mesure où les droits objets de l’arbitrage sont disponibles327. La Cour d’appel
d’Abidjan a, sur ce point, décidé que « la clause compromissoire insérée dans un contrat
conclu entre deux non-commerçants est valable » 328. À la clause compromissoire, il est fait
323
Les Actes uniformes s’appliquent dès lors que les parties ou les biens concernés sont localisés sur le territoire
d’un État partie au Traité de l’OHADA.
324
P. MEYER, Commentaire de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, in OHADA, Traité et Actes
uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 147.
325
C.A d’Abidjan, n° 1157, 19 novembre 2002.
326
Article 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, publié au J.O OHADA, n°8, du 15 mai 1999, p. 2
et s. Entré en vigueur le 11 juin 1999.
327
La disponibilité du droit consiste en la possibilité de son détenteur de l’aliéner ou d’y renoncer de manière
absolue même s’il est recommandé de relativiser le caractère absolu des prérogatives du détenteur dans la
qualification du droit qu’il détient. V. pour la définition, P. LEVEL « L’arbitrabilité », Rev. Arb., 1992, p. 219.
328
C.A d’Abidjan, Arrêt n° 1032, 30 juillet 2002, [www.ohada.com]., OHADATA J-03-28.
118
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
référence de manière équivalente avec le compromis dans l’Acte uniforme. La « convention
d’arbitrage » étant le terme générique retenu pour évoquer aussi bien la clause
compromissoire que le compromis soumis au même régime juridique en droit de l’OHADA.
216.
Le droit français opère une nette distinction entre clause compromissoire et compromis. De
plus, il consacre l’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat. L’originalité
de l’Acte uniforme a de quoi séduire a priori. Le tableau tel que dépeint, laisserait penser que
les objectifs ont été atteints grâce au texte commun OHADA en matière d’arbitrage. Les
données relatives au nombre d’affaires, aux sentences, aux arbitrages, montrent un nombre
« très limité en raison des espoirs placés dans cet arbitrage qui doit permettre d’éviter le
recours à la justice étatique tant décriée dans l’espace OHADA. Le constat que l’on peut faire
est que la simple adoption de textes dans l’ensemble adéquats, est insuffisante à entraîner le
développement de la pratique de l’arbitrage dans l’espace juridique OHADA » 329. Encore
faut-il s’assurer de la force juridique de la législation adoptée.
2. La force juridique de l’Acte uniforme
217.
L’importance de la volonté des parties. L’arbitrage est une matière qui est gouvernée par
la volonté et l’accord des parties. Le fondement de la mise en œuvre d’une procédure
d’arbitrage est la convention des parties. Celles-ci, par une clause compromissoire,
témoignent de leur souhait de résoudre les éventuels litiges par le recours à un tiers neutre,
indépendant et impartial, afin d’arbitrer tous les litiges pouvant naître dans le cadre du contrat.
Il paraît donc inimaginable qu’en matière d’arbitrage la volonté des parties soit méconnue. Le
principe est pourtant simple : les parties sont liées par leur volonté. Dès lors que l’option pour
l’arbitrage a été faite, les règles y afférentes, s’imposent aux parties. L’Acte uniforme relatif
au droit de l’arbitrage ne déroge pas à la règle qui institue en faveur des actes de nature
identique, une force obligatoire et un effet abrogatoire qui déploient leurs effets quand les
conditions d’application de l’Acte uniforme sont réunies. L’article 1er de l’Acte uniforme
s’intéresse au lieu du siège330 du tribunal comme seul critère de rattachement pour son
application. Le siège doit être localisé dans l’un des États parties.
329
L’état du système juridique de l’OHADA, les 20 ans de l’OHADA, Bilan et perspectives, Colloque
international OHADA - IRJS / AEDJ, p. 67.
330
V. supra, n°212, p. 117.
119
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
218.
Il ne faut nullement se méprendre sur la force obligatoire de l’Acte uniforme en se limitant
aux dispositions de l’article 1er qui précisent qu’il « a vocation à s’appliquer ». La vocation ici
rappelle simplement qu’une place de choix est accordée à l’option des parties. Celles-ci,
quand elles optent pour la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage, choisissent également
la loi applicable à ladite procédure. Pour les parties, l’Acte uniforme serait facultatif et
supplétif, indépendamment de la prise en compte du champ d’application spatial. C’est ce qui
a fait dire au Professeur Joseph ISSA-SAYEGH qu’« une autre loi que l’Acte uniforme peut
être choisie expressément par les parties même si le siège du tribunal arbitral se situe dans
l’espace OHADA »331 ; toujours selon lui, « l’Acte uniforme peut être choisi par les parties
même si le tribunal arbitral siège en dehors de l’espace OHADA et que le litige n’a aucun lien
avec l’espace OHADA »332. Ces assertions, bien que logiques, inspirent la formulation de
réserves. Les parties ne peuvent choisir qu’une loi nationale non contraire à l’Acte uniforme.
Dans un contexte où les lois en la matière recèlent des dispositions entrant en contradiction
avec l’Acte uniforme, les lois nationales ne s’appliqueront que de manière partielle. L’autre
réserve réside dans l’option claire faite en faveur d’une conception territorialiste du siège du
tribunal arbitral. Dès lors que les parties ont entendu régler leur litige sur le fondement de
l’Acte uniforme, elles sont tenues de s’y conformer.
219.
Le caractère obligatoire de l’Acte uniforme. En sa qualité d’Acte uniforme, le texte
bénéficie de la règle de supranationalité consacrée par l’article 10 du Traité instituant
l’OHADA. Il est d’application directe et immédiate vis-à-vis des États membres. Aucun État
n’est fondé à invoquer son propre dispositif juridique en la matière pour écarter son
application. Concernant les États qui possédaient déjà une législation sur l’arbitrage, l’Acte
uniforme s’y substitue. La question ne se pose pas pour ceux qui n’en avaient pas. L’alinéa
1er de l’article 35 de l’Acte uniforme dispose que « le présent Acte uniforme tient lieu de loi
relative à l’arbitrage dans les États parties »333. Sa force obligatoire est affirmée et de manière
assez surprenante. L’Acte est le seul acte qui soit assimilé à une loi. La preuve que l’arbitrage
est perçu comme le moyen par excellence de règlement des litiges dans l’espace OHADA et
que le souhait du législateur de l’OHADA est de singulariser cet Acte par rapport aux autres
331
J. ISSA-SAYEGH, « Réflexions dubitatives sur le droit de l’arbitrage de l’OHADA », Rev. Camerounaise de
l’arbitrage, n° spécial, octobre 2001, p.25.
332
J. ISSA-SAYEGH, ibid.
333
Cf. Article 35 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
120
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Actes. Une forme de hiérarchisation est opérée entre les Actes uniformes. Le texte relatif à
l’arbitrage, fort de ce plébiscite, est présenté dans des termes généraux quand les autres actes
régissent des situations plus ou moins particulières. Cet acte est la loi générale sur l’arbitrage
dans les États parties. Il aurait donc fallu que chaque État membre adopte une loi
d’application de l’Acte uniforme, au risque de rendre son application inefficace. L’Acte
uniforme tenant lieu de loi, les Centres d’arbitrage nationaux, doivent mettre leurs règlements
en conformité avec lui et adapter leurs dispositions aux principes qu’il consacre.
220.
La portée abrogatoire de l’Acte uniforme. Aussi, l’Acte uniforme est-il doté d’une
portée abrogatoire qui concerne les textes qui ont l’objet en commun avec lui ou qui lui sont
contraires. Toute loi interne qui évoque en des termes identiques des questions abordées par
l’Acte uniforme, est abrogée. De même, les lois contraires sont abrogées. Le célèbre avis du
30 avril 2001 de la CCJA confirme la portée abrogatoire de l’Acte. Selon la Cour, « ce texte
doit être interprété comme se substituant aux lois nationales existant en la matière sous
réserve des dispositions non contraires susceptibles d’exister en la matière »334. L’avis de la
Cour intervient dans un climat de divergences très affirmées entre les défenseurs d’une
abrogation totale du droit interne sans distinction du caractère contraire ou non et ceux qui
circonscrivaient l’abrogation aux dispositions contraires335. Conformément à l’avis de la Cour
commune, les dispositions non contraires pourront coexister avec l’Acte uniforme et le
compléter336. Seraient contraires toutes les dispositions qui contredisent, consacrent des
solutions aux antipodes de celles de l’Acte et qui s’en éloignent dans la forme, le fond,
l’esprit. Dans une logique de confirmation de sa solution, la CCJA a rendu un arrêt le 19 juin
334
Il s’agit de l’avis n°001/2001 du 30 avril 2001 rendu par la CCJA qui faisait suite aux questions formulées par
la Côte d’Ivoire.
335
V. pour les auteurs en faveur d’une abrogation totale donc une substitution de l’Acte uniforme à l’ensemble
du droit interne des États membres en la matière N. AKA, Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage OHADA,
annotations sous l’article 35 ; pour les défenseurs de la survie des lois non contraires v., J. ISSA-SAYEGH,
Réflexions dubitatives sur le droit de l’arbitrage, p. 23/ P.-G. POUGOUE, Droit de l’arbitrage dans l’espace
OHADA, p. 29.30.
336
Certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Togo, le Tchad, la Guinée, le Congo Brazzaville, le
Sénégal disposaient d’une législation sur l’arbitrage. Selon Gaston KENFACK-DOUAJNI, « l’Acte uniforme
emporte pour la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo l’abrogation des dispositions qui opèrent une distinction
entre arbitrage interne et arbitrage international. Aussi réglemente t’il la convention d’arbitrage, la composition
du tribunal arbitral, l’instance arbitrale, la sentence arbitrale, les recours contre la sentence arbitrale, puis la
reconnaissance et l’exécution de la sentence. L’Acte uniforme se substitue aux dispositions des législations
nationales sur les points mentionnés. G. KENFACK-DOUAJNI, « La portée abrogatoire de l’Acte uniforme
relatif au droit de l’arbitrage », Rev. camerounaise de l’arbitrage, n°14, juillet-Août- septembre 2001, p. 5.
121
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2003337. La question de contrariété est au cœur de l’action de la CCJA qui doit y faire face
pour chaque Acte uniforme. En clair, les dispositions contraires antérieures ou à venir, sont
interdites pour assurer aux Actes uniformes leur force obligatoire et leur suprématie. Et en
matière d’arbitrage, la notion de « dispositions contraires » prend un sens particulier. Il est
généralement considéré comme étant contraire à l’Acte uniforme, qui garantit la liberté des
parties, toute disposition qui viendrait remettre en question cette liberté ou restreindre de
quelque manière que ce soit les droits qu’il consacre338.
221.
L’application dans le temps. L’un des aspects de la force juridique de l’Acte uniforme
relatif au droit de l’arbitrage339, est son application dans le temps au regard de l’alinéa 2 de
l’article 35 qui précise qu’« il n’est applicable qu’aux instances arbitrales nées après son
entrée en vigueur ». Nous sommes dans le cadre du droit transitoire qui permet l’application,
la survie du droit national des États membres. La protection des droits acquis est essentielle au
maintien de la sécurité juridique. La date qui est prise en compte pour retenir qu’une instance
arbitrale se tiendra sous l’empire de l’Acte uniforme est celle non pas de la date de signature
de la convention d’arbitrage, mais celle du commencement de l’instance arbitrale. La Cour
commune confirme bien le caractère transitoire de l’alinéa 2 de l’article 35 en se déclarant
incompétente pour connaître de certaines affaires. L’incompétence trouvait justification dans
l’inapplicabilité de l’Acte uniforme340. Une telle situation pourrait avoir, en contradiction avec
la volonté de protéger les droits des justiciables, un effet négatif. Pour des instances arbitrales
entamées avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, s’appliqueront des lois nationales qui
lui sont parfois contraires car limitant les droits des parties. Seront-elles fondées à revendiquer
337
CCJA, Arrêt n°010/2003 du 19 juin 2003, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-108. La Cour a retenu que «
la loi ivoirienne du 9 août 1993 sur l’arbitrage en son article 44, qui précise la juridiction compétente pour
connaître des recours en annulation contre les sentences arbitrales, n’a pas été abrogé par l’Acte uniforme sur
l’arbitrage». Cela est compréhensible puisque l’article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme dispose parlant de la
sentence arbitrale qu’« elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge
compétent dans l’État partie ». Il revient donc à chaque État de désigner le juge compétent pour connaître des
recours en annulation.
338
C.A d’Abidjan, Arrêt n° 1032, du 30 juillet 2002. La Cour d’Appel a relevé que l’article 1er alinéa 2 de la loi
sur l’arbitrage a été abrogé par l’Acte uniforme en ce que les seules clauses compromissoires qu’il validait
étaient celles stipulées entre commerçants ». Selon cette disposition, les clauses stipulées par exemple entre
particuliers, ne sont pas valables quand bien même l’Acte uniforme leur donne le droit de compromettre.
339
Acte uniforme révisé le 23 novembre 2017.
340
CCJA, arrêt n°023/2004, 17 juin 2004, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-384 ; CCJA, arrêt n° 010/2003,
10 juin 2003, [www.ohada.com]., OHADATA J-04-108.
122
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’application des dispositions plus favorables du droit uniforme ? La réponse est assurément
affirmative.
B. L’arbitrage institutionnel sous l’égide de l’OHADA
222.
Les règles qui gouvernent l’arbitrage institutionnel doivent être précisées (1) à l’instar des
fonctions d’encadrement de la CCJA (2).
1. La présentation de l’arbitrage mis en place
223.
Le règlement d’arbitrage. Un règlement d’arbitrage a été adopté le 11 mars 1999. Selon
ce règlement, « la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, ci-après dénommée la Cour,
exerce les attributions d’administration des arbitrages dans le domaine qui lui est dévolu par
l’article 21 du Traité dans les conditions ci-après définies »341. Cette disposition institue un
arbitrage institutionnel qui voit en premier l’intervention de la CCJA en qualité de centre
international d’arbitrage institutionnel. La CCJA exerce également des fonctions
juridictionnelles en matière d’arbitrage. Le règlement délimite la compétence de la CCJA en
tant que centre d’arbitrage. Comparativement à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage,
le règlement d’arbitrage a un caractère spécifique ou dérogatoire342. L’Acte uniforme est le
droit commun de l’arbitrage OHADA. Tout d’abord, l’origine du différend doit être
contractuelle par application d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Pour que le
différend soit arbitrable au sens du règlement d’arbitrage, il faut qu’il soit nécessairement
relatif à un contrat. Il peut porter sur la validité, l’exécution ou encore l’interprétation du
contrat. Étant entendu que le contrat est soumis aux conditions de validité de l’article 1108 du
Code civil. Sont alors exclus, les litiges de nature non contractuelle, sûrement dans le but de
conserver une certaine cohérence entre les textes. L’on a affaire à une restriction qui
différencie le règlement d’arbitrage de la Convention de New York dont l’article 2-1 vise non
pas uniquement les rapports contractuels, mais les différends résultant d’un rapport de droit.
Cet aspect restrictif est fondé car le recours au règlement d’arbitrage de la CCJA est tributaire
341
Article 1er alinéa 1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
342
L’arbitrage CCJA n’est donc pas soumis à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage sauf pour les points
non traités par le règlement. La CCJA a dans un arrêt n°45 du 17 juillet 2008, affirmé le caractère spécifique ou
dérogatoire du règlement. Elle a affirmé que « l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne figure pas au
nombre des actes juridiques qui sont applicables en l’espèce à l’arbitrage institutionnel spécifique de la CCJA.
123
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
de la volonté des parties. Le recours à des centres d’arbitrage retenant des conditions
extensives leur est ouvert.
224.
Ensuite, le règlement a vocation à s’appliquer, qu’il s’agisse d’un contrat civil ou
commercial. Ce critère rejoint celui établi par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage
qui s’applique aux arbitrages commerciaux et civils. En matière civile, il convient cependant
de préciser que tous les litiges ne peuvent faire l’objet d’arbitrage. C’est notamment le cas de
« la recherche en paternité ou de la validité du mariage ou du divorce » 343. Le contrat peut
être interne ou international cela s’entend. Les parties bénéficient d’un champ assez large
d’application du règlement. Cette application leur bénéficie également dès lors que le lien
spatial est établi entre le contrat et un État partie. « Le différend contractuel peut être soumis à
la CCJA si l’une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un des États
parties, ou si le contrat est exécuté ou à exécuter, en tout ou partie sur le territoire d’un ou
plusieurs États parties »344.
225.
L’on perçoit à nouveau le critère de rattachement territorial consacré par le droit de
l’OHADA. L’organisation regroupant dix-sept États membres, il est normal que l’application
des différents Actes uniformes, règlements et décisions en tienne compte. Ces conditions
relevant du champ d’application spatial du règlement sont alternatives et également
exhaustives. Soit, le critère du domicile s’applique soit, c’est celui lié au contrat à l’origine du
litige qui s’applique de manière stricte. Les affirmations et commentaires d’auteurs consistant
à reconnaître la possibilité d’une extension de la compétence de la CCJA laissent perplexe.
Les fonctions exercées par la Cour commune en qualité de centre d’arbitrage le sont en
relation et en lien avec les juridictions étatiques nationales. « L’arbitrage institutionnel de la
CCJA n’est pas intégralement détaché de la justice étatique » 345. Les juridictions étatiques
appartiennent à l’espace OHADA et participent au renforcement de la légitimité des actions
de la CCJA. Les décisions des juges étatiques relativement à la contestation en validité de la
sentence arbitrale ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi devant la CCJA.
226.
Enfin, la CCJA doit être saisie en application soit d’une clause compromissoire soit d’un
compromis d’arbitrage. La volonté des parties est primordiale dans la mise en œuvre d’une
343
P. LEVEL, « L’arbitrabilité », in Revue de l’arbitrage, 1999, p. 219.
344
Alinéa 2.1 de l’article 2 du règlement d’arbitrage de la CCJA du 23 novembre 2017.
345
J.-M. TCHAKOUA, A. FENEON, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, Yaoundé, P.U.A, 2000, p.
249.
124
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
procédure arbitrale et comme déjà rappelée, l’absence d’une telle volonté est exclusive du
déclenchement de l’ouverture de la procédure. Le règlement vise en employant les notions de
compromis et de clause compromissoire, la convention d’arbitrage que l’Acte uniforme relatif
au droit de l’arbitrage utilise de manière invariable pour les évoquer. La volonté des parties
est omniprésente dans la procédure et la détermination de la loi applicable au fond du litige.
En cas de silence du règlement concernant les règles de procédures applicables, les parties
peuvent les déterminer. Elles sont tout aussi libres de déterminer la loi qui sera appliquée pour
résoudre le litige346. La confidentialité de la procédure prévue par l’article 14 du règlement
d’arbitrage est de nature à renforcer la confiance des parties en l’arbitrage en général et en
celui de la CCJA en particulier347. Au bénéfice des parties, et en référence à l’article 21 du
Traité fondateur de l’OHADA, la qualité de celle-ci est indifférente ; personne morale ou
physique, il suffit d’être partie à un contrat.
2. Les fonctions d’encadrement de la CCJA
227.
L’exercice de fonctions administratives. Le rôle de la CCJA en tant que centre
d’arbitrage est spécifique et identique à celui des autres centres d’arbitrage. Les fonctions
exercées sont purement administratives et concernent l’encadrement de la procédure
d’arbitrage. En effet, l’article 21 alinéa 2 du Traité fondateur de l’OHADA précise que « la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne tranche pas elle-même les différends. Elle
nomme ou confirme les arbitres, est informée du déroulement de l’instance, et examine les
projets de sentences, conformément à l’article 24 ci-après »348. Il revient à la Cour
d’administrer les procédures, conformément à l’article 1er de son règlement d’arbitrage. La
CCJA a pour mission de procurer une solution arbitrale par le biais de ses activités.
L’obligation à sa charge est une obligation de moyens en ce que la Cour commune doit mettre
en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif, « procurer une solution arbitrale ».
Et les décisions prises dans le cadre de sa mission sont de nature administrative. Les décisions
et actions menées sont diverses et relèvent de la compétence des organes du centre à des
échelles variées.
346
V. les articles 16 et 17 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
347
La CCJA, à travers certaines de ses décisions avait sérieusement entamé la confiance des justiciables en
l’arbitrage. V. la jurisprudence liée à l’affaire Époux Karnib.
348
Article 21 alinéa 2 du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires.
125
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
228.
En sa qualité de centre d’arbitrage la CCJA comprend un président, une Assemblée
plénière, une formation restreinte, un secrétariat général et une régie des recettes et des
dépenses. Le Président du centre, en vertu de l’article 2.5 du Règlement d’arbitrage, intervient
dans la procédure d’urgence. Il peut prendre en cas d’urgence toutes les décisions nécessaires
à la mise en place et au bon déroulement de la procédure arbitrale, dès lors que la Cour est
informée à sa prochaine réunion. Néanmoins, il lui est interdit de prendre des décisions qui
requièrent un arrêt de la Cour. Le rôle du président est déterminant dans la bonne conduite des
activités du centre. Il intervient hors situation d’urgence pour notamment présider
l’Assemblée plénière et la formation restreinte sauf en cas d’empêchement. Le contrôle de
l’activité du secrétariat général relève de sa compétence. En clair, le président est un acteur clé
du dispositif mis en place dans le cadre de l’arbitrage CCJA.
229.
L’Assemblée plénière a la charge de prendre les décisions nécessaires à la mise en place et
au bon déroulement des procédures arbitrales. Elle a « une compétence générale en ce qui
concerne l’administration des procédures d’arbitrage » 349. Les interventions de l’Assemblée
permettent le déroulement normal de la procédure parce qu’elles consistent à gérer les
situations inattendues, le désaccord et les contestations des parties. Elle examine les projets de
sentence dans les conditions fixées par les articles 23 et 24 du règlement. Le rôle de
l’Assemblée plénière ne peut être dissocié de celui de la formation restreinte qui, composée de
trois membres dont le président de la Cour, assure le suivi des procédures arbitrales. Un
pouvoir de décision peut lui être délégué par la Cour et il lui est possible de permettre à
l’Assemblée plénière d’exercer ce pouvoir à sa place.
230.
Le secrétariat général et ses fonctions administratives. Le Secrétariat général est le
véritable organe purement administratif du centre d’arbitrage. Les différentes notifications, et
informations à l’intention des parties, proviennent du secrétariat général dont les fonctions
sont assurées par le greffier en chef. Le secrétariat enregistre les demandes d’arbitrage, les
notifie aux défendeurs. Avec l’approbation de la Cour, il établit tous les documents utiles à
l’information des parties et une fois les sentences rendues, les notifie aux parties. De plus, il
lui revient de superviser les opérations d’encaissement ou de paiement exécutées par le
régisseur, le responsable de la régie des dépenses et des recettes. Le succès de la procédure
349
J. MBOSSO, « Le fonctionnement du centre d’arbitrage de la CCJA et le déroulement de la procédure
arbitrale », Revue camerounaise de l’Arbitrage, n°15, oct-nov-déc. 2001, p. 6.
126
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’arbitrage administrée par la CCJA est lié à un exercice optimal des rôles à eux dévolus par
les organes de la Cour.
231.
Les conditions faisant obstacle à l’arbitrage. Les fonctions exercées par les organes de la
Cour n’ont de sens que parce que la procédure a été entamée ou du moins parce que
l’arbitrage a lieu. L’article 9350 du règlement d’arbitrage énonce les trois conditions qui font
obstacle à l’arbitrage : l’absence de convention d’arbitrage, le fait pour la défenderesse de
décliner l’arbitrage, l’absence de réponse à la demande d’arbitrage dans le délai de quarantecinq (45) jours à compter du reçu de la notification de la demande d’arbitrage par le Secrétaire
général de la Cour. Les conditions ne sont pas cumulatives ou le sont de manière particulière.
La condition principale est bien l’absence de convention d’arbitrage, mais elle ne se suffit pas
à elle-même pour empêcher l’entame de la procédure d’arbitrage. Elle doit être cumulée avec
l’une des deux autres conditions. L’absence de réponse ou le refus de l’arbitrage n’aura d’effet
que si l’absence de convention d’arbitrage est caractérisée. La convention est essentielle, car
c’est par son biais que la volonté des parties de recourir à l’arbitrage est exprimée. Il est tout à
fait justifié qu’en l’absence d’une convention d’arbitrage et de la réunion des deux autres
conditions, la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage soit remise en cause. Dans tous les
cas de figure, la Cour statue sur la suite à donner une demande d’arbitrage. La Cour peut
décider de donner une suite favorable à la demande et pourra alors statuer sur sa propre
compétence ou refuser la demande d’arbitrage. Il est évident que le défaut de satisfaction des
conditions relatives à l’application territoriale du règlement prévues à l’article 2.1, peut
empêcher la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage.
232.
L’existence de la convention d’arbitrage mentionnant le centre choisi, combinée à
l’absence des conditions empêchant l’entame de la procédure emporte des exigences pour les
parties.
Lorsqu’il résulte de la convention que le centre d’arbitrage choisi est la Cour
commune, les parties sont tenues de se conformer aux exigences du règlement de procédure
en vertu de l’article 10. Elles doivent également se soumettre au titre IV du Traité fondateur
de l’OHADA, au règlement intérieur de la Cour ainsi que tous les autres textes qui régissent la
procédure d’arbitrage de la CCJA. La convention d’arbitrage a une force obligatoire entre les
350
L’article 9 du règlement dispose que : « lorsque, prima facie, il n’existe pas entre les parties de convention
d’arbitrage visant l’application du présent règlement, si la défenderesse décline l’arbitrage de la Cour, ou ne
répond pas dans le délai de quarante-cinq (45) jours visé ci-dessus à l’article 6, la partie demanderesse est
informée par le Secrétaire Général qu’il se propose de saisir la Cour en vue de la voir décider que l’arbitrage ne
peut avoir lieu. La Cour statue, au vu des observations du demandeur produites dans les trente (30) jours
suivants, si celui-ci estime devoir en présenter ».
127
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
parties. Le refus ou l’abstention de l’une d’entre elles concernant sa participation à l’arbitrage
postérieurement à la conclusion de la convention, est sans effet.
§2. La domination exercée par la CCJA dans la procédure arbitrale
233.
La domination exercée par la CCJA dans le cadre de la procédure arbitrale est illustrée par,
d’une part, le rôle limité du juge étatique (A) et la suprématie de la CCJA dans l’exécution de
ses compétences juridictionnelles, d’autre part (B).
A. Le rôle limité du juge étatique
234.
En principe, le juge étatique est incompétent (1) et dans l’hypothèse d’une compétence à
lui attribuée, ses interventions sont réglementées (2).
1. L’incompétence de principe du juge étatique
235.
Une consécration textuelle de l’incompétence. L’article 13 de l’Acte uniforme relatif au
droit de l’arbitrage consacre le principe de l’incompétence des juridictions étatiques pour
connaître des litiges faisant l’objet d’une procédure arbitrale. « Lorsqu’un litige, dont un
Tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction
étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente »351.
L’existence d’une convention d’arbitrage est la cause de l’incompétence des juridictions
étatiques. La déclaration d’incompétence n’intervient pas ex-nihilo. Le juge étatique ne peut
pas soulever d’office son incompétence. Seule la demande d’une partie à l’arbitrage peut y
donner lieu. Plusieurs décisions de justice des juridictions étatiques ont été rendues
conformément au principe posé par le texte susvisé. À titre illustratif, peut être évoquée, la
décision de la Cour d’appel de Ouagadougou, qui confirme le jugement rendu par le Tribunal
de Grande Instance de Ouagadougou et affirme que dès lors que « les parties ont prévu la voie
de l’arbitrage pour le règlement de leurs litiges, les juridictions étatiques doivent se déclarer
incompétentes en application de l’article 13 de l’Acte uniforme relatif au droit de
l’arbitrage » 352. L’incompétence des juges étatiques est absolue lorsque sa saisine intervient
après celle du tribunal arbitral.
351
352
Alinéa 1 de l’article 13 de l’AUA du 23 novembre 2017.
C.A de Ouagadougou (Burkina Faso), Arrêt n° 116, 19 mai 2006, non publié ; V. également Trib. Com. De
Kayes (Mali), 5 juillet 2007. Certaines juridictions se déclarent cependant compétentes en réduisant la portée des
conventions d’arbitrage. La Cour d’Appel d’Abidjan, confirmant le Jugement du tribunal de Première Instance, a
128
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
236.
L’antériorité de la saisine du juge étatique. Il en va différemment lorsque la saisine du
juge étatique est antérieure à la saisine du tribunal arbitral mais uniquement à une seule
condition : « la convention d’arbitrage doit être manifestement nulle ». À défaut, le juge
étatique doit comme dans l’hypothèse précédente, se déclarer incompétent. Une procédure
d’arbitrage engagée sur le fondement d’une convention d’arbitrage frappée de nullité n’a
aucune chance d’aboutir. Il revient au juge étatique de vérifier la nullité de la convention. Le
terme « manifeste » qui désigne un élément évident, très apparent, patent, qui se révèle de luimême de manière visible et flagrante, établit clairement que la vérification du juge est
cantonnée à une vérification d’un point de vue formel, c’est-à-dire au regard non pas
d’éléments intrinsèques mais extrinsèques de la convention. Les éléments apparents de la
convention doivent être si évidents, qu’ils ne doivent laisser subsister aucun doute. La
décision du juge qui après avoir constaté la nullité manifeste d’une convention, doit être
motivée afin de ne laisser place à aucune décision erronée.
237.
L’exception. La réelle exception au principe d’incompétence du juge étatique est énoncée
par l’alinéa 4 de l’article 13. La compétence du juge étatique peut être reconnue à la demande
d’une partie, pour les mesures provisoires ou conservatoires. Ce, en dépit de la présence d’une
convention d’arbitrage. Il convient avant tout de préciser les notions de « mesures
provisoires » et de « mesures conservatoires ». Les mesures provisoires sont « des décisions
prises par le juge de l’urgence appelé juge des référés, pour la durée d’un procès ; les mesures
conservatoires sont considérées comme des mesures ayant pour vocation de conserver un droit
ou un bien. Le point de jonction entre les deux décisions est certainement le fait qu’une
mesure conservatoire a généralement un caractère provisoire ; mais une décision provisoire
n’est pas forcément conservatoire » 353. Les procédures provisoires ont tendance à se
pérenniser. Ainsi, une partie peut demander au juge étatique d’ordonner des mesures
provisoires ou conservatoires. La compétence de celui-ci ne peut être soulevée d’office et la
réunion de deux conditions alternatives est nécessaire.
estimé qu’un « litige portant sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application,
ne rentrait pas dans le champ d’application de la convention d’arbitrage et par conséquent la clause
compromissoire qui ne joue que dans l’exécution de la convention ne peut trouver application en l’espèce » (C.A
d’Abidjan, Arrêt n°552, 12 mai 2006).
353
N. AKA, « Les mesures provisoires et conservatoires en matière d’arbitrage », rev. Cam. Arb., n° spécial,
février 2010, p. 93. L’auteur rappelle que les mesures provisoires concernent la nature de la décision qui est ainsi
considérée comme ayant un caractère provisoire et non définitif ; les mesures conservatoires concernent l’objet
de la décision d’autant que celle-ci tend à préserver une situation, des droits ou des preuves.
129
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
238.
L’urgence, condition nécessaire. En premier lieu, une « une urgence motivée et
reconnue »354 est requise. Les faits doivent être de nature à justifier la prise des mesures
provisoires et conservatoires. Seule une situation d’urgence est légitime à permettre la
compétence du juge étatique ; encore que l’urgence devrait être admise, et ce sans équivoque.
En présence d’un tribunal arbitral habilité à prendre les mesures, l’urgence ne serait pas
valablement constituée. La caractérisation d’une situation d’urgence n’est pas nécessaire
« lorsque la mesure sollicitée devra s’exécuter dans un État non-partie à l’OHADA ».
L’exécution hors de l’espace territorial de l’OHADA doit être ordonnée par un organisme
dont la légitimité est établie. Comme c’est le cas du juge étatique qui ne relève pas
contrairement à l’arbitre de la justice privée. En second lieu, « les mesures à ordonner ne
doivent pas impliquer un examen au fond du litige »355 par les juges étatiques. Les mesures ne
doivent pas impliquer un renvoi aux dispositions légales réglementaires ou contractuelles par
référence auxquelles, le juge détermine les droits de l’une ou l’autre des parties. Elles doivent
uniquement renvoyer à des questions de forme, compétence, de recevabilité. Les décisions
rendues sont immédiatement exécutoires mais ne lient pas la juridiction arbitrale. Le juge
étatique vient apporter son appui aux parties pour le déroulement de la procédure surtout
lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore constitué.
239.
Cette possibilité offerte par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est exclue en ce
qui concerne l’arbitrage du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux
Investissements (CIRDI). « Depuis la modification du règlement intervenue en 1984, il n’est
plus possible de solliciter des mesures provisoires et conservatoires devant les juridictions
étatiques, sauf convention contraire des parties » 356. Une telle restriction se justifierait par la
volonté d’éviter qu’une des parties, notamment l’État puisse bénéficier de l’apport de ses
propres juridictions357 et avoir ainsi un réel avantage sur l’investisseur étranger. Avant
l’adoption de l’Acte uniforme, les juridictions des États membres se sont illustrées par les
contradictions qui existaient dans les décisions qu’elles ont prises. Pendant que certaines
354
Article 13 in fine de l’AUA.
355
Article 13, ibid.
356
[www.icsid.world.bank.org].
357
N. AKA, op.cit., p. 96.
130
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
rejetaient leur compétence, d’autres la retenaient358. Après l’adoption de l’Acte uniforme, les
décisions prises allaient dans le sens de l’article 13 alinéa 4. La présence d’une convention
d’arbitrage ne s’oppose pas à la compétence du juge étatique en matière de prononcé de
mesures provisoires ou conservatoires si les conditions requises sont réunies. En dépit de
l’absence de précision de l’Acte uniforme, il est évident que la convention doit être valable
pour que l’on vérifie la réunion des conditions. Une convention d’arbitrage frappée d’une
nullité manifeste, le juge étatique est de toute façon compétent pour connaître de la question
qui requiert son intervention. Il en va différemment lorsque le tribunal arbitral est constitué,
car celui-ci a une compétence générale en vertu de la force obligatoire de la convention
d’arbitrage. Mais la volonté des parties prime en la matière et peut aboutir à la reconnaissance
exclusive de l’une ou l’autre compétence.
2. La réglementation des interventions subsidiaires du juge étatique
240.
Le silence des parties. L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et le Traité fondateur
de l’OHADA réglementent les interventions du juge étatique en autorisant sa participation à la
procédure arbitrale dans des hypothèses limitées et précises. Les précisions des textes citées
portent sur la constitution du tribunal arbitral, l’instance arbitrale et la phase post-arbitrale. La
participation du juge étatique dans la phase de constitution du tribunal arbitral est prévue par
les dispositions de l’article 6 de l’Acte uniforme. Cet article énonce que « la nomination, la
révocation, le remplacement des arbitres interviennent conformément à la convention des
parties »359. La prééminence de la volonté des parties est affirmée et seule l’absence ou
l’insuffisance de la convention des parties autorisent l’action du juge étatique. La participation
du juge étatique intervient uniquement pour suppléer l’absence de manifestation de volonté
des parties. Le juge ne peut s’autosaisir et il ne peut nommer le ou les arbitres que dans la
mesure où une des parties en formule la demande. Le nombre d’arbitres ne peut cependant pas
excéder un ou trois360 et surtout l’égalité des parties doit être respectée. L’absence de
358
T.P.I Douala, 14 octobre 1998, Rev. Camerounaise de l’arbitrage 1999, n°4, p. 13, note SOKENG
(incompétence du juge étatique) ; C. suprême de Côte d’Ivoire, 5 décembre 1997, Rev. Camerounaise de
l’arbitrage 1999, n°5, p. 16 (compétence du juge étatique).
359
Article 6 alinéa 1er de l’AUA révisé.
360
L’Acte uniforme opte pour une imparité du nombre de juges. Or cette imparité est imposée expressément en
Droit français pour l’arbitrage interne article 1451 alinéa du Code de Procédure Civile. Et la possibilité de
composer un tribunal arbitral avec des arbitres en nombre pair est autorisée en matière internationale. Est-ce à
dire que l’arbitrage OHADA est interne ?
131
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
convention ne doit pas être retenue au sens propre, car sans convention d’arbitrage, il est
impossible d’affirmer que les parties souhaitaient recourir à l’arbitrage. L’absence doit en
l’espèce, être perçue comme désignant une convention existante, mais présentant des lacunes
telles que l’absence de désignation des parties. Le juge étatique joue un rôle d’appui à la
constitution du tribunal arbitral même s’il convient de le préciser, ce rôle est très limité, car
strictement prévu et mis en œuvre sous les auspices de l’article 6 du nouvel Acte uniforme.
241.
Malgré tout, le texte affirme que le juge dont il est question est le « juge compétent dans
l’État partie » sans apporter plus de précision. Il revient donc à chaque État membre au sein
duquel le siège du tribunal arbitral est localisé, de désigner le juge compétent en la matière.
Sont concernées, les compétences matérielle et territoriale du juge comme il est d’usage en
matière de détermination de la compétence d’une juridiction. Certains États qui étaient dotés
d’une loi relative au droit de l’arbitrage avant l’adoption de l’Acte uniforme, ont désigné le
juge compétent. La loi ivoirienne361 relative à l’arbitrage, le décret sénégalais362 relatif à
l’arbitrage interne et international, ont procédé à une désignation expresse du juge compétent,
quand le Cameroun363 l’a fait de manière implicite. Certains auteurs, dont le Professeur Paul
Gérard POUGOUE, proposent pour les États qui n’ont pas désigné le juge compétent d’opter
pour un « seul juge expérimenté » 364. L’absence de formation adaptée des juges étatiques
étant décriée, cette proposition est opportune. Aussi, le juge étatique joue-t-il un rôle
d’assistance à chaque fois que le tribunal arbitral doit être complété en vertu des alinéas 2 et 3
de l’article 8 de l’Acte uniforme.
242.
Les fonctions de remplaçant du juge étatique. L’intervention du juge étatique durant
l’instance arbitrale est permise lorsqu’un arbitre doit être remplacé soit, parce qu’il n’est pas
capable d’assumer sa mission soit, qu’il est décédé ou a démissionné de ses fonctions soit,
qu’il a été récusé de ses fonctions. L’intervention est subordonnée à l’absence de convention
concernant la procédure de remplacement par les parties ou à l’échec du tribunal arbitral à
résoudre le problème. Le juge étatique interviendra en vertu des dispositions des articles 7 et 8
de l’Acte uniforme. La procédure pour la récusation est particulière, car elle doit être soulevée
par la partie qui souhaite s’en prévaloir et que la décision du juge étatique n’est susceptible
361
Loi n°93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage.
362
Décret n° 98-492 du 5 juin 1998.
363
Article 590 du Code de procédure civile.
364
P.-G. POUGOUE, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, op. cit., p. 293.
132
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’aucun recours. Et, en dépit du silence des articles évoqués concernant les autres cas
d’ouverture de la procédure de remplacement, « il doit être admis que les décisions du juge
étatique concernant lesdits événements seront également insusceptibles de recours, car ces
événements pourraient d’une part conduire comme pour la récusation au remplacement de
l’arbitre, et que, d’autre part, l’arbitrage étant entre autres caractérisé par sa rapidité, la
célérité doit pouvoir être de mise pour la requête en remplacement en cas de décès,
d’incapacité ou de démission »365.
243.
Le concours du juge étatique. L’article 14 alinéa 7 de l’Acte uniforme organise une
hypothèse supplémentaire d’intervention du juge étatique. En vertu de ce texte, « si l’aide des
autorités judiciaires est nécessaire à l’administration de la preuve, le tribunal arbitral peut
d’office ou sur requête requérir le concours du juge compétent dans l’État-partie ». L’on
demeure dans le cadre de l’exercice de fonctions d’appui, d’assistance, d’aide du juge étatique
qui pourra apporter son concours à la recherche de preuves. Le juge étatique parce que
disposant d’un imperium, dispose d’un pouvoir d’injonction obligeant notamment une
personne donnée à produire des éléments de preuve. Les autorités judiciaires font référence,
aussi bien aux magistrats du siège, qu’à ceux du parquet. Toujours dans le cadre de l’instance
arbitrale, le juge étatique peut intervenir dans la prorogation du délai d’arbitrage à la lumière
des articles 12366 et 16367 de l’Acte uniforme. Il ressort de ces deux articles que le juge
étatique peut intervenir pour proroger le délai légal ou conventionnel en l’absence de tout
consensus des parties. Il est important que ce juge soit saisi avant que la mission des arbitres
prenne fin, ceux-ci étant dessaisis par la sentence.
L’intervention du juge étatique en fin de procédure. Une fois la sentence arbitrale368
244.
prononcée, le juge étatique peut intervenir soit pour la rectifier, l’interpréter ou la compléter,
365
G. KENFACK-DOUAJNI, « Le juge étatique dans l’arbitrage OHADA », Rev. Camerounaise de l’arbitrage,
n°12, janv-févr-mars. 2001, p.6.
366
Selon l’article 12 de l’A.U.A révisé, « Si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la mission des arbitres
ne peut excéder six mois à compter du jour où le dernier d’entre eux l’a acceptée.
Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé, soit par accord des parties, soit à la demande de l’une d’elles
ou du Tribunal arbitral, par le juge compétent dans l’État-partie ».
367
L’article 16 de l’A.U.A révisé dispose dans ses deux premiers alinéas que « La procédure arbitrale s'achève
par le prononcé d'une sentence définitive. Elle prend également fin par une ordonnance de clôture ».
368
La jurisprudence définit les sentences comme étant « les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive
en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de
133
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
si le tribunal arbitral ne peut être à nouveau réuni. L’article 22369 de l’Acte uniforme l’y
autorise. De même, le juge étatique intervient pour accorder l’exequatur à la sentence ainsi
que pour son exécution forcée. Il assure l’examen de la sentence pour le recours en
annulation. En effet, l’article 30 de l’Acte uniforme précise que « la sentence arbitrale n’est
susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur rendue par le juge
compétent dans l’État-partie » 370. Et l’article 25 alinéa 2 d’énoncer à propos de la sentence
arbitrale, qu’« elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le
juge compétent dans l’État-partie ». Contrairement aux précédentes prérogatives accordées
aux juges étatiques, qui ont cela en commun, qu’elles sont supplétives de la carence de la mise
en œuvre de la procédure et des défaillances de l’accord des parties, les prévisions des articles
25 et 30 instaurent une véritable exclusivité en faveur du juge étatique. L’exequatur accordé
par le juge étatique est rendu sur le fondement du contrôle de l’existence matérielle de la
convention. Il faut absolument que la sentence soit conforme à l’ordre public international.
Concernant le recours en annulation, pour les États qui ne disposaient pas de loi sur l’arbitrage
et qui de ce fait n’avaient pas désigné le juge compétent, il convient de se référer au juge de
droit commun371. Le rôle du juge étatique est plus important selon que l’on a affaire à un
arbitrage ad hoc ou à un arbitrage institutionnel. L’un lui accorde un rôle moins limité que
l’autre. En pratique, le rôle du juge étatique est insignifiant, car les parties s’orientent plus
vers l’arbitrage institutionnel encadré par les centres d’arbitrage.
B. La suprématie de la CCJA dans l’exécution de ses compétences juridictionnelles
245.
La CCJA exerce ses compétences juridictionnelles sans partage puisqu’elle détient
l’exclusivité en la matière (1) et assure le contrôle de l’intervention du juge étatique (2).
procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance ». Paris, 25 mars 1994, Rev., Arb., 1994, p. 391 note Ch.
JARROSSON.
369
Selon l’article 22 de l’A.U.A, « la sentence dessaisit l’arbitre du litige. L’arbitre a néanmoins le pouvoir
d’interpréter la sentence, ou de réparer les erreurs et omissions matérielles qui l’affectent. Lorsqu’il a omis de
statuer sur un chef de demande, il peut le faire par une sentence additionnelle. Dans l’un ou l’autre cas susvisé, la
requête doit être formulée dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la sentence. Le tribunal
dispose d’un délai de 45 jours pour statuer. Si le tribunal arbitral ne peut à nouveau être réuni, ce pouvoir
appartient au juge compétent dans l’État-partie ».
370
V. article 34 de la Loi type CNUDCI.
371
En Côte d’Ivoire et au Sénégal, la Cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue est la
juridiction compétente.
134
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. L’exclusivité de compétence de la CCJA
246.
La nécessité de la clause d’arbitrage CCJA. L’existence d’une convention d’arbitrage
traduit la volonté des parties de s’engager dans une procédure arbitrale. Cette seule
manifestation de volontés est insuffisante à caractériser la compétence de la CCJA. Est
indispensable la stipulation d’une clause d’arbitrage CCJA qui atteste de la volonté des parties
de recourir à l’arbitrage de ce centre. Les parties sont à partir de ce moment, liées par leur
accord de volonté qui ne peut être remis en cause de manière unilatérale par l’une des parties.
Tout refus ou abstention intervenant a posteriori n’a aucun impact sur la mise en œuvre de la
procédure, selon l’article 10 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage CCJA ; règlement auquel les
parties sont tenues et qui gouverne la procédure. Une fois l’existence de la convention
d’arbitrage et de la clause d’arbitrage CCJA avérée, la procédure d’arbitrage est déclenchée
par sa mise en œuvre.
247.
Le rôle de centre d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage n’occulte pas
sa prééminence. Bien au contraire, c’est dans l’exercice de ces fonctions que la CCJA affirme
sa singularité et sa puissance à l’égard des juridictions étatiques. Lorsque la procédure
arbitrale est mise en œuvre sous l’égide de la CCJA, la compétence des juridictions étatiques
est inexistante. La procédure est menée en vertu du règlement d’arbitrage de la CCJA qui
s’impose aux parties et aux arbitres en vertu de la convention d’arbitrage. Ainsi, ce sont les
organes de la Cour qui interviennent pour s’assurer de la bonne marche de la procédure et qui
résolvent les éventuelles difficultés. Dans le cadre de l’exercice de ses compétences
juridictionnelles, car il ne faut pas l’oublier, la CCJA qui est une juridiction, détient des
prérogatives précises. Comme déjà évoquée, l’intervention du juge étatique est permise de
manière ponctuelle et à la demande de l’une ou l’autre partie pour la résolution des difficultés
de procédure. Ce juge n’est plus habilité à agir même dans des cas précis dans le cadre de
l’arbitrage CCJA. Il revient exclusivement à la Cour commune d’exercer des fonctions
d’appui en agissant en qualité de juridiction. Elle pourra notamment ordonner des mesures
provisoires ou conservatoires.
La constitution du tribunal arbitral. La mise en œuvre de la procédure est amorcée par
248.
la constitution du tribunal arbitral, sous réserve du respect des conditions prévues par l’article
5372 du règlement d’arbitrage et de l’introduction d’une demande d’arbitrage accompagnée du
372
Ce texte est relatif à l’identité des parties, l’objet du litige et la convention d’arbitrage
135
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
paiement d’un acompte sur les frais administratifs d’arbitrage373. Seules les parties en vertu de
la force accordée à leur volonté peuvent choisir les arbitres qu’elles souhaitent voir régler leur
litige. Le tribunal peut être composé d’un (1) ou de trois (3) arbitres. À défaut de tout choix
des parties ou d’absence d’accord sur le choix des arbitres374, il revient à la CCJA de nommer
les arbitres de manière supplétive. La désignation des arbitres par les parties ou la Cour est
impérativement suivie de la confirmation de la nomination de ces arbitres qui déclarent leur
indépendance375 à l’égard des parties. Les fonctions de l’arbitre peuvent prendre fin du fait de
la survenance d’événements tels que le décès, la démission ou la récusation. La Cour, avant de
faire droit à la demande de récusation, prend le soin de vérifier le caractère fondé et la
recevabilité de celle-ci. Le but étant d’éviter toute injustice et de maintenir la confiance des
parties en l’arbitrage. La constitution du tribunal arbitral précède la remise du dossier à
l’arbitre sous certaines conditions376. Avant le déroulement de l’instance, un procès-verbal qui
constate l’objet du litige et fixe le déroulement de la procédure est établi. Il constate la réunion
des conditions permettant le déclenchement de la procédure, comporte la mention de la langue
choisie pour l’arbitrage, des décisions appropriées prises ou à prendre pour la bonne conduite
de la procédure et du calendrier prévisionnel de la procédure.
373
Le montant des frais d’arbitrage est fixé par la Décision 004/99/CCJA du 3 février 1999, relative aux frais
d’arbitrage. L’acompte à verser est d’un montant de 200.000 Francs CFA, soit 300 euros.
374
L’article 3.1 du Règlement d’arbitrage adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée, précise les
modalités de la constitution du tribunal arbitral. Selon cet article « le différend peut être tranché par un arbitre
unique ou par trois arbitres. Dans le présent règlement, le tribunal arbitral peut être également désigné par
l’expression « l’arbitre ». Lorsque les parties sont convenues que le différend sera tranché par un arbitre unique,
elles peuvent le désigner d’un commun accord pour confirmation par la Cour. Faute d’entente entre les parties
dans un délai de trente (30) jours à partir de la notification de la demande d’arbitrage à l’autre partie, l’arbitre
sera nommé par la Cour. Lorsque trois arbitres ont été prévus, chacune des parties - dans la demande d’arbitrage
ou dans la réponse à celle-ci - désigne un arbitre indépendant pour confirmation par la Cour. Si l’une des parties
s’abstient, la nomination est faite par la Cour. Le troisième arbitre, qui assume la présidence du tribunal arbitral,
est nommé par la Cour, à moins que les parties n’aient prévu que les arbitres qu’elles ont désignés devraient faire
choix du troisième arbitre dans un délai déterminé. Dans ce dernier cas, il appartient à la Cour de confirmer le
troisième arbitre.(…) ».
375
Selon l’article 4.1 du Règlement d’arbitrage, « tout arbitre nommé ou confirmé par la Cour doit être et
demeurer indépendant des parties en cause ».
376
La remise du dossier nécessite la complétude celui-ci qui est établie lorsque les conditions des articles 5
(demande d’arbitrage), 6 (la réponse à la demande d’arbitrage) et 11 (le versement des provisions).
Le procès-verbal sanctionne la réunion entre la Cour et les parties assistées de leurs conseils qui intervient dans
un délai de six-mois à compter de la réception du dossier en vertu de l’article 15 du Règlement d’arbitrage.
136
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
249.
Le déroulement de l’instance. Durant l’instance arbitrale, le rôle dévolu à la CCJA, ses
pouvoirs sont tributaires de la volonté des parties et de l’étendue qu’elle souhaite accorder aux
prérogatives à l’arbitre ou aux arbitres. Le respect de principes tels que l’égalité des parties, la
procédure contradictoire377 et équitable378, ainsi que les droits de la défense. La priorité durant
la mise en œuvre de la procédure arbitrale est la garantie des droits des parties, de la primauté
de leur volonté commune. Volonté qui transparaît dans le droit des parties de choisir la loi
applicable au fond du litige. Si durant l’instance arbitrale, se matérialise plutôt la prééminence
de la volonté des parties que celle de la Cour, un tout autre constat est fait une fois la sentence
prononcée. Selon l’article 23.1 du Règlement d’arbitrage, « les projets de sentences sur la
compétence, de sentences partielles qui mettent un terme à certaines prétentions des parties, et
de sentences définitives sont soumis à l’examen de la Cour avant signature »379. Même si les
modifications que la Cour peut proposer ne peuvent être que de pure forme. La transmission
pour examen ne constitue nullement l’exercice d’une voie de recours.
250.
La question se pose malgré tout de savoir si le tribunal arbitral est lié par les propositions
de modifications faites par la Cour. La réponse est a priori négative même si le tribunal
arbitral court le risque d’être tenu, dans le cadre du contentieux lié à la sentence, qui dépend
exclusivement de la Cour, de se conformer « aux propositions » de celle-ci. Il est d’ailleurs
observé à raison que « les dispositions des règlements d’arbitrage des centres privés
d’arbitrage offrent plus de garanties d’indépendance des arbitres ; ceux-ci savent en effet que
leur sentence ne sera pas soumise à un contrôle de régularité devant le centre qui a fait la
proposition de modification » 380. Contrairement aux décisions rendues par la CCJA dans le
cadre de l’exercice de ses fonctions d’administration des arbitrages, celles rendues en vertu
des compétences juridictionnelles que sont la reconnaissance de la sentence, l’attribution de
l’exequatur, ont l’autorité de la chose jugée pouvant donner lieu à exécution forcée381. La
377
Le principe de la contradiction est un principe fondamental en matière processuelle. Il est l’âme du procès
comme l’affirment les Professeurs L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI. Théorie générale du
procès, 2e éd. mise à jour, Paris, P.U.F, 2013, n° 173, p. 633.
378
Le principe du procès équitable est prévu par l’article de la Convention Européenne pour les Droits de
l’Homme (CEDH).
379
Les autres projets de sentence ne sont transmis à la Cour que pour information.
380
P.-G. POUGOUE, A. FENEON, J.-M. TCHAKOUA, Le Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, op.cit.,
p. 257.
381
Cf. Article 27 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
137
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Cour commune est compétente de manière exclusive pour rendre la décision de l’exequatur et
cette exclusivité de compétence s’impose au juge étatique.
251.
La contestation de la validité d’une sentence. L’article 29 du Règlement de procédure
réglemente la procédure de contestation de validité de la sentence arbitrale. Il en ressort qu’il
revient à la partie qu’il souhaite contester la reconnaissance de la sentence et l’autorité
définitive de la chose jugée qui en découlent, d’exercer un recours devant la CCJA par une
requête dont elle informe l’autre partie par notification. La requête n’est jugée recevable que
si les parties n’ont pas renoncé à la formuler dans leur convention d’arbitrage. La requête ne
peut être fondée que sur l’un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article 30.6 autorisant
l’apposition de l’exequatur. Une fois, les formes et délais requis respectés, la Cour rend une
décision qui emporte des conséquences différentes. Le refus de la reconnaissance de la
sentence et de l’autorité de la chose jugée, entraîne l’annulation de la sentence. Contrairement
à la procédure qui est de rigueur concernant l’application des Actes uniformes, la Cour ne
peut évoquer et statuer sur le fond que « si les parties en ont fait la demande » 382. La précision
est importante, de recours en contestation de la sentence il ne s’agit en réalité que d’un recours
en annulation puisqu’il peut avoir pour conséquence l’annulation de la sentence. « La
procédure reprend à partir par exemple du dernier acte de l’instance arbitrale, reconnu valable
par la Cour à la requête de la partie la plus diligente, lorsque les parties n’ont pas demandé
l’évocation »383. Les décisions rendues par la Cour en la matière sont peu nombreuses et
concernent principalement les motifs qui fondent les requêtes en contestation de validité de la
sentence. Ainsi, dans un arrêt de rejet du 19 juillet 2007, la Cour a décidé que « le reproche
fait dans le cadre de la contestation n’entrait pas dans le domaine d’application de l’article
30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, lequel énumère limitativement les griefs qui
peuvent être opposés à la sentence » 384.
252.
La demande d’exequatur. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions juridictionnelles
en matière d’arbitrage, la Cour commune a l’exclusivité de compétence pour connaître d’une
demande d’exequatur. Tout juge étatique saisi d’une telle demande, doit se déclarer
382
Alinéa 29.5 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
383
Article 29.5-3° du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
384
CCJA, arrêt Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR ci BONA SHIPHOLDING LTD, Arrêt n°029, 19 juillet
2007. La SCPA AHOUSSOU KONAN Associés agissant au nom et pour le compte de la SIR, exerce un recours
en contestation de validité contre la sentence arbitrale rendue le 31 octobre 2005 par le Tribunal arbitral, estimant
que les arbitres n’ont respecté ni leur mission ni le principe contradictoire.
138
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
incompétent dès lors que la sentence a été rendue sur le fondement du règlement d’arbitrage
de la CCJA. En vertu de l’article 30.1 du règlement, « la requête est adressée à la Cour » à
laquelle le président de la Cour répond favorablement par une ordonnance qui confère un
caractère exécutoire à la sentence dans tous les États parties. Le caractère exécutoire de la
sentence est limité à l’espace géographique de l’OHADA et « l’exequatur d’une sentence
rendue sur la base du règlement de procédure de la CCJA dans un État tiers à l’OHADA,
relèvera de la législation nationale de l’État où l’exequatur est requis ou, le cas échéant, des
conventions internationales pertinentes telles que la Convention de New York du 10 juin
1958 »385. Ainsi, à propos de l’exequatur d’une sentence CCJA en France, il a été jugé par la
Cour d’appel de Paris qu’« une telle sentence est une décision de justice internationale dont la
régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et
son exécution sont demandées »386. L’article 30.6 énumère de manière exhaustive les motifs
de refus de l’exequatur387. Si aucun d’entre eux n’est réuni, l’apposition de l’exequatur permet
de solliciter celle de la formule exécutoire auprès de l’autorité nationale compétente.
L’exequatur accordé par la Cour commune est un exequatur communautaire qui montre la
pleine mesure de l’exclusivité de la compétence de la CCJA en matière contentieuse.
2. Le contrôle de l’action du juge étatique
253.
Un contrôle assuré dans le cadre de l’exercice d’un pourvoi. Le juge étatique est
compétent dans les conditions prévues par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et le
Traité fondateur de l’OHADA. Il exerce cependant ses attributions sous le contrôle de la
CCJA. Lorsque la procédure d’arbitrage est mise en œuvre suivant le règlement d’arbitrage
385
P. MEYER, Commentaires sous article 30.6 du règlement d’arbitrage de la CCJA, OHADA : Traité et Actes
uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 226.
386
C.A Paris, 31 janvier 2008, RTDJA, 2009, p.101 et s.
387
L’article 30.6 du Règlement d’arbitrage de la CCJA dispose que « 30.6 L’exequatur ne peut être refusé et
l’opposition à exequatur n’est ouverte que dans les cas suivants :
1°) si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ;
2°) si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ;
3°) lorsque le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté ;
4°) si la sentence est contraire à l’ordre public international ».
139
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’un centre d’arbitrage interne, le juge étatique est compétent, d’une part, pour accorder
l’exequatur et d’autre part, connaître du contentieux relatif à la reconnaissance ou la validité
de la sentence. L’article 30 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dispose que « la
sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur
rendue par le juge compétent dans l’État partie »388. En clair, le juge compétent pour
l’apposition de l’exequatur est le juge étatique dont la détermination relève du droit interne
des États membres. Selon que la décision accorde ou refuse l’exequatur, le recours est
impossible ou non, selon l’article 32 de l’Acte uniforme.
254.
Le refus de l’exequatur. Le refus de l’exequatur ne peut faire l’objet que d’un pourvoi
devant la CCJA qui va alors exercer un contrôle sur la décision, sur les motifs qui ont fondé le
refus du juge à la lumière des dispositions de l’article 31 de l’Acte uniforme. Un tempérament
est toutefois apporté à la règle consacrant l’impossibilité d’exercer un recours contre la
décision qui accorde l’exequatur. Elle réside dans le fait que « le recours en annulation de la
sentence emporte de plein droit, dans les limites de la saisine du juge compétent de l’État
partie, recours contre la décision ayant accordé l’exequatur »389. Cette exception confirme que
le juge étatique est bien soumis au contrôle de la CCJA, indépendamment de la nature de la
décision rendue concernant l’exequatur. Dès lors qu’un juge étatique est saisi d’une demande
en annulation de la sentence, la demande peut faire l’objet du contrôle de la CCJA à la faveur
de l’exercice d’un pourvoi devant la Cour par l’une des parties. Un lien étroit de dépendance
existe entre l’exequatur et le recours en annulation. L’interdiction concerne uniquement
l’exercice d’un recours direct contre la décision qui accorde l’exequatur. L’intérêt d’une telle
interdiction est de nature à laisser perplexe dans la mesure où, le recours est susceptible d’être
exercé même si ce n’est que de manière incidente et accessoirement au recours exercé contre
la sentence.
255.
Il ressort des dispositions de l’article 25 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage
que la sentence arbitrale ne peut faire l’objet que d’un recours en annulation porté devant le
juge compétent dans l’État partie390. Le juge saisi du recours peut faire droit à la demande et
388
Article 30 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage.
389
V. Article 32 alinéa 3 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage.
390
L’article 25 en ses 3 premiers alinéas précise que « la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’opposition,
d’appel, ni de pourvoi en cassation.
Elle peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’État-partie.
140
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
annuler la sentence ou rejeter la demande et reconnaître ainsi la validité de la sentence. La
reconnaissance de la validité de la sentence emporte le caractère exécutoire de la sentence qui
sera exequaturée391. Il reste que, la partie qui souhaite remettre en cause le rejet de sa
demande en annulation, gagnerait à faire preuve de diligence et d’agir dans des délais prévus.
L’Acte uniforme n’apporte pas de précision quant au caractère concomitant ou non de la
reconnaissance de la validité d’une sentence et de l’exequatur392. Il est donc tout à fait
possible que le juge conclût à la validité d’une sentence sans pour autant rendre une décision
d’exequatur. Encore que « la reconnaissance et l’exequatur de la sentence arbitrale supposent
que la partie qui s’en prévaut établisse l’existence de la sentence arbitrale »393. À notre sens,
les deux procédures peuvent être distinctes et intervenir à des moments différents. Dans ce
cas, que reste-t-il à la partie qui exerce un recours en annulation de la sentence devant le juge
étatique avant que n’intervienne la décision d’exequatur ? Celle-ci pourra dans l’hypothèse où
sa demande serait rejetée, exercer un pourvoi devant la CCJA qui sera fondée à se prononcer
également de manière incidente sur l’exequatur à venir. La CCJA a le pouvoir d’évocation en
vertu de l’exercice de ses compétences juridictionnelles. Spécifiquement celles exercées à
l’encontre des décisions des juridictions nationales.
256.
Le contrôle exercé par la CCJA. La CCJA qui assure le contrôle de la décision du juge
étatique, va surtout s’assurer que la décision a été rendue en conformité avec les dispositions
de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et que l’interprétation qui a été faite de ses
dispositions était correcte. De manière spécifique, la Cour vérifiera la réunion des motifs
d’annulation de la sentence arbitrale à savoir que la décision arbitrale a été rendue en
l’absence de convention ou en présence d’une convention nulle ou expirée. Ce sont les
hypothèses de l’existence d’irrégularités dans la composition du tribunal ou la désignation de
l’arbitre, de la méconnaissance du tribunal de sa mission, du non-respect du principe du
contradictoire, de l’absence de motivation de la sentence et de la violation de l’ordre public
La décision du juge compétent dans l’État-partie n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage ».
391
Cf. Article 33 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit de l’arbitrage : « Le rejet du recours en annulation
emporte de plein droit validité de la sentence arbitrale ainsi que de la décision ayant accordé l’exequatur ».
392
L’exéquatur confère à la sentence, simple acte privé, la force exécutoire. L’exécution provisoire ne dispense
pas d’exequatur. J.B Racine op.cit., n° 877, p. 554. V. également H-J. NOUGEIN, Y. REINHARD, P. ANCEL,
M-C. RIVIER, Guide pratique de l’arbitrage et de la médiation commerciale, Paris, LexisNexis, Litec, 2004, n°
157, p. 80-81.
393
Article 31 nouveau de l’A.U.A.
141
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
international des États signataires du Traité. La Cour s’assurera également en présence d’un
refus d’exequatur ou d’une décision accordant l’exequatur, et ce de manière indirecte, que les
conditions requises pour le refus sont ou non réunies : l’inexistence de la sentence arbitrale ou
sa contrariété avec l’ordre public international des États parties. En droit interne, l’ordre
public s’entend des règles qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts de la communauté
nationale que représente l’État394.
L’ordre public international. Sur la question de l’ordre public international395 et de
257.
l’annulation de la sentence, avec la réforme, « les parties peuvent convenir de renoncer au
recours en annulation de la sentence arbitrale à la condition que celle-ci ne soit pas contraire à
l’ordre public international ». Une innovation qui même si elle est destinée à supprimer le
contentieux post-arbitral, n’en demeure pas moins dangereuse, selon le Professeur Bernard
HAFTEL qui ne manque pas de relever une inspiration de l’article 1522 du Code de procédure
civile français avec des différences cependant. « En droit français, la renonciation au recours
en annulation implique nécessairement la possibilité de faire appel de l’ordonnance
d’exequatur pour l’un des cas d’ouverture du recours en annulation prévu par l’article 1520 du
Code de procédure civile (…). À l’inverse, en droit de l’OHADA, la procédure d’exequatur
n’implique pas la vérification des cas d’ouverture du recours en annulation. Il en résulte que,
désormais, si les parties renoncent au recours en annulation, elles renonceront réellement à
faire valoir tous les autres cas d’ouverture prévus par l’article 26, hormis l’ordre public »396.
258.
Au-delà de cette innovation, une question essentielle demeure : que renferme l’ordre public
international du point de vue du législateur de l’OHADA ? La CCJA pourrait s’inspirer de la
théorie de l’ordre public transnational ou réellement international empreint d’universalité397.
Cela permettra d’éviter un foisonnement de décisions des Cours suprêmes nationales fondées
sur l’ordre public interne qui est diversement défini et apprécié par les États. La question des
lois de police est occultée en droit de l’OHADA alors qu’elles sont d’application immédiate.
394
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Droit civil, Les obligations, op.cit., n° 486, p. 560.
395
Le droit de l’OHADA fait mention de l’ordre public sans le définir. La Cour de cassation française présente
l’Ordre public international comme étant celui qui peut être invoqué pour faire obstacle à une loi étrangère
contraire à des conceptions fondamentales du droit français. Cass., Ass. Plén., 14 oct., 1977, D. 1978.
396
B. HAFTEL, « Les voies de recours », LEDAF, mai 2018, n° 05, p. 7.
397
G. KENFACK-DOUAJNI, « La notion d’ordre public international dans l’arbitrage OHADA », Revue
camerounaise de l’arbitrage, n° 2, avr-mai-juin., 2005, p. 11.
142
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Les conditions de leur coexistence avec le droit uniforme OHADA en matière d’arbitrage
gagneraient à être explicitées.
La consécration d’un arbitrage OHADA à travers l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage,
témoigne de la prépondérance de la CCJA au sein de l’arbitrage. Si l’on y ajoute les fonctions
d’encadrement de la CCJA et le rôle limité du juge étatique, dont l’action est contrôlée, alors
l’on en prend la pleine mesure.
143
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
259.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), institution judiciaire supranationale,
est le pilier de l’intégration judiciaire souhaitée par le législateur de l’OHADA. Une
institution au service des justiciables et qui leur garantit la sécurité juridique à travers une
interprétation uniforme du droit de l’OHADA. Même si elle ne perd pas de vue son rôle de
gendarme lorsqu’elle assure le contrôle et sanctionne l’application et l’interprétation du droit
de l’OHADA. Un principe directeur fort, la supranationalité judiciaire impose la CCJA aux
juridictions nationales.
Juridictions qui doivent faire face à la limitation de leurs prérogatives, aussi bien en matière
contentieuse qu’en matière de modes alternatifs de règlement des conflits précisément
l’arbitrage.
144
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU TITRE 1
260.
La soumission des États membres aux institutions communautaires. Le droit civil des
États membres de l’OHADA est influencé par le droit de l’OHADA. Cette influence est
portée par le cadre institutionnel de l’OHADA et les principes directeurs prévus pour le
fonctionnement des organes. Les États membres de l’OHADA sont soumis aux décisions
prises par lesdits organes. Ils sont de même, tenus de se conformer au dispositif juridique mis
en place au soutien de l’objectif d’harmonisation du droit des affaires. L’OHADA est une
organisation portant le sceau de la supranationalité, à l’instar de ses organes. En vertu de ce
caractère supranational, aussi bien l’OHADA, que le dispositif juridique de l’OHADA,
priment sur le droit commun national des États membres. Supranationalité qui permet grâce à
un transfert de souveraineté consenti par les États membres en faveur de l’OHADA, de jeter
les jalons de l’intégration juridique. L’unification et l’uniformisation sont confiées à des
organes communs qui supplantent les antagonismes nationaux. C’est surtout le caractère
transnational reconnu au droit de l’OHADA, qui exprime toute la force attachée à cet
ensemble de règles juridiques. Ce caractère concerne le champ spatial constitué par le
territoire des dix-sept États membres qui le composent. Ce droit d’application directe et
immédiate, doté de l’effet direct, s’impose aux États membres.
261.
La force obligatoire du droit de l’OHADA. En effet, le droit de l’OHADA a une force
obligatoire qui découle de son application directe et immédiate. La soumission du droit
commun national des États membres au droit de l’OHADA, entraîne la substitution de plein
droit du droit de l’OHADA au droit national, soit de manière totale, soit de manière partielle
avec l’abrogation. Abrogation qui s’inscrit dans le respect du principe de l’application dans le
temps des lois nouvelles. L’abrogation dont il est question concerne les dispositions contraires
au droit de l’OHADA et les dispositions ayant un objet similaire aux Actes uniformes.
262.
L’autorisation de survie du droit national. Il convient cependant de relever que dans
certaines hypothèses telles que le droit transitoire, le droit national trouve à s’appliquer et à
coexister avec le droit de l’OHADA. Ces hypothèses restent résiduelles et la réalité est celleci : les États membres ne sont pas autorisés à adopter des règles faisant obstacle à
l’application du droit de l’OHADA et sont tenus de procéder à la mise en conformité de leur
droit avec le droit communautaire. Même si l’on note une survie exceptionnelle du droit
national dans le cas notamment du droit transitoire, relevons malgré tout une force impérative
145
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
du droit de l’OHADA et une interdiction pour les États membres d’adopter des mesures qui
feraient obstacle à l’application du droit de l’OHADA.
263.
L’influence en matière judiciaire et arbitrale. L’autre point fort de l’OHADA et du droit
de l’OHADA, c’est leur emprise sur l’organisation judiciaire et l’arbitrage. En effet, la CCJA
prévaut sur les juridictions suprêmes nationales puisqu’elle a une compétence exclusive en
matière de contrôle de l’application et l’interprétation du droit de l’OHADA. Le renvoi est
obligatoire vers la CCJA et celle-ci dans le cadre d’un arrêt de cassation, bénéficie du pouvoir
d’évocation sans renvoi. La matière arbitrale n’échappe pas à la puissance du droit de
l’OHADA puisqu’une unification a été entreprise à travers l’Acte uniforme adopté en la
matière. De plus, la CCJA est un centre international d’arbitrage institutionnel selon le
règlement d’arbitrage adopté le 11 mars 1999 et révisé le 23 novembre 2017.
146
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Titre 2. LES FONDEMENTS DE L’INFLUENCE SUBSTANTIELLE DU
DROIT DE L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS
MEMBRES
264.
L’adoption du Traité fondateur de l’OHADA, était fondée sur la volonté de réaliser une
intégration juridique et, à terme, une intégration économique. Sa force obligatoire entraîne
l’intégration du droit de l’OHADA au droit commun national des États membres. Cette
intégration cause une modification de la structure même du droit commun national en lui
insufflant son caractère hybride. De droit Civil, le droit commun national prend dès lors, la
forme d’un droit mixte voire d’un droit économique. L’influence du droit de l’OHADA
s’analyse également en des apports au droit civil national des États membres. Apports non
négligeables à la théorie générale des obligations notamment la formation du contrat,
l’interprétation du contrat, l’exécution du contrat du point de vue des obligations des parties et
du contentieux relatif à l’exécution du contrat.
265.
Par ailleurs, les apports du droit de l’OHADA concernent le droit des garanties et la
matière procédurale. Le législateur de l’OHADA crée de nouvelles sûretés et améliore le
dispositif existant pour les sûretés conservées. Les institutions sont renforcées et les
procédures améliorées par le droit de l’OHADA. Les mutations substantielles du droit civil
national sous l’influence du droit de l’OHADA sont des mutations structurelles (Chapitre 1)
et des mutations du droit substantiel en vigueur (Chapitre 2).
147
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 1. LES MUTATIONS STRUCTURELLES DU DROIT CIVIL
NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES
266.
Le législateur de l’OHADA instaure un système juridique particulier au sein des États
membres (Section 1). Ce système est empreint de mixité, avec une coexistence, de deux
ordres juridiques et entraîne une mutation du droit commun national en droit économique
(Section 2).
Section 1. L’instauration d’un système juridique particulier au sein des États
membres
267.
Le système juridique mis en place est mixte dans ses traits caractéristiques (§1) et cette
mixité n’est pas sans conséquence (§2).
§ 1. La nature mixte du système juridique en place
268.
S’il est vrai que la mixité du système juridique mis en place est tributaire du droit de
l’OHADA (A), il n’en demeure pas moins que le dépassement de la distinction droit civil,
droit commercial (B), y joue également un rôle.
A. Une mixité tributaire de la nature du droit de l’OHADA
269.
Le droit de l’OHADA est un droit hybride (1), et ce caractère hybride trouve une origine
dans le cadre institutionnel de l’OHADA (2).
1. Le droit de l’OHADA, un droit hybride
270.
Le « droit de l’OHADA », véritable droit ? Le droit de l’OHADA est un droit qui revêt
des particularités non négligeables. Il se distingue des autres ordres juridiques sous régionaux
ou internationaux. D’aucuns le qualifient de droit hybride en se référant à certains critères. Le
préalable à toute analyse est de s’assurer que les règles juridiques de l’OHADA constituent
« un droit ». La démarche pourrait paraître insensée, mais lorsque l’on a affaire à une
institution, des règles dont la nature alimente perpétuellement les débats, elle trouve tout son
sens. Le droit dans son sens objectif est, selon le Doyen Henri LEVY-BRUHL, « la règle ou
l’ensemble de règles s’appliquant à des individus ou à des collectivités et qui doivent être
148
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
observées sous peine d’encourir une sanction »398. S’opposent doctrine spiritualiste, doctrine
marxiste et doctrine sociologique à laquelle le Doyen Henri LEVY-BRUHL se rattache. La
conception sociologique du droit en fait un phénomène social « le droit est l’ensemble des
règles obligatoires déterminent les rapports sociaux imposés à tout moment par le groupe
auquel on appartient ». Telle est la définition proposée par le Doyen LEVY-BRUHL399.
271.
Aujourd’hui encore, le droit est communément perçu comme « l’ensemble des règles
destinées à régir les hommes vivant en société »400. La définition qui voit dans le droit un
phénomène social trouve son fondement dans la doctrine positiviste, précisément le
positivisme étatique. Cette doctrine s’oppose aux doctrines du droit naturel dont l’idée
fondamentale est « qu’il n’existe pas seulement le droit appliqué effectivement à un moment
donné dans un pays donné, mais aussi un droit d’essence supérieure 401 ». Droit qui repose sur
des idéaux tels que la justice, la religion. En effet, comme l’écrit le Doyen Jean
CARBONNIER, ces doctrines ont leur titre de noblesse dans l’Antigone de Sophocle402.
Le droit perçu dans son acception générale est étroitement lié à l’idée de règle403, non pas
272.
dans une relation de synonymie, mais simplement parce que la règle caractérise le droit. La
règle de droit s’entend d’une règle de conduite qui s’impose aux hommes vivant en société, et
dont le respect est assuré par l’autorité publique » 404. L’assertion est à nuancer en ce que le
398
H. LEVY- BRUHL, Sociologie du droit, 1ere éd., Paris, P.U.F, 1990, p. 6. L’auteur distingue cette conception
de celle du droit subjectif, liberté, faculté.
399
H. LEVY-BRUHL, op.cit., p. 22.
400
J. GHESTIN, G. GOUBEAUX avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil,
Introduction générale, 4e éd., Paris, L.G.D.J, 1994, n°30, p. 26.
401
J. GHESTIN, G. GOUBEAUX avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil,
Introduction générale, op.cit, p. 8.
402
J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, op.cit., p. 96. Antigone qui a désobéi à l’édit de Créon, en
donnant sépulture à son frère, et pour se justifier dit : « je ne pensais pas, qu’il eût assez de force, ton édit, pour
donner à un être mortel le pouvoir de violer les divines lois non écrites que personne ne peut ébranler. Elles ne
sont pas d’aujourd’hui, ni d’hier, mais elles sont éternelles, et personne ne sait quel est leur passé profond ».
403
La règle renvoie à « toute prescription, de l’ordre de la pensée ou de l’action, qui s’impose à quelqu’un dans
un cas donné ou à toute prescription propre à une science, une technique, une activité déterminée et qu’il importe
de suivre dans leur étude, leur pratique ». Il s’agit dans ces cas de la règle autre que juridique qui elle se présente
comme étant « toute norme juridiquement obligatoire, normalement assortie de la contrainte étatique, quels que
soient sa source, son degré de généralité, sa portée ».
404
P. ROUBIER, Théorie générale du droit : Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs
sociales, Paris, Dalloz, 2005, n° 1, p. 5.
149
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
droit n’a pas l’apanage de l’édiction de règles. Il existe des règles de conduite différentes qui
coexistent avec le droit. La religion, la morale, la justice renferment des règles à respecter et à
faire respecter. Il faut rechercher les éléments de définition et de précision de la notion de
droit ailleurs ; dans la forme que revêtent ces règles. Le droit englobe toutes les règles
obligatoires, générales, impersonnelles, permanentes et dirons-nous coercitives. Peut-on
qualifier le droit de l’OHADA de droit véritable ? L’on a tout d’abord affaire à des règles
formant un ensemble homogène. Homogène dans la mesure où, le texte originel est un Traité
qui est signé en l’état par les États qui adhèrent à l’organisation, étant donné que la
formulation de réserves est exclue. De même, les règles dites « dérivées » ont vocation à
s’appliquer de manière « uniforme » à l’ensemble des États membres. Cet ensemble vise à
régir les relations entre les États membres, leurs citoyens, leurs partenaires dans le domaine
défini. Les principes établis ont vocation à s’appliquer à des destinataires donnés dans un
espace tout aussi défini. Ensuite, les règles sont générales dans la mesure où elles sont
d’application identique dans des situations similaires. Aucun État ou particulier ne peut se
soustraire à l’application d’un texte uniforme en invoquant notamment d’autres textes ou
prérogatives lorsque la première cité est applicable405. En matière de permanence, il convient
de relever que le dispositif de l’OHADA bénéficie d’une certaine stabilité, les réformes et
modifications de textes n’étant pas opérées de manière intempestive406. Les Actes OHADA
s’appliquent bien de leur entrée en vigueur jusqu’ à leur abrogation ou leur retrait de
l’ordonnancement juridique.
273.
La force coercitive du droit de l’OHADA. Enfin, s’il y a bien un aspect qui est
problématique c’est bien la force coercitive du droit de l’OHADA. Que risque-t-on à ne pas se
conformer aux textes issus de l’OHADA ? De quelle manière le respect des Actes uniformes,
règlements, décisions est-il assuré par les organes de l’OHADA ? À première vue, l’on dirait
qu’il n’y en a aucun, parlant des risques encourus. Mais l’assertion doit être relativisée, car
elle ne vaut dans une certaine mesure que pour les États membres. Le Traité fondateur de
l’OHADA ne fait mention d’aucune forme de sanction à l’encontre des membres qui
violeraient des règles définies. En revanche, chaque Acte uniforme, suivant la matière
405
Le dispositif juridique OHADA est caractérisé par sa force obligatoire et son applicabilité directe ; l’article 10
du Traité OHADA qui en est le siège, impose l’application aux destinataires du dispositif dès lors que les
conditions nécessaires sont réunies.
406
Depuis la création de l’OHADA en 1997, les Actes uniformes été il est vrai révisés mais l’ont été que dans
des buts précis et dans un délai raisonnable. Tout fait qui favorise la stabilité du dispositif juridique en vigueur et
sa prévisibilité.
150
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
harmonisée et la nature des actes en cause, prévoit des sanctions. Ici, l’on est dans un cadre
d’actes juridiques, d’opérations juridiques pour lesquelles le problème se pose concernant la
validité. L’Acte uniforme relatif au droit des sûretés sanctionne les irrégularités relatives à la
constitution des sûretés d’une nullité407. Celui relatif au droit commercial général pour ce qui
est de la vente renvoie au régime de la responsabilité civile408. Au-delà de ces sanctions, c’est
bien le prononcé et la mise en œuvre de ces sanctions qui ne sont pas dénués d’intérêt. Le juge
étatique intervient afin de veiller à l’application du « droit de l’OHADA » et en cas de nonrespect et de litige, décide de la sanction. Il ne faut nullement occulter le fait que le mode de
règlement de litiges promu et privilégié par les États signataires du Traité fondateur de
l’OHADA est l’arbitrage qui en principe laisse peu de place à la sanction pure et simple409.
274.
Les développements ci-dessus montrent bien que les règles mises en place dans le cadre de
l’OHADA peuvent être qualifiées de droit, en dépit d’une force coercitive relative. Une fois
reconnu aux règles de l’OHADA le statut de droit, il est plus aisé de se pencher sur un
caractère non moins important qui leur est reconnu : le droit de l’OHADA serait « hybride »
ou « mixte ». Bien que ces notions soient parfois utilisées de manière interchangeable, nous
estimons qu’elles rendent compte de réalités différentes à bien des égards. « Hybride ne se dit
que, des cas où sont mises en présence des réalités découlant de deux sources hétérogènes. Cet
adjectif évoque l’existence d’une dualité alors que l’adjectif mixte comporte plutôt l’idée
d’une conjonction de deux éléments ». Le terme qui conviendrait pour désigner le droit de
l’OHADA est celui d’hybride, encore qu’il faille rechercher une réponse dans la notion en
elle-même. Est hybride ce qui, dans une classification, occupe une place intermédiaire entre
407
Il ressort notamment de l’article 14 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés,
publié au J.O n°22 du 15/02/2011, que le cautionnement ne se présume pas ; il doit être constaté par écrit à peine
de nullité ; ce parce qu’en vertu de l’article 1 du même Acte uniforme le cautionnement est un contrat, soumis
aux conditions de validité prévues par l’article 1101 du Code civil.
408
A la lecture de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le droit commercial général publié au J.O
OHADA n° 23 du 15/02/2011, pour ce qui est de la vente commerciale, l’article 281 qui traite de l’inexécution et
de la responsabilité, précise que « la partie qui ne respecte pas le préavis avant de notifier à l’autre son intention
de rompre unilatéralement le contrat engage sa responsabilité ».
409
Selon l’article 2 du Traité OHADA, « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans
les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation
de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au
recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ». En mettant en place l’OHADA dans un
contexte africain marqué par les crises politiques et financières, les États signataires prenaient le pari de
convaincre à nouveau les investisseurs. Pour y parvenir il fallait mettre en exergue des mécanismes qui
garantissent la célérité, la confidentialité, le règlement amiable indispensables dans le monde des affaires ; d’où
la promotion de l’arbitrage.
151
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
deux ou plusieurs éléments, ce qui évoque une dualité. Est hybride, tout ce qui est composé
d’éléments disparates. Des éléments qui sont différents et en principe incompatibles. Le
caractère hybride est reconnu dès lors que dans la constitution, la formation, la création,
interviennent des éléments hétérogènes qui n’ont en commun que leurs différences. Ainsi,
certaines disciplines et certains domaines juridiques sont décrits comme étant hybrides ou
mixtes. Par droits mixtes, il faut entendre des droits dans lesquels on ne peut pas faire de
division des règles provenant du droit public et privé, c’est-à-dire des règles provenant des
actions individuelles et des règles qui concernent les puissances publiques. On parle
également de « droit transversal ». La mixité ou le caractère hybride résident également dans
les destinataires des règles : personnes publiques et privées.
275.
La nature du droit de l’OHADA. Ces éclaircissements étant apportés, il convient de
porter l’attention requise à la nature du droit de l’OHADA. Seule une analyse approfondie du
Traité fondateur, des Actes uniformes, des règlements ainsi que des décisions, permet d’en
prendre la pleine mesure et de se prononcer de manière précise sur la question. Le Traité
fondateur de l’OHADA est clair dans son préambule et dans l’article 2. Le droit de l’OHADA
se veut un droit des affaires, en principe spécifique au droit privé. L’intitulé de l’objet de
l’OHADA ne permet pas de percevoir le caractère hybride. Le droit dérivé constitue
cependant un réel vivier en la matière. De chaque Acte uniforme, il transparaît, la mixité.
Aussi bien les principes établis, que les destinataires relèvent à la fois du droit privé et du
droit public. L’Acte uniforme relatif au droit des sûretés dispose en son article 1 qu’« une
sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un
patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations,
quelle que soit la nature juridique de celles-ci… ». Une sûreté peut être constituée
indépendamment de la nature de l’obligation, de celle du créancier ou du débiteur. Dans le
même ordre d’idées, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés est applicable à toute société
commerciale et à tout groupement d’intérêt économique sans que la qualité des associés soit
un critère discriminant. Ainsi l’Acte uniforme pourra s’appliquer, nonobstant la présence d’un
État ou d’une personne morale de droit public en qualité d’associé. Droit uniforme, le droit de
l’OHADA se veut également un droit des affaires, c’est-à-dire un droit particulier.
2. Un caractère lié au cadre institutionnel de l’OHADA
276.
Les instruments juridiques. La mixité de l’ordre juridique découle également du
dispositif institutionnel de l’OHADA. Précisément de l’organisation à proprement parler et
152
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des organes qui viennent soutenir l’œuvre harmonisatrice. L’OHADA est fondamentalement
une organisation d’intégration juridique qui regroupe dix-sept (17) États. La mixité réside tout
d’abord dans le fait que l’organisation vise à harmoniser un domaine donné, le droit des
Affaires, reconnu comme relevant du droit privé et qu’elle est mise en place par des personnes
morales de droit public, les États auxquels ses règles juridiques s’imposent. Hormis les États,
les particuliers nationaux ou non, en sont également destinataires. En effet, le préambule du
Traité fondateur de l’OHADA énumère les chefs d’État qu’il désigne ensuite comme étant les
« Hautes parties contractantes au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique ». Le dispositif juridique constitué en dehors du Traité, par les Actes uniformes, les
règlements et les décisions, vise les relations d’affaires, les investissements, les opérations
contractuelles de particuliers ou non.
277.
La personnalité juridique de l’OHADA. L’OHADA c’est aussi et surtout une
Organisation internationale dotée à ce titre de la personnalité juridique. L’article 46 du Traité
indique bien qu’ayant la pleine personnalité juridique internationale l’OHADA, a capacité de
contracter, d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer, d’ester en justice.
Ladite personnalité juridique est régie par le droit international public, en dépit du domaine
d’application du droit de l’OHADA. La situation est différente concernant le personnel de
l’OHADA et atteste bien de la mixité que nous avons évoquée. Il en existe deux catégories :
les fonctionnaires et les agents qui n’en ont pas la qualité. Les fonctionnaires sont identifiés en
raison de la nature de leur emploi. Selon l’article 1er du Règlement n°002/98/CM du 30
janvier 1998 portant statut des fonctionnaires de l’OHADA, est fonctionnaire « toute personne
nommée et titularisée dans l’un des emplois permanents de l’Organisation »410. Le critère de
la permanence est fonction de la durée du contrat et de la nature des fonctions occupées.
Ainsi, les agents sont les personnes qui sont « nommées à l’un des emplois non permanents
ouverts dans les services de l’organisation »411. De plus, le recrutement de ces agents est fait
par l’une des institutions de l’OHADA pour des tâches spécifiques dans le cadre d’un contrat
à durée déterminée d’une durant allant de six (6) mois à deux (2) ans. La mixité apparaît
clairement dans la structure des ressources humaines.
410
Règlement n°002 du 30 janvier 1998 portant statut des fonctionnaires de l’Organisation pour l’Harmonisation
en Afrique du Droit des Affaires, J.O de l’OHADA n°05, 2e année, 1er juillet 1998.
411
Règlement n°003 du 30 janvier 1998 portant régime applicable au personnel non permanent de l’Organisation
pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, J.O de l’OHADA n°05, 2e année, 1er juillet 1998.
153
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
278.
Les ressources humaines de l’OHADA. Le personnel de l’OHADA s’entend bien des
fonctionnaires et employés du Secrétariat permanent, de l’ERSUMA, de la CCJA, des juges
qui jouissent de privilèges et d’immunités diplomatiques régis par le droit public412.
Cependant, le statut des arbitres est problématique notamment pour ce qui concerne leurs
droits. Ils jouissent également des privilèges et immunités diplomatiques en dépit du fait
qu’ils ne sont ni employés ni fonctionnaires de la CCJA. Ce sont des personnes privées
désignées par les parties dans le cadre de la procédure arbitrale uniquement. Ils exercent des
fonctions spécifiques enfermées dans une procédure et un délai précis. Ces prérogatives ont
suscité de vives critiques dont la cohérence est à relativiser. Le bénéfice des privilèges et
immunités est lié à l’exercice des fonctions et non à la qualité des arbitres. Parce qu’ils jouent
un rôle prépondérant dans le déroulement de la procédure arbitrale qui aboutira au prononcé
d’une sentence arbitrale entre les parties, il est important d’octroyer de solides garanties aux
arbitres.
279.
Une mixité illustrée par les organes. Deux organes de l’OHADA illustrent bien la mixité
qui règne au sein de l’Organisation. Le conseil des ministres est comme son nom l’indique,
composé de ministres. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’y siègent pas
uniquement des ministres de la justice. Le Conseil est également composé des ministres des
Finances. L’explication est simple et réside dans la nature des questions traitées dans le cadre
de l’harmonisation du droit des affaires. Il s’agit essentiellement de questions juridiques et
économiques au regard du champ d’application du Traité fondateur de l’OHADA. Le statut de
ces ministres ne relève pas du droit de l’OHADA, ils ne sont considérés ni comme
fonctionnaires de l’OHADA ni comme agents ou employés. C’est avant tout et uniquement
leur qualité de ministre d’un État membre qui leur donne le droit de siéger au sein du Conseil
des ministres413.
280.
L’institution de la conférence des chefs d’État et de gouvernement est due à la révision
intervenue au Québec en 2008. Cet organe marque la prise de pari pour une OHADA, à
dimension plus politique que juridique ou économique dans le sens où elle constitue l’organe
412
La Convention de Vienne du 18 Avril 1961 sur les relations diplomatiques demeure le texte fondamental en
matière d’immunités et de privilèges accordés dans le cadre des relations internationales.
413
L’article 27-2) du Traité fondateur de l’OHADA dispose que « le Conseil des ministres est composé des
ministres chargés de la justice et des finances des États parties ».
154
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
suprême et que ses compétences sont étendues et extensives414. Composée des Chefs d’État, la
conférence a compétence pour connaître de toutes les questions relatives au Traité. Ainsi,
l’Acte uniforme valablement adopté à l’unanimité en Conseil des ministres peut retenir
l’attention des Chefs d’État sur tel ou tel aspect. L’on pourrait craindre des problèmes de
fonctionnement de l’OHADA en raison de l’exercice par chaque organe de ses compétences.
Le risque est négligeable dans la mesure où le président de la conférence, est le chef de l’État
ou de Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des ministres.
281.
L’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) est une institution de
l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique, du droit des Affaires (OHADA) qui a pour
finalité, d’œuvrer à l’amélioration de l’environnement juridique et judiciaire dans l’ensemble
des États membres. L’organisation de cette institution parle d’elle-même et illustre la mixité
qui caractérise l’OHADA. Tout d’abord, l’institution qui est « rattachée au secrétariat
permanent », selon l’article 41 nouveau du Traité fondateur de l’OHADA est « dotée de la
personnalité morale et juridique » et dispose de l’autonomie administrative et financière. Une
institution dotée de la pleine capacité d’exercice et de jouissance qui a pour corollaire son
autonomie financière qui se retrouve rattachée à un organe. Ensuite, l’ERSUMA est une
institution qui en cache une autre : le Conseil des ministres qui est son instance suprême415.
Enfin, l’ERSUMA bénéficie du statut international. En clair, l’ERSUMA qui est un
établissement de formation, exerçant des fonctions essentiellement pédagogiques, est
rattachée à l’organe exécutif de l’OHADA et compte au nombre de ses instances, l’organe
normatif de l’OHADA. L’OHADA apparaît comme une organisation où se mêlent organes
techniques, politiques, économiques, au service de l’œuvre harmonisatrice. La qualifier ou la
ranger dans une catégorie particulière relève de la sinécure ; chaque organe dans sa spécificité,
son rôle, occupant une place prépondérante dans le dispositif.
414
Selon l’article 27-1) du Traité fondateur de l’OHADA, 1°), la Conférence des Chefs d’État et de
Gouvernement est composée des Chefs d’État et de Gouvernement des États parties. Elle est présidée par le Chef
de l’État ou de Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des Ministres. Elle se réunit en tant
que de besoin, sur convocation de son Président, à son initiative ou à celle du tiers des États parties. Elle statue
sur toute question relative au Traité.
415
Selon l’article 5 du statut de l’ERSUMA, « le Conseil des ministres de l’OHADA est l’instance suprême de
l’ERSUMA. La composition et les compétences générales du conseil des ministres de l’OHADA sont définies
par le traité. Le conseil des ministres tranche toutes questions relatives à l’organisation de l’ERSUMA, dans le
respect des dispositions du traité et du présent statut. Conformément à l’Article 30 du traité, toutes les décisions
du conseil des ministres se rapportant à l’ERSUMA sont adoptées à la majorité absolue des États présents et
votant ».
155
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
B. Le dépassement de la distinction entre le droit civil et le droit commercial
282.
Le droit civil et le droit commercial sont fusionnés (1) sans oublier que les règles de
procédure sont à la frontière du doit civil et du droit commercial (2).
1. La fusion du droit civil et du droit commercial
283.
Le principe de la dichotomie des domaines et branches juridiques. Historiquement, les
disciplines, les systèmes, les sciences sont divisés en branches. Le droit ne fait pas exception à
la règle, la doctrine s’accorde sur au moins deux grandes distinctions : d’une part, celle du
droit international et du droit national416 et d’autre part, celle du droit public et du droit
privé417. La dernière distinction a été consacrée par les conceptions classiques, qui procèdent à
une division du droit interne en ces deux branches. Ces deux branches sont à leur tour
subdivisées en branches. Le droit public regroupe l’ensemble des règles qui, dans un État
donné, ont pour objet l’organisation, les structures et les composantes de cet État ainsi que des
collectivités publiques et qui gouvernent leurs rapports avec les particuliers. L’on désigne, par
droit privé, l’ensemble des règles qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux ou
avec les collectivités privées. Le droit civil et le droit commercial font partie des principales
branches du droit privé et sont les protagonistes de ce qu’il convient d’appeler la distinction
classique en la matière, distinction que nous qualifierons « d’originelle ».
284.
L’histoire du droit civil est liée à celle de l’évolution du droit français au regard de la
systématisation qui a été opérée par le Professeur René DAVID418 bien qu’on l’estime
416
La distinction droit international/droit interne témoigne du fait que les lignes ont bien bougé et que la frontière
n’a jamais été aussi mince qu’aujourd’hui. Si le droit national ou droit interne est le droit en vigueur sans
intervention d’un autre État et que le droit international est celui qui régit les relations internationales entre les
États ou les individus, l’avènement du droit communautaire qui se présente comme un droit intermédiaire a
entraîné l’effritement de la distinction. A la fois interne parce qu’appliqué par les États membres de « la
communauté » et international parce que régissant les relations des États à l’échelle internationale, le droit
communautaire est l’illustration du dynamisme du droit et de son évolution constante.
417
La distinction droit public/ droit privé est fondée sur les buts, caractères et juridictions respectives de ces deux
branches. Bien qu’étant classique, cette distinction a fait l’objet de nombreuses critiques. La percevant comme
« étant liée à une société capitaliste, imprécise ou encore fausse » ; R. CABRILLAC, Introduction au Droit
privé, Paris, éd. EYROLLES Université, Coll. Droit, 1992, n°58, p. 40.
418
R. DAVID, Les grands systèmes de droit contemporains : Droit comparé, Dalloz, 1964, n° 11 ; l’auteur a
retenu deux critères décisifs pour distinguer les familles de droit : la technique juridique et le fondement de
l’organisation sociale. Suivant ces critères, il distingue quatre familles : familles romano-germanique, de
Common law, socialiste, systèmes philosophiques et religieux. La floraison de classifications différentes
confirme les vives critiques soulevées par la classification du Professeur René DAVID ; de ZWEIGERT et
156
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
aujourd’hui dépassée en droit comparé. Le droit français fait partie de la famille romanogermanique qui englobe les systèmes de tradition civiliste. Le droit civil y règne en maître
avec le Code civil et son fonds principalement écrit. Droit civil auquel appartiennent l’étude
des droits subjectifs et celle des titulaires de ces droits. Le droit civil représente le socle, du
droit privé419.
285.
Le droit commercial fait partie de ces rameaux spécialisés qui au contraire du droit civil
viennent apporter des réponses parcellaires sur des questions tout aussi limitées. La définition
du droit commercial est liée à celle du droit civil au sein duquel il a pris forme pour ensuite se
séparer. C’est au Moyen âge qu’il faut remonter pour relever les prémices du droit
commercial. Avec « le développement du commerce sous l’impulsion des foires » 420. Même
si l’ancien régime et la révolution ont été déterminants par la suite dans l’évolution du droit
commercial. Droit commercial que l’on pourrait présenter de la manière suivante : partie du
droit privé relative aux opérations juridiques faites par les commerçants, soit entre eux, soit
avec leurs clients ; opérations qui se rapportent à l’exercice du commerce, et sont dites, pour
cette raison, actes de commerce 421. L’on avait ainsi d’une part, le droit dit « fondamental »
représenté par le droit civil et le droit que nous qualifierons de « spécial », le droit commercial
d’autre part. Une discipline censée à l’origine être exclusivement réservée aux commerçants.
C’est suivant le même ordre d’idées que le Doyen Didier GUEVEL affirme que « le droit
commercial est l’ensemble des règles de droit privé susceptibles d’être judiciairement
sanctionnées relatives à certaines opérations, les actes de commerce, certaines personnes les
KÖTZ, en passant par M. MATTEI, tous ont cela de commun qu’ils ont jugés les critères de R. DAVID trop
larges.
419
V. sur la question, J. CARBONNIER, Droit civil, op.cit., p. 122.
420
D. HOUTCIEFF, Droit commercial, 4e éd., Paris, DALLOZ, SIREY, 2016, n°6, pp 2-3.
421
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des affaires : Du droit commercial au Droit
économique, 20e éd., Tome I, Issy-Les-Moulineaux L.G.D.J, Lextenso éditions, 2016, n°1, p.23. V. également J.
MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. TAGLIARINO-VIGNAL, Droit
commercial, Droit interne et aspects de droit international, 29e éd., Paris, L.G.D.J., Lextenso éditions, 2012, n°2,
p.1. D’autres auteurs définissent le Droit commercial également dans un sens large en énonçant qu’il détermine
le statut des commerçants ainsi que le régime applicable aux opérations juridiques que les uns et les autres
accomplissent dans l’exercice de leur commerce. Ils précisent cependant que ce droit a connu au fil du temps de
nombreuses mutations dues à l’enrichissement du droit commercial par de nouvelles réglementations et la
diversification de ses sources. V. M. PEDAMON, H. KENFACK, Droit commercial : Commerçants et fonds de
commerce, concurrence et contrats de commerce,4e éd, Paris, Dalloz, 2015, n°1, p. 1.
157
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
commerçants, et/ou certains biens, les fonds de commerce dans la mesure où ils s’insèrent
dans la circulation des richesses, dans un esprit de lucre et sans intellectualité nécessaire » 422.
286.
L’évolution vers une fusion. L’évolution et le développement des activités commerciales
ont vu l’apparition de nouveaux biens, le fonds de commerce, l’entreprise notamment. Créant
une forme de révolution dans les classifications et distinctions classiques. La frontière entre
droit privé et droit public, droit civil et droit commercial n’est plus aussi nette. Le droit
commercial sort de ses limites naturelles423. Le domaine du droit commercial a connu une
extension progressive aux dépens du droit civil. Extension qui s’opère par voie d’annexion, à
travers le déplacement de la frontière entre les deux branches au profit du droit commercial424
et également par voie d’infiltration en intégrant des activités considérées comme civiles425.
Cette extension a donné lieu à l’apparition d’une notion concurrente au droit commercial
désignée sous le vocable droit des affaires. L’opinion dominante en dépit des controverses
liées au domaine, à la dénomination de cette discipline retient que le droit des affaires a un
domaine plus vaste que le droit commercial. Le droit des affaires va bien au-delà de la sphère
commerciale, bien au-delà des commerçants. Bien plus qu’à des personnes, c’est à un bien
que cette nouvelle discipline s’intéresse. À l’entreprise, bien économique, qui s’appréhende
bien plus largement que la notion de commerçant. « Est une entreprise toute entité organisée
ayant une activité économique de production, de distribution ou de prestation de services » 426.
287.
L’apparition de cette nouvelle entité a fortement contribué à la remise en cause de la
distinction classique par le biais du droit des affaires qui peut être défini comme « l’ensemble
des règles de droit applicables aux entreprises en général » 427. Cette précision est essentielle.
Elle permet d’expliquer les ramifications entretenues par le droit des affaires avec d’autres
422
D. GUEVEL, Droit du commerce et des affaires, 5e éd., Paris, L.G.D.J, 2017, n°18, p. 19.
423
Ch. LAURENT, De la fusion du droit civil et du droit commercial, Paris, 1903, p. 48.
424
M. PEDAMON, H. KENFACK, Droit commercial : commerçant et fonds de commerce, concurrence et
contrats du commerce, 4e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°82, p. 82. L’exemple du droit des sociétés est pris pour
illustrer l’annexion ; la qualification de société civile ou commerciale dépend désormais de la forme et non plus
de l’objet.
425
M. PEDAMON, H. KENFACK, ibid. ; le droit commercial applique de plus en plus les règles de droit civil et
s’applique à des non-commerçants.
426
J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, Droit des Affaires : Commerçants, concurrence, distribution, 9e éd., Paris,
L.G.D.J, 2017, n°2, p. 21.
427
J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, ibid.
158
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
branches du droit. Le droit des affaires « englobe par exemple des questions qui relèvent du
droit public avec l’intervention de l’État dans l’économie, le droit fiscal, le droit du travail ou
encore le droit civil notamment la protection des consommateurs » 428. Il englobe autant qu’il
est possible de le faire, les acteurs de la vie économique. Le droit de l’OHADA se veut un
droit des affaires, ou du moins un ensemble de règles visant à harmoniser le droit des affaires
des États membres. En cette qualité, les actes élaborés et adoptés s’affranchissent de la
distinction classique droit privé droit public. Si l’on en croit les différents Actes uniformes, il
est indéniable que les rédacteurs sont sortis du cadre strict du droit civil et de celui strict du
commerçant donc du droit commercial pour s’intéresser à la vie des affaires, aux
entreprises429.
288.
Le droit de l’OHADA réalise en certains de ses aspects une fusion entre le droit civil et le
droit commercial430. Bien sûr, le droit des affaires englobe la réglementation des différentes
composantes de l’économie431. La fusion est perceptible à bien des égards. Prenons à titre
illustratif l’AUDCG qui « n’a pas seulement traité des commerçants dans leur ensemble. Il a
également abordé les institutions publiques qui veillent sur le commerce, les auxiliaires qui
prêtent leur ministère aux opérations de commerce, les institutions relevant du droit civil,
mais dont la rigueur et la stabilité devront concourir à la sécurisation des biens de l’entreprise
et du professionnel. Dans cet esprit et selon toute vraisemblance, l’on peut dire sans risque de
se tromper que le législateur de l’OHADA ne considère pas la distinction comme un obstacle
au processus en cours » 432.
428
Y. GUYON, Droit des affaires, Droit commercial général et sociétés, 12e éd., Tome I., Paris, éd. Economica,
2003, n°1, p. 1.
429
Les termes du Traité fondateur de l’OHADA sont sans équivoque. L’objectif principal est de doter les États
membres de règles communes en matière de Droit des affaires avec une finalité économique : améliorer le climat
des affaires et renforcer la confiance des investisseurs.
430
Cette idée de fusion n’est pas nouvelle. V° Ch. LYON-CAEN, « De l’influence du droit commercial sur le
droit civil depuis 1804 », in Livre du centenaire, Code civil : 1804-1904, Paris, Dalloz, 2004, p. 208. Il affirmait
que « les différences qui subsistent entre le droit civil et le droit commercial n’ont rien d’essentiel(...) ; il ne faut,
par suite, pas s’étonner que beaucoup de ces différences aient disparu ou se soient, tout au moins, atténuées ».
431
432
P. DIDIER, Droit commercial, 2e éd., Tome I, Paris, P.U.F., Coll. Thémis Droit, p.21-22.
J. DIFFO-TCHUKAM, « La distinction droit commercial-Droit civil à l’épreuve du droit OHADA :
Prospective de droit matériel uniforme », Rev. dr. unif, UNIDORIT, Vol. XIV, 2009, p. 57. L’auteur rappelle à
toutes fins utiles que « les archives de philosophie du droit révèlent que le problème de l’unification du droit civil
et du droit commercial a fait l’objet de multiples études à la fin du XIXème siècle, notamment lorsque la Suisse a
réuni en un seul Code, toute la matière des obligations. Depuis que les Pays-Bas (1934) et l’Italie (1942) ont
159
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. Des règles de procédures à la frontière du droit civil et du droit commercial
289.
La spécificité des règles de procédure. Les règles de procédure sont différentes d’une
discipline, d’une branche à une autre, ou devraient l’être. La procédure est une branche du
droit processuel433, science du droit ayant pour objet de déterminer les règles d’organisation
judiciaire, de compétence, d’instruction des procès et d’exécution des décisions de justice.
Ainsi, l’on distingue les procédures administrative, civile, pénale ou criminelle qui constituent
respectivement les règles d’organisation judiciaire, de compétences, d’instruction propres aux
juridictions de l’ordre administratif, civiles de l’ordre judiciaire et pénales de l’ordre
judiciaire. L’on désigne également par « procédure », l’ensemble des actes successivement
accomplis pour parvenir à une décision.
290.
Le dispositif des règles de procédure est conforme à la distinction classique entre le droit
privé et le droit public même si le Professeur Paul Roubier préfère que la procédure soit
placée tout entière dans le droit mixte434. Les règles, institutions, interlocuteurs étant différents
d’un ordre à un autre. Même s’il existe des dispositions communes à toutes les juridictions435.
En droit public précisément en droit administratif436, le principe d’égalité, qui gouverne le
procès en droit privé est perçu de manière différente voir même n’existe pas. Les parties en
présence étant les particuliers et la puissance publique dotée de prérogatives exorbitantes du
renoncé à la distinction traditionnelle entre ces deux branches du droit privé, la question connaît un regain
d’actualité. Elle a été évoquée comme thématique centrale des Journées de Pavie et de Milan de l’Association
Henri Capitant en septembre 1953 et lors d’un colloque tenu à Paris du 6 au 10 octobre 1953. Aujourd’hui, le
législateur européen a jeté les bases d’un Code européen des contrats. Au regard du rapprochement souhaité des
solutions dans le processus d’harmonisation proclamé par le législateur OHADA, l’on s’acheminerait très
sensiblement, toute proportion gardée, vers l’assimilation des régimes particuliers applicables tant aux opérateurs
du commerce international qu’à certaines transactions professionnelles qui ne sont pas nécessairement de nature
commerciale ».
433
Le droit processuel est perçu comme une science comparative fondée sur le rapprochement des procédures en
différentes disciplines juridiques et l’étude des thèmes communs à tous les procès.
434
P. ROUBIER, Théorie générale du droit, op. cit., p. 315.
435
Conformément au Code de procédure civil, certaines règles sont identiques d’une juridiction à une autre ;
c’est notamment le cas des principes directeurs du procès. L’article 1 du Code de procédure civile dispose que
« Seules les parties introduisent l’instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d’y
mettre fin avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du jugement ou en vertu de la loi ». Code de procédure civile,
Paris, éd. LexisNexis, éd. 2016, annoté par Loïc CADIET, p. 6.
436
Ensemble de règles définissant les droits et les obligations de l’administration. Il constitue la partie la plus
importante du droit public.
160
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
droit commun437. Aussi, toute procédure contentieuse, juridictionnelle est en réalité
impérativement précédée d’un recours administratif, qualifié de hiérarchique. Si l’on s’en tient
aux textes de plus en plus nombreux qui prévoient l’obligation de saisir l’autorité
administrative avant toute procédure juridictionnelle : ainsi, tout recours contentieux en
matière de Revenu de Solidarité Active doit être précédé d’un recours préalable devant le
président du Conseil général. Le développement de ces recours préalables obligatoires est,
alors, de nature à créer les conditions d’un dialogue plus fréquent entre les administrés et
l’Administration. Le droit privé est défini par les rapports égalitaires, des procédures, des
instances gouvernées par l’idée de réparation et d’accord. Que ce soit en droit civil ou en droit
commercial, l’accent est mis sur la négociation, fondement de relation conventionnelle. Une
fois des problèmes ou conflits survenus, le dialogue est le principe. Raison pour laquelle, en
droit privé, les modes alternatifs de règlement des litiges sont plébiscités alors qu’hypothèse
inverse en droit public, précisément en droit administratif ils sont exceptionnels quand ils ne
sont pas interdits. Par exemple, l’arbitrage, c’est-à-dire le recours à des juges conventionnels,
est en principe interdit, sauf si un texte le prévoit. Quant à la technique de la conciliation, elle
n’a pas fait l’objet de véritable consécration438. Dans la phase contentieuse, le juge
administratif dispose de prérogatives plus élargies que celles du juge de l’ordre judiciaire
privé. Comme le précise Charles DEBBASCH, « le juge administratif dispose de pouvoirs
importants pour éventuellement limiter le cadre de l’instance, en imposant des conditions de
recevabilité plus ou moins sévères aux requêtes dont il est saisi, en accordant le sursis à
exécution d’une décision administrative, en dirigeant l’instruction (…) » 439.
437
Ces prérogatives exorbitantes du droit commun sont définies en lien avec les clauses exorbitantes de droit
commun dont l’utilisation et l’existence trouvent leur justification dans la satisfaction de l’intérêt général. Les
clauses exorbitantes sont des clauses dérogatoires. C’est le très vieil arrêt du Conseil d’État "Société des Granits
porphyroïdes des Vosges" en date du 31 juillet 1912 qui est venu quantifier cette notion. En l’espèce, la ville de
Lille avait commandé des pavés pour la voirie à la société et un litige entre les deux s’était élevé. Léon Blum,
commissaire de gouvernement, déclara que ces pavés étaient fournis au service de la voirie, un service public de
la ville de Lille. Le Conseil d’État a donc mis en place cette condition de la clause exorbitante du droit commun
pour pouvoir qualifier un contrat d’administratif et pouvoir se révéler compétent dans le litige. La plupart du
temps le juge condamne un ensemble de clauses et non pas une clause unique.
438
Les différences existent également au niveau de l’instance, du procès en tant que tel : à la différence du procès
civil ou le demandeur peut attaquer directement devant le juge la partie adverse, le procès administratif suppose
l’existence d’une décision préalable. En effet, le juge ne peut être saisi que dans la cadre d’un recours dirigé
contre une décision déterminée. La procédure administrative contentieuse est inquisitoriale, se distinguant ainsi
de la procédure civile de type accusatoire ou la marche du procès est menée par les parties.
439
C. DEBBASCH, « Procédure administrative contentieuse et procédure civile : Etude de Droit comparé
interne », Aix-En-Provence, La pensée universitaire, 1960, in RIDC., vol. 13, n°4, oct-déc. 1961. pp. 863-865.
161
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
291.
L’option pour les procédures non contentieuses. L’OHADA n’est pas en marge de la
préférence affichée en droit privé pour les procédures non contentieuses ayant à cœur
d’œuvrer pour l’harmonisation du droit des affaires. Au soutien de son œuvre, intervient la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui, à côté de ses fonctions contentieuses, exerce des
fonctions consultatives et arbitrales qui contribuent à la sécurité judiciaire. La CCJA a des
attributions spécifiques en matière d’arbitrage institutionnel. Elle administre les procédures et
statue en cassation sur les recours en contestation de validité. D’une part, elle administre les
arbitrages institutionnels sous son égide, en arrêtant la liste des arbitres, en s’occupant
également de désigner et/ou confirmer les arbitres et en organisant les procédures arbitrales.
D’autre part, la CCJA exerce des compétences juridictionnelles pour les arbitrages. À ce titre,
elle ordonne l’exequatur des sentences rendues sous son égide et, en cas de recours en
contestation de validité d’une sentence arbitrale, statue en assemblée plénière. Les règles de
procédure que les parties doivent respecter sont celles prévues en la matière par la CCJA.
L’arbitrage OHADA a cela de particulier qu’il s’applique à tout différend d’ordre contractuel
qu’il soit civil ou commercial440. Les règles de procédures tiennent compte de cette mixité
consacrée par le champ d’application de l’arbitrage OHADA.
292.
Les fonctions consultatives exercées par la CCJA, permettent à cette dernière d’être
sollicitée par tout État partie ou par le Conseil des ministres sur toute question relative à
l’application ou à l’interprétation du droit de l’OHADA. La même faculté de solliciter l’avis
consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies. Cet instrument
processuel a pour objet d’éviter une dispersion de l’interprétation du droit
441
. Grâce à ces
attributions qui créent un cadre de dialogue, la CCJA intervient pour apporter une ligne
directrice, une ligne de conduite lorsqu’elle est sollicitée et lorsqu’il s’agit de juridictions les
incidences sur le droit processuel ne sont pas négligeables. En effet, en donnant son avis sur le
droit applicable, la CCJA définit de facto, de manière implicite, la procédure appropriée.
Ainsi, lorsqu’une affaire comporte des aspects relevant du droit national et du droit uniforme,
la mixité des procédures ne fait l’ombre d’aucun doute ; les juridictions nationales suprêmes
440
Article 21 du Traité : « En application d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute
partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans un des États Parties,
soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le territoire d’un ou plusieurs États Parties, peut
soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure d’arbitrage prévue par le présent titre ».
441
J. KAMGA, « Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du système
juridique de l’OHADA », OHADATA D-12-85.
162
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
selon leurs règles connaîtront de l’aspect qui les concerne quand la juridiction commune sera
saisie suivant la procédure qui est la sienne. Encore que la procédure contentieuse définie par
la CCJA soit perçue comme étant imprécise et incomplète en plusieurs aspects : l’acte
introductif de l’instance, les moyens de cassation ou encore les cas d’ouverture en cassation.
293.
L’extension du caractère hybride du droit de l’OHADA. Le droit de l’OHADA étant un
droit hybride, il n’est pas surprenant que ses règles procédurales présentent un caractère
identique. En droit de l’OHADA, se mêlent personnes physiques, morales, de droit public et
de droit privé. Hormis la procédure pénale qui est exclue du champ d’application du droit de
l’OHADA, les questions d’ordre pénal relevant de la compétence exclusive des autorités des
États membres, l’on relève à la lecture du dispositif juridique de l’OHADA, la présence de
règles de procédure. Ces règles concernent aussi bien les organes mis en place en vue de
l’atteinte de l’objectif d’harmonisation que les actions dont disposent les destinataires du droit
de l’OHADA. Ces règles coexistent avec celles des pays membres de l’OHADA qui sont soit
purement civiles ou purement commerciales. Déjà qu’il existe, une forte disparité procédurale
dans l’espace OHADA, la solution idoine qui serait de nature à garantir la sécurité judiciaire
consisterait à réaliser un rapprochement du droit processuel des affaires dans l’espace
OHADA. La méthode idéale serait un rapprochement par voie d’harmonisation des principes
directeurs.
§ 2. Les incidences de la mixité
294.
La mixité a des incidences sur le cadre juridique (A) et sur l’organisation des États
membres (B).
A. Les incidences sur le cadre juridique
295.
Du fait de la mixité, deux ordres juridiques doivent coexister (1) et le droit commun
national se transforme en droit mixte (2).
1. La coexistence de deux ordres juridiques
296.
La mutation de l’ordre juridique interne au contact du droit de l’OHADA. La création
de l’OHADA a emporté de notables conséquences au niveau des États membres. Chaque État
est caractérisé par sa souveraineté à laquelle sont rattachés les pouvoirs qui sous-tendent la
séparation des pouvoirs. Ainsi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire déterminent
l’exercice du pouvoir politique au sein des États parties au Traité OHADA. La souveraineté
163
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
commande que les règles attachées aux pouvoirs susmentionnés soient élaborées et définies
par et pour lesdits États. Le pouvoir législatif par exemple, à qui incombe l’élaboration des
lois qui s’appliquent sur le territoire national, ne souffre en principe d’aucune influence
extérieure. Les lois élaborées, votées et en vigueur ne le sont qu’en raison de la volonté des
représentants du peuple.
297.
L’ordre juridique interne des États membres se présente suivant la classification qui a cours
dans l’ensemble des États et qui veut que l’on distingue le droit public du droit privé. Le droit
civil, le droit du travail, le droit des assurances, côtoient le droit constitutionnel et le droit
administratif. L’histoire des États membres, difficilement dissociable de la colonisation, a eu
une forte influence. Parlant du droit commercial, considéré dans son acception originelle, il
n’est pas parvenu à réglementer de manière satisfaisante le monde des affaires. L’avènement
de l’OHADA a également été celui du droit de l’OHADA, de l’ordre juridique OHADA,
comme dirait le Professeur Paul Gérard POUGOUE. L’ordre juridique qui constitue
« l’ensemble des règles de droit qui régissent une communauté humaine » 442. L’OHADA
regroupement d’États, renferme forcément une communauté humaine. Chaque État membre
doit désormais tenir compte des règles juridiques issues du Traité fondateur de l’OHADA.
Des règles dont la substance se trouve dans les dix (10) Actes uniformes qui ont été élaborés.
298.
La situation est simple : l’OHADA apparaît comme la solution miracle aux problèmes
d’une Afrique subsaharienne qui peine à retrouver la confiance des investisseurs étrangers et
des grandes puissances mondiales. Un environnement des affaires des États africains qui se
définit par le règne du secteur informel, l’insécurité juridique et judiciaire. En réglementant le
droit des affaires, l’OHADA entend fournir une véritable alternative aux difficultés
rencontrées par la plupart des signataires du Traité fondateur. L’ordre juridique OHADA vient
se greffer à celui des États membres mais de manière précise. En effet, l’on aurait pu penser
que coexisteraient le droit des affaires OHADA et le droit des Affaires des États membres.
Seule difficulté, le droit des affaires n’est pas formellement défini au sein de ces États, aucune
définition ne lui est consacrée dans les textes. Si bien qu’il est difficile d’imaginer une
superposition stricte et simple du droit de l’OHADA au droit national.
442
P.-G. POUGOUE, « Missions et organisation de l’OHADA », Doctrine OHADA, [www.ohada.com].,
OHADATA D-13-01. Mais l’auteur poursuit le raisonnement qui l’amène à conclure à l’existence d’un ordre
juridique OHADA. Il évoque à raison l’existence d’un ordre normatif constitué de normes structurées,
cohérentes et d’un ordre judiciaire assurés concernant l’OHADA par les Actes uniformes d’une part et la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage de l’autre.
164
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
299.
La classification des matières. D’autant plus que certaines des matières relevant du
domaine du droit des affaires de l’OHADA relèvent quant à elles du droit civil national. Le
droit des sûretés, le recouvrement des créances, les voies d’exécution sont classés dans la
catégorie « droit civil ». Alors est-ce à dire qu’avec le droit des sûretés tel que perçu d’un
point de vue national, coexiste un droit des sûretés « affairiste » ? Quelle est donc la
frontière ? Au sein des pays membres, deux blocs de règles ont vocation à régir
principalement les relations privées : celles issues du droit civil et celles du droit commercial.
La frontière est très nette et marquée. Si bien que des tribunaux de commerce443 ont émergé au
sein de la plupart des États membres afin de renforcer les frontières, du point de vue du droit
applicable à un litige donné.
300.
L’OHADA et les règles juridiques qui forment son droit trouvent leur essence dans le
Traité, accord conventionnel signé par des États. Il ne fait aucun doute qu’en adhérant au
Traité constitutif, les États adhèrent par voie de conséquence à l’ensemble du dispositif
juridique qui ne leur est évidemment pas inconnu. Sans évoquer les modalités de la
cohabitation entre les deux ordres juridiques, national et communautaire, à savoir si elle se
fera par substitution, adjonction ou superposition, il est impérieux de constater que désormais
deux ordres juridiques ont vocation à régir les questions d’ordre civil et commercial. Le droit
dérivé de l’OHADA et donc les Actes uniformes qui en constituent l’essentiel, « font partie
d’un ordre juridique propre institué par le Traité fondateur de l’OHADA couvrant l’ensemble
des États partie » 444. Cet ordre juridique issu du Traité fondateur de l’OHADA qui est destiné
à produire des effets prend la forme d’un droit national. L’existence de deux ordres juridiques
crée des interactions qui se manifestent, soit par des influences réciproques, soit par les
incidences de l’un sur l’autre et couvrent plusieurs domaines. Les incidences sont également
perçues au niveau du droit commun national.
2. Un droit civil national mixte
301.
Les contours de la mixité du droit civil national. L’une des importantes conséquences de
la création de l’OHADA est bien l’incidence qu’elle a eue sur le droit national en général et le
droit civil en particulier. De manière traditionnelle, relèvent du droit civil entre autres le droit
des personnes, le droit de la famille, le droit des biens, le droit des obligations, le droit des
443
La Côte d’Ivoire s’est dotée en plus d’un Tribunal de commerce, d’une Cour d’Appel de commerce.
444
P.-G. POUGOUE, Y.-R. KALIEU-ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, op.cit, n°50, p. 64.
165
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
successions, le droit des sûretés, le droit de la consommation. Toute question relative au
monde des affaires, aux entreprises, était du ressort du droit commercial ou de textes
spécifiques élaborés en vue de lever la difficulté soulevée. Le droit de l’OHADA affecte le
droit civil national de deux manières : en raison de la supranationalité445 consacrée
textuellement, le droit de l’OHADA s’impose au droit civil, soit par substitution, soit par
adjonction, entraînant par la même voie une mutation dudit droit . Dans cette hypothèse et
particulièrement dans celle de la substitution, le droit national pour la matière concernée perd
sa qualification de droit civil puisqu’il est remplacé par « un droit des affaires ». Par exemple,
en droit des sûretés, seul le droit de l’OHADA est applicable sauf exception expressément
définie. Les sûretés personnelles ou réelles sont constituées, modifiées, éteintes, suivant le
régime juridique à elles prêtées par l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés. L’adjonction
qui permet au droit national de subsister, intervient lorsque le droit de l’OHADA est complété
ou précisé, par le mécanisme du renvoi notamment.
302.
Les développements précédents ont mis en lumière une réalité : le droit de l’OHADA fait
partie intégrante de l’ordre juridique applicable sur le territoire tout en conservant sa nature
propre. Il exerce une réelle influence sur le droit civil national des États membres. La situation
est simple : la nature du droit national civil est aussi modifiée par la nature du droit de
l’OHADA. Ce droit hybride comporte effectivement des données qui relèvent aussi bien du
droit privé que du droit public. Que ce soit par substitution ou adjonction, le droit civil
national perd son identité parce qu’ intégrant des éléments épars et différents. Les Actes
uniformes consacrent une soumission plus affirmée de l’État au droit privé par le biais de
l’extension de leur champ d’application aux personnes morales de droit public. Par exemple,
l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution précise en son article 1 que « le recouvrement
d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction
de payer » 446. L’élément essentiel est bien la créance indépendamment du fait qu’elle existe
en faveur ou à l’encontre d’une personne publique ou privée.
445
L’article 10 du Traité de Port Louis unanimement reconnu comme étant le siège de la force impérative des
Actes uniformes en ce qu’ils sont d’application directe et immédiate, définit le type de relation qui existe entre
droit civil national et droit de l’OHADA. Relation qui prend plus la forme d’une relation mettant en place des
rapports hiérarchiques et de force faisant intervenir une question chère et essentielle aux États membres : la
souveraineté.
446
Les articles 2, 3 et 4 de l’Acte uniforme du 10 avril 1998, JO OHADA n°6, du 01/06/98, portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution confirment l’idée d’une ouverture des
procédures aux personnes publiques ; en effet, aucune précision n’est apportée quant aux personnes concernées
166
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
303.
L’exigence du dépassement de la distinction droit civil-droit commercial. Le droit de
l’OHADA impose le dépassement de la distinction classique droit civil droit commercial aux
États membres, en des aspects non négligeables. Le droit privé des États membres,
principalement constitué du droit commercial et du droit civil, subit une métamorphose. L’on
assiste à une sorte de fusion réalisée par le droit de l’OHADA qui renferme des aspects à la
fois de droit commercial et de droit civil. Parlant du droit civil des États membres, l’on note
une mutation en une nouvelle forme. Prenons à titre illustratif le droit civil ivoirien, hérité du
droit français. Un passage en revue du Code civil, notamment dans la rubrique des sûretés met
en exergue les transformations qui interviennent du fait du droit des sûretés de l’OHADA. S’il
est vrai que les dispositions du Code civil en la matière avaient vocation à s’appliquer
indépendamment du domaine en l’absence de texte spécial, c’est véritablement la nature
hybride du droit de l’OHADA qui induit le changement. L’on constate que les dispositions du
Code civil ivoirien en matière de cautionnement sont sommaires et manquent cruellement de
précision. Selon l’article 2015, « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et
on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Le texte ne
fournit aucune forme de détails sur la forme que doit revêtir le cautionnement au contraire de
l’article 14 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
304.
L’étendue de l’œuvre harmonisatrice de l’OHADA permet de prendre la mesure de la
mixité qui existe en matière de droit civil. L’adoption d’un texte uniforme relatif au droit des
contrats est en projet et à ce niveau deux théories s’affrontent : d’un côté, ceux qui pensent
que le droit des contrats devrait être un droit des contrats spéciaux qui réglementerait des
aspects particuliers des relations contractuelles. Et de l’autre, ceux qui militent en faveur d’un
texte directeur qui englobera contrats civils et contrats commerciaux. Dans un cas comme
dans l’autre, le droit civil des États membres subira l’influence du dispositif mis en place par
l’OHADA. En clair, en traitant de contrats de nature civile, ces règles viendront enrichir le
droit civil des États membres lorsqu’elles ne les supplanteront pas. Une approche a été retenue
par la Fondation pour le Droit continental, qui a consisté à préparer un avant-projet de texte
uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA. Le projet couvre tout le
droit des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive. Il porte sur les obligations
civiles et commerciales et contient également des dispositions sur le conflit de lois en matière
ou encore quant à la forme juridique de la personne morale qui dépose la requête par exemple. L’on en déduit
qu’une société commerciale, une société civile ou encore une société mixte ou publique pourrait déposer une
requête aux fins de demande d’ouverture de la procédure d’injonction de payer.
167
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’obligations. Si un tel projet voyait le jour, les législations nationales, suivant la nature du
texte, seront caractérisées en matière civile par une réelle mixité.
B. Les incidences sur l’organisation au niveau des États membres
305.
La mixité induite par le droit de l’OHADA influence l’organisation étatique des États
membres (1) et les particuliers (2).
1. Les incidences sur l’organisation étatique
306.
Les incidences de la communauté d’institutions et d’organes. L’OHADA est un
regroupement d’États souverains et organisés de manière différente, suivant le type de régime
en
place.
La
création
d’une
organisation
qualifiée
de
« supranationale »,
de
« communautaire », par une fraction de praticiens, induirait des changements importants au
niveau des États membres. En effet, une organisation dotée d’une juridiction commune, d’un
législateur tout aussi commun et d’un pouvoir politique, la conférence des chefs d’État et de
gouvernement en l’occurrence, laisserait entrevoir l’émergence d’un super-État doté des
pouvoirs judiciaires, législatif et exécutif. Dans ce cas, ceux des pays membres seraient remis
en cause. En réalité, l’influence de l’OHADA, quoique réelle, est à relativiser simplement
parce qu’en dépit des larges prérogatives qui sont les siennes, elle ne peut modifier la nature
des États ou le régime. S’il y a un fait qui demeure immuable, c’est bien que l’adhésion à
l’OHADA, n’emporte aucunement perte de la qualité d’État. Il n’y a pas de « processus de
désétatisation des États membres du système juridique : ils demeurent souverains, puisque le
Traité et les conventions qui sont des ordres juridiques propres se trouvant intégrés aux
systèmes juridiques des États membres, n’appartiennent pas à un ordre juridique
institutionnel » 447. En matière de droit des affaires, aux institutions qui matérialisent les trois
pouvoirs dans l’organisation de l’État, se greffent celles communautaires issues de l’adhésion
au Traité fondateur de l’OHADA. Ainsi gouvernement, justice et parlement arborent les
couleurs de la mixité qu’elles impriment aux États membres. Lorsque des questions se posent,
les États membres interviennent dans le cadre de l’organisation commune à laquelle elle a
délégué certaines prérogatives régaliennes.
307.
La limitation des pouvoirs. Cependant, la décision d’adhérer au Traité de Port Louis,
emporte des changements notables. Changements qui se matérialisent par la limitation de
447
J. GATSI, L’effectivité du Droit de l’OHADA, P.U.A, Coll. Dr. unif., 2006, p. 43.
168
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’exercice de la souveraineté et par voie de conséquence de celui des trois pouvoirs. S’il est
vrai que le parlement demeure investi du pouvoir de légiférer, il est tout aussi vrai qu’il sera
cantonné à un rôle de conseil quand il s’agira de l’élaboration des Actes uniformes par
exemple. Le pouvoir exécutif est quelque peu transféré dans le cadre de la conférence des
Chefs d’État lorsque sont débattues des questions relatives aux Actes uniformes.
L’organisation judiciaire est celle qui ressent l’impact de la mixité voulue par l’OHADA. Les
pays membres ont été appelés à mettre en œuvre des réformes consistant en la création de
tribunaux de commerce. Il était impératif de donner la tribune nécessaire au droit de
l’OHADA, ce droit hybride de s’appliquer pleinement, car « à droit spécial, juridiction
spéciale ». Hormis le changement au niveau des juridictions de fond, les juridictions suprêmes
ont dû faire peau neuve et revêtir les vêtements de la dualité, la mixité : les cours suprêmes
cohabitent pacifiquement ou non avec la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) et
s’effacent dès lors que le litige concerne l’application du droit de l’OHADA448.
308.
L’État, régulateur du nouvel ordre juridique. L’État intervient comme un régulateur de
ce nouvel ordre juridique qui est créé et qui joint le droit de l’OHADA et le droit interne. En
réalité, il incombe à chaque État membre de mettre en œuvre les conditions optimales pour
l’application et la vulgarisation des règles juridiques nouvelles. Quoi qu’il en soit, il veille à
assurer la conformité du dispositif national à celui qui vient s’y greffer ou qui vient le
remplacer en plusieurs points. De même, il lui appartient d’apporter son concours à
l’application des dispositions du nouvel ordre juridique. Cette idée ressort des Actes
uniformes qui l’énoncent de manière explicite449 ou non. L’OHADA s’appuie sur les
institutions nationales, locales pour produire la plénitude de ses effets. La ressource humaine
ou matérielle des États membres est mise à contribution, que ce soit au niveau des institutions
judiciaires qui interviennent en première instance et en appel ou les centres d’arbitrage
nationaux, ou que ce soit au niveau des instances de création des entreprises.
2. Les incidences sur les justiciables
309.
Le contentieux. Une règle n’a de valeur qu’en raison de son application effective à ses
destinataires. Il leur revient de donner toute sa pleine mesure à un texte de loi, aux règles
448
Cf. supra, n°158, p. 87.
449
L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
fait obligation aux États membres de prêter leur concours à l’exécution des décisions et des autres titres
exécutoires.
169
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
prévues par une discipline. À titre d’exemple, le droit de la consommation ne doit son
efficacité qu’à l’application qui en est faite par les consommateurs et les professionnels dans
une certaine mesure. La force du droit de l’OHADA réside dans le fait que ses destinataires,
personnes morales ou physiques de droit public ou de droit privé, puissent s’en prévaloir. Ils
doivent en menant une action en justice, en entamant une procédure quelconque, vérifier le
droit applicable et la disposition concernée, d’où l’impact de la mixité. Avant l’avènement de
l’OHADA, la situation était simple : le choix était fait entre droit civil et droit commercial ou
autres textes spéciaux. Il faut désormais compter avec, un droit civil comportant plusieurs
aspects de droit commercial ou, pour toutes les questions non réglementées en droit interne,
avec un droit des affaires déroutant. Un seul contentieux bien qu’étant porté devant la CCJA,
peut donner lieu à l’application de règles de droit civil pur et de droit des affaires de
l’OHADA. Le justiciable portera devant les tribunaux une affaire qui relèvera dans certains de
ses aspects des juridictions nationales et dans d’autres de la CCJA. Tout facteur qui, il
convient de le rappeler peut avoir des conséquences néfastes sur le recours à la juridiction
commune. Alors que le principe fondamental dans le milieu des affaires est la célérité.
310.
Ici, n’est pas remise en question la citoyenneté ou la nationalité des ressortissants des pays
membres qui demeurent soumis au droit interne, mais l’application du droit de l’OHADA
perturbe un tant soit peu l’idée que l’on se fait des frontières. Le droit de l’OHADA étant un
droit transnational450, l’on dira qu’il suit la personne physique ou morale sur chacun des
territoires des États membres. Il est impossible parce que se trouvant hors de son pays, de se
référer à son droit interne pour des questions abordées par le droit de l’OHADA, en arguant
que seul celui-ci nous est applicable. Autant les États membres ne peuvent écarter
l’application d’une disposition du droit de l’OHADA en invoquant le droit interne, autant les
personnes physiques et morales de droit privé ne peuvent se soustraire à l’application du
« droit communautaire ».
311.
Le cas du contentieux de l’exécution. Le juge de l’OHADA a entendu concentrer le
contentieux de l’exécution entre les mains d’un seul juge. L’AUPSRVE, à l’image de l’article
8 de la loi française n°91-650 du 9 juillet 1991, édicte en règle générale que : « la juridiction
compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution
forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière
450
Supra, n°82., p. 49.
170
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’urgence ou le magistrat délégué par lui »451. La détermination de la nature ou de la qualité
du juge dont il est question, a alimenté les débats doctrinaux et continue de le faire, d’autant
plus que les États membres conservent la compétence exclusive en matière d’organisation
judiciaire. Il leur revient de désigner, la juridiction compétente en matière d’exécution.
Plusieurs thèses sont en présence, si bien que l’article 49 a été à l’origine d’une véritable
controverse. Selon la première thèse qui est majoritaire, le juge dont traite l’article 49 est le
juge des référés452. La seconde thèse soutient que l’on a affaire à un juge spécial distinct du
juge des référés : le juge de l’exécution, qui conserve le statut de juridiction présidentielle
c’est-à-dire un tribunal spécial dont les compétences sont exercées par un seul magistrat. Il
s’agirait du Président du Tribunal de Première Instance. Mais c’est la dernière thèse qu’il
convient de retenir. Elle veut que l’assimilation du juge visé à l’article 49, à la fois juge du
provisoire, juge du principal et même juge des requêtes, au juge des référés ou au juge de
l’exécution, soit contestable. « La juridiction visée à l’article 49 de l’Acte uniforme est un
juge hybride, qui emprunte au juge des référés, juge du provisoire, sa procédure pour des
raisons évidentes de célérité, et au juge de l’exécution français, juge du fond, sa compétence
d’attribution pour des raisons d’efficacité » 453.
Avec l’intégration du droit de l’OHADA au droit civil national, un système juridique mixte a
été mis en place. La nature de l’OHADA et de son dispositif juridique, ainsi que le
dépassement de la distinction classique droit civil/droit commercial en sont les facteurs.
L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil national est bien consacrée, de ce point de
vue.
451
Article 49 de l’AUPSRVE.
452
La jurisprudence abonde dans le sens de cette thèse ; par exemple l’on a un avis de la CCJA rendu en ce sens.
Consultée sur la question de la compétence de la juridiction des urgences à connaître des cas de nullité affectant
un acte de dénonciation de saisie avec assignation en validité de celle-ci, elle répond en effet : « De
l’interprétation combinée des articles 49, 62, 63, 68 et 144 à 146 de l’Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, il résulte que la juridiction des urgences telle
que déterminée par l’organisation judiciaire de chaque État membre de l’OHADA est compétente pour connaître
des cas de nullité affectant un acte de dénonciation de saisie avec assignation en validité de celle-ci ».
453
F. ONANA-ETOUNDI, L’incidence du droit communautaire OHADA sur le droit interne de l’exécution des
décisions de justice dans les États parties : cas du Cameroun, Thèse Soutenue publiquement le 13 janvier 2005 à
l’Université de Yaoundé II.
171
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Section 2. La mutation du droit civil national vers un droit économique
312.
La mutation vers un droit économique est caractérisée par des éléments (§ 1) et elle a des
incidences au niveau des États membres (§ 2).
§ 1. Les éléments caractéristiques de la mutation
313.
L’économie a une place particulière dans les changements opérés ; l’on note une
prévalence de l’économie (A) et une préférence pour les acteurs et activités économiques (B).
A. La prévalence de l’économie
314.
Cette prévalence de l’économie est consacrée par les textes (1) et traduite par la
prééminence du bien fondamental qu’est l’entreprise (2).
1. La consécration textuelle
315.
Quelques aspects historiques. L’histoire des États africains ne peut être dissociée de la
vague de création de regroupements d’États au sein d’organisations. Que ce soit l’UEMOA, la
CEMAC454 ou encore la CEDEAO455, toutes ces organisations ont eu dès leur création une
vocation économique. La CEDEAO a connu une extension de son champ d’action en 1993.
L’on comprend sans peine une telle profusion d’organisations économiques. Il suffit de porter
un regard sur la situation qui prévalait en Afrique pendant la période allant de la fin des
années 80 aux années 90. Le contexte est celui de pays surendettés, en pleine crise
économique et délaissés par les investisseurs. Une seule alternative se présente alors aux
autorités des États africains : joindre leurs efforts, leurs forces et faiblesses en matière
économique, afin de s’affirmer au sein des relations internationales. Il était évident que des
États parlant d’une seule et même voix en matière économique, susciteraient un intérêt plus
grand de la part des partenaires au développement. L’OHADA naît dans cette phase de
454
[www.cemac.int]. La Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale (CEMAC)
regroupe 6 pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de
Centrafrique et le Tchad. Elle se donne comme mission de promouvoir un développement harmonieux des États
membres dans le cadre de l’institution d’un véritable marché commun.
455
[www.ecowas.int]. La CEDEAO a été établie par le Traité de Lagos signé le 28 Mai 1975 par quinze pays de
l’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali,
Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. A l’origine, le Traité de Lagos se cantonnait à l’économie, mais du
fait des problèmes politiques qu’a connus la région, il a fait l’objet d’une révision qui a permis, en 1993,
l’élargissement de son champ d’application et de ses prérogatives.
172
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’histoire des pays africains, pendant laquelle l’économie est au cœur des priorités des
pouvoirs publics. Il était impérieux que l’intégration économique tant recherchée soit
soutenue en amont par une intégration tout aussi essentielle, celle juridique. Ce passage du
droit à l’économie prend tout son sens dans l’imbrication de ces domaines. La plupart des
textes adoptés par le parlement ont une incidence sur la vie économique. C’est ainsi que les
textes de l’OHADA, bien qu’insistant sur la volonté de se doter de règles communes en
matière de droit des affaires, ne perdent pas de vue l’aspect économique, « dans le but
commun d’unification juridique et d’État de droit économique » 456.
316.
La substitution et le transfert de règles. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit
civil des États membres est réelle, en ce qu’elle se manifeste par la substitution de l’un à
l’autre. Le droit de l’OHADA qui devient le droit commun, donc le droit des États membres
en certains aspects, transfère ses caractéristiques à celui-ci. Le droit des affaires tel que conçu
par l’OHADA, a cela de particulier qu’il a pour objectif à terme la réalisation d’une
intégration économique par le biais d’une intégration juridique. Le préambule du Traité de
Port Louis est sans équivoque à ce propos. Il y est précisé que « la réalisation progressive de
l’intégration économique suppose la mise en place d’un droit des affaires harmonisé, simple,
moderne et adapté » 457. Preuve que dès la création de l’OHADA, l’économie était au cœur
des préoccupations des États membres. Il n’aurait pu en être autrement quand il est apparu que
ceux-ci souhaitaient établir la confiance en faveur de leurs économies. Le but ultime est de
créer un véritable pôle de développement en Afrique. Le juge KEBA MBAYE ne dit pas le
contraire en affirmant que « l’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique
pour servir l’intégration économique et la croissance ; de plus, l’OHADA a une origine
africaine et sa raison d’être est économique, tout simplement » 458.
317.
L’économie et le droit économique. Les dispositions générales mettent également en
exergue la référence à l’économie des États membres459. Le droit de l’OHADA harmonise le
droit des affaires entre les États membres. Or c’est la discipline par excellence qui, par les
456
J. GATSI, L’effectivité du Droit de l’OHADA, op.cit., p. 55.
457
Traité portant révision du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, Adopté le
17/10/2008 à Québec (CANADA).
458
K. MBAYE, « L’histoire et les objectifs de l’OHADA », Petites affiches, n° 205, 13 octobre 2004, p. 4.
459
Selon l’article 1er du Traité OHADA : « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du Droit des affaires
dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la
situation de leurs économies (…) ».
173
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
matières qu’elle regroupe, régit les activités des entreprises. Il ressort de l’article 2 du Traité
fondateur de l’OHADA que : « sont inclus dans le domaine du droit des affaires, le régime du
redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, le statut juridique des
commerçants ». En réglementant de telles matières, qui intéressent principalement les
entreprises, acteurs économiques, en ayant pour objectif la sécurisation des activités
économiques, les dispositions de l’OHADA concourent à le présenter comme un « droit
économique ». Cette caractéristique est transférée au droit civil des États membres pour les
matières qui à l’origine relevaient de cette discipline.
318.
L’apparition et le développement du droit économique s’inscrivent dans l’évolution ou le
dépassement du droit commercial classique et dans l’évolution des échanges commerciaux. Il
convient malgré tout de rappeler que l’existence de tout droit économique a été niée par
certains auteurs tels que André de LAUBADERE460. Évoquer le droit économique n’est pas
sans difficulté vu qu’« il n’est défini nulle part et a des contours flous. « Le droit économique
vit sans définition : certains de ses partisans se sont même gardés de lui en donner une » 461.
Mais n’y voyons surtout pas une faiblesse, dans la mesure où, « la première preuve de la
maturité d’une branche nouvelle du droit se voit dans la disparition ou, du moins dans
l’apaisement de ces querelles sur les définitions »462.
319.
Autant l’existence du droit public de l’économie est affirmée, autant le droit privé ne
comporte pas de branches spécifiquement applicables à la vie économique. La notion de droit
économique est née en Allemagne au début du XXe siècle463, mais elle n’atteint son point
d’orgue que pendant la Première Guerre mondiale. À l’époque, la notion faisait référence à
l’ensemble des règles juridiques par lesquelles l’État devait utiliser l’économie nationale en
vue d’assurer ses fins politiques et militaires. Sous d’autres tropiques, notamment en droit
460
H.-G. HUBRECHT, Droit public économique, Paris, éd. Dalloz, Coll. Droit public, 1997, n°1, p. 1. La notion
de droit économique a été au cœur des débats doctrinaux ; elle a été présentée comme transcendant la Summa
divisio traditionnelle entre droit public et droit privé (G. FARJAT), quand d’autres auteurs ont affirmé qu’aucune
originalité ne pouvait lui être reconnu par rapport aux catégories classiques du droit administratif.
461
G. FARJAT, « La notion de droit économique », in Arch. phil. dr., Tome 37., Droit et économie, éd. SIREY,
1992, p. 27. L’auteur fait référence à l’Association Internationale de Droit économique qui publie la Revue
Internationale de Droit Economique et qui a expressément écarté toute définition.
462
G. VEDEL, « Le droit économique existe-t-il ? », in Mélanges P. VIGREUX, Toulouse, Tome II., pp. 767 et
s. Pour l’auteur, le Droit économique se saisit de façon existentielle. Il n’est pas sûr qu’on puisse le définir de
façon très précise ni autrement qu’à titre provisoire, mais on ne saurait s’en passer.
463
Son épanouissement est le fait de l’Institut für Wirtschaftsrecht de Berlin.
174
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
français464, il n’existe pas une, mais plusieurs acceptions du droit économique qui relèvent
soit de l’approche restrictive soit de l’approche extensive. F.-Ch. JEANTET est l’un des
tenants de la conception restrictive selon laquelle le droit économique est une branche du droit
public. Référence est faite, selon cette conception, du « droit des interventions de la puissance
publique dans l’économie privée » 465. La critique principale essuyée par la conception
restrictive du droit économique est sa réservation au domaine du droit public uniquement. Or,
il existerait un droit public économique et un droit privé économique qui renforcent l’attrait de
la conception extensive. Suivant ladite conception, le droit économique a pour objet central,
l’entreprise466 donc par la même voie, l’activité économique. Si bien qu’il a été proposé que le
droit économique puisse être défini comme « l’ensemble des règles applicables aux personnes
de droit dans leur activité économique ou encore à l’activité économique des personnes de
droit, ou même à l’activité économique tout court » 467.
320.
Le droit de l’OHADA s’intéresse principalement à l’économie en réglementant l’activité
d’un de ses acteurs principaux : l’entreprise. Les règles élaborées ne font pas de distinction
quant à la nature de la personne de droit. Aussi bien les personnes privées, que les personnes
publiques exerçant une activité économique, relèvent du droit de l’OHADA. De droit hybride,
l’on a affaire en réalité à un droit aux relents économiques qui, en intégrant l’ordre juridique
464
Le choix est opéré en faveur du droit français en ce que c’est le droit qui a le plus influencé les législations
des États membres de l’OHADA qui sont pour la plupart de tradition civiliste.
465
F.-Ch. JANTET, « Aspects du Droit économique », in Mélanges HAMEL, p. 33. Son approche n’est pas
isolée ; elle est jouxtée par des approches voisines telles que celle de M. SAVY qui définit le Droit économique
comme « l’ensemble des règles tendant à assurer un équilibre entre les intérêts particuliers des agents
économiques privés ou publics et l’intérêt économique général ».
466
Selon le Professeur CHAMPAUD, qui a été l’un des précurseurs dans la tentative de définition du droit
économique de manière extensive, « l’entreprise en serait l’objet fondamental et il comprendrait trois secteurs :
celui des structures de fonctionnement interne des entreprises, celui des relations entretenues avec les autres
entreprises dans une logique de collaboration ou de compétition et enfin celui des relations avec la puissance
publique, divisé e deux sous-secteurs, selon que l’État intervienne en tant que gardien de l’ordre public ou en tant
que directeur de l’économie ». C. CHAMPAUD, « Contribution à la définition du Droit économique », D. 1967,
Chr. 215 et s.
467
P. DEVOLVE, Droit public de l’Economie, Paris, Dalloz, Coll. Précis, 1998, n°6, p. 9. L’auteur fait partie de
la partie de la doctrine qui estime que le droit économique transcende la distinction traditionnelle du droit public
et du droit privé et qu’il est caractérisé par des relations particulières avec l’économie. Il s’interroge cependant
sur la définition de la notion qu’il juge controversée. D’autant plus que la définition du droit économique diffère
selon que l’on l’assimile ou non au droit de l’économie. Si oui, alors il s’agit du droit applicable à toutes les
matières qui entrent dans la notion d’économie. Sinon, et c’est conforme à l’idée retenue aujourd’hui, le droit
économique serait une extension du droit commercial.
175
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des États membres, le dénature et conduit les États membres à se focaliser sur l’entreprise et
son activité.
2. La prééminence de l’entreprise : bien fondamental
321.
L’avènement de l’entreprise. Comme déjà évoquée, la construction du droit des affaires a
connu son point d’orgue avec l’avènement d’une notion essentielle, d’un bien : l’entreprise.
L’entreprise est une réalité économique dont la définition n’a fait l’objet d’aucun texte
particulier. Son importance justifie cependant la reconnaissance de son existence et d’effets de
droit. L’entreprise peut revêtir diverses formes : Petites et Moyennes Entreprises, grande
entreprise industrielle, entreprise artisanale, entreprise publique, commerce de détail,
profession libérale, entreprise agricole, groupe international de sociétés, coopérative ou
association. Ce sont les économistes qui étudient l’entreprise comme « d’une part, une unité
de production, c’est-à-dire unité de production de biens ou de services, en qualité d’agent
économique468, et d’autre part, une organisation, un système social complexe » 469. De
manière plus précise en économie, « l’entreprise est une forme de production par laquelle au
sein d’un même patrimoine, sont combinés les prix des divers facteurs de production apportés
par des agents distincts du propriétaire de l’entreprise, en vue de vendre sur le marché un bien
ou des services et pour obtenir un revenu monétaire qui résulte de la différence entre deux
séries de prix »470. L’article 1er du décret 2008-1354 du 18 décembre 2008, pris en application
de l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie471 dispose que « l’entreprise est une
unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine
468
Un Agent économique est une personne physique ou morale, ou une catégorie agrégée de personnes, à
l’origine de décisions économiques telles que l’investissement, la production, la consommation, l’accumulation
de capital, l’emprunt, etc. Au sens strict de la Comptabilité nationale, on dénombre six types d’agents
économiques : ménages, sociétés financières, sociétés non financières, administrations publiques, institution sans
but lucratif au service des ménages, et « reste du monde ». [http://financedemarche.fr/definition/agenteconomique].
469
J.-B. BLAISE, R. DESGORCES, Droit des Affaires, op.cit., n°320, p. 190. V. G. TRIOLAIRE, L’entreprise
et son environnement économique, Sirey, 1988, n° 10.
470
F. PERROUX, « Cours d’Economie politique », Tome. 2, p. 9, cité par G. DAUBLON, in « Entreprise et
droit de propriété », « L’entreprise et ses partenaires », 79e congrès des Notaires de France, Avignon, 8-11 mai
1983, Tome I, n°26-1, p. 56.
471
Loi n° 2008-779 du 4 août 2008 de modernisation de l’Economie.
176
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes » 472.
L’entreprise est également une « organisation au service d’une action » 473.
322.
De la doctrine, il ressort que d’un accord commun, l’entreprise est définie comme
« comme étant une structure organisée « réunissant, sous une direction commune, des moyens
tant humains que matériels en vue de l’accomplissement d’activités économiques,
commerciales, industrielles ou de services » 474. Une définition « œcuménique » de
l’entreprise, une définition à la fois objective et subjective a été proposée : « l’entreprise est
une entité autonome, à la fois sujet et objet de droit regroupant un apport humain, un apport
capitalistique et une direction dans un but spécifique non nécessairement lucratif »475. La
notion d’entreprise est appréhendée comme un animal tentaculaire qui étend son champ
d’action à divers domaines dès lors que référence est faite à l’économie. Ressources
humaines, capitaux, exercice d’une activité sont les éléments nécessaires à la caractérisation
d’une entreprise. Ces éléments peuvent se présenter de manière variable suivant la forme ou la
nature de l’entreprise. L’entreprise est un élément central de l’économie. L’on s’explique mal
qu’en l’état actuel du droit positif elle ne soit pas une personne juridique476, mais simplement
un sujet de droit. Elle ne peut donc pas avoir de patrimoine, être titulaire de droits réels, de
créances, ou être débitrice. Même si la théorie de l’affectation du patrimoine et
l’insaisissabilité de certains biens mettent quelque peu à mal cette assertion.
323.
L’entreprise, notion fédératrice du droit commercial et du droit civil. L’entreprise se
positionne aujourd’hui comme l’élément incontournable du monde des affaires. Si bien que le
droit des affaires s’en sert comme notion fédératrice entre le droit commercial et le droit civil.
Le droit de l’OHADA n’y a pas fait exception. Les textes consacrent la notion d’entreprise qui
est au cœur des préoccupations. Entreprises des États membres de manière préférentielle, qui,
472
Décret 2008-1354 du 18 décembre 2008, relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie
d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique.
473
J.-M. MOUSSERON, B. TEYSSIE, Dix ans de Droit de l’entreprise, LITEC, 1978, Avant-propos, p. 1.
474
S. GUINCHARD, Th. DEBARD, (Sous. Dir.), Lexique des termes juridiques, 26e éd., Paris, Dalloz, 20182019, p. 449.
475
D. GUEVEL, L’entreprise, bien juridique : fonds de commerce et notions voisines, opérations sur fonds et
sur titres sociaux, Paris, éd. Juris service, 1994, n°19, p. 24.
476
La question de la personnalité juridique de l’entreprise, de la reconnaissance de l’entreprise par le droit a été
très débattue. Mais il a été admis qu’en réalité les seules personnes juridiques reconnues par le droit sont les
sociétés, les groupements d’intérêt économique, les associations et les entreprises publiques. Nombre d’auteurs
appellent de tous leurs vœux une reconnaissance de la personnalité morale à l’entreprise.
177
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
par voie de conséquence, assistent à l’intégration de la notion dans le droit civil originaire.
Mais uniquement pour les aspects supplantés par le droit de l’OHADA. En effet, « de même
que le fonds commercial n’a d’existence juridique et économique qu’à travers la réalité de la
clientèle, de même, l’activité économique, civile ou commerciale, ne peut exister et bénéficier
de tous les attributs qui sont naturellement attachés à une telle activité, que parce qu’elle est
exercée dans le cadre d’une entreprise structurée, quelle qu’en soit la taille » 477.
Indépendamment de la nature de l’activité ou des acteurs, l’entreprise a droit de cité. La
transformation induite en droit national est justifiée par ce caractère transversal attaché à la
notion. La commercialité n’est plus le critère de rattachement d’un acteur, d’une activité au
droit des affaires. Ce qui explique que les entreprises et les entrepreneurs des États membres
puissent malgré une nature civile ou publique se voir appliquer les dispositions des Actes
uniformes.
324.
Il est important de préciser que la montée en puissance de l’entreprise a entraîné le déclin
de l’acte de commerce ou du moins son recul, qui ne trouve son sens que dans l’optique d’un
droit commercial pur et simple et dans la définition du commerçant. L’acte de commerce est
essentiel lorsque le droit commercial est défini de manière restrictive. Non pas que le droit de
l’OHADA se soit affranchi de la notion « d’acte de commerce », mais le législateur réserve
son utilisation au cadre strict de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. Dans un
contexte de décloisonnement des frontières entre le droit civil et le droit commercial, l’intérêt
accru pour l’entreprise est plus que justifié. Au sein des États membres, la suprématie du droit
de l’OHADA a amplifié cette montée en puissance de l’entreprise.
325.
L’omniprésence de l’entreprise au sein des Actes uniformes. L’analyse du dispositif
juridique de l’OHADA a été déterminante dans la réalisation d’un constat : l’entreprise ne fait
pas l’objet d’une définition formelle, mais est omniprésente dans les Actes uniformes. En
évoquant à la fois sociétés commerciales, sociétés mixtes, sociétés coopératives, sociétés au
sein desquelles une personne publique est associée unique ou associé avec d’autres et en y
consacrant des dispositions, il est clair que c’est l’aspect économique, l’aspect entrepreneurial
qui est privilégié.
326.
L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives témoigne également de la
mutation en droit économique au travers de la notion d’entreprise. La société coopérative y est
477
J.-D. TCHUNKAM, « La distinction Droit civil - Droit commercial à l’épreuve de l’OHADA : une
prospective de droit matériel uniforme », Rev. dr. unif., UNIDROIT, vol. XIV, 2009, p. 57.
178
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
présentée comme « un groupement de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs
aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise
dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les
principes coopératifs. Sauf dispositions contraires du présent Acte uniforme, les coopératives
exercent leur action dans toutes les branches de l’activité humaine » 478. La société
coopérative est une entreprise dont l’activité peut être menée dans n’importe quel domaine
d’activité et non exclusivement dans un domaine purement commercial. Les pays africains en
général et les États membres de l’OHADA en particulier, puisqu’il s’agit d’eux, sont le lieu de
foisonnement des coopératives de microfinance qui concurrencent parfois les banques et
autres institutions financières. L’Acte uniforme est d’ordre public et prévoit expressément les
hypothèses de son remplacement par d’autres dispositions.
327.
L’Acte uniforme portant organisation des sûretés peut également être cité à titre illustratif.
L’on peut déduire de son article 1er que des éléments constitutifs de l’entreprise peuvent faire
l’objet de sûretés. Il ressort de ce texte que le créancier se voit affecté afin de garantir
l’exécution d’une obligation, un bien précis, un ensemble de biens ou un patrimoine.
L’entreprise, quelle que soit la forme particulière qu’elle prend, englobe des biens qui
permettent d’exercer l’activité économique. Le nantissement de meubles incorporels479 est un
exemple de référence à l’entreprise. Tel que défini, il permet une affectation de biens tels que
le fonds de commerce, les droits d’associés, les valeurs mobilières, les droits de propriété
intellectuelle.
B. La préférence pour des acteurs et activités économiques
328.
La mise en exergue des acteurs économiques (1) et des activités économiques (2) témoigne
bien de la préférence affichée en leur faveur.
478
Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au Droit des sociétés coopératives, J.O OHADA, n°23,
15/02/2011 ; commentaires A.-P. SANTOS et C.-K. BOTOKRO, Juriscope 2012, p. 669. Définition énoncée à la
lumière des articles 1, 2, 3, 4, 5 et 6 de l’Acte uniforme.
479
Acte uniforme du 24 mars 2010, J.O. OHADA n° 10, 20/11/2000, article 125 : « le nantissement est
l’affectation d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs, en
garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures, à condition que celles-ci soient déterminées ou
déterminables. Il est conventionnel ou judiciaire ».
179
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. Les acteurs économiques
329.
Le rôle central des acteurs économiques. Le développement des échanges commerciaux
et économiques est tributaire des acteurs qui y prennent part. La performance d’un système
économique est indéniablement le fait des acteurs du secteur. Le droit de l’OHADA s’appuie
sur le commerçant et le professionnel dans une mesure plus importante. Pour ce qui concerne
le commerçant, le législateur de l’OHADA a recours à l’acteur essentiel en matière de droit
commercial pur. Il désigne selon l’article L. 121-1 du Code de commerce français, les
personnes qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle. Une
définition quelque peu reprise à quelques mots près par le législateur de l’OHADA, qui
énonce dans l’article 2 de l’Acte uniforme portant droit commercial général qu’ « est
commerçant celui qui fait de l’accomplissement d’actes de commerce par nature sa
profession ». Même si seuls les actes de commerce par nature sont visés dans cette dernière
définition.
330.
L’idée de profession a toujours été un critère important dans la reconnaissance de la qualité
de commerçant, mais elle n’épuise pas la notion. D’autres acteurs non moins essentiels du
monde des affaires agissent également de manière habituelle. Leur statut a été construit à
partir de la notion de « profession ». Le professionnel est défini comme « une personne
physique ou morale qui agit dans le cadre d’une activité habituelle et organisée de production,
de distribution et de prestation de services »480. Une définition qui diffère bien de celle de
commerçant et qui fait obstacle à toute forme d’assimilation. Assimilation tentée par Philippe
LE TOURNEAU481, en tenant compte du comportement, sans pouvoir en tirer toutes les
conséquences juridiques. En effet, toute personne peut avoir la qualité de commerçant, sauf si
elle a un statut particulier établissant une incompatibilité ou une interdiction. Un salarié peut
se voir reconnaître le statut de commerçant sous certaines conditions482. Alors que la notion
de professionnel est exclusive de toute activité salariée. La distinction est faite entre
professionnel commerçant et professionnel non commerçant. Le commerçant, tel que défini,
est un professionnel commerçant à raison de l’accomplissement d’actes de commerce à titre
de profession. Il existe trois catégories de professionnels non-commerçants : les agriculteurs,
480
J. CALAIS-AULOY, F. STEINMETZ, Droit de la consommation, 9e éd., Paris, Dalloz, 2015, n° 3, p. 4.
481
Ph. LE TOURNEAU, « Les professionnels ont-ils du cœur ? », Rec. Dalloz Sirey, 1990, Chr., V., 21-26.
482
L’Acte uniforme portant droit commercial général organise le régime des interdictions et des incompatibilités
des articles 7 à 12.
180
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
les artisans et les membres des professions libérales. Tous relèvent fondamentalement du droit
civil, même si le statut des artisans a suscité de nombreuses questions483.
331.
La prise en compte du statut de professionnel. Le droit de l’OHADA n’ignore pas le
statut de professionnel. Au contraire, il le positionne au cœur de son dispositif. À juste titre
d’ailleurs, étant donné que les États membres de l’OHADA sont des pays surtout ceux de la
zone franc dont l’essentiel de l’économie repose sur le secteur primaire, sur l’agriculture
notamment. Les textes élaborés tiennent compte de cette réalité et s’appliquent directement
aux pays concernés qui voient leur droit civil national réformé. L’idée de « profession » est
omniprésente dans les Actes uniformes. Elle apparaît, que ce soit au sein de l’Acte uniforme
portant droit commercial général, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, ou encore
celui réglementant les procédures collectives. L’accomplissement d’actes à titre habituel
justifie l’application des Actes uniformes. Que ce soit le commerçant, ou le non-commerçant,
le point de ralliement demeure le caractère professionnel des actes. Les articles 3 et 5 de
l’Acte uniforme portant organisation des sûretés témoignent de l’importance accordée à
l’aspect économique de l’activité à travers les statuts du débiteur professionnel et de l’agent
de sûretés. L’un est un débiteur dont la dette est née de l’exercice de sa profession, ou se
trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles. L’autre est une institution
financière ou un établissement de crédit qui agit en qualité de mandataire. Débiteur
professionnel et agent de sûretés sont des professionnels, des acteurs économiques.
332.
Le statut de l’entreprenant. La préférence pour les acteurs économiques a véritablement
été affirmée à travers l’institution du statut de « l’entreprenant », un nouvel acteur
économique. Selon l’article 30 alinéa 1er de l’AUDCG, « l’entreprenant est un entrepreneur
individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte
uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole ». Au
sein d’États « minés » par le secteur informel, il n’est pas à exclure que le législateur de
l’OHADA ait voulu réagir. L’entreprenant peut être assimilé au professionnel, qualification
générique adoptée par la doctrine et la jurisprudence de droit français pour réglementer tous
les intervenants de la vie économique. Cette institution témoigne bien de l’émergence d’un
483
Il arrive que l’artisan exerce de façon habituelle et professionnelle une activité commerciale. Certains artisans
n’exercent cependant aucune activité commerciale. Il a fallu attendre une consécration jurisprudentielle du statut
civil de l’artisan. La jurisprudence en question a son origine dans un arrêt de la Cour de cassation du 22 Avril
1909, DP 1909.1.344. Ainsi les artisans même lorsqu’ils exercent des actes de commerce de façon habituelle,
n’ont pas la qualité de commerçant.
181
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
véritable droit économique au regard non pas de la nature commerciale de l’activité, mais des
conditions d’exercice de l’activité. Et ce, même si certains auteurs émettent des réserves quant
à ce nouvel acteur qui selon eux ne fait que « s’insérer dans la catégorie de l’entrepreneuriat
sous forme de néologisme, en tant que substantif entre l’entreprise et l’entrepreneur sans
opérer une distinction convaincante sur le plan terminologique, dans la mesure où le
commerçant, personne physique est également un entrepreneur individuel et où l’entreprenant
accomplit également des actes de commerce à titre professionnel (…) » 484. L’OHADA régit
pratiquement la plupart des intervenants de la vie économique, du simple fait de leur présence
et de l’importance de leurs activités professionnelles.
2. Les activités économiques
333.
Les activités économiques et non plus uniquement commerciales. La notion d’activité
économique absorbe l’aspect purement commercial de l’activité. L’interprétation faite
aujourd’hui par la doctrine concernant le mot « acte de commerce » en est une illustration.
L’acte ne s’entend plus au sens d’acte juridique, mais d’activité au sens économique, qualifiée
de commerciale par la loi. Le critère de la commercialité repose sur l’idée de spéculation,
c’est-à-dire la recherche du profit. Mais l’activité économique va bien au-delà de la
spéculation. Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, « l’activité
économique d’une unité de production est le processus qui conduit à la fabrication d’un
produit ou à la mise à disposition d’un service ». L’activité économique est un cycle de
production qui comporte l’aspect spéculatif puisque la mise à disposition du produit ou du
service suppose la commercialisation, la recherche de profit. Les activités économiques « sont
d’une manière très générale, les activités de production, de transformation et de distribution
des biens et des services. Elles sont composées de deux réalités complémentaires et
interdépendantes que sont celles des marchés des produits et des services dont les marchés
financiers, celle des acteurs de l’activité économique : les entreprises, les sociétés, les
autorités de régulation et dans une certaine mesure les États et les Organisations
interétatiques » 485.
484
J. ISSA-SAYEGH, « L’entreprenant, un nouvel acteur économique en Droit OHADA : Ambiguïtés et
ambivalence », Penant n° 878, janv-mars. 2012, p. 7.
485
J. PAILLUSSEAU, L’influence de la mondialisation sur le droit des activités économiques, Conférence faite
le 4 février 2008 en Grand’Chambre’ de la Cour de Cassation.
182
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
334.
Il convient de préciser que l’activité économique n’a de sens que parce qu’elle se déploie
sur un marché : le marché économique. L’économie de marché est le moteur de l’activité
économique. C’est « la combinaison de la liberté et de la concurrence, et elle assure un
équilibre, entre offre et demande, production et consommation, qui conduit à la croissance
économique » 486. Le droit de l’OHADA s’intéresse de près à l’activité économique en ce
qu’elle constitue l’indicateur par excellence de la croissance et du développement d’un pays.
C’est à raison que Jean PAILLUSSEAU précise que « l’objet réel de l’organisation juridique
réalisée par les textes de l’OHADA, c’est telle ou telle activité économique : ou bien il s’agit
de l’organisation juridique des personnes physiques ou morales qui exercent des activités
économiques, c’est notamment l’objet du droit commercial et de celui du droit des sociétés ;
ou bien il s’agit des activités économiques elles-mêmes, et c’est l’objet des autres Actes
uniformes » 487. Une activité économique satisfaisante est un gage d’amélioration du climat
des affaires. En pratique, dès lors que l’exercice d’une activité génère du profit, elle est captée
par l’OHADA. Raison pour laquelle l’entreprenant, qui n’est ni commerçant, ni noncommerçant, ni agriculteur, ni un artisan, a fait son apparition dans le dispositif juridique de
l’OHADA. Il exerce une activité spéculative qui donne lieu à un chiffre d’affaires.
Le nouvel Acte uniforme portant organisation des procédures d’apurement du passif488
335.
apporte des changements notables. Contrairement à l’ancien Acte uniforme, il précise de
manière expresse qu’au titre de ses objectifs principaux figure « la préservation des activités
économiques » 489. La démarche du législateur de l’OHADA est parfaitement compréhensible
étant donné que le but ultime demeure la sécurisation des investissements. Le traitement des
difficultés des entreprises concourt à la satisfaction de cet objectif en renforçant la confiance
des investisseurs. Les procédures collectives ne sont plus appréhendées comme des
486
J.-M. Daniel, « L’économie de marché : liberté et concurrence », L’Économie politique, janvier 2008, n° 37,
p. 38-50, [https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2008-1-page-38.htm].
487
J. PAILLUSSEAU, « Le droit de l’OHADA, un droit très important et original », [www.ohada.com].
OHADATA-D-12-64.
488
Acte uniforme du 10 décembre 2015, J.O n° spécial du 25 septembre 2015.
489
L’article 1er de l’AU dispose que « le présent Acte uniforme a pour objet : d’organiser les procédures
préventives de conciliation et de règlement préventif ainsi que les procédures curatives de redressement
judiciaire et de liquidation des biens afin de préserver les activités économiques et les niveaux d’emplois des
entreprises débitrices, de redresser rapidement les entreprises viables et de liquider les entreprises non viables
dans des conditions propres à maximiser la valeur des actifs des débiteurs pour augmenter les montants
recouvrés par les créanciers et d’établir un ordre précis de paiement des créances garanties ou non garanties
(…) ».
183
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
procédures « sanctions », mais plutôt comme des procédures de protection des opérateurs
économiques dont les activités soutiennent la croissance économique d’États en quête de
développement. Ici, la nature de l’activité est indifférente : commerciale ou non, elle est prise
en compte par l’Acte uniforme.
336.
L’investissement. Le terme investissement, qui intervient dans le cycle normal de
l’activité économique, est essentiel en droit de l’OHADA. L’investissement est l’opération
qui consiste pour un acteur économique à développer son activité économique ou à y
participer par le biais d’un apport et dans l’espoir d’en retirer ultérieurement un revenu490.
L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés, celui portant organisation de la comptabilité ou
l’AUDCG, évoquent l’investissement. En dépit du caractère limité de la référence qui y est
faite, il est indéniable que l’investissement est au cœur du dispositif de l’OHADA. Et afin de
maintenir la cohérence dans sa ligne directrice qui est celle d’accorder un rang prioritaire à
l’activité économique, le législateur ne distingue pas selon l’origine de l’investissement ou la
nationalité de l’investisseur.
§ 2. Les incidences de la mutation du droit civil national sur les États membres
337.
La mutation a bien des incidences sur les États membres aussi bien du point de vue du type
de secteur ou d’opération réglementé (A) que de celui de la prise en compte d’éléments
économiques, telle la situation économique (B).
A. Les incidences sur le type de secteur ou d’opération réglementé
338.
La réglementation d’activités ou opérations purement économiques (1) est accompagnée de
celle d’opérations mixtes (2).
1. La réglementation d’activités ou opérations purement économiques
339.
Un droit dérivé non exclusivement réservé aux activités ou opérations commerciales.
Le droit de l’OHADA réglemente des activités purement économiques qui ont cela en
commun qu’elles relèvent du droit commercial pris dans sa conception restrictive. Droit
mixte, parce que réalisant une fusion entre le droit commercial et le droit civil, il n’est pas
surprenant que le droit de l’OHADA traite d’opérations commerciales. Ainsi sont traitées les
490
S. MANCIAUX, « Que disent les textes OHADA en matière d’investissement ? », Revue ERSUMA, n°1,
juin 2012, p. 270.
184
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
opérations accomplies par les commerçants, telles que la vente commerciale. Un Acte
uniforme est d’ailleurs consacré aux commerçants, aux actes qu’ils accomplissent et à leurs
activités. L’Acte uniforme portant droit commercial général en dépit de son intitulé n’est pas
exclusivement réservé au droit commercial. Les références au droit commun des États
membres le montrent bien. Ce d’autant plus que, la plupart des États membres n’avaient pour
Code de commerce que celui de 1807. Les dispositions du Code de commerce étaient
transposées purement et simplement. Les États membres se retrouvent à appliquer des
dispositions censées relever du droit des affaires alors même que le droit civil est leur
domaine de rattachement traditionnel. Le droit de l’OHADA étant perçu comme le droit des
« activités économiques », les matières qu’il réglemente sont toutes en relation avec la notion
de spéculation, de profit. Raison pour laquelle le droit des sûretés qu’il transfère au droit civil
national des États membres impose à ce dernier de tenir compte des professionnels, des agents
économiques et des activités purement économiques, telles que celles financières ou bancaires
de « l’agent des sûretés ».
340.
Le droit de l’OHADA par le biais des Actes uniformes fixe le cadre général d’exercice des
activités économiques commerciales ou non. Il impose aux États parties un corpus juridique à
l’application duquel ils doivent veiller. Ainsi, les États membres dans le cadre de l’application
efficace du droit de l’OHADA, légifèrent en vue de réglementer des opérations qui sont
concernées par les Actes adoptés. Ce sont en général des opérations et activités économiques.
Le droit de l’OHADA amène le droit civil des États membres à tenir compte de
l’entreprenant, cette personne physique qui n’est ni commerçante, ni artisan et qui, dans la
plupart des hypothèses devrait relever du droit civil. Selon l’AUDCG, « l’entreprenant est un
entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent
Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole
»491. L’entreprenant qui exerce une activité de nature civile, agricole ou artisanale devrait en
principe relever du droit civil. Cependant, les opérations et activités qu’il mène sont captées
par le droit de l’OHADA en raison de sa participation à l’activité économique et donc à son
rôle d’acteur économique. Par exemple, l’entreprenant est un acteur économique qui réalise
des opérations d’ordre économique.
341.
L’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises
fixe les seuils qui permettent à l’entreprenant de conserver son statut. Les États parties
491
Article 30 de l’AUDCG.
185
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
interviennent également dans la mesure où ils fixent des limites. « Lorsque, durant deux
années consécutives, le chiffre d’affaires de l’entreprenant excède les limites fixées pour ses
activités par l’État partie sur le territoire duquel il les exerce, il est tenu, dès le premier jour de
l’année suivante et avant la fin du premier trimestre de cette année de respecter toutes les
charges et obligations applicables à l’entrepreneur individuel. Dès lors, il perd sa qualité
d’entreprenant et ne bénéficie plus de la législation spéciale applicable à l’entreprenant »492.
Au cœur du dispositif de l’OHADA, siège la notion « d’économie », qui oriente les
342.
interventions du législateur. En consacrant le Groupement d’Intérêt Economique, (G.I.E), qui
est « celui qui a pour but exclusif de mettre en œuvre pour une durée déterminée, tous les
moyens propres à faciliter ou à développer l’activité économique de ses membres, à améliorer
ou à accroître les résultats de cette activité »493. Ici le critère principal n’est pas la
commercialité ni des opérations accomplies ni des membres du groupement. Des
commerçants ou des non-commerçants peuvent parfaitement créer entre eux un G.I.E qui a
cela de particulier qu’il se trouve à la frontière de la société et de l’association. Pour la plupart
des États membres de l’OHADA, le G.I.E constitue une belle alternative à la constitution de
groupes de sociétés qui s’avère plus onéreuse. En Côte d’Ivoire les programmes d’envergure
du gouvernement en matière d’entrepreneuriat prennent la forme de G.I.E. Dans la mouvance,
un Programme National d’amorçage a été élaboré et logé à l’Institut National Ivoirien de
l’Entreprise (INIE) depuis 2015. Ce programme est constitué sous la forme d’un G.I.E et
regroupe des structures diverses qui œuvrent pour l’exercice d’activités agricoles.
2. La réglementation d’opérations mixtes
343.
L’option en faveur d’opérations à caractère mixte. Le droit de l’OHADA, c’est aussi et
surtout la réglementation d’opérations mixtes, à cheval entre le droit civil et le droit
commercial. L’on peut d’emblée citer le bail à usage professionnel qui s’applique selon ce
qu’il ressort de la lecture combinée des articles 101 et 102 de l’AUDCG aux locaux ou
immeubles à usage commercial, industriel, artisanal, ou à tout autre usage professionnel, ainsi
qu’aux locaux accessoires dépendant d’un local ou d’un immeuble à usage commercial,
industriel, artisanal ou à tout autre usage professionnel. Que faut-il retenir de ces
dispositions ? Le bail tel que réglementé en droit civil national est un contrat entre particuliers
492
Article 30 nouveau alinéa 3 de l’AUDCG.
493
Article 869 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE.
186
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
qui relève exclusivement du droit civil. L’avènement du droit de l’OHADA et du bail à usage
professionnel change les données. Le champ d’application du bail à usage professionnel
s’étend clairement au-delà des frontières aussi bien du droit civil que du droit commercial,
puisqu’il inclut l’artisan qui a un statut particulier. En effet, il a longtemps été considéré
comme relevant exclusivement du droit civil, mais son régime a connu des transformations
qui le rapprochent de celui des commerçants. Ainsi, le droit civil des États membres se voit
quelque peu contraint d’intégrer ce nouveau contrat dans son ordonnancement juridique.
344.
Le droit de l’OHADA réglemente les procédures collectives auxquelles les entreprises
peuvent être amenées à faire face. Le champ d’application de ces procédures dénote bien
d’une mixité en raison des diverses hypothèses couvertes. Les procédures collectives peuvent
être afférentes à des opérations et contrats qui mettent en jeu des sommes et des biens
importants et dont la nature est mixte. Le leasing ou le crédit-bail fait partie de ces contrats
que l’on pourrait présenter comme étant mixte car pouvant revêtir une nature civile ou
commerciale. Ce qui a amené les États membres qui ont légiféré sur la question à en retenir
une approche simple : la reconnaissance d’un caractère professionnel au contrat de leasing. Le
parlement ivoirien a adopté une loi portant organisation du crédit-bail494 dont l’article 2
précise que « le crédit-bail est toute opération de location de biens meubles ou immeubles,
corporels ou incorporels à usage professionnel, en vue de cette location par une entreprise qui
en demeure propriétaire ». Et en cas de procédures collectives, précisément de redressement
judiciaire ou de liquidation des biens du crédit-preneur, le syndic peut, dans les soixante jours
de la date de sa désignation, choisir de continuer le contrat de crédit-bail dans les conditions
convenues, ou d’y mettre fin495. Ainsi, le législateur de l’OHADA en évoquant le crédit-bail,
aussi bien du point de vue des procédures collectives, que de celui des inscriptions au Registre
de Commerce et du Crédit Mobilier a orienté l’œuvre du législateur ivoirien.
345.
L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt
Économique s’applique à toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou
une personne morale de droit public est associé. Il s’applique aux sociétés dites d’économie
mixte dont le capital est partiellement détenu d’une part, par l’État, les collectivités publiques
décentralisées ou des sociétés à capital public, et d’autre part, par des personnes morales ou
494
Loi n°2015-905 du 30 décembre 2015 portant organisation du crédit-bail, publié au numéro spécial du Journal
Officiel n°2 du 8 janvier 2016.
495
Article 46 de la Loi portant organisation du crédit-bail.
187
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
physiques de droit privé. La présence de l’État ou d’une personne morale de droit public dans
l’une des formes de sociétés commerciales définies par la loi, n’affecte en rien la nature
commerciale de la Société qui est régie par l’Acte uniforme. Les États membres doivent
adopter des textes nationaux spécifiques pour tenir compte de l’origine publique du capital,
mais ces textes devront être conformes à l’Acte uniforme et ne pas s’opposer à son
application.
B. La prise en compte de la situation économique
346.
La solvabilité (1), indicateur par excellence de la situation économique d’une entreprise,
est mise en avant. Les obligations comptables sont généralisées (2) afin de mettre l’accent sur
leur caractère essentiel dans la conduite d’une activité économique.
1. La solvabilité
347.
Le besoin de sécurisation des opérations. Les relations d’affaires sont fondées sur des
exigences propres au monde des affaires. Le droit des affaires étant par principe dérogatoire
au droit commun, il présente des particularités. Il s’agit notamment des exigences de rapidité
et de simplicité des opérations d’affaires, l’exigence de sécurité, de technicité et de confiance
mutuelle. Les hommes d’affaires sont amenés à investir ou à entrer en négociation dans un
délai assez court puisque c’est à qui saisit la meilleure opportunité. De même, le formalisme
est allégé en la matière pour éviter des contraintes inutiles qui pourraient nuire aux affaires.
Le droit de l’OHADA a mis un point d’honneur à satisfaire les exigences de rapidité et de
simplicité des opérations d’affaires. En promouvant l’arbitrage comme mode de règlement des
litiges, le législateur de l’OHADA offre aux investisseurs un moyen rapide de résoudre les
conflits. Aussi, offre-t-il la possibilité de constituer une société en un délai défiant toute
concurrence. L’OHADA a été à l’origine de la création au sein des États membres d’un
guichet unique qui permet la création d’une société en seulement deux (2) jours.
348.
Parlant de l’exigence de sécurité, elle est loin d’être superfétatoire dans le sens où les
relations d’affaires peuvent mobiliser des fonds importants et engager plusieurs personnes
suivant le type de convention. De plus, l’activité économique est un cycle, comportant
plusieurs étapes de la production à la distribution. Il suffit qu’un problème survienne dans un
maillon de la chaîne, qu’un délai de paiement, d’exécution ne soit pas respecté, pour que
l’opération soit mise en péril. Le corollaire de l’exigence de sécurité est l’exigence de
188
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
technicité, qui contribue à sécuriser les opérations économiques. Il n’est pas rare que des
montages complexes soient réalisés dans le cadre de la pratique des affaires. Ainsi, aux règles
d’exécution, est adjointe l’intervention de praticiens avérés, de spécialistes des questions
concernées pour réduire le risque que représente la prise de la décision d’investir. Les Actes
uniformes organisent les modalités d’exécution des obligations des parties et leurs
prérogatives. Il est clair que la décision d’intégrer dans le champ d’harmonisation, les contrats
de franchise et le crédit-bail, renforcera la sécurité juridique.
349.
La confiance mutuelle est indispensable dans la bonne conduite d’une relation d’affaires.
Dès lors que l’on est amené à s’engager dans un délai assez court, il est important de susciter
la confiance de notre interlocuteur et de pouvoir lui faire confiance à notre tour. La conclusion
et l’exécution des conventions de bonne foi, ainsi que le recours spontané à l’arbitrage ou à la
transaction, témoignent de la place accordée à la confiance. À la lecture des Actes uniformes,
il apparaît qu’en élaborant un Acte uniforme portant organisation des sûretés, le législateur a
entendu mettre à la disposition des praticiens des affaires, les garanties nécessaires. Ne seraitce qu’au regard des exigences requises pour la constitution de ces garanties : les conditions de
forme et de fond notamment.
350.
L’exigence de solvabilité. Un autre élément qui témoigne de l’importance accordée aux
exigences de l’activité économique, c’est bien l’exigence de la solvabilité. D’un point de vue
juridique, la solvabilité « est la situation dans laquelle se trouve une personne physique ou
morale dont la trésorerie est en mesure de faire face aux dettes qu’elle a contractées dès lors
qu’elles sont devenues liquides et exigibles »496. Il revient au juge d’apprécier et de déduire le
caractère notoire de l’insolvabilité497. D’un point de vue économique, la solvabilité traduit
l’aptitude de l’entreprise à faire face à ses engagements en cas de liquidation, c’est-à-dire
d’arrêt de l’exploitation et de mise en vente des actifs. Une entreprise peut donc être
considérée comme insolvable dès lors que ses capitaux propres sont négatifs498. Il est
impossible de bénéficier de garanties de la part d’une personne physique ou morale en
situation d’insolvabilité encore moins d’obtenir d’elle, l’exécution de ses obligations de
paiement. Raison pour laquelle « la caution doit présenter des garanties de solvabilité
496
[http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/insolvable.php].
497
Cass., Ch. Com., 29 septembre 2015, n°14-18979, BICC n°836 du 15 février 2016.
498
[http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_solvabilite.html].
189
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
appréciées en tenant compte de tous les éléments de son patrimoine »499. Les procédures
collectives d’apurement du passif ne sont ouvertes qu’après appréciation de la situation
économique du débiteur500.
2. La généralisation des obligations comptables
351.
Les normes comptables et les exigences comptables. L’exercice de toute activité
économique, met à la charge de celui qui l’exerce, un minimum d’obligations comptables qui
concourent au suivi de l’évolution de celle-ci et à l’information des éventuels partenaires ou
créanciers. La mondialisation des échanges exige l’harmonisation des normes comptables
internationales. Aujourd’hui sont appliquées les normes IAS/IFRS, qui visent « la
convergence entre système américain, les normes US Gaap, « principes américains de
comptabilité généralement acceptés » et le système international IASB. L’Union européenne a
adopté le 29 septembre 2003 les normes internationales IAS, devenues depuis juin 2003 IFRS
pour International Financial Reporting Standards) » 501. Les normes IAS-IFRS s’inscrivent
dans les grands principes des plans comptables.
352.
La réglementation comptable en droit de l’OHADA. Prenant part à la mondialisation
des échanges et souhaitant faire de l’Afrique un nouveau pôle de développement, l’OHADA a
adopté un Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des
entreprises. Bien que n’étant pas encore mise en conformité avec les normes IFRS, le droit
comptable de l’OHADA « comporte l’ensemble de la réglementation comptable jugée adaptée
à la situation des entreprises de l’espace et à l’évolution des techniques comptables ; il forme
un ensemble cohérent et indissociable comprenant le dispositif juridique, le dispositif
comptable, le plan de fonctionnement des comptes, les approfondissements techniques, la
comptabilité des trésoreries »502. L’Acte uniforme généralise l’obligation de tenir une
comptabilité. En effet, selon l’article 1er « toute entreprise au sens de l’article 2 ci-après doit
499
Article 15 alinéa 1 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés.
500
La mise en œuvre des différentes procédures est articulée autour de la notion de « cessation des paiements ».
501
[http://www.chefdentreprise.com/Definitions-Glossaire/normes-comptables-internationales-IAS-IFRSnouvelles--240084.htm#bVxAt4AQYqkyhUr1.97].
502
R. NEMEDEU, « Une présentation critique de l’Acte Uniforme OHADA du 24 Mars 2000, portant
organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises par rapport au plan OCAM-CEMAC », Jurispériodique, n°58, avr-juin 2004, p. 95.
190
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
mettre en place une comptabilité destinée à l’information externe comme à son propre usage
(…) » 503. L’article 3 de poursuivre en précisant que, « la comptabilité doit satisfaire, dans le
respect de la règle de prudence, aux obligations de régularité, de sincérité et de transparence
inhérentes à la tenue, au contrôle, à la présentation et à la communication des informations
qu’elle a traitées »504.
353.
Sont concernées par ces obligations comptables les entreprises quelle que soit leur nature,
les coopératives et, plus généralement, les entités produisant des biens et services marchands
ou non marchands, « dans la mesure où elles exercent, dans un but lucratif ou non, les
activités économiques à titre principal ou accessoire qui se fondent sur des actes répétitifs, à
l’exception de celles soumises aux règles de la comptabilité publique » 505. Il apparaît sans
aucun doute que le critère principal de la soumission à l’obligation de tenue d’une
comptabilité est l’exercice d’une activité économique. Cette conception assez universaliste
des débiteurs de l’obligation susmentionnée, répond au besoin d’une meilleure observation
des opérations économiques de l’entreprise et du secteur productif. Ainsi, le secteur informel
qui parvenait à se soustraire parfaitement, n’échappe plus aux radars, du moins n’y parvient
qu’à moindre échelle. De plus, les établissements financiers, les banques et les compagnies
d’assurance bien qu’étant assujettis à des plans comptables spécifiques, se voient appliquer les
autres aspects de l’Acte uniforme.
354.
Le rôle assigné à la comptabilité est énoncé par l’article 14 de l’Acte uniforme. Il ressort de
ce texte, qu’elle doit servir à la fois d’instrument de mesure des droits et obligations des
partenaires de l’entreprise, de moyen de preuve, d’information des tiers et de gestion. Le
système de l’OHADA met à la charge des opérateurs économiques des exigences de
prudence506, régularité507, sincérité508 et transparence509 dans le but d’assurer l’authenticité des
503
Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, du 24 mars 2000, J.O
n° 10. Avant l’adoption de l’Acte uniforme, les référentiels comptables en vigueur étaient hétérogènes, au moins
cinq référentiels comptables s’appliquaient : les deux plans comptables français de 1957 et 1982 et les trois
adaptations du Plan OCAM (Organisation Commune Africaine, Malgache et Mauricienne).
504
Article 3 de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière.
505
Confère article 2 de l’Acte uniforme.
506
Le principe de la prudence commande une appréciation raisonnable des événements et des opérations à
enregistrer afin d’éviter de transférer sur l’avenir des risques actuels.
507
Le principe de régularité Le principe comptable de régularité correspond au respect des dispositions
législatives et réglementaires en matière de techniques comptables.
191
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
écritures. Exigences qui sont de nature à contribuer à l’amélioration du climat des affaires.
Les États financiers des entreprises reflètent l’image fidèle des comptes, leur situation
financière, leur résultat et renforcent la confiance qui est une valeur essentielle dans le monde
des affaires. Non sans oublier qu’une comptabilité régulièrement tenue peut-être admise en
justice en qualité de preuve510. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage réunie en
Assemblée plénière a, par son arrêt du 27 avril 2015, cassé l’arrêt rendu le 19 juillet 2006 par
la Cour d’appel de Bamako. Cour d’appel qui, en refusant d’admettre les livres comptables
pour établir l’existence d’une créance, a méconnu les dispositions de l’Acte uniforme relatif à
la comptabilité511. La comptabilité est un puissant outil de contrôle interne et externe à
l’entreprise donc un outil de réduction des risques. Dans un contexte de sécurisation des
investissements, l’information comptable permet de répondre aux attentes des différents
acteurs : les partenaires commerciaux et les financiers. Pour les fournisseurs, il est impérieux
de s’assurer de la solvabilité de l’entreprise avant tout et la clientèle souhaite être rassurée
concernant la pérennité. Les actions des partenaires financiers sont guidées par un objectif de
rentabilité.
355.
Les obligations déclaratives au sein des Actes uniformes. Les autres Actes uniformes
également mettent l’accent sur les obligations déclaratives qui pèsent sur les opérateurs
508
Le principe de sincérité correspond à l’idée selon laquelle les résultats comptables de l’entreprise doivent
pleinement traduire la réalité de sa situation économique
La mise en œuvre du principe de transparence permet à l’entreprise de donner une présentation claire et loyale
de l’information.
509
510
Article 67 de l’Acte uniforme relatif au droit comptable.
511
CCJA, Arrêt n°038/2015 du 27 avril 2015, Affaire Banque de l’Habitat du Mali (BHM SA) contre Société
West African Investment (WAIC SA). La Banque de l’Habitat du Mali dite BHM SA était en relations avec la
société WAIC SA. Les comptes ouverts par WAIC SA dans les livres de la banque laissaient apparaître un solde
débiteur de 5.654.216.799 FCFA, attesté par des extraits de comptes de cette société. Pour se prémunir contre
l’insolvabilité de WAIC, la BHM S.A. sollicitait et obtenait du Président du Tribunal de la Commune IV de
Bamako une ordonnance n°342, en date du 10 juin 2005, l’autorisant à prendre une inscription hypothécaire
provisoire sur des biens immeubles, objet des titres fonciers n°60 et 63, appartenant à son débiteur. La cour
d’appel de Bamako, pour refuser la validation de l’inscription hypothécaire provisoire, énonce que «
l’hypothèque est une sûreté réservée au créancier », « qu’il ne figure au dossier aucune convention de prêt
indiquant la hauteur des engagements pris de part et d’autre » et « qu’au stade actuel, la certitude et l’exigibilité
de la créance de la BHM SA ne sont pas prouvées ». Alors que selon la C..C.J.A, « les extraits des livres
comptables de la BHM versés au dossier font apparaitre un solde débiteur net de 5.654.216.799 FCFA à
l’encontre de la société WAIC SA ; en statuant ainsi, alors que suivant l’article 68 de l’Acte uniforme du 24 mars
2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, « la comptabilité régulièrement
tenue peut être admise en justice pour servir de preuve entre les entreprises pour faits de commerce ou autres…
», la cour d’appel a violé les dispositions de l’article susvisé et fait encourir la cassation à sa décision ».
192
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
économiques. L’Acte uniforme portant droit commercial général met à la charge du
commerçant, « l’obligation de tenir tous les livres de commerce conformément aux
dispositions de l’Acte uniforme relatif à l’organisation et à l’harmonisation des comptabilités
des entreprises »512. Les livres comptables dont la tenue est obligatoire sont le livre-journal,
dans lequel sont inscrits les mouvements de l’exercice enregistrés en comptabilité, dans les
conditions exposées au paragraphe 4 de l’article. Le grand livre, constitué par l’ensemble des
comptes de l’entreprise, où sont reportés ou inscrits simultanément au journal, compte par
compte, les différents mouvements de l’exercice. La balance générale des comptes, état
récapitulatif qui fait apparaître, à la clôture de l’exercice, pour chaque compte, le solde
débiteur ou le solde créditeur, à l’ouverture de l’exercice, notamment le cumul depuis
l’ouverture de l’exercice des mouvements débiteurs et le cumul des mouvements créditeurs.
Le livre d’inventaire, sur lequel sont reportés le Bilan et le Compte de résultat de chaque
exercice. Cependant, les entreprises relevant du système minimal de trésorerie, ne sont
astreintes qu’à la tenue d’une simple comptabilité de trésorerie, pour laquelle est obligatoire la
tenue d’un livre de recettes-dépenses et le grand livre.
Le droit civil national des États membres a été dénaturé. Il emprunte les caractères du droit
économique, sous l’impulsion du droit de l’OHADA. Le constat est celui de la prévalence de
l’économie, de la préférence affirmée pour les acteurs et activités économiques. La mutation
du droit civil national, emporte réglementation d’activités, opérations purement économiques
et la prise en compte de la situation économique.
512
Article 13 de l’AUDCG.
193
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
356.
Les Etats membres ont dû se résoudre à accueillir le système juridique OHADA en leur
sein, entrainant ainsi des mutations d’ordre structurel de leur droit commun national.
Désormais, le droit national en coexistant avec le droit communautaire, emprunte ses
caractéristiques, notamment la mixité. Il entame ainsi sa transformation en un droit
économique, un droit hybride. Un droit qui met en avant les notions et concepts relatifs à
l’économie et à l’activité économique. A titre d’exemple, l’entreprise est plébiscitée et
centralise l’attention au niveau national.
194
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 2. LES MUTATIONS DU DROIT SUBSTANTIEL EN
VIGUEUR AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES
357.
Les États membres de l’OHADA avaient dans leur majorité, conservé l’héritage colonial
en matière juridique. Les textes étaient obsolètes, peu conformes aux exigences de la
mondialisation, de l’intensification des échanges à grande échelle. Les Actes uniformes et les
règlements de l’OHADA ont su contribuer à l’amélioration du droit commun national. Aussi
bien du point de vue de la théorie générale des obligations (Section 1) que de celui du droit
des garanties et de la procédure (Section 2).
Section 1. Les apports de l’OHADA à la théorie générale des obligations
358.
Le droit de l’OHADA a permis l’adaptation du dispositif contractuel des États membres.
Les apports concernent la formation et l’interprétation du contrat (§ 1).
Ils concernent
également l’exécution du contrat (§ 2).
§ 1. Les apports en matière de formation et d’interprétation du contrat
359.
Il convient de s’intéresser à la formation du contrat (A) et à l’interprétation du contrat (B),
tel que le dispositif juridique de l’OHADA les a influencés.
A. La formation du contrat
360.
C’est dans l’approche conceptuelle du contrat (1) et les règles gouvernant la formation du
contrat (2) que les apports doivent être recherchés.
1. L’approche conceptuelle du contrat
361.
Origine de la théorie du contrat. La théorie du contrat telle que connue est «
consensualiste ». « Accord de volontés de deux, voire plusieurs individus ayant pour objet la
création, le transfert, ou l’extinction des droits, le contrat est une source de droit qui se suffit à
elle-même en ce que les droits créés ou modifiés seront ceux que les parties ont librement
déterminés » 513. Aussi bien la famille romano germanique, au sein de laquelle prépondérance
513
H. BATIFFOL, « La crise du contrat et sa portée », in Arch. Phil. dr., Tome XIII, sur les notions du contrat,
SIREY, Paris, 1968, p. 13. V° sur l’origine du consensualisme, M. VILLEY, « Historique à l’étude des notions
de contrat », in Arch. phil. dr, Tome XIII, sur les notions du contrat, SIREY, Paris, 1968, p. 3. Selon l’auteur les
inspirateurs de notre théorie du contrat sortent d’un cercle de philosophes attachés à la science moderne tels
Hobbes avec son Léviathan qui retourne la politique d’Aristote ou Locke qui reste dans sa lignée. Le point de
départ c’est tout d’abord l’homme seul, Robinson, un individu séparé, dépourvu de tout lien juridique. Il faudra
195
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
est accordée à la loi, que la famille de Common law formée par les juges, ont une approche
consensuelle du contrat. Les deux systèmes de droit s’accordent sur la nécessité d’obtenir un
consensus. Un contrat anglais sera soumis à trois éléments qui sont l’accord, l’intention d’être
lié et la notion de consideration. Aux États unis également, la primauté est accordée au
consentement514.
362.
Contrat d’adhésion et crise du consensualisme. Le contrat relève de la catégorie des
actes juridiques par opposition aux faits juridiques. Acte juridique que la doctrine s’accorde à
définir comme « l’acte qui suppose une manifestation de volonté en vue de réaliser certains
effets de droit, tels que l’acquisition, la transmission, la modification ou l’extinction d’un
droit »515. La volonté, le consentement, sont les fondements de l’opération contractuelle. Que
penser de l’existence des contrats dits d’adhésion ? Des contrats qui laissent penser à un
déclin de la liberté contractuelle et à une crise du consensualisme. Selon l’article 1110 alinéa
2 du Code civil français, « le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de
clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties »516.
Le contrat
d’adhésion serait un contrat imposé, qui nécessite une protection spécifique de la partie qui
n’a pas pu le négocier. Mais une telle assertion doit être nuancée, car « il semble qu’il y ait
toujours, dans tout contrat, à un moment quelconque, une part d’adhésion, si minime soit-elle,
comme il y a une part d’aléa ou une part d’affectio societatis. La liberté de vouloir ne disparaît
pas non seulement parce que la volonté de l’un des contractants tend, à l’issue d’un processus
plus ou moins long, à faire la loi, mais aussi parce que la volonté de l’autre tend à réagir » 517.
En tout état de cause, l’équilibre de tels contrats peut être rétabli. Comme le précise à raison le
Professeur Nathalie BLANC, le juge ne peut pas véritablement rétablir l’équilibre
que les institutions sociales naissent de la volonté de cet homme, plus exactement de la rencontre de volontés
individuelles, du consentement.
514
Selon le « Restatement Second, Contracts, section 1 », « a contract is a promise or set of promises for the
breach of which the law gives a remedy, or the performance of which the law in some way recognizes the duty ,
entendons par là qu’« un contrat est une promesse ou un ensemble de promesses, dont le non-accomplissement
est légalement puni par une sanction ou dont l’exécution est garantie par la loi ».
515
H. LEVY-BRUHL, Aspects sociologiques du droit, Paris, 1955, pp. 97 et s.
516
La modification du texte est le fait de l’article 16 de la Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 de
l’Ordonnance 2016-131 du 10 février 2016.
517
F. TERRE, « Sur la sociologie juridique du contrat », in Arch. Phil. dr., t. XIII, sur les notions du contrat,
Paris, SIREY, pp. 79-80.
196
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
économique du contrat, mais rechercher un certain équilibre du contrat518. Elle rappelle que,
si le texte principal est l’article 1171 du Code civil en matière, d’autres textes à l’instar des
articles 1170519, 1143520 et 1231-5521 du Code civil français, ont également pour but de rétablir
un certain équilibre. Ainsi, l’article 1171 du Code civil522 offre une protection à la partie la
plus faible en disposant que : « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable,
déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties au contrat, est réputée non écrite ». Les clauses abusives sont
évitées grâce à cette disposition du Code civil. Il est évident que les contrats relevant d’un
régime spécial sont exclus du champ d’application de cet article et que les seules clauses
susceptibles d’être éradiquées sont celles non négociables. Les clauses principales ne sont pas
concernées.
363.
Et c’est au Code civil que référence doit être faite concernant la définition textuelle du
contrat. L’article 1101 nouveau du Code civil français dispose que « le contrat est un accord
de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou
éteindre des obligations »523. De cette définition, deux notions essentielles retiennent
l’attention : l’accord de volontés et les obligations. La définition retenue pour l’accord de
volontés est celle de la convention, qui est un acte marqué par la volonté des parties agissant
en toute connaissance de cause et en toute liberté. L’obligation est une notion très importante
en droit, mais pas uniquement. Elle joue un rôle essentiel dans la vie courante, les activités
économiques et des notions proches du droit telles que la religion, la morale. Si bien que
l’obligation est perçue suivant trois acceptions différentes. L’obligation est définie au sens
518
N. BLANC, « l’équilibre du contrat d’adhésion », in Colloque sur le Contrat d’adhésion : délimitation et
implications, 14 déc., 2018, Maison des sciences de l’Homme, Paris Nord, (sous. Dir.) Professeur Anne
ETIENNEY de SAINTE MARIE.
519
L’article 1170 du Code civil français dispose que : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation
essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
520
Selon l’article 1143 du Code civil, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de
dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas
souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».
521
Ce texte traite des clauses pénales.
522
Code civil français.
523
Les États membres continuent pour la majorité d’entre eux d’appliquer l’ancienne version du Code civil
français étant donné que leurs différents Codes civils en sont la transposition. Ces pays n’ont pas suivi
l’évolution du droit civil français.
197
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
général, au sens financier et au sens juridique. Par obligation, il faut tout d’abord entendre
dans le langage courant, « le devoir » c’est-à-dire des prescriptions légales, réglementaires, ou
morales qui imposent un devoir à une personne mais pas au sens juridique. Ensuite,
l’obligation désigne du point de vue financier, le titre, l’acte écrit qui constate une dette. Ce
sens n’est pas très éloigné de celui juridique, en raison de l’idée d’engagement qui en ressort.
Enfin, au sens juridique du terme, l’obligation désigne le lien de droit par lequel une ou
plusieurs, le ou les débiteurs, sont tenues d’une prestation envers une ou plusieurs autres, le ou
les créanciers. C’est également le rapport juridique entre créancier et débiteur, c’est-à-dire le
lien de droit qui unit l’un à l’autre524.
364.
Les caractères de l’obligation. Trois caractères sont reconnus à l’obligation, à savoir les
caractères obligatoires, personnel et patrimonial. En vertu de son caractère obligatoire, le
débiteur est tenu d’exécuter l’obligation à laquelle il a souscrit au risque de s’en voir exiger
l’exécution par une action en justice. Cela n’est vrai que pour les obligations civiles, celles qui
sont naturelles ne sont pas assorties de sanction et ne contraignent qu’en conscience525 . Même
s’il est indéniable que la nature de l’obligation n’est pas immuable. L’obligation naturelle peut
se muer en obligation civile lorsque le débiteur notamment, prend l’engagement de la payer.
« L’engagement unilatéral permet d’opérer la transformation d’une obligation naturelle en
obligation civile » 526. De plus, l’obligation est personnelle à celui qui l’a souscrite et de ce
fait intransmissible même si en réalité les différentes hypothèses de cession ou de délégation
sont organisées par la loi. Le principe veut que l’obligation ait un caractère patrimonial,
qu’elle soit évaluable en argent et soit une composante du patrimoine. L’obligation se décline
en obligation de donner, de faire ou de ne pas faire527. La notion d’obligation est essentielle en
droit civil, mais l’est encore plus en droit des affaires, domaine dans lequel les relations se
font et se défont au gré des conventions, accords et intérêts.
365.
Le droit de l’OHADA et le droit des obligations. Le droit de l’OHADA s’intéresse de
très près à l’aspect conventionnel des relations d’affaires et aux obligations qui les fondent, au
524
G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Dalloz, Coll. « Bibl. thèses », vol. 116, 2012,
préf. F. LEDUC.
525
Cass. Civ, 1ère, 14 février 1978, n° 76-11.428.
526
F. GENY, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, Tome II., Paris, L.G.D.J, 1964, p. 164.
527
Pour les développements sur la question V. Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, M. MEKKI, Droit des
obligations, 14e éd., Paris, LexisNexis, 2017, pp.6. et s. V. également Ph. DELEBECQUE, F.-J. PANSIER,
Droit des obligations : Régime général, 7e éd., Paris, LexisNexis, Coll. objectif droit, 2015, pp.7 et s.
198
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
regard de ses dispositions. La plupart des Actes uniformes évoquent ou traitent de contrats, de
conventions ou autres actes juridiques. Le droit des obligations est au cœur du dispositif de
l’OHADA, si bien que l’on se demande si l’on n’assiste pas à l’émergence d’une véritable
théorie des obligations de l’OHADA. Les textes communautaires ont été d’un apport
considérable au droit des obligations des États membres, qui sont encore marqués dans une
certaine mesure par l’oralité. Le droit des contrats demeure sous l’égide du droit civil dans les
États membres. Il est cependant indéniable que le droit de l’OHADA, présenté comme un
droit des affaires, a fortement influencé celui-ci que ce soit, du point de vue de la formation,
que de celui de l’interprétation.
2. Les règles gouvernant la formation du contrat
366.
La rencontre de l’offre et de l’acceptation, condition de formation du contrat. Selon
l’article 1113 nouveau du Code civil français, « le contrat est formé par la rencontre d’une
offre et d’une acceptation par lesquelles, les parties manifestent leur volonté de s’engager.
Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son
auteur »528. Les États membres de l’OHADA, lorsqu’ils n’éludent pas la question, l’abordent
de manière peu satisfaisante529. L’Acte uniforme portant droit commercial général est plus
précis, en ce qu’il énonce les caractères que doit revêtir une proposition pour être qualifiée
d’offre et l’hypothèse contraire. La proposition de contracter qui n’a pas les caractères d’une
offre, entre dans la catégorie des pourparlers. Et c’est dans l’article 241530 de l’Acte uniforme
qu’il faut rechercher ces détails qui viennent enrichir le droit des États membres, tant il est
vrai que ces développements étaient l’œuvre de la doctrine. L’article 1582 du Code civil
528
Article issu de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
529
Les Codes civils du Burkina, du Togo, de la Côte d’Ivoire, des Comores, du Cameroun, de la Guinée
n’évoquent pas la question de l’offre et de l’acceptation. Le nouveau Code des obligations civiles et
commerciales du Sénégal prévoit en son article 78 que « le contrat se forme par une offre ou sollicitation, suivie
d’une acceptation ».
530
Article 241 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général : Le contrat se conclut soit par
l’acceptation d’une offre, soit par un comportement des parties qui indique suffisamment leur accord.
Une offre est suffisamment précise lorsqu’elle désigne les marchandises et, expressément ou implicitement, fixe
la quantité et le prix ou donne les indications permettant de les déterminer.
Une proposition de conclure un contrat, adressée à une ou plusieurs personnes déterminées, constitue une offre si
elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation.
Une proposition adressée à des personnes indéterminées est considérée seulement comme une invitation à l’offre,
à moins que la personne qui a fait la proposition n’ait clairement indiqué le contraire.
199
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
ivoirien parle de vente sans en préciser la nature. Puisque « Specialia generalibus derogant »,
et que les prescriptions de l’article 241 de l’AUDCG restent assez générales et viennent se
substituer ou s’adjoindre aux dispositions nationales, le droit civil national gagne en clarté.
Aussi, « la plupart des systèmes juridiques des États de l’espace OHADA en étaient-ils restés
à la vente telle qu’elle était conçue et organisée par le Code civil français en 1804, c’est-à-dire
pour constituer un droit commun de la vente (et non spécialement celle des marchandises)
largement dépassé et inadapté au monde actuel » 531. La vente est un contrat usuel, un contrat
nommé, un contrat spécial tel que défini par le Code civil. À l’origine, « le droit des
obligations contractuelles est, pour l’essentiel, un droit des contrats spéciaux. Le droit romain
classique connaît et organise un certain nombre de contrats, mais n’admet pas l’existence du
contrat en tant que tel. Tout au long du XIXe siècle et pendant une bonne partie du XXe, le
droit contractuel s’articule principalement sur ce qu’il est convenu d’appeler, la théorie
générale des obligations » 532. Les dispositions de l’AUDCG viendraient enrichir le droit civil
national des États membres en définissant de manière précise les notions essentielles à la
formation d’un contrat et leur régime juridique.
367.
Les avant-contrats. La formation du contrat en tant que telle est souvent précédée de
négociations, de discussions, d’échanges qui prennent la forme d’avant-contrats et qui
couvrent la phase dite précontractuelle. Le pacte de préférence, la promesse unilatérale et la
promesse synallagmatique sont destinés à la conclusion du contrat définitif. Des effets de droit
leur sont attachés tels que des sanctions en cas de violation. Le pacte de préférence est défini
comme le contrat par lequel une personne s’engage envers une autre qui accepte, à ne pas
conclure avec des tiers un contrat déterminé, avant de lui en avoir proposé la conclusion aux
mêmes conditions533. Son non-respect a pour conséquence, une exécution forcée en faveur de
la partie qui aurait dû se voir proposé le contrat en priorité sous certaines conditions534. La
promesse unilatérale est définie selon l’article 1124 alinéa 1 du Code civil français, comme un
« contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter
531
J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA : Apports et emprunts », [www.ohada.com].,
OHADATA- D-12-08.
532
F. COLLART-DUTILLEUL, Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Paris, éd.
DALLOZ, Coll. Précis droit privé, 2019, n°4, p.6.
533
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, F. CHENEDE, Les obligations, op.cit., n° 260, p. 291, en
référence à l’article 1123 du Code civil français.
534
Cass, Ch. Mixte, 26 mai 2006, Bull. civ. mixte, n°4, Dalloz 2006, p. 1861.
200
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés et pour la
formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ». L’alinéa 3 précise que
« le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait
l’existence est nul ».
368.
Avant la réforme intervenue en droit français, la violation de la promesse n’était
sanctionnée que par l’allocation de dommages-intérêts. Une promesse synallagmatique de
contrat est conclue par deux personnes qui s’engagent chacune à passer ultérieurement un
contrat dont les éléments essentiels sont définis. L’accomplissement d’une formalité
supplémentaire dans l’avenir est prévu par les parties535. La promesse de vente vaut vente
lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix selon l’article
1589 du Code civil français. Si le droit français a réglementé les avant-contrats, au sein des
États membres, cette phase précontractuelle est source d’incertitudes pour les parties. Le
législateur de l’OHADA a procédé à l’encadrement de cette phase en posant le principe de la
possibilité d’accords partiels, la liberté de rupture des négociations et la possibilité de
poursuite en dommages-intérêts en cas d’abus536. L’instauration de ce cadre général donne
matière aux États membres de s’en servir de fondement pour établir des règles adaptées non
pas exclusivement à la vente commerciale. Ainsi, la sécurité juridique serait renforcée dès la
phase précontractuelle et le cadre juridique des investissements, renforcé.
369.
Les contrats entre absents ou par correspondance. Les apports concernent également
les contrats entre absents ou par correspondance, pour lesquelles s’affrontent les adeptes de la
théorie de l’émission et ceux de la théorie de la réception. En réalité, il n’y avait pas de
consécration textuelle, mais de nombreux arrêts semblaient avoir opté pour la théorie de
l’émission. Suivant la théorie de l’émission, le contrat doit être considéré comme conclu dès
l’émission de l’acceptation, plus précisément au moment où la lettre d’acceptation est
expédiée. L’avantage reconnu à cette théorie est de faire remonter la date de conclusion du
contrat au moment où l’offrant se dessaisit de sa lettre et se retrouve obligé d’assumer la
responsabilité de son choix de faire une proposition.
535
D. MARTIN, « des promesses précontractuelles », Etudes offertes à Jacques BEGUIN, Paris, Litec, 2005, p.
485.
536
L’article 249 de l’AUDCG dispose que « Les parties sont libres de négocier et ne peuvent être tenues pour
responsables si elles ne parviennent pas à un accord. Toutefois, la partie qui conduit ou rompt une négociation de
mauvaise foi est responsable du préjudice qu’elle cause à l’autre partie. Est, notamment, de mauvaise foi la partie
qui entame ou poursuit des négociations sans intention de parvenir à un accord ».
201
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
370.
À l’opposé, la théorie de la réception exige que l’offrant ait connu l’acceptation pour que le
contrat soit conclu. Le contrat est formé lorsque l’acceptation est reçue par l’offrant. Les États
membres de l’OHADA de tradition civiliste ont semble-t-il majoritairement, à l’image du
droit français537, retenu la théorie de l’émission538. Mais la réforme du droit des contrats entré
en vigueur en France le 1er octobre 2016, a résolu la question en retenant expressément la
théorie de la réception. « Le contrat est parfait dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Il est
réputé l’être au lieu où l’acceptation est parvenue »539. Le législateur de l’OHADA n’a fait
que suivre cette évolution, en consacrant ladite théorie qu’il tient de la Convention des
Nations unies sur les Contrats de Vente Internationale de Marchandises (CVIM). L’option
pour la théorie de la réception pour les États membres serait avantageuse pour les États
membres en ce qu’elle est très protectrice du consommateur. Par exemple, la théorie de la
réception permet la rétractation de l’offre dans un délai plus long. Le moment du transfert de
propriété et du transfert des risques liés au moment de la conclusion du contrat, est également
différé en faveur de l’une des parties. En tout état de cause, l’option en faveur de la théorie de
la réception, avec le délai accordé aux parties, serait un moyen pour les pays membres de
l’OHADA, de garantir la réalité du consentement des parties. En l’absence540 de textes au
sein du droit interne pour réglementer la formation des contrats entre absents, les dispositions
du droit de l’OHADA trouvent indéniablement application dans un cadre extensif.
B. L’interprétation des contrats
371.
La notion d’interprétation du contrat, à l’origine d’un vaste contentieux, est essentielle.
Elle mérite d’être précisée (1) tout comme les modalités d’interprétation du contrat (2).
537
Des hésitations jurisprudentielles sont à relever en droit français, avec l’adoption de la théorie de l’émission
dès 1932, le retour à ladite théorie en 1981 et avec un arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation en
date du 17 septembre 2014, un apparent abandon de la théorie de l’émission.
538
Le Sénégal par exemple, retient la théorie de la réception en vertu de l’article 82 du Code des Obligations
civiles et commerciales.
539
Article 1121 du Code civil français.
540
Seul le législateur sénégalais a opéré une avancée notable en insérant dans son Code des Obligations Civiles
et Commerciales, à l’article 81, des dispositions spécifiques aux contrats entre absents ou éloignés d’un point de
vue géographique et qui ne disposent que de correspondances pour la formation du lien contractuel.
202
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. La notion d’interprétation des contrats
372.
Présentation. La volonté des parties n’est pas toujours intelligible. Ce qui peut être
préjudiciable à l’exécution du contrat. Exécution qui est liée à la connaissance par chaque
partie de ses obligations, dont il faut déterminer le sens, l’objet, la portée. L’interprétation est
une opération intellectuelle par laquelle une signification claire est attribuée à quelque chose.
L’interprétation est inhérente au droit puisque « le plus ancien nom qu’ait à Rome porté le
juriste […] est précisément celui d’interpres »541. L’interprétation juridique désigne une
opération qui consiste à discerner le véritable sens d’un texte obscur. Au sens large,
l’interprétation peut être exégétique ou téléologique consistant respectivement à s’attacher à la
lettre du texte, à dégager l’intention de son auteur et à déterminer la finalité de la norme ou le
résultat de la recherche. Sur la question de l’interprétation, s’opposent les partisans de la
clôture interprétative du droit et les défenseurs du pouvoir créateur du juge. Les premiers
conçoivent l’application des règles de droit aux cas particuliers comme une simple
subsomption des espèces sous leurs genres. Le pouvoir d’interprétation pour ce qui est de la
loi, appartient au juge. Lorsqu’un texte est suffisamment clair, son application dans les termes
mêmes du texte s’impose au juge sans besoin d’interprétation : il procède à une application
littérale du texte. Cependant, si le texte est flou, le juge retrouve son pouvoir d’interprétation
pour en dégager le sens.
373.
L’interprétation par le juge. L’interprétation du contrat relève également de la
compétence du juge qui connaît de tout autre litige découlant du contrat. Son intervention est
réalisée suivant des modalités précises, étant donné que le contrat est un acte consensuel des
parties. La compétence du juge en la matière est fondée sur son objectivité et son aptitude à
comprendre la volonté des parties et à l’analyser. L’interprétation du juge ne concerne
évidemment pas tous les contrats, étant entendu que, « interpretatio cessat in claris » 542. Le
critère justifiant l’intervention du juge est ce que la jurisprudence de la Cour de cassation
appelle la « nécessité interprétative ». Seul le juge de fond est habilité à interpréter un contrat,
selon l’article L. 111-2 du Code de l’Organisation Judiciaire français qui précise que « la Cour
de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire ».
541
M. VILLEY, « Préface », in Arch. ph. dr., Tome XVII, L’interprétation en droit, Paris, Sirey, 1972, p. 3.
542
Ch. PERELMAN, « L’interprétation juridique », note 3, p. 30.
203
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. Les modalités de l’interprétation des contrats
374.
La « commune intention des parties ». L’article 1188 nouveau du Code civil français
dispose que « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en
s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat
s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même
situation ». Le nouvel article 1190 du Code civil français prévoit quant à lui que « dans le
doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le
contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ». Sur la question de la commune intention, la
formulation des États membres543 est identique à celle du droit français. En la matière, la
primauté est donnée à la recherche de l’intention des parties, le juge doit avant tout rechercher
la commune intention des parties, sans s’arrêter au sens littéral des termes du contrat.
Toutefois, cette quête de l’intention commune des parties s’avère parfois difficile, car il existe
une altérité irréductible entre les parties qui fait qu’elles peuvent avoir deux intentions
différentes, divergentes. Par exemple, il est aussi fréquent, notamment dans les contrats
d’adhésion, qu’une clause soit rédigée par une partie, puis acceptée par l’autre alors qu’elle ne
l’a pas véritablement lue. Cette partie qualifiée de faible est assurée en vertu de l’article 1190
du Code civil auquel, selon le Professeur Anne ETIENNEY de SAINTE MARIE, une valeur
contraignante devrait être reconnue, « d’obtenir l’interprétation et donc a des chances de faire
établir le déséquilibre et de rétablir un certain équilibre »544. Simplement, dès lors que le
législateur par le biais de cette directive d’interprétation explique les modalités
d’interprétation, le juge ne devrait pas avoir la faculté d’opter, mais être tenu545. Ainsi,
lorsqu’il est impossible de déterminer l’intention commune des parties, le contrat s’interprète
selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable, placée dans la même situation. Et la
doctrine contemporaine a impulsé l’évolution de la conception stricte de recherche de
l’intention commune des parties, puisque de vives voix se sont élevées pour dire qu’il est vrai
que l’interprète doit rechercher la commune intention des parties, car le contrat reste l’œuvre
des contractants, mais il doit aussi se référer à d’autres critères, tels que la bonne foi, les
543
V. à titre d’exemple l’article 1156 du Code civil ivoirien qui dispose que : « On doit dans les conventions
rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des
termes ».
544
A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, « L’interprétation du contrat d’adhésion », in Colloque sur le Contrat
d’adhésion : délimitation et implications, 14 déc., 2018, Maison des sciences de l’Homme, Paris Nord.
545
A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, ibid.
204
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
usages, l’économie du contrat ou la justice546. La recherche de la commune intention des
parties s’est avérée déterminante dans le choix par les juges des pays membres du droit
applicable. Dans un arrêt du 21 mars 2003, la Cour d’appel de Ouagadougou au Burkina Faso
a estimé que « la situation des parties ne pouvait, en aucun cas, être analysée comme étant la
résultante de la commune intention recherchée par elles et devant être entièrement exécutée
comme telle. Elle en a déduit que c’est à bon droit que le premier juge a écarté l’application
des dispositions de l’article 18 relatif au droit commercial général au profit de l’article 2262
du Code civil » 547.
375.
L’interprétation du contrat en droit civil national. Les dispositions des États membres
en matière d’interprétation du contrat manquent de clarté, alors qu’elles sont censées aider à
comprendre le sens du contrat. Ces textes que prévoient que « lorsqu’une clause est
susceptible de deux sens, on doit l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque
effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »548. De plus, « les termes
susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du
contrat »549. Il est regrettable que les dispositions du Code civil français soient transposées
purement et simplement au sein de pays membres aux réalités différentes, en des termes
pouvant paraître sibyllins.
376.
Les directives d’interprétation du législateur de l’OHADA. L’Acte uniforme énonce, à
l’inverse, des directives d’interprétation plus claires. Selon l’article 238 de l’A.U.D.C.G,
« Lorsqu’une clause est ambiguë, la volonté d’une partie doit être interprétée selon le sens
qu’une personne raisonnable, de même qualité que l’autre partie, placée dans la même
situation, aurait déduit de son comportement. Pour déterminer la volonté d’une partie, il doit
546
E. DE CALLATAY, Etudes sur l’interprétation des conventions, Bruylant & L.G.D.J, 1947, n°66, p. 135.
547
Cour d’Appel de Ouagadougou, Arrêt du 21/03/2003, Arrêt n° 23, aff. BURKINA & SHELL c/ PARE Adam,
[www.ohada.com]., OHADATA J-06-72 ; Le propriétaire et exploitant d’un camion-citerne servant au transport
de produits pétroliers met à la disposition d’une société pétrolière ledit camion qui, par la suite, est immobilisé
pendant six mois sans motif. Le propriétaire demande réparation à la compagnie neuf ans plus tard devant le
Tribunal de Grande Instance et obtient gain de cause. La Cour d’appel déboute la société qui invoque
l’inexécution d’un contrat entre commerçants et, par conséquent, la prescription quinquennale de l’article 18
AUDCG. Elle précise que l’action entreprise par le propriétaire du camion vise à obtenir la réparation du
préjudice subi par lui du fait d’autrui ; qu’il s’agit en fait d’une action en responsabilité civile, obéissant aux
règles de procédure civile et régie par les dispositions du droit commun.
548
Article 115 du Code civil ivoirien. V. article 1191 nouveau du Code civil français.
549
Article 1158 du Code civil ivoirien.
205
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
être tenu compte des circonstances de fait, et notamment des négociations qui ont pu avoir
lieu entre les parties, des pratiques qui se sont établies entre elles, voire des usages en vigueur
dans la profession concernée ». L’interprétation du juge est exclusivement subordonnée à la
présence d’une clause ambiguë. La liste des outils d’interprétation étant limitativement définie
par le législateur de l’OHADA, il est fait obligation au juge de se référer à l’un des modèles
retenus à l’article 238.
377.
La phase préparatoire de la conclusion du contrat, notamment la négociation, les avantcontrats, les pratiques et usages interviennent dans le mécanisme d’interprétation550. Il a été
largement fait application de ces directives d’interprétation dans les pays membres de
l’OHADA. Le juge communautaire, a estimé d’une part, que le « juge ne peut se livrer à
l’interprétation des usages et des habitudes en application de l’article 207 du même Acte
uniforme, que si l’intention des parties n’est pas ou est mal exprimée »551. D’autre part, les
juges ont retenu que ces directives peuvent être étendues au monde des affaires
indépendamment du type de contrat dès lors que le caractère habituel et répétitif des
transactions est de nature à créer des pratiques, des usages qui acquièrent force obligatoire
dans le domaine concerné. Le législateur de l’OHADA a marqué de son empreinte les règles
gouvernant l’exécution du contrat au-delà même de sa formation. Cependant, il lui faudrait
lever une incohérence suscitée par l’article 238 de l’AUDCG. En effet, la recherche de la
commune intention est à l’appréciation souveraine des juges du fond puisqu’il s’agit d’une
question factuelle. Or, cet article permet de tenir compte de circonstances factuelles, ce, alors
que la CCJA en sa qualité de juridiction suprême est juge du droit. Le droit de l’OHADA
permettrait de réduire le contentieux lié à l’interprétation des contrats, par le biais de
l’intégration de ses directives d’interprétation au droit civil national des États membres.
§ 2. Les apports en matière d’exécution du contrat
378.
L’exécution du contrat concerne les obligations des parties (A) et le contentieux lié à ladite
exécution (B).
550
S. A.-ADJITA, « L’interprétation de la volonté des parties dans la vente commerciale OHADA », Penant n°
841, oct-déc. 2002, pp. 473 et ss.
551
CCJA, Arrêt n° 064/2005, Affaire : SANY Quincaillerie c/ SUBSAHARA SERVICES NC En l’espèce, de
façon manifeste, Subsahara Services inc. n’entendait pas être liée par la réponse à l’appel d’offres, d’autant que
SANY Quincaillerie ne pouvait ignorer ces procédures d’appel d’offres dans le cadre desquelles elle s’était
portée candidate à plusieurs reprises et avait ainsi remporté différents marchés. Recueil de jurisprudence de la
CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 54. Le Juris-Ohada n° 1/2007 p. 2.
206
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
A. Les obligations des parties
379.
Les parties au contrat étant, d’une part, le vendeur (1) et, d’autre part, l’acheteur (2) , leurs
obligations respectives seront analysées successivement.
1. Les obligations du vendeur
380.
Les obligations personnelles du vendeur. Le dispositif contractuel met à la charge des
parties, des obligations précises dont l’exécution leur incombe à titre personnel. L’article 1199
du Code civil français pose le principe de l’effet relatif des contrats : « les conventions n’ont
d’effet qu’entre les parties contractantes ». Ce principe signifie que seules les parties qui ont
consenti au contrat, sont engagées par celui-ci. Le contrat de vente de droit commun met à la
charge du vendeur et de l’acheteur des obligations spécifiques. L’un est tenu entre autres
d’une obligation de livraison, de conformité et de garantie envers son client. Client qui pour
sa part est tenu au paiement du prix, à la prise de livraison et qui supporte le transfert des
risques. Concernant le vendeur, l’article 1603 du Code civil français prévoit que « le vendeur
a deux obligations principales, celle de délivrer552 et celle de garantir la chose qu’il vend ».
Les dispositions du Code civil français et donc de ceux des États membres excepté celui du
Sénégal, pèchent par leur caractère trop général, vague et leur silence quant aux modalités
pratiques de la livraison : le lieu précis, le moment. Les dispositions de l’AUDCG pour ce qui
est du contrat de vente, qui ont une valeur supplétive, peuvent parfaitement pallier ces
insuffisances. Il est clair que les dispositions de cet acte « peuvent être parfaitement
transposables aux autres conventions génératrices de l’obligation de remettre ou de restituer la
chose à autrui » 553.
381.
En premier lieu, le vendeur ou tout autre contractant obligé de livrer, sont tenus de remettre
les marchandises à un transporteur si le contrat prévoit un contrat de transport. L’obligation
est de résultat. Dans les autres cas, le vendeur doit les mettre à la disposition de l’acheteur au
lieu où elles ont été fabriquées, où elles sont stockées, ou au lieu où le vendeur a son principal
552
La délivrance est selon l’article 1604 du Code civil « le transport de la chose vendue en la puissance et
possession de l’acheteur » ; et l’article 1609 de renchérir que « la délivrance doit se faire au lieu où était, au
temps de la vente, la chose qui en a fait l’objet, s’il n’en n’a été autrement convenu ».
553
J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA », op.cit., p. 350.
207
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
établissement554. Il est indéniable qu’une extension de cet article à tous les contrats de vente
d’une part et aux autres contrats translatifs de propriété de l’autre, renforcerait la sécurité
juridique des opérations contractuelles et contribuerait à amenuiser le contentieux relatif à
l’exécution du contrat et à son interprétation. En second lieu, selon l’article 253 alinéa 3 de
l’AUDCG, en l’absence de stipulation du contrat, « la livraison doit être effectuée par le
vendeur dans un délai raisonnable après la conclusion du contrat ». L’article 253 alinéa 3
constitue une réelle avancée concernant le moment de la livraison quand on jette un regard sur
les dispositions tant du Code civil français que sur celles du Code civil des États membres. En
effet, l’article 1610 du Code civil français ne relève que « le cas d’un accord des parties sur le
moment de la livraison »555. Or, l’évolution des échanges, de la forme même des activités
économiques, impose une évolution de l’appréhension des relations contractuelles. À l’heure
du numérique, de la dématérialisation et de l’extension des activités économiques par le biais
de filiales dans plusieurs pays, il aurait fallu que les États membres innovent et légifèrent sur
la question. La situation n’est pas désespérée au vu des prévisions de l’AUDCG qui a
vocation à régir divers types de contrats, notamment de services, de prêts ou de location.
382.
L’obligation accessoire du vendeur. Hormis le lieu et le moment de la délivrance de la
chose objet du contrat, il n’est pas exclu que le contrat donne lieu à un échange de documents
en plus du contrat s’il est écrit. Il peut s’agir de tous les documents devant permettre un usage
paisible de la chose et surtout conforme aux attentes légitimes de l’autre contractant. Une
obligation accessoire à l’obligation de livraison est donc mise à la charge du vendeur. Il
ressort de l’article 254 de l’AUDCG que le vendeur est tenu si nécessaire, de délivrer tous les
documents se rapportant aux marchandises. L’obligation telle que prévue, devrait être étendue
à tout contrat translatif de propriété, ayant pour corollaire une obligation de délivrer et devrait
enrichir la théorie générale des obligations des États membres.
554
Article 251 de l’Acte Uniforme portant droit commercial général : « lorsque le vendeur n’est pas tenu de
livrer la marchandise en un lieu particulier, il doit la tenir à la disposition de l’acheteur soit au lieu où elle a été
fabriquée ou stockée, soit au siège de son activité de vendeur ».
555
Selon l’article 1610 du Code civil, « Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre
les parties, l’acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le
retard ne vient que du fait du vendeur ».
208
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
383.
L’obligation de conformité. Le vendeur est également astreint à une obligation de
conformité envers l’acheteur. Le vendeur a l’obligation de délivrer la chose vendue et non une
chose différente, faute de quoi sa responsabilité pour inexécution du contrat est engagée. Cette
obligation trouve sa source dans l’article 1603 du Code civil susvisé. Le vendeur est
responsable de tout défaut de conformité de la chose objet du contrat. Si cette obligation de
conformité est tacite dans le Code civil, elle est clairement affirmée par le droit de l’OHADA.
Les articles 255 à 259 de l’AUDCG sont consacrés à l’obligation de conformité à la charge du
vendeur. « Le vendeur doit livrer les marchandises en quantité, qualité, spécifications et
conditionnement conformes aux stipulations du contrat »556. Dans le silence du contrat, le
vendeur est tenu de livrer des marchandises propres aux usages auxquels elles servent
habituellement ou dotées des qualités identiques à celles des échantillons ou modèles
présentés.
384.
L’obligation de conformité et le consensualisme. L’obligation de conformité ne tient
qu’à la volonté des parties et aux stipulations contractuelles. Ici, primauté est accordée au
consensualisme, à la volonté des parties en ce sens que l’idée de conformité peut s’apprécier
différemment d’un cocontractant à un autre ; il est donc très important que les parties
s’accordent sur l’idée qu’elles se font de la conformité. L’on se réfère aux usages en la
matière en cas de silence du contrat, pour s’assurer du respect de l’obligation de conformité.
Le défaut de conformité est celui qui, selon la Cour de cassation française, exclut que la chose
corresponde à sa destination normale557. Le défaut de conformité est rapproché à tort du vice
alors que comme le rappelle la Cour de cassation dans son rapport, « le vice présente un
aspect pathologique susceptible d’évolution, alors que la non-conformité est statique et
provient du fait patent que la chose n’est pas celle désirée. En outre, le vice est la plupart du
temps accidentel, alors que la non-conformité existe dès l’origine de la chose. Enfin, le vice
556
Article 255 de l’AUDCG.
557
Cass. Civ. 1ère, 8 décembre 1993, « JA » 1994, p. 96 ; la Cour a jugé, à propos d’une bétaillère fabriquée en
dehors des règles de l’art à partir d’un fourgon découpé auquel avait été greffée une caisse de bétaillère qui
s’était coupée en deux, que « le défaut de conformité de la chose à sa destination normale constitue le vice prévu
par les articles 1641 et suivants du code civil ». La jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas totalement
fixée. La chambre commerciale a retenu qu’un matériel « dont les qualités intrinsèques ne correspondent pas aux
spécifications indiquées et qui n’est pas davantage conforme à la destination qui lui était assignée » est affecté
d’un vice caché, Com., 6 juillet 2010, n° 09-16.405. Or, le 30 septembre 2010, dans un arrêt n° 09-11.552, la
première chambre retient que la fourniture d’un matériel « inadapté à la destination convenue » caractérise au
contraire un manquement du vendeur à son obligation de délivrance.
209
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
est inhérent à la chose vendue, tandis que la non-conformité exige d’être appréciée à la
lumière du contrat » 558.
385.
Le contenu de la garantie. Cette précision permet d’évoquer l’obligation de garantie qui
incombe au vendeur et qui renferme une double réalité. Une obligation de garantie visant à
protéger les droits acquis par l’acheteur sur la chose et celle contre les vices cachés559. La
première garantie vise à assurer à l’acheteur une détention et une jouissance paisibles. C’est
au vendeur de prémunir son cocontractant contre les droits d’un tiers sur l’objet du contrat. La
garantie dont il est question est une garantie d’éviction qui est due lorsque le droit revendiqué
par le tiers a une incidence sur le droit de l’acquéreur, en entraînant sa disparition totale ou
partielle par exemple. Si le droit commun de la vente reste très peu précis quant à cette
exigence, le droit de l’OHADA, lui, énonce que « le vendeur doit livrer les marchandises
libres de tout droit ou prétention d’un tiers, à moins que l’acheteur n’accepte de les prendre
dans ces conditions » 560. Ainsi, l’étendue de la garantie peut varier en fonction de la volonté
de l’acheteur. Les États membres gagneraient à étendre purement et simplement le bénéfice
d’une telle garantie à « tous ceux qui ont droit à une jouissance ou détention paisible de la
chose, générée par des contrats autres que la vente »561. L’on a affaire à une garantie du
vendeur contre toute éviction de l’acheteur du fait de l’exercice du droit d’un tiers ou de luimême. Sur la question, il a été fait une application stricte par les juges de la nécessité de
garantir une jouissance paisible à l’acheteur.
386.
L’acheteur bénéficie de la part du vendeur de la garantie contre les vices cachés encore
appelés vices rédhibitoires. Ce sont les défauts non apparents de la chose lorsqu’elle est
examinée. « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue
qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage
que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait
connus » 562. Le bénéfice de la garantie des vices cachés n’est pas automatique, car des
558
Rapport annuel de la Cour de cassation 1994, p. 343.
559
L’article 1625 du Code civil dispose que : « La garantie que le vendeur doit à l’acquéreur a deux objets : le
premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices
rédhibitoires ».
560
Confère article 260 de l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial Général tel que révisé en 2010.
561
J. ISSA-SAYEGH, « La vente commerciale en droit OHADA… », op.cit., p. 351.
562
Article 1645 du Code civil français.
210
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
conditions sont exigées : l’existence du vice et son caractère ; encore que la qualité de
l’acheteur rentre en ligne de compte. L’existence du vice qui est antérieure ou concomitante à
la vente, doit rendre la chose impropre à son usage convenu ; un trouble à l’usage de la chose
est nécessaire563. Son appréciation se fait par référence à l’usage normal que l’acheteur
pouvait raisonnablement envisager, par rapport au prix, usage, conditions de vente, services et
économie que l’on peut attendre de cette chose. Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents
qui sont perceptibles à première vue. En effet, si le vice est apparent, l’acheteur doit refuser de
prendre la livraison de la chose ou d’en payer le prix, mais en aucun cas il ne saurait invoquer
la garantie des vices cachés.
Le défaut caché est celui que l’acheteur ne pouvait déceler compte tenu de la nature de la
chose. Il existe une présomption lorsqu’on se retrouve devant un vendeur professionnel et un
acquéreur profane, selon laquelle, « le vice caché ne pouvait pas être connu de l’acquéreur ».
387.
L’acquéreur professionnel et l’acquéreur profane. Lorsque l’acquéreur professionnel
agit dans un domaine autre que le sien, la jurisprudence estime que sa compétence technique
n’est pas équivalente à celle du vendeur professionnel, de ce fait il est assimilé à un acquéreur
profane, avec comme principale conséquence l’applicabilité de la présomption selon laquelle
« il ne pouvait qu’ignorer le vice ». En revanche, lorsque l’acquéreur professionnel agit dans
le cadre de sa profession et dans le même domaine que le vendeur, la jurisprudence retient
qu’il a une compétence technique équivalente à celle du vendeur, de ce fait il est tenu des
diligences importantes afin de s’assurer que la chose qu’il est en train d’acquérir est exempte
de vices. Mais dans tous les cas, la présomption est simple pour l’acheteur professionnel
contrairement à celle du professionnel qui est irréfragable564. Il apparaît à l’analyse que le
législateur de l’OHADA assimile le vice caché au défaut de conformité lorsqu’il parle de «
défaut de conformité caché »565. Le législateur de l’OHADA intègre la notion de vices cachés
dans la garantie de conformité. Le Doyen Henri Bebey MODI KOKO parle plutôt d’ « une
confusion de l’obligation de conformité avec la garantie des vices cachés, alors qu’en droit la
non-conformité et le vice de la chose ne se confondent pas »566. L’extension des dispositions
563
F. COLLART-DUTILLEUL, Contrats civils et commerciaux, op. cit., n° 261, p. 252.
564
J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Droit civil : Contrats spéciaux, 8e éd., Paris, LexisNexis,2015, n°215, p. 186.
565
Article 259 de l’AUDCG.
566
H.-B. MODI KOKO, Droit commercial général et droit de la concurrence, in droit communautaire des
Affaires (OHADA-CEMAC), Tome I, éd. Dianoia, 2008, p. 172.
211
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
relatives à l’action fondée sur un défaut de conformité à tout créancier d’un droit de
jouissance ou de détention serait avantageuse pour les États membres. Il ne serait plus
nécessaire d’exercer une action pour le défaut de conformité et une autre pour les vices
cachés. L’exercice d’un unique recours en cas de défaut de conformité, permettrait de relever
des vices cachés. Le droit civil des États membres serait simplifié et modernisé concernant cet
aspect de la question, grâce à l’influence du droit de l’OHADA.
2. Les obligations de l’acheteur
388.
Le paiement du prix et la prise de livraison. L’acheteur est tenu de respecter deux
exigences principales : le paiement du prix et la prise de livraison de la chose. Les
dispositions de l’article 1650 du Code civil français sont sans équivoque : « la principale
obligation de l’acheteur est de payer le prix au jour et au lieu réglés par la vente » ainsi que
« les frais de la vente qui en sont l’accessoire » 567. Les modalités de paiement du prix sont en
principe définies par la convention des parties. Celles-ci sont libres de déterminer le moment
du paiement du prix, quitte à ce qu’il soit différent de celui de la délivrance. Le paiement peut,
suivant l’accord des parties, intervenir avant la livraison, que ce soit partiellement par le
versement d’un acompte sur le prix lors de la conclusion du contrat, ou totalement comme
dans la vente par colis-épargne568. Le paiement peut intervenir après la livraison de manière
échelonnée comme dans la vente à tempérament. L’acheteur ne peut invoquer un cas de force
majeure pour se soustraire à l’exécution de son obligation569. De même, l’obligation de
paiement de l’acheteur doit être exécutée de manière spontanée sans qu’il y ait besoin de
recourir à une mise en demeure570. En l’absence de stipulation particulière, l’acquéreur doit
payer au temps et au lieu de la délivrance selon l’article 1651 du Code civil français.
389.
Le lieu du paiement du prix. La liberté des parties concernant la détermination du lieu du
paiement du prix est totale. Seul le silence du contrat rend applicable une règle dérogatoire au
567
Article 1593 du Code civil français.
568
F. COLLART-DUTILLEUL, Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, op.cit., n°328, p. 313. La
vente par colis-épargne consiste pour le consommateur à acheter peu à peu des timbres-épargne jusqu’à ce que le
montant total atteigne la valeur du bien qu’il entend commander.
569
Cass. Com., 23 janv. 1968, Bull. civ. IV., n°39.
570
La délivrance rend le prix exigible et les juges sont clairs sur la question car ils considèrent que « Sauf
convention particulière, l’obligation, pour l’acheteur, de payer le prix de vente résulte de l’obligation complète,
par le vendeur, de son obligation de délivrance ». Cass. 1ère civ., 19 nov., 1996 : JCP E 1997, II, 968, note J.
HUET.
212
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
droit commun et qui veut que le paiement ait lieu à l’endroit où la livraison est effectuée.
Cependant, « le paiement s’effectue au domicile du débiteur, l’acheteur en l’occurrence en
vertu du droit commun, lorsque la vente n’est pas au comptant »571. L’AUDCG a approfondi
la question puisqu’il établit que « le paiement du prix au vendeur est fait soit au siège de son
activité, soit au lieu de la livraison si le prix est payable comptant ou si la livraison est
effectuée contre remise de documents »572. Les États membres éviteraient aux acteurs
économiques les difficultés inhérentes au paiement du prix face aux mauvais payeurs et
acheteurs indélicats. Les règles relatives au paiement pourraient être retenues en droit des
obligations interne impliquant le paiement d’un prix contre remise d’une chose.
390.
La prise de livraison ou le retrait de la chose. L’acheteur doit prendre livraison de la
chose ou la retirer quand il s’agit de mobilier et ne peut s’y refuser si la chose est conforme au
contrat573. L’acheteur est tenu « de retirer matériellement la chose vendue ou de la faire retirer
par un tiers pour son compte, ce qui implique qu’il supporte en principe, les frais liés à cette
opération »574. L’obligation de l’acheteur repose sur le caractère synallagmatique du contrat
de vente. La prise de livraison doit être réalisée par l’acheteur qui est tenu selon l’article 269
de l’AUDCG d’accomplir les actes permettant au vendeur d’effectuer la livraison, puis retirer
les marchandises. Lorsque l’acheteur tarde à prendre livraison des marchandises ou n’en paie
pas le prix, le vendeur, s’il a les marchandises en sa possession ou sous son contrôle, est fondé
à les retenir jusqu’à leur complet paiement. Il doit cependant prendre les mesures raisonnables
pour assurer la conservation des marchandises575. Ces dispositions pourraient enrichir le
dispositif en matière de contrats translatifs de propriété. D’autant plus qu’elles renforceraient
les règles en matière de garantie de paiement offertes au vendeur telles que le droit de
rétention ou la réserve de propriété.
391.
Le transfert de la propriété et des risques. La formation du contrat emporte pour
l’acheteur le transfert de la propriété et des risques. La vente est parfaite entre les parties et la
propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la
571
Article 1247 du Code civil français. Sauf clause contraire bien évidemment.
572
Article 266 de l’AUDCG.
573
Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., Paris, L.G.D.J, 2018, n°
518, p. 287.
574
J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Droit civil, Contrats spéciaux, op.cit., n° 247, p. 210.
575
Article 271 de l’AUDCG.
213
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé576. Le transfert de
propriété a pour corollaire le transfert des risques à la charge de l’acheteur. Parce qu’il est
désormais le propriétaire de la chose, l’acheteur doit en supporter la perte partielle ou totale.
Contrairement au droit commun, le législateur de l’OHADA a retardé le transfert de propriété
et donc des risques à la prise de livraison quoique les parties puissent décider de le différer.
Une solution qui s’explique aisément, car la livraison est la condition sine qua non du
paiement du prix sauf stipulation contractuelle contraire. L’exécution de ces deux obligations
concrétise la formation du contrat entre les parties. Il est plus juste pour l’acheteur de subir le
transfert des risques lorsque le bien est sous son influence, en sa possession.
B. Le contentieux relatif à l’exécution du contrat
392.
Le contentieux relatif à l’exécution du contrat naît en général de l’appréciation de la force
obligatoire du contrat (1) et de la sanction de l’inexécution (2).
1. La force obligatoire du contrat
393.
La consécration textuelle du principe. La conclusion d’un contrat quel qu’il soit,
emporte des effets pour les parties. Celles-ci sont tenues de respecter ce à quoi le contrat les
oblige. Le contrat a une force obligatoire pour les parties et les tiers au contrat. Selon Hans
KELSEN, le contrat tire sa force obligatoire dans la volonté du législateur de le sanctionner.
Mais le Professeur Jacques GHESTIN préfère retenir que « le législateur conformément au
droit objectif qui le dépasse, ne devrait sanctionner le contrat que parce qu’il est utile et à la
condition qu’il soit juste »577. L’utile et le juste seraient selon cet illustre auteur les principes
fondamentaux de la théorie générale du contrat. L’article 1103 du Code civil dispose que « les
contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »578. L’article 1193 de
renchérir : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel
des parties, ou pour les causes que la loi autorise ». La formule de l’article 1103 du Code civil
applique la doctrine de droit naturel « pacta sunt servanda ». De contrats légalement formés, il
s’agit de ceux conclus conformément aux règles légales exigées pour la formation des
576
Article 1583 du Code civil français.
577
J. GHESTIN, Traité de Droit civil : la formation du contrat, 3e éd., Paris, L.G.D.J, 1993, n°226, p. 203.
578
Article 1103 du Code civil français tel qu’issu de la réforme du 10 février 2016.
214
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
contrats. Ces articles sont l’expression du principe de l’autonomie de la volonté et de la liberté
contractuelle.
394.
La volonté des parties. Il en résulte que le contrat constitue la loi des parties qui doivent
se conformer à ce dont elles sont convenues et qu’aucune partie ne peut en principe se
rétracter unilatéralement. Seules peuvent être invoqués, l’accord commun ou les causes
d’exemption prévues par la loi. De plus, l’article 1194 du Code civil prévoit en effet que les «
les contrats obligent non seulement, à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que
leur donnent l’équité, l’usage ou la loi »579. C’est-à-dire que les parties sont tenues d’exécuter
le contrat, mais également de respecter ce que ses termes induisent. Il s’agit de l’exécution des
obligations résultant du contrat, qu’elles soient expressément prévues dans les clauses
contractuelles ou que ce soit des obligations que la jurisprudence a ajoutées, comme
l’obligation de sécurité ou l’obligation d’information ou de conseil. Le principe de la force
obligatoire institue une forme d’irrévocabilité du contrat qui n’est cependant pas absolue. En
effet, la théorie de l’imprévision justifierait la modification du contrat en raison des
changements de circonstances. Et l’article 1195 du Code civil français, a assoupli le cadre de
cette théorie dont la mise en place nécessite la réunion de trois conditions cumulatives : « la
nécessité d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, un
changement rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse et enfin que la partie
touchée par le changement de circonstances n’ait pas accepté d’en assumer le risque »580.
395.
En vertu de la force obligatoire du contrat, si l’une des parties ne respecte pas ses
engagements, l’autre partie peut, saisir la justice de la mauvaise exécution ou de la nonexécution du contrat. « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été
imparfaitement, peut : refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ; solliciter une réduction du prix ;
provoquer la résolution du contrat ; demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts
peuvent toujours s’y ajouter »581. En fait, ces solutions offertes aux parties sont inspirées par
le souci de « concilier la justice contractuelle avec l’utilité sociale du contrat ». Elles visent à
rééquilibrer non pas forcément de manière stricte, les prestations réciproques des parties. Elles
579
Code civil français.
580
Ce texte est issu de la réforme du 10 février 2016.
581
Article 1217 du Code civil.
215
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
s’analysent en des sanctions, car le manquement qui est généralement en cause est
l’inexécution des obligations issues du contrat. Les États membres de l’OHADA connaissent
le principe de la force obligatoire, qu’ils doivent à l’ancien article 1134 du Code civil français.
Le droit de l’OHADA s’intéresse à la question de la force obligatoire des contrats. Cependant,
c’est en matière d’inexécution de contrat que l’importance accordée à ce principe et les
apports concrets au droit civil national des États membres, sont perceptibles.
2. La sanction de l’inexécution
396.
Les modalités de l’inexécution. L’inexécution du contrat peut revêtir plusieurs formes :
l’inexécution totale ou partielle et le retard d’exécution. L’inexécution totale ou partielle
entraîne la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, à laquelle l’on peut adjoindre une
responsabilité civile. La principale sanction en matière d’inexécution est l’exception
d’inexécution qui est prévue par l’article 1219 du Code civil français qui permet de retenir que
l’on a affaire à un droit qu’a chaque partie à un contrat synallagmatique, de refuser d’exécuter
totalement ou partiellement la prestation à laquelle elle est tenue, tant qu’elle n’a pas reçu la
prestation qui lui est due. L’exception d’inexécution ne se conçoit que dans les contrats
synallagmatiques et est impossible à mettre en œuvre dans les contrats unilatéraux pour
lesquels l’idée de contre-prestation est inexistante. Ce moyen de droit a cela d’original qu’il
peut être décidé par le cocontractant lui-même sans autorisation de justice. « C’est donc un
moyen de justice privée, qui constitue une sorte de légitime défense contractuelle » 582. Moyen
de justice pouvant donner lieu à des abus tant et si bien que l’article 1219 exige « une
inexécution suffisamment grave » 583.
397.
Les lacunes du droit commun des États membres. Les États membres de l’OHADA ne
prévoient pas le régime de l’exception d’inexécution. Ils se contentent de l’évoquer en matière
de contrat de vente et d’échanges ; le droit de l’OHADA non plus pour ce type d’exception
d’inexécution584 fondée sur une inexécution effective, même si l’interprétation de certains
articles de l’Acte uniforme portant droit commercial général permet d’en relever l’existence.
Ainsi, « lorsque le contrat de vente prévoit la remise des marchandises à un transporteur, le
582
A. BENABENT, Droit des obligations, 17e éd., à jour au 4 juill. 2018, Paris, L.G.D.J, Coll. Précis DOMAT
droit privé, 2018, n°368, pp. 302-303.
583
La gravité serait de nature à faire perdre au contrat pour l’autre partie son intérêt et sa raison d’être.
216
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
vendeur peut subordonner leur expédition ou la remise à l’acheteur du document qui les
représente au paiement préalable du prix. Les parties peuvent aussi prévoir que l’acheteur
n’est tenu de payer le prix qu’après avoir été mis en mesure d’examiner les marchandises »585.
398.
L’exception d’inexécution au sens du droit de l’OHADA. S’il existe bien une matière
qui a permis au législateur de l’OHADA d’être visionnaire et de devancer le législateur
français, c’est bien l’exception d’inexécution préventive instituée par l’article 245 ancien de
l’AUDCG. et quelque peu modifiée586, avec la réforme. Il en existe une, propre au vendeur et
une autre spécifique à l’acheteur qui peuvent l’un et l’autre obtenir le report de l’exécution
respectivement de leur obligation de livraison et de paiement du prix s’ils saisissent le juge en
invoquant des circonstances de nature à empêcher le cocontractant d’exécuter son obligation.
Les États membres gagneraient à réintégrer ce moyen de droit dans leur dispositif. Un moyen
de protection contre le risque d’inexécution et qui permet de s’affranchir des aléas de
l’imprévision. Son bénéfice devrait être cependant limité aux contrats translatifs de propriété.
399.
La résolution du contrat. Hormis l’exception d’inexécution, est prévue la résolution du
contrat qui se définit comme l’anéantissement en principe rétroactif d’un contrat
synallagmatique. Il est cependant traditionnellement retenu qu’en cas d’inexécution partielle
du contrat à exécution successive, la résolution pour inexécution ne saurait être rétroactive587.
La résolution bénéficie à la partie qui se prévaut d’une inexécution du contrat. Elle peut
l’obtenir par voie de saisine du juge ou de manière unilatérale. Ces deux cas sont prévus par le
Code civil français588 et le droit de l’OHADA améliorerait le droit des États membres sur la
585
Article 268 de l’AUDCG.
586
Selon l’article 245 ancien « une partie peut demander à la Juridiction compétente l’autorisation de différer
l’exécution de ses obligations lorsqu’il apparaît, après la conclusion du contrat, que l’autre partie n’exécutera pas
une partie essentielle de ses obligations du fait : d’une grave insuffisance dans sa capacité d’exécution, ou de son
insolvabilité, ou de la manière dont elle s’apprête à exécuter ou exécute le contrat ». Contrairement au législateur
de l’OHADA, le législateur français a attendu la réforme de 2016 pour codifier l’exception d’inexécution et
l’exception d’inexécution préventive du contrat.
587
Sur la question des contrats à durée indéterminée, il est indéniable que « le créancier espère souvent en une
exécution prochaine du débiteur ou en une amélioration de la qualité de la prestation, d’autant plus que les liens
contractuels sont anciens. Parfois même il n’opposera pas l’exception d’inexécution. L’équilibre résultant de
l’exécution simultanée du contrat à durée indéterminée étant rompu, la simple résiliation pour l’avenir révèle son
insuffisance. A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, La durée de la prestation, essai sur le temps dans
l’obligation, Paris, L.G.D.J, 2008, n° 129, p. 86.
588
La réforme du 10 février 2016 a institué en ses article 1224 à 1230 de nouvelles dispositions relatives à la
résolution du contrat.
217
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
question au regard des dispositions de l’article 281 de l’AUDCG qui prévoit que « toute partie
à un contrat de vente commerciale est fondée à en demander au juge compétent la rupture
pour inexécution totale ou partielle des obligations de l’autre partie. Toutefois, la gravité du
comportement d’une partie au contrat de vente commerciale peut justifier que l’autre partie y
mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls »589. Il est possible d’affirmer sans risque
de se tromper que le législateur de l’OHADA, en incluant le critère de « gravité » dans les
critères de mise en œuvre de la résolution unilatérale du contrat, améliorera la sécurité
juridique au sein des États membres en évitant les ruptures unilatérales mal fondées et
intempestives. En effet, le droit civil national de ces États n’aborde pas de manière précise, la
question des sanctions de l’inexécution du contrat. Il ressort des textes que l’octroi de
dommages-intérêts est privilégié. Or, la classification des manquements aux obligations
contractuelles et la détermination de leur caractère réprimable ou non en fonction de la
gravité, serait d’un réel apport pour la législation des États membres. Elle serait plus attractive
et plus apte à prémunir les parties de la mauvaise foi de leurs cocontractants. Les contrats
affectés de manquements sans gravité pourront être préservés.
400.
Le retard dans l’exécution du contrat. Le retard d’exécution peut intervenir et concerne
l’exécution tardive du contrat par rapport aux stipulations du contrat. Le droit de l’OHADA
prévoit cette hypothèse. Le créancier peut engager la responsabilité contractuelle de son
contractant. Les dommages et intérêts compensant le préjudice subi par suite du retard
d’exécution sont appelés des dommages et intérêts moratoires. Il reviendra à la partie qui se
prévaut d’un retard d’exécution d’apporter la preuve d’un manquement, d’un préjudice et d’un
lien de causalité afin de mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de son cocontractant.
Cette sanction prévue en matière de retard dans l’exécution du contrat, si elle était étendue au
droit civil national, serait dissuasive et renforcerait la célérité des opérations. Ce serait surtout
un moyen de protection des parties faibles.
La théorie générale des obligations des États membres a pu s’enrichir des apports du droit de
l’OHADA. Aussi bien, les règles relatives à la formation et à l’interprétation du contrat, que
celles relatives à son exécution, ont été adaptées, renforcées et clarifiées par le droit de
l’OHADA.
589
La gravité du motif de rupture est appréciée par le juge compétent à la demande de la partie la plus diligente .
218
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Section 2. Les apports au droit des garanties et au droit processuel en matière
civile
401.
Le législateur de l’OHADA s’inscrit dans une logique prospective dans la mesure où il
permet une amélioration du dispositif en vigueur dans les États membres en matière de droit
des sûretés grâce à son caractère prospectif (§ 1) et à l’attractivité de son droit processuel (§
2).
§ 1. Le caractère prospectif du droit de l’OHADA en matière de sûretés
402.
De nouvelles sûretés sont créées (A) et les sûretés existantes améliorées (B).
A. La création de nouvelles sûretés
403.
Le législateur de l’OHADA s’est intéressé aux sûretés personnelles (1) et aux sûretés
réelles (2).
1. En matière de sûretés personnelles
404.
L’instauration et la redéfinition de la garantie autonome. La garantie et la contregarantie autonomes étaient inconnues du droit civil des États membres. Le cautionnement était
reconnu comme l’unique sûreté personnelle. L’intégration du droit des sûretés au champ
d’application matériel du droit de l’OHADA, a permis la création de sûretés en vue
d’améliorer le dispositif des garanties. Principalement en matière de sûretés personnelles,
celles qui font naître au profit du créancier, un droit personnel contre au moins une personne
autre que le débiteur principal590, la réforme est venue redéfinir la garantie autonome qui a été
introduite dans le droit substantiel de l’OHADA avec l’Acte uniforme de 1997591 et quelque
peu modifier sa nature juridique et son étendue. Le régime juridique de la garantie autonome a
été mis en harmonie avec les nouvelles Règles Uniformes relatives aux Garanties sur
Demande (RUGD 758) qui ont été publiées par la Chambre de Commerce Internationale en
juillet 2010592. La garantie autonome était connue sous le vocable de « lettre de garantie »
590
591
D. LEGEAIS, Droit des sûretés et garanties du crédit, 12e éd., Paris, L.G.D.J, 2017, n°19, p. 25.
Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 avril 1997, publié dans le journal officiel n°3.
592
P. CROCQ, « L’influence des mutations de la norme sur la réforme de l’Acte uniforme portant organisation
des sûretés au sein de l’OHADA », in Les mutations de la norme : le renouvellement des sources du droit, Paris,
Economica, Coll. Etudes juridiques, 2011, n° 6, p. 170.
219
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
avant la réforme de 2010. La lettre de garantie désignait selon l’article 28, « la convention par
laquelle, à la requête ou sur instructions du donneur d’ordre, le garant s’engage à payer une
somme déterminée au bénéficiaire, sur première demande de la part de ce dernier »593.
Désormais, garanties et contre-garanties autonomes sont des engagements par lesquels garant
et contre-garant s’engagent suivant l’article 38 en considération « d’une obligation souscrite
par le donneur d’ordre et sur instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme
déterminée au garant, soit sur première demande de la part de ce dernier, soit selon des
modalités convenues » 594. Fondamentalement, l’on avait affaire à une convention, un accord
de volontés prenant aujourd’hui la forme d’un engagement qui peut revêtir diverses formes
dont la forme contractuelle595.
À la faveur de la nouvelle approche du droit des sûretés
OHADA, en plus de l’exécution à première demande, la garantie peut être exécutée selon les
modalités convenues. De cette création, il résulte un gain de liberté pour ce qui est de la
garantie.
405.
L’intégration au droit civil national. L’instauration, puis l’amélioration du dispositif en
vigueur concernant la garantie autonome par le législateur de l’OHADA sont bénéfiques aux
législations nationales. L’Acte uniforme portant organisation des sûretés est sans
équivoque. « Les sûretés personnelles régies par le présent Acte uniforme sont le
cautionnement et la garantie autonome »596. Ainsi, en vertu du caractère supranational du droit
de l’OHADA, doté d’une force obligatoire et de l’effet direct, le texte relatif aux sûretés
personnelles, intègre en tant que tel, le droit civil national des États membres. Le droit civil
593
Article 28 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 Avril 1997.
594
Article 38 de l’Acte uniforme révisé Adopté le 15/12/2010 à Lomé (TOGO), entré en vigueur : 16/05/2011,
publié dans le Journal Officiel n° 22 du 15/02/2011. Selon cet article, « la garantie autonome est l’engagement
par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre et sur
instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au bénéficiaire, soit sur première demande de
la part de ce dernier, soit selon des modalités convenues. La contre-garantie autonome est l’engagement par
lequel le contre-garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre et sur
instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au garant, soit sur première demande de la
part de ce dernier, soit selon des modalités convenues ».
595
La question s’est posée de savoir si la garantie autonome serait un engagement unilatéral de volontés qui
impliquerait une existence de la garantie indépendamment de l’accord du bénéficiaire. La prudence a été prônée
par certains auteurs. D’autant plus le droit de l’OHADA s’est aligné sur la définition de l’article 2321 du Code
civil français depuis la réforme du droit français des sûretés, lequel demeure attaché au fondement contractuel de
l’obligation du garant.
596
Article 12 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés, adopté le 15 décembre 2010.
220
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
national est alors enrichi d’une sûreté personnelle qui a cela d’intéressant qu’elle est
autonome.
406.
L’avantage résultant du caractère autonome de la garantie et de la contre garantie.
La formation de la garantie autonome et de la contre-garantie autonomes met en lumière des
éléments essentiels. En premier lieu, elles sont « autonomes ». Selon l’article 40 alinéa 2 de
l’AUS, « elles créent des engagements autonomes, distincts des conventions, actes et faits
susceptibles d’en constituer la base ». L’autonomie dans ce cadre signifie que « le garant ou le
contre-garant contracte un engagement juridique nouveau dont l’objet est indépendant de celui
de l’obligation garantie issu du contrat dit de base » 597. L’objet ou le montant de son
obligation est une somme d’argent déterminée de manière directe et non ce que doit le
débiteur au créancier. C’est dans le caractère autonome que la garantie et la contre-garantie
trouvent tout leur sens. Autonomie qui assure la pérennité de ces garanties existant en marge,
l’on dira, du contrat de base. Le garant s’engage au profit du donneur d’ordre, sans aucune
condition, à régler une somme qui sera demandée par le bénéficiaire. Le garant ne pourra
opposer aucune des exceptions tenant à l’obligation principale souscrite envers le créancier.
C’est une des principales différences avec le cautionnement. Si la dette est nulle, prescrite, le
garant doit payer, alors que la caution est libérée. La garantie autonome n’est pas transmise
avec la dette sauf convention contraire. Cette autonomie présente un avantage certain pour le
donneur d’ordre, dans la mesure où le garant doit payer sans délai sous peine d’engager sa
responsabilité. Intégrée au droit civil national, la garantie autonome, en se présentant comme
une alternative au cautionnement, caractérisé par son caractère accessoire à l’obligation
principale, offrira de meilleures chances de paiement au donneur d’ordre.
407.
Le bénéfice au recours en exécution de la garantie. L’exécution de la garantie autonome
ou de la contre-garantie autonome offre la possibilité d’exercer deux types de recours
judiciaires expressément prévus par l’Acte uniforme. Le garant ou le contre-garant dispose
d’un recours contre le donneur d’ordre conformément à l’article 48 du nouvel Acte uniforme.
Il peut exercer un recours personnel qui est identique à celui exercé par la caution solvens
contre le débiteur principal à une différence près, c’est qu’il ne peut agir qu’après paiement du
créancier bénéficiaire. Le recours personnel est un recours en remboursement intégral du
montant payé. Hormis cette action, il existe la possibilité d’exercer une action subrogatoire
597
P. CROCQ, (sous. Dir.), Le nouvel Acte Uniforme portant Organisation des sûretés : la réforme du droit des
sûretés de l’OHADA, éd. Lamy, Coll. Lamy Axe Droit, France, 2012, n°, 146, p.113.
221
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
qui permettra au garant d’être subrogé dans tous les droits et garanties du bénéficiaire. Le
donneur d’ordre peut agir contre le garant ou le contre-garant qui n’aurait pas respecté les
termes de la garantie ou aurait payé alors que la demande était abusive ou frauduleuse suivant
l’article 47 nouveau de l’AUS. Deux autres recours pourraient être ouverts : celui du donneur
d’ordre contre le bénéficiaire et celui du garant ou contre-garant contre le bénéficiaire.
L’article 49 nouveau énonce les trois hypothèses qui mettent fin à la garantie et la contregarantie autonome ; ce sont le délai spécifié, la présentation de documents libératoires, la
déclaration écrite du bénéficiaire ou du garant libérant le garant ou le contre-garant. Ces
dispositions sont automatiquement applicables au sein des États membres de l’OHADA.
2. En matière de sûretés réelles
408.
Que faut-il entendre par sûretés réelles préférentielles ? La notion de sûretés réelles n’a
pas été définie par le législateur français contrairement au législateur de l’OHADA598. Les
sûretés réelles portent sur un ou plusieurs biens déterminés ou encore sur un ensemble de
biens, appartenant au débiteur ou à tiers, et confèrent au créancier sur ce ou ces biens, un droit
réel. Ces sûretés ont un caractère accessoire et reposent sur l’affectation au créancier d’un
droit réel sur un ou plusieurs biens599. Le principal attribut des sûretés réelles préférentielles
est le droit de préférence dont bénéficie le créancier qui pourra se faire payer avant tout autre
créancier chirographaire sur le prix du bien qui lui est affecté en sûreté600. Le droit de
préférence perd de son efficacité, lorsque le débiteur aliène le bien. Le droit de suite vient y
faire obstacle, puisqu’il permettra au créancier de saisir le bien et d’exercer son droit en
quelques mains qu’il se trouve601. Les éventuels conflits nés ou à naître sont résolus par les
règles de la publicité dont est tributaire l’opposabilité du droit de préférence et de suite. C’est
véritablement en matière de sûretés réelles que le droit de l’OHADA a consacré de nouvelles
598
Selon l’article 4 alinéa 2 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés, « les sûretés réelles
consistent soit dans le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d’un bien
affecté à la garantie de l’obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition d’un bien
dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation ».
599
Ph. SIMLER, Ph. DELEBECQUE, Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Paris, Dalloz., Coll. Précis, 2016,
n° 360, p. 361. V. également D. LEGEAIS, Droit des sûretés et garanties du crédit, op.cit., n° 386, p. 310. Y.
PICOD, Droit des sûretés, 3e éd. mise à jour, Paris, P.U.F, Coll. Thémis Droit, 2016, n° 170, p. 278-279. J.-B.
SEUBE, Droit des sûretés, 9e éd., Paris, Dalloz, 2018, n° 200, p. 138.
600
L. AYNES, P. CROCQ, Droit des sûretés, 12e éd., Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, Lextenso, 2018, n° 401, p.
228.
601
L. AYNES, P. CROCQ, Droit des sûretés, ibid.
222
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
sûretés. D’une part, celles avec dépossession en l’occurrence le gage de créances, d’autre part,
celles sans dépossession que sont le nantissement des actions et des parts sociales et le
nantissement de stocks.
409.
La consécration du nantissement de créances. Le droit de l’OHADA a créé le gage de
créances devenu nantissement de créance avec le nouvel Acte uniforme. Ce type de
nantissement est prévu par l’article 2356 du Code civil français. Le nantissement de créances
« constitue désormais le socle commun à tous les nantissements portant sur des droits
personnels » 602. Sa consécration en droit de l’OHADA répond à la volonté du législateur de
s’aligner sur l’évolution du monde des affaires avec l’extension de l’assiette des biens pouvant
faire l’objet de gage. Bien que représentant déjà une avancée notable, l’ancien Acte uniforme
a essuyé de nombreuses critiques tenant principalement à l’inadaptation du régime juridique.
Le sentiment était que le régime du gage de créances avait été construit par transposition du
régime traditionnel du gage assorti, de ce fait, de dépossession. Avec le nouvel Acte uniforme,
de gage de créance il s’agit désormais de nantissement de créances, avec un régime juridique
adapté. Les conditions de formation du nantissement de créance sont définies.
410.
Les avantages des conditions strictes de validité. « À peine de nullité, le nantissement de
créance doit être constaté dans un écrit contenant la désignation des créances garanties et des
créances nanties ou, si elles sont futures, les éléments de nature à permettre leur
individualisation, tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des
créances ou leur évaluation et leur échéance 603 ». L’écrit est une condition de validité du
nantissement de créance dont le domaine a été étendu. Toutes les créances peuvent être
nanties à en croire les dispositions des articles 128 à 131 de l’A.U.S. Peu importe leur nature,
qu’elles soient civiles ou commerciales, contractuelles ou délictuelles, ou même d’origine
étrangère. La qualité des parties importe peu. L’assiette des créances est élargie aux créances
futures ainsi qu’à des créances portant un ensemble de biens meubles incorporels. Le
nantissement de créances intégrera parfaitement, en ce qu’il concerne les créances bien
évidemment de nature purement civile, le droit commun national des États membres. Son
assiette étendue est un avantage considérable pour des États au sein desquels, le recours à des
particuliers dans le but d’obtenir des prêts, fait partie des us et coutumes. Le nantissement de
créances renforcera la sécurité juridique des transactions au sein des États membres.
602
603
P. CROCQ, (dir), Le nouvel Acte uniforme portant Organisation des sûretés(…) , op.cit., n° 317, p. 223.
Article 127 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.
223
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
L’exigence de l’écrit ne doit pas être perçue comme un durcissement du régime juridique
puisqu’à la différence de l’Ancien Acte uniforme, il n’est besoin ni de signification ni
d’acceptation par acte authentique. L’écrit n’a pas non plus besoin d’avoir date certaine. De
plus, le créancier « national », en vertu de sa créance, est le seul qui soit habilité à recevoir
valablement paiement, de la créance nantie. Il peut, sans autre formalité, imputer le montant
payé au titre de la créance nantie sur ce qui lui est dû, au titre de la créance garantie dès lors
qu’elle est échue. L’application de ce principe de paiement exclusif au créancier dépend de la
chronologie entre l’échéance de la créance garantie et celle de la créance nantie.
411.
Les conditions d’opposabilité attractives. L’opposabilité du nantissement nécessite
l’accomplissement de formalités précises. Pour être opposable au débiteur de la créance
nantie, le nantissement doit lui être notifié ou ce dernier doit intervenir à l’acte. La solution est
identique à celle consacrée en droit français par l’article 2323 du Code civil. Une simple lettre
suffit et la notification n’est pas obligatoire alors que l’acte authentique était nécessaire avant
la réforme. Les formalités permettent de s’assurer que le débiteur a connaissance du
nantissement. En ce qui concerne les autres tiers créanciers du constituant, le nantissement de
créance leur est opposable dès l’inscription au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier,
conformément au droit commun. Ces conditions d’opposabilité présentent l’avantage de la
simplicité. Elles contribuent à l’attractivité de cette nouvelle sûreté qui vient intégrer le droit
civil national des États membres.
412.
Des sûretés réelles exclusives plus efficaces. Les sûretés réelles préférentielles sont
limitées dans leur efficacité par l’incidence des procédures collectives et la loi du concours.
Ainsi, « les créanciers désireux d’échapper à la loi du concours ont été conduits à s’intéresser
à des garanties reposant sur l’exclusivité plutôt que sur la préférence qui caractérise le droit
spécifique du titulaire d’une sûreté réelle » 604. Ces « techniques indirectes d’affectation » 605
relèvent d’une redéfinition de la sûreté réelle opposant de façon tranchée les sûretés offrant au
créancier un droit de préférence à celles reposant sur la situation d’exclusivité606. Le
législateur de l’OHADA a enrichi le dispositif juridique des États membres de la réserve de
604
Y. PICOD, Droit des sûretés, 3e éd., mise à jour, op.cit., n° 171, p. 279.
605
J. MESTRE, E. PUTMAN, M. BILLIAU, Droit commun des sûretés réelles, Paris, L.G.D.J, 1996, n°14, p.
12.
606
Y. PICOD, Droit des sûretés, ibid.
224
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
propriété, la propriété cédée à titre de garantie, la cession de créance à titre de garantie et le
transfert fiduciaire d’une somme d’argent qui ne sera pas traité.
413.
La réserve de propriété, une inspiration française. La réserve de propriété est perçue
comme une sûreté et a fait son entrée dans les États membres avec le nouvel Acte uniforme.
Acte qui s’est inspiré du régime juridique de la réserve de propriété telle que connue en droit
français. « La propriété d’un bien mobilier peut être retenue en garantie par l’effet d’une
clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet
paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie »607. Cette définition est identique à
celle formulée par l’article 2367 alinéa 1er du Code civil français. Le législateur de l’OHADA
a pourtant tenu à se distinguer, en ce qui concerne les conditions d’existence de la réserve de
propriété. Il prévoit qu’« à peine de nullité, la réserve de propriété est convenue par écrit au
plus tard au jour de la livraison du bien. Elle peut l’être dans un écrit régissant un ensemble
d’opérations présentes ou à venir entre les parties »608. Et l’article 74 de rappeler que, « la
réserve de propriété n’est opposable aux tiers que si celle-ci a été régulièrement publiée au
Registre du Commerce et du Crédit Mobilier, conformément aux dispositions des articles 51 à
66 du présent Acte uniforme ». La réserve de propriété n’est valable en droit de l’OHADA
que si elle est constatée par écrit et peut être stipulée dans une convention-cadre régissant les
relations contractuelles à venir. L’intégration de cette sûreté, au droit civil national, offre une
garantie très efficace au vendeur. Celui-ci pourra récupérer le bien litigieux, dans l’hypothèse,
où il n’aurait pas reçu paiement intégral à l’échéance prévue. Il sera mis fin à cette
impuissance des vendeurs face à leurs débiteurs.
414.
La propriété cédée à tire de garantie et son domaine d’application large. Le nouvel
Acte uniforme portant organisation des sûretés a consacré une nouvelle forme de sûreté : la
propriété cédée à titre de garantie qui se décompose en cession de créance à titre de garantie et
transfert fiduciaire d’une somme d’argent. Concernant la cession de créance à titre de
garantie, il est prévu qu’« une créance détenue sur un tiers peut être cédée à titre de garantie
de tout crédit consenti par une personne morale nationale ou étrangère, faisant à titre de
profession habituelle et pour son compte des opérations de banque ou de crédit »609. Ce
607
Article 72 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
608
Article 73 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
609
Article 80 alinéa 1 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
225
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
domaine est très large, comparé à celui de la cession Dailly en droit français610 qui exige, la
qualité de professionnel au cédant ou au cédant, personne physique ou morale et celle
d’établissement de crédit au cessionnaire. À l’inverse, le législateur de l’OHADA est plus
souple vu qu’il n’exige nulle part la qualité de professionnel et qu’il définit le cessionnaire de
manière extensive. La cession de créance peut concerner une créance non professionnelle en
vertu du droit de l’OHADA et exceptionnellement comme en droit français les créances
stipulées incessibles peuvent être admises comme étant cessibles en vertu de l’article 80 alinéa
2611. Ainsi, rien ne s’oppose à ce que la cession de créance s’applique au droit civil national.
Le cessionnaire peut parfaitement être une personne physique qui relève du droit civil.
B. L’amélioration des sûretés existantes
415.
La clarification du dispositif en vigueur (1) et le renforcement du dispositif en vigueur (2)
sont réalisés par le législateur de l’OHADA.
1. La clarification du dispositif en vigueur
416.
Le droit des sûretés de l’OHADA est très attractif, en ce qu’il a permis de clarifier les
nombreuses zones d’ombre relevées au sein du dispositif en vigueur au sein des États
membres, qui n’avait pas suivi l’évolution en la matière. Les règles juridiques ont été
précisées afin d’accroître l’accessibilité du droit des sûretés. Le droit de rétention n’existait
dans les pays membres de l’OHADA, que sous la forme d’une sorte de droit de gage et non
d’une véritable sûreté. En consacrant le droit de rétention et en l’intégrant dans la catégorie
des sûretés réelles, le législateur de l’OHADA a fait un grand pas dans l’amélioration de la
sécurité juridique en assurant une meilleure protection du créancier par une sûreté plus
efficace. Si avec l’ancien Acte uniforme, le droit de rétention était jugé trop large dans son
champ d’application, le nouvel acte uniforme l’a affiné et a redéfini les effets attachés au droit
de rétention. Et les États membres n’ont d’autre choix que celui de se conformer à l’Acte
610
Selon l’article L 313-23 du Code Monétaire et Financier, « tout crédit qu’un établissement de crédit ou qu’une
société de financement consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne
physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet
établissement ou de cette société, par la seule remise d’un bordereau, à la cession ou au nantissement par le
bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou
de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle ».
611
L’incessibilité de la créance ne peut être opposée au cessionnaire par le débiteur cédé lorsqu’elle est de source
conventionnelle et que la créance est née en raison de l’exercice de la profession du débiteur cédé ou se trouve en
rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale.
226
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
uniforme portant organisation des sûretés. Il prévoit que « sauf disposition contraire du
présent Acte uniforme, les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles qui sont
régies par cet Acte »612. Ainsi, les précisions apportées au régime juridique du droit de
rétention vont intégrer le droit civil national des États membres. Elles vont exercer leur
pouvoir d’éviction sur les dispositions ayant le même objet ou leur étant contraires.
417.
Une restriction du champ d’application du droit de rétention. Le droit de rétention
permet « au créancier qui détient légitimement un bien mobilier de son débiteur, de le retenir
jusqu’au complet paiement de ce qui lui est dû, indépendamment de toute autre sûreté, sous
réserve de l’application de l’article 107 alinéa 2, du présent Acte uniforme »613. L’on peut
relever une restriction du champ d’application du droit de rétention qui est exclusif de tout
bien immobilier encore qu’il résulte de l’ancien Acte uniforme, que cette exclusion existait
déjà614. L’exercice du droit de rétention suppose l’existence d’une créance certaine, liquide et
exigible du rétenteur. La CCJA a entériné la décision de la Cour d’appel d’Abidjan qui dans
l’affaire opposant KINDA Augustin Joseph à Dame KONE Fatoumata a rejeté l’argument de
droit à retenir les biens de cette dernière, estimant que le créancier ne détenait aucun titre de
créance615.
418.
La connexité au titre des conditions d’exercice du droit de rétention. L’existence d’un
lien de connexité entre la naissance de la créance et la détention de la chose retenue est une
condition d’exercice du droit de rétention. Le nouvel Acte uniforme a défini la connexité en
son article 69, en admettant successivement trois formes possibles de connexités : la connexité
matérielle, la connexité juridique, la connexité conventionnelle. La connexité matérielle
désigne la situation dans laquelle la créance a pris naissance à l’occasion de la détention de la
chose et la connexité juridique celle dans laquelle la créance et la détention relèvent d’un
même rapport juridique. Contrairement aux connexités susmentionnées, la connexité
612
Articlev4 de l’AUS.
613
Article 67 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.
614
Dans l’ancien Acte Uniforme, le droit de rétention est classé dans les sûretés réelles mobilières. Le droit
français admet, quant à lui, le droit de rétention ayant pour objet un bien immeuble. En effet, selon l’article 2391
du Code civil français, « le débiteur ne peut réclamer restitution de l’immeuble avant l’entier acquittement de sa
dette. Ainsi le droit de rétention ne peut avoir pour objet que des biens mobiliers qui sont dans le commerce
juridique ».
615
CCJA, Arrêt n° 022/2007, pourvoi n° 009/2004/PC du 12/02/2004, Affaire : 1) KINDA Augustin Joseph ; 2)
Maître TE BIEGNAND André Marie (Conseils : SCPA KAKOU & DOUMBIA, Avocats à la Cour) contre
Dame KONE Fatoumata. Rec. Jur., n° 9, Janvier/Juin 2007, p. 49.
227
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
conventionnelle est une consécration du nouvel Acte uniforme. Elle concerne l’hypothèse
dans laquelle un débiteur remet un bien à son créancier, afin de garantir le paiement de sa
dette sans pour autant donner ce bien en gage. Cependant, la connexité procédant de simples
relations d’affaires est exclue. Le nouvel Acte uniforme a consacré une situation d’exclusivité
au profit du créancier marquant la rupture avec l’ancien Acte uniforme qui ne réduisait les
effets du droit de rétention qu’à ceux d’un gage. De même, le nouvel Acte uniforme consacre
expressément l’obligation de conservation pesant sur le rétenteur et celle exceptionnelle, de
disposer. Il en ressort que « le créancier a l’obligation de conserver le bien retenu en bon état.
Par dérogation à l’alinéa précédent, il peut faire procéder, sur autorisation de la juridiction
compétente statuant à bref délai, à la vente de ce bien »616. Les énonciations relatives à la
connexité sont essentielles et viendront renforcer les conditions d’exercice du droit de
rétention en droit civil national.
2. Le renforcement du dispositif en vigueur
419.
La consécration d’un cautionnement des obligations futures. Le cautionnement existait
déjà dans le Code civil des États membres et constituait la seule sûreté personnelle. Le
législateur de l’OHADA a créé des règles nouvelles, visant à renforcer et améliorer le
dispositif en vigueur. Alors que l’Ancien Acte uniforme proposait une définition similaire à
celle retenue dans la législation interne des États membres, la réforme est venue étendre le
champ d’application du cautionnement en consacrant un cautionnement des obligations
futures617. Un formalisme ad validitatem était prescrit pour la formation du cautionnement
avec l’ancien Acte uniforme, qui constituait déjà une révolution comparativement au droit
civil des États membres. Le droit civil national n’exigeait explicitement aucun formalisme, si
ce n’est que le cautionnement soit exprès. Le cautionnement, sous l’empire de l’ancien Acte
uniforme, devait être constaté par écrit à peine de nullité, le montant de la garantie devait être
exprimé en chiffres et en lettres de la main de la caution et l’engagement de la caution ne
pouvait excéder ce montant618.
616
Article 70 de l’AUS.
617
Selon l’article 13 du nouvel Acte uniforme « Le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage,
envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci
n’y satisfait pas lui-même. Cet engagement peut être contracté sans ordre du débiteur ».
618
Article 4 de l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés.
228
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
420.
Le passage d’une valeur ad validitatem à une valeur ad probationem. L’exigence de
l’écrit se justifiait à l’époque par la sensibilité des questions liées à l’argent et le vaste
contentieux qu’il suscite. L’avènement du nouvel Acte uniforme a changé la valeur de l’écrit
qui n’est plus que probatoire pour les parties suivant les dispositions de l’article 14619.
Désormais, il convient de retenir que cautionnement est un contrat consensuel. Ou du moins,
le législateur de l’OHADA affirme de manière implicite, ce caractère consensuel.
421.
Le formalisme ad validitatem en droit français. Les controverses sur le caractère formel
ou consensuel du cautionnement qui ont agité la doctrine avec l’article 4 de l’ancien Acte
uniforme n’ont plus lieu d’être à la lecture de l’article 14 nouveau620. Contrairement au droit
de l’OHADA, le droit français a prévu et exige un formalisme ad validitatem en matière de
cautionnement d’abord avec la loi Neiertz621 du 31 décembre 1989 qui s’applique aux
personnes physiques qui se portent caution d’un consommateur de crédit, mobilier ou
immobilier, un immeuble à usage d’habitation ou professionnel et d’habitation622. La caution
qui s’engage par acte sous seing privé doit écrire une mention de sa main selon l’article L.
341-2 du Code de la consommation devenu article L 331-1623 depuis l’Ordonnance n°2016301 du 14 mars 2016. Par ailleurs, le montant doit être plafonné. Ensuite, la Loi pour
l’initiative économique dite Loi Dutreil624 du 1er août 2003 a généralisé cette règle à tous les
619
Selon l’alinéa 2 de cet article, « le cautionnement se prouve par un acte comportant la signature de la caution
et du créancier ainsi que la mention, écrite de la main de la caution, en toutes lettres et en chiffres, de la somme
maximale garantie couvrant le principal, les intérêts et autres accessoires. En cas de différence, le cautionnement
vaut pour la somme exprimée en lettres ».
620
Ainsi pour les cautionnements conclus sous l’empire de l’ancien Acte uniforme, la sanction pour les actes
dépourvus de la signature de la caution et de la mention du montant garanti en chiffres et en lettres était la
nullité. La CCJA l’a retenu dans plusieurs décisions telles que son arrêt n°018/2003 du 19 Octobre 2003, Rec.
CCJA n°2, p. 30 et son arrêt rendu en Assemblée plénière le 25 Avril 2014 ; arrêt n° 77/2014. La Cour avait
décidé que « doit être annulé pour violation de l’article 4 de l’AUS, le cautionnement qui ne contient pas la
signature de son bénéficiaire, ni la mention manuscrite de la somme maximale garantie en chiffres et en lettres ».
621
Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au
surendettement des particuliers et des familles.
622
Cass. Com., 11 juin 2014, n° 13- 14848, R.D Bancaire et financier, Sept-oct 2014, p. 33. Obs. A. CERLES.
623
Selon l’article L 331-1 du Code de la consommation, « toute personne physique qui s’engage par acte sous
seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention
manuscrite suivante et uniquement de celle-ci : En me portant caution de X...................., dans la limite de la
somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts
de retard et pour la durée de...................., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus
et mes biens si X.................... n’y satisfait pas lui-même ».
624
Loi n° 2003-721 du 1 août 2003 pour l’initiative économique.
229
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
cautionnements sous seing privé consentis par une personne physique à un créancier
professionnel625. Le droit français exige également que l’engagement de la caution soit
proportionné. La Loi Dutreil a créé l’article L 341-4 du Code de la consommation qui prévoit
qu’« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par
une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement
disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment
où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Concernant les actes
conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Dutreil, le régime prétorien permettait de résoudre
la question de la disproportion. Ce, par le biais de deux célèbres arrêts : l’arrêt Macron626
d’abord qui introduit le principe de proportionnalité dans le droit commun du cautionnement
et ensuite l’arrêt Nahoum627. Le droit de l’OHADA en l’état actuel du dispositif ne prévoit pas
de mention obligatoire ad validitatem encore moins de règle relative à la proportionnalité
entre l’engagement et le patrimoine de la caution. À tort, dans la mesure où l’environnement
des affaires serait davantage sécurisé si de telles règles étaient imposées. Il faudra sûrement
attendre que la question se pose devant la CCJA pour espérer une prise en compte de ces
aspects.
422.
L’étendue du cautionnement en droit de l’OHADA. Le nouvel Acte uniforme a
également simplifié les règles relatives à l’étendue du cautionnement en précisant le caractère
supplétif de la règle. L’article 8 alinéa 1er de l’ancien Acte uniforme était ainsi formulé : « le
cautionnement d’une obligation peut s’étendre, outre le principal, et dans la limite de la
somme maximale garantie, aux accessoires de la dette et aux frais de recouvrement de la
créance (…) ». Le nouvel article 18 lui dispose que « sauf clause contraire, le cautionnement
d’une obligation s’étend, outre le principal, et dans la limite de la somme maximale garantie,
aux accessoires de la dette et aux frais de recouvrement de la créance, y compris ceux
625
Article L 331-1 à 3 du Code de la consommation français.
626
Cass. Com, 17 juin 1997, n° 95-14.105. Cet arrêt a posé le principe de la responsabilité, en raison d’un
manquement à son devoir de bonne foi, du créancier qui recueille un cautionnement disproportionné par rapport
aux facultés contributives de la caution. Ainsi dans l’arrêt « Macron » la banque a été condamnée à payer au
dirigeant-caution, la somme de 3.000.000,00 euros, somme qui finalement n’a jamais été payée puisque le juge a
aussitôt ordonné la compensation entre la somme due par la caution et le montant des dommages et intérêts. En
conclusion, la caution qui prouvait la disproportion de son engagement percevait des dommages et intérêts.
627
Cass. Com, 8 octobre 2002, n° 99-18.619. En vertu de cet arrêt, la simple disproportion ne suffit pas à
caractériser la faute du créancier : il est nécessaire d’établir que le créancier disposait d’informations que l’on
ignorait en qualité de caution. Cet arrêt est venu limiter la possibilité pour les dirigeants cautions, en exigeant
qu’ils prouvent que le créancier disposait d’informations qu’eux-mêmes ignoraient.
230
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
postérieurs à la dénonciation qui est faite à la caution ». La formule « sauf clause contraire »
met l’accent sur le caractère supplétif de l’extension de l’étendue du cautionnement.
423.
Les caractères du cautionnement. D’un Acte uniforme à un autre, le caractère
accessoire628 du cautionnement a été consacré. Le cautionnement n’est valable que si
l’obligation principale l’est au contraire de la garantie autonome. L’innovation majeure pour
les pays membres réside dans la validation de l’engagement d’un incapable si et seulement si
la caution connaissait l’incapacité du débiteur principal au moment où elle s’engageait ellemême. Le cautionnement, peut être général ou être contracté uniquement pour une partie de la
dette629, c’est ce qui a amené le législateur de l’OHADA à apporter des précisions sur les
modalités de certaines formes de cautionnement telles que le cautionnement omnibus c’est-àdire de tous engagements aux articles 9 de l’ancien Acte uniforme et 19 nouveau.
424.
La consécration du principe du cautionnement solidaire. Le législateur de l’OHADA a
consacré de manière expresse un cautionnement solidaire faisant office de principe et relégué
au rang d’exception le cautionnement simple dont l’existence reste liée à la volonté des parties
ou du législateur. Par cautionnement solidaire, il faut entendre le cautionnement dans lequel la
caution peut être amenée à payer en lieu et place du débiteur dès que ce dernier est défaillant.
Une telle consécration est louable dans la mesure où elle renforce l’essence du cautionnement
qui est de constituer une véritable garantie de paiement. La règle de solidarité exclut le
bénéfice de discussion et de division au profit de la caution solidaire qui est tenue de payer la
totalité de la dette630. Le paiement effectué par la caution libère totalement ou partiellement le
débiteur631, suivant le montant garanti et la caution peut opposer au créancier toutes les
628
Article 7 Ancien de l’Acte uniforme et 17 nouveau de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.
629
De même, la CCJA précise qu’« aucun texte n’interdit à la caution, par une stipulation expresse dans le
contrat, de ne s’engager que pour les dettes nées au cours d’une période déterminée. Le cas échant, la caution est
libérée par la survenance du terme fixé comme limite à son engagement pour les dettes du débiteur principal nées
après l’arrivée du terme ». CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 130/2016 du 07 juillet 2016.
630
CCJA, n° 065/2014 du 25 avril 2014, Madame KONE née OUEDRAOGO Azéta contre La Banque
Internationale pour le Commerce, l’Industrie et l’Agriculture du Burkina Faso dite BICIA-B, La Société
MADOUA Sarl, Monsieur OUEDRAOGO Joseph. La CCJA retient que les stipulations contractuelles qui font la
loi des parties, n’ont rien de contraire aux dispositions de l’Acte uniforme sus indiqué (Acte uniforme relatif aux
procédures collectives) et que la banque peut poursuivre la caution quelle que soit la procédure collective
ouverte.
631
Sur ce point la CCJA retient plutôt que « le débiteur d’une créance n’en est pas libéré par le paiement même
intégral de ladite créance effectué par la caution. Le paiement de la caution permet simplement à cette dernière
de subroger le créancier dans ses droits, et donc de pouvoir exercer une action en réalisation de cette créance à
l’encontre du débiteur ». Elle se prononçait sur l’interprétation de l’ancien article 20 de l’AUS devenu article 31
231
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
exceptions qui ne sont pas purement personnelles au débiteur. La caution n’est contrainte de
payer, que si le créancier a adressé au débiteur une mise en demeure de payer restée sans
suite632. Le caractère conventionnel du cautionnement a amené le législateur de l’OHADA à
consacrer une obligation d’information à la charge du créancier en faveur de la caution. Le
créancier est en effet tenu, aux termes de l’article 14 ancien de l’Acte uniforme et de l’article
24 nouveau, d’informer la caution de toute défaillance du débiteur. Le dernier texte précise
néanmoins que cette obligation doit être exécutée pendant le mois de la mise en demeure.
L’obligation d’information, appliquée au sein des États membres, ne contribuerait qu’à
renforcer la sécurité et l’attractivité du cautionnement.
425.
La redéfinition du régime juridique du gage. La réforme du droit des sûretés OHADA a
permis de redéfinir le régime juridique du gage, en le distinguant formellement du
nantissement. Le critère de distinction est redéfini et concerne désormais la nature corporelle
ou incorporelle de la chose et non plus la dépossession ou l’absence de dépossession. Le gage
est défini comme « le contrat par lequel le constituant accorde à un créancier le droit de se
faire payer par préférence sur un bien meuble corporel ou un ensemble de biens meubles
corporels, présents ou futurs » 633. Le gage n’est plus « défini par l’une de ses conditions de
validité la remise de la chose gagée mais par son objet, le droit de préférence accordé au
créancier sur le bien corporel »634. L’analyse des législations des pays membres montre que le
gage est considéré avec l’antichrèse, comme une forme de nantissement. La distinction opérée
par l’OHADA est salutaire pour ces États. La réalisation du gage se fait suivant trois
modalités : une vente forcée, une attribution judiciaire et une innovation de la réforme, la
possibilité d’une attribution conventionnelle, le pacte commissoire.
qui disposait que « la caution est subrogée dans tous les droits et garanties du créancier poursuivant pour tout ce
qu’elle a payé à ce dernier. S’il y a plusieurs débiteurs principaux solidaires d’une même dette, la caution est
subrogée contre chacun d’eux pour tout ce qu’elle a payé, même si elle n’en a cautionné qu’un. Si les débiteurs
sont conjoints, elle doit diviser ses recours ». CCJA, 3e Ch. Arrêt n° 192/2018 DU 25 octobre 2018.
632
Article 13 alinéa 2 de l’ancien A.U, Article 23 alinéa 2 nouveau de l’Acte uniforme portant organisation des
sûretés.
633
Article 92 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés.
634
M. I.- KONATE, « La consécration des sûretés spécifiques OHADA », www.ohada.com., OHADATA D-1191.
232
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
§ 2. L’attractivité du droit processuel de l’OHADA
426.
Grâce au législateur de l’OHADA, les États membres bénéficient du renforcement des
institutions (A) et de l’amélioration des procédures (B), gage de sécurité judiciaire.
A. Le renforcement des institutions
427.
Le rôle des institutions est renforcé (1) ainsi que leur champ d’application (2).
1.
428.
Le renforcement du rôle des institutions
Les Registres de Commerce. Le droit de l’OHADA a pour objectif, l’unification du droit
des affaires des États membres. Puisque l’investissement est au cœur de l’œuvre du législateur
de l’OHADA, il était important de porter un grand intérêt aux instruments qui concourent à la
sécurisation de celui-ci. Que ce soit pour la création d’une société, la constitution d’une
sûreté, l’information quant à la situation économique d’un débiteur, les effets ne sont
pleinement produits qu’à la suite de l’accomplissement de certaines formalités telles que la
publicité. Au sein de l’espace géographique de l’OHADA, il existait un Registre dit Registre
de commerce, qui avait pour unique but de recevoir l’inscription des commerçants et de leurs
activités. Ce registre hérité de l’époque coloniale635 a survécu à la période des indépendances
et a été organisé de manière peu homogène avec des appellations diverses. Au Congo, il
s’agissait du Nouveau Registre de Commerce, tandis qu’en Côte d’Ivoire l’on parlait de
Registre de Commerce.
429.
L’institution du Registre de Commerce et du Crédit Mobilier. Le droit de l’OHADA,
par le biais, en premier lieu de l’Acte uniforme portant droit commercial général du 17 avril
1997, a institué un Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM). Il s’agit de l’une
des réformes les plus cruciales opérées par le législateur, qui met en place un système
centralisé d’inscription. Le RCCM est un ensemble de dossiers individuels assortis de fichiers
récapitulatifs, qui configurent la vie des commerçants, que ce soient des personnes physiques
ou morales. Le RCCM reçoit donc les mentions constatant les modifications survenues tout au
long de la vie des entreprises depuis la date de leur immatriculation, et enregistre également
leur radiation du registre. Ce nouveau registre est composé du Registre de commerce qui
635
Loi du 18 mars 1919 instituant un Registre de commerce applicable aux commerçants en France et appliquée
en Afrique Equatoriale Française par décret du 14 avril 1928 et en Afrique Occidentale Française par Décret du
15 septembre 1928.
233
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
assure l’immatriculation des personnes physiques et morales et du Registre du crédit mobilier
qui reçoit l’inscription des sûretés mobilières. Ces deux registres rendent compte du rôle
assigné au RCCM. Aux termes des articles 19 et 34 de cet Acte uniforme, il est destiné à
recevoir l’immatriculation des personnes qui y sont assujetties ainsi que l’inscription des
sûretés, les modifications et radiations survenues dans les procédures collectives, des
procédures prononçant des sanctions patrimoniales à l’égard des dirigeants de personnes
morales ou encore des décisions de réhabilitation et d’amnistie faisant disparaître les
déchéances ou interdictions.
430.
Un gage de sécurité juridique. Le RCCM est « considéré comme un élément essentiel
pour garantir la sécurité juridique dans les États membres, notamment en conférant aux
créanciers et aux co-contractants potentiels de l’entreprise un accès aux informations relatives
au statut juridique et à l’endettement de celle-ci » 636. Le Registre de commerce permet, au
sein des États membres de l’OHADA, d’assurer la publicité des sûretés qui jouent un rôle
crucial dans l’accès au crédit. Le contentieux relatif au RCCM, porte aussi bien sur
l’immatriculation, la déclaration d’activité de l’entreprenant, l’inscription du crédit-bail, que
sur le droit à l’information des tiers. Cependant, le contentieux relatif aux sûretés et aux
privilèges est désormais régi par l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. En
permettant l’inscription au RCCM de sûretés mobilières limitativement énumérées, le
législateur de l’OHADA exerce une influence sur le droit civil national des États membres. Le
nantissement des actions et des parts sociales, le nantissement du fonds de commerce, le
nantissement du privilège du vendeur de fonds de commerce, le nantissement du matériel
professionnel et du véhicule automobile, le nantissement des stocks, le privilège du Trésor, le
privilège de l’administration des Douanes, le privilège d’une institution de sécurité sociale, la
clause de réserve de propriété et le contrat de crédit-bail, doivent faire l’objet d’une
inscription au RCCM. Plus particulièrement, l’inscription des sûretés qui relèvent du droit
commun national atteste de la prise en compte par le législateur de l’OHADA, d’aspects du
droit civil national. La réalisation de l’inscription des sûretés, leur donne, date certaine et leur
permet d’accéder à un rang dans l’ordre de règlement des créances. Et surtout, l’inscription est
la condition exigée à leur opposabilité au tiers.
636
B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Le Droit uniforme africain des affaires
issu de l’OHADA, Paris, LexisNexis, Litec, éd. du Juris Classeur, Coll. Affaires Finances, 2004, n° 148, p. 39.
234
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. Le renforcement du champ d’application des institutions
431.
L’évolution du champ d’application. Les champs d’application rationae materiae et
ratione loci ont évolué à la faveur du droit de l’OHADA. Avec l’ancien Acte uniforme, le
RCCM était destiné aux termes des articles 19 et 34, à recevoir l’immatriculation des
commerçants, personnes physiques et morales, du G.I.E, des autres personnes morales qui y
sont assujetties, l’inscription des succursales des sociétés étrangères, des sûretés, des contrats
de crédit-bail et de toutes les modifications et radiations survenues dans les procédures
collectives, des procédures prononçant des sanctions patrimoniales à l’égard des dirigeants de
personnes morales ou encore des décisions de réhabilitation et d’amnistie faisant disparaître
les déchéances ou interdictions. Il était essentiellement concentré sur la commercialité et tout
ce qui y était lié.
432.
Le nouvel Acte uniforme portant droit commercial général étend le champ d’application
matériel du RCCM puisqu’en vertu de l’article 35, il a également et désormais pour objet de
recevoir l’immatriculation des sociétés civiles par leur forme et commerciales par leur objet,
de tous les groupements dotés de la personnalité juridique que la loi soumet à
l’immatriculation audit Registre ; de toute personne physique exerçant une activité
professionnelle que la loi soumet à l’immatriculation audit Registre; des établissements
publics ayant une activité économique et bénéficiant de l’autonomie juridique et financière ;
de recevoir la déclaration d’activité de l’entreprenant et de recevoir ses déclarations
modificatives et de prendre acte de sa déclaration de cessation d’activité ; de recevoir le dépôt
des actes et pièces et mentionner les informations prévues par les dispositions des Actes
uniformes concernés ; de délivrer, à toute époque, les documents nécessaires pour établir
l’exécution par les assujettis des formalités prévues par les Actes uniformes et toute autre
disposition légale ; de mettre à la disposition du public les informations figurant dans les
formulaires .
433.
Un champ d’application dépassant la commercialité. Désormais, le Registre de
Commerce et de Crédit Mobilier, n’est plus uniquement celui des commerçants, il est devenu
« le registre des activités, des professions, des acteurs, des professionnels et des opérateurs
économiques »637. Cette extension est très perceptible en matière de sûretés puisque, le
législateur a décidé d’étendre l’obligation de publicité au nantissement des actions et des parts
637
J. DIFFO-TCHUNKAM, « Regards croisés sur la distinction droit civil- droit commercial, à l’épreuve de
l’OHADA », OHADATA D-09-37, [www.ohada.com]., n°24, p. 10.
235
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
sociales, à la réserve de propriété, au contrat de crédit-bail notamment. Le législateur de
l’OHADA décide, à l’instar du dispositif juridique particulier qu’il a élaboré, de mettre en
place une institution dotée d’un champ d’application étendu. Aussi bien le droit commercial
que, le droit civil y sont intégrés. Le législateur centralise ainsi, dans un registre unique, la
publicité de toutes les sûretés par les professionnels et qu’il conviendrait d’appeler « fichier
central des opérateurs économiques » 638. Le RCCM est fondamentalement perçu comme un
outil visant à favoriser l’exercice des activités économiques indépendamment de leur nature et
de la qualité de leurs acteurs. C’est ce qui explique que l’entreprenant, qui n’a pas le statut de
commerçant, soit tenu de procéder à la déclaration de son activité dans le RCCM.
434.
L’innovation mérite d’être saluée et remarquée. Le RCCM recevra à la fois au niveau
local, national et régional auprès de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage à Abidjan,
l’immatriculation des personnes physiques et morales et l’inscription des sûretés mobilières.
Le critère de transparence, essentiel pour le climat des affaires n’en sera que mieux satisfait.
Le RCCM est donc organisé selon plusieurs échelons géographiques afin d’assurer une
optimisation du rôle informatif et déclaratif de l’institution. Le rôle ne peut être cependant
pleinement assuré que si les RCCM locaux ont fonctionné comme il se doit.
435.
L’informatisation du RCCM au bénéfice du droit civil national. Le législateur de
l’OHADA est allé plus loin en vue de renforcer l’efficacité du RCCM et lui permettre
d’assumer les fonctions qui sont les siennes dans des conditions idoines. Il a mis en place un
système de dématérialisation à travers l’informatisation du RCCM, du fichier national et du
fichier régional. Cette innovation est organisée par le Livre 5 de l’Acte uniforme portant droit
commercial général du 17 avril 2010. « Dans chaque État Partie, le Registre du Commerce et
du Crédit Mobilier et le Fichier National, peuvent être tenus et exploités soit sur support
papier, soit sous forme électronique. Le Fichier Régional est tenu et exploité soit sur support
papier, soit sous forme électronique »639. A travers cet article, le législateur de l’OHADA
admet l’utilisation de procédures électroniques qui se matérialisent suivant les énonciations
des articles 82 et 83 par la transmission de documents électroniques et le recours à une
signature électronique. L’article 82 consacre notamment une validité et une force probatoire
équivalente aux supports électroniques et supports papier. L’article 83 quant à lui, fait de
même pour la signature électronique en énonçant les caractéristiques requises de celle-ci. Les
638
J. DIFFO-TCHUNKAM, ibid.
639
Article 80 de l’AUDCG.
236
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
États membres de l’OHADA pourraient bien consacrer cette force probatoire équivalente
reconnue aux supports électroniques et aux supports papier. Les législations nationales en
matière de droit civil consacrent majoritairement « le caractère parfait de la preuve par écrit ».
Les exigences de célérité, de sécurité et d’évolution des modalités de formalisation des
engagements justifieraient une évolution vers une consécration de la preuve par voie
électronique. Le RCCM est une institution clé du dispositif juridique OHADA en ce sens qu’il
influencera directement les investissements. Les investisseurs ont besoin des informations
détenues par le RCCM dans la conduite de leurs relations d’affaires640.
436.
La résolution des conflits étendue au droit civil national. De plus, avec le RCCM, les
conflits ou éventuels conflits de sûretés sont réduits grâce à la soumission de toutes les sûretés
réelles mobilières sans dépossession à une exigence de publicité sous peine d’inopposabilité.
En cas de conflit entre un créancier titulaire d’une sûreté réelle sans dépossession et un tiers
possesseur du bien, celui qui l’emporte est celui dont le droit est devenu opposable aux tiers
en premier641. L’ordre d’inscription au RCCM permet de résoudre les conflits entre créanciers
titulaires de sûretés dont l’opposabilité est soumise à l’accomplissement d’une formalité de
publicité, dès lors que l’inscription n’intervient pas le même jour. Dans le cas contraire,
l’article 57 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés résout les éventuels conflits.
B. L’amélioration des procédures
437.
Cette amélioration intervient en matière de recouvrement des créances (1) et en matière de
procédures collectives (2).
1. En matière de recouvrement des créances
438.
Un Acte uniforme salvateur. Les pays membres de l’OHADA évoluaient dans un climat
d’insécurité juridique en raison des difficultés de recouvrement des créances. Le caractère
obsolète et peu adapté des dispositions héritées du droit colonial était en cause. La réforme
des voies d’exécution est apparue comme salvatrice et porteuse d’espoirs, surtout que c’est le
domaine qui enregistre le plus important contentieux. L’Acte uniforme portant organisation
des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE) a
640
Dans le but de soutenir l’efficacité attendue du RCCM, la Banque Africaine de Développement a approuvé en
2002, l’octroi d’une assistance financière pour son développement.
641
P. CROCQ, ( sous. Dir.), Le nouvel Acte Uniforme portant Organisation des sûretés(…) , op.cit., n° 183, p.
143.
237
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
consacré de nombreuses innovations visant à rendre les mesures d’exécution plus fiables
qu’elles ne l’étaient. A priori, il s’agit de l’Acte uniforme qui détient la plus grande force
juridique. Contrairement aux autres Actes uniformes qui se limitent à abroger dans leurs
dispositions finales, les dispositions contraires, l’AUPSRVE abroge toutes les dispositions
relatives aux matières qu’il concerne dans les États parties. Il s’articule autour de procédures
simplifiées de recouvrement et de voies d’exécution. Elles visent pour les unes à amener le
débiteur à une exécution volontaire et pour les autres à contraindre le débiteur récalcitrant ou
de mauvaise foi à fournir la prestation qu’il doit ou son équivalent. La seule existence de telles
procédures peut contribuer à dissuader le débiteur de méconnaître ses obligations. Encore que
les immunités d’exécution642 prévues par l’Acte uniforme puissent limiter leur efficacité.
Selon ce texte, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux
personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution »643.
439.
L’amélioration du dispositif relatif aux procédures simplifiées. Les procédures
simplifiées de recouvrement de créances constituent un prélude aux voies d’exécution qui sont
la véritable procédure d’exécution forcée. La procédure simplifiée constitue un moyen rapide
et peu coûteux dont peut se servir un créancier pour contraindre son débiteur à le payer. Avant
l’avènement du droit de l’OHADA, la plupart des pays africains ne connaissaient que
l’injonction de payer, cette procédure spéciale de recouvrement des petites créances civiles ou
commerciales de nature contractuelle. Le droit de l’OHADA améliore cette procédure et en
ajoute une nouvelle. Il s’agit de l’injonction tendant à la délivrance ou à la restitution d’un
bien meuble déterminé.
440.
La procédure d’injonction de payer. La procédure d’injonction de payer ne peut donner
lieu à la saisie des biens, mais uniquement à l’obtention d’un titre exécutoire et vise au
paiement d’une somme d’argent. La mise en œuvre de l’injonction de payer requiert une
requête appelée injonction aux fins de payer, introduite auprès de la juridiction compétente du
domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l’un des débiteurs en cas de
pluralité. La satisfaction de la requête du créancier est subordonnée à la réunion de deux
642
Mais l’immunité d’exécution ne joue pas de manière automatique en certaines hypothèses. Dans un Arrêt n°
123/2014, du 11 novembre 2014, Affaire Hôpital Général de Référence Nationale, en abrégé HGRN C/ Société
Total Elf Finio Sa, la CCJA, a écarté le bénéfice par l’Hôpital Général de l’immunité d’exécution. Elle retient
que « l’Ordonnance n°075/07 du 16 août 2007 dont la rétractation est poursuivie, a prononcé une simple
condamnation en paiement des causes d’une saisie et de dommages et intérêts ; condamnation qui ne relève pas
des mesures conservatoires ou d’exécution forcées visées aux dispositions de l’article 30 précitées ».
643
Article 30 de l’AUPSRVE.
238
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
conditions : une créance certaine, liquide et exigible644 selon l’article 1er de l’Acte uniforme
qui ait en plus une cause contractuelle645 ou que l’engagement résulte de l’émission ou de
l’acceptation de tout effet de commerce, ou d’un chèque dont la provision s’est révélée
inexistante ou insuffisante selon l’article 2. Les conditions de l’article 2 sont alternatives et il
suffit donc que l’une d’entre elles, soit ajoutée à la condition de l’article 1er. L’Acte uniforme
n’exige pas de plafonnement pour le recours à la procédure d’injonction de payer, à la
différence des États membres. L’abandon de ce plafonnement permettra à tout créancier,
indépendamment du montant de sa créance, d’obtenir, si les conditions requises sont
satisfaites, paiement. Cette innovation intègre de manière impérative le droit civil national des
États membres.
441.
L’injonction de délivrer ou de restituer, une faculté offerte au créancier. La seconde
procédure simplifiée est l’injonction de délivrer ou de restituer, qui est une nouvelle procédure
qui vise spécifiquement le créancier d’une obligation de délivrer ou de restituer un bien
meuble corporel déterminé. Il s’agit d’une faculté qui est offerte au créancier d’une obligation
de délivrer ou de restituer646. La requête est « déposée ou adressée au greffe de la juridiction
644
CCJA, Arrêt n°001/2007 du 1er février 2007, Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ATCI C/
Société Civile Immobilière « Elite Construction » dite SCI « Elite Construction ». La Cour a estimé que les
éléments constitutifs de la créance de la SCI « Elite construction » répondent bien aux conditions fixées par
l’article 1er de l’Acte uniforme sus-indiqué (A.U.P.S.R.V.E) en ce que ladite créance est certaine ; et que la SCI
« Elite construction » poursuivant son recouvrement qui porte sur la somme de 34.811.988 francs CFA liquide,
la créance invoquée étant déterminée dans sa quantité et donc chiffrée et exigible, la requérante ne peut se
prévaloir d’aucun délai ou condition susceptible d’en retarder ou d’en empêcher le paiement ». V. également
dans ce sens : CCJA, Arrêt n° 009/2013 du 07 mars 2013, Affaire BIAO-CI contre La société Travaux Publics
ZAROUR et CHOUR dite TPZC et ZAROUR GASSANE et ZAROUR NAIF. V. également, CCJA, Arrêt
n°019 /2014 du 11 mars 2014, Affaire Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ATCI Contre
Société Ivoirienne de Promotion dite SIPROM ; il s’agissait en l’espèce d’un pourvoi invoquant la violation de la
loi, notamment l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement
et des voies d’exécution, l’erreur dans l’application et l’interprétation de la loi. CCJA, Arrêt N°002/2015 du 12
février 2015, Affaire Société Habitat Bellecour Côte d’Ivoire dite HBCI Sarl C/ KOUOTO SOUASSOU Bruno.
645
La condition relative au caractère contractuel a donné lieu à un vaste contentieux devant la CCJA qui a
tranché dans un arrêt du 29 juin 2006. Estimant que la cause de la demande avait pour fondement un accident de
la circulation qui est un fait juridique, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi ayant refusé le recours à la
procédure d’injonction de payer. V. CCJA, Arrêt du 29/06/2006, Arrêt n° 15, Affaire C.D c/ Société Ivoirienne
d’Assurances Mutuelles dite SIDAM, Le Juris-Ohada, n° 4/2006, p. 22. CCJA, Arrêt n° 011/2013 du 07 mars
2013, Affaire Société Tropical Rubber CI dit TRCI C/ Cabinet d’Etude et de Recouvrement en Côte d’Ivoire dite
CERCI. En l’espèce, la Société CERCI subrogée dans les droits de la Société FRAME-WORK SARL, sollicitait
et obtenait le 09 juin 2006 l’Ordonnance n°3518 par laquelle il est fait injonction à la Société TRCI de lui payer
la somme de 75 223 992 F.
646
CCJA, Arrêt n° 002/2008 du 28 février 2008, Affaire VEÏ Bernard Contre BICI-BAIL S.A. Par un contrat de
crédit-bail en date du 17 avril 2000, BICI-BAIL S.A a donné en location à la Pharmacie Saint Joseph, avec
239
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur de l’obligation de
délivrance ou de restitution. Les parties peuvent déroger à cette règle de compétence au
moyen d’une élection de domicile prévue au contrat »647. La procédure est quasiment
identique à celle de l’injonction de payer. La décision portant injonction de délivrer ou de
restituer doit faire l’objet d’une signification portant à peine de nullité, sommation dans un
délai de quinze jours, selon les exigences de l’article 25648. Cette nouvelle procédure semble
être plus profitable au créancier en comparaison avec l’injonction de payer, parce qu’elle vise
une exécution en nature qui satisfait le respect d’une obligation de faire. Dans un espace
géographique où l’exécution en valeur est peu souvent obtenue. Au demeurant, ces deux
procédures peuvent donner lieu à l’obtention d’un titre exécutoire qui autorisera la saisieappréhension ou la saisie-exécution.
442.
Les voies d’exécution. Le dispositif dans son ensemble, a renforcé les contraintes qui
pèsent sur le débiteur. Les voies d’exécution sont des procédures légales qui permettent à un
créancier impayé, soit de saisir les biens de son débiteur pour les vendre le cas échéant, et se
faire payer ; soit de procéder à une saisie de créance en vue de sa la faire attribuer ; soit, de se
faire délivrer ou restituer un bien mobilier corporel. L’ouverture de ces procédures forcées est
subordonnée à l’absence d’exécution volontaire, la nécessité d’une créance certaine, liquide et
exigible et d’un titre exécutoire649. L’acte de saisie, rend indisponibles les biens qui en sont
option d’achat, un véhicule automobile de marque BMW MILLENIUM, au prix de 25.690.000 F CFA toutes
taxes comprises, somme payable en 48 mensualités de 603.389 F CFA chacune sur une période de quatre ans
allant du 30 avril 2000 au 30 avril 2004. Il est entre autres reproché à l’arrêt attaqué une violation ou une erreur
dans l’application ou l’interprétation de la loi en ce que la procédure de restitution utilisée en l’espèce n’est pas
conforme à celle prévue par les dispositions du « Traité OHADA » sur la procédure simplifiée tendant à la
délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé. Alors la CCJA considère que, « contrairement aux
allégations du demandeur au pourvoi, la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien
meuble déterminé est une faculté offerte au créancier d’une obligation de délivrance ou de restitution d’un bien
meuble corporel déterminé pour demander au Président de la juridiction compétente d’ordonner cette délivrance
ou restitution ; le créancier peut donc suivre les voies de droit commun et en faire fi ».
647
Article 19 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution.
648
Il ressort de l’article 25 que « la signification contient, à peine de nullité, sommation d’avoir, dans un délai de
quinze jours : soit à transporter, à ses frais, le bien désigné en un lieu et dans les conditions indiqués, soit, si le
détenteur du bien a des moyens de défense à faire valoir, à former opposition au greffe de la juridiction qui a
rendu la décision, par déclaration écrite ou verbale contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande
d’avis de réception ou par tout moyen laissant trace écrite, faute de quoi la décision sera rendue exécutoire ».
649
L’article 28 dispose que « à défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa
créance, dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter
ses obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits. Sauf
240
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’objet. Le débiteur bien que n’étant pas totalement dépouillé de son droit de propriété, perd
celui d’user du bien ou d’en disposer. Il s’agit d’une innovation, dans la mesure où le droit
antérieur consacrait une saisie avec enlèvement. Lorsqu’il s’agit d’une saisie conservatoire
des créances, le tiers saisi ne peut absolument pas disposer des sommes réclamées,
l’indisponibilité de la créance y mettant un frein650. Le débiteur en fait les frais en raison de
l’impossibilité pour lui d’obtenir un paiement de son débiteur.
443.
La nouvelle saisie vente et les options offertes au débiteur. Le législateur de l’OHADA
introduit une innovation importante dans la saisie vente, anciennement saisie-exécution. Le
débiteur a la possibilité de choisir entre la vente amiable et la vente forcée de ses biens en
vertu des articles 70 et 72 de l’AUPSRVE. La vente amiable offre la possibilité au débiteur,
de tirer un meilleur prix de la cession du bien. Il est autorisé à fixer le prix à la lumière du
seuil minimum autorisé. Et surtout, s’il réussit à vendre le bien à un montant supérieur au
montant de ses dettes, le surplus lui revient. Le droit civil national des États membres sera
enrichi de cet avantage considérable. La saisie-exécution, telle qu’en vigueur dans la plupart
des États membres de l’OHADA, était dépassée, moins efficace. Le Code de procédure civile,
commerciale et administrative ivoirien, prévoit expressément que la saisie-exécution est
désormais régie par l’AUPSRVE.
444.
La saisie-attribution, ancienne saisie-arrêt. Pour les créances autres que les
rémunérations, le législateur de l’OHADA offre au créancier la possibilité de recourir à la
saisie-attribution qui est la voie d’exécution mobilière par excellence et a pour effet
l’attribution immédiate de la créance saisie651. En effet, « tout créancier muni d’un titre
s’il s’agit d’une créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est poursuivie en premier lieu sur les biens
meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles ». Pour ce qui est de la définition du titre
exécutoire voir CCJA, Arrêt n° 115/2014 du 04 novembre 2014. Affaire Caisse Populaire Coopérative du
Littoral (CAPCOL) C/ N’GOWI Emmanuel. Dans l’affaire selon la CCJA, le fait pour la Cour d’appel de ne pas
reconnaître à la grosse en forme exécutoire de l’acte notarié authentique n°8816 du 09 septembre 1998 et le
certificat d’inscription hypothécaire du 14 mai 2003 du répertoire de Maître MBOBDA MONGOUE Elie, la
qualité de titre exécutoire, constitue une violation des dispositions de l’article 33 de l’A.U ».
650
Article 77 alinéa 5 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des
voies d’exécution.
651
Selon l’article 153 de l’Acte uniforme, « tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance
liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur
portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations ». Et
l’article 154 alinéa 1 de poursuivre que « l’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle
est pratiquée ainsi que tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du
saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ».
241
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir
entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous
réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations »652.
La juridiction
communautaire est intransigeante quant au respect de ce principe qu’elle a affirmé et
réaffirmé dans ses décisions dont la plus récente est celle rendue par la 1ère chambre, le 25
octobre 2018653. En effet, elle rappelle que « la saisie-attribution de créance n’est pratiquée
qu’en vertu d’un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible au sens
des articles 31 et 153 de l’AUPSRVE ». La CCJA vient en plus, apporter des précisions
concernant le type d’acte qui peut être qualifié de titre exécutoire. « Constitue un titre
exécutoire régulier de nature à fonder une saisie-attribution de créances la grosse d’un
jugement devenu définitif, faute de recours dans les délais légaux »654. L’acte de saisie
emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée ainsi que tous ses
accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du saisissant de
la créance saisie, disponible entre les mains du tiers. Les sommes saisies sont rendues
indisponibles par l’acte de saisie. « Tout se passe comme si le transfert de propriété était
instantané » 655. La saisie-attribution a cela d’avantages, qu’elle est plus efficace et plus rapide
que l’ancienne saisie-arrêt. La force obligatoire et la force abrogatoire de l’AUPSRVE,
emportent sa substitution automatique aux dispositions prévues par les Codes de procédure
civile des États membres.
652
Article 153 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution.
653
CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 173/2018 du 25 octobre 2018. V. en ce sens également, CCJA, 1ère Ch., Arrêt n°
190/2018 du 25 octobre 2018 : « les saisies-attribution de créances ne peuvent être pratiquées que moyennant un
titre exécutoire, et leurs contestations ne sont connues que par le juge du contentieux de l’exécution ». V.
également, CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 165/2018 du 18 octobre 2018 : « la saisie-attribution de créances est jugée
régulière lorsque l’acte de saisie mentionne le titre exécutoire qui sous-tend ladite saisie, et la preuve de son
caractère définitif ».
654
CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 63/2017 du 30 mars 2017. Cependant, « la formule exécutoire, apposée sur
l’ordonnance d’injonction de payer avant l’expiration du délai normal d’opposition, est en porte- à-faux avec les
articles 10 et 335 de l’AUPSRVE et ne peut lui conférer la qualité de titre exécutoire », v. CCJA, 2e Ch., Arrêt n°
38/2017 du 23 mars 2017. Dans le même sens, « les ordonnances d’injonction de payer ou de restituer ne
constituent des titres exécutoires qu’à compter du défaut d’opposition par le débiteur, constaté à la suite de leur
signification par exploit d’huissier », Cour d’appel de Commerce d’Abidjan, 3e Ch., Arrêt n° 08/2018 du 20
juillet 2018.
655
F. ONANA-ETOUNDI, « La réforme des procédures de recouvrement et vies d’exécution en droit OHADA :
Etude pratique de législation et de jurisprudence », RDUA, n°1, p. 32.
242
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
445.
La consécration nouvelle de la saisie appréhension. En matière de bien meuble corporel,
le créancier peut mettre en œuvre une saisie-appréhension qui est une mesure nouvelle dans
l’espace OHADA. Grâce à cette procédure, le créancier rentre matériellement en possession
du bien qui lui revient, en se la faisant restituer ou en prenant livraison656. Il peut également
recourir à la saisie-revendication avant toute appréhension. « Les biens meubles corporels qui
doivent être délivrés ou restitués ne peuvent être appréhendés qu’en vertu d’un titre exécutoire
constitué, le cas échéant, d’une injonction de la juridiction compétente devenue exécutoire.
Ces mêmes biens peuvent aussi être rendus indisponibles, avant toute appréhension, au moyen
d’une saisie-revendication »657. Concernant la saisie-appréhension, un commandement de
délivrer ou de restituer contenant des mentions obligatoires dont le défaut est sanctionné par la
nullité658, est signifié à la personne tenue de la remise. Le bien peut aussi être appréhendé
immédiatement, sans commandement préalable et sur la seule présentation du titre exécutoire,
si la personne tenue de la remise est présente et si, sur la question qui doit lui être posée par
l’huissier ou l’agent d’exécution, elle ne s’offre pas à en effectuer le transport à ses frais. Il est
dressé acte, de la remise volontaire ou de l’appréhension du bien. Si le bien a été appréhendé
pour être remis à son propriétaire, une copie de l’acte prévu par l’article 221 ci-dessus est
remise ou notifiée par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception ou par tout
autre moyen laissant trace écrite à la personne tenue, en vertu du titre exécutoire, de délivrer
ou de restituer le bien. La saisie-appréhension était inconnue des États membres de
l’OHADA, à l’exception du Mali659. Elle permet la récupération d’un bien meuble corporel,
une récupération en nature.
446.
Les saisies conservatoires, un aménagement prévu par l’Acte uniforme. Les saisies
conservatoires constituent une variété de mesures conservatoires destinées à rendre
indisponibles les biens sur lesquels elles portent dans l’attente de leur conversion en mesure
656
L’article 218 dispose que « Les biens meubles corporels qui doivent être délivrés ou restitués ne peuvent être
appréhendés qu’en vertu d’un titre exécutoire constitué, le cas échéant, d’une injonction de la juridiction
compétente devenue exécutoire. Ces mêmes biens peuvent aussi être rendus indisponibles, avant toute
appréhension, au moyen d’une saisie-revendication ».
657
Article 218 AUPSRVE.
658
Cependant, « celui qui invoque la nullité d’un commandement de restituer pour défaut de mentions
obligatoires doit spécifier et caractériser lesdites mentions manquantes et ne peut se borner à déplorer l’absence
dans le commandement de la « quasi-totalité » des mentions prescrites à peine de nullité ». CCJA, 2e Ch., Arrêt
n° 11/2008 du 27 mars 2008.
659
Article 745 du Code de procédure civile.
243
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’exécution660. L’Acte uniforme a aménagé un dispositif de saisies conservatoires qui
concerne les biens meubles corporels, les créances, les droits d’associés et les valeurs
mobilières.
La saisie conservatoire des biens meubles corporels est mise en œuvre par
l’huissier ou l’agent d’exécution qui dresse un procès-verbal de saisie devant comporter des
mentions obligatoires en vertu de l’article 64 sous peine de nullité. La saisie est foraine
lorsque le débiteur n’a pas de domicile fixe ou lorsque son domicile ou son établissement se
trouve dans un pays étranger.
447.
La consécration d’une procédure de contestation spécifique. Le constat qui est fait dans
l’espace géographique OHADA, mais pas uniquement, est que les procédures de saisies font
l’objet de contestation et cela de manière systématique. Sûrement parce que les biens
matériels constituent un signe extérieur de richesse auquel sont fortement attachées, les
populations africaines. Le législateur de l’OHADA a organisé la procédure de contestation
propre aux procédures simplifiées et aux voies d’exécution qui substituera les dispositions
prévues par le droit commun des États membres. L’article 62661 rappelle, pour les mesures
conservatoires, la possibilité d’obtenir une main levée de la mesure conservatoire. Concernant
les opérations de saisie, il faut se référer aux articles 139 à 146. Par exemple, « les demandes
relatives à la propriété ou à la saisissabilité ne font pas obstacle à la saisie, mais suspendent la
procédure pour les biens saisis qui en sont l’objet »662.
2. En matière de procédures collectives
448.
Le renouveau du dispositif impulsé par le législateur de l’OHADA. Selon le Professeur
Françoise PEROCHON, « une procédure collective est traditionnellement patrimoniale,
universelle, qui appréhende tous les actifs du patrimoine du débiteur et envisage le règlement
660
A. LEBORGNE, Droit de l’exécution, 2e éd., Paris, Dalloz, 2014, n° 2826, p. 1011.
661
Selon cet article, « pour les mesures conservatoires, en matière de voies d’exécution, même lorsqu’une
autorisation préalable n’est pas requise, la juridiction compétente peut, à tout moment, sur la demande du
débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire si le saisissant ne rapporte
pas la preuve que les conditions prescrites par les articles 54, 55, 59, 60 et 61 ci-dessus sont réunies » .
662
Article 139 de l’AUPSRVE. Et l’article 143 de poursuivre en disant que « les contestations relatives à la
saisissabilité des biens compris dans la saisie sont portées devant la juridiction compétente par le débiteur,
l’huissier ou l’agent d’exécution agissant comme en matière de difficultés d’exécution ». V. à propos des
personnes ayant qualité pour contester la saisissabilité des biens, CCJA Arrêt n°002/2013, du 07 mars 2013,
Affaire Société CENTRAL INDUSTRIE C/ Société RAYANE, M. HASSAN KAMEL FTOUNI, M. OMAÏS
TOUFIC et Société CAFCACI. En vertu de l’article 144 , « la nullité de la saisie pour un vice de forme ou de
fond autre que l’insaisissabilité des biens compris dans la saisie, peut être demandée par le débiteur jusqu’à la
vente des biens saisis ».
244
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
de toutes ses dettes en soumettant les créanciers à une discipline collective : le paiement des
créanciers est alors et demeurera pendant longtemps sa finalité essentielle »663. Par ailleurs, la
procédure collective « implique tous les créanciers d’un débiteur défaillant et les soumet à une
même loi, l’arrêt des procédures individuelles, l’obligation de faire valoir leurs droits par le
filtre de la procédure de vérification des créances, la désignation de mandataires de justice
pour des missions plus ou moins étendues qui couvrent au minimum un contrôle de la gestion,
un pouvoir d’arbitrage sur les contrats en cours et le cas échéant la réalisation ordonnée des
actifs » 664.
Les procédures collectives sont des procédures judiciaires ouvertes lorsque le
commerçant, personne physique ou la personne morale de droit privé, est en état de cessation
des paiements ou connaît de sérieuses difficultés financières, dans le but d’assurer le paiement
des créanciers et, dans la mesure du possible, le sauvetage de l’entreprise et, par voie de
conséquence, de l’activité et des emplois. Les règles juridiques relatives aux procédures
collectives en droit de l’OHADA ont permis d’améliorer le dispositif juridique en place et en
vigueur au sein des États membres, au fil des différents Actes uniformes adoptés.
449.
Avant l’entrée en vigueur d’un Acte uniforme relatif aux procédures collectives, la
législation des États membres en la matière était principalement composée de textes français
qui étaient la référence. Il s’agit notamment du Code de commerce de 1807, tel qu’il a été
refondu par la loi du 28 mai 1838, de la loi du 4 mars 1889 sur la liquidation judiciaire, et des
décrets-lois du 8 août et du 30 octobre 1935. Seuls quelques États tels que le Sénégal665, le
Mali666, le Cameroun, le Gabon, le Bénin, la République centrafricaine et le Burkina Faso667
ont mis en œuvre des réformes ou prévu de le faire. Même si la plupart ont reproduit les textes
français, ou se sont inspirés des réformes intervenues en droit français. Jusqu’à la législation
de l’OHADA, les États africains n’avaient pas suivi l’évolution du droit en général et du droit
français en particulier. En effet, en France, les textes se sont succédé et ont remplacé ceux
663
F. PEROCHON, Entreprises en difficultés, 10e éd., Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, 2014, n°2, p. 20.
664
A. MARTIN-SERF, J.-L. VALLENS, « La sauvegarde financière accélérée est-elle une procédure
collective ? », RTD com., juillet-septembre. 2011., pp. 644-645.
665
Loi n° 76-60 du 12 juin 1976 complétée par le décret d’application n°76-781 du 23 juin 1976 dans laquelle
figurent les articles 927 à 1077.
666
Loi n° 86-13/AN-RM du 21 mars 1986 portant Code de commerce, dont les articles 173 à 315 traitent
notamment du règlement judiciaire.
667
L’ordonnance n°91-043 du 17 juillet 1991 a institué au Burkina Faso le redressement judiciaire inconnu
jusqu’alors et qui vient enrichir le dispositif en ne s’appliquant qu’en cas de cessation des paiements du débiteur.
245
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
moins adaptés par des réformes et textes en 1967, 1985, 1994, 2005, 2008. Avec la réforme de
2015, il ne fait aucun doute que l’objet de l’Acte uniforme a évolué et s’est voulu plus vaste
en mettant l’accent sur les difficultés des entreprises et leur sauvegarde. Il ressort de l’article
1er nouveau que, l’Acte uniforme a pour objet d’organiser les procédures préventives de
conciliation et de règlement préventif ainsi que les procédures curatives de redressement
judiciaire et de liquidation des biens.
450.
L’extension générale du champ d’application, consacrée par la réforme. L’article 1-1
dispose que « le présent Acte uniforme est applicable à toute personne physique exerçant une
activité professionnelle indépendante, civile, commerciale, artisanale ou agricole, à toute
personne morale de droit privé ainsi qu’à toute entreprise publique ayant la forme d’une
personne morale de droit privé ». Il fait également référence aux personnes morales de droit
privé qui exercent une activité soumise à un régime particulier, telles que les établissements
de crédit au sens de la loi bancaire, les établissements de « micro finance » et les acteurs des
marchés financiers ainsi que, les sociétés d’assurance et de réassurance des États parties au
Traité de l’OHADA, lorsqu’il n’en est pas disposé autrement dans la réglementation
spécifique régissant ladite activité. Le champ d’application des procédures collectives a été
redéfini avec l’admission des personnes physiques autres que commerçantes668. L’Acte
uniforme était muet sur la question du secteur informel, ce qui change avec la réforme,
puisqu’en admettant dans le champ d’application les personnes physiques non commerçantes,
il règle la question. Ainsi, aussi bien les professions libérales exercées à titre individuel que
l’entreprenant sont captés par le droit de l’OHADA. La difficulté pourrait résider dans
l’inaptitude du secteur informel à supporter le coût et la complexité des procédures
collectives. Mais il ne faut pas occulter le fait que le secteur informel ait beaucoup
d’importance et ait pris de l’envergure ces dernières années et surtout que l’accès aux
procédures soit simplifié.
451.
Les incidences du droit des procédures collectives uniforme sur les droits de garantie
des créanciers. Le dispositif juridique de l’OHADA en matière de procédures collectives a
des incidences sur le droit civil des États membres. Les créanciers munis de sûretés ou de
668
Tribunal de commerce d’Abidjan, Jugement n° RG260/2016 du 19 mai 2016 : « Il résulte de l’article 1-1 de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif qu’à l’instar des
personnes physiques exerçant une activité́ rémunératrice de revenus et des personnes morales de droit privé,
même non commerçantes ainsi que des entreprises publiques, les personnes morales de droit privé exerçant une
activité́ de crédit sont justiciables des procédures de conciliation, de règlement préventif, de redressement
judiciaire et de liquidation des biens si elles n’en sont pas dispensées ».
246
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
privilèges sont assujettis aux règles de la procédure collective. Tout d’abord, le créancier est
tenu de faire reconnaître ses droits afin d’être admis à la procédure collective. En effet, les
créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, sont soumis à
l’arrêt des poursuites individuelles. La conservation du droit de créance et de garantie qui
l’accompagne, est tributaire de la satisfaction de l’obligation de production. Elle est prévue
par l’article 78 de l’AUPC. La production est « une déclaration faite au syndic par les
créanciers d’un débiteur en état de redressement judiciaire ou de liquidation des biens,
indiquant le montant de leurs créances, accompagnée de la preuve de leurs prétentions c’est-àdire les pièces prouvant l’existence de la créance et son quantum »669. Le législateur de
l’OHADA impose désormais l’obligation de production au créancier titulaire de sûreté ou de
privilège. Il est tenu, dans sa déclaration, de déclarer la sûreté qui accompagne sa créance. À
défaut, la sûreté ou le privilège n’est pas admis à titre de sûreté ou de privilège.
452.
La liquidation de l’entreprise et les droits sur les immeubles. Dans le cadre de la
réalisation de l’actif de l’entreprise, il sera procédé à la vente des biens meubles et immeubles
du débiteur. Sur ce point, le législateur de l’OHADA, n’autorise pas les créanciers à procéder
à la vente des immeubles. Qu’ils soient titulaires d’une hypothèque ou non, il leur est interdit
d’agir en vente du bien. Le juge-commissaire est le titulaire de ce droit, en vertu de l’article
150 de l’AUPC670. Le droit des sûretés des États membres est soumis au droit des affaires de
l’OHADA.
453.
L’exclusion de modes de paiement pourtant admis en droit commun. Pendant la
période suspecte, le législateur de l’OHADA déclare inopposables de droit, certains modes de
paiement. Il ressort de l’article 68 de l’AUPC que, les paiements anticipés et ceux effectués
par des mécanismes non usuels, sont inopposables. Or, le paiement est le mode par
excellence, d’extinction de l’obligation. Le droit admet un aménagement des modalités de
paiement, qui peut parfaitement être anticipé.
669
F.-M. SAWADOGO, OHADA, Droit des entreprises en difficulté, Bruylant, 2002, n°213, p. 209.
670
L’alinéa 1 de l’article 150 prévoit que « les ventes d’immeubles ont lieu suivant les formes prescrites en
matière de saisie immobilière, sauf dans le cas où ladite saisie est soumise à une clause d’exécution
extrajudiciaire conformément à l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Toutefois, le juge-commissaire
fixe, après avoir recueilli les observations des contrôleurs, s’il en a été nommé, le débiteur et le syndic entendus
ou dûment appelés, la mise à prix et les conditions essentielles de la vente et détermine les modalités de la
publicité ».
247
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
454.
L’inscription des sûretés mobilières et immobilières. « La décision d’ouverture du
redressement judiciaire et de la liquidation des biens arrête le cours des inscriptions de toute
sûreté mobilière ou immobilière »671. Toute sûreté régulièrement constituée avant le jugement
d’ouverture, mais qui n’a pas fait l’objet de publication, ne peut plus l’être. La
méconnaissance de cette interdiction est de nature à entraîner l’inopposabilité de la sûreté.
Cependant, l’inscription des sûretés constituées après le jugement d’ouverture, est autorisée.
Le droit civil des États membres est encadré par le droit des procédures collectives
communautaire. Les créanciers ne peuvent déroger aux règles prévues pour l’inscription des
sûretés.
455.
L’influence exercée sur le sort des cautions et coobligés. En matière règlement préventif
et de redressement judiciaire, le garant personne physique bénéficie de l’arrêt des poursuites
de manière automatique. Le législateur communautaire prévoit que « la décision d’ouverture
du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir
le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de
trois (3) mois, qui peut être prorogée d’un (1) mois dans les conditions prévues à l’article 13,
alinéa 2, sans préjudice de l’application de l’article 14 alinéa 3 ci-dessous »672. Les personnes
physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un
bien en garantie peuvent se prévaloir de la suspension des poursuites. Le droit des procédures
collectives vient renforcer dans ce cas précis, la protection des personnes physiques
coobligées, qui bénéficient en droit commun national de l’opposabilité des exceptions
inhérentes à la dette.
Le droit des sûretés, tel que désormais en vigueur au sein des États membres de l’OHADA,
est novateur. Le législateur communautaire a créé des sûretés et renforcé le régime juridique
de certaines sûretés. Un droit processuel plus attractif a été mis à la disposition des États
membres à la faveur de la création du Registre de Commerce et de Crédit Mobilier et de
l’amélioration des procédures.
671
Article 73 de l’AUPC.
672
Article 9-1 de l’AUPC.
248
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
456.
Le véritable changement est venu du droit substantiel. Dans un contexte de renouveau, de
réformes lié à l’après indépendance, la montée en puissance des pôles économiques
internationaux d’échanges, l’OHADA a entendu apporté dans son domaine, des réponses aux
besoins de sécurisation et de modernisation des législations africaines. Ainsi, de profondes
mutations ont été observées au niveau national à travers l’impact des instruments juridiques
communautaires : les actes uniformes et les règlements de l’OHADA. Des apports notables
matérialisés par la création, l’amélioration, le renforcement des régimes juridiques, du
dispositif en vigueur en matière de théorie générale des obligations, droit des garanties ou
encore de droit processuel.
249
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU TITRE 2
457.
L’objet de ce titre était d’examiner les fondements de l’influence substantielle du droit de
l’OHADA, sur le droit civil national des États membres. Il était question de déterminer dans
quelle mesure le droit de l’OHADA a pu avoir des incidences sur le droit commun national. Il
a pu être relevé que cette influence est effective à au moins deux titres. D’une part, le droit de
l’OHADA a apporté des modifications à la structure du droit civil national et d’autre part, le
droit substantiel en vigueur a dû faire face à de profonds changements. De transformation, il
est surtout question de la construction d’un droit mixte, résultat du dépassement de la
distinction classique droit civil/droit commercial. Le droit civil national intègre des notions,
activités et acteurs économiques.
458.
Bien plus, une nouvelle configuration de la théorie générale des obligations des États
membres est à envisager. Le dispositif juridique en vigueur en matière de formation,
d’interprétation et d’exécution du contrat, est, grâce au droit de l’OHADA, plus attractif. Au
droit des sûretés obsolète de l’époque coloniale, à quelques exceptions près, est substitué un
droit des sûretés mieux adapté aux exigences du monde des affaires et des investissements.
Au soutien de ces nouvelles règles, des règles de procédure et des institutions nées sous
l’impulsion du législateur de l’OHADA, ont contribué à l’amélioration de la sécurité juridique
et judiciaire.
250
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
459.
Une influence justifiée par le cadre institutionnel et les caractères du droit de
l’OHADA. L’emprise du droit de l’OHADA sur le droit civil national des États membres est
réelle et perceptible. Que ce soient les principes fondateurs de l’Organisation communautaire
qui assurent au droit de l’OHADA une suprématie, ou encore les organes qui portent le projet
OHADA, il est indéniable que les pays signataires du Traité de Port Louis, ont opéré un
transfert de souveraineté en faveur de l’œuvre commune. L’OHADA étend ses tentacules
aussi bien au domaine législatif qu’au domaine judiciaire. Deux instruments assez puissants
du moins dans les textes sont dédiés à l’affirmation de ladite force : le droit primaire et dérivé,
notamment les Actes uniformes, ainsi que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
(CCJA). L’uniformisation juridique et judiciaire constitue l’essence de l’OHADA.
460.
La substitution partielle ou totale de l’ordre juridique de l’OHADA au droit commun
national des États membres, en vertu de la supranationalité, de l’effet direct et de l’application
immédiate de cet ordre juridique, illustre son influence. Les législations des États membres
sont tenues de procéder à la mise en conformité de leur dispositif juridique et de leur ordre
judiciaire, sous peine de leur inapplicabilité. Les juridictions de fond nationales restent
inféodées à la C.C.J.A qui assure le contrôle de leur action et l’encadre. De plus, cette haute
cour supplante les juridictions nationales suprêmes en matière d’application et d’interprétation
du droit de l’OHADA conformément à l’article 14 du Traité fondateur de l’OHADA.
Obligation leur est faite de se dessaisir de l’affaire, dès lors que la question à trancher
concerne l’application du droit de l’OHADA. La puissance de la CCJA est également
perceptible dans la possibilité qui lui est faite d’évoquer sans renvoi. En effet, dans
l’hypothèse où la Cour juge qu’il a été fait une application erronée du droit de l’OHADA et
que la décision encourt l’annulation, la Cour ne renvoie pas l’affaire.
461.
Les mutations d’un point de vue substantiel, une manifestation de l’influence du droit
de l’OHADA. L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil des États membres est
notable quant aux mutations qu’il a permises d’un point de vue substantiel. En premier lieu, la
structure du droit commun national est modifiée. De droit civil, il est désormais question de
droit mixte. Mixte, parce que transformé par le caractère hybride du droit de l’OHADA. En
second lieu, la théorie générale des obligations notamment la formation du contrat,
l’interprétation du contrat, l’exécution du contrat, du point de vue des obligations des parties
et du contentieux relatif à l’exécution du contrat, ont été enrichies par le droit de l’OHADA.
251
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Les directives d’interprétation explicites, la prise en compte de la gravité du manquement aux
obligations contractuelles, sont des exemples concrets. Le législateur de l’OHADA a créé de
nouvelles sûretés, amélioré et renforcé le régime juridique de sûretés existantes et clarifié les
règles relatives aux sûretés personnelles et aux sûretés réelles. Les institutions et le droit
procédural ont été également influencés par le droit de l’OHADA. Désormais, le Registre de
Commerce et de Crédit Mobilier n’est plus limité aux commerçants. Il est devenu le registre
des activités, des professions, des acteurs, des professionnels et des opérateurs économiques.
Il joue un rôle en matière d’inscription de sûretés. Et transcende le cloisonnement droit
commercial/droit civil. Les procédures de recouvrement de créances qui concentrent le taux
le plus élevé en matière de contentieux, sont améliorées et renforcées. La force obligatoire
particulière reconnue à l’AUPSRVE entraîne une substitution pure et simple de ses
dispositions à celles des législations nationales. Les procédures collectives sont désormais
pensées comme des moyens de redressement des entreprises qui peuvent en bénéficier
indépendamment de la nature de l’activité exercée. Même si les droits des créanciers et des
garants sont encadrés de manière assez stricte par le droit des procédures collectives de
l’OHADA.
252
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Deuxième partie. L’INFLUENCE LIMITÉE DU DROIT DE
L’OHADA SUR LE DROIT CIVIL DES ÉTATS MEMBRES
462.
Un domaine marqué par le droit commun national. Dans le cadre de la relation qui
existe entre le droit de l’OHADA et le droit civil national des États membres, il apparaît, il est
vrai, une influence du premier sur le second, mais cette influence n’est pas absolue. Elle
connaît des limites de nature à remettre en cause l’efficacité et l’effectivité du droit de
l’OHADA. Tout d’abord, l’analyse de la structure de l’OHADA et du droit de l’OHADA,
mettent en lumière des caractéristiques propres au droit civil. La place du droit civil national
des États membres dans la construction du droit de l’OHADA est sans équivoque tant le
domaine du droit de l’OHADA porte l’empreinte du droit civil. Les contours du domaine du
droit de l’OHADA ne sont pas à rechercher dans des critères propres à celui d’un droit des
affaires, mais bien dans la spécificité de l’OHADA étroitement liée à l’histoire et au contexte
qui prévalait au sein des États membres.
463.
La formulation générale des textes. Aussi, la volonté d’uniformisation se décline-t-elle
en une unification, en vue de doter les États membres de règles communes, ou d’une
harmonisation dans le souci de laisser s’exprimer en certains points, le droit commun national.
Ce modèle d’intégration choisi interpelle, en ce qu’il a des impacts considérables sur les textes
élaborés. Ces textes sont formulés en des termes généraux, à l’instar du droit commun
national, quand bien même le droit de l’OHADA est présenté comme un droit spécial,
dérogatoire au droit commun. Sur certaines questions, notamment celles de la preuve, la
volonté du législateur de l’OHADA, d’instaurer de véritables droits communs, est sans
équivoque.
464.
L’absence d’autosuffisance du droit de l’OHADA et ses lacunes. Un autre aspect de
l’influence limitée du droit de l’OHADA sur le droit civil national, réside dans les faiblesses
du droit de l’OHADA, qui peine à se suffire à lui-même et qui reste tributaire, pour son
efficacité et son effectivité, du recours au droit commun national. Si le cadre institutionnel
contribue à limiter l’effectivité du droit de l’OHADA, la forte concurrence normative et
institutionnelle n’est pas en reste. La situation aurait pu être moins alarmante si les
insuffisances n’apparaissaient pas dans le dispositif juridique qui en certains aspects est
inadapté tant du point de vue des contradictions entre textes, que de la cohérence de certains
textes. L’objectif d’attractivité du droit de l’OHADA n’est pas forcément atteint au regard du
253
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dispositif contraignant retenu par le législateur en certains aspects. À la vérité, l’absence
d’autosuffisance du droit de l’OHADA est principalement due à un renvoi explicite ou
implicite fait au droit civil national des États membres. Afin de mettre en exergue l’influence
du droit civil sur le droit de l’OHADA, nous traiterons de l’omniprésence du droit civil dans
la construction du droit de l’OHADA (Titre I) avant de nous intéresser à l’autonomie limitée
du droit de l’OHADA (Titre II).
254
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Titre 1. L’OMNIPRÉSENCE DU DROIT CIVIL NATIONAL DANS LA
CONSTRUCTION DU DROIT DE L’OHADA
465.
L’idée d’extension et de généralisation dans l’œuvre harmonisatrice. L’ombre du droit
civil plane sur la construction du droit de l’OHADA. Qui dit droit commun, dit caractère
étendu, général. Concrètement, le choix des matières qui constituent le champ d’application
matériel du droit de l’OHADA est caractérisé par cette idée d’extension et de définition par
extension. À cela s’ajoute la généralisation des textes, par exemple, au niveau de l’Acte
uniforme portant droit commercial général. Cet Acte uniforme comporte, en toute conformité
avec son intitulé, des règles générales, des règles de droit commun, concernant notamment les
règles de l’immatriculation des personnes physiques et morales. L’Acte uniforme relatif aux
droits des sûretés est un véritable droit commun en la matière, car il se positionne comme le
dispositif des règles juridiques en droit des garanties.
466.
L’inspiration « civiliste » des règles édictées. Les règles édictées par le législateur de
l’OHADA sont fortement inspirées du droit civil ou plutôt de la tradition civiliste, tradition
commune à la majorité des États membres. L’empreinte du droit civil national sur le dispositif
juridique de l’OHADA prend la forme d’une incursion du premier dans l’élaboration des
textes. L’instauration d’un droit commun dans certains domaines tels que la preuve illustre
bien cette réalité. Il est nécessaire de traiter du domaine du droit de l’OHADA en ce qu’il est
marqué par le droit civil national (Chapitre 1). Il ne doit pas être occulté, la présence du droit
national au sein du droit substantiel OHADA (Chapitre II).
255
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 1. UN DOMAINE DU DROIT DE L’OHADA MARQUÉ PAR LE
DROIT CIVIL NATIONAL DES ÉTATS MEMBRES
467.
Mettre en lumière l’influence du droit civil dans la détermination du domaine du droit de
l’OHADA nécessite qu’un intérêt soit porté au concept même de droit des affaires de
l’OHADA. Existe-t-il réellement un droit des affaires OHADA ? La recherche du concept de
droit des affaires de l’OHADA sera effectuée (Section 1). Les mécanismes d’intégration
retenus par le législateur retiendront ensuite l’attention. Puisque, la tentative de réponse se
trouve dans les choix du législateur de l’OHADA (Section 2).
Section 1. À la recherche du concept de droit des affaires de l’OHADA
468.
Rechercher le concept de droit des affaires de l’OHADA impose une démarche précise,
consistant à l’étude des éléments pouvant concourir à la définition dudit droit (§1). Cette
démarche mènera à un nécessaire recours à des critères spécifiques au droit de l’OHADA
(§2).
§1. Les éléments d’une définition du droit des affaires de l’OHADA
469.
Seront traités l’origine du droit des affaires (A) et les critères du droit des affaires (B).
A. L’origine du droit des affaires
470.
Il est indéniable que le droit des affaires est lié au droit commercial (1) et que ses sources
doivent être précisées (2).
1. Le droit commercial
471.
Une source commerciale du droit des affaires. À l’origine du droit des affaires, le droit
commercial dont il s’est démarqué au fil des années et de l’évolution des relations d’affaires.
Pendant longtemps, le droit des affaires était désigné par l’expression droit commercial673.
L’histoire du droit des affaires se mêle à celle du droit commercial suivant trois phases de
l’histoire : l’antiquité, l’ancien droit et la période postrévolutionnaire. Pendant l’antiquité,
c’est véritablement le droit romain qui nous enseigne sur l’origine du droit commercial. Il est
vrai que le droit romain est plus connu pour le droit civil mais il a su organiser le
« commerce ». Les romains distinguaient le Jus civile du Jus gentium qui servent de
fondement à la distinction du droit commercial et du droit civil. L’on doit au droit romain, la
673
Y. GUYON, Droit des affaires, Droit commercial général et sociétés, op. cit., n° 1, p.1.
256
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
représentation et la réglementation des opérations de banque qui ont joué un rôle crucial dans
le développement du droit commercial.
472.
La période de l’ancien droit. La période de l’ancien droit regroupe le Moyen âge, les
temps modernes et le droit intermédiaire. Le Moyen âge demeure la période qui a fortement
influencé l’évolution du droit commercial, avec la naissance des corporations au sein
desquelles sont regroupés les commerçants. Le Jus mercatorum qui leur est appliqué est
influencé par les croisades, les foires, qui apparurent à partir du XIe siècle sur les itinéraires
de pèlerinages et le droit canonique. Il se caractérise par son aspect rigoureux, rapide et
surtout international. Cette dernière spécificité est la principale du droit des affaires tel que
pratiqué de nos jours. Que ce soient les contrats commerciaux, la lettre de change, les règles
de la faillite, les opérations de banque, tous trouvent leur siège au Moyen âge. De même
apparaissent les premiers éléments de la comptabilité en partie double ainsi que la société674.
Les temps modernes apportent entre le XIe et le XVIIIe siècle, des changements notables, tels
que la création des tribunaux consulaires par un édit de Michel DE L’HOSPITAL, selon le
système de l’échevinage qui caractérise encore les tribunaux de commerce actuels. Aussi,
assiste-t-on à l’adoption des ordonnances dites de Colbert, ordonnances du commerce
élaborées par Jacques Savary, la suppression des corporations et la disparition de tout esprit
systémique. Le droit intermédiaire est une période très peu enrichissante, si ce n’est qu’elle a
été le lieu de proclamer la liberté du commerce et de l’industrie. Et également la loi de Le
Chapelier des 14 et 17 juin 1791 qui vient confirmer la suppression des corporations et
l’interdiction d’en constituer de nouvelles.
473.
La période « post révolutionnaire ». La période post révolutionnaire, est marquée par
l’omniprésence de questions économiques avec la succession de systèmes. Le Libéralisme est
le
système
économique
qui
marque
le
XIXe
siècle.
Au
libéralisme
succède
l’interventionnisme qui veut une intervention plus accrue de l’État dans le domaine
économique. Il règne de la première guerre mondiale à la seconde. La période dite
contemporaine à elle seule concentre une diversité de systèmes en ce que l’après-guerre a vu
le retour du néo-libéralisme. Mais dès 1981, l’emprise de l’État a été renforcée par l’extension
du secteur public ; État qui se lance dans une politique de planification avec des lois
programme. Cet interventionnisme de l’État n’a pas duré, car à partir de 1983, l’esprit
674
J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. T.-VIGNAL, Droit commercial,
Droit interne et aspects de droit international, 29e éd., Paris, L.G.D.J, 2012, n°6, p. 21.
257
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’entreprise a été à nouveau plébiscité. De manière précise en avril 1986, « le gouvernement a
annoncé une remise en cause intégrale des mesures de nationalisations et entrepris un plan de
privatisation » 675.
474.
Il faut dire que, de sa naissance à sa conception actuelle, le droit commercial a connu un
point culminant qui est la phase de codification marquée par le Code de commerce de 1807
composé à l’origine de 648 articles. Mais ont suivi des phases de décodification et de
recodification. De décodification en fait, il s’agissait de l’adoption de lois spéciales en dehors
du Code de commerce ne laissant subsister que quelques dispositions du Code676. Le Code n’a
disparu pas pour autant, d’autant plus qu’un processus de codification visant sa refonte a été
relancé et donna lieu à un nouveau Code de commerce en l’an 2000677. Cette « navette » entre
codification et décodification, met en lumière les difficultés existentielles du droit commercial
qui subit l’existence de textes spéciaux et celle du droit civil dès lors que les contrats
commerciaux sont soumis aux règles du Code civil relatives à la théorie générale des contrats.
Ces facteurs ont contribué au dépassement du droit commercial originaire et à l’émergence
d’une discipline plus actuelle, plus au fait de la réalité du monde des affaires, puisque des
matières telles que la fiscalité, le droit de la concurrence l’affaiblissent. Cette discipline est
connue invariablement sous le terme de « droit des affaires » ou « droit des professionnels ».
Certains auteurs estiment que le lien entre le droit des affaires et le droit commercial est un
lien de synonymie le premier étant le fruit de l’évolution du second.
2. Les sources du droit des affaires
475.
L’existence de sources spécifiques. Les sources du droit des affaires pourraient être
directement assimilées à celles du droit commercial, mais il convient de nuancer une telle
approche. S’il est vrai que la catégorie des sources ne diffère pas sensiblement, il est tout aussi
vrai que le fond dénote parfois de spécificités. Ainsi, le droit des affaires possède les sources
usuelles que sont la loi, les usages, dans une certaine mesure la doctrine, mais auxquelles
s’ajoutent, la réglementation professionnelle et les sources découlant du caractère
675
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des Affaires : Du droit commercial au droit
économique, op.cit., n°31, p. 41.
676
D. HOUTCIEFF, Droit commercial, op. cit., n° 10, p. 5.
677
Le processus débute par la proposition d’un projet de code en 1993 et l’adoption de la loi n°99-1071 du 16
décembre 1999 qui habilita le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance conformément à l’article 38 de la
constitution française.
258
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
international de la matière. Concernant la loi, la source principale est la codification des lois
commerciales à travers notamment le nouveau Code de commerce. L’apparition d’une
nouvelle branche dans la deuxième partie du XXe siècle, grâce aux organes de défense et des
associations de consommateurs, vient enrichir les sources légales du droit des affaires. Il s’agit
du droit de la consommation qui, s’intéressant principalement aux relations entre
professionnels et consommateurs, a fait l’objet d’un Code de la consommation promulgué par
une loi du 26 juillet 1993. Par ailleurs, lois civiles et fiscales influencent le droit des affaires
en ce qu’elles interviennent dans l’organisation des entreprises, acteur économique essentiel.
476.
S’il y a bien un domaine pour lequel les usages ont une place de choix, c’est bien le droit
des affaires à l’instar du droit commercial. Le droit des affaires a été identifié pendant très
longtemps par son caractère coutumier avec des usages non écrits. L’importance de l’usage
pour le droit des affaires, s’explique par les principes qui le régissent à savoir la confiance, la
célérité, l’éthique. S’inspirer des règles usuelles, établies entre professionnels, renforce la
confiance et le respect de l’éthique. Il est clair que l’on a forcément confiance en des pratiques
élaborées et adoptées par nos pairs ; d’autant plus que la rapidité des opérations et des
échanges s’en voit renforcée. Les usages étant des habitudes, pratiques, suivies de longue date
au sein d’une profession, d’une région, d’une localité et dont la force obligatoire est variable.
Le Code civil renvoie parfois aux usages du commerce et aux lois réalisant ainsi un renvoi
légal. Il existe des usages conventionnels et des usages qui ont un caractère impératif, dans
l’hypothèse où ils suppléeraient la loi ou supprimeraient son application.
477.
La réglementation professionnelle est spécifique au droit des affaires qui porte l’empreinte
du droit corporatif qui revêt plusieurs formes. Le droit des affaires étant par définition le siège
des négociations, des transactions économiques, il est dominé par les ententes, les règlements
des marchés, des professions et la déontologie. Il ne faut pas occulter les règles élaborées par
les organes de contrôle et d’encadrement des professions organisées. Les contrats types ne
sont pas à négliger.
478.
Le développement de règles uniformes. De plus en plus, la mondialisation, la
globalisation, la division du monde en zones d’influences ont contribué au développement du
droit international des affaires. Cela, simplement parce que le droit des affaires devait
répondre aux exigences du commerce international678. Se sont donc développées des règles
678
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit des affaires : du droit commercial au Droit
économique, op.cit., n°52, p. 60.
259
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
uniformes que l’on doit aux organismes internationaux et de la communauté économique
internationale. Les organismes internationaux tels que l’OMC679, la CNUDCI680, la
CNUCED681, rédigent et veillent à l’application des conventions internationales. À côté de ces
organismes, les institutions financières internationales telles que, le FMI682 et la BIRD créés
par les accords de Breton Woods, soutiennent le développement des pays membres et veillent
à la stabilité des cours du change. Il existe néanmoins des règles obligatoires et des règles
conventionnelles dont le caractère est tributaire de la convention internationale qui les met en
place. En matière de règle obligatoire, il s’agit, d’une part, de procéder à une unification en
imposant aux États membres l’adoption d’une loi interne identique. Ce procédé est très prisé
dans le cadre de la mise en place d’organisations supranationales. D’autre part, la définition
de la loi qui s’impose en cas de conflit de lois est une option possible. Dans une règle de
conflit de lois, trois parties sont distinguées : « la catégorie de rattachement, le critère de
rattachement et le droit applicable souvent appelé Lex causae. (…) La règle de conflit de lois
est en général une règle bilatérale, c’est-à-dire qu’elle peut désigner indifféremment soit le
droit de l’État dont elle fait partie, soit le droit d’un autre État »683. Elle prévoit de « régler le
conflit de lois revient à rattacher le rapport de droit à la loi de l’État avec lequel il entretient la
proximité la plus forte »684. La résolution du conflit exigera un choix entre plusieurs règles
679
L’ Organisation Mondiale du Commerce est l’Organisation qui s’occupe des règles régissant le commerce
interétatique.
680
La Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International a été créée par la Résolution 2205
(XXII) de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 17 décembre 1966. Elle élabore des règles modernes,
équitables et harmonisées sur les opérations commerciales.
681
La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement ; organe subsidiaire de l’Assemblée
Générale des Nations Unies créé en 1964. Son but est de réaliser l’intégration des pays en voie de développement
dans l’économie mondiale.
682
Le Fonds Monétaire International a été créé en juillet 1944, lors d’une conférence des Nations Unies à Bretton
Woods dans le New Hampshire (États-Unis). Les quarante-quatre pays représentés à la conférence voulaient
établir un cadre de coopération économique pour éviter que ne se reproduisent les dévaluations compétitives qui
avaient contribué à la grande crise des années 30. L’objectif premier du FMI est de veiller à la stabilité du
système monétaire international, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui
permet aux pays (et à leurs citoyens) de procéder à des échanges entre eux.
[https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/glancef.htm].
683
A. BUCHER, A. BONOMI, Droit international privé, 3e éd., Zurich, Helbing Lichtenhahn, 2013, n° 12, p. 3.
684
O. CACHARD, Droit international privé, 6e éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, n°294, p. 175.
260
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dans le cadre de la méthode dite du conflit de lois685. En clair, sera recherchée la résolution
d’un problème, celui de « l’option entre plusieurs lois ayant toutes vocation, en raison de liens
particuliers qui rattachent une solution à elles, à régir ladite situation686. La méthode
unilatérale coexiste avec la méthode bilatérale même si la méthode bilatérale dite « règle
savignienne » s’est imposée en droit positif.
479.
L’élaboration de règles conventionnelles est souvent l’affaire d’organisations corporatistes,
telles que la Chambre de commerce internationale qui est l’organisation mondiale des
entreprises. Cette organisation a réglementé le crédit documentaire et élaboré des mots codes
correspondant aux ventes commerciales les plus fréquentes et énumérant les obligations des
parties, appelés « incoterms ». Bien que faisant partie des sources du droit des affaires, le cas
des organismes européens mérite d’être traité de manière distincte et particulière. L’Union
européenne est une source d’inspiration majeure de bon nombre d’organisations
internationales et communautaires. Elle est le modèle par excellence le plus abouti
d’intégration juridique et économique. Dans le cadre de l’Union européenne, « les États
abdiquent une partie de leur souveraineté et de leur compétence normative au profit
d’instances communes »687.
B. Les critères du droit des affaires
480.
Ils s’analysent en deux critères : d’une part, le critère de la finalité du droit des affaires (1)
et d’autre part, le critère institutionnel du droit des affaires (2).
1. Le critère de la finalité du droit des affaires
481.
Un critère déduit de ceux du droit commercial. Il n’existe pas de critère unanimement et
textuellement admis pour définir le droit des affaires. Le droit des affaires est aujourd’hui
reconnu comme la discipline juridique qui régit la vie des affaires, les entreprises donc
transcende la notion stricte du droit commercial. Établir un critère du droit des affaires c’est
partir de ceux du droit commercial et évoluer. Le droit commercial est défini selon deux
685
B. HAFTEL, La notion de matière contractuelle en droit international privé : étude dans le domaine du
conflit de lois, Thèses de Paris, Paris, 2008, n°381, p. 183.
686
P. MAYER, V. HEUZE, Droit international privé, 10e éd., Domat Montchrestien, Paris, 2010, n° 6. V.
également H. BATTIFFOL, P. LAGARDE, Traité de droit international privé, 8e éd., Paris, L.G.D.J, Tome I.,
1993, n°3.
687
B. MATHIEU, Directives européennes et conflits de lois, Tome 560, Issy-Les-Moulineaux, L.G.D.J, 2015,
n°14, p. 13.
261
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
approches : l’une objective et l’autre subjective. Selon l’approche objective, le droit
commercial serait le droit des actes de commerce, indépendamment de la qualité de celui qui
les conclut et les exécute. La loi consacre parfois cette vision et cela à juste titre, en ce qu’une
telle conception permet de faire entrer dans le champ de la commercialité des actes usuels de
l’activité économique. C’est par exemple le cas pour les lettres de change auxquelles, est
toujours appliqué, le droit commercial. Suivant ce critère, le droit commercial ne sera
appliqué à un acte donné qu’ à la condition que celui-ci réunisse les caractéristiques de l’acte
de commerce, peu importe que son auteur soit un commerçant ou un non commerçant.
482.
Les lacunes du critère objectif. L’application du critère objectif au droit des affaires ne
peut être valable que dans la mesure où le droit commercial et le droit des affaires sont
assimilés l’un à l’autre de manière stricte. Or, il est clairement admis que le droit des affaires
est le fruit de l’évolution, de la mue du droit commercial. Et cette discipline ne se formalise
absolument pas de la nature de l’acte accompli. La conception objective du droit commercial
est insuffisante ou ne parvient qu’à caractériser de manière partielle le droit des affaires. Le
droit des affaires regroupe des actes de natures différentes, qu’ils soient de commerce ou
civils ou encore mixtes. Ainsi, un opérateur économique qui accomplit différents types
d’actes verra le droit commercial s’appliquer, pour ceux répondant à la définition de l’acte de
commerce, comme prévu par le Code de commerce. Mais d’autres critères rentreront en ligne
de compte pour les actes de nature civile, auxquels le droit civil sera appliqué. L’approche
objective propre au droit des affaires serait une approche qui proclamerait que le droit des
affaires est le droit des « actes de la vie économique, de la vie des affaires ».
483.
Les carences de l’approche subjective. L’approche subjective relègue à une place
subsidiaire, la nature de l’acte pour accorder la préséance à celle des auteurs de l’acte. Les
tenants de cette conception précisent simplement que le droit commercial est le droit des
commerçants parce qu’il a été créé pour répondre exclusivement aux besoins des
commerçants. Par conséquent, suivant cette approche, un acte sera qualifié d’acte de
commerce dès lors qu’il est accompli par un commerçant dans l’exercice de sa profession. A
contrario et toujours en application stricte de la conception subjective, un acte n’est pas un
acte de commerce lorsqu’il est accompli par un non-commerçant. La conception subjective
renvoie à l’idée qu’il s’agirait d’un droit professionnel et corporatiste. Cette approche puise
dans la tradition et l’histoire du droit commercial. Il est évident que l’approche subjective
prise isolément ne permet pas de résoudre de manière pertinente la question du critère du droit
262
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des affaires. Les commerçants n’étant pas les seuls acteurs pris en compte par la matière. En
effet, le droit des affaires n’est pas le droit des commerçants, mais le droit des acteurs
économiques, c’est « un corpus juridique qui vise l’entreprise, voire les professionnels en
général, sans se préoccuper de la qualité de commerçant »688. Peut-on valablement se
contenter de l’approche subjective quand le commerçant fait partie des professionnels ? À la
vérité, autant le droit positif ne semble pas s’être prononcé en faveur de l’une ou l’autre
approche qu’il s’avère difficile de mettre en œuvre de manière séparée689, autant l’essence du
droit des affaires est logée au cœur d’une notion fédératrice : l’activité économique. Activité
qui se décline en acteurs économiques et en actes économiques.
484.
En considérant le droit de l’OHADA qui se veut un droit des affaires, il paraît difficile de
lui appliquer l’approche objective ou l’approche subjective susvisée. Déjà, parce que le droit
de l’OHADA ne prend pas sa source dans le droit commercial en tant que tel ou du moins
dans une moindre mesure. Il se positionne d’entrée comme le droit qui s’intéresse à l’activité
économique et par voie de conséquence aux entreprises. Le droit de l’OHADA n’a pas suivi
l’évolution classique du droit des affaires avec à l’origine un droit des commerçants et des
actes de commerce. Si les deux approches sont désuètes pour le droit des affaires classique,
elles le sont encore plus pour ce droit spécifique.
2. Le critère institutionnel du droit des affaires
485.
Le particularisme des institutions. Le droit commercial est défini également par des
institutions particulières telles que les institutions judiciaires et, disons, économiques. La
construction du droit commercial a été consolidée grâce à la création de tribunaux de
commerce qui ont le mérite de l’avoir extraite de l’influence du droit commun. De la
composition aux règles applicables en passant par le droit processuel, une véritable spécificité
existe. Le droit des affaires est bien au-delà de ces considérations, car il instaure sa propre
« spécificité ». Une spécificité qui exigerait la mise en place de juridictions répondant au
688
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) L. VOGEL, Traité de Droit commercial, 18e éd., Tome I., vol. 1., Paris,
L.G.D.J, 2001, n°7, pp. 4-5.
689
L’article L 121-1 du Code de commerce dispose que les commerçants sont ceux qui exercent les actes de
commerce et en font leur profession habituelle. L’article L 110-1 énonce la liste des actes de commerce. Si l’on
s’en tient à ces dispositions, il semblerait que la conception objective l’emporte. Mais le même Code en
reconnaissant un caractère commercial aux actes accomplis par les commerçants dans l’exercice de leur
commerce, dans le cadre de la règle de la commercialité par l’accessoire, reconnaît la conception subjective.
Ainsi la définition du Droit commercial n’est complète qu’en réunissant les deux approches.
263
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
principe de l’échevinage avec des juges à la fois spécialistes du droit commercial et ceux
rompus à l’art du droit civil sans oublier les disciplines transversales. L’on peut affirmer que
le droit de l’OHADA a quelque peu réussi à établir du point de vue juridictionnel, cela
s’entend, une révolution en créant une juridiction supranationale qui est chargée de
l’application d’un « droit des affaires ». Un droit qui rassemble droit civil et droit commercial.
486.
Le cas spécifique des institutions de l’OHADA. Le problème concernant les institutions
judiciaires de l’OHADA est qu’elles ne se départissent pas tant de celles du droit commun.
Leur structure est calquée dans une certaine mesure sur la structure de ces institutions. En
effet, la CCJA fonctionne comme une Cour suprême ou une Cour de cassation telle que
connue en droit civil. Son action est précédée par celle des juges de fond qui bien
qu’appliquant le droit de l’OHADA en première instance, sont en général amenés à appliquer
le droit commun en appel. Les délais relatifs à la procédure judiciaire ne diffèrent pas
réellement des délais de droit commun du point de vue procédural. Par exemple, le justiciable
qui entend porter son affaire devant la CCJA après la décision d’une Cour d’appel dispose
d’un délai de deux mois à compter de la signification de la décision attaquée à l’instar du droit
national. L’on rétorquera que, lorsqu’il s’agit de l’application du droit commercial ou du droit
des affaires, les juridictions sont séparées en chambres qui connaissent, de manière spécifique
de ces litiges. Ce, lorsqu’il n’existe pas de tribunal de commerce. Cependant, au sein des États
membres de l’OHADA, l’évolution de l’organisation judiciaire n’a pas suivi celle du
dispositif juridique.
487.
Le droit commercial est caractérisé par des institutions fondamentales telles que le fonds de
commerce, qui ont longtemps porté la matière. Le fonds de commerce est aujourd’hui en
retrait, parce que supplanté par une nouvelle institution : l’entreprise. Or, il y a encore
quelques années, le fonds de commerce était la source de rayonnement de l’œuvre
entrepreneuriale, car constituant l’ensemble des éléments corporels et incorporels appartenant
à un commerçant ou à un industriel et réunis qui sont affectés à l’exercice d’une activité. De la
consistance du fonds de commerce, dépendait le succès de l’entreprise. En effet, la valeur
attachée à l’enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l’achalandage
notamment, était cruciale pour l’activité de l’entreprise. Désormais, c’est l’entreprise ellemême qui cristallise l’intérêt d’un point de vue de l’activité qu’elle permet de créer ou de
développer. En prenant le parti de se positionner avec l’entreprise comme valeur centrale, il
est vrai que l’OHADA a pris le pari de l’économie avant tout, mais a opéré une forme de recul
264
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
en ce que la notion est entourée d’une brume. L’entreprise est une notion tentaculaire qui
emprunte à différentes disciplines dont le droit civil. Le détachement de l’OHADA et par voie
de conséquence du droit de l’OHADA du droit civil est ainsi difficile à accomplir.
§ 2. Le nécessaire recours à des critères spécifiques au droit de l’OHADA
488.
Les critères tirés du droit des affaires, comme connu à l’origine, sont insuffisants pour la
définition du droit des affaires de l’OHADA. Il est essentiel de revenir à l’origine du droit de
l’OHADA (A) et à la structure des actes constitutifs (B).
A. L’origine du droit de l’OHADA
489.
La création de l’OHADA repose sur un contexte particulier à la fois historique (1) et
économique (2) de l’après-indépendance.
1. Le contexte historique
490.
Quelques rappels d’histoire. L’histoire du droit de l’OHADA et de l’OHADA ne peut
être fidèlement énoncée, sans faire la rétrospective des faits marquants de l’histoire des États
africains membres de l’OHADA. Le contexte historique est celui de la colonisation avec des
colonies françaises en grande majorité. Le principe usuel et uniformément admis en matière
de réglementation est que le droit des « puissances colonisatrices » est étendu aux colonies.
Ainsi, une bonne partie du droit français en l’occurrence le droit commercial et le droit des
sociétés, s’est vu transféré en tant que tel aux colonies françaises690. Durant donc l’époque
coloniale, le droit applicable était principalement le droit du colonisateur. Aux différents
Codes et autres textes de loi applicables, ont été ajoutés d’autres textes par les colonisateurs
grâce au « principe de la spécialité » législative. En vertu de ce principe, les lois et règlements
du colonisateur ne sont pas applicables de plein droit aux colonies et ne le seront que si cette
application est prévue par une mention expresse. Après l’accession à l’indépendance, la
situation ne fut pas différente, du moins, il n’eut pas de changement immédiat dans le
dispositif juridique. Suivant le principe de la « continuité législative », principe à valeur
constitutionnelle, les nouveaux pays indépendants ont hérité de la législation des anciennes
690
M. ZERBO, « Les spécificités de la réglementation bancaire au regard du droit OHADA des sociétés
commerciales », Revue CAMES/SJP, n°001/2016, p. 193-221.
265
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
puissances, « législation désuète et souvent inadaptée au contexte social et économique des
États nouvellement indépendants » 691.
491.
L’accession à l’indépendance. Les premières années qui ont suivi l’accession à
l’indépendance, les États africains fonctionnaient avec le droit légué par les puissances. Ce
droit, s’il semblait convenir dans un premier temps, a au fil du temps, montré ses limites, tant
il était de moins en moins adapté aux réalités africaines. Dans un contexte où il appartenait
désormais aux pays africains de montrer qu’ils étaient des interlocuteurs aussi crédibles sinon
plus que les colonisateurs, le Code civil français de 1804, le Code de commerce de 1807,
notamment pour les colonies françaises, paraissaient désuets. En clair, il était estimé que « le
droit hérité de l’ancienne puissance coloniale était assez largement artificiel et s’appliquait
sans doute superficiellement, car il ne correspondait pas aux besoins de ses utilisateurs
étrangers et au développement des échanges commerciaux interafricains »692. Les dirigeants
africains ont commencé à se positionner pour la plupart en faveur de réformes totales ou
partielles de leurs législations respectives. Le premier constat est que les réformes étaient
faites de manière différente selon les priorités et la volonté politique des dirigeants ou encore
les orientations économiques. Ainsi, pendant que certains pays entamèrent la réforme de leur
droit commercial, d’autres se préoccupèrent davantage du droit commun précisément du droit
des obligations civiles.
492.
La conséquence immédiate pour les anciennes colonies en général et les anciennes colonies
françaises en particulier fut la disparité juridique qui attisait la méfiance des investisseurs face
à des textes confus et hétérogènes. Plusieurs voix se sont élevées pour dépeindre cette
situation et la décrier. L’illustre juge Kéba MBAYE, figure importante de la construction de
l’OHADA qui dirigea les travaux préparatoires, ne se défila pas quand il s’agit d’évoquer la
question. Il exprima clairement sa pensée en affirmant que : « l’Afrique devenue indépendante
a tout de suite sombré malheureusement dans une balkanisation juridique, conséquence du
repli politique. En effet, chaque État s’est enfermé dans son atelier juridique et a construit un
691
E. KAGISYE, « Environnement institutionnel des affaires en Afrique : Contexte et structure d’harmonisation
du droit OHADA », Archives ouvertes. [https://hal-auf.archives-ouvertes.fr/hal-01495556].
692
D. ABARCHI, « Problématique des réformes législatives en Afrique : le mimétisme juridique comme
méthode de construction du droit », Penant, janv-mars 2003, n° 842, p. 88.
266
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
arsenal de textes, en particulier relatifs au droit des affaires »693. Toutes ces réformes ont été
mises en œuvre sans aucune forme d’uniformité, si bien que le droit des affaires était
multiforme, très peu évolué dans des États et par contre moderne dans d’autres. Il ne pouvait
en être autrement dans la mesure où l’indépendance acquise durement ou octroyée était un
trésor qu’il « fallait garder jalousement » et il était important de marquer son autorité envers
les autres pays.
493.
L’insécurité juridique. La disparité de législations accentuée par les volontés politiques
discordantes a affaibli le système juridique africain. L’insécurité juridique et l’insécurité
judiciaire étaient d’autant plus caractérisées que les législations étaient inadaptées, difficiles
d’accès et parfois peu compréhensibles. Surtout, il s’avérait parfois difficile de déterminer
avec précision le texte applicable à un acte ou un fait juridique donné. Dans ce contexte de
renouveau et de changement, l’Afrique en proie à des conflits politiques et/ou armés, devait,
en plus, gérer la crise économique et financière qui sévissait. L’idée de la création de
l’OHADA est née d’une volonté politique de renforcer le système juridique africain en
adoptant un cadre juridique certain et stable pour la conduite des affaires et l’investissement
en Afrique. Cette initiative est considérée comme indispensable pour le développement du
continent694. Comme le précisait d’ailleurs à raison Kéba MBAYE, « l’émiettement de notre
droit commun est un facteur négatif de notre progrès qui ne peut être que commun. Sur le plan
national, des textes sont promulgués alors que d’autres, dans le même domaine, ne sont pas
abrogés. Il en résultait des chevauchements et les opérateurs économiques restent dans
l’incertitude de la règle de droit applicable »695. Et c’est bien le contexte économique qui a
amené les pays africains à franchir le pas de l’harmonisation en matière de droit des affaires.
2. Le contexte économique
494.
De l’opulence au déclin. L’histoire économique de l’Afrique depuis l’indépendance rime
avec fluctuations et instabilité. La vague d’accession à l’indépendance des pays africains,
notamment ceux d’Afrique subsaharienne, qui se situe dans les années 1960, était porteuse
d’espoirs. Espoirs en des lendemains meilleurs, en une prospérité réelle et plus importante,
693
K. MBAYE, communication in Comment l’Afrique peut-elle prendre en main son développement? colloque
« l’Afrique francophone les conditions d’un nouveau départ », 18 octobre 1995, [https://www.senat.fr/ga/ga5/ga-511.html].
694
Présentation de l’OHADA par l’UNIDA, [www.ohada.com ].
695
Séminaire sur l’OHADA, 19 et 20 avril 1993.
267
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dans la mesure où les richesses seront gérées « par les Africains pour les Africains ». Si
pendant les premières années, précisément la première décennie, ces espoirs semblaient s’être
concrétisés, les années 1970 révèlent d’énormes difficultés. De 1960 à 1970, le cours du
temps semblait suspendu et les autorités nationales d’alors, toutes à leur installation et à la
consolidation de leur pouvoir, bénéficiaient des retombées positives des actions des
puissances colonisatrices. Celles-ci, ayant œuvré à doter leurs anciennes colonies
d’infrastructures nécessaires à la gestion de la période de transition. Les anciennes colonies
ont un modèle économique tourné vers le secteur primaire, essentiellement la production et
l’exportation de matières premières. La demande étant très forte dès les indépendances, la
croissance économique des pays africains s’en est donc ressentie, prenant la forme d’une
hausse.
495.
Après une période de croissance économique assez rapide au début des années 1960, dès le
lendemain des indépendances, la progression du Produit Intérieur Brut696, (P.I.B) réel
retrouvait un rythme modéré pour s’établir aux environs de 4% en 1970. Une fois « le
colonisateur » parti, il incombait aux Chefs d’État africains de faire face aux fonctions
régaliennes, aux charges et dépenses publiques, de mener des actions en faveur du
développement. Dans un contexte de changement de l’autorité étatique accompagné de
changement du mode de fonctionnement des États qui devaient se pencher sur plusieurs
questions, une réelle fragilité des économies apparaît. Étaient-ce les mutations drastiques
intervenues, la mauvaise gestion des équipes dirigeantes ? La baisse du coût des produits
d’exportation ? Ou d’autres facteurs ? Toujours est-il que les équilibres macro-économiques
sont rompus et prennent la forme de déficits budgétaires, inflation croissante, endettement
étouffant, déficits commerciaux chroniques. Ces déséquilibres occasionnent pour la plupart
des pays dès les années 1970, mais à une échelle variable, une phase d’endettement qui se
mue en ce qu’on appellera au plus fort des années 1980, « la crise de la dette ». Cette dette se
présente sous trois formes. Tout d’abord, la dette privée auprès des banques qui prêtent à des
taux faibles les sommes provenant de la manne financière issue du premier choc pétrolier697
de 1973. Ensuite, les pays africains ont recours à des prêts entre États, ou d’États à États qui
696
Le P.I.B est un indicateur économique permettant de mesurer la production de richesses d’un pays ; il mesure
la valeur de tous les biens et services produits dans un pays sur une année.
697
Une crise internationale très grave sévit d’octobre à décembre 1973 au Moyen-Orient ; la conséquence est
l’augmentation du coût du baril de pétrole qui passe de 3 dollars à 10 dollars du fait de l’O.P.E.P. La hausse
cause une inflation qui se caractérise aux États-Unis par la croissance de la masse monétaire.
268
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
s’analysent en la forme bilatérale de la dette. Enfin, les institutions de Bretton woods698
notamment le groupe de la Banque Mondiale699, entrent en scène et accordent d’importants
prêts dans le cadre de la dette multilatérale. L’endettement connaît une réelle poussée et
devient insoutenable, d’autant plus que les taux d’intérêt deviennent de plus en plus élevés700
et que les recettes d’exportation chutent.
496.
La crise de la dette. La crise de la dette sonne le glas des pays africains, qui deviennent
infréquentables sur le marché de l’emprunt. Aucun pays ne souhaitait plus leur octroyer de
prêts au regard de leur surendettement. Le seul recours qui s’offrait aux pays africains était le
Fonds Monétaire International qui semblait enclin à les soutenir. Ce soutien se matérialisera
par des prêts à des taux assez élevés doublés d’une supervision du Fonds Monétaire
International. Leur politique économique est désormais le fruit des mesures exigées par le
Fonds Monétaire à travers les Plans d’Ajustement Structurel. Ces plans qui doivent être mis
en œuvre se déclinent en des coupes budgétaires en réalité l’austérité budgétaire et la
réduction des dépenses, la dévaluation de la monnaie locale, la privatisation des entreprises
publiques, l’augmentation des taux d’intérêt, la production économique et agricole tout entière
tournée vers l’exportation, l’abandon des subventions de l’État aux produits et services de
première nécessité.
698
Les institutions de Bretton woods regroupent le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Le
Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ont été créés lors de la conférence internationale réunie à
Bretton Woods dans le New Hampshire (États-Unis) en juillet 1944. Les participants à cette conférence avaient
pour ambition d’établir un cadre de coopération et de développement économiques qui jetterait les bases d’une
économie mondiale plus stable et plus prospère. [https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/imfwbf.htm].
699
Le Groupe de la Banque Mondiale est l’une des principales sources de financement et de savoir pour les pays
en développement. Il se compose de cinq institutions engagées en faveur de la réduction de la pauvreté, d’un plus
grand partage de la prospérité et de la promotion d’un développement durable. La BIRD, Banque Internationale
pour la Reconstruction et le Développement ; la plus grande banque de développement du monde qui conseille et
propose des produits financiers pour aider les pays à étendre les bienfaits d’une croissance durable à l’ensemble
de leur population. L’IDA, Association Internationale de Développement, aide les pays à réduire leurs émissions
de carbone, à renforcer leur résilience et à s’adapter aux enjeux du changement climatique. L’IFC, Société
Financière Internationale. La MIGA, Agence Multilatérale de Garantie des Investissements. Le CIRDI, Centre
International pour le Règlement Relatifs aux Investissements. [https://www.banquemondiale.org/fr/who-we-are].
700
A la fin de l’année 1979, les États Unis décident d’une forte augmentation des taux d’intérêts américains ; et
vu que les taux d’intérêts des emprunts accordés aux pays africains étaient faibles mais variables, mais liés aux
taux d’intérêts américains, de l’ordre de 4-5% dans les années 70, ils augmentent brutalement avec les taux
américains et passent à 16-18 % au moins voire plus. V. D. MILLET, « La dette du Tiers Monde »,
[http://www.cadtm.org/La-dette-du-Tiers-Monde].
269
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
497.
Loin d’être des remèdes miracles, ces réformes asphyxient l’économie des pays
destinataires qui sont davantage dépendants de l’aide des partenaires au développement. De
plus, l’on assiste à la dégradation des conditions de vie déjà précaires des populations qui
subissent ces mesures d’austérité. La réduction des salaires, l’augmentation du taux de
chômage, les difficultés d’accès aux infrastructures de base, la malnutrition infantile, sont
entre autres les conséquences de la mise en œuvre des plans. Devrait-on véritablement mettre
en cause le FMI, quand il est indéniable que les pays africains sont déjà minés à l’époque par
la gabegie, la corruption et sont parfois sous le joug de régimes dictatoriaux qui veillent à leur
enrichissement personnel et à celui de leurs cours ? Et même dans l’hypothèse où les fonds
perçus étaient utilisés pour le financement d’infrastructures, cette utilisation n’était pas
toujours opportune. Les infrastructures n’étaient pas forcément adaptées aux besoins des
populations et les secteurs ciblés n’étaient pas des secteurs prioritaires.
498.
Dans des États en proie à des guerres et des conflits armés, l’on se doute bien que le
financement de la guerre provenait essentiellement des sommes empruntées. Cependant, s’il
est vrai que les Plans d’Ajustement Structurel ont entraîné l’augmentation de la pauvreté dans
un premier temps, il est tout aussi vrai qu’elle a ensuite baissé à moyen et long terme.
Quelques États ont fait des efforts et mis en œuvre des réformes qui n’étaient pas toujours
initiées par le FMI. Et, « après l’assainissement de la situation macro-économique, la
rationalisation des dépenses publiques et certaines réformes, le taux de pauvreté a commencé
à reculer grâce au retour de la croissance et la création des emplois »701.
499.
La création de pôles de développement. Malgré tout, les investisseurs étrangers n’ont
plus confiance dans les États africains qui demeurent endettés. C’est dans ce contexte
économique global difficile que l’idée de la création de pôles de développement fait son
chemin. L’idée de mettre en place une organisation interétatique solide qui permettrait à
terme, un développement économique régional en restaurant la confiance des investisseurs,
développant la performance du secteur privé et en facilitant les échanges entre les pays, naît.
Ainsi, « en avril 1991, à Ouagadougou, au Burkina Faso que les ministres des finances de la
701
O. KODILA TEDIKA, « Pauvreté en Afrique : la faute aux programmes d’ajustement structurel ? »,
[http://www.libreafrique.org/Kodila_PAS_190710]. L’auteur cite une étude de 2010 de Xavier Sala-i-Martin et
Maxim Pinkovskiy qui indiquent que l’incidence ou l’étendue - proportion de personnes vivant avec moins d’un
dollar par jour - de la pauvreté baisse très rapidement. Le taux de pauvreté qui atteignait 42% de la population en
1990 a rapidement diminué depuis 1995 pour atteindre 32% en 2006. Si le taux de pauvreté continue de diminuer
à la même vitesse qu’entre 1995 et 2006, l’Objectif du Millénaire pour le Développement de diminuer de moitié
la pauvreté sera atteint en 2017 pour l’Afrique Subsaharienne.
270
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
zone franc ont décidé, sur la base des observations et constatations faites par les opérateurs
économiques et les bailleurs de fonds, d’organiser une réflexion sur la faisabilité d’un projet
de mise en place progressive d’un droit harmonisé des affaires afin de rationaliser et
d’améliorer l’environnement des entreprises et des échanges » 702. « Ce 25 avril 1991703, la
volonté affichée était de conforter la communauté de monnaie CFA en l’adossant sur un socle
réel d’économies convergentes et intégrées et en transformant progressivement cette
communauté de monnaie en une communauté de règles et de droit »704. D’autant plus que le
sommet se tenait dans un contexte où l’avenir du Franc CFA était en jeu et au cœur des
préoccupations705.
500.
La tenue de ce sommet a été logiquement suivie par l’engagement de projets devant
permettre d’atteindre les objectifs susmentionnés. Par exemple l’entame de chantiers
« d’unification des règles comme la CIMA706, dans le domaine des assurances, de la
CIPRES707, dans le secteur de la prévoyance sociale, AFRISTAT708, pour les statistiques et
l’OHADA pour le droit des affaires » 709. Au cours de ce premier sommet, la mission de
penser le projet d’unification en droit des affaires est confiée à sept juristes sous la houlette de
M. KEBA MBAYE. Suivent en 1992, l’approbation du rapport de faisabilité, la mise en place
d’un comité de pilotage qui avait pour mission de rédiger l’instrument juridique de base et de
déterminer le champ d’application matériel de cet instrument710. En octobre 1993, le Traité
702
M. KIRSCH, « Historique de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires »,
Recueil Penant, 1998, n° 827 p.129.
703
Il s’agit d’un sommet France-Afrique qui s’est tenu à Paris et qui était essentiellement centré sur des questions
d’ordre économique.
704
Actualités OHADA, « Quinze ans après la réunion historique de Ouagadougou, la réunion de la zone franc de
Libreville donne une impulsion décisive au projet OHADA des télécoms », [www.ohada.com].
705
La question est encore aujourd’hui d’actualité avec le projet de création de la monnaie éco.
706
Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances, mise en place le 10 juillet 1992 à Yaoundé (République
du Cameroun). [http://www.cima-afrique.org/pg.php?caller=cima].
707
Conférence Interafricaine des Institutions de la Prévoyance sociale. La CIPRÉS a été créée le 21 septembre
1993 à Abidjan en Côte d’Ivoire. Elle regroupe quinze États africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun,
Centrafrique, Comores, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée
Équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo), tous membres de l’OHADA.
708
AFRISTAT est l’Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Subsaharienne.
709
Actualités OHADA, Ibid.
710
L’Association pour l’Unification du Droit en Afrique (UNIDA).
271
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
portant création de l’OHADA, est signé à Port Louis en Ile Maurice et est entré en vigueur en
1995. Il a cependant fait l’objet d’un amendement en 2008 au Québec.
B. La structure des actes constitutifs
501.
Les actes constitutifs de l’OHADA sont le préambule (1) et le Traité fondateur (2) qui
constituent de droit primaire de l’OHADA.
1. Le préambule
502.
La force juridique du préambule. Le préambule s’entend dans un acte de « tout ce qui se
trouve entre le titre et le dispositif de l’acte »711. Le préambule fait partie de la structure d’un
traité ou du moins de la plupart des Traités étant entendu que ladite structure est variable. La
structure la plus usitée demeure la suivante : préambule, dispositif et clauses finales. Le
préambule contient deux types d’énonciations qui résument, d’une part, l’énumération des
parties ayant pris part aux négociations et d’autre part, l’exposé des motifs sous forme de
déclarations générales relatives à l’objet et au but du Traité. Les parties apparaissent par ordre
alphabétique en raison du principe de l’égalité des États ; principe qui n’est pourtant appliqué
de manière absolue en vertu de la règle de « l’alternat » qui consiste à ce que « chaque État
figure en tête de la liste des parties dans l’exemplaire du traité qui est destiné » 712. Des
formules diverses désignent les parties : « les États parties au présent accord » …, parfois
complétées par la formule « ci-après dénommées : les Hautes Parties contractantes ». Cette
énonciation du préambule permet de définir la nature bilatérale ou multilatérale et par ce biais
la nature de la structure éventuellement créée.
503.
Le préambule, fondement de l’accord des parties. « Le préambule mentionne
notamment les buts globaux poursuivis par les parties contractantes : il est clair qu’il ne
possède pas la même valeur juridique que le corps du traité » 713. Le préambule jette les
fondements de l’accord des parties, les raisons qui le sous-tendent et les objectifs de sa
conclusion. Politiques, juridiques, économiques, sociaux, ces objectifs varient et il n’est pas
rare que du préambule, ressorte un mélange d’objectifs divers censés converger vers l’atteinte
d’un seul. La question de la valeur juridique du préambule a donné lieu à des controverses et
711
[http://publications.europa.eu/code/fr/fr-120200.htm].
712
P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international Public, op. cit., n° 73, p. 146.
713
D. CARREAU, F. MARRELLA, Droit international, 11e éd., Paris, éd. A. PEDONE, 2012, n°16, p. 150.
272
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
non des moindres quoique dans l’ordre juridique international, il soit admis qu’il n’est pas
assorti de force obligatoire714. La controverse a été bien connue en France sur les préambules
constitutionnels, notamment le préambule de la constitution de 1958. Valeur juridique
consacrée pour la première fois par le Conseil d’État à l’occasion, d’un arrêt sur le principe de
la non-rétroactivité de la loi pénale715. Malgré tout, le préambule d’un traité est un élément
important puisqu’il permet de procéder à l’interprétation du texte d’un traité afin de découvrir
« l’intention des parties contractantes ». Les juridictions ont rendu des décisions allant dans ce
sens dans la plupart des espèces. Par exemple, dans l’affaire des ressortissants américains au
Maroc, qui opposa la France et les États-Unis devant la Cour Internationale de Justice (C.I.J)
en 1952, la Cour s’estima fondée à examiner le préambule d’un traité afin de pouvoir en
apprécier la portée exacte716.
504.
Le Traité fondateur de l’OHADA ne déroge pas à la structure usuelle des Traités avec le
préambule, le dispositif et les dispositions finales. Aussi, le préambule comporte-t-il les
énonciations des parties contractantes et des buts et objectifs poursuivis par celles-ci. Les
énonciations sont générales et ont la forme d’une profession de foi, d’une sorte de charte des
États parties au Traité. Il paraît difficile de se prononcer en faveur d’une absence de force
obligatoire de ce traité. Simplement parce que le dispositif n’a de sens, qu’en raison du fait
que les parties se sont accordées sur des valeurs communes et des objectifs même si à ce stade
de la rédaction de l’acte, ils manquent de précision. Le préambule s’achève par, « conviennent
de ce qui suit ». La force obligatoire reconnue au traité en vertu du principe de « pacta sunt
servanda » est avant tout fondée sur la volonté exprimée dès le préambule. Le préambule a
une force implicite pour les parties au Traité qui, au fil du dispositif, précisent le contenu de
714
V. sur cette question l’arrêt de la CIJ du 18 juillet 1966 dans l’Affaire du Sud-Ouest Africain (Libéria c.
Afrique du Sud) : Le 4 novembre 1960, l’Ethiopie et le Libéria, agissant en qualité d’anciens États membres de
la SDN, ont, chacun de leur côté, introduit une instance contre l’Afrique du Sud dans une affaire concernant le
maintien du mandat de la SDN pour le Sud-Ouest africain et les devoirs et le comportement de l’Afrique du Sud
en qualité de mandataire. La Cour était invitée à dire que le Sud-Ouest africain demeurait un territoire sous
mandat, que l’Afrique du Sud avait violé les obligations imposées par le mandat et que ce mandat et, par suite,
l’autorité mandataire étaient assujettis à la surveillance des Nations Unies.
715
CE, sect., 12/02/1960, Soc. Eky, Requête numéro 46922, rec. p. 101. Requête de la société Eky, agissant
poursuites et diligences de ses président-directeur général et administrateurs en exercice, tendant à l’annulation
pour excès de pouvoir des dispositions des articles R 30 6°, R 31 dernier alinéa, R 32 dernier alinéa, et R 33,
alinéa 1er, du Code pénal, édictées par l’article 2 du décret IV 58.1303 du 23 décembre 1958.
716
C.I.J, Rec., 1952, p. 196, Affaire du 27 Août 1952. La CIJ a déclaré que pour interpréter les dispositions de
l’acte d’Algésiras de 1906, il convenait de tenir compte de ses buts qui sont énoncés dans le préambule.
273
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
leur accord. Il est indéniable que les énonciations du préambule sont cruciales d’un point de
vue interprétatif de la volonté des États parties.
505.
Il n’est pas aisé de se fonder sur le droit des affaires tel que connu et défini communément
pour appréhender le « droit de l’OHADA ». Ce serait alors vers les actes fondateurs même de
l’organisation et de la législation qu’il faudrait se tourner. C’est bel et bien le préambule qui
plante le décor en énonçant que « les États sont persuadés que la réalisation de leurs objectifs
suppose la mise en place d’un droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de
faciliter l’activité des entreprises ». En clair, le droit des affaires dont il est question est un
droit particulier, singulier, dont les critères sont appréciés et définis librement par les
signataires du Traité. Dès lors, conscience doit être acquise d’être face à un droit qui sera sans
commune mesure avec le droit des affaires dans sa conception classique. L’adaptation des
règles étant appréciées d’abord et avant tout d’un point de vue des réalités africaines ou du
moins devrait l’être. La formule la plus simple aurait été de se contenter d’évoquer « un droit
des affaires ». La succession de qualificatifs témoigne d’une volonté à peine voilée des États
membres de marquer leur souveraineté et de marquer la construction de ce droit de leur
empreinte. Ce droit des affaires s’oriente plus vers la construction d’un droit économique, car
comme le précise le Professeur Paul-Gérard POUGOUE « le préambule du traité de
l’OHADA se focalise résolument sur l’économie » 717.
2. Le Traité fondateur
506.
La force juridique du Traité. Le Traité fondateur tel que considéré désigne en réalité le
dispositif, c’est-à-dire la partie qui contient les dispositions principales, le corps du Traité. Il
contient les dispositions dites de fond notamment des titres, chapitres, articles, alinéas. Le
dispositif énonce les droits et obligations des parties qui sont, précisons-le, empreintes de
réciprocité. Il n’est pas rare que lui soient rattachées les dispositions finales concernant le
régime juridique de la convention : entrée en vigueur, ratification, durée, mécanisme de
révision, d’amendement, d’extinction notamment du traité. Au dispositif, peuvent être
adjointes des annexes qui viennent parfois préciser le sens de telle ou telle disposition. Ces
annexes font partie intégrante du dispositif conformément à la décision de la C.I.J dans une
affaire : « déclaration jointe au texte d’un Traité Anglo-grec de 1926, faisait entièrement
717
P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique », Rev. ERSUMA, n° spécial, nov- déc 2011.
274
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
partie de celui-ci et ne pouvait en être détachée »718. Le principe qui gouverne la rédaction des
articles est de les rédiger au présent dans le souci de marquer leur permanence. La force
obligatoire reconnue au traité tire toute sa substance du dispositif qui a une valeur
contraignante pour les parties.
507.
L’observation du dispositif de Traité fondateur de l’OHADA montre une structure
identique à celle décrite précédemment. D’un point de vue formel, ce sont des titres et articles
rédigés au présent de l’indicatif. Dans le fond, l’on note deux types de dispositions : celles
qualifiées de générales qui précisent les objectifs, le champ d’application, la structure de
l’OHADA et celles particulières qui sont détaillées en Actes uniformes. L’article 1er reprend,
à quelques mots près une énonciation du préambule concernant la nature du droit des affaires
qui est mis en place : « simple, moderne », mais il est important de le relever, « adapté à la
situation des économies des parties au Traité ». Qu’est-ce à dire pour le droit des affaires pris
dans la conception des pays membres de l’OHADA ? Les règles de droit commercial et
ensuite de droit des affaires transférées aux pays africains durant la période coloniale avaient
cela en commun qu’elles avaient été élaborées par et pour les puissances colonisatrices.
508.
Ainsi, le droit de l’époque appliqué par les anciennes colonies était un droit « commun »,
très peu spécifique à celles-ci. Avec la crise économique qui sévit, il n’a pas soutenu les
efforts de redressement entamés en Afrique, où les partenaires au développement, ont
« exigé » la mise en œuvre de réformes profondes. Est-ce l’une des raisons principales qui ont
impulsé la volonté de créer entre eux un droit avant tout adapté aux économies nationales ?
Tant et toujours est-il que, le droit des affaires de l’OHADA est conçu comme un droit propre
aux États concernés et orientés principalement vers un aspect économique. Aspect qui guidera
la définition du champ d’application matériel du droit interétatique en création. Sont incluses
dans le domaine du droit des Affaires de l’OHADA, « les règles relatives au droit des sociétés
et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies
d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit
de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des
transports »719.
718
Affaire Ambatielos de 1952 (Rec. 1952, p. 28) entre la Grèce et la Grande-Bretagne.
719
Article 2 du Traité fondateur de l’OHADA.
275
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
L’évaluation de la place du droit civil national des États membres au sein du droit de
l’OHADA, nécessite l’analyse du concept de « droit des affaires OHADA ». Les critères
classiques ne permettent pas de satisfaire cette quête. Il est donc important de s’orienter vers
des critères spécifiques tenant à l’origine du droit de l’OHADA et à la structure des actes
constitutifs.
Section 2. Un concept de droit des affaires OHADA à rechercher dans les
choix du législateur de l’OHADA
509.
Le préambule du Traité relatif à l’Harmonisation du droit des affaires en Afrique prévoit
que les hautes parties contractantes sont « résolues à faire de l’harmonisation du droit des
affaires un outil d’affermissement continu de l’État de droit et de l’intégration juridique et
économique ». Le choix sans équivoque est opéré en faveur de l’intégration (§1), mais il s’agit
d’un modèle d’intégration juridique particulier qui n’est pas sans incidence (§2).
§ 1. Le choix du législateur en faveur de l’intégration
510.
Le législateur a opté pour l’intégration qui peut revêtir diverses formes. L’intégration peut
être totale (A) ou partielle (B).
A. Les mécanismes d’intégration totale
511.
Au titre des mécanismes d’intégration totale, figurent l’unification (1) et l’uniformisation
(2) des législations.
1. L’unification
512.
Le concept d’unification. Le concept d’« unification » est essentiel pour les
comparatistes, dans la mesure où il n’a acquis ses lettres de noblesse, qu’une fois apparu en
matière de droit comparé. Dans le même temps, il est clair que l’on ne saurait parler
d’unification qu’entre entités différentes à la base. Le Doyen Louis VOGEL n’affirme pas le
contraire même s’il s’interroge sur son opportunité quand il dit :« l’unification du droit,
éternel rêve des comparatistes, est-elle vraiment nécessaire ? »720. Il lui a été opposé que « la
tendance actuelle est en faveur de l’unification, non seulement en raison de la standardisation
720
L. VOGEL, « droit global », in Unifier le droit, le rêve impossible ? (sous. Dir.), Paris, Ed. Panthéon-Assas,
2001, p.8.
276
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
toujours plus marquée de l’existence »721. Cet auteur conçoit l’unification comme un moyen,
un outil juridique bien sûr mais avant tout un outil social. Un outil qui traduit cette volonté
humaine de fédérer les efforts, de renforcer la solidarité et d’avancer vers une globalisation
progressive.
513.
D’un point de vue conceptuel, l’unification s’analyse en l’action d’amener ou de ramener à
l’unité722, de rendre unique et uniforme723. D’où, une fois que cette définition est perçue dans
un sens juridique, de retenir l’idée de droit comparé. Elle consiste en la réunion ou l’union de
législations différentes à l’origine. Dans le langage juridique, il existe une approche stricte et
une approche dite large. L’unification juridique s’entend, d’un point de vue stricto sensu, du
« remplacement de deux ou de plusieurs systèmes législatifs par un seul système
législatif »724. Dans son acception lato sensu, l’unification du droit « englobe tout procédé
ayant pour but d’assurer que les règles juridiques présentant un même contenu soient insérées
dans deux ou plusieurs systèmes de lois ». D’unification, il n’y en a réellement que dans le
fond selon l’approche lato sensu qui en fournit le sens usuel de nos jours. Ainsi,
« l’unification consiste à instaurer, dans une matière juridique donnée, une réglementation
détaillée et identique en tous points pour tous les États membres tout en leur laissant le choix
de la modalité de mise en œuvre des normes communes » 725. Cette approche lato sensu
prévalait déjà il y a quelques années si l’on en croit le Professeur André TUNC.
« L’unification du droit peut se réaliser par des lois uniformes. Cependant, une certaine
unification résulte de lois modèles, et de codes modèles comparables à ceux qui ont été
adoptés aux États unis. Il peut y avoir unification lorsque l’on adopte une attitude commune à
l’égard du droit, et, par exemple, lorsque l’on prend un système, un ensemble de méthodes et
de concepts. Il peut y avoir unification par introduction d’un vocabulaire uniforme, les
721
R.H, GRAVESON, « L’étendue du domaine de l’unification du droit », In RIDC. vol. 16 n°1, Janv-mars.,
1964. p. 9.
722
Dictionnaire HACHETTE encyclopédique, Paris, Hachette Livre, 1997 s-V. « Unification ».
723
P. ROBERT, Le Petit Robert de la langue française, éd. 2019, p. 2655.
724
A. MALINTOPPI, « Les relations entre l’unification et l’harmonisation du droit et la technique de
l’unification ou de l’harmonisation par voie d’accords internationaux », 1967-1968, 2, p.43.
I.-F. KAMDEM, « Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les
moyens d’intégration juridique », R.J.T, n°43, 2009, p. 618.
725
277
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
incoterms, ou encore par présentation uniforme avec des solutions différentes (…) ;
l’unification du droit est donc un domaine considérable qui prend des aspects fort variés » 726.
514.
Au fil du temps sont apparues d’autres acceptions de la notion d’unification juridique qui
peut être internationale ou nationale. Dans le cadre de l’unification internationale, un droit
unique est mis en place avec un domaine d’application international et cela n’est possible
qu’avec au minimum deux législations nationales. L’unification interne ou nationale est celle
qui se réalise à l’intérieur notamment d’États fédératifs, tels que les États-Unis d’Amérique.
La conception qui a retenu et qui continue de retenir le plus d’attention, est celle de
« l’unification du droit international privé » qui coexiste avec l’unification internationale et
l’unification nationale. Portée par le Professeur René DAVID, cette forme d’unification serait
selon lui un moyen de construire un « droit supranational » au-dessus de droits nationaux qui
partagent des ressemblances727. Mais, l’unification ne doit pas impérativement aboutir à ériger
un droit supranational. Son but ultime et réel est de ne pas altérer l’identité des législations qui
sont concernées. À juste titre, dans cette logique, les procédures d’unification sont adossées à
l’action d’organes étatiques.
515.
Le résultat de l’unification. L’unification s’analyse en une forme d’intégration juridique
qui est à la fois « relative au fond et à la forme » 728. L’unification est un processus qui donne
lieu ou du moins devrait donner lieu à un résultat précis. Un processus qui débute, dès lors
que le texte devant permettre l’intégration juridique totale entre au moins deux législations est
élaboré. Le résultat à savoir l’unité dans le texte n’est réellement perceptible que dans la
mesure où l’interprétation et l’application faites des dispositions sont identiques. Bien que
figurant au nombre des procédés d’intégration juridique totale, et jugée à ce titre sévère,
l’unification offre pourtant une marge de manœuvre aux pays intervenants. L’obligation
d’identité du contenu de la norme leur enlève tout pouvoir de modification sur le fond, mais
leur laisse une certaine liberté quant au choix des modalités de mises en œuvre du texte
commun. Ainsi, les législateurs nationaux ne sont pas dépouillés de leurs prérogatives
originaires : celles de l’adoption d’une loi par exemple. Appliqué aux pays membres de
l’OHADA et au regard des règles qui gouvernent le mécanisme de l’unification, l’OHADA ne
726
A. TUNC, « Standards juridiques et unification du droit », In : RIDC, vol. 22 n°2, Avril-juin 1970, pp.250251.
727
R. DAVID, Cours de Droit privé comparé, Paris, Les cours de droit, 1965-1966, p. 18.
728
L. VOGEL, « Droit global », in Unifier le droit : Le rêve impossible ? op.cit., 2001, p. 98.
278
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
réalise pas une unification du droit. Lorsqu’il existe un Acte uniforme, interdiction est faite
aux États membres de se soustraire à l’application de cet Acte en le transformant, par
exemple, en une loi type ou en choisissant les aspects qu’ils souhaitent appliquer.
2. L’uniformisation
516.
Le concept d’uniformisation. L’uniformisation consiste à donner la même forme à un
ensemble d’éléments « dont toutes les parties se ressemblent entre elles »
729
.
L’uniformisation suppose, par exemple, que les États impliqués dans une intégration se dotent
d’un corps de normes uniformes et détaillées contenu dans un instrument unique. D’ailleurs,
c’est ce support commun à tous les intervenants à une intégration juridique qui fait la
particularité de l’uniformisation et la distingue de l’unification. Les parties n’ont d’autre choix
que d’adhérer à un texte unique pour une matière donnée, sans pouvoir y déroger, ni sur le
fond ni sur la forme. L’uniformisation est un processus plus ou moins long qui débute par
l’élaboration d’un texte dont l’effectivité de la mise en œuvre est tributaire du pouvoir
judiciaire. L’uniformisation est la forme la plus sévère d’intégration juridique en raison de la
neutralisation de la force créatrice des législateurs nationaux. L’on est ici dans une acception
moniste qui pose le postulat de la continuité entre le droit international et le droit interne ; si
bien qu’une fois le texte international adopté il est d’application immédiate et obligatoire au
sein des États concernés. Alors qu’au contraire, « l’unification et l’harmonisation laissent libre
cours à la doctrine dualiste en vertu de laquelle une règle internationale ne peut avoir d’effet
que si elle a été au préalable incorporée dans une législation nationale » 730.
517.
En dépit de quelques voix discordantes minoritaires, l’uniformisation serait synonyme à
l’unification prise dans son sens large. Ainsi, des auteurs dont, le Professeur Joseph ISSASAYEGH, définissent l’uniformisation ou l’unification comme « une méthode qui consiste à
instaurer dans une matière juridique donnée, une réglementation unique, identique, en tous
points de vue pour tous les États et dans laquelle il n’y a pas de place, en principe pour des
différences »731. Le Professeur Jean PAILLUSSEAU, retenant le terme d’unification dans une
approche de synonymie, précise que « le texte d’un Acte uniforme quel qu’il soit, s’applique
729
H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, 3e éd., Paris, l’Harmattan, 2015, V. Uniformisation, p. 344.
730
I.-F. KAMDEM, op.cit, p. 622.
731
J. ISSA.-SAYEGH, « l’intégration juridique des états africains de la zone franc », Rev. Penant, 1997, n°823,
p. 13.
279
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
de la même manière, par exemple à Dakar, Brazzaville, Cotonou, Ouagadougou, Conakry ou
Abidjan » 732.
L’Association Henri Capitant retient cette synonymie et précise que
l’uniformisation ou l’unification constitue une forme brutale, mais aussi plus radicale
d’intégration juridique. Des règles précises sont imposées aux États dans le cadre de
l’unification ou de l’uniformisation. L’objectif est d’effacer les différences entre les
législations nationales en leur substituant un texte unique, rédigé en des termes identiques
pour tous les États concernés. Elle peut suivre une voie douce consistant à proposer aux
parlements nationaux un texte unique préparé par une instance internationale. La souveraineté
nationale est respectée, mais elle est contraignante à cause de l’application du principe de
supranationalité, qui permet d’introduire directement des normes dans l’ordre juridique
interne des États.
518.
L’enjeu de l’uniformisation. Un consensus est fait dans la doctrine concernant
l’assimilation en pratique de l’uniformisation à l’unification. Malgré la conservation d’une
lucidité quant aux particularités des deux notions, le Professeur Mireille DELMAS-MARTY
affirme « laisser de côté la sous-distinction entre l’unification, des règles identiques
appartenant à un droit commun unique et l’uniformisation, des règles identiques incorporées à
des droits nationaux distincts et ne retenir que l’appellation d’unification pour désigner le
caractère identique des règles nationales »733. Dans tous les cas, le sens que l’on donne aux
deux notions importe peu dès lors que l’enjeu demeure inchangé : avoir un texte identique
appliqué entre les intervenants. L’uniformisation présente l’avantage d’éviter les disparités
législatives surtout dans des domaines vastes. L’outil par excellence de l’uniformisation est le
règlement qui s’applique tel quel au sein des États. À titre illustratif, les règlements européens
sont strictement obligatoires et directement applicables dans chaque État membre. Plusieurs
organisations d’intégration juridique ont été créées dans ce contexte de pluralisme juridique
mondial marqué par des interactions normatives se jouant aux niveaux local, national,
international et régional734. À la question de savoir si l’OHADA retient l’unification ou
732
J. PAILLUSSEAU, « Le droit OHADA, un droit très important et original », JCP, Cahier de droit de
l’entreprise, n°5, 28 Octobre 2004, « Dossier sur l’OHADA, dix années d’uniformisation du Droit des affaires en
Afrique », p. 2.
733
M. DELMAS.-MARTY, « L’harmonisation du Droit des contrats en Europe », éd. Economica, Coll. Etudes
juridiques, Paris, 2001, p. 28.
734
J.-S. BERGE, « Du droit de l’Union européenne et du droit international : de l’applicabilité à l’invocabilité »,
in les Interactions normatives Droit de l’Union européenne et droit international, Paris, éd. PEDONE, Coll.
Cahiers Européens, n°2, 2012, p. 71.
280
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’uniformisation, a priori, la désignation des instruments juridiques représentant l’essence
même du droit dérivé par le terme « Acte uniforme », nous ramènerait à l’uniformisation au
lieu de l’unification.
B. L’intégration juridique partielle et le cas de l’OHADA
519.
À la différence de l’unification et de l’uniformisation, l’harmonisation est un mécanisme
d’intégration partielle (1). Il convient cependant de relever que le modèle d’intégration de
l’OHADA est singulier (2).
1. L’harmonisation
520.
Le concept d’harmonisation. Très peu connu il y a quelques années, l’harmonisation est
devenue populaire depuis l’entrée en vigueur du Traité CEE735 actuellement Communauté
européenne (C.E), le 1er janvier 1958. Le rapprochement de législations est au cœur des
objectifs de l’Union européenne qui voit en elle un moyen sûr pour améliorer le
fonctionnement du marché commun. Selon l’article 100 du Traité CE, « le Conseil, statuant à
l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des
dispositions législatives réglementaires et administratives des États membres qui ont une
incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun ».
L’harmonisation ramène à l’idée de mettre en harmonie, de rendre cohérent, un peu comme si
l’on accordait les touches d’un instrument de musique. Des éléments distincts, singuliers,
différents sont accordés pour former un ensemble cohérent. Appliquée au droit et prise de
manière simpliste, l’harmonisation juridique ramènerait à l’idée de permettre une conservation
pour les législations concernées de leurs différences, leur individualité. L’harmonisation est
une des modalités de l’intégration : elle consiste en l’adoption d’une norme laissant des
marges d’appréciation aux destinataires de la norme. Elle peut également être définie comme,
l’opération consistant à rapprocher des systèmes juridiques, pour les mettre en cohérence entre
eux en réduisant ou supprimant leurs différences et leurs contradictions736.
735
Communauté Economique Européenne créée en 1957.
736
Il a été affirmé que « le droit national continue à exister en tant que tel mais se trouve privé de la faculté de
déterminer lui-même ses finalités. Il doit se modifier et évoluer en fonction d’exigences définies et imposées par
le droit communautaire de sorte que les différents systèmes juridiques nationaux présentent entre eux un certain
degré d’homogénéité résultant de finalités communes ». J. BOULOUIS, Droit institutionnel des Communautés
Européennes, 2ème éd., Montchrestien, Paris, 1990, p. 45.
281
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
521.
L’harmonisation est présentée et reconnue comme la forme d’intégration la plus
respectueuse de la souveraineté des États donc la plus souple et la plus aisée à mettre en
œuvre. En effet, elle n’a d’autre prétention que celle de « réduire les différences pour atteindre
des objectifs communautaires, et de ce fait a la préférence d’États ont une tradition législative
ancienne profondément ancrée dans leur histoire et qui répugnent à y renoncer immédiatement
et en bloc »737 . La technique d’harmonisation vise à instituer une coordination entre les
législations nationales et une coopération entre les organismes chargés de les appliquer. Un tel
résultat s’obtient au moyen de techniques juridiques douces telles que les directives ou les
recommandations qui fixent des résultats à atteindre et se limitent à exiger une autorité de la
norme internationale. L’harmonisation repose sur un accord des États sur les principes
applicables à une question donnée, et sur la signification des concepts fondamentaux qui s’y
rattachent. Elle a pour objectif de rapprocher les fondements même du droit, non pas en
procédant à l’élaboration des règles communes, mais en rapprochant les droits dans leur mode
de pensée, au moyen d’un noyau de concepts et de méthodes communs738.
522.
L’Union européenne a pensé l’harmonisation dans un esprit : celui de ne pas modifier la
compétence législative des États membres. « Chaque État conserve sa législation selon son
esprit, ses particularités. Mais si la compétence législative subsiste, elle ne saurait créer de
règles en contradiction avec le Traité : ces contradictions s’il en existe, doivent être
supprimées » 739. L’harmonisation des législations nationales est fondée sur les articles 94 à
96 du Traité C.E. Ce Traité prévoit pour l’harmonisation deux méthodes les conventions et les
directives. La directive est l’instrument juridique privilégié prescrit par les textes intéressant
l’harmonisation des règles de droit.
La directive, au cœur de l’harmonisation. Outil par excellence de l’harmonisation, la
523.
directive fixe les objectifs à atteindre par les États membres, auxquels elle délègue le choix
des moyens. La production d’effets par la directive est subordonnée à l’intervention du
législateur national qui consiste en l’adoption d’un acte de transposition en droit interne qui
adapte, met en conformité la législation nationale au regard des objectifs définis dans la
737
J. ISSA-SAYEGH, ibid.
738
J. RENAULD, Aspects de la coordination et du rapprochement des dispositions relatives aux sociétés, 1967,
page 619.
739
J.-L. CLERGERIE, A. GRUBER, P. RAMBAUD, L’Union européenne, 11e éd., Paris, Dalloz, Coll. Précis,
2016, n° 368, p. 310.
282
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
directive mais le tout dans un délai défini par le texte. « L’harmonisation garantit également le
maintien des particularismes locaux, au niveau de l’histoire, de la langue ou de la culture
juridique. En d’autres termes, ce processus préserve les identités nationales. En outre, elle
évite l’hégémonie d’un système juridique sur un autre, comme cela peut en résulter dans les
mécanismes d’uniformisation ou d’unification » 740. L’harmonisation donne lieu à une
similitude plus souple que celle d’une unification ou d’une uniformisation. En pratique, sont
complétées par des règles nationales qui ne sont pas toujours similaires. Des divergences
normatives apparaissent, puisque les particularismes ne sont pas effacés avec l’harmonisation,
bien au contraire, ils persistent dans la mesure où les intervenants ne perdent pas leur identité
législative.
524.
La survie des particularismes. La difficulté réside justement dans la survie de
particularismes au sein des législations nationales. Dès lors que les États membres peuvent
prendre les mesures de leur choix pour se conformer au texte portant l’harmonisation, par
exemple une directive, des incohérences peuvent apparaître. Au-delà de la forme, c’est le fond
qui peut être disparate d’un État à un autre. L’interprétation peut être également différente
d’un État à un autre et l’effectivité du texte peut en être affectée. L’UEMOA741 se positionne
comme une organisation d’intégration une organisation qui souhaite « harmoniser, dans la
mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des États
membres et particulièrement le régime de la fiscalité »742. L’article 5 du Traité UEMOA
confirme l’idée selon laquelle l’UEMOA réalise une harmonisation et non une uniformisation
comme l’ont affirmé certains auteurs. Selon cet article, « dans l’exercice des pouvoirs
normatifs que le présent Traité leur attribue et dans la mesure compatible avec les objectifs de
celui-ci, les organes de l’Union favorisent l’édiction de prescriptions minimales et de
réglementations-cadres qu’il appartient aux États membres de compléter en tant que de
besoin, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives »743.
740
M. DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, éd. Textuel, Coll. Conversations pour demain,
1996, p. 60.
741
Union Economique et Monétaire Ouest Africaine qui a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de
l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré.
742
Article 4 du Traité modifié de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.
743
Article 5 du Traité de l’UEMOA.
283
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. L’uniformisation singulière en droit de l’OHADA
525.
L’objectif d’intégration juridique commandant une uniformisation particulière.
L’OHADA est une organisation d’intégration. Elle entend aboutir à une intégration
économique par le biais d’une intégration juridique. Accord semble être fait quant à la
méthode d’intégration juridique choisie par le législateur de l’OHADA. Ce serait
l’harmonisation, c’est-à-dire une mise en cohérence des législations des États membres.
L’article 1er du Traité énonce que, « le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des
affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples,
modernes et adaptées à la situation de leurs économies (…) ». Les mécanismes de
l’harmonisation posent le problème des canaux utilisés pour atteindre les objectifs
d’intégration. L’OHADA n’a nullement recours à des directives ou des recommandations qui
sont caractérisées par leur souplesse et qui s’analysent en des formes de fils conducteurs
fournis aux États. À y regarder de près l’on constate que certaines institutions et certains
organes de l’OHADA émettent des avis et recommandations qui donnent des pistes aux pays
membres. Par exemple, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage émet des avis lorsqu’elle
est sollicitée par des États ou des juridictions. Ces avis n’ont pas une force impérative
expresse. L’on pourrait voir dans cet aspect, une illustration de la question d’harmonisation.
526.
L’unification ou uniformisation, ramènerait à l’idée de texte commun, parfaitement
identique pour les pays membres et qui s’imposent à eux tels quels. L’on serait alors dans
l’hypothèse de lois types rendues applicables dans l’espace OHADA. L’OHADA se compose
de règlements qui sont appliqués tels quels et qui informent notamment les pays membres sur
les procédures à suivre. Le règlement de procédure de la CCJA est ainsi applicable au sein des
États qui ne peuvent y substituer des règles propres. Adopté le 30 janvier 2014 au Burkina
Faso, le règlement modifiant et complétant le règlement de procédure de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage vient apporter des précisions aux États membres quant à la procédure à
suivre devant la Cour commune. Le règlement vise à assurer l’application uniforme du droit
dans tous les États membres. Il a aussi pour conséquence de rendre inapplicables les
réglementations nationales incompatibles avec les clauses matérielles qu’il contient.
527.
Selon Kéba MBAYE, responsable de la mission d’experts en charge de la préparation du
projet d’harmonisation du droit
des affaires, « finalement, l’option retenue a été
l’harmonisation, bien que l’analyse du système actuellement en vigueur au sein de l’OHADA,
c’est-à-dire l’adoption par le Conseil, des Ministres de la Justice et des Ministres des
284
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Finances, d’Actes uniformes qui sont immédiatement applicables sur le territoire de chaque
État partie, soit véritablement une œuvre d’unification »744. En réalité, l’OHADA a opté pour
une forme singulière d’intégration qui est à mi-chemin entre l’uniformisation et
l’harmonisation. C’est ce que retiennent bon nombre d’auteurs quand ils indiquent que
« certaines organisations ont préféré recourir à une autre forme d’uniformisation en adoptant
le principe de la supranationalité qui leur permet d’introduire directement des normes dans
l’ordre juridique interne de leurs États membres »745. Dans le cas de l’OHADA, l’on a opté
pour les « Actes uniformes » qui portent bien leur nom, du moins la plupart du temps. En
vertu de la règle de supranationalité figurant dans l’article 10746 du Traité, les Actes uniformes
sont appliqués en l’état par les États membres de l’OHADA, sans qu’il leur soit accordé la
possibilité d’en modifier la forme ou le contenu. Le pouvoir d’élaboration et d’adoption des
textes uniformes échappe aux législateurs nationaux, pour être uniquement dévolu au Conseil
des ministres. En ayant acquis la qualité de signataire du Traité fondateur de l’OHADA, les
pays membres sont astreints à respecter le droit dérivé qui en découle.
528.
L’Acte uniforme relatif au droit commercial général est formulé en des termes impératifs,
apportant des précisions sur le régime applicable aux acteurs et aux actes accomplis dans le
cadre de l’activité économique. En fait, la formulation du texte avec force de détails semble
interdire l’intervention des États membres ou du moins leur restreindre le champ d’action.
D’entrée, l’on est informé avec l’article 1747 de l’Acte uniforme, sur son champ d’application
qui est en principe impératif dès lors que les conditions requises sont remplies. Mieux, une
obligation de mise en harmonie des conditions d’exercice de leurs activités est imposée aux
destinataires de l’Acte uniforme.
744
Discours de KEBA MBAYE in Séminaire sur l’harmonisation du droit des affaires dans les États africains
de la zone franc, Abidjan (Côte d’ivoire), 19 et 20 avril 1993.
745
J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques… », ibid.
746
Selon l’article 10 du Traité OHADA, « Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans
les États Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».
747
« Tout commerçant, personne physique ou morale y compris toutes sociétés commerciales dans lesquelles un
État ou toute autre personne de droit public est associé, ainsi que tout groupement d’intérêt économique, dont
l’établissement ou le siège social est situé sur le territoire de l’un des États parties au Traité relatif à
l’harmonisation du droit des Affaires en Afrique, ci-après dénommés « États parties », est soumis aux
dispositions du présent Acte uniforme ».
285
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
529.
Il est impossible de nier le débordement de l’OHADA du cadre de sa mission
d’harmonisation. Il est également impossible de passer sous silence les hypothèses dans
lesquelles les droits nationaux des États membres subsistent et survivent à l’application
directe, immédiate et obligatoire des Actes uniformes. Dans plusieurs Actes uniformes, il est
fait référence à la « juridiction compétente » au sens des États membres. La détermination de
la juridiction compétente se fait suivant les dispositions nationales. Il existe également les cas
de renvoi aux législations nationales quand il est affirmé que « les biens et droits
insaisissables sont définis par chacun des États parties » 748.
530.
Le constat qui s’impose est celui de la mise en exergue du caractère hybride de l’OHADA ;
caractère qui transparaît dans la méthode d’intégration juridique choisie. Cette méthode
s’analyse à la fois en harmonisation, lorsqu’il est laissé le soin aux États membres de définir
les règles applicables pour une question donnée en l’occurrence certains aspects procéduraux
ou le recouvrement des créances. Il est vrai que la marge de manœuvre n’est pas étendue,
mais elle existe et ne doit pas être occultée. Ainsi, pour ces questions les Actes uniformes
fonctionnent comme des boussoles avec une direction à suivre, libre aux États de définir le
moyen de transport pour y parvenir. L’OHADA est aussi une uniformisation agressive qui tire
sa quintessence dans la portée abrogatoire des Actes uniformes. Le procédé d’intégration
choisi dans le Traité fondateur de l’OHADA, n’obéit à aucun modèle classique connu749. Des
critiques identiques sont faites concernant l’UEMOA et le flou entretenu quant au mode
d’intégration retenu. Il convient cependant de relever certains avantages de l’approche du
législateur de l’OHADA, dans la mesure où, « l’uniformité des règles permet aux entreprises
de définir leurs stratégies d’installation, de développement et de relations avec clarté et
assurance; les conflits de lois sont potentiellement éliminés à l’instar des conséquences
fâcheuses de leur solution telles que la lenteur des procédures pour résoudre la question
préalable de la loi compétente pour trancher un litige, le choix par le juge d’une législation
non prévue par les parties ou défavorable à leurs intérêts communs »750. Peu importe la loi
748
Article 51 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution.
749
U. BABONGENO, « OHADA, projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique à l’épreuve de la
consolidation et de l’élargissement », [www.ohada.com]., OHADATA D-05-25.
750
J. ISSA-SAYEGH, « Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA : Incertitudes législatives et
turbulences jurisprudentielles », Communication au XXXI ème Congrès de l’IDEF, Lomé, 17-20 novembre
2008, Le rôle du droit dans le développement économique, [ www.ohada.com]. OHADATA D-08-65.
286
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
applicable dans une telle hypothèse, puisque l’uniformité de celle-ci en fait la chose la mieux
partagée par les États membres.
§ 2. Les incidences du modèle d’intégration juridique particulier
531.
Le modèle d’intégration juridique retenu par le législateur de l’OHADA a des incidences
sur le domaine du droit de l’OHADA (A) qui est étendu et extensif. Cette incidence se ressent
également sur le droit dérivé à l’appui de l’œuvre harmonisatrice (B).
A. Les incidences sur le domaine du droit de l’OHADA
532.
Le modèle d’intégration a des incidences sur le domaine à travers le caractère étendu des
matières à harmoniser (1) et le caractère extensif par les matières à harmoniser (2).
1. Le caractère étendu du domaine de l’OHADA
533.
La définition « matérielle » du droit de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA s’est,
semble-t-il, positionné en faveur d’une définition « matérielle » du droit des affaires de
l’OHADA. Loin de lui la prétention de définir le droit des affaires en explicitant la notion. Il a
préféré déterminer les matières qui entrent dans le domaine de ce droit atypique. Le domaine,
la matière, le champ du droit de l’OHADA se présentent ainsi comme une sorte de « fourretout », qui renferme des matières singulières relevant aussi bien du droit civil, du droit
commercial, que du droit des sociétés. L’on pourrait, à l’instar de l’avis majoritairement
partagé en doctrine retenir que le législateur de l’OHADA n’a pas vraiment défini le droit des
affaires751. Il ne le définit pas il est vrai, du point de vue strict, c’est-à-dire, en définissant les
règles. Cependant, traditionnellement, deux grands types de définitions nés d’une question
essentielle et sur fond de querelle sont considérés.
534.
La question de savoir quelle est la nature du concept, a donné lieu à deux autres questions :
doit-on comprendre le concept en un sens extensionnel et l’identifier à la classe des objets
vérifiant certaines propriétés caractéristiques, ou en un sens intensionnel et l’assimiler à
l’ensemble des caractères conceptuels correspondant aux propriétés des objets qu’il subsume ?
En effet, « les concepts de sens et d’intension font référence à la signification dans un sens
strict, comme ce qui est saisi, « that which is grasped » lorsque nous comprenons une
751
Selon Djibril ABARCHI par exemple, « le Traité OHADA porte bien sur le Droit des affaires mais ne le
définit pas », La supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA), [www.ohada.com]., OHADATA D-02-02. Son opinion est largement partagée au sein de la doctrine.
287
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
expression sans la connaissance des faits, « without knowing the facts ». Les concepts de
nominatum et d’extension font référence à l’application de l’expression, qui dépend des
faits »752. De manière plus explicite, l’intension (compréhension) désigne toutes les propriétés
communes aux objets qui tombent sous un terme donné753. L’extension est l’ensemble des
choses auxquelles l’intension s’applique. En grammaire, l’extension consiste à étendre la
signification d’un mot au-delà de son sens originel, c’est un intermédiaire entre sens propre et
sens figuré754. L’illustre logicien GOTTLOB Frege à qui l’on doit d’avoir relancé le débat sur
la nature du concept semble avoir clairement opté pour l’approche extensionnelle du concept.
Dans son écrit posthume est précisé : « je rappelle un fait qui semble parler nettement en
faveur des logiciens de l’extension, par opposition à ceux du contenu, à savoir, que sans
préjudice pour la vérité, dans toute phrase, des termes conceptuels peuvent se substituer l’un à
l’autre s’il leur correspond la même extension de concept que, par conséquent, également pour
ce qui concerne l’inférence et pour les lois logiques, les concepts ne se comportent de façon
différente que pour autant que leurs extensions sont différentes » 755.
535.
L’option pour une définition par extension. Le législateur de l’OHADA avait le choix
entre une définition en compréhension consistant à présenter les propriétés qui définissent les
éléments d’un concept et une définition par extension qui se limite à donner la liste des
éléments qui composent le concept. L’article 2 du Traité fondateur de l’OHADA dispose que,
« pour l’application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble
des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au
recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement
des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au
droit comptable, au droit de la vente et des transports (…) ». Ici, aucune définition du droit
des affaires en précisant ses propriétés, propriétés communes à tous les éléments.
752
R. CARNAP, Meaning and Necessity, Chicago, The University of Chicago Press, 1947 ; trad. franç. par F.
Rivenc et Ph. de Rouilhan, Signification et nécessité, Paris, Gallimard, 1997 (ouvrage cité par numéro de
section), § 29.
753
[https://dicophilo.fr/definition/intension/].
754
C’est à la philosophie ancienne qu’il faut se référer pour avoir des précisions sur l’origine de ces deux types
de définition ; Toute classe d’éléments peut être définie en extension (en nommant ou en désignant chaque
individu qui en fait partie) ou en intension, par une description (spécification d’un certain nombre de prédicats)
qui définit la classe. L’intension s’identifie ainsi au concept.
755
P. de ROUILHAN, Frege. Les paradoxes de la représentation, Paris, éd. Minuit, 1988, pp. 52-56.
288
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
536.
Le caractère étendu du domaine. Le domaine du droit de l’OHADA, comme retenu par
le législateur, est très étendu tellement étendu, qu’il renferme des matières qu’il est difficile de
contenir dans le domaine du droit des affaires qui apparaît lui-même peu suffisant pour en
donner la pleine substance. Le droit des affaires s’est positionné au fil du temps comme la
« nouvelle discipline », qui s’est affranchi du droit commercial classique et l’a supplanté.
L’on dira que le droit de l’OHADA cadre parfaitement avec cette évolution de la conception
du droit des Affaires au contenu bien plus vaste que la définition originaire. En observant
l’acception du droit des affaires telle que retenue en droit de l’OHADA, la question de
l’obsolescence du droit des affaires tel que connu d’un point de vue strict se pose. Les
matières retenues et couvertes par son domaine ne tenant pas forcément compte du critère de
commercialité.
537.
Le « droit des affaires » de l’OHADA est le droit qui entend faciliter les investissements et
les échanges des entreprises en vue de faire de l’Afrique « un pôle de développement
économique ». La prise en compte de la réalité économique peut être difficilement réalisée
dans un cadre marqué par la spécialité, la spécificité dans le choix du domaine ou des matières
concernées. Il est impératif de migrer vers une autre conceptualisation du droit de l’OHADA
en le définissant selon une approche économique. Au lieu de partir du postulat que le droit de
l’OHADA est un droit des affaires, il faut lui restituer sa véritable nature à savoir celle de
« droit économique » avec pour préoccupation essentielle les acteurs et activités économiques.
2. Le caractère extensif par les matières à harmoniser
538.
Un domaine évolutif. Il ressort de l’article 2 que « pour l’application du présent traité,
entrent dans le domaine du droit des affaires (…) et toute autre matière que le Conseil des
ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent traité et aux
dispositions de l’article 8 »756. Du point de vue des rédacteurs du Traité et même des États
signataires, relèvent du droit des affaires, des matières comme les voies d’exécution, le droit
des sûretés et toute autre matière que l’organe législatif de l’OHADA, le Conseil des ministres
retiendra. Le domaine du droit de l’OHADA n’est pas appelé à être figé, statique ou
immuable. Le domaine est évolutif suivant la ligne harmonisatrice des États membres et les
756
L’article 8 du Traité dispose que « L’adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres requiert
l’unanimité des représentants des États parties présents et votants. L’adoption des Actes uniformes n’est valable
que si les deux tiers au moins des États parties sont représentés. L’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des
actes uniformes.
289
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
orientations que les dirigeants souhaiteront donner à leurs politiques de développement. Il ne
fait aucun doute que ces dernières années les investissements étaient la priorité des dirigeants
africains qui sortaient d’une crise économique aux effets dévastateurs. Les débats qui font
rage au sein des organes de l’OHADA montrent bien que le domaine du droit de l’OHADA
devrait s’élargir et embrasser des disciplines comme le droit du travail, le droit bancaire, le
droit des contrats d’affaires ou certains contrats d’affaires, ainsi que le droit de la vente aux
consommateurs. Il a même été question un moment du Crédit-bail et de la franchise.
539.
Le domaine évolutif du droit de l’OHADA. Parce que le but est de supprimer les
disparités entre les législations des États membres, parce que l’objectif ultime est l’application
d’un droit unifié, le législateur de l’OHADA se laisse une marge quant à la détermination du
champ d’application matérielle du droit de l’OHADA. Prenons le droit des sûretés, qui est
l’une des matières les plus problématiques en droit africain en ce que l’héritage colonial en la
matière était assez pauvre. Plusieurs sûretés n’étaient pas réglementées alors que dans la
culture africaine la notion de biens matériels, de terre, est épineuse. En Afrique, la question de
la propriété est porteuse de litiges, d’oppositions très fortes. Nombreux sont les pays africains
qui ont été minés par des conflits liés au droit foncier, des conflits qui se sont mués en conflits
armés. Le droit des sûretés, le droit des garanties très peu connu, ce droit à la consistance
variable d’un État à l’autre, malgré son importance, ne pouvait être laissé à l’abandon. Surtout
que la question du surendettement est une question banale en Afrique, non pas en raison de sa
faible fréquence mais au contraire parce que souscrire à un emprunt de manière formelle ou
non fait partie des us et coutumes africains. Ainsi, il n’est pas rare de voir des personnes
physiques être prises au piège des procédures de recouvrement, qui débouchent parfois sur la
saisie de leurs biens. Le problème est que le droit harmonisé en matière de droit des sûretés ne
se limite pas aux sûretés purement commerciales ou usuelles en la matière. Il couvre
également le droit des sûretés tel que conçu et appréhendé par le droit civil. La crainte est
également que « de nombreux aspects du droit processuel, du droit des obligations et des
contrats, du droit patrimonial de la famille etc… sont susceptibles, compte tenu de la situation
économique et dans le but de faciliter l’activité de l’entreprise ou de garantir la sécurité
juridique des activités économiques, de faire ultérieurement partie d’un domaine du droit des
affaires OHADA »757.
757
H.-B. MODI KOKO, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la théorie
générale du droit », Rev. ERSUMA, 2007, p. 10.
290
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
540.
Le droit de l’OHADA entretient des liens avec le droit civil mais pas uniquement puisque
la procédure civile ne lui est pas inconnue. Règles de droit civil et de procédure civile sont
évoquées dans plusieurs Actes uniformes tels que respectivement le très célèbre « Acte
uniforme portant droit commercial général » et l’« Acte uniforme portant procédures de
recouvrement ». L’existence de règles uniformes dans un domaine précis, annihile le pouvoir
de légiférer des législateurs nationaux. L’absence de couverture totale du droit civil et de la
procédure civile par exemple peut donner lieu à des difficultés en ce que l’œuvre créatrice des
parlements nationaux pourra continuer et coexister avec le droit de l’OHADA.
541.
Le caractère extensif du domaine matériel du droit de l’OHADA a valu de nombreuses
critiques au législateur communautaire en ce que l’Organisation qui sécrète ce droit n’évolue
pas seule dans l’espace géographique qu’elle couvre. Elle n’est pas la seule organisation
interétatique et le caractère extensif de son domaine est porteur de germes de conflits. Il est en
effet à craindre que dans sa volonté de couvrir l’ensemble du droit des affaires tel que conçu
par l’organisation, des matières réglementées par d’autres organisations soient intégrées dans
son champ matériel. Créant ainsi des conflits de compétences et de droit applicable. Un autre
problème réside dans l’incertitude liée au domaine du droit de l’OHADA. L’objectif qui a été
déterminant au fait que l’organisation soit portée sur les fonts baptismaux est la sécurisation
des investissements. La sécurisation des investissements ne peut être envisagée en dehors de
toute sécurité juridique et judiciaire. La sécurité juridique suppose le caractère prévisible,
lisible et accessible des lois et réglementations. Le domaine du droit civil est clairement
défini de même que les contours, le contenu. Lorsque des parties à une convention, ou des
justiciables, doivent se voir appliquer le droit civil, ils bénéficient de la prévisibilité et de la
stabilité des règles. Dans le cas du droit de l’OHADA, au domaine si volatile, si fluctuant, il
n’est pas certain que les investisseurs soient rassurés étant entendu que les éventuels conflits
de normes pourraient mettre en péril l’effectivité des règles uniformes OHADA.
B. Les incidences sur la formulation du droit dérivé
542.
La généralisation des textes (1) et la question de la pertinence des textes (2) résument les
incidences sur la formulation du droit dérivé.
1. La généralisation des textes
543.
La formulation de règles générales. Le domaine matériel élargi et extensible du droit de
l’OHADA n’a pas eu pour unique conséquence, les incertitudes quant à l’appréhension des
291
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
règles juridiques qu’il recouvre. Derrière la volonté du législateur de l’OHADA de mettre en
place des règles juridiques relatives au droit des affaires, droit censé être spécial et dérogatoire
au droit commun, se cachent des règles générales, étendues. Dans la mesure où « le droit
commun est composé des règles juridiques dont le domaine d’application est indéfini »758, le
droit de l’OHADA peut être présenté comme un droit commun. Son domaine est en réalité
illimité. Il emprunte dans la formulation des règles, les caractères attachés à la règle de droit
commun. La formulation des titres des Actes uniformes parle d’elle-même et laisse
transparaître la volonté hégémonique de l’OHADA. Le fond de l’Acte uniforme portant droit
commercial général est en conformité avec son intitulé en ce que l’on y trouve des règles
générales, des règles de droit commun concernant notamment les règles de l’immatriculation
des personnes physiques et morales. L’Acte uniforme relatif aux droits des sûretés est un
véritable droit commun en la matière, car il se positionne comme le siège des règles juridiques
en matière de droit des garanties.
544.
Avec l’avènement du droit de l’OHADA, la réalité est que le droit national des États
membres devient un « droit spécial », tandis que le droit interétatique devient la règle, le
principe. Il revient désormais au droit national des États membres de chercher sa place, les
conditions de son application à une situation, un fait juridique ou un acte juridique donné. Il
est vrai qu’il a été affirmé que « le droit des affaires est un droit spécial qui obéit avant tout au
droit commun des personnes, des biens, des actes et des faits juridiques »759. Néanmoins, il est
tout aussi vrai qu’une telle assertion n’est plus absolue lorsque les règles juridiques élaborées
par le législateur de l’OHADA entrent en ligne de compte. De manière concrète, l’Acte
uniforme portant organisation des sûretés, consacre son titre préliminaire aux définitions et
domaine d’application des sûretés. La formulation de l’article 1er est sans équivoque quant à la
volonté d’imprimer un cachet de « droit commun » aux règles qui suivront. Selon l’article 1er
en effet, « une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de
biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble
d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci et notamment qu’elles soient
présentes ou futures, déterminées ou déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et
que leur montant soit fixe ou fluctuant ». Cet article se borne à définir la sûreté sans faire la
lumière sur le champ d’application de ladite sûreté en droit de l’OHADA. Les textes qui
758
N. BALAT, Essai sur le droit commun, Issy-les-Moulineaux, L.G.D.J, 2016, n°155, p. 107.
759
K. KOUADIO, « Les atouts et les faiblesses de la réglementation uniforme de l’OHADA », op.cit., p. 110.
292
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
suivent ne prennent pas une direction différente, bien au contraire elles ouvrent grandement la
porte et contribuent au renforcement de la toute-puissance du droit de l’OHADA.
545.
La possibilité d’adopter des textes spéciaux. Il n’est fait cas d’aucune spécificité dans la
formulation des règles encore que l’article 4 rappelle que « les sûretés propres au droit fluvial,
maritime et aérien, les sûretés légales autres que celles régies par le présent Acte uniforme,
ainsi que les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre
établissements de financement, peuvent faire l’objet de législations particulières »760. La
référence à la possibilité d’adopter des textes particuliers témoigne d’un caractère assumé de
la généralisation dans la formulation des textes par le législateur de l’OHADA. En clair, les
sûretés susvisées sont soumises à l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, sauf si un
texte spécial est adopté. Une telle approche n’aurait rien de surprenant si nous étions dans le
cadre d’un droit commun que vient enrichir le droit spécial. Originairement, le droit de
l’OHADA est dit « droit des affaires » donc droit spécial. En lieu et place d’un bâillonnement
de la législation nationale, le législateur de l’OHADA aurait pu, aurait dû formuler des textes
eu égard à la particularité de la question résolue.
546.
Le style du législateur de l’OHADA. Le style du législateur de l’OHADA est identique à
celui retenu dans la formulation ou l’édiction de règles générales, de principes généraux. Le
style utilisé rappelle celui utilisé pour énoncer les règles de droit commun. La généralité d’un
terme est « la capacité de s’appliquer à un nombre infini d’instances. Le sens d’une expression
est général s’il ne précise pas certains détails et le manque de spécification peut être renforcé
par l’expression référentielle indéfinie, mais on ne saurait restreindre la généralité à ce cas ; il
y a aussi des phrases générales dont les noms sont introduits par un déterminant possessif,
démonstratif ou défini »761. En effet, l’énonciation de règles générales requiert l’emploi de
notions « inclusives », « englobantes » et permettant d’appréhender l’ensemble des acteurs et
activités. Inclusives dans la mesure où elles contiennent en elles quelque chose d’autre762,
englobantes, en raison de leur aptitude à réunir des choses en un tout763. Une analyse du Code
civil que ce soit celui français ou ceux en vigueur au sein des États membres, met en exergue
760
Article 4 in fine, AUS.
761
M. LUPU, « Concepts vagues et catégorisation », Cahiers de linguistique française, vol. 25, 2003, pp. 291304.
762
P. ROBERT, Le petit Robert de la langue française, op. cit., p. 1303.
763
P. ROBERT, Le petit Robert de la langue française, op. cit., p. 873
293
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
la généralité des termes et notions employés. Sont fournies des définitions d’ensemble de
termes généraux qui sont déclinés dans des sous-ensembles spéciaux par des textes tout aussi
spécifiques. Les Actes uniformes OHADA ont été rédigés avec la marque et l’empreinte de la
généralité. Le législateur fait souvent référence à « tout », « toute », « nul », aux articles
indéfinis « un », « une » dans chacun des Actes uniformes.
2. La pertinence des textes
547.
D’une extension et d’une extensibilité du domaine d’application, nous en sommes arrivés à
une généralisation de textes que ce soit dans la formulation ou dans l’intitulé des instruments
juridiques concernés. Si nous partons du postulat que le droit des affaires de l’OHADA a été
formulé en vue de résoudre des problèmes précis au niveau des États membres, la teneur des
textes aurait dû être de toute autre facture. Les États africains sont tous dotés d’une législation
de base, de textes dits fondamentaux en ce qu’ils réglementent les relations entre particuliers,
les relations entre les particuliers et les personnes publiques à titre exemplatif. Aucune volonté
de se positionner en laudateurs de ces législations qui sont loin d’être parfaites, tant elles
souffrent de réelles insuffisances. Le droit civil ivoirien par exemple, n’a pas suivi l’évolution
et les réformes du droit français et date des années fastes de l’indépendance. Il en est encore à
un régime très simplifié en matière de sûretés notamment.
548.
Le droit de l’OHADA, tel que formulé, institue des principes généraux qui supplantent les
droits nationaux des États membres. La question de la pertinence se pose avec acuité dans la
mesure où certaines de ces règles générales ne diffèrent pas de manière drastique des règles
nationales. Quel est l’intérêt d’instituer des règles tout aussi générales, parfois imprécises que
celles énoncées en droit national ? Le droit de l’OHADA peine également du fait de son
caractère trop étendu à résoudre des questions particulières, pointues, précises qui surviennent
lors de relations contractuelles. Or la pertinence d’un texte est essentielle à son efficacité et à
son effectivité.
549.
Les pouvoirs étendus du Conseil des ministres. Le législateur de l’OHADA donne
mandat au Conseil des ministres pour inclure dans le domaine du droit des affaires OHADA,
toute autre matière à l’unanimité. L’article 2 du Traité qui ne définit aucun critère, permet
pratiquement d’insérer dans le champ d’application matériel du droit des affaires n’importe
quelle matière du droit privé. Ainsi, conformément au Traité, pourront être incluses dans le
domaine du droit des affaires des matières considérées traditionnellement comme constituant
294
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des matières propres du droit civil, tels les régimes matrimoniaux, les successions, droit des
personnes et de la famille, les libéralités, parce que, à maints égards, elles peuvent être
happées par le droit des affaires. Il en est ainsi du nom patronymique qui peut servir aussi de
nom commercial et être soumis à des règles particulières différentes de celles du droit civil.
Se pose alors un problème de cohérence de l’œuvre harmonisatrice. C’est en cela que
s’impose, soit une redéfinition du champ d’application du droit des affaires OHADA par la
définition de critères, soit un changement de dénomination du droit uniforme. L’on retiendrait
alors une approche économique du droit de l’OHADA.
550.
De manière plus concrète, le regard panoramique orienté vers l’œuvre harmonisatrice,
laisse apparaître des incohérences ou des insuffisances. L’Acte uniforme portant droit
commercial général, précisément, son article 1er alinéa 3 dispose que : « en outre, tout
commerçant ou tout entreprenant demeure soumis aux lois non contraires au présent Acte
uniforme, qui sont applicables dans l’État partie où se situe son établissement ou son siège
social ». Avant toute analyse, il convient de s’intéresser à la notion de « loi contraire ». La
Cour Commune de Justice d’Arbitrage (CCJA) s’y attelle par le biais de son avis n°
001/2001/EP du 30 avril 2001. Peut être qualifiée de loi contraire, une loi ou un règlement de
droit interne ayant le même objet qu’un acte uniforme et dont toutes les dispositions sont
contraires à cet acte uniforme. C’est également l’hypothèse d’une loi ou d’un règlement dont
seulement l’une des dispositions ou quelques-unes de celles-ci sont contraires. La loi non
contraire est donc définie par opposition à la loi contraire.
Le choix du législateur de l’OHADA en faveur de l’intégration, il est vrai, mais une
intégration singulière, a des incidences sur la formulation des textes et règles de droit. Ainsi,
le droit de l’OHADA est marqué par les caractères du droit commun national et formulé de
manière générale et extensive.
295
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
551.
Le droit civil marque le droit de l’OHADA de son empreinte. Cette influence est relevée à
la source, dans la conception même du domaine du droit de l’OHADA. A priori, la définition
du domaine du droit de l’OHADA consisterait à assimiler ledit domaine à celui du droit des
affaires classique tel qu’il est connu. Les textes fondateurs de l’OHADA sont clairs à ce
propos : le droit de l’OHADA est pensé comme un droit des affaires. Cette approche est
apparue comme démontré plus haut, intellectuellement et juridiquement insatisfaisante. En
effet, une attention particulière devait être portée au concept même de droit des affaires
OHADA. Sans oublier les mécanismes d’intégration retenus par le législateur de l’OHADA. Il
en ressort la mise en exergue d’un fonds civiliste qui se traduit par l’adoption des mécanismes
et règles de droit civil en la matière.
296
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Chapitre 2. DES RÈGLES ET PRINCIPES MARQUÉS PAR LE DROIT
CIVIL NATIONAL
552.
Le droit de l’OHADA a été élaboré en vue d’améliorer le dispositif juridique des États
membres en droit des affaires. Dispositif qui est essentiellement constitué par un fonds
civiliste donc de règles générales. Les attentes en la matière étaient simples : parvenir grâce au
droit des affaires OHADA à résoudre des questions précises du monde des affaires et des
investissements. Dans certains aspects, le droit de l’OHADA, a conservé les caractéristiques
du droit commun. À la vérité, le droit de l’OHADA a intégré de manière pure et simple des
dispositions du droit civil des États membres. Dix (10) Actes uniformes sont en vigueur au
sein des États membres. L’analyse des Actes uniformes permet de relever des transferts purs
et simples du droit civil national au sein du dispositif juridique de l’OHADA. L’influence est
donc celle du droit civil national sur le droit de l’OHADA. Cette influence est de nature à
limiter celle consacrée du droit de l’OHADA sur le droit commun national. La relativité de
l’influence dont il est question sera mise en exergue à travers, d’une part, l’élaboration de
règles fortement inspirées du droit civil national (Section 1) et d’autre part, l’incursion du
droit de l’OHADA dans la sphère du droit civil (Section 2).
Section 1. L’élaboration de règles fortement inspirées du droit civil national
553.
Parce que les règles du droit de l’OHADA portent l’empreinte du droit civil, l’on note une
transposition des principes du droit civil national en droit de l’OHADA (§1) et la prise en
compte du droit civil national des États membres (§ 2) dans la formulation du droit de
l’OHADA. Le droit de l’OHADA est ainsi influencé par le droit civil national des États
membres.
§ 1. La transposition des principes du droit civil national en droit de l’OHADA
554.
Sur certains points, le législateur de l’OHADA décide de procéder à une intégration à
l’identique des règles du droit civil. Cette intégration textuelle des principes du droit civil aux
normes OHADA (A) n’est pas la seule hypothèse. L’adaptation des règles du droit civil
national des États membres (B) est également réalisée. Il en résulte une autonomie limitée du
droit de l’OHADA par rapport au droit civil national.
297
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
A. L’intégration textuelle des principes aux normes de l’OHADA
555.
Les sûretés personnelles (1) et les sûretés réelles (2) sont les points d’intégration textuelle
relevés.
1. En matière de sûretés personnelles
556.
La reprise de certains aspects du droit des sûretés des États membres. En la matière,
l’Acte uniforme portant organisation des sûretés renferme des dispositions du droit civil
national des États membres. Il est vrai qu’avec le nouvel Acte uniforme la définition du
cautionnement est modifiée, mais il n’en demeure pas moins que le régime juridique de cette
sûreté personnelle est sous divers aspects l’image fidèle du droit commun. L’article 2014
alinéa 1er du Code civil ivoirien, article 2291 alinéa 1er du Code civil français dispose qu’« on
peut se rendre caution sans l’ordre de celui pour lequel on s’oblige et même à son insu »764.
L’alinéa 2 de l’article 13 de l’Acte uniforme ne prévoit rien de bien différent puisqu’il dispose
que « cet engagement peut être contracté sans ordre du débiteur ». En fait, le débiteur
principal, s’il a naturellement intérêt au cautionnement, n’est pas en règle générale, partie au
contrat. Celui-ci peut être conclu sans son ordre, notamment à l’initiative du créancier. Même
lorsqu’il participe à la formation du contrat, le débiteur n’acquiert aucun droit en vertu de
celui-ci. C’est ce qui explique la solution de la Cour de cassation française rendue par un arrêt
en date du 10 juillet 2001. La haute juridiction retient notamment que « le contrat de
cautionnement ne peut être cédé en cas de redressement judiciaire »765. Ainsi, à l’instar du
droit commun, le législateur de l’OHADA n’exclut pas la conclusion de l’acte de
cautionnement à l’insu du débiteur qui est un tiers intéressé. En effet, le cautionnement est
conclu entre la caution et le créancier, et emporte engagement de la caution à exécuter
l’obligation contractée par le débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Cette faculté
pourrait être problématique dès lors que la caution a payé le créancier alors que le débiteur
s’était déjà exécuté ou que la dette a été éteinte par un autre moyen.
557.
La formation du cautionnement. Concernant la formation du cautionnement, le droit
civil des États membres prévoit qu’il « ne se présume point ». L’exigence du caractère exprès
du cautionnement répond à un objectif de sécurité juridique et de réduction du contentieux en
la matière. La volonté des parties de s’engager doit être exprimée de manière non équivoque :
764
Article 2014 du Code civil togolais, burkinabé, comorien, guinéen, camerounais…
765
Cass. Com, 10 juillet 2001, n° 98-14-462.
298
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
à défaut, l’engagement ne vaut pas cautionnement. De même, le législateur de l’OHADA
reprend en son article 17, l’exigence d’une obligation valable pour le cautionnement et
l’admission du cautionnement des engagements d’un incapable tel que le mineur766. Le
caractère accessoire du contrat « suppose nécessairement une dette principale à garantir » 767.
Au titre des conséquences de ce caractère notamment concernant la validité du cautionnement,
figure la nécessité d’une obligation principale valable. La nullité de l’obligation principale
entraîne en principe, la nullité du cautionnement. Cependant, comme le précise à raison le
Professeur Yves PICOD, « il faut cependant distinguer selon que la nullité de l’obligation du
débiteur principal est absolue ou relative. Si la nullité de la dette principale est absolue, le
cautionnement est nul (…). Si au contraire, il s’agit d’une nullité relative pour vice du
consentement la question se pose en des termes plus délicats. Le Code civil distingue parmi
les exceptions que la caution prétend opposer au créancier, celles inhérentes à la dette, reis
coherentes et celles purement personnelles au débiteur, personae coherentes » 768. La question
est d’autant plus délicate que dans un arrêt du 8 juin 2007, la chambre mixte de la Cour de
cassation retient que « le dol affectant le consentement du débiteur principal constitue une
exception personnelle que la caution ne peut invoquer »769. La justification de cette solution
réside dans le caractère relatif de la nullité pour dol : seul le débiteur principal, victime de dol,
peut s’en prévaloir. La solution est critiquable en ce qu’elle porte atteinte au caractère
accessoire du cautionnement : l’engagement de la caution subsiste, alors même que la dette
garantie encourt l’annulation.
558.
Le paiement de la caution. Les dispositions de l’article 16 de l’Acte uniforme visant
l’insolvabilité de la caution qui, dans ce cas doit en désigner une autre sauf si le créancier y
procède, sont identiques à celles de l’article 2020 du Code civil ivoirien770. Les articles 14 et
18 de l’Acte uniforme reprennent l’article 2013 du Code civil ivoirien771 en évoquant
766
Confère article 2012 du Code civil ivoirien.
767
H.-L et J. MAZEAUD, Ph. JESTAZ, Leçons de Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Par Y. PICOD,
7 éd., Tome III, vol 1.,Paris, Montchrestien, 1999, n°15, p. 31.
e
768
H.-L et J. MAZEAUD, Ph. JESTAZ, Leçons de Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Par Y. PICOD,
op. cit., n° 21, p. 35.
769
Cass. Ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15602, Bull. Ch. Mixte, n°5.
770
V. également l’article 2020 des Codes civils togolais, camerounais, burkinabé,
771
Formulation identique à l’article 2021 des Codes civils togolais, camerounais, burkinabé,
299
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’étendue du cautionnement qui est limitée à la somme maximale souscrite par la caution et
peut être circonscrite à une partie seulement de la dette et sous des conditions moins
onéreuses. L’un des effets du cautionnement, notamment le caractère subsidiaire de
l’engagement de la caution qui n’a obligation de payer qu’en cas de défaillance du débiteur,
est prévu par l’article 2021 du Code civil ivoirien que l’alinéa 1er de l’article 23 de l’Acte
uniforme reprend. L’exclusion du bénéficie de discussion dans certains cas, est affirmée par le
droit national des États membres et reprise par l’article 27 de l’Acte uniforme. La question qui
se pose est de savoir quel intérêt il y a-t-il à reprendre à l’identique des dispositions du droit
civil national, alors que l’objectif affirmé par le législateur de l’OHADA est d’améliorer le
cadre normatif des États membres ? L’influence du droit de l’OHADA sur le droit civil
national est clairement limitée par cette reprise à l’identique.
559.
Le bénéfice de discussion étant « la faculté permettant à la caution de contraindre le
créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal, à saisir et à vendre les biens de ce
dernier »772. Elle est exclue pour la caution solidaire et la caution simple qui déclare y avoir
renoncé. L’article 27 de l’Acte uniforme poursuit avec les modalités de mise en œuvre du
bénéfice de discussion avec l’obligation pour la caution d’indiquer les biens de ce dernier
susceptibles d’être saisis immédiatement sur le territoire national et de produire des deniers
suffisants pour le paiement intégral de la dette773. La caution ne peut être tenue plus
sévèrement que le débiteur.
560.
Le domaine du droit des sûretés. De plus, l’on relève une absence de distinction de la
législation entre sûretés qui relèvent du droit commercial, parce que consenties pour les
besoins du commerce et sûretés « civiles ». La qualité du créancier, du débiteur ou de la
personne qui constitue la sûreté, n’a aucune importance en droit de l’OHADA.
Traditionnellement, le droit des sûretés relève du droit civil pur et non du droit commercial, ce
qui ne fait pas obstacle à la constitution de sûretés commerciales. Les sûretés sont rattachées à
la théorie générale des obligations et aux droits réels. Il aurait été parfaitement
compréhensible que dans la prise en compte de la législation interne, le législateur de
l’OHADA, compte tenu de la spécificité du domaine qui fonde son œuvre, s’en distingue.
L’on s’interroge sur l’intérêt de la reprise de normes internes, normes du droit commun dans
772
P. CROCQ, (sous. Dir.), Le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés : la réforme du Droit des
sûretés de l’OHADA, op. cit., n°95, p. 86.
773
V. article 2023 du Code civil ivoirien.
300
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
le corpus communautaire censé présenter un caractère de spécialité. Chaque État membre est
d’ailleurs bien conscient que les dispositions non contraires au droit uniforme et concernant
des matières non réglementées survivent à la supranationalité du droit de l’OHADA. N’auraitil pas fallu dans ce cas dans un souci de renforcement de la part de souveraineté des États
membres, se garder de reprendre à l’identique les dispositions civiles nationales ? Les États
membres sont tenus de mettre leur dispositif juridique en conformité avec le droit de
l’OHADA. De plus, les dispositions nationales identiques dans leur formulation ou dans leur
objet, à celles du droit de l’OHADA sont abrogées. Cela est incompréhensible dans la mesure
où ces dispositions identiques préexistaient au droit de l’OHADA. Dans un souci de
cohérence, il aurait fallu renvoyer simplement au droit civil national sur ces points, ou se
limiter à légiférer sur des questions spéciales, purement commerciales.
2. En matière de sûretés réelles
561.
Une hypothèque nationale ? Le législateur de l’OHADA s’est également approprié les
dispositions du droit civil en matière de sûretés réelles. Certains aspects du régime juridique
de l’hypothèque l’attestent. Hypothèque qui reste mal perçue en Afrique en général et au sein
des pays de l’Afrique subsaharienne en particulier. Si la richesse était fonction de
l’importance de l’exploitation agricole, notamment les « têtes de bétail », l’immobilier est un
signe ostentatoire de richesse. Plus la maison est immense et luxueuse, plus l’on émet des
signaux de puissance et de richesse. L’hypothèque sonne le glas de cette puissance et expose à
une sanction sociale : devenir un « pariât ». L’hypothèque est assimilée à une sanction de la
mauvaise gestion de son patrimoine par le débiteur. Sa fonction de garantie n’est pas mise en
exergue. Il n’est donc pas rare que les justiciables tentent de faire dégénérer une hypothèque
en cautionnement, sans réel succès puisque la CCJA reste vigilante à ce propos. Dans un arrêt
du 23 novembre 2017, la juridiction communautaire avait rappelé que « lorsque l’affaire
concerne des hypothèques, une partie ne peut attaquer ces dernières en se fondant sur les
dispositions relatives au cautionnement » 774.
562.
L’article 192 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés dispose que « sauf
disposition contraire, seuls les immeubles présents et immatriculés peuvent faire l’objet d’une
hypothèque. Peuvent faire l’objet d’une hypothèque : 1°) les fonds bâtis ou non bâtis et leurs
774
CCJA, 3e ch., n° 208/2017 du 23 novembre 2017. V. également CCJA, 1e Ch., n° 43/2010, 1er juillet 2010 :
« l’article 4 de l’Acte uniforme sur les sûretés s’applique au cautionnement lors de sa formation et non à
l’hypothèque conventionnelle qui elle est régie par les articles 126 et suivants du même Acte uniforme ».
301
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
améliorations ou constructions survenues, à l’exclusion des meubles qui en constituent
l’accessoire ; 2°) les droits réels immobiliers régulièrement inscrits selon les règles de l’État
Partie ». Les législations des États de la zone Franc en matière de sûretés immobilières, ont
été révisées et modernisées par des décrets fonciers qui se sont intéressés aux droits réels
immobiliers et à la publicité foncière. Les textes sont sensiblement pareils et prévoient que
« sont seuls susceptibles d’hypothèque : 1. Les Fonds de terre bâtis ou non bâtis qui sont dans
le commerce et, avec eux, leurs accessoires réputés immeubles ; 2. L’usufruit des mêmes
biens, pendant sa durée ; 3. L’emphytéose, pendant le temps de sa durée ; 4. Le droit de
superficie »775. Ces dispositions réalisent une énumération exhaustive. Ce qui revient à
exclure les droits d’usage et d’habitation de l’assiette de l’hypothèque. Simplement, le
bénéficiaire « ne peut céder son droit ni la servitude puisque celle-ci ne peut être détachée du
fonds auquel elle profite »776. Les dispositions évoquées ne sont nullement différentes de
celles susvisées ; il ne s’agit que d’un jeu de notions, de formulation, de synonymie.
563.
Les caractères de l’hypothèque. L’article 193 pose le principe de l’indivisibilité de
l’hypothèque tel que prévu en droit national ainsi que le droit de suite qui y est attaché. En
effet, l’hypothèque est indivisible entre les constituants jusqu’à complet paiement et les suit
en quelques mains que les biens passent. L’hypothèque est constitutive de droit réel. Le droit
réel étant indivisible, l’hypothèque l’est également ; l’hypothèque est même doublement
indivisible. L’indivisibilité se rapporte en premier lieu à la créance. Ainsi, le créancier ou ses
ayants cause n’ont pas à subir les conséquences de la division de la dette. L’indivisibilité de
l’hypothèque concerne en second lieu l’immeuble grevé. La dette est garantie par chaque
immeuble. La règle de l’indivisibilité signifie également que lorsque le bien grevé est par la
suite divisé, chaque lot est grevé de l’hypothèque pour la totalité du prêt. Le débiteur subit
quelques fois les inconvénients de l’indivisibilité en cas de paiement partiel notamment. Les
créanciers en sont très satisfaits et l’apprécient777. Les législations nationales s’accordent sur
la prohibition de l’hypothèque portant sur les biens à venir. Le législateur de l’OHADA
775
Article 32 du Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique
Occidentale Française (AOF).
776
G.A. KOUASSIGAN, (sous. Dir.), Encyclopédie juridique d’Afrique, Tome V, droit des biens, p. 169.
777
S. PIEDELIEVRE, « l’efficacité de la garantie hypothécaire », Etudes offertes à J. FLOUR, 377 (1508).
302
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
n’affirme pas le contraire. Cette prohibition est une conséquence du principe de spécialité778
appliqué à l’assiette des biens garantis.
B. L’adaptation des règles du droit civil national des États membres
564.
L’adaptation des règles du droit civil national par le législateur de l’OHADA concerne les
sûretés personnelles (1) et les sûretés réelles (2).
1. Les sûretés personnelles
565.
Une adaptation par explicitation. Tout l’intérêt d’un droit spécial et attractif réside dans
son aptitude à surpasser le droit commun, à innover, à y déroger quand la nécessité est sans
équivoque. Prévu pour être un « droit spécial » mais commun aux États signataires du Traité,
le droit de l’OHADA ne se limite pas à calquer le droit civil national. Il a souhaité adapter
ledit droit aux réalités du monde des affaires, à ses exigences. Si l’adaptation est salutaire, il
n’en demeure pas moins que le socle est bien le droit civil des États membres. Son influence
sur le droit de l’OHADA est perceptible puisque, le législateur communautaire, loin de
réglementer des questions particulières, de formuler des règles spéciales, reprend des règles
générales qu’il se limite à réécrire ou à actualiser. L’attractivité du droit de l’OHADA en est
fortement affectée, dans la mesure où il a été présenté comme l’innovation des années 90, ce
droit révolutionnaire sans commune mesure.
566.
La formation du cautionnement. L’exemple type demeure l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés. Tout d’abord, pour ce qui concerne la formation du cautionnement,
le législateur explicite le principe qui veut que le cautionnement soit exprès et ne se présume
pas. Il reconnaît en son article 14 une valeur probatoire de l’acte établi entre le créancier et la
caution ainsi que la mention manuscrite de celle-ci. La réelle adaptation concerne l’admission
d’une preuve testimoniale en la matière : « la caution qui ne sait ou ne peut écrire, doit se faire
assister de deux témoins qui certifient, dans l’acte de cautionnement, son identité et sa
présence et attestent, en outre, que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés. La
présence des témoins certificateurs dispense la caution de l’accomplissement des formalités
prévues par l’alinéa précédent »779. Les affaires reposent sur une idée de confiance, d’oralité,
sur des conventions très peu formalisées. Le législateur de l’OHADA a donc légiféré en tenant
778
F. MARTIN, « Le principe de spécialité de l’hypothèque, application et évolution », Dr. Et patr., Nov 2005, p.
59.
779
Article 14 de l’AUS.
303
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
compte de la place primordiale de l’oralité au sein de la société africaine ; une place liée à son
histoire. Le texte relatif à la caution illettrée est inspiré des articles 20 et 22 du Code des
obligations civiles et commerciales sénégalais780. L’article 20 prévoit que « la caution
illettrée, doit se faire assister de deux témoins lettrés qui certifient dans l’écrit son identité et
sa présence. Ils attestent en outre que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés ».
L’article 22 quant à lui dispose que « l’acte sous seing privé contenant un engagement
unilatéral doit être rédigé en entier de la main de celui qui le souscrit. Dans le cas contraire, il
faut que celui qui s’engage écrive de sa main, outre sa signature, un bon pour ou un approuvé
portant en toutes lettres le montant de son obligation dont il fait preuve. La présence des
témoins certificateurs dispense les illettrés de l’accompagnement de la présente formalité ».
567.
La solvabilité de la caution. Du point de vue de la solvabilité de la caution, l’article 2018
du Code civil ivoirien dispose que « le débiteur, obligé à fournir une caution, doit en fournir
une qui ait la capacité de contracter, qui ait un bien suffisant pour répondre de l’objet de
l’obligation et dont le domicile soit dans le ressort de la Cour d’appel où elle doit être
donnée »781. Selon l’article 2019 du même Code civil, « la solvabilité d’une caution ne
s’estime qu’eu égard à ses propriétés foncières, exceptée en matière de commerce, ou lorsque
la dette est modique. Avec l’article 15 de l’Acte uniforme, « lorsque le débiteur est tenu, par
la convention, la loi de chaque État Partie ou la décision de justice, de fournir une caution,
celle-ci doit être domiciliée ou faire élection de domicile dans le ressort territorial de la
juridiction où elle doit être fournie, sauf dispense du créancier ou de la juridiction compétente.
La caution doit présenter des garanties de solvabilité appréciées en tenant compte de tous les
éléments de son patrimoine. Le débiteur qui ne peut trouver une caution pourra la remplacer
par toute sûreté réelle donnant les mêmes garanties au créancier ».
568.
Le législateur de l’OHADA franchit un pas supplémentaire en étendant l’assiette de la
garantie de solvabilité à l’ensemble du patrimoine de la caution. Le législateur de l’OHADA
est allé bien au-delà de cette tradition africaine qui veut que la richesse, la puissance d’une
personne, d’une famille se définisse à la mesure de son patrimoine foncier. Il a réalisé une
avancée à mettre au compte du droit prospectif dans la mesure où la mondialisation, la
dématérialisation des échanges sonne l’émergence de nouvelles formes d’instruments de
780
Loi n° 63-62, 10 juillet 1963.
781
Le texte est identique au sein des législations nationales des États membres de l’OHADA ; notamment le
Togo, le Cameroun, le Burkina, la Guinée, les Comores…
304
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
richesse. Aujourd’hui l’on est « riche » à coups de parts sociales, d’actions, de prise de
participation dans une entreprise. Aujourd’hui, la propriété intellectuelle et ses produits ont
une place non négligeable dans l’activité économique. Le législateur communautaire aurait dû
franchir un pas supplémentaire en rattachant à cette exigence de solvabilité celle de
l’exclusion d’un cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus la
caution. Il aurait à l’image du législateur français, renforcé la protection de la caution. En
effet, la sanction des engagements disproportionnés de la caution au regard de ses facultés
contributives qui s’apprécie en droit français au moment où la caution s’engage et au moment
où elle est appelée en paiement viendrait renforcer l’attractivité de cette sûreté reine.
569.
Le droit de poursuite de la caution. Le Code civil ivoirien se limite à énoncer que la
caution n’est obligée envers le créancier à le payer qu’à défaut de paiement du débiteur782. Le
législateur de l’OHADA précise en plus par le biais de l’article 23 alinéa 2 in fine de l’Acte
uniforme consacré aux sûretés que « le créancier ne peut entreprendre de poursuites contre la
caution qu’après une mise en demeure de payer adressée au débiteur principal et restée sans
effet ». À la lecture du texte ivoirien il est loisible d’affirmer que le dès lors que le débiteur ne
respecte pas son obligation, la caution est tenue. Aucune précision quant aux circonstances qui
entourent cette inexécution ; aucun détail quant aux mécanismes visant à établir cette
inexécution. Le législateur de l’OHADA adapte cette disposition aux exigences du droit
moderne dans la mesure où toute demande de paiement doit être formulée du moins dans la
procédure non judiciaire, par le biais d’une mise en demeure. L’article 1344 du Code civil
français, « le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant
interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation ».
Cette interpellation en forme de sommation, lettre missive ou tout acte équivalent, aux termes
de laquelle un créancier notifie à son débiteur sa volonté de recouvrer sa créance, désigne
aussi bien le document notifié au débiteur que les conséquences de sa réception.
La règle posée par l’article 23 alinéa 2 est un tempérament à celle de solidarité en matière de
cautionnement. Le cautionnement étant au sens de l’Acte uniforme portant droit des sûretés
solidaire par principe et simple de manière exceptionnelle, une règle imposant une mise en
demeure préalable sans distinguer selon le type de cautionnement vient y apporter un
tempérament. À l’instar de l’article 26 alinéa 2 qui dispose que « le créancier ne peut
poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en cause le débiteur principal ».
782
A l’instar des autres États membres.
305
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
570.
L’extinction du cautionnement. L’extinction du cautionnement est également concernée
par la volonté d’adaptation du législateur de l’OHADA. Par exemple l’article 2039 du Code
civil ivoirien prévoit que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au
débiteur principal, ne décharge point la caution, qui peut, en ce cas, poursuivre le débiteur
pour le forcer au paiement ». L’Acte uniforme clarifie ce texte à travers l’alinéa 2 de l’article
23 qui prévoit que « la prorogation du terme accordée au débiteur principal par le créancier
doit être notifiée par ce dernier à la caution. Celle-ci est en droit de refuser le bénéfice de cette
prorogation et de poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement ou obtenir une garantie ou
une mesure conservatoire ». La caution a la faculté de refuser le bénéfice de la prorogation
afin de se prémunir d’une insolvabilité ultérieure du débiteur.
Ces règles prennent leur source dans le droit civil des États membres. Les États membres de
l’OHADA auraient-ils un réel intérêt à accorder la primauté à des règles qui s’inspirent de leur
droit civil, leur droit commun? Il est évident que la tentation est grande de retenir pour
référence, le droit civil national, dans un sursaut nationaliste.
2. Les sûretés réelles
571.
Les privilèges. Les privilèges confèrent à leurs titulaires un droit de préférence, selon le
droit civil des États membres. Ils sont ainsi payés par priorité. Le créancier privilégié n’a pas
de droit particulier relativement à la vente proprement dite des biens de son débiteur : il ne
peut pas s’opposer à ce que les autres créanciers y procèdent, et, s’il en prend l’initiative, il
suivra comme un créancier ordinaire, toutes les formalités de la saisie et de la vente (…). Mais
que la vente ait été provoquée par les autres créanciers ou que le créancier privilégié y ait
procédé lui-même, le privilège donne à celui qui en bénéficie, un droit de préférence sur le
prix »783 . Les privilèges sont, soit généraux, soit spéciaux. Ils sont généraux lorsqu’ils portent
sur l’ensemble du patrimoine du débiteur et spéciaux lorsqu’ils concernent un bien en
particulier. L’Acte uniforme portant droit des sûretés affirme la suprématie des dispositions
qu’il prévoit en la matière. Le rang de tous privilèges généraux créés par des textes spéciaux
doit être déterminé en fonction du classement opéré par le législateur de l’OHADA au risque
d’occuper le dernier rang. L’article 180 de l’Acte uniforme effectue un classement des
privilèges généraux. Les privilèges généraux, comme prévu par les États membres sont pour
la plupart issus du Code civil français à quelques aménagements près ; en effet certains pays
783
F. CHABAS, H. et L. MAZEAUD, J. MAZEAUD, Leçons de Droit civil, op.cit., n° 139, p. 215. Le créancier
privilégié prime les créanciers chirographaires, mais aussi, en principe les créanciers hypothécaires.
306
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
ont une liste moins détaillée. À l’analyse l’Acte uniforme réduit la liste des privilèges
généraux omettant ainsi certains privilèges initialement prévus par les États membres784.
Sûrement pour leur laisser le soin d’en créer d’autres à l’avenir par des textes spéciaux. La
justification d’une telle approche résiderait dans la nécessité d’« éliminer les privilèges qui ne
correspondaient plus à l’Afrique ni à l’époque actuelle, et de déterminer de manière aussi
précise que possible leur assiette et leur rang » 785.
572.
En quoi est-ce que « les frais quelconques de la dernière maladie quelle qu’en ait été la
terminaison, concurremment entre ceux à qui ils sont dus » ne sont pas adaptés à l’Afrique ?
À l’époque actuelle ? L’Afrique est le continent où l’idée de « solidarité » prise dans son sens
d’entraide est encore présente. La question de la santé, qui y est d’ailleurs sensible, fait partie
des domaines dans lesquels elle se manifeste. Les programmes de développement qui visent
l’amélioration des conditions de vie des populations en Afrique sont mis en place avec des
secteurs prioritaires tels que celui de la santé. En Côte d’Ivoire que ce soit le Programme
National pour le Développement Communautaire786 ou le Programme Présidentiel
d’Urgence787, l’amélioration et le renforcement des infrastructures sanitaires, la facilitation
des conditions d’accès aux soins, la réduction des coûts, sont mis en avant.
La volonté
d’adaptation du droit africain n’est donc pas véritablement atteinte du point de vue de ce
privilège lié à la santé ; surtout que rien ne fait obstacle à la reconduction par les législations
784
Selon l’article 180 de l’AUS, « sont privilégiés, sans publicité et dans l’ordre qui suit : 1°) les frais
d’inhumation, les frais de la dernière maladie du débiteur ayant précédé la saisie des biens ; 2°) les fournitures de
subsistance faites au débiteur pendant la dernière année ayant précédé son décès, la saisie des biens ou la
décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 3°) les sommes dues aux travailleurs et apprentis
pour exécution et résiliation de leur contrat durant la dernière année ayant précédé le décès du débiteur, la saisie
des biens ou la décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 4°) les sommes dues aux auteurs
d’œuvres intellectuelles, littéraires et artistiques pour les trois dernières années ayant précédé le décès du
débiteur, la saisie des biens ou la décision judiciaire d’ouverture d’une procédure collective ; 5°) dans la limite de
la somme fixée légalement pour l’exécution provisoire des décisions judiciaires, les sommes dues aux
organismes de sécurité et de prévoyance sociales ; 6°) dans la limite de la somme fixée légalement pour
l’exécution provisoire des décisions judiciaires, les sommes dont le débiteur est redevable au titre des créances
fiscales et douanières ».
785
J. ISSA-SAYEGH, Commentaire de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, in OHADA, Traité et
Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 946.
786
Le PNDC a été adopté en Conseil des ministres le 15 février 2012 et créé le 11 avril 2012 par l’Arrêté
N°0025/MEMPD/CAB du Ministre d’État, Ministre du Plan et du Développement. Cet arrêté a été modifié par
Arrêté du 11 avril 2013.
787
Le PPU a reçu l’appui du système des Nations Unies dans le cadre du Plan Prioritaire pour la Consolidation
de la Paix en Côte d’Ivoire.
307
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
nationales de privilèges supprimés dès lors qu’ils ne sont pas contraires aux dispositions de
l’Acte uniforme. L’uniformité tant recherchée volerait en éclat et la sécurité juridique serait
fragilisée.
573.
L’hypothèque. Selon l’article 190 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés,
« l’hypothèque est l’affectation d’un immeuble déterminé ou déterminable appartenant au
constituant en garantie d’une ou plusieurs créances, présentes ou futures à condition qu’elles
soient déterminées ou déterminables. Elle est légale, conventionnelle ou judiciaire ». Il est
vrai qu’en droit national, l’hypothèque est présentée comme « un droit réel sur des immeubles
affectés à l’acquittement d’une obligation ». Clairement, le législateur de l’OHADA a entendu
être plus précis quant à la nature de la créance pouvant faire l’objet de garantie et à la
détermination de l’immeuble affecté en garantie. Mais à y regarder de près, la définition issue
du Code civil demeure plus adaptée en ce qu’elle est plus simple et claire. L’utilisation d’un
terme général, à savoir « obligation » permet de viser de manière implicite les différents types
énumérés par le législateur de l’OHADA. Ce qu’il ne faut surtout pas oublier, c’est bien que
droit de l’OHADA, est jugé complexe pour ses destinataires. La définition retenue par le
législateur de l’OHADA, n’est pas plus précise que celle retenue en droit civil national. La
notion d’obligation renferme l’hypothèse d’un lien de droit présent ou futur, déterminé ou
déterminable, en vertu de l’accord des parties. L’adaptation tant recherchée n’en est pas
vraiment une, dans la mesure où le droit civil national des États membres reste présent.
§ 2. La prise en compte des sources sociologiques et coutumières du droit civil
national des États membres
574.
Hormis la transposition ou l’adaptation des principes et règles du droit civil par le
législateur de l’OHADA, celui-ci tient compte du droit civil des États membres en ayant la
sociologie africaine comme élément de référence (A), et en réalisant une insertion de
principes civilistes du droit coutumier dans l’ordre normatif de l’OHADA (B).
A. La sociologie africaine comme élément de référence
575.
Le législateur de l’OHADA, conscient des réalités africaines a su valoriser la communauté
(1), fondement de la société africaine et le règlement collégial des conflits (2).
308
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. La valorisation de la communauté
576.
La promotion des valeurs africaines. La construction du dispositif de l’OHADA ne s’est
pas totalement faite en marge des réalités africaines. Certains aspects sociologiques tels, l’idée
de communauté, ont été bien pris en compte. L’Afrique et cela est d’autant plus vrai pour
l’Afrique noire, possède une structure sociale caractérisée par l’idée de la « Solidarité » qui
est perçue au sein de la parenté et de l’alliance et qui ramène à l’impératif d’entraide, qui dans
l’épreuve, soumet les plus proches parents et alliés à des devoirs élémentaires de secours et
d’assistance. Cette solidarité naît et se développe au sein de la « communauté » qui décrit « un
ensemble de personnes et d’États qui ont des intérêts communs »788. « Presque partout en
Afrique Noire, la vie est commandée par certaines attitudes à l’égard des biens et des
personnes qui ne sont pas les attitudes courantes dans notre société occidentale. (…) Les
relations personnelles et notamment les liens de la parenté demeurent au premier plan »789. En
Afrique Noire, les liens de parenté ne sont pas uniquement pris dans le sens strict des liens de
sang ; certains mécanismes tels que, le jeu des alliances, permettent d’élargir la famille, la
communauté à des personnes d’autres Ethnies790, d’autres régions et même d’autres pays.
Malgré la mondialisation et l’importance accordée à l’essor économique, l’africain n’a pas
cessé de recourir aux siens, ses parents, ses voisins pour l’épauler, le soutenir dans une
situation. Est ainsi instaurée, « une solidarité à deux faces : s’il peut demander leur appui, eux
de leur côté comptent sur lui »791. La société y est marquée par les pactes, les alliances,
« relations à plaisanteries » ou « joking relationship ». Les relations à plaisanteries s’analysent
en des taquineries, des plaisanteries entre peuples, ethnies et familles. En Manding792, cela se
traduit par les relations de « senankuya », « gammu » en Wolof793. « La relation à
plaisanteries est une forme de relations d’amitié, qui est une combinaison singulière de
bienveillance et d’antagonisme, une relation d’amitié dans laquelle existe un antagonisme
788
H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, op.cit., p. 82.
789
D. PAULME, « Structures sociales traditionnelles en Afrique Noire », in Cahiers d’études africaines, 1960,
vol. 1, n° 1, p. 16.
790
Groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l’unité
repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe.
791
D. PAULME, « Structures sociales traditionnelles en Afrique noire », op. cit., p. 17.
792
Langue principalement parlée en Afrique de l’Ouest.
793
Langue parlée au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie.
309
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
apparent, contrôlé par des règles conventionnelles. Ces relations de plaisanteries sont à ranger
dans la catégorie des rivalités amicales »794. Leur rôle essentiel est un rôle de pacification et
dans cet « antagonisme joué », sa répétition régulière, l’hostilité apparente est la contrepartie
d’une amitié réelle795. Encore aujourd’hui, les relations à plaisanterie sont essentielles, dans
la mesure où elles sont utilisées dans les techniques modernes de résolution de conflits.
577.
L’entraide et la solidarité. De plus, l’économie de l’Afrique noire a reposé et continue de
reposer sur le secteur agricole, que ce soit à l’échelle familiale ou industrielle. Au sein d’une
famille, d’un groupe, le début du processus, marqué par la préparation de l’espace cultivable
jusqu’à la récolte en passant par la culture, n’est pas individuel. La coopération est un mode
traditionnel de gestion de la terre. L’activité est menée dans un climat d’entraide, de
répartition des tâches. Dans la conception africaine, la terre n’appartient pas à un individu
mais à la collectivité, au village, à la famille. Cette réalité a cependant entraîné
d’interminables conflits fonciers après les indépendances. En effet, à la faveur des
indépendances, dans le but de soutenir la migration du système de gestion coloniale à un
système de gestion autonome étatique, une politique agricole a été mise en place. Elle
consistait pour celui qui détenait des parcelles cultivables à les mettre à disposition de « bras
valides », généralement ressortissants de la zone anciennement dite Afrique Occidentale
Française (AOF), avec un partage de la récolte en contrepartie.
Étant entendu que la
rétribution tiendra compte de la teneur de l’investissement. « Le système communautariste est
un mode de pensée traditionnel des groupements familiaux, professionnels, artisanaux dont la
réussite passe avant tout par l’émergence du groupe avant la réussite individuelle »796.
578.
La coopérative. Les prémices de la coopérative telle qu’elle est connue aujourd’hui sont
ainsi constituées. Cependant, leur forme actuelle et moderne n’est due qu’à la volonté des
puissances coloniales. Elles entendaient utiliser les coopératives « comme d’un outil
stratégique pour regrouper les producteurs ruraux, de sorte que les cultures d’exportation
essentielles comme le café, le cacao et le coton puissent être collectées de façon plus
794
A.-R. RADCLIFFE-BROWN, Structure et fonction dans la société primitive, Paris, éd. de minuit, Coll.
Points sciences humaines, 1972, p. 124.
795
A.-R. RADCLIFFE-BROWN, Structure et fonction dans la société primitive, op.cit. p. 109.
796
G. SARR, « Les enjeux de la société coopérative : évolution et perspectives », Rev. ERSUMA, n°2, mars
2013, Doctrine, p. 188.
310
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
rentable 797 ». Le mouvement ne s’arrêta pas à la faveur des indépendances ; les nouveaux
dirigeants s’inscrivent dans une politique de promotion des coopératives qui devinrent
omniprésentes et se positionnèrent comme un outil essentiel pour le développement des zones
rurales. Les années 1990 dites années de privatisation, de libéralisation rendirent les
coopératives obsolètes pour un temps. Elles eurent un regain de vitalité avec la création de
Communautés, d’Organisations interétatiques, de groupes d’influences.
579.
Désormais les coopératives sont pensées comme « d’authentiques organisations d’entraide
enracinées dans les communautés locales, donnant la parole aux producteurs locaux et
renforçant les économies locales »798. L’Afrique noire est dotée d’un tissu économique pluriel,
qui mêle plusieurs fibres en l’occurrence des entreprises de capital, des sociétés dirons-nous
classiques et des structures plus spécifiques fondées sur l’idée de l’entraide. L’OHADA ne
pouvait dans sa volonté affichée de réaliser une intégration économique par le biais d’une
intégration juridique, occulter ces acteurs économiques ; ces acteurs qui bien qu’étant au
départ cantonnés au secteur agricole ont su étendre leurs tentacules à d’autres secteurs
essentiels de l’activité économique. En décidant de réglementer les sociétés coopératives,
l’OHADA a consacré le principe fondamental de ces structures, à savoir « la solidarité ». En
effet, l’article 4 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives dispose que « la
société coopérative est un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour
satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen
d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé
démocratiquement et selon les principes coopératifs » 799.
580.
La tontine. Un autre aspect de la structure coopérative, est matérialisé par « la tontine »,
ancrée dans les mœurs africaines encore aujourd’hui. En Afrique, « la tontine est la forme la
plus achevée et remarquable d’auto-organisation informelle des personnes à des fins de
797
P. DEVELTERE, I. POLLET, F. WANYAMA, L’Afrique solidaire et entrepreneuriale : La renaissance du
mouvement coopératif africain, Organisation Internationale du Travail, p 9.
798
P. DEVELTERE, I. POLLET, F. WANYAMA, L’Afrique solidaire et entrepreneuriale : La renaissance du
mouvement coopératif africain, op.cit., p 10.
799
Ces principes coopératifs sont « l’adhésion volontaire et ouverte à tous, le pouvoir démocratique exercé par
les coopérateurs, la participation économique des coopérateurs, l’autonomie et l’indépendance, l’éducation, la
formation et l’information, l’engagement volontaire envers la communauté » selon l’article 6 de l’AU.
311
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
mobilisation collectives de l’épargne et de crédit »800. Les origines de cette expression
remontent en France, avec le banquier napolitain TONTI qui l’a suggéré à Louis XV. Celui-ci
devait emprunter de l’argent sans le rembourser, en verser seulement chaque année la totalité
de l’intérêt correspondant aux seuls souscripteurs survivants jusqu’à ce que ce dernier
décède801.
581.
Le champ d’application de l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives. L’intérêt
de l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives, est qu’il ne limite pas son champ
d’application aux sociétés coopératives commerciales ; l’article 20 est très clair à ce propos :
« toute société coopérative a un objet qui est constitué par l’activité qu’elle entreprend et qui
doit être déterminée et décrite dans ses statuts ». Et l’article 21 de renchérir en précisant que
« l’objet de la société coopérative détermine le caractère civil ou commercial de celle-ci ». La
précision est importante dans la mesure où les règles applicables à la société seront différentes
selon qu’elle a un caractère civil ou commercial. Le droit commun des États membres
continuant à s’appliquer dans certaines hypothèses, notamment le régime de la preuve, il aura
vocation à s’appliquer pour une société coopérative civile. De même, un régime de
responsabilité civile est institué par le législateur de l’OHADA. L’action individuelle permet
au tiers ou au coopérateur d’engager la responsabilité du dirigeant sur le fondement de la
faute802. L’existence d’un préjudice devant être également établie tout comme celle du lien de
causalité. Nous percevons ici un clin d’œil à l’article vedette du Code civil qui demeure sous
l’ancienne numérotation au sein des États membres : l’article 1382803.
800
M.-R. TCHEUMALIEU FANSI, « Les imbrications entre les groupements tontiniers du secteur informel et
les banques et les établissements de microfinance du secteur formel », in l’effectivité du droit économique dans
l’espace OHADA, (sous. Dir.), David HIEZ, Séverine MENETREY, Paris, l’Harmattan, 2016, p. 236.
801
M. LELART, De la finance informelle à la microfinance, AUF et éd., des Arch. Contemp., 2006, p.9, V.
également S. BRAUDO, pour une définition de la tontine, Dictionnaire de Droit privé, nov. 2014.
802
L’article 122 alinéa 1 de l’Acte uniforme dispose que « sans préjudice de la responsabilité éventuelle de la
société coopérative, chaque dirigeant social est responsable individuellement envers les tiers des fautes qu’il
commet dans l’exercice de ses fonctions ».
803
Du moins pour la plupart. V. Côte d’ivoire : Article 1382 du Code civil ; Sénégal : article 118 du COCC ;
Guinée : article 1098 du Code civil ; Cameroun : article 1382 du Code civil ; Tchad : art. 1382 Code civil ;
Centrafrique : art. 1382 du Code civil ; Comores : art. 1382 du Code civil, Mali : art. 125 du RGO ; Congo : art.
1382 du Code civil ; Guinée-Bissau : art. 1969 et 1970 du Code civil ; Guinée équatoriale : art. 1902 du Code
civil ; Bénin : art. 1382 du Code civil ; Art. 119 du COCC du Sénégal.
312
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
582.
Le législateur de l’OHADA va plus loin puisqu’il tient compte de l’existence de sociétés
coopératives civiles en évoquant la solidarité. Solidarité de responsabilité dans l’hypothèse où
plusieurs dirigeants sociaux ont participé aux mêmes faits. L’article 1202 du Code civil en
vigueur au sein des États membres est sans équivoque : « la solidarité ne se présume point ; il
faut qu’elle soit expressément stipulée ». La précision de l’article 122 alinéa 2804 de l’Acte
uniforme n’est donc pas anodine. En vertu de la solidarité, l’un des dirigeants pourra être
amené à réparer l’intégralité du préjudice, puisque tous sont tenus à la même responsabilité en
raison de l’obligation à la dette. Il ne pourra pas invoquer le bénéfice de division, c’est-à-dire
qu’il ne peut exiger que le créancier divise ses recours entre les différents codébiteurs, en
agissant contre tous les codébiteurs pour leurs parts respectives. Le bénéfice de discussion ne
lui est pas non plus accordé. Ainsi, le recours en paiement intégral du créancier contre l’un
des codébiteurs ne nécessite pas que le créancier ait préalablement agi sans succès contre les
autres codébiteurs, car les codébiteurs solidaires sont tous tenus de la dette à titre principal, et
non à titre accessoire. Cependant, rien ne s’oppose à ce que le dirigeant qui a assumé
l’intégralité de la réparation du préjudice exerce une action récursoire contre les autres
dirigeants.
2. Le règlement collégial des conflits
583.
La collégialité et le règlement amiable des conflits. S’il est une autre spécificité africaine
que l’OHADA a su prendre en compte, c’est bien le règlement collégial, mais surtout amiable
des conflits. En Afrique, lorsqu’un conflit ou une mésentente éclate, ce n’est jamais
uniquement, ou ce n’est que rarement l’affaire des protagonistes. Le problème est résolu en
communauté ou la tentative de résolution débute dans le cadre du groupe, le but ultime étant
d’obtenir une issue pacifique. La volonté de résoudre les conflits justifie la place de choix
accordée aux procédures de négociation par les peuples africains. Dans la société africaine
traditionnelle, « l’échec d’une tentative de parvenir à une solution pacifique et négociée ouvre
la voie à d’autres alternatives : la conciliation et la médiation. Le rôle instrumental de la
médiation dans les sociétés africaines traditionnelles est attesté par de nombreuses traditions
orales. La médiation y était pratiquée de différentes manières dans des contextes différents.
804
« Si plusieurs dirigeants sociaux ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l’égard des
tiers ou des coopérateurs. Toutefois, dans les rapports entre eux, la juridiction compétente détermine la part
contributive de chacun dans la réparation du dommage.
313
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Des facteurs multiples entraient en jeu : l’objet du conflit, son importance, la personnalité du
médiateur et la réelle volonté des deux parties à aboutir à un compromis »805.
584.
La palabre, le tribunal coutumier. La « juridiction » qui connaissait des questions
essentielles est la « palabre », cadre d’organisation de débats contradictoires, d’expression
d’avis, de conseils, de déploiement de mécanismes divers de dissuasion et d’arbitrage. La
palabre, terme, qui désigne la parole, désigne également dans le contexte colonial français,
« une réunion judiciaire ou administrativo-judiciaire, organisée pour régler un différend plus
ou moins grave sur la base d’un mode dialogué, et non d’un mode autoritaire et imposé » 806.
La palabre se présente comme l’apanage de l’Afrique noire étant donné que sa conception ne
varie pas tant d’une société à une autre. Palabre, qui a pour garants moraux, les personnes
âgées, considérés en Afrique comme étant les dépositaires du savoir et de la sagesse et qui de
ce fait, les président en général. Les interventions dans le cadre de la palabre, ne se font
aucunement dans le désordre encore moins dans l’anarchie ; les échanges et la prise de parole
répondent à une certaine hiérarchie et un protocole. Les lieux sont choisis en raison du
symbole de sacralité qu’ils représentent ; la parole étant considérée comme sacrée en Afrique.
Ainsi sont retenus les grottes, les arbres d’où l’expression « arbre à palabre » ou des cases807.
La réunion dans le cadre de la palabre avait pour but de renforcer, de rétablir la cohésion et la
paix au sein de la communauté.
585.
L’institutionnalisation en droit uniforme. Il apparaît donc clairement que les modes
alternatifs de résolution des conflits, ont jadis existé avant d’être institutionnalisés par le
Traité fondateur de l’OHADA, l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage et à
certains égards l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution. En érigeant l’arbitrage comme
le mode de règlement de conflits par excellence, le législateur de l’OHADA bien que
souhaitant être moderne et ne pas être en marge des exigences de la mondialisation, n’a pas
oublié les destinataires de son dispositif juridique : les États africains. Même si l’OHADA ne
traite expressément que de l’arbitrage, elle n’écarte pas le règlement amiable par voie de
805
Cercle Horizon Club OHADA ORLEANS & NORTON ROSE, « Les Modes Alternatifs de Règlement de
Conflits (Marc) En OHADA », 17 et 18 Mars 2009,
[http://www.ohada.com/content/newsletters/1078/intervention6.pdf].
806
E. LE ROY, Les africains et l’institution de la justice entre mimétismes et métissages, éd. Dalloz, 2004, p. 4243.
807
Cabane, Habitation traditionnelle, généralement construite en matériaux légers, dans certains pays tropicaux.
314
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
conciliation ou de médiation. Un Acte uniforme, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en
Guinée et entré en vigueur le 23 février 2018, est relatif à la médiation.
La médiation. L’article 1er de l’Acte uniforme prévoit que, « le terme « médiation »
586.
désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un
tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou
d’un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou
autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des
entités publiques ou des États ». Le tiers sollicité pour mener une médiation est « le
médiateur » ainsi désigné indépendamment son appellation ou sa profession dans l’État Partie
concerné. Le même article explique que la médiation peut être mise en œuvre par les parties
(médiation conventionnelle), sur demande ou invitation d’une juridiction étatique (médiation
judiciaire), d’un tribunal arbitral ou d’une entité publique compétente. La médiation peut être
ad hoc ou institutionnelle. Cependant, l’Acte uniforme relatif à la médiation est d’un champ
d’application assez restreint. Il ne s’applique pas aux cas dans lesquels un juge ou un arbitre,
pendant une instance judiciaire ou arbitrale, tente de faciliter un règlement amiable
directement avec les parties808.
587.
Selon l’article 15 alinéa 2 de l’Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de
l’arbitrage, « les arbitres peuvent statuer en amiable compositeur lorsque les parties leur ont
conféré ce pouvoir ». L’amiable composition rapproche l’arbitrage de la conciliation dans la
mesure par ce procédé les parties dispensent les arbitres de l’obligation qui leur est faite de
statuer en appliquant les règles du droit, ce qui revient à les autoriser à statuer en équité en
recherchant la solution la plus adéquate809.
588.
La transaction. Un autre aspect de la prise en compte de l’aspect amiable dans la
résolution des conflits réside dans les dispositions de l’article 16 de l’Acte uniforme relatif à
l’arbitrage qui prévoit que l’instance arbitrale peut prendre fin en cas d’acquiescement à la
demande, de désistement, de transaction ou de sentence définitive. Contrat par lequel les
parties à un litige y mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques, la
transaction permet d’échapper à une résolution judiciaire du conflit, en cas d’échec de la
808
Article 2 de l’Acte uniforme relatif à la Médiation. Acte uniforme adopté le 23/11/2017 à Conakry en Guinée
et entré en vigueur le 23 février 2018.
809
Cass Civ. 2e, 10 juillet 2003 BICC n°587 du 15 novembre 2003.
315
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
procédure d’arbitrage. Le problème avec la transaction est que les parties ne peuvent
bénéficier des dispositions relatives à l’exequatur communautaire des sentences arbitrales
rendues sous l’égide de la CCJA, notamment la formule exécutoire.
589.
La conciliation de l’AUPSRVE. L’Acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, est en quelque sorte le siège du
règlement amiable des conflits en ce qu’il met en exergue la conciliation même devant les
juridictions. Aux termes de l’article 9 de cet Acte uniforme, le recours ordinaire contre la
décision d’injonction de payer est l’opposition. Celle-ci est portée devant la juridiction
compétente dont le président a rendu la décision d’injonction de payer. L’article 12 du même
Acte uniforme dispose que « la juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de
conciliation. Si celle-ci aboutit, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par
les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. » L’article 26 de l’Acte
précité, prévoit la même procédure de conciliation obligatoire dans le cadre de la procédure
simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé.
590.
Les centres d’arbitrage. La volonté du législateur de l’OHADA de vulgariser et de
promouvoir les modes alternatifs de règlements des conflits avec une primauté accordée aux
règlements amiables et négociés, transparaît également au niveau des États membres. Puisque
ces États, dans la dynamique du législateur de l’OHADA, qui entend de l’arbitrage le
mécanisme par excellence de règlement de conflits, ont créé des centres d’arbitrage qui
coexistent avec la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Installés dans l’espace
géographique d’États africains sur les territoires desquels l’attachement aux coutumes et à la
culture demeure, en dépit de la modernisation, ces centres d’arbitrage ont pris le parti de ne
pas limiter leur champ d’action à l’arbitrage pur et simple. Ces institutions ou centres ont tous
souhaité mettre également en œuvre des procédures de médiation et/ou de conciliation et d’où,
l’existence d’un règlement de médiation et de conciliation.
591.
En Côte d’Ivoire, le centre permanent d’arbitrage est dénommé Centre d’Arbitrage de Côte
d’Ivoire et ce centre a pour mission de mettre à la disposition des opérateurs économiques
deux modes alternatifs pour le règlement de leurs différends : la conciliation-médiation et
l’arbitrage810. Ce centre est logé au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie à l’instar
810
Article 2 du Décret n°92-19 du 8 janvier 1992 portant création de la Chambre de Commerce et d’Industrie de
Côte d’Ivoire.
316
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des autres pays membres. Il est doté d’un règlement dit règlement de médiation qui fixe les
conditions de la mise en œuvre de cette procédure. Au Sénégal également il existe de telles
institutions créées par le Décret n° 98-493 du 5 juin 1998 relatif à la création d’institutions
permanentes d’arbitrage au Sénégal, dont l’article 1er dispose que « l’institution permanente
d’arbitrage peut également proposer des procédures de médiation et de conciliation ».
Paradoxalement à cette prise en compte des réalités africaines par l’OHADA, du droit
coutumier, le recours à la médiation est moins fréquent que celui à l’arbitrage. En droit
français, la vulgarisation et la préférence affichée en faveur des modes alternatifs de
règlement des conflits, s’expliquent par des raisons budgétaires.
B. L’insertion de principes civilistes du droit coutumier dans l’ordre
normatif de l’OHADA
592.
Tenant compte de certaines spécificités de la société africaine marquée par son droit
coutumier, le législateur accorde une place certaine à l’oralité (1) et au témoin (2). Cette prise
en compte s’opère aussi bien en matière contractuelle qu’en matière processuelle.
1. La place de l’oralité en matière contractuelle
593.
Une société marquée du sceau de la tradition orale. Les sociétés africaines, du moins
celles de l’Afrique subsaharienne, font partie de ce que l’on pourrait appeler « des sociétés
sans écriture ». Elles sont marquées par la tradition orale qui se définit comme « la somme des
données qu’une société juge essentielles, retient et codifie, principalement sous forme orale,
afin d’en faciliter la mémorisation, et dont elle assure la diffusion aux générations présentes et
à venir »811. La tradition orale a toujours été le mécanisme par excellence de collecte et de
pérennisation des informations, des us et coutumes, de l’histoire. L’oralité était le contenant
de la mémoire collective et l’on pourrait dire que la tradition orale contribuait à fortifier la
société africaine. Était mise en place et conservée, une chaîne de transmission qui trouvait
toute son essence dans les relations de confiance créées entre les différents maillons de la
chaîne. En général, le rôle noble de matrice de conservation, revenait aux personnes âgées qui,
en Afrique, sont les « sages ». Il est indéniable qu’en Afrique, la mort d’un vieillard équivaut
à la destruction d’une bibliothèque. Que ce soit, pour effectuer des recherches, des études sur
la civilisation africaine, les interlocuteurs agréés, sont prioritairement les personnes âgées.
811
R. NDIAYE, « la Tradition orale : de la collecte à la numérisation », Conférence de l’IFLA Council and
General du 20 au 28 août 1999 à Bangkok. [http://archive.ifla.org/IV/ifla65/65rn-f.htm].
317
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
594.
La tradition orale est une caractéristique essentielle de l’Afrique qui du reste, n’a été
ouverte aux questions de l’alphabétisation et de l’écriture telles que connues actuellement,
qu’assez tardivement. Comme le soulignait Hamadou Hampâté Bâ, « la tradition orale est au
cœur de l’histoire de l’Afrique, de l’héritage de connaissance de tous ordres patiemment de
bouche à oreille et de maître à disciple à travers les âges »812. La connaissance de l’Afrique et
de tous ses secrets ne peut être valable en dehors de la tradition orale. Comment pourrait-il en
être autrement lorsque les groupes au sein d’une collectivité sont dotés d’une ou plusieurs
personnes dont la fonction est uniquement de transmettre les informations de manière orale,
de faire les éloges de la famille ou du groupe auquel il est affecté, toujours, il convient de le
rappeler, de manière dithyrambique ? Il s’agit du mécanisme des castes. Une caste est un
groupe social hiérarchisé, endogame et héréditaire. Le mot vient du portugais casta qui
signifie « pur, non mélangé », à rapprocher du français « chaste ». Parmi les castes, figurent
en Afrique les Nobles, les Forgerons et les Griots. En Afrique noire, le griot est un poète,
chanteur et musicien ambulant, appartenant à une caste professionnelle endogame et auquel
sont souvent attribués des pouvoirs surnaturels.
595.
Le griot, dépositaire de la tradition orale. Une des principales fonctions des griots et
griottes consiste à chanter les louanges des hommes libres. Poètes, musiciens, ils sont
dépositaires de la tradition orale. À la fois objets de mépris et de crainte, ils maintiennent, par
leur fonction sociale, la « littérature orale africaine ». En dépit des voix qui se sont élevées et
qui continuent de s’élever contre le phénomène des castes et donc la survie des griots, ceux-ci
n’ont jamais été aussi célèbres et plébiscités qu’aujourd’hui. Human Rights Watch fait partie
des structures qui condamnent ce phénomène, à travers ses rapports. « L’existence des castes
est un argument invoqué pour justifier le traitement discriminatoire, cruel, inhumain et
dégradant d’une partie importante de la population mondiale. Sur la majeure partie du
territoire asiatique ainsi que dans certaines parties de l’Afrique, la caste est le fondement sur
lequel reposent la définition et l’exclusion de groupes particuliers de population en raison de
leur ascendance »813.
813
Human Rights Watch, « la discrimination fondée sur la caste : Un problème aux dimensions globales »,
Rapport pour la Conférence des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l’intolérance qui y est associée. Durban, Afrique du Sud, septembre 2001.
318
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
596.
Le constat encore aujourd’hui est qu’en dépit de la modernisation de la civilisation
africaine, des effets la mondialisation avec le brassage de cultures, l’importation d’usages
d’autres civilisations marquées par l’écriture, l’Afrique reste marquée par la tradition orale qui
occupe une réelle place dans la société. En témoigne le recours systématique aux griots pour
l’annonce d’événements marquants au sein des familles. Dans le monde des affaires
également, les anciennes pratiques continuent d’avoir droit de cité. Bon nombre d’accords
continuent d’être conclus de manière orale et de nombreux engagements se passent de trace
écrite. Simplement parce que l’oralité demeure ancrée dans les habitudes de l’africain.
Sûrement en raison du fait que, selon un auteur « l’oralité valorise l’individualisation des
rapports sociaux, dans la mesure où la parole ne peut se propager au-delà d’une certaine zone
territoriale, les groupes concernés par la règle de droit en question ne peuvent être trop
éloignés les uns des autres ; ce qui implique une proximité sociale et géographique » 814. Le
contentieux a d’ailleurs été très vaste en Afrique pour ce qui concerne notamment la preuve
des obligations, des conventions et accords, en l’absence de tout écrit.
2. La place du témoin en matière contractuelle
597.
L’oralité et le témoignage. L’oralité est un caractère qui ne peut être dénié au continent
africain, en dépit de la modernisation de la société africaine. Les sources de l’histoire de
l’Afrique noire sont pour la plupart des sources orales. Dans une société où l’écriture dans son
acception moderne n’est apparue que plus tard dans l’histoire, la conservation des acquis de
l’histoire, la transmission des usages, des coutumes, des principes de vie, de gestion de la vie
en communauté, la mise en œuvre de la politique, l’exercice des activités telles que le
commerce étaient fondés sur des mécanismes particuliers. Pour faire la lumière sur ces
mécanismes il convient de s’intéresser à la définition de Jan VANSINA, concernant la
tradition, précisément ses traits caractéristiques. Selon l’auteur, « la tradition est orale, est
transmise et se rapporte au passé » 815.
598.
La transmission se fait justement dans une société empreinte d’oralité par le biais des
acteurs de la société, par leurs dires, leur mémoire personnelle et collective. Dans une telle
814
O. BALLAL, Les usages et le Droit OHADA, éd. P.U.A.M, Coll. Horizons Juridiques Africains, vol. 7, n°75,
p. 45.
815
J. VANSINA, De la tradition orale, essai de méthode historique, Annales, Economies, Sociétés, Civilisations,
vol. 19, n°6, 1964, p. 1184.
319
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
société, « la transmission par la bouche, la transmission par la mémoire » 816 ont contribué à
l’avènement d’un mécanisme précis, « le témoignage ». La notion de témoin est essentielle au
sein de la société africaine ; témoin de l’histoire, témoin au cours d’une transaction
économique, témoin au cours d’une affaire connue par notamment l’arbre à palabre. Par
exemple, en Afrique en l’occurrence dans la culture Malinké817, au cours de la célébration du
mariage, les futurs époux ne prennent pas la parole. Ce rôle est exclusivement dévolu aux
témoins choisis. Leur rôle est prépondérant et la cérémonie se déroule de telle sorte que l’on
croirait avoir affaire aux mariés.
599.
La prépondérance du témoin en matière contractuelle. Par ailleurs, le continent africain
dans son aspect Afrique noire surtout, possède un taux d’alphabétisation qui malgré une
croissance non négligeable demeure en deçà des attentes. Un facteur qui, a consolidé et
renforcé la place du témoignage dans la société africaine traditionnelle, qui laissait peu de
place à l’écrit au profit de l’oralité. Ainsi, lors de la prise d’engagement, la conclusion
d’accords, « la parole étant sacrée », les pactes étaient scellés de manière orale, la présence
d’un ou plusieurs témoins donnait dirons-nous, force probante à ces engagements. Encore
aujourd’hui, la présence d’écrits, la conclusion de contrats par écrit, n’exclut nullement la
présence de témoins. La preuve testimoniale conserve une place de choix qui ne s’est pas
effritée au fil du temps. Le législateur de l’OHADA bien que fils de son temps et soumis à la
mondialisation avec tout ce qu’elle comporte en termes d’exigences, a conservé dans son
dispositif juridique les aspects traditionnels de la société qu’il entend régir en droit des
affaires.
600.
Lorsque l’on se réfère au droit des sûretés, l’on perçoit sans équivoque le rôle primordial
accordé au témoin dans la formation et les effets des sûretés. Les espoirs fondés dans les
sûretés pour la sécurisation des investissements, du crédit, expliquent la volonté du
législateur, d’accroître son caractère incitatif. L’Acte uniforme portant organisation des
sûretés prévoit en son article 14 alinéa 2 que « la caution qui ne sait ou ne peut écrire doit se
faire assister de deux témoins qui certifient, dans l’acte de cautionnement son identité et sa
présence et attestent, en outre, que la nature et les effets de l’acte lui ont été précisés. La
816
J. VANSINA, op.cit., p. 1184.
817
Peuple d’Afrique de l’Ouest qui est à l’origine de la formation de tous les groupes Mandingues.
320
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
présence des témoins certificateurs dispense la caution de l’accomplissement des formalités
prévues par l’alinéa précédent »818.
601.
La protection de la caution analphabète ou illettrée. Le législateur, conscient du faible
taux d’alphabétisation instaure un mécanisme de protection de la caution analphabète ou
illettrée. La présence de témoins certificateurs est une exigence formelle qui vise à s’assurer
de la réalité et de la validité de la caution illettrée819. Le législateur a souhaité permettre aux
débiteurs de bénéficier du cautionnement de personnes alors même qu’elles ne sauraient ni
lire ni écrire. Ce, d’autant plus que les riches commerçants et hommes d’affaires africains
n’ont pas toujours connu l’instruction moderne. De plus, le cautionnement avec le législateur,
reconnaît au contrat de cautionnement un caractère consensuel, l’écrit n’ayant plus qu’une
valeur probatoire. La difficulté soulevée par l’admission du cautionnement de personnes
analphabètes concerne les vices du consentement qui pourraient affecter leur engagement.
Auront-elles la pleine mesure de ce à quoi elles s’engagent véritablement ? auront-elles
véritablement conscience du sens et de la portée de leur engagement ? L’apparition d’un vaste
contentieux est à craindre. Encore que l’erreur de la caution soit très peu admise par les
tribunaux.
602.
La preuve par tous moyens ou par témoin. L’Acte uniforme portant droit commercial
général ne fait pas exception à la volonté du législateur de plébisciter le témoin. L’article 176
dispose que « le mandat de l’intermédiaire peut être écrit ou verbal. Il n’est soumis à aucune
condition de forme. En l’absence d’un écrit, il peut être prouvé par tous moyens, y compris
par témoin ». Un acte juridique soumis aux règles de droit commun donc de droit civil,
relatives à la validité. Toujours, dans la sphère conventionnelle, l’Acte uniforme poursuit en
indiquant en son article 240 pour ce contrat qui demeure également soumis aux règles du droit
commun des contrats et de la vente qui ne sont pas contraires aux dispositions de l’Acte
uniforme que « le contrat de vente commerciale peut être écrit ou verbal ; il n’est soumis à
aucune condition de forme. Il est prouvé par tous moyens ». Moyens qui n’excluent pas la
preuve testimoniale.
818
Le cautionnement tel que pensé par le législateur de l’OHADA, tient compte de la place des témoins au sein
de la société africaine.
819
J. ISSA-SAYEGH, Commentaires sous Acte uniforme portant organisation des sûretés, in OHADA, Traité et
Actes uniformes OHADA commentés et annotés, Juriscope, 2018, p. 886.
321
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Les règles du droit de l’OHADA sont fortement inspirées du droit civil national. En effet, le
droit commun est transposé en droit de l’OHADA, lorsque ce ne sont pas ses sources qui sont
prises en compte.
Section 2. L’incursion du droit de l’OHADA dans la sphère du droit civil
603.
L’incursion du droit de l’OHADA dans le domaine traditionnellement réservé au droit civil
se manifeste par l’instauration d’un droit commun dans certains domaines (§ 1) tels que la
preuve, la prescription. L’élargissement et l’extension opérés par le droit de l’OHADA (§ 2)
en constituent également une manifestation.
§ 1. L’instauration d’un droit commun dans certains domaines par le droit de
l’OHADA
604.
La lecture des Actes uniformes de l’OHADA laisse entrevoir l’instauration d’un droit
commun de la preuve (A) et de la prescription (B).
A. Vers l’instauration d’un droit commun de la preuve
605.
Le dispositif actuel (1) et le projet d’uniformisation (2) permettent de se rendre compte de
la tendance à l’instauration d’un droit commun de la preuve.
1. Le dispositif actuel
606.
Quelques éléments conceptuels. Le concept de preuve doit être perçu dans une double
acception : d’une part en ce qu’elle constitue la démonstration de la véracité d’une
affirmation, jusqu’à la démonstration contraire, pour bénéficier d’un résultat juridique qui y
est attaché ; d’autre part, la preuve est aussi un procédé technique utilisé pour établir
l’existence d’un droit , ou soutenir une prétention juridique. La preuve telle que définie relève
de la théorie générale du droit et a de manière naturelle sa place dans le Code civil. Le
principe en la matière est ainsi formulé : « les éléments de fait, c’est-à-dire les faits, les actes
et les situations juridiques doivent être prouvés »820. Par opposition et par principe, « les
parties n’ont pas à prouver l’existence, le contenu ou la portée des règles juridiques qu’elles
invoquent pour appuyer leur prétention » 821. L’explication de ce dernier principe réside dans
820
F. TERRE, Introduction Générale au droit, op. cit., n°576, p. 480. V° de manière plus générale A. LEPAGE,
Recherche sur la connaissance du fait en droit, thèse Ronéot, Paris XI, 1998.
821
F. TERRE, Introduction générale au droit, op.cit., n° 589, p. 488.
322
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
le caractère général et abstrait de la règle qui s’impose de ce fait à tous. De même, le rôle du
juge dans le procès est de dire le droit quand les faits sont réservés aux parties822. Même si ce
principe est de moins en moins vérifié, il est exprimé par la formule « Da mihi factum, Dabo
tibi jus »823. Cinq modes de preuve sont admis en vertu de l’article 1315-1 du Code civil
français et de l’article 1316 des Codes civils des États membres de l’OHADA : « la preuve
littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l’aveu de la partie et le serment ». Comme
l’affirme le Professeur Raymond LEGEAIS, « la preuve se réalise grâce à des preuves » 824.
En la matière, la question concerne l’admissibilité et la force probante des modes de preuve.
L’admissibilité conduit à privilégier certains modes de preuve au point de les admettre
exclusivement dans certaines hypothèses. La force probante accrédite certains modes de
preuve d’une portée plus ou moins forte. La preuve littérale ou preuve par écrit a une forte
portée.
607.
La preuve en droit de l’OHADA. En droit de l’OHADA, le droit de la preuve tend à se
différencier de celui prévu par le Code civil puisque la preuve par écrit y a un rôle moins
déterminant dans la preuve des obligations. En principe, le législateur de l’OHADA ne serait
pas fondé à légiférer en droit général de la preuve comme le précisait le Professeur Philippe
TIGER dans les propos introductifs d’un colloque dédié à la question, car le droit de la preuve
« ne doit pas être confondu, ni même superposé avec les modalités particulières qu’en
organisent les droits spéciaux dont le droit des affaires »825. En mars 2001, le Conseil des
ministres avait décidé que le programme d’harmonisation inclurait désormais le « droit de la
preuve ». Prévu à l’origine pour se voir consacrer un Acte uniforme distinct, le droit de la
preuve fera l’objet d’une fusion avec le droit des contrats. Des questions se posent déjà quant
à la teneur d’un tel Acte uniforme, lorsque tout porte à croire qu’il sera abordé en termes
généraux. Mais, en marge de l’amorce de cette œuvre harmonisatrice, le législateur tend vers
la consécration de la liberté de la preuve comme principe. Le contrat de mandat jouit de la
822
H. MOTULSKY, Le rôle respectif du juge et des parties dans l’allégation des faits, Etudes de dr. Contemp.,
1959, Tome XV, pp. 355 et s.
823
J. DUPICHOT, « L’adage Da mihi factum, dabo tibi jus », Mélanges J.-L. AUBERT, Dalloz, 2005, pp. 425 et
s.
824
R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil. Permanences et transformations, Préf. R. SAVATIER,
L.G.D.J., 1955, spéc. p. 144.
825
Ph. TIGER, Actes du Colloque sur le droit de la preuve dans l’espace OHADA tenu à Paris le 9 février 2010.
Dossier publié, in RDUA, n° 01 p. 10.
323
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
liberté de la preuve tout comme le contrat de vente. L’écrit n’est cependant pas exclu du jeu
probatoire dans la mesure où il demeure le mode de preuve exigé pour certains contrats civils
des Actes uniformes.
608.
En clair, il apparaît que le législateur de l’OHADA pose les jalons de l’élaboration d’un
droit commun de la preuve à travers les Actes uniformes. Sa démarche est simple et consiste à
ne pas rejeter totalement le mode de preuve par excellence qu’est l’écrit en droit civil. Tout en
mettant en exergue la liberté de preuve qui a valeur principielle en droit commercial. Le
législateur a retenu des mécanismes de preuve à la frontière du droit civil et du droit
commercial. En vue de l’ouverture de la procédure de conciliation, le demandeur doit fournir
des documents, lorsqu’il dépose sa requête aux fins de règlement préventif. Ces documents
prennent la forme d’un extrait d’immatriculation au registre du commerce et crédit mobilier,
de documents comptables qui doivent être datés, signés et certifiés conformes. Ils serviront à
apporter la preuve de la situation économique du requérant et ainsi de l’opportunité d’ouvrir
une procédure de conciliation. La valeur accordée à la preuve par l’écrit demeure, même si
elle apparaît de manière implicite. Dans le même temps la preuve par tous moyens est
également admise. Par exemple, dans le cadre de la vérification de créances, le créancier
dispose d’un délai de trente (30) jours à compter de la réception de cet avis pour fournir ses
explications écrites ou verbales au juge commissaire.
2. Le projet d’uniformisation
609.
Le droit prospectif. L’ambition du législateur de l’OHADA qui n’apparaît que de manière
implicite dans le dispositif juridique actuel, ne fait plus l’ombre d’un doute. Dans l’Avantprojet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats confié au Professeur Marcel
FONTAINE, la matière de la preuve n’est pas traitée, car un autre Acte uniforme devait y être
consacré. Par la suite, il a été décidé de fusionner le droit des contrats et le droit de la preuve
dans un texte unique si bien que la mission confiée à la Fondation pour le droit continental
était d’une autre envergure. Il leur incombait d’élaborer un projet de texte uniforme portant
droit général des obligations dans l’espace OHADA. L’intitulé du projet en lui-même
interroge, en ce qu’il rentre en contradiction avec le domaine du droit de l’OHADA. Droit de
l’OHADA qui est par principe, un droit des affaires, un droit spécial, constitué de règles
particulières, dérogatoires au droit commun. Comment expliquer qu’il soit envisagé d’adopter
un texte qui viendra uniformiser le droit des obligations, intrinsèquement rattaché au droit
civil ? Le projet est un texte uniforme.
324
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
610.
La nature du texte uniforme. Qu’est-ce à dire ? S’il s’agissait d’un Acte uniforme,
l’intitulé aurait été clair. Aura-t-on affaire à une loi type comme l’ont suggéré certains
auteurs ? L’intérêt de la réponse réside dans la force obligatoire du texte qui est différente
selon qu’il prendra la forme d’un Acte uniforme ou d’une loi type. L’Acte uniforme étant
caractérisé par sa force obligatoire, viendra s’imposer au droit des obligations national qui ne
survivra que de manière résiduelle, lorsqu’il ne sera pas contraire aux dispositions de l’Acte
uniforme. Dans l’hypothèse inverse, la loi type est une forme de directive qui donne les
grandes orientations aux législateurs nationaux. L’utilisation de formules très générales par les
concepteurs du projet laisse penser que le texte proposé est une loi d’orientation. Ils sont les
premiers à admettre la difficulté pour les États membres de renoncer à leur souveraineté dans
de vastes domaines tels que le droit des obligations, de la preuve et de la prescription.
611.
Dans le projet, est traitée dans un même chapitre, la preuve de l’existence et de l’extinction
des obligations afin d’éviter l’inconvénient du Code civil. Le chapitre 6 est ainsi intitulé « la
preuve des obligations et leur exécution ». Selon l’Article 527 « les moyens de preuve retenus
par la loi sont : l’écrit, le témoignage, la présomption, l’aveu, le serment ». L’article 527 vient
expliciter la volonté du législateur de l’OHADA en consacrant à la fois le moyen de preuve
par excellence en droit civil et la liberté de probatoire en droit commercial. Mais, il apparaît
une prééminence accordée à la liberté de preuve puisque l’Article 528 poursuit en disposant
que « Tous les moyens de preuve retenus par la loi peuvent être utilisés pour la preuve des
faits juridiques et des obligations commerciales ». Les rédacteurs de ce projet en utilisant des
termes généraux, surtout pour l’article 528, posent les jalons d’un véritable droit commun de
la preuve.
612.
Le problème n’est pas tant que le législateur de l’OHADA s’intéresse à la question de la
preuve. Il aurait été plus opportun qu’il s’intéresse à ces aspects méconnus du droit commun
des États membres. En sa qualité de droit des affaires, donc en principe de droit spécial, le
législateur de l’OHADA aurait mieux fait de légiférer sur des points qui présentent des enjeux
certains, en raison de l’évolution du droit. Par exemple, la question de la preuve est de plus en
plus indissociable de celle du principe de précaution.
B. La prescription, une généralisation au niveau des institutions
613.
Un droit commun de la prescription est instauré en matière commerciale (1) et un projet
d’instauration d’un régime général de la prescription extinctive est envisagé (2).
325
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. L’instauration d’un droit commun de la prescription en matière commerciale
614.
Précisions conceptuelles. L’ancien article 2219 du Code civil français, tel qu’en vigueur
au sein des États membres de l’OHADA, dispose que « la prescription est un moyen
d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par
la loi »826. La prescription est définie par un moyen et une fin. Selon le Professeur Soraya
AMRANI-MEKKI, « la prescription est définie par un moyen et une fin. Son moyen est
l’écoulement d’un laps de temps et sa fin, un effet acquisitif ou extinctif. Seul l’effet extinctif
concerne le temps de l’action. Le droit utilise le temps pour inciter les justiciables à agir en
justice. Ce faisant, il pose une limite temporelle à la protection judiciaire des droits
substantiels » 827. Le siège de la prescription est le droit civil, qui en énonce les règles
communes et générales. C’est même l’article 2219 nouveau du Code civil qui définit la
prescription extinctive. « La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit
résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». La définition
s’applique indépendamment du domaine concerné. Des règles spéciales, des délais particuliers
sont établis pour des matières spéciales et des acteurs tout aussi particuliers. En matière
commerciale, il est généralement admis que le délai de prescription est fixé à 5 ans pour les
obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et
non-commerçants. La durée de ce délai identique à celle prévue en matière civile pour les
paiements des salaires, des loyers, les charges locatives, les pensions alimentaires en vertu de
l’article 2277 du Code civil français828.
615.
L’option du législateur de l’OHADA. Avec l’Acte uniforme portant droit commercial
général, le législateur de l’OHADA a retenu en l’article 18, un délai de cinq (5) ans également
pour obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre
commerçants et non commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à
des prescriptions plus courtes. Il s’agissait du seul texte consacré à la prescription, ce qui
dénotait le souci de ne pas remettre en cause le caractère spécial du droit commercial. La Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage semble l’affirmer lorsqu’elle décide en son arrêt en date
826
Cet article a été modifié par la Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière
civile. La définition est reprise par Gérard CORNU dans le Vocabulaire juridique, 12e éd., 2018, p. 794.
827
S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procès civil, Paris, Dalloz, Coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2002,
n°30, pp. 32-33.
828
Tel qu’appliqué au sein des États membres de l’OHADA.
326
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
du 23 novembre 2017 que : « viole l’article 18 de l’AUDCG, l’arrêt qui soumet le litige né
entre commerçants à l’occasion de leur commerce, à la prescription de droit commun prévue
par le droit national alors que l’article 18 précité prévoit une prescription quinquennale »829.
616.
Le nouvel Acte uniforme. À l’avènement du nouvel Acte uniforme, la démarche du
législateur est toute autre. Deux chapitres sont entièrement consacrés à la prescription : un
concernant le statut des commerçants et un autre pour l’entreprenant. L’analyse de ces
dispositions montre que le législateur de l’OHADA définit le régime de la prescription allant
ainsi bien plus loin que la fixation d’une simple durée. La prescription est définie, ses
spécificités précisées en comparaison avec la forclusion, la computation des délais abordée,
les conséquences de la suspension de la prescription ainsi que les effets de la prescription sont
précisés. Le sentiment est celui de l’élaboration d’un régime général de la prescription à
l’instar du droit civil. D’autant plus que la plupart des nouveaux articles relatifs à la
prescription sont identiques aux articles des Codes civils des États membres. Emprunté au
droit commun, ce régime n’a pas une grande spécificité. L’on assiste à la création d’un droit
commun de la prescription commerciale qui serait inspiré, en grande partie, selon le
Professeur Akueté Pedro SANTOS, de la loi française n° 2008-561 du 17 juin 2008830. Le
législateur de l’OHADA s’écarte ainsi de son objectif principal qui est l’harmonisation du
droit des affaires. Cette harmonisation devrait se limiter aux questions qui se rattachent
directement au droit des affaires.
2. Le projet d’adoption d’un régime général de la prescription extinctive
617.
La disparition de l’obligation avec le temps dans le projet. Le législateur de l’OHADA
ne s’est pas limité à instaurer une sorte de droit commun de la prescription en droit
commercial. Il a formulé des vœux qui ont été exaucés dans le projet de texte uniforme de la
Fondation du droit continental. Un chapitre 5 traite de la disparition d’une obligation avec le
temps en distinguant très nettement, d’une part, le délai de prescription et, d’autre part, le
délai préfix et la forclusion.
La prescription est définie par l’article 512 comme étant
« l’extinction de l’obligation au terme d’un délai fixé par la loi sans action en justice du
créancier contre le débiteur ». Et le texte de poursuivre en précisant que « sauf textes
particuliers, le délai et le régime de la prescription sont soumis aux dispositions suivantes ».
829
CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 201/2017 du 23 novembre 2017. [www.legiafica.com].
830
A.-M. LEROYER, « Réforme de la prescription civile. Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la
prescription en matière civile (JO 18 avr. 2008, p.9856) », RTD civ. 2008, pp.563 et s.
327
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
La définition identique à celle générale du Code civil est sans équivoque quant à la volonté
d’instaurer un droit commun de la prescription. À l’instar de tout texte général, l’alinéa 2
traite des dérogations prévues par des textes spéciaux.
618.
Les délais en matière civile et commerciale. Il ressort du chapitre relatif à la prescription
que deux délais de prescription sont consacrés selon que l’obligation est civile (dix ans) ou
commerciale (cinq ans), ce dernier délai étant conforme à l’Acte uniforme OHADA relatif au
droit commercial général notamment l’article 18 AUDCG. Qu’un texte censé relever du droit
des affaires définisse le délai de prescription lorsque l’obligation est commerciale, n’appelle
pas d’observation particulière. Mais que le même texte s’intéresse aux obligations civiles pose
un réel problème. Dans la mesure où le caractère supranational du droit de l’OHADA
viendrait vider le droit civil national es États membres du peu de substance qui lui reste. Le
schéma est identique en matière d’interruption des délais de prescription. La distinction est
faite entre obligations civiles, obligations commerciales et actions dirigées contre les
professionnels.
619.
L’encadrement de la notion. Le chapitre consacré à la prescription encadre la notion, en
relevant notamment les caractères du délai de prescription qui en principe ne peut être modifié
et également que le moyen d’exception qu’elle constitue n’est pas d’ordre public mais
d’intérêt privé, si bien qu’un tiers y ayant intérêt peut le soulever. Les situations particulières
ne sont pas occultées puisqu’il est précisé le point de départ du délai en cas d’obligation
conditionnelle, d’action en garantie, la fin de la mission des professionnels ayant représenté
ou assisté les parties…). De nouvelles causes d’interruption du délai de prescription sont
prévues (saisine d’un arbitre, d’un médiateur ou d’un conciliateur ; saisine d’une juridiction
incompétente…).
620.
La question des actes mixtes. Le projet de texte uniforme ne vise pas expressément la
prescription relative aux actes mixtes. Ces actes sont de nature commerciale pour une des
parties et de nature civile pour l’autre. L’Acte uniforme portant droit commercial général
prévoit à l’article 16 que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre
commerçants, ou entre commerçants et non-commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles
ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes. Cette prescription extinctive est soumise
à la loi régissant le droit qu’elle affecte ». En effet, les actes mixtes sont visés lorsque le
législateur de l’OHADA traite d’obligations nées entre « commerçants et non-commerçants ».
Dans la mesure où la question a été régulièrement soumise à la CCJA des précisions auraient
328
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
dû être apportées au dispositif existant dans le cadre du droit prospectif. De telles précisions,
au lieu de trouver leur siège dans un projet de texte assez général, auraient pu prendre la
forme d’un avis après consultation ou d’une décision.
621.
L’apport de la CCJA. Dans son arrêt du 29 juillet 2016, la Cour communautaire apporte
« un éclairage sur la démarcation entre la prescription quinquennale de l’article 16 et la
prescription biennale de l’article 301, alinéa 2, de l’Acte uniforme relatif au droit commercial
général »831. La CCJA rappelle que « la prescription de l’article 301, alinéa 2, n’est applicable
qu’en cas de vente commerciale. Or, ne constitue pas une vente commerciale la vente de
marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique, sauf si le vendeur,
avant ou lors de la conclusion de la vente, ne savait pas et n’était pas censé savoir que les
marchandises avaient été achetées pour un tel usage. En conséquence, se fondant sur l’article
235 de l’AUDCG, la CCJA décide que la prescription biennale de l’article 301, alinéa 2, est
inapplicable à un contrat de vente d’une voiture conclu entre un concessionnaire et un
particulier »832. La Haute juridiction africaine a été amenée à connaître d’une affaire relative à
la détermination de la prescription. Ainsi dans son arrêt du 25 janvier 2018, les juges ont
retenu que « la prescription selon l’article 301 de l’AUDCG n’implique que des actes
commerciaux et non des actes mixtes ». Il en ressort implicitement que la question des actes
mixtes est résolue par l’article 16 de l’AUDCG. La CCJA « confirme la distinction essentielle
entre la prescription biennale applicable en matière de vente entre commerçants et la
prescription quinquennale de droit commun »833. Le projet de texte uniforme, en son article
513 dispose que « le délai de la prescription extinctive est de : dix (10) ans pour les
obligations civiles ; de cinq (5) ans pour les obligations commerciales et les professionnels ou
autres personnes représentant ou assistant les parties ; trois (3) ans pour les obligations
payables périodiquement par année ou à des termes plus courts ». Il est indéniable qu’il
n’entend pas étendre sa sphère d’influence aux actes mixtes.
831
E. NSIE, « OHADA, la prescription des obligations commerciales », LEDAF, déc. 2017, n° 11, p. 1.
832
CCJA, 2e Ch., 29 juill. 2016, n°204/2016.
833
M.-N. DONAT-MANDIANGU, « Prescription d’une créance, conditions d’injonction de payer et
responsabilité du commettant », LEDAF, juill. 2018, n°07, p. 5.
329
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
§ 2. L’élargissement et l’extension opérés par le droit de l’OHADA
622.
Dans la continuité de l’idée selon laquelle le droit de l’OHADA est fortement marqué par
le droit civil, il doit être relevé l’extension des mécanismes de droit commercial (A) de même
que l’élargissement et l’extension des solutions du droit civil (B).
A. L’extension des mécanismes de droit commercial
1. L’extension des notions et des institutions
623.
Une ouverture du droit commercial au droit civil. L’Acte uniforme relatif aux sûretés
est bien celui qui a marqué l’ouverture du droit commercial tel qu’il est connu, au droit civil.
Cet Acte uniforme a créé, en remplacement des warrants sans dépossession, une sûreté unique
appelée gage des stocks. Selon l’article 120 de l’Acte uniforme, anciennement article 100,
« sans préjudice des dispositions de la présente sous-section, les matières premières, les
produits d’une exploitation agricole ou industrielle, les marchandises peuvent faire l’objet
d’un gage en application des dispositions des articles 92 à 117 du présent Acte uniforme »834.
Cette nouvelle sûreté n’est plus strictement réservée aux seuls commerçants. Tous les
professionnels devraient pouvoir recourir à cette sûreté dès lors qu’ils opèrent sur les stocks
relevant de cette énumération. Le droit de l’OHADA part du droit commercial classique dont
il étend les tentacules à d’autres matières, d’autres acteurs.
624.
Les règles applicables à un acte donné sont différentes selon que l’on a affaire à un acte de
nature civile ou à un acte de commerce. La validité d’un acte de nature civile est notamment
soumise à la capacité civile de l’auteur tandis que l’auteur de l’acte de commerce est tenu
d’avoir la capacité commerciale. Parlant de commercialité un acte est réputé de commerce en
raison de sa nature, ou selon la théorie de l’accessoire ou en raison de sa forme. La théorie de
l’accessoire a pour rôle d’éviter la séparation de deux éléments matériellement ou
juridiquement liés l’un à l’autre835. L’acte de commerce par la forme est l’acte qui, une fois
accompli par une personne la soumet au droit commercial indépendamment de l’objet de
L’article 100 définissait le stock en précisant que “les matières premières, les produits d’une exploitation
agricole ou industrielle, les marchandises destinées à la vente peuvent être nantis sans dépossession par
l’émission d’un bordereau de nantissement, à condition de constituer un ensemble déterminé de choses fongibles
avant l’émission du titre” ».
834
835
M. COTTET, Essai critique sur la théorie de l’accessoire en droit privé, Paris, L.G.D.J, 2013, n° 18, p. 17.
330
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
l’acte et du statut de son auteur. En la matière et à l’origine, parmi les effets de commerce836,
titres négociables qui constatent l’existence au profit du porteur d’une créance à court terme et
servent à son paiement837, seule la lettre de change838 est reconnue comme acte de commerce
par la forme. Cela peut être expliqué par le fait que contrairement au warrant ou au billet à
ordre, la lettre de change fait obligatoirement intervenir un fournisseur et un client dans le
cadre d’opérations commerciales. La lettre de change est toujours de nature commerciale peu
importe son utilisateur ou l’objet de la créance pour laquelle elle a été émise. Le billet à
ordre839 par exemple n’est un acte de commerce que dans la mesure où sa signature intervient
dans le cadre d’une transaction commerciale. Le droit majoritairement applicable au sein des
États membres en matière commerciale était celui issu du Code de commerce de 1807 hérité
du droit français. L’article 632 réputait acte de commerce par la forme la signature de la lettre
de change.
625.
L’application de solutions commerciales. Avec l’avènement de l’OHADA, l’Acte
uniforme portant droit commercial général a apporté un réel changement sur la question.
Selon l’article 4, « ont notamment le caractère d’actes de commerce, par leur forme, la lettre
de change, le billet à ordre et le warrant ». Ces effets de commerce se voient aujourd’hui
appliquer, sans égard à leur nature civile ou commerciale, par extension, des solutions
commerciales. Le législateur de l’OHADA étend la commercialité par la forme à tous les
effets de commerce, à l’exclusion du chèque. La solution est assez radicale dans la mesure où
ce n’est plus uniquement la signature de l’acte qui est constitutive de l’acte de commerce mais
836
On compte parmi les effets de commerce la lettre de change, le billet à ordre, le chèque. Les effets de
commerce sont des moyens de paiement utiles aux entreprises dans le cadre de relations commerciales avec des
délais de paiement. Cela permet de sécuriser et formaliser les conditions de paiement.
837
G. RIPERT, R. ROBLOT, (Par) Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU, Traité de Droit des
affaires, Effets de commerce et entreprises en difficultés, op. cit., n°1, p. 9.
838
La lettre de change est un titre qui remis par le tireur au bénéficiaire, donne à celui-ci, ou à celui qui est à son
ordre, le droit de se faire payer, à une date déterminée, une certaine somme d’argent par le tiré. V. G. RIPERT,
R. ROBLOT, (Par) Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU, op.cit., n°5, p. 13. V. également sur la
question, J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, effets de commerce, chèque, carte de paiement,
transfert de fonds, 8e éd., Paris, LexisNexis, 2012, n°11, p.26.
839
le billet à ordre est un titre par lequel une personne s’engage à payer une somme déterminée, à une date
déterminée, à un bénéficiaire ou à l’ordre de celui-ci. V° Ph. DELEBECQUE, N. BINCTIN, L. ANDREU,
op.cit., n° 215, p. 119. Considéré comme un des moyens de paiement et de crédit, son régime s’apparente
beaucoup à celui de la lettre de change avec quelques points de divergence. La lettre de change met en relation
trois personnes lorsque le billet à ordre n’en met que deux. La lettre de change doit absolument être acceptée par
le tiré contrairement au billet à ordre.
331
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
c’est bien l’acte lui-même de manière intrinsèque. Le billet à ordre et le warrant entrent dans
le champ de la commercialité et ne peuvent désormais être que des actes de commerce. Cette
approche du législateur de l’OHADA est contestable. La mise en œuvre par ces effets de
commerce de procédés fondamentalement commerciaux ne justifie pas l’extension de la
commercialité aux non-commerçants et aux actes ayant pour objet une activité de nature
civile.
2. La généralisation des mécanismes
626.
L’incursion du droit civil. Les mécanismes réservés au droit commercial, droit spécial,
ont été pénétrés par le droit civil avec tout ce qu’il a de général. C’est par exemple le cas des
modes alternatifs de résolution de conflits tels que l’arbitrage, classiquement réservés au
règlement de litiges nés des échanges à caractère commercial. En vertu de l’article 29 du
Traité OHADA, « en application d’une clause compromissoire ou d’un compromis
d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence
habituelle dans un des États parties, soit que le contrat soit exécuté en tout ou en partie sur le
territoire d’un ou de plusieurs États, peut soumettre un différend d’ordre contractuel, et
nonobstant son caractère civil ou commercial, à la procédure d’arbitrage ». Tous les différends
d’ordre contractuel, peuvent être soumis à l’arbitrage indépendamment de leur nature
commerciale ou civile. Le droit de l’OHADA n’a établi aucune distinction entre le contrat
civil et le contrat commercial.
627.
L’objectif du législateur de l’OHADA est une uniformisation du droit des affaires en
Afrique. Cette uniformisation passe suivant la démarche du législateur par une uniformisation,
une généralisation des mécanismes ou institutions. En matière de prescription, les délais
retenus pour les actes entre commerçants et qui relèvent du domaine du droit commercial ont
été étendus aux actes mixtes840. Selon l’article 16 alinéa premier de l’Acte uniforme portant
droit commercial général, « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre
commerçants, ou entre commerçants et non-commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles
ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes » 841.
840
Les décisions de la CCJA viennent confirmer cette application du délai de prescription prévu par l’article 16
de l’AUDCG aux actes mixtes.
841
La CCJA retient cette approche large de la notion de créance ayant une origine contractuelle puisque dans un
arrêt du 30 juin 2009, elle retient la compétence du tribunal de commerce en dépit du fait que le conflit était
social. En effet elle a estimé qu’il s’agissait en l’espèce d’ordonner le paiement d’une créance qui représente le
332
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
628.
Le recouvrement de créances. Le recouvrement de créances constitue le talon d’Achille
du droit des affaires africain, en ce qu’il donne lieu à un vaste contentieux. Certaines
procédures ont été simplifiées en vue de faciliter de renforcer la sécurisation desdites
procédures. L’article 2 premièrement de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution prévoit que « la procédure d’injonction
de payer peut-être introduite lorsque la créance a une cause contractuelle ». Une conception
large de la notion de créance ayant une cause contractuelle est retenue. La procédure susvisée
peut être introduite aussi bien pour une créance de nature commerciale, civile ou même
relevant du droit du travail. Par exemple, « la procédure d’injonction de payer peut-être
engagée par le preneur pour obtenir le remboursement de sommes versées conformément aux
stipulations du contrat de bail lorsque le bailleur reconnaît avoir reçu lesdites sommes n’a pu
mettre les locaux loués à sa disposition »842. Il a été également décidé qu’« en cas de
défaillance du débiteur principal portée à la connaissance de la caution, celle-ci peut être
poursuivie en remboursement par la procédure d’injonction de payer »843. De plus, « dès lors
que tout le matériel commandé a été livré de jour dans locaux du débiteur et le véhicule
convoyant le matériel déchargé par ses préposés, il y a lieu d’affirmer qu’il a bel et bien existé
un mandat apparent entre le débiteur et son préposé et que partant, la créance a une origine
contractuelle et est certaine »844. La créance peut ainsi être recouvrée par la procédure
d’injonction de payer dans ce cas également. A contrario et sans que cela n’appelle de
contestation, « les créances d’origine délictuelle ne peuvent donner lieu à une procédure
d’injonction de payer »845.
montant de retenues illicites opérées par une société sur les droits légaux et conventionnels calculés par
l’administration du travail et acceptés par ladite société.
842
CCJA, Arrêt n° 048/2005 du 21 juillet 2005, société civile particulière Brule Mouchel dite SCP BM et a. c/
société Loteny Télécom dite telecel : Juris OHADA 2006, n° 1, p. 21.
843
CCJA, 1ère Ch., Arrêt n° 38/2018 du 22 février 2018. La Cour communautaire rappelle que « la créance de
ACEP Cameroun résulte d’une convention de prêt et que sa certitude, sa liquidité et son exigibilité ne sont pas
contestées ; c’est à bon droit que le juge a accédé à la demande en paiement de ACEP à travers la procédure
d’injonction de payer de la somme de 5 508 692 FCFA ».
844
CCJA, 3e Ch., Arrêt n° 10/2°18 du 25 janvier 2018, Aff. Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours
(Association religieuse de droit ivoirien), c. M. DJOUKA AMON Hilaire.
845
CCJA, Assemblée plénière, Arrêt n° 25/2017 du 02 mars 2017. Société Forestière Hazim Chéhade et
Compagnie (SFH & Cie SA) et consorts, c. État du Cameroun représenté par le Ministère des Finances et le
Ministère des Forêts et de la Faune.
333
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
L’origine contractuelle de la créance permet de mettre en œuvre la procédure d’injonction
629.
de payer encore qu’il faille réunir les conditions propres à la créance à savoir les caractères
certain, liquide et exigible. En effet, les conditions de l’article 1er et de l’article 2 de
l’AUPSRVE, relatives aux caractères de la créance, à sa nature, sont cumulatives. La CCJA
confirme cette exigence à travers sa décision du 21 janvier 2016 puisqu’elle rappelle que « la
mise en œuvre de la procédure d’injonction de payer suppose non seulement l’existence d’une
créance certaine, liquide et exigible mais aussi et surtout que cette créance ait une cause
contractuelle ou qu’elle résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce ou
d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante »846. Dans un ordre
d’idée similaire, la CCJA a décidé que « la créance ne remplit pas les conditions de liquidité,
certitude et d’exigibilité lorsque le créancier n’a pas exécuté les obligations contractuelles
pour lesquelles il réclame paiement »847. Simplement, de l’exécution des obligations nées du
contrat dépend la détermination des caractères attachés à la créance. Le législateur de
l’OHADA se lance dans une forme d’unification des modes de résolution des différends. Ce,
au détriment du droit civil national des États membres.
B. L’élargissement et l’extension des solutions de droit civil
630.
Le législateur adhère au renouveau de la théorie du contrat (1) et à l’extension des sûretés
civiles au droit des affaires (2).
1. Le renouveau de la théorie du contrat
631.
Une mutation de la conception du contrat. Le droit commercial et le droit des affaires
évoluent vers le droit économique. Cela est perceptible au niveau du droit commercial
international dont le dispositif juridique laisse apparaître un recul des intérêts individuels en
faveur de l’intérêt économique. Il y a encore quelques années, le droit commercial était
fortement adossé aux notions de « commerçants », « sociétés commerciales », « activités
commerciales ». Aujourd’hui et de plus en plus ce sont des notions économiques qui règnent
en maître. Nous entendons par là « l’entreprise », « l’activité économique », « les biens
économiques », « le professionnel ». Le droit de l’OHADA n’est pas en reste puisque le droit
qu’il secrète relève bien plus du droit économique que du droit des affaires. N’est-ce pas
846
CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 03/2016 du 21 janvier 2016. Aff. BICICI c. FOLDAH-KOUASSI Yolande.
[www.legiafrica.com].
847
CCJA, 2e Ch., Arrêt n° 24/2018 du 08 février 2018. Société Yaouré Mining SA c. Société Gestion,
Comptabilité et Etude de Faisabilité, en abrégé GCEF.
334
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’ailleurs le droit de l’OHADA qui a créé sur mesure un statut « d’entreprenant » afin de
capter le secteur informel 848 ?
632.
L’analyse économique du contrat. Si en droit civil, les intérêts particuliers des parties
étaient primordiaux en matière contractuelle, il convient de noter que la théorie économique
du contrat a droit de cité aujourd’hui. L’analyse économique du contrat désigne le contrat
comme « une opération économique fondée sur l’équilibre objectif ou subjectif des valeurs
échangées. Tout contrat n’est en définitive qu’un échange de valeurs »849. En clair le contrat
est aujourd’hui une valeur économique qui doit survivre aux difficultés qui surviennent en
cours d’exécution. Il n’est plus simplement défini comme un lien de droit entre plusieurs
personnes mais il représente bien plus. La théorie économique se penche sur l’idée selon
laquelle une transaction est mutuellement profitable entre les parties. La théorie économique
du contrat retient le maintien du contrat comme principe et érige la nullité comme une
solution exceptionnelle. Cette nouvelle approche du contrat a acquis ses lettres de noblesse
grâce au droit des entreprises en difficulté. Le contrat y est considéré comme un bien au
service de l’entreprise ; un bien qui doit survivre aux difficultés de l’entreprise. Le contrat est
utile à l’entreprise, il fait partie de son patrimoine. Une analyse économique du contrat qui a
pénétré le droit des obligations. L’objectif commun de sauver, de sauvegarder l’entreprise est
étendu au droit des obligations et donne lieu à la volonté de maintenir le contrat850.
633.
La réforme du droit des contrats français. La réforme du droit des contrats français
répond à une volonté de remettre l’aspect économique au cœur du dispositif. Le préambule du
rapport remis au Président de la République est sans équivoque. « En réformant le droit des
contrats, le législateur a proclamé avoir été inspiré par un souci d’efficacité économique et de
compétitivité ». Le Professeur Frédéric ROUVIERE constate que « cette réforme est
848
Article 30 de l’Acte uniforme révisé portant Droit commercial général, alinéas 1 et 2 : « l’entreprenant est un
entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme,
exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole. L’entreprenant conserve son statut
si le chiffre d’affaires annuel généré par son activité pendant deux exercices successifs n’excède pas les seuils
fixés dans l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises au titre du
système minimal de trésorerie ».
849
J. GHESTIN, « Le contrat en tant qu’échange économique », in Revue d’économie industrielle, vol. 92, 2e et
3eme trimestres 2000. Économie des contrats : bilan et perspectives, sous la direction de Éric Brousseau et JeanMichel GLACHANT, n°5, p. 84.
850
Le droit des procédures collectives a introduit le facteur économique dans le contrat en le considérant comme
un bien et a contribué à l’évolution de la théorie générale du contrat, au-delà du cadre de la procédure collective.
335
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
fortement inspirée par le Cadre Commun de Référence (C.C.R) européen pour une unification
du droit des contrats. Cette inspiration est très nette dans la forme comme dans le fond . (…)
dans le fond, l’ordonnance reprend massivement l’idée du raisonnable, de la souplesse, de
l’équilibre nécessaire entre les buts contradictoires et les valeurs » 851. Ainsi, selon lui, « nous
sommes en présence d’une volonté de mise en conformité avec les valeurs voulues par
l’Europe. Si le contrat est bel et bien pensé comme un instrument au service du marché et de
la libre circulation, c’est bien par cette voie qu’il s’imprègne des idées de l’analyse
économique du droit »852.
634.
De même, le choix des termes économiques témoigne de cette volonté de mettre le droit
au service de l’économie et de la promotion d’une appréciation économique du contrat. Ainsi,
« la contrepartie prend la place et suggère une appréciation plus quantitative que qualitative.
La notion d’avantage est elle aussi directement issue de l’analyse économique du droit »853. Il
faut que chaque partie réalise un gain, qu’elle obtienne ce qu’elle désire854.
« L’enrichissement sans cause » est remplacé par la traduction anglaise de « injust
enrichment », « l’enrichissement injustifié ». Il en va de même pour l’idée d’information qui
est en relation directe avec d’innombrables théories économiques855. Il y a encore ces termes
qui ramènent à la proportionnalité et l’équilibre économique comme le déséquilibre
significatif, en vertu de l’article 1171 du Code civil français856, la disproportion de l’article
1221 du Code civil.
635.
L’adhésion du législateur de l’OHADA. Le législateur de l’OHADA adhère pleinement à
cette nouvelle théorie. L’article 283 alinéas 1 et 2 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit
commercial général, dispose que « Si l’acheteur invoque dans les délais fixés aux articles 258
et 259 du présent Acte uniforme un défaut de conformité des marchandises livrées, le vendeur
851
F. ROUVIERE, « Les valeurs économiques de la réforme du droit des contrats », RDC, n°03, 10/09/2016, p.
600.
852
F. ROUVIERE, « Les valeurs économiques de la réforme du droit des contrats », ibid.
853
E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, Analyse économique du droit, 2e éd., Dalloz, Coll. Méthodes du droit,
Paris, 2008, n° 1295, p. 362.
854
J. GORDLEY, Foundations of Private Law: Property, Tort, Contract, Unjust Enrichment, Oxford University
Press, 2006, p. 333.
855
E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, Analyse économique du droit, op.cit., n° 983, p. 266.
856
Cet article traite des clauses abusives en matière de contrat d’adhésion.
336
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
a la faculté d’imposer, à ses frais exclusifs et sans délai, à l’acheteur le remplacement des
marchandises défectueuses par des marchandises conformes. En outre, l’acheteur peut
convenir avec le vendeur d’un délai supplémentaire pour le remplacement, aux frais exclusifs
du vendeur, des marchandises défectueuses par des marchandises conformes. L’Acte
uniforme relatif aux contrats, du moins l’avant-projet, prévoit un droit à la réparation ou au
remplacement de l’objet et tout autre moyen de remédier à une exécution défectueuse. Le
contrat peut donner lieu à une rupture unilatérale si le manquement est grave. La gravité est
appréciée par le juge. Ainsi, l’objectif est de sauver le contrat, de parvenir à obtenir son
exécution en mettant en place des mécanismes. La démarche du législateur de l’OHADA est
cohérente. L’intégration juridique portée par le droit de l’OHADA vise, à terme, une
intégration économique. L’élément essentiel de l’œuvre d’intégration est l’investissement. La
préservation des investissements, leur sécurisation, leur pérennisation, sont au cœur de
l’action du législateur de l’OHADA. La consécration d’une théorie économique du contrat,
consistant à réduire les cas de résolution du contrat, est parfaitement justifiée.
636.
L’imprévision. L’introduction en droit privé français de la théorie de l’imprévision
témoigne de cette mutation vers une théorie économique du contrat. Le terme « imprévision »
est utilisé pour désigner les situations où un contrat, dont l’exécution est échelonnée dans le
temps ou du moins différée, voit son équilibre profondément bouleversé par suite d’un
changement imprévisible des circonstances qui avaient présidé à sa conclusion, de sorte que
son exécution devient excessivement difficile pour la partie au détriment de laquelle s’opère
ce déséquilibre857. La jurisprudence était au XIXe siècle hostile à l’admission de situations
d’imprévision. Le célèbre arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876 témoigne de ladite
hostilité. La Cour de cassation avait décidé que « la règle que consacre l’article 1134 du Code
civil étant générale et absolue et régissant notamment les contrats à exécution successive, il
n’appartient pas aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de
prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des
parties et substituer des clauses nouvelles à celles qu’elles ont librement acceptées ». La force
obligatoire du contrat est alors préservée et plébiscitée. Le Professeur Pascal ANCEL précise
cependant que « sans vouloir en aucune manière diminuer l’importance de cet arrêt (…), on
doit souligner que cette importance n’est pas apparue immédiatement et qu’elle est largement
le fruit d’une construction doctrinale postérieure. (...) Il est assez douteux qu’en 1876 la Cour
857
P. ANCEL, « imprévision », Répertoire de Droit civil, Dalloz, Mai 2017.
337
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
de cassation ait eu conscience de fixer la règle en matière d’imprévision, même si,
objectivement, l’attendu de principe exprime bien cette règle »858. C’est bien au débat
doctrinal qui naît et qui prend de l’ampleur que la consécration juridique de la théorie de
l’imprévision est due.
637.
Le législateur français a attendu plus d’un siècle après l’arrêt Canal de Craponne pour
entendre les voix qui s’élevaient. Selon l’article 1195 du Code civil, « si un changement de
circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement
onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut
demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses
obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent,
ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord
dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y
mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». L’imprévision résulte de ce fait, d’un
changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat et qui rend
l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en
assumer le risque. Les changements de circonstances visés dans le cadre de l’imprévision
semblent être ceux essentiellement économiques tels que l’évolution de l’offre et de la
demande sur le marché ou l’inflation monétaire. L’ordonnance prévoit, en ne perdant pas de
vue la sauvegarde du contrat, un triple mécanisme : une renégociation, une adaptation ou une
révision ; la solution ultime en cas d’échec de toutes ces solutions étant la résolution du
contrat. Dans une approche similaire, le législateur de l’OHADA écarte la possibilité de
rompre le contrat en prenant n’importe quelle inexécution comme fondement. Il revient à la
858
P. ANCEL, « imprévision », Répertoire de droit civil, Dalloz, mai 2017. L’auteur précise que c’est dans les
années 1920 que naît l’intérêt de la doctrine civiliste pour l’imprévision ; il en veut pour preuve le grand nombre
de thèses soutenues dans la période. Par exemple les thèses de LOUVEAU (Théorie de l’imprévision en droit
civil et en droit administratif, 1920), VOIRIN (De l’imprévision dans les rapports de droit privé, 1922), BRUZIN
(Essai sur la notion d’imprévision et sur son rôle en matière contractuelle, 1922), FYOT (Essai d’une
justification nouvelle de la théorie de l’imprévision à l’égard des contrats portant sur des objets autres qu’une
somme d’argent, 1921) . La question est également abordée dans les thèses de GUEULETTE (Effets juridiques
de la guerre sur les contrats, thèse, Paris, 1918) et de J. RADOUANT (Du cas fortuit et de la force majeure,
thèse, Paris, 1920). Selon l’auteur la plupart des auteurs de ces travaux ne considèrent pas que la question a été
définitivement tranchée par l’arrêt de 1876 (à peine cité comme on l’a déjà dit) et militent pour une
reconnaissance de la théorie de l’imprévision par la jurisprudence civile, sur des fondements variés.
338
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
partie qui souhaite résoudre le contrat d’apporter impérativement la preuve d’un manquement
essentiel859.
638.
La consécration de la théorie de l’imprévision en droit de l’OHADA. Aussi, le
législateur de l’OHADA consacre-t-il à son tour la théorie de l’imprévision à l’article 162 du
Projet de réforme. Selon cet article, « en cas de bouleversement des circonstances, la partie
lésée peut demander l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard
injustifié et être motivée. La demande ne donne pas, par elle-même, à la partie lésée le droit
de suspendre l’exécution de ses obligations. Faute d’accord entre les parties dans un délai
raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le président de la juridiction compétente ». Le
législateur de l’OHADA accorde au juge, les pouvoirs de résolution et d’adaptation du
contrat. L’exigence de la preuve de manquements essentiels pour la résolution du contrat et la
consécration à venir de l’imprévision en droit de l’OHADA, marquent une évolution vers une
approche économique du contrat. D’autant plus que les Actes uniformes n’abordent pas
directement pour l’heure la question de l’imprévision, il est indispensable de relever que
l’article 12 de l’Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route fait
référence aux circonstances qui affectent la livraison de la marchandise860. Par ailleurs, la
définition que l’article 294 alinéa 2 de l’AUDCG donne de la force majeure, est peu
convaincante. Il prévoit que « constitue un cas de force majeure tout empêchement
indépendant de la volonté et que l’on ne peut raisonnablement prévoir dans sa survenance ou
dans ses conséquences ». Le Législateur de l’OHADA ne définit-il pas ainsi la force majeure
de manière extensive y incluant ainsi l’idée d’imprévision ? La force majeure est définie par
ses caractères imprévisible, irrésistible et extérieur. La définition retenue par le législateur de
l’OHADA est assez générale pour entretenir le doute et laisser entrevoir une possibilité d’y
intégrer la théorie de l’imprévision. N’est-elle pas présentée comme la survenance
859
Confère article 281 de l’Acte uniforme révisé portant droit commercial général ; selon ce texte : « toute partie
à un contrat de vente commerciale est fondée à en demander au juge compétent la rupture pour inexécution totale
ou partielle des obligations de l’autre partie. Toutefois, la gravité du comportement d’une partie au contrat de
vente commerciale peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. La
gravité du motif de rupture est appréciée par le juge compétent à la demande de la partie la plus diligente. Quelle
que soit la gravité du comportement, la partie qui l’invoque peut-être tenue de respecter un préavis avant de
notifier à l’autre partie sa décision unilatérale. Faute de préavis suffisant, l’auteur de la rupture engage sa
responsabilité même si la juridiction admet le bien-fondé de la rupture. La partie qui impose ou obtient la rupture
du contrat peut obtenir en outre des dommages-intérêts en réparation de la perte subie et du gain manqué qui
découlent immédiatement et directement de l’inexécution ».
860
Acte uniforme adopté le 22/03/2003 et entré en vigueur le 01/01/2004.
339
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’événements imprévisibles, qui affecte de manière déterminante l’exécution du contrat ? Le
pas qui consiste à assimiler force majeure et théorie de l’imprévision à l’aune du droit de
l’OHADA ne doit cependant pas être franchi.
2. L’extension des sûretés de nature civile au droit des affaires
639.
L’indifférence de la nature des sûretés en droit de l’OHADA. Une sûreté est une
garantie fournie pour l’exécution d’une obligation. La notion a été de tout temps, rattachée au
droit civil. Pour preuve le siège du droit des sûretés est localisé dans le Code civil. Il est vrai
que l’exigence de confiance et la célérité voulues pour la conduite des transactions
commerciales dans le monde des affaires ont rendu nécessaire le recours aux sûretés dans ledit
domaine. La matière commerciale et le monde des affaires donc ont capté les sûretés. Le droit
de l’OHADA ne déroge pas à cette règle, appliquant l’Acte uniforme portant droit des sûretés
à tout type de sûreté. En effet, selon cet Acte uniforme, « une sûreté est l’affectation au
bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir
l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature
juridique de celles-ci et notamment qu’elles soient présentes ou futures, déterminées ou
déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et que leur montant soit fixe ou
fluctuant »861. Le législateur de l’OHADA énonce une définition extensive de la notion de
sûreté. La définition est extensive quant à la nature des biens pouvant servir de garantie et à la
nature des sûretés. Il apparaît sans équivoque que le champ d’application de l’Acte uniforme
est étendu aux sûretés civiles et aux sûretés commerciales.
640.
Le droit des sûretés offre des garanties au créancier d’obtenir l’exécution d’une obligation
en sa faveur. En réalité, ce domaine offre des garanties complémentaires à celles prévues par
les articles 2284 et 2093 du Code civil français, qui disposent respectivement que :
« quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses
biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir » et que « les biens du débiteur sont le gage
commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il
n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». Ces dispositions sont
insuffisantes quant à l’octroi de garantie de paiement au créancier. Les sûretés réglementées
par le Code civil quand bien même elles se sont développées en dehors, restent pour certaines
indissociables du droit civil de manière intrinsèque. Les sûretés personnelles que sont le
861
Article 1er de l’Acte uniforme révisé portant droit des sûretés.
340
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
cautionnement et la garantie autonome sont exclusivement régies par les différents Codes
civils des États membres. Codes qui en donnent la définition, en précisent les contours et le
mode de constitution. En traitant de ces sûretés de manière générale, dans le cadre du « droit
des affaires de l’OHADA », le législateur de l’OHADA, transcende leur domaine originel.
641.
Les attributs attachés aux sûretés. Les effets et attributs attachés aux sûretés en
l’occurrence le droit de préférence, le droit de suite, sont régis par le droit civil. Le droit de
préférence est l’avantage que détiennent certains créanciers limitativement désignés par la loi
d’être payés avant d’autres créanciers. La notion de droit préférentiel a été définie comme
visant « tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la
perception de sa créance »862. Le droit de préférence constitue une exception au principe de
l’égalité des créanciers. Le droit de suite est la prérogative qui appartient à certains créanciers
d’exercer leurs droits sur un bien en quelque main qu’il se trouve. Ce droit appartient ainsi au
créancier hypothécaire et d’une façon générale à tout titulaire d’un privilège. Droit de
préférence et droit de suite sont une composante des droits réels. En effet, alors que le droit de
suite permet au titulaire du droit réel d’exercer ce droit sur la chose, le droit de préférence
intervient en cas de conflit entre le titulaire d’un droit réel et un titulaire d’un droit
personnel863. Ces prérogatives sont prévues expressément par le droit civil. Le législateur de
l’OHADA les rattache également aux sûretés relevant du droit commercial.
L’instauration ou la volonté d’instauration d’un droit commun, en certaines matières,
caractérise l’incursion du droit de l’OHADA en droit civil national. L’élargissement et
l’extension des mécanismes et solutions sont également des manifestations de l’influence que
le droit civil exerce sur le droit de l’OHADA.
862
M. CABRILLAC, S. CABRILLAC, Ph. PETEL, Ch. MOULY, Droit des sûretés, 10e éd., Paris, LexisNexis,
2015, V. sur la question, n°582, p. 427.
863
H.-A. BITSAMANA, Dictionnaire OHADA, op.cit., V°. Droit(s) réel (s), p. 133.
341
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU CHAPITRE
642.
Le droit civil est caractérisé par des règles générales, étendues et extensives. Il constitue le
droit commun, la boussole qui oriente les droits spéciaux. En retenant des règles générales, le
dispositif juridique de l’OHADA prend des distances avec ce qu’il est attendu d’un droit
spécial. Cela est d’autant plus vrai qu’il s’approprie dans l’élaboration des règles communes,
les dispositions de droit civil national. Il est également question du dépassement par le droit
communautaire africain de sa sphère. Certains domaines retenus dans le champ d’application
matériel du droit de l’OHADA sont marqués du sceau « droit commun » tant les dispositions
sont générales ou extensives.
342
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
CONCLUSION DU TITRE 1
643.
Un domaine et un concept aux caractéristiques civilistes. La construction du droit de
l’OHADA a été faite en étroite relation avec le droit civil national des États membres de
l’organisation. Le droit civil national a marqué l’élaboration des règles du droit de l’OHADA.
Tout d’abord, le domaine étendu et extensif du droit communautaire intègre des matières
relevant du droit civil. L’empreinte du droit civil national est perceptible au niveau du champ
matériel du droit de l’OHADA. Le concept même de « droit des affaires de l’OHADA » ne
peut être défini de manière idoine, si référence est faite à des critères classiques du droit des
affaires. Tant, le critère institutionnel, que le critère de la finalité du droit des affaires,
n’apportent pas satisfaction quant à la perception de ce droit singulier. Le recours à des
critères spécifiques au droit de l’OHADA, notamment, les contextes historique et économique
qui ont donné lieu à la création de l’OHADA, apporte des pistes de réflexion. Le Traité
fondateur et le préambule qui constituent le droit primaire, sont autant d’éléments à prendre en
compte dans la recherche du concept de « droit des affaires de l’OHADA ». Le législateur de
l’OHADA a opté pour un modèle d’intégration juridique particulier qui emporte pour
conséquences, le caractère étendu et extensif du domaine de l’OHADA. Le droit dérivé subit
les effets de cette option, dans la mesure où la généralisation des textes est à noter. Par
exemple, l’Acte uniforme relatif au droit des sûretés est un véritable droit commun en la
matière. Il est le cadre de référence en matière de droit des garanties.
644.
L’empreinte du droit civil dans l’élaboration du droit de l’OHADA. Aussi, le
législateur de l’OHADA n’a-t-il pas fait preuve d’originalité, lorsqu’il s’est inspiré du droit
civil national des États membres dans le cadre de la mise en place de son cadre juridique. En
matière, principalement de droit des sûretés, les règles du droit civil ont été transposées à
l’identique, malgré des cas d’adaptation en certains aspects. La sociologie africaine et les
institutions fortes de la société africaine telles que la coopérative, le règlement amiable et
collégial des conflits, ont été prises en compte par le législateur de l’OHADA. Le droit
coutumier n’a pas été occulté dans la construction du droit de l’OHADA avec la mise en
exergue du témoin. L’instauration d’un croit commun de la preuve et de la prescription est un
indicateur à prendre en compte. Si l’on y ajoute l’élargissement des solutions et mécanismes
aussi bien du droit commercial, que du droit civil, alors, réponse est apportée la question de la
place du droit civil national au sein du droit de l’OHADA.
343
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Titre 2. L’AUTONOMIE LIMITÉE DU DROIT DE L’OHADA
645.
La question de l’autonomie s’est longtemps posée concernant le droit des affaires quant à
ses rapports avec le droit commercial. Étant voulu comme un droit des affaires, le droit de
l’OHADA n’échappe pas à cette interrogation à laquelle toute discipline qui se veut spéciale,
doit faire face. L’autonomie est le pouvoir de se déterminer soi-même. C’est la caractéristique
en vertu de laquelle l’on se suffit à soi-même, l’on peut être apte à produire seul un plein effet
de droit. L’étude du dispositif juridique et du cadre institutionnel de l’OHADA amène à
prendre conscience d’une réalité : le droit des affaires de l’OHADA jouit d’une autonomie
limitée. L’effectivité du droit de l’OHADA n’est pas totale et reste freinée par des carences.
Le droit civil, droit commun exerce une influence sur le droit de l’OHADA ; influence qui
prend la forme de recours au droit commun. Le droit de l’OHADA et l’organisation qui l’a
fait naître ne sont pas aussi puissants qu’ils en ont l’air. Des faiblesses existent et tiennent au
cadre institutionnel qui présente des limites ainsi qu’à la dépendance à l’égard du droit
commun des États membres. Le dispositif juridique qui en certains aspects présente des
contradictions et le maintien d’un dispositif contraignant là où l’exigence d’attractivité est
encore d’actualité, ne militent pas en faveur du droit de l’OHADA. En fait, les faiblesses du
droit de l’OHADA (Chapitre I) et l’absence d’autosuffisance du droit de l’OHADA
(Chapitre II) empiètent sur l’efficacité et la légitimité du droit de l’OHADA
Chapitre 1. LES FAIBLESSES DU DROIT DE L’OHADA
646.
Les carences qui affectent le droit de l’OHADA sont avant tout liées aux institutions qui
soutiennent l’œuvre harmonisatrice. Le Traité en certaines de ses dispositions, les organes
créés en certaines de leurs attributions et dans des modalités de fonctionnement posent
problème. Au-delà de l’aspect institutionnel, il ne faut pas perdre de vue les faiblesses d’ordre
normatif qui concernent la pertinence ou la question du caractère inadapté de certaines
dispositions. Résoudre ces épineuses questions, revient à traiter les faiblesses d’ordre
institutionnel (Section 1) et les faiblesses d’ordre normatif propres au droit de l’OHADA
(Section 2).
344
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Section 1. Des faiblesses d’ordre institutionnel
647.
Le cadre institutionnel du droit de l’OHADA est limité (§1) dans la mesure où le
fonctionnement n’est pas exempt d’imperfections et qu’il est fortement concurrencé par des
institutions internationales (§ 2).
§ 1. Un cadre institutionnel limité
648.
Le fonctionnement des institutions (A) et le processus normatif qui en est issu (B) sont en
cause en la matière.
A. Le fonctionnement des institutions
649.
Le fonctionnement des institutions est limité par les faiblesses du Traité (1) et
l’inadaptation dudit fonctionnement (2).
1. Les faiblesses du Traité fondateur
650.
Le Traité, texte fondamental de l’OHADA ? Le Traité est l’acte fondateur de l’OHADA
et par voie de conséquence du droit qui en découle. Il est au sommet de la hiérarchie des
normes relative à l’OHADA et énonce de ce fait les principes directeurs de l’œuvre de
l’organisation interétatique. Les différents Actes uniformes, règlements de procédures,
sentences, avis ne sont en principe élaborés, émis qu’en conformité avec le Traité instituant
l’OHADA. C’est bien parce que le Traité fixe les attributions générales de la CCJA que le
règlement de procédure vient en préciser les contours. Les Actes uniformes ne sont élaborés
qu’en raison de l’énumération des matières qu’ils réglementent à l’article 2 du Traité. Ce traité
n’a pas fait et ne parvient toujours pas à faire l’unanimité en ce qu’il est encore accusé de
nombreux maux en dépit de sa révision. Avant que la révision n’intervienne, l’on comprenait
aisément les vives critiques des praticiens et des auteurs, puisque le cadre institutionnel de
l’OHADA se développait en marge du Traité. En effet, les arrangements de N’DJAMENA
sont intervenus lors de la mise en route des institutions de l’OHADA et ont énoncé des règles
de répartition des institutions et des fonctions en leur sein. La survie de ces arrangements
après la mise en œuvre du Traité instituant l’OHADA dérangeait fortement, car elle remettait
en cause la philosophie de l’Organisation. Le cas des postes de juges à la CCJA était en
contradiction formelle avec les termes du Traité864. Les accords de N’DJAMENA sont
évoqués simplement parce qu’en dépit de leur abolition le Traité OHADA n’a pas défini de
864
Anciens articles 31, 32 et 37 du Traité de l’OHADA.
345
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
critères liés au mérite dans le choix des magistrats de la CCJA et des dirigeants du Secrétariat
permanent.
651.
Le renforcement limité du cadre institutionnel. En vue de renforcer le cadre
institutionnel de l’OHADA, la création d’institutions avait été proposée et prévue. Si la
Conférence des chefs d’État et de gouvernement a vu le jour et l’ERSUMA a connu une
réforme, l’institutionnalisation des Commissions Nationales et la précision de leur rôle n’ont
pas été au cœur de la révision du Traité. Alors que ces commissions sont essentielles et
nécessaires dans l’élaboration des Actes uniformes. Elles viennent suppléer l’absence
d’intervention des parlements nationaux dans l’élaboration et l’adoption des Actes uniformes.
Cette absence de consécration des commissions par le Traité, fragilise le cadre institutionnel
de l’OHADA puisque chaque État conserve la latitude de les mettre en place ou non et de les
organiser à sa guise. Leur consécration textuelle ne ferait que renforcer la légitimité du droit
de l’OHADA en raison de l’implication de praticiens nationaux. Que l’appréhension de
commissions nationales échappe au contrôle du Traité de l’OHADA censé être le cadre
juridique originel de l’Organisation, met en lumière les limites du Traité. Les commissions
connaissent un essor considérable qui n’a fait qu’être amplifié au fil de l’élaboration des Actes
uniformes. La volonté des acteurs nationaux de restaurer certains aspects de la souveraineté
qu’ils ont cédés aux institutions communautaires explique sûrement cet état de fait.
652.
La résistance des États membres. Le Traité fondateur de l’OHADA est resté fidèle à luimême en conservant le champ d’application matériel de l’OHADA. La modification de
l’article 2 qui cristallisait les critiques acerbes était attendue et réclamée. Il était attendu que le
domaine de l’harmonisation soit recentré, parce qu’il commençait à embrasser plus le droit
économique que le droit des affaires865 et que le droit civil national était vidé de sa substance.
L’imprécision du domaine du droit de l’OHADA et son caractère illimité, ne seraient pas
étrangers à la résistance de certaines juridictions nationales qui entendent maintenir leurs
prérogatives et la suprématie du droit civil national. Au-delà des juridictions, ce sont bien les
États membres qui continuent de résister et essaient de conserver leur pouvoir législatif même
dans des matières entrant désormais dans le domaine du droit des affaires de l’OHADA. Par
exemple, en matière de saisie conservatoire, le nouveau Code d’organisation et de compétence
judiciaire de la République Démocratique du Congo, dispose en son article 111 : « quelle que
soit la valeur du litige, les présidents des tribunaux de paix, ou, à défaut, les présidents des
865
A. HARISSOU, « Le nouveau traité OHADA : Forces et faiblesses », RDUA, 00, 1er trimestre 2010, p. 2.
346
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
tribunaux de grande instance, là où les tribunaux de paix ne sont pas installés, peuvent
autoriser les saisies-arrêts et les saisies conservatoires en matière civile ou commerciale ».
Or, l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution donne formellement compétence au « président de la
juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui » qui seul peut «
statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une
saisie conservatoire ». Il s’agit clairement du juge des référés qui n’existe pas encore en
République Démocratique du Congo.
2. Un fonctionnement peu satisfaisant
653.
Des institutions limitant l’œuvre de l’OHADA. Il ressort de l’article 3 du Traité
fondateur de l’OHADA tel que révisé que la réalisation des tâches prévues au présent Traité
est assurée par une organisation dénommée Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA). L’OHADA comprend la Conférence des Chefs d’État et de
Gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et le
Secrétariat permanent. Pour l’application effective du droit de l’OHADA et l’atteinte des
objectifs d’intégration juridique, des missions sont confiées à quatre organes. Le caractère
d’organisation supranationale de l’OHADA définit également ses institutions. Ainsi, en
principe les décisions et actes de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le
Conseil des ministres, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et le Secrétariat permanent
s’imposent aux États membres, aux populations de ces États sans équivoque, sans limites. Le
raisonnement ne semble souffrir d’aucune limite à première vue puisque le Conseil des
ministres assure des fonctions législatives, le Secrétariat permanent est l’organe exécutif de
l’OHADA, la CCJA l’organe judiciaire, quand la Conférence des chefs d’État se voit confier
une mission politique. Les organes différents aussi bien dans leur structure que leurs fonctions
constituent a priori un réel atout pour l’OHADA.
654.
Au sein des institutions, siègent pour ce qui est du Conseil des ministres et de la
Conférence, respectivement des ministres et des gouvernants. Les projets d’Actes uniformes
émanent de ministres donc reflètent la politique gouvernementale en matière de droit des
affaires. À la tête de la Conférence, le Chef de l’État ou de Gouvernement dont le pays assure
la présidence du Conseil des ministres866. Une telle disposition vient apporter du grain à
866
Article 27 du Traité fondateur de l’OHADA.
347
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
moudre au moulin de ces auteurs qui fustigent la création de ladite conférence qui à leur sens
transformera l’OHADA en organisation politique. Leur crainte est compréhensible, puisque
c’est l’autonomie effective de l’OHADA qui est limitée par la création de cet organe, « organe
suprême » de l’Organisation. Que se retrouvent à la tête des institutions clés de l’OHADA les
représentants d’un même pays n’est pas opportun. Les décisions risquent de souffrir de jeux
d’intérêts, de négociations, de lobbyings, dans un seul but : celui d’influencer d’une manière
ou d’une autre l’élaboration des règles et la prise de décision. Le projet d’Acte uniforme
relatif au droit des contrats n’a pas encore été adopté parce qu’il suscite des réserves au niveau
de certains États membres. Un autre exemple concret : l’adoption des Actes uniformes
requiert l’unanimité des membres du Conseil des ministres. La onférence des Chefs d’État
statue sur toute question relative au traité. Les Actes uniformes qui sont au cœur du Traité
peuvent donc faire l’objet de discussions de l’organe suprême. Si l’adoption de l’Acte est
bloquée par le ministre qui préside le Conseil, ce blocage peut perdurer au niveau de la
conférence ; quand on sait que les Chefs d’État qui composent la conférence, se réunissent au
sein d’autres organisations politiques, économiques, le président de la Conférence pourra
obtenir un consensus allant dans le sens des intérêts de son pays.
655.
L’inexistence d’un contrôle. Aucune disposition du Traité ne fait état de l’existence d’un
organe de contrôle ou de l’exercice d’attributions de contrôle par un organe de l’OHADA du
fonctionnement du cadre institutionnel. Si l’assimilation est souvent faite entre l’OHADA et
l’Union européenne dont elle est fortement inspirée, il convient de rappeler que des moyens
de contrôle de l’action des organes sont mis en place en Europe. Le Parlement dispose de
moyens de contrôle sur l’ensemble de l’activité de l’Union européenne, qui ont été confirmés
par le Traité de Lisbonne. Des questions écrites ou orales peuvent être posées à la
Commission ou au Conseil qui sont tenus de répondre. Dans le contexte africain, il est
impensable qu’un organe composé de ministres puisse remettre en question ou contrôler les
actions d’un autre, au sein duquel siègent des personnes dont tous relèvent. Le
fonctionnement des institutions de l’OHADA n’est pas évalué par un organe interne ou
externe. Il paraît alors difficile de mesurer l’impact réel de ces institutions et de leurs moyens
d’action sur l’effectivité et l’efficacité du droit de l’OHADA.
B. Le processus normatif issu des institutions
656.
Le législateur de l’OHADA a opté à la fois pour une approche rigide (1) et une approche
souple qui s’avère inadaptée (2).
348
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
1. Une approche rigide
657.
L’uniformisation retenue. Le texte fondateur de l’OHADA énonce que l’Organisation est
instaurée dans un but d’harmonisation. Harmonisation qui est un mécanisme souple
d’intégration juridique. En adoptant finalement des règles communes, des Actes uniformes,
commandés par des principes d’application directe et immédiate, le législateur de l’OHADA a
plutôt opté pour un mécanisme rigide d’intégration juridique. Les Actes uniformes doivent
être appliqués tels quels au sein des États membres et se substituent en partie ou en totalité
aux législations nationales. La rigidité de l’uniformisation qui laisse peu de place à l’œuvre
créatrice des parlements nationaux peut être justifiée : la fixation d’une stricte ligne de
conduite aux États membres limiterait les risques d’insécurité juridique ; une forme de
stabilité, de prévisibilité est assurée par l’adoption de règles communes. De l’adoption de
règles communes à l’application uniforme et commune de ces règles il y a un grand pas.
L’importance du contentieux montre bien que l’application du droit de l’OHADA soulève des
difficultés au sein des États membres. Les juridictions nationales luttent pour assurer la survie
d’un droit national commun appelé à disparaître face à l’hégémonie du droit de l’OHADA.
Certains particuliers profitent encore des failles du système et de la tolérance des juridictions
nationales pour contourner l’application du droit communautaire.
658.
La structure du droit applicable. En portant une attention particulière à la structure du
droit applicable et appliqué au sein des États membres, du fait de l’approche rigide, il est
impossible de ne pas relever l’originalité de la situation ; même si, dira-t-on elle n’est pas si
surprenante que cela dès lors que l’on désigne un système d’intégration juridique. « Tout acte
uniforme tient lieu de droit positif pour tous les États parties au Traité fondateur de
l’OHADA. L’Acte uniforme s’applique aux rapports juridiques dont les éléments sont
localisés à l’intérieur de chaque État membre, entre les États membres et entre un État
membre et un État tiers. En revanche, il ne s’applique pas aux rapports juridiques localisés
exclusivement entre États tiers »867. En clair, il suffit d’avoir la qualité d’État membre ou à
tout le moins, qu’une des parties dans un rapport contractuel ait la qualité de membre pour que
le droit de l’OHADA ait vocation à s’appliquer.
867
P.-G. POUGOUE, B.-R. GUIMDO DONGMO, « Modèle d’intégration juridique OHADA », Encyclopédie
juridique OHADA, n°28, p. 1126.
349
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
659.
Cette situation semble d’un premier abord ne soulever aucune difficulté alors que la réalité
est tout autre. En effet, le droit de l’OHADA intègre l’ordre juridique interne par le biais d’un
mécanisme singulier qui commande une application identique dans chaque État. Le droit
national commun, le droit civil des États membres ne s’en porte que très mal dans la mesure
où soit le droit de l’OHADA les intègre pour compléter les règles existantes soit il les éclipse
totalement lorsqu’il vise une matière ou un point de droit identiques. Il est admis que « les
Actes uniformes sans exception consacrent une législation de type directe et ne laissent par
conséquent aucune marge d’appréciation au profit des États membres. Les États ainsi privés
de la possibilité de légiférer dans le domaine de l’unification du droit, puisque les règles
découlant des Actes uniformes sont suffisamment claires et précises pour ne pas appeler une
intervention complémentaire des États membres »868.
660.
Une telle suprématie du droit de l’OHADA est effrayante, les États membres ayant il est
vrai majoritairement une culture juridique commune, mais avec quelques particularismes
malgré tout. L’OHADA réglemente le droit des sûretés, un domaine qui relève en principe du
droit civil si bien que pour les sûretés, il est logiquement opéré une distinction selon que la
sûreté n’est pas de nature civile mais plutôt commerciale869. Il ressort de l’Acte uniforme
portant organisation du droit des sûretés, à l’instar de l’ensemble du dispositif juridique
OHADA, un caractère impératif des règles édictées et prévues en matière de sûretés. Par
exemple, l’article 4 alinéa 2 dispose que « sauf disposition contraire du présent Acte
uniforme, les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles régies par cet Acte »870.
L’on peut y voir une interdiction pour les législateurs nationaux de créer de nouvelles sûretés
réelles. Or, il est fort compréhensible et possible qu’un État en raison des particularités
d’ordre social ou économique estime nécessaire la réglementation d’une sûreté réelle non
prévue par le législateur de l’OHADA et surtout non contraire au droit de l’OHADA. Le
principe est clairement établi : le droit de légiférer du législateur national se trouve encadré
par deux limites à savoir la réglementation d’une question par un Acte uniforme et les
dispositions contraires à ceux-ci.
868
P. DIEDHOU, L’unification du Droit des affaires OHADA, Etude de Droit uniforme et de Droit international
privé, Thèse, Droit, Université de Genève, 2009, p. 88 et 89.
869
Le législateur de l’OHADA ne procède cependant pas à une telle distinction.
870
Acte uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 Avril 1997 et révisé le 15 décembre 2010.
350
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
2. Une approche souple inadaptée
661.
La souplesse de l’harmonisation et ses écueils. Comme déjà rappelé, le législateur de
l’OHADA a pris le parti dès le Traité fondateur d’une intégration juridique par harmonisation.
Même si la réalité des faits et des textes met en exergue des aspects d’uniformisation, il n’en
demeure pas moins que l’approche souple a été bien retenue dans certaines dispositions des
Actes uniformes. Le législateur de l’OHADA ne censure pas ou n’anéantit pas
systématiquement le droit interne des États membres. Il est des hypothèses dans lesquelles il
consent à concéder une certaine compétence au législateur national. Législateur qui peut
instituer une règle, compléter les règles uniformes. « L’harmonisation désigne un simple
rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques, afin d’en réduire ou d’en
supprimer certaines contradictions. Ainsi, l’harmonisation est un moyen qui sert à établir les
grandes lignes d’un cadre juridique en laissant aux différentes parties prenantes à l’intégration
le soin de compléter l’ossature commune par des dispositions qui correspondent mieux à leurs
valeurs, à leurs préférences ou à leur niveau de développement »871. En laissant la latitude au
législateur national d’intervenir dans la construction de l’œuvre harmonisatrice, le législateur
de l’OHADA, semble vouloir préserver le peu de souveraineté qu’il reste aux États membres
tant la suprématie reconnue aux Actes uniformes et aux institutions de l’Organisation
interétatique la vide de sa substance.
662.
L’initiative pourrait être saluée a priori ; elle est présente dans certaines prévisions de
l’Acte uniforme portant organisation des sûretés. Les auteurs s’accordent sur le recours à
l’harmonisation en certains points de cet Acte uniforme. Le Professeur Michel GRIMALDI
abonde dans le même sens et pousse un peu plus loin la réflexion, lorsqu’il affirme que « dans
notre domaine, l’Acte uniforme n’a pas une compétence exclusive, mais une compétence
sinon concurrente, du moins partagée avec des législations nationales qui peuvent se déployer
pour autant qu’elles ne lui sont pas contraires. Il permet ainsi une densification des droits
nationaux autour d’un tronc commun : il limite l’expression des sensibilités nationales, il ne
l’interdit pas »872. Selon l’article 179 alinéa 2, « les textes spéciaux créant des privilèges
généraux doivent préciser le rang de ceux-ci en le déterminant par rapport aux dispositions de
l’article 180 du présent Acte uniforme ». La liberté accordée aux États membres d’instituer
871
I.-F. KAMDEM, « Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les
moyens d’intégration juridique », 2009, 43 R.J.T. 605, p. 617.
872
M. GRIMALDI, « L’Acte uniforme portant organisation des sûretés », L.P.A, n° 205, 13 Octobre 2004, p. 30.
351
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
des privilèges généraux est limitée en ce qu’elle ne s’exerce obligatoirement qu’en
considération des dispositions de l’Acte uniforme et en toute conformité avec celui-ci.
663.
La liberté « encadrée » des États membres. Le postulat est simple : les États membres
sont « autorisés » à légiférer tant qu’ils n’adoptent pas, pour les questions concernées, des
règles qui viendraient contredire l’Acte uniforme. La conséquence est tout aussi peu difficile à
imaginer. Chaque État membre pourrait décider d’exercer la prérogative à lui accordée et il y
aurait pour le cas spécifique des privilèges généraux autant de privilèges que d’États ou du
moins autant de déclinaisons d’un privilège que d’approches. Il est évidemment exclu que
chaque pays membre institue des privilèges sans fondement juridique et nécessité réelle. De
plus, leur action ne peut être faite ex-nihilo. Dans un contexte où la sécurité juridique est
l’objectif à atteindre, les signataires du Traité créateur de l’OHADA auraient dû faire preuve
de prudence. Le droit des sûretés est un domaine très important, une importance d’autant plus
marquée au sein de la société africaine. Le crédit y est essentiel et ancré dans les mœurs. Les
organismes de micro finance n’ont jamais autant foisonné que ces dernières années au côté
des établissements bancaires. Une prévision et une stabilité des règles prévues en droit des
sûretés renforceraient la sécurité juridique873 et la confiance que les investisseurs porteront au
dispositif. De même, la personne physique ou morale qui souhaite consentir une sûreté ou une
garantie au bénéfice d’une autre y sera plus favorable.
664.
Rares sont les États qui avaient élaboré des textes particuliers en matière de droit des
obligations ou de sûretés. Seuls le Sénégal et le Mali avaient élaboré des lois en matière
d’obligations civiles et commerciales qui étaient en vigueur avant que l’Acte uniforme ne soit
adopté et qui coexistaient avec le Code civil hérité du droit français. La Loi sénégalaise n° 7660 du 12 juin 1976 portant Code des obligations civiles et commerciales réglementait les
sûretés. Si la solution a été aisée concernant les autres États avec la substitution du Code civil
en ses points réglementant les sûretés, en l’occurrence les articles 2011 à 2203, par l’Acte
uniforme, elle ne l’a pas été pour les États susvisés. La troisième partie de la loi sénégalaise
873
La sécurité juridique est fondée sur une exigence de confiance. La sécurité juridique est un impératif de
protection des citoyens contre l’insécurité juridique. Il s’agit des risques résultant des difficultés d’accès au droit,
de défaut de clarté et de lisibilité du droit, de ses incohérences et complexités, de ses modifications trop
fréquentes. La sécurité juridique est un aspect du droit naturel de sûreté, c’est une des facettes de la sécurité. La
sécurité juridique exige par ailleurs une stabilité des situations juridiques individuelles, qui doit être garantie
dans un équilibre avec le principe de légalité. [http://www.lexinter.net/JF/securite_juridique.htm].
352
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
était consacrée aux « garanties des créanciers » telles que le cautionnement, les sûretés
mobilières et immobilières. Si l’on s’en tient de manière stricte à la méthode de pénétration du
droit de l’OHADA dans l’ordre juridique interne, l’on conclura automatiquement à
l’abrogation pure et simple de ces dispositions, étant entendu que sont abordées des questions
identiques à l’Acte uniforme. Cependant, la réponse devrait être nuancée puisque ce n’est que
l’analyse approfondie de la loi qui pourrait mettre en lumière des spécificités. Ce d’autant plus
que le droit des sûretés africain ne peut exister, évoluer sans la prise en compte du droit
foncier. La survie de certaines dispositions particulières de textes africains étant envisageable
au détriment des Actes uniformes, la situation serait plus désastreuse si les législateurs
africains décidaient d’exercer leur droit pour l’institution de certaines sûretés et garanties.
§ 2. Une forte concurrence d’institutions
665.
Le champ d’application spatial de l’OHADA et partant du droit de l’OHADA s’étend sur
les territoires des dix-sept États membres. Il se calque sur ces territoires, mais la difficulté
réside dans le fait que l’OHADA ne détient pas l’exclusivité en la matière. Il existe d’autres
institutions qui partagent un champ d’application spatial identique à celui de l’OHADA.
L’organisation doit ainsi faire face à un conflit de normes (A) et à un conflit de juridictions
(B).
A. Le conflit de normes
666.
Le conflit de normes auquel doit faire face l’OHADA et qui pourrait empiéter sur son
effectivité peut être réel (1) ou virtuel (2).
1. Le conflit de normes réel
667.
L’inflation normative dans un contexte de pluralisme. « Le pluralisme juridique serait
l’existence, au sein d’une société déterminée, de mécanismes juridiques différents
s’appliquant à des situations identiques »874. Essuyant des critiques, cette définition s’est
éclipsée en faveur de celle qui présente le pluralisme juridique comme « la situation pour un
individu, dans laquelle des mécanismes juridiques relevant d’ordonnancements différents sont
874
G.-J. BELLEY, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., L.G.D.J, Coll.
« Droit et société », 1993, v° « Pluralisme juridique ». Cité par A. OUATTARA, « Prolégomènes pour une
épistémologie du droit en Afrique », in Recueil juridique sur l’OHADA et les normes juridiques africaines,
P.U.A.M, Coll. Horizons juridiques Africains, 2013, p. 31.
353
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
susceptibles de s’appliquer à cette situation »875 ; pluralisme juridique qui apparaît comme
l’une des composantes de l’inflation normative876. Le foisonnement de normes au sein de la
société internationale est en certains aspects générateur de conflits, dès lors que se
chevauchent et s’entremêlent champs d’application spatial et matériel. L’OHADA est venue
bousculer l’ordre établi en Afrique et dans la sous-région. Elle fait concurrence aux
organisations communautaires existantes, créant des situations de conflits de lois. Le
Professeur Nathalie BLANC rappelle qu’« il y a conflit de lois lorsque deux règles qui ont
vocation à s’appliquer à une même situation juridique se révèlent contradictoires »877. Elle
propose notamment comme premier jalon dans la résolution du conflit de « déterminer le lieu
de rencontre de ces dispositions antinomiques autrement dit de préciser les cas dans lesquels,
elles sont susceptibles de s’appliquer concurremment »878. Par ailleurs, « l’expression conflit
de lois désigne, en droit international privé, une concurrence entre des normes, résolue par le
choix d’une des normes en conflit par le juge saisi d’un litige suscitant, précisément en raison
de la dispersion de ses éléments constitutifs, une concurrence entre des règles. Ce choix entre
les lois en concurrence est effectué au moyen d’une règle dite de conflit de lois. Le juge
étatique résout donc un conflit de lois. Le juge communautaire, lui, n’a pas à résoudre de
conflit de lois. Il doit vérifier si la situation entre dans le champ d’application du droit
communautaire. Si sa réponse est positive, il déclare qu’il faut lui appliquer les dispositions
pertinentes du droit communautaire. Si tel n’est pas le cas, il n’a pas à déterminer quel autre
droit que le droit communautaire est applicable à la situation »879.
668.
L’OHADA, une organisation ambivalente. « On appellera droits communautaires, les
ordres juridiques ayant abouti à la création d’un groupement d’États conduisant une politique
commune d’intégration juridique, politique et économique sur un plan très large au moyen
875
J. VANDERLINDEN, « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », in Revue de la Recherche
Juridique, Droit prospectif (R.R.J), 1993, n°2, p. 573 et s.
876
A. OUATTARA, « Prolégomènes pour une épistemologie du Droit en Afrique », in Recueil juridique sur
l’OHADA et les normes juridiques africaines, P.U.A.M, Coll. Horizons juridiques Africains, 2013, p. 31.
877
N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés,
Paris, éd. Dalloz, 2010, n° 431, p. 377.
878
N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés,
ibid.
879
P. MEYER, « Les conflits de juridictions dans les espaces OHADA, UEMOA, CEDEAO », in Sensibilisation
au droit communautaire de l’UEMOA, Actes du Séminaire Sous-régional à Ouagadougou, Burkina Faso du 6-10
octobre 2003, éd. Giraf, Coll. DTE, p.186.
354
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’une législation harmonisée ou uniforme, dérivée de ces groupements et droits régionaux
ceux qui également réunissent plusieurs États, unis par des liens régionaux, mais qui ne
mènent une telle politique d’intégration juridique que dans des domaines juridiques sectoriels
bien précis »880. L’OHADA, dans sa volonté d’harmoniser par uniformisation le droit des
affaires ou si l’on préfère le droit économique de ses États membres est entre organisation
communautaire et organisation régionale. L’OHADA est ambivalente dans sa nature en ce
qu’elle est à la fois une organisation communautaire qui par le biais de son Traité fondateur
entend mener une politique commune d’intégration juridique et une organisation régionale qui
a réglementé notamment le transport par route des marchandises.
669.
Une ambivalence justifiant la concurrence. Cette ambivalence contribue fortement à la
concurrence faite par l’OHADA aux autres organisations communautaires et régionales qu’il
convient de présenter succinctement, afin d’en comprendre les contours.
Tout d’abord,
l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Créée le 10 janvier 1994 à
Dakar, l’UEMOA a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace
économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation
des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la
jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de
résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire. Huit États côtiers et
sahéliens, liés par l’usage d’une monnaie commune, le Franc CFA et bénéficiant de traditions
culturelles communes, composent l’UEMOA881. Ensuite, la Communauté Économique et
Monétaire des États de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui regroupe 6 pays : le Cameroun, le
Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. Le Traité
instituant la CEMAC a été signé le 16 mars 1994 à N’Djamena (Tchad) et l’organisation vise
essentiellement la promotion des marchés nationaux par l’élimination des entraves au
commerce intercommunautaire, la coordination des programmes de développement,
l’harmonisation des projets industriels ; la création d’un véritable marché commun africain.
880
J. ISSA-SAYEGH, « Conflits entre droit communautaire et droit régional dans l’Espace OHADA »,
OHADATA-D-06-05, p. 1.
881
Le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. L’UEMOA
couvre une superficie de 3 506 126 km2 et compte 112 millions d’habitants. Le taux de croissance du PIB, à prix
constant, est de 7% en 2015.
355
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
Enfin la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances en abrégé CIMA, instituée par
le Traité du 10 juillet 1992 signé à Yaoundé (République du Cameroun)882.
670.
Les aspects de la concurrence. La concurrence entre ces organisations et l’OHADA a
plusieurs fondements qui se déclinent en trois aspects : l’aspect territorial, l’aspect matériel et
l’aspect juridictionnel. Tous les États membres de l’UEMOA et de la CEMAC sont également
membres de l’OHADA ce qui entraîne un chevauchement dans le champ d’application
territorial des normes produites par ces organisations. Les trois organisations partagent le
même espace géographique. L’OHADA empiète sur tous les domaines de compétences des
organisations existantes883 d’un point de vue matériel. Et chaque organisation est dotée d’une
juridiction propre ; ainsi nous avons la Cour de justice pour l’UEMOA qui veille à
l’interprétation uniforme du droit communautaire et à son application et juge, notamment, les
manquements des États à leurs « obligations communautaires ». Elle arbitre les conflits entre
les États membres ou entre l’Union et ses agents. Concernant la CEMAC, la Cour de Justice
Communautaire, comprenant une chambre judiciaire et une chambre des comptes y est
rattachée et bien évidemment l’OHADA est dotée de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA).
671.
Le conflit entre ces organisations concerne avant tout le champ d’application matériel.
L’OHADA se présente aujourd’hui comme l’organisation qui réglemente le droit des affaires
d’un point de vue commun avec le droit commercial général, les procédures collectives ou le
droit des sûretés, mais également en ce qu’il a de spécial. Le domaine du droit de l’OHADA
ne souffre de limite que celle imposée par le refus du Conseil des ministres d’intégrer une
matière en son sein. La mise en œuvre de l’adage specialia generalibus derogant permet de
résoudre les conflits entre une norme général et norme spéciale. Mais l’application de l’adage
est malaisée lorsque les normes en conflits sont spéciales. Il convient alors de déterminer
laquelle est plus spéciale que l’autre. La règle spéciale ayant été définie comme celle qui ne
882
Le Traité a été signé par les gouvernements suivants : Bénin, Burkina, Cameroun, Centrafrique, Comores,
Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Des quatorze (14) États
signataires, seules les Comores n’ont pas encore ratifié le Traité. Le Traité de la CIMA est entré en vigueur le
15 février 1995. Il prévoit l’adhésion de tout autre État Africain qui le désire. Le nombre des États membres de
la CIMA est passé de treize (13) à quatorze (14) avec l’adhésion de la Guinée Bissau, le 15 avril 2002.
883
J. ISSA-SAYEGH, « Conflits de normes.», ibid.
356
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
régit qu’une fraction de l’objet de la règle générale. La spécialité s’apprécie donc au regard
d’une norme considérée comme plus générale dans son objet884.
672.
Le cas spécifique de l’UEMOA et de l’OHADA. De manière concrète et en matière de
procédure collective notamment, l’UEMOA et l’OHADA, sont des exemples concrets. Il
existe un conflit entre l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives et
d’apurement du passif et le Règlement relatif aux systèmes de paiements dans l’UEMOA en
raison de dispositions antinomiques. Ce conflit résulte du fait que l’Acte uniforme consacre la
règle du « zéro heure » aux antipodes du principe de l’irrévocabilité des ordres de transfert
introduits dans un système bancaire porté par le Règlement de l’UEMOA. Deux règles
spéciales en raison de leur objet spécifique rentrent en conflit. Lequel l’emporte ? Selon
l’article 52 de l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, « la
décision qui prononce le redressement judiciaire emporte, de plein droit, à partir de sa date, et
jusqu’à l’homologation du concordat ou la conversion du redressement judiciaire en
liquidation des biens, assistance obligatoire du débiteur pour tous les actes concernant
l’administration et la disposition de ses biens, sous peine d’inopposabilité de ces actes ».
673.
La règle dite du « zéro heure » qui découle de ce texte prévoit l’invalidation rétroactive des
transactions effectuées par un établissement en faillite après zéro heure le même jour de sa
mise en faillite885. Ainsi, les paiements réalisés le jour de la décision d’ouverture de la
procédure collective seront déclarés inopposables à la masse des créanciers en raison du
dessaisissement qui frappe le débiteur déclaré en cessation des paiements. Le redressement
judiciaire et la liquidation des biens produisant leurs effets à « zéro heure » au jour du
jugement886. Cette règle est inconciliable avec le principe de l’irrévocabilité des ordres de
transfert introduits dans un système bancaire porté par le Règlement n°15.
674.
C’est l’article 6 dudit règlement qui est le siège de ce principe en vertu duquel les ordres de
transfert introduits dans un système bancaire sont irrévocables, même en cas d’ouverture
884
N. BLANC, Les contrats du Droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés,
op. cit., n°439, p. 384.
E. KAGISYE, « Conflit entre l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif et la réglementation des systèmes de paiement de l’UEMOA », p. 6, [https://hal-auf.archivesouvertes.fr/hal-01278213/document].
885
886
A.-T. NDIAYE, « conflits de normes en Droit communautaire OHADA et UEMOA : exemple des paiements
réalisés dans les systèmes de paiement intégrés en cas de procédures collectives d’apurement du passif », Revue
UNIDROIT, n°2- 2007, p. 291.
357
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
d’une procédure collective contre un participant au système de paiement interbancaire. Selon
cet article, « nonobstant toute disposition contraire, les ordres de transferts introduits dans un
système de paiements interbancaires conformément aux règles de fonctionnement dudit
système sont opposables aux tiers et à la masse et ne peuvent être annulés jusqu’à l’expiration
du jour où est rendu le jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens à l’encontre d’un participant, même au motif qu’est intervenu ce
jugement. Ces dispositions sont également applicables aux ordres de transfert devenus
irrévocables. Le moment auquel un ordre de transfert devient irrévocable dans le système est
défini par les règles de fonctionnement dudit système ».
Les textes sont, il est vrai
inconciliables, mais sont appelés à régir une situation juridique identique localisée dans un
espace géographique unique puisque OHADA et UEMOA partagent le même. Au regard de
leur formulation, il semble plus juste de se prononcer en faveur de l’application de la règle du
zéro heure qui apparaît plus spéciale que la règle de l’irrévocabilité des transferts.
675.
Le cas spécifique du droit comptable. Un conflit tout aussi réel est apparu en droit
comptable. Le Système Comptable Ouest-Africain (SYSCOA), a été mis en place par le biais
du règlement 04/96/CM/UEMOA du 20/12/1996 entré en vigueur le 1er janvier 1998. Or le
Conseil des ministres de l’OHADA avait adopté un Acte uniforme ayant exactement le même
objet, entré en vigueur le 1er janvier 2001. Son objectif est d’harmoniser les règles
comptables applicables dans les pays membres de l’OHADA (dont font partie ceux de
l’UEMOA) grâce au référentiel mis en place, le Système Comptable OHADA (en abrégé
SYSCOHADA). Les deux référentiels sont différents en plusieurs points.
676.
Pour résoudre le conflit qui était inévitable concernant l’application de ces textes au sein
des États membres de l’UEMOA également membres de l’OHADA, une solution pacifique a
été trouvée. Le SYSCOA a été mis à jour afin d’assurer une parfaite compatibilité du
SYSCOA avec le droit comptable de l’OHADA. La matérialisation de cette révision est
opérée par le règlement 07/2001/CM/UEMOA887 qui a donné lieu à l’application d’un seul
référentiel comptable, le SYSCOHADA, commun à l’ensemble des pays membres de
l’OHADA. Cependant, contre toute attente le conflit a été remis au gout du jour avec le
Règlement n°05/2013/CM/UEMOA du 28 juin 2013 portant modification du SYSCOA et le
887
Ce, d’autant plus que l’article 112 de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises sises dans les États-parties au Traité de l’OHADA est clair quand il dispose que «
sont abrogées à compter de la date d’entrée en vigueur du présent Acte Uniforme et de son Annexe toutes
dispositions contraires ».
358
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
règlement d’exécution n°005/2014/COM/UEMOA du 31 mai 2014 qui disposent que les
nouvelles règles et méthodes comptables du SYSCOA sont adoptées, et s’appliquent aux
comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2014. Ainsi, au sein de l’espace
UEMOA, deux référentiels comptables différents coexistent, entraînant des différences dans
les méthodes de comptabilisation de certaines opérations et dans la présentation des
informations dans les états financiers.888 Si bien que le conseil des ministres de l’OHADA a
dû intervenir et rappeler que « le système comptable OHADA devait constituer l’unique
référentiel comptable en vigueur dans l’espace OHADA ».
677.
Le droit des transports. Le droit des transports n’est pas épargné par les conflits entre
l’OHADA et les autres organisations. Dans ce domaine précis, le conflit concerne la CEMAC
dont le droit communautaire réglemente le transport de marchandises par route et l’OHADA
qui a consacré un Acte uniforme à la question. Il ressort de l’article 5 alinéa 1 de la
Convention CEMAC, que deux mentions obligatoires requises sur la lettre de voiture ;
« l’indication que le transport est soumis, nonobstant toute clause contraire, au régime établi
par la présente convention et la signature de l’expéditeur, du transporteur et du destinataire ».
Or le droit de l’OHADA ne requiert nullement de telles mentions. L’on s’interroge alors sur la
démarche à suivre pour déterminer les obligations du transporteur face à des règles
contradictoires.
2. Le conflit de normes virtuel
678.
De potentiels conflits à venir avec la CEDEAO ? L’OHADA est dotée de compétences
larges qui ont vocation à s’élargir davantage si le Conseil des ministres le décide à
l’unanimité. Sur son champ spatial, l’OHADA est concurrencée ou du moins concurrence
d’autres organisations dotées de compétences tout aussi larges. Il est à craindre d’éventuels ou
de potentiels conflits entre ces organisations et l’OHADA. Il s’agit, en l’occurrence, de la
Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), établie par le Traité
de Lagos signé le 28 mai 1975 par quinze pays de l’Afrique de l’Ouest889. Son objectif
888
O. SAMBE , M.-I. DIALLO, « SYSCOA révisé ou Système comptable OHADA (SYSCOHADA) : Quel
référentiel
appliquer ? »,
05-07-2014,
[http://www.ohada.com/actualite/2238/syscoa-revise-ou-systemecomptable-ohada-syscohada-quel-referentiel-appliquer.html].
889
Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Le Cap-Vert a
rejoint la Communauté en 1976 mais la Mauritanie a décidé de la quitter en 2000.
[https://www.uneca.org/fr/oria/pages/cedeao-communaut%C3%A9-economique-des-États-de
l%E2%80%99afrique-de-l%E2%80%99ouest].
359
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
principal est de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union
économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de
maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États
membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ». La
CEDEAO vise principalement l’intégration économique en Afrique de l’Ouest. Dans la
mesure où la méthode d’intégration retenue par la CEDEAO est la coopération, il ne faut pas
perdre de vue les différentes modalités de celle-ci. En effet la CEDEAO a un organe législatif,
le parlement et dans la volonté d’atteindre ses objectifs a le choix entre hormis le Traité
fondateur, les règlements, les directives. Ainsi dans un objectif normatif, rien ne s’oppose à un
recours à des règlements dont la force obligatoire pourrait entraîner des conflits avec les Actes
uniformes OHADA par exemple dotés également de force obligatoire.
679.
L’élargissement du domaine au dit de la concurrence et au droit bancaire. Un autre
conflit à craindre est cette fois-ci celui qui peut naître de la vocation de l’UEMOA, de la
CEMAC et de l’OHADA à adopter des règles dans les matières identiques. Comme déjà
évoqué, leurs objectifs sont assez proches et le domaine du droit de l’OHADA est défini par
extension; une extension qui ne cesse de prendre de l’ampleur. L’élargissement du champ
d’application du Traité à certaines matières qui intéressent également les secteurs
économiques de l’UEMOA et de la CEMAC tels que droit de la concurrence, le droit
bancaire890, l’atteste. Ce, quand bien même la CEMAC s’est déjà dotée d’instruments
juridiques qui réglementent ces matières. Le règlement du 25 juin 1999 portant réglementation
des pratiques commerciales anticoncurrentielles règlement du 18 août 1999 portant règlement
des pratiques étatiques affectant le commerce entre les États membres, pour l’aspect droit de
la concurrence. Et la réglementation bancaire issue de la Convention du 17 janvier 1992
portant harmonisation de la réglementation bancaire en Afrique Centrale. Ces potentiels
conflits affecteront la sécurité juridique et la sécurisation des investissements tant recherchés
par les gouvernements africains ainsi que les partenaires au développement. L’impact sera
encore plus visible pour les particuliers, les justiciables auxquels les instruments juridiques
élaborés par les organisations susvisées sont obligatoires, d’applicabilité directe et ignorent
royalement les dispositions nationales contraires.
680.
Le droit des assurances. Il n’est pas à exclure que l’OHADA décide de légiférer dans le
domaine du droit des assurances qui est en principe de la compétence de la CIMA
890
Elargissement intervenu en Mars 2001.
360
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
(Conférence interafricaine des marchés d’assurance). Elle pourrait intervenir dans les
branches qui n’ont pas encore été abordées par la CIMA puisque le droit des assurances relève
bien du droit des affaires. Un tel risque n’est pas à écarter même si le Professeur Joseph ISSASAYEGH juge « douteux qu’elle le fasse par souci de ne pas briser l’homogénéité des sources
formelles de la matière et de ne pas amputer la CIMA de ses compétences 891 ». Pour
converger quelque peu dans son sens, l’on peut évoquer l’Acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du Groupement à Intérêt économique qui prévoit en son article 916
que « le présent Acte uniforme s’applique aux sociétés soumises à un régime particulier sous
réserve des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties ».
Ainsi, l’Acte uniforme n’abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les
sociétés soumises à un régime particulier ; ce pour éviter le conflit avec les règles de
constitution, de fonctionnement, de dissolution et de liquidation des entreprises d’assurance
obligatoirement constituées en sociétés anonymes.
681.
L’éventuel conflit entre juridictions. Les juridictions des organisations que sont la
CEMAC, l’UEMOA et l’OHADA ne sont pas en reste dans cette éventualité de conflits même
s’ils sont limités. Il est clair que les chances de voir des litiges ayant le même objet, portés
devant des juridictions de deux organisations différentes, sont limitées. Il est vrai que les
juridictions ont fixé sûrement dans un souci d’anticiper les éventuels conflits, les limites de
leurs compétences. En effet à ce propos, la Cour de justice de l’UEMOA a rendu un avis le 2
février 2000 lors de l’examen de l’avant-projet du Code des investissements de l’UEMOA. Il
a été affirmé, d’une part, que la Cour de justice de l’OHADA ne peut saisir la Cour de
l’UEMOA en renvoi préjudiciel parce qu’elle n’est pas une juridiction nationale, et d’autre
part, que l’interprétation par la Cour de l’UEMOA des Actes uniformes de l’OHADA
porterait atteinte à l’exclusivité de la Cour Commune de Justice d’Abidjan (CCJA) dans
l’application et l’interprétation des Actes uniformes892. L’autre aspect juridictionnel qui
pourrait donner lieu à des conflits est bien celui de l’aspect consultatif. Les juridictions des
trois organisations disposent d’un pouvoir consultatif qui peut occasionner des conflits de
compétence.
891
J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des Actes uniformes
de l’OHADA », Rev. dr. unif, n°1, 1999, p. 12.
892
G. TATY, « Pluralité des juridictions régionales dans l’espace francophone et unité de l’ordre juridique
communautaire : problématiques et enjeux », rencontre inter juridictionnelle- Cour de justice UEMOA CEDEAO - CEMAC – OHADA, [http://www.institut-idef.org/Nouvel-article,3304.html].
361
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
682.
Mettre fin aux conflits réels ou virtuels n’est pas impossible, mais relève de l’adoption de
mesures conséquentes. Il faudrait repenser les actes fondateurs des organisations que sont
notamment l’UEMOA et l’OHADA puisque la situation conflictuelle les concerne le plus.
L’idée serait une répartition précise des compétences matérielles entre les organisations et
surtout de redéfinir le droit des affaires, tel que conçu en droit de l’OHADA.
B. Le conflit de juridictions
683.
Les dispositions du Traité peuvent être responsables de ces conflits (1) au même titre que
le silence du Traité (2).
1. Les conflits nés des dispositions du Traité fondateur
684.
Les difficultés soulevées par les dispositions du Traité. La Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage est la seule juridiction investie du pouvoir de connaître des affaires relatives à
l’application des Actes uniformes et des règlements. L’article 14 alinéa 3 du traité Ohada et
l’article 28-C du règlement de procédure déclarent que la CCJA est compétente pour les
affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des
règlements prévus au traité ; de telles dispositions semblent claires et ne soulever aucune
question. Les juges nationaux qui doivent statuer sur des affaires relevant du droit de
l’OHADA, doivent s’en dessaisir. Un autre article vient préciser que « les pourvois en
cassation prévus à l’article 14 ci-dessus sont portés devant la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une
juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives
à l’application des Actes uniformes ». Ce texte exclut les règlements pour ce qui est des
pourvois en cassation. Cela pourrait prêter à confusion dans la mesure où se poserait la
question de la disposition qui l’emporte sur l’autre. Cependant, dès lors que les règlements ont
pour objet l’application du Traité et non celle des Actes uniformes, les justiciables, dans le
cadre d’un recours en cassation, ne peuvent donc être concernés que par les Actes uniformes
et non par les règlements qui n’ont pas pour objet l’application des Actes uniformes. Il aurait
été préférable de préciser que la compétence de la CCJA est exclusivement limitée aux
affaires soulevant les questions relatives aux actes uniformes.
685.
Les lacunes des dispositions des Actes uniformes. Certaines dispositions des Actes
uniformes renvoient parfois aux dispositions nationales de manière explicite en indiquant
clairement que les règles applicables sont celles du droit commun national ou de manière
362
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
implicite en évoquant sans les définir par exemple des notions qui sont définies par les
législations nationales. Que devra faire le juge national qui doit statuer sur une affaire qui
porte, il est vrai, sur une question réglementée par le droit de l’OHADA mais dont la question
essentielle vise des concepts ou règles non définis par ce droit ? Il ne fait aucun doute que
concernant de telles règles ou concepts nommés et non définis par le droit uniforme, la
recherche de leur définition et de leur nature juridique devrait s’accomplir sur le terrain du
droit commun ou de la théorie générale du droit, c’est-à-dire du droit interne ou des principes
généraux du droit . Mais une fois une telle recherche effectuée, il est fort à parier que le juge
national soit tenté d’appliquer le droit civil national par exemple. Le cas des dommagesintérêts qui peuvent constituer une question de fond du litige lorsqu’ils peuvent être octroyés à
une partie au litige mérite qu’on s’y arrête. Que les dommages-intérêts soient ou non cités
dans des Actes uniformes, notamment l’article 156 AUPSRVE, ceux-ci ne précisent pas le
régime juridique si bien que seul le droit commun peut permettre de les appréhender de
manière idoine.
686.
La répartition de compétences en matière pénale. Selon l’article 5 alinéa 2 du Traité
fondateur de l’OHADA, « les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions
d’incrimination pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales
encourues ». La constitution de l’infraction en droit pénal requiert la réunion d’un élément
légal, d’un élément matériel et d’un élément moral. Un fait ne peut être pénalement
sanctionné que si la loi le prévoit expressément. Le législateur de l’OHADA et les États
membres ont, en la matière, décidé de procéder à une répartition de compétence qui est en
faveur de ces derniers. Concrètement, le législateur de l’OHADA prévoit dans les Actes
uniformes quel fait est constitutif d’une infraction et est donc passible d’une sanction. Mais le
soin est laissé à chaque État de déterminer la sanction pénale. Le droit pénal des sociétés en
est un exemple. En matière juridictionnelle, l’article 14 alinéa 3 du Traité révisé ne paraît pas
très précis : « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions
rendues par les juridictions d’appel des États parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent
Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ». Que faut-il entendre par
« à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales » ? La compétence de la CCJA
est-elle totalement écartée en matière pénale ? Les juridictions nationales saisies en matière
pénale ont-elles une compétence exclusive ?
363
La Relation du droit de l’OHADA au droit civil
687.
La distinction entre l’incrimination et la sanction pénale. La première approche serait
de répondre par l’affirmative, mais elle n’est pas satisfaisante dans la mesure où il est
important de faire la distinction entre l’incrimination et la sanction pénale. La CCJA serait
alors compétente pour se prononcer sur le texte d’incrimination et les juridictions nationales
suprêmes traiteront de l’aspect répressif. Une solution tout aussi peu satisfaisante dans la
mesure où elle est source de complexité. Le Professeur Roger MASAMBA pointe bien du
doigt cette complexité lorsqu’il explique que « la justice devient acrobatique et repose sur une
distribution paradoxale et spectaculaire : la CCJA apprécie la qualification de l’infraction et la
Cour de cassation nationale porte son examen sur la légalité de la sanction. Cette mixité
procédurale doit susciter une réflexion incitant à rechercher la solution adéquate, laquelle
consisterait notamment à reconnaître à la CCJA une compétence en matière de sanctions
pénales, sans nécessairement que l
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