Biomarqueurs tissulaires tumoraux. Cancer du sein. Facteurs

« Toute chose simple est théoriquement fausse,
toute chose compliquée est pratiquement inutilisable. »
Paul Valéry
Le développement des biomarqueurs tissulaires représente le type même de la
recherche biologique de transfert. Le but de cette revue est non d’être exhaustive,
mais de présenter les buts, la démarche actuellement recommandée pour l’évalua-
tion et la validation des marqueurs biologiques tissulaires et de faire un bilan pour
les cancers du sein en 2005.
Ces trente dernières années, une étape a été franchie par le développement sur
le plan national et international d’une standardisation de l’approche thérapeutique
des cancers permettant une évaluation de l’efficacité des protocoles thérapeutiques.
Mais, malgré une augmentation régulière du nombre de protocoles thérapeutiques
et du coût global des traitements liés notamment au développement de la chimio-
thérapie, le bénéfice en terme de survie n’est pas à la hauteur de nos espérances
(1, 2). Ces succès limités de l’approche clinique actuelle dans les cancers s’expli-
quent, d’une part, par le fait que les seuls critères anatomo-cliniques classiques stan-
dards actuels des protocoles et essais thérapeutiques ne rendent pas assez compte de
l’importante hétérogénéité évolutive des tumeurs et sont de très faibles indicateurs
potentiels de la sensibilité thérapeutique, et, d’autre part, par le manque de molé-
cules ciblées et adaptées au processus fonctionnel individuel de chaque tumeur. Ces
constatations ont transformé en 1998 en challenge pour les directeurs du NIH/NCI
l’hypothèse issue de la recherche fondamentale (3, 4), et émise en 1978 par W. L.
McGuire : la notion de marqueur tumoral doit évoluer vers la définition d’une ana-
lyse tissulaire multiparamétrique permettant l’établissement, l’évaluation et valida-
tion d’une classification moléculaire des tumeurs humaines. Les récepteurs hor-
monaux dans les cancers du sein en étaient la première démonstration. Cette clas-
sification serait indispensable pour progresser vers des traitements ciblés et efficaces
Biomarqueurs tissulaires tumoraux.
Cancer du sein. Facteurs pronostiques,
facteurs prédictifs. Quels standards
en 2005 ?
P.-M. Martin
84 Cancer du sein
(5). L’évolution des connaissances en biologie du cancer, ainsi que les progrès tech-
nologiques réalisés à ce jour, permettent d’envisager une meilleure définition molé-
culaire et fonctionnelle des tumeurs solides, aboutissant au concept de classification
moléculaire des tumeurs humaines et au développement de thérapeutiques inno-
vantes mieux adaptées à la spécificité de chaque tumeur.
Une classification moléculaire des tumeurs associée aux données cliniques et
anatomo-pathologiques devrait contribuer, dès le diagnostic, à l’évaluation du
potentiel métastatique du cancer, isolant les patients à haut risque évolutif, échap-
pant de ce fait à un contrôle thérapeutique loco-régional, et contribuant, en outre,
à la mise en évidence dans le tissu tumoral de marqueurs associés à l’existence
d’une sensibilité ou résistance aux molécules pharmacologiques anticancéreuses.
Ce double but doit permettre la sélection des patients selon leur risque évolutif et
leur sensibilité potentielle aux drogues, évitant les inconvénients des surtraite-
ments et les effets iatrogènes qui peuvent en découler, orientant précocement vers
l’innovation thérapeutique les patients à haut risque évolutif peu ou non sensibles
aux traitements conventionnels. Enfin, cette démarche vers une classification molé-
culaire des tumeurs doit renforcer la notion de standardisation des protocoles en
considérant de manière objective des groupes homogènes sur le plan biologique
pour l’évaluation de l’efficacité des molécules thérapeutiques. L’étape ultérieure du
développement de ce concept analytique moléculaire concerne l’identification
potentielle du haut risque individuel constitutif afin d’exercer une politique de pré-
vention.
Définition d’un biomarqueur tumoral
Un biomarqueur tumoral est une molécule ou une fonction cellulaire caractéris-
tique d’un cancer (ou d’une personne à haut risque de cancer) par rapport à sa
contre-partie normale (en termes de tissus ou de population). Un marqueur peut
être également une molécule associée à une fonction cellulaire qui caractérise le
potentiel évolutif particulier d’un processus tumoral (invasivité, néo-angiogenèse,
résistance aux thérapeutiques…).
Durant les vingt dernières années, les progrès des connaissances fondamentales
et les progrès technologiques ont permis l’identification d’un très grand nombre de
marqueurs tumoraux putatifs.
En dépit de ces avancées apparentes, dans les tumeurs solides, peu de marqueurs
tumoraux ont été promus et recommandés dans une utilisation clinique courante
faute de stratégie d’évaluation cohérente.
Pour les marqueurs tumoraux, les termes « facteur pronostique » ou « facteur pré-
dictif » sont utilisés dans différents contextes. Spécifiques de la pathologie et du
tissu investigués (par exemple marqueur mesuré dans le tissu tumoral, cellules
tumorales, sérum, fluides pathologiques...). Ces facteurs ont différents potentiels
(ou champs) d’utilisation en clinique parfaitement décrits par G.-S. Ginsburg et
J.-J. McCarthy (6) (figure1).
Les biomarqueurs tumoraux pronostiques sont évalués chez des patients ne rece-
vant aucune thérapie ou des protocoles standards. Ces biomarqueurs pronostiques
84 Cancer du sein
Biomarqueurs tissulaires tumoraux. Cancer du sein … 85
peuvent être utilisés pour estimer le potentiel évolutif d’un processus tumoral spé-
cifique et sélectionner les patients à haut risque évolutif susceptibles d’être
orientés vers des protocoles thérapeutiques adjuvants.
Les biomarqueurs tumoraux prédictifs d’une réponse ou non à une thérapie
donnée requièrent pour leur évaluation deux groupes de patients, de préférence
randomisés, pour un protocole thérapeutique spécifique par opposition, soit à l’ab-
sence de toute thérapie, soit à un protocole standard type. La valeur prédictive des
biomarqueurs est obtenue par l’analyse de tests statistiques évaluant l’interaction
entre le traitement et le statut des biomarqueurs (figure 2).
Figure 1 - De la définition d’une prédisposition, du dépistage au monitorage des protocoles
thérapeutiques.
Figure 2 - Définition des biomarqueurs pronostiques/prédictifs/mixtes. Classification basée
sur l’évaluation de l’évolution pronostique des populations de patients classés en fonction de
la présence (Fact+) ou de l’absence (Fact-) du biomarqueur dans leur tissu tumoral.
Evolution spontanée (A) ou avec un traitement adjuvant ou complémentaire (B).
A : évaluation pour une population sans traitement associé.
B : évaluation pour une population avec traitement associé.
Biomarqueurs tissulaires tumoraux. Cancer du sein … 85
Les critères finaux d’évaluation clinique des marqueurs pronostiques ou pré-
dictifs peuvent être divers, tels que : la survie globale, la survie spécifique associée à
la pathologie, l’intervalle libre de toute évolution pathologique, le temps à progres-
sion. L’évaluation de la réponse tumorale à une thérapie donnée pouvant être la
modification du volume tumoral ou même la modulation d’un biomarqueur étroi-
tement liée au volume tumoral. L’efficacité d’un protocole thérapeutique peut être
exprimée en terme de bénéfice absolu ou relatif. Le bénéfice relatif en termes de
survie est souvent exprimé comme un risque relatif (à savoir le risque de décès dans
le groupe expertisé divisé par le risque de décès dans le groupe central), ou un
« odds ratio » relatif (odds de survie versus de décès dans le groupe expertisé divisé
par l’odds de survie versus décès dans le groupe contrôlé. La probabilité ou « hasard
ratio » obtenu dans les modèles statistiques de régression multiple est souvent uti-
lisé pour estimer le risque relatif.
Les tests statistiques d’évaluation quantitatives et qualitatives des biomar-
queurs font appel aux tests statistiques standards habituellement utilisés dans les
évaluations cliniques et biologiques. Mais peu à peu s’est établie une nécessité d’une
évaluation multifactorielle pour ne retenir que les facteurs et marqueurs biolo-
giques individuellement informatifs, éliminant de ce fait des marqueurs redon-
dants, pour répondre à une question clinique donnée telle la sélection des patients
à haut risque ou potentiellement sensibles à une thérapeutique spécifique. La tech-
nique la plus généralement adaptée est dérivée d’un modèle d’évaluation de risques
développé pour les assurances : le modèle de Cox. Si ce modèle est actuellement un
standard, il demande une définition exacte des variables étudiées et ne prend pas en
compte la variation de certains paramètres biologiques ou cliniques dans le temps,
entre autres au cours de l’évolution du processus tumoral (4 et l’ensemble de la
revue Breast Cancer Research and Treatment 1992 (22) : 187-293). Des modèles
plus complexes non acceptés comme standards sont utilisés par certaines équipes.
Les approches analytiques multiparamétriques font appel également à des tech-
niques de classification descriptives ou de hiérarchisation pour définir les relations
possibles entre facteurs, ou pour définir des clusters ou ensembles regroupant des
individus proches, si ce n’est pas identiques. Des pathologies tumorales, qui présen-
tent un même profil biologique ou évolutif, se retrouvent ainsi isolées par des tech-
niques analytiques telles les analyses en composantes principales ou analyse facto-
rielle discriminante.
Bases objectives de jugement pour l’évaluation et la pertinence
des biomarqueurs tumoraux
En 1996, devant l’abondance, la dispersion et l’inhomogénéité des travaux et publi-
cations évaluant des marqueurs tumoraux potentiels, l’American Society of Clinical
Oncology a réuni un panel d’experts dans le but de poser des bases objectives de
jugement pour l’évaluation et la pertinence des biomarqueurs tumoraux (7-10).
86 Cancer du sein86 Cancer du sein
Ce groupe d’experts, dans le cadre de l’ASCO, a émis un certain nombre de
remarques et recommandations. Ils attirent l’attention sur le fait que les bases
méthodologiques pour définir des études correctement évaluables sont communes
à toutes les phases de la pratique clinique. Si ces bases sont actuellement bien
admises pour l’évaluation des protocoles thérapeutiques et répondent à des règles
précises pour le développement d’une molécule thérapeutique, phase 1, phases 2, 3,
4, critère de réponse, toxicité, etc., ces mêmes bases méthodologiques sont en
revanche mal connues ou peu utilisées dans le cadre de l’évaluation des biomar-
queurs tumoraux.
Les experts rappellent dans ce cadre que :
les études d’évaluation, comme pour les études cliniques protocolaires, doivent
être basées sur des hypothèses clairement établies, répondre et prendre en compte
une définition exacte des populations étudiées, des différentes sous-populations,
des analyses, des techniques de dosage, avec mise en évidence de techniques ana-
lytiques répondant aux critères d’assurance de qualité et contrôle de qualité ;
– les études doivent clairement identifier les problèmes éthiques et légaux associés à
l’accès aux échantillons tissulaires individuels, aux informations du dossier
médical des patients pour lesquels l’expertise tissulaire est effectuée et permettre
une évaluation claire du ratio coût-bénéfice, coût-efficacité.
Le travail du groupe d’experts a débouché sur la proposition d’un système d’évalua-
tion des biomarqueurs «Tumor Marker Utility Grading System » (TMUGS),qui
repose sur :
– des recommandations pour la conduite des phases d’évaluation ;
– les deux principes de base suivants : le concept d’utilité et le degré d’évidence.
Recommandations pour la conduite des phases d’évaluation d’un para-
mètre biologique
Ceci peut se décomposer en quatre phases :
phase 1 : issue d’une hypothèse ou évidence biologique, une cible moléculaire est
définie, une méthode analytique adaptée à la caractérisation et à la mesure de cette
cible dans les tissus pathologiques permettant une étude de faisabilité ;
phase 2 : au sein d’un laboratoire maîtrisant la technique analytique, une étude
pilote est conduite sur un échantillonnage clinique précis. Le rôle du laboratoire
expert est de faire évaluer la standardisation de la méthode analytique et la mise
en route de contrôle de qualité pour que cette méthode analytique soit accessible
à un réseau de laboratoires, enfin d’établir une étude multifactorielle qui posi-
tionne le nouveau biomarqueur par rapport aux facteurs classiques ou déjà éva-
lués, montrant les corrélations possibles et la valeur indépendante de ce facteur ;
phase 3 : cette phase utilise les outils mis au point en phase 2. Un réseau de labo-
ratoires associé aux groupes cliniques ayant constitué des banques tissulaires
conduit plusieurs études rétrospectives permettant une méta-analyse sur l’utilité
clinique du ou des facteurs prédictifs ou pronostiques ;
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