Magnitude et strategies de prise en charge de la cataracte dans le monde
Médecine Tropicale • 2007 • 67 • 6 645
Physiopathologie
La transparence du cristallin, sa propriété essentielle,
est liée à son anatomie histologique et à sa physiologie. Cette
lentille est majoritairement constituée d’eau (65 %) et pré-
sente une forte concentration en protéines ‘les cristallines’
(35 %), très immunogènes et totalement isolées par la cap-
sule ou cristalloïde. L’absence de vaisseaux et de nerfs, la
densité et la régularité ultrastructurales de ces protéines,
alliées à l’agencement homogène des fibres cristalliniennes
dérivées des cellules de l’épithélium germinatif de la capsule,
sont la base morphologique de cette transparence.
L’apport en nutriments essentiels (dont le glycogène
indispensable à la production énergétique) à partir de l’hu-
meur aqueuse et du vitré est nécessaire à la synthèse conti-
nue des protéines cristallines concrétisant ainsi la dépendance
métabolique du cristallin vis-à-vis des structures environ-
nantes.
Ainsi, toute perturbation du métabolisme iono-éner-
gétique ou de l’homogénéité des fibres cristalliniennes sera
à l’origine d’une opacification du cristallin, mode de réponse
univoque à toute agression.
Etiologies
Le plus souvent liée à l’âge, la cataracte constitue une
pathologie de la sénescence touchant les sujets à partir de 70
ans dans le cadre des cataractes dites séniles ; elle est plus
précoce (avant 60 ans) dans les cataractes préséniles.
Elle peut aussi être liée à une cause extrinsèque dans
de nombreux cas.
• Secondaire à une maladie générale, elle est qualifiée
de cataracte pathologique (diabète, hypoparathyroïdie,
maladie de Steinert, toxique, notamment corticothérapie par
voie générale au long cours).
• Secondaire à une cause locale dite cataracte com-
pliquée : traumatisme, myopie forte, uvéite, toxicité locale
(corticoïdes locaux), exposition à des agents physiques (infra
rouges dans les cataractes des verriers, radiations ioni-
santes...).
• Elle est aussi parfois congénitale, généralement de
cause infectieuse anténatale, ou en rapport avec une maladie
héréditaire ou un syndrome polymalformatif. Elle peut alors
être isolée ou associée à d’autres anomalies oculaires et/ou
générales. Elle pose dans ce contexte un problème de prise
en charge précoce en vue de prévenir l’amblyopie chez l’en-
fant.
Conséquences évolutives
L’évolution de la cataracte expose à différents
écueils.
• Un risque fonctionnel de baisse d’acuité visuelle en
raison de l’opacification du cristallin qui joue le rôle d’un
écran de plus en plus dense, et qui à terme est responsable
de cécité.
• Au plan anatomique, une cataracte de plus en plus
mature qui conduit aux complications phacomorphiques, pha-
colytiques, phacoantigéniques et/ou phacotopiques, avec pos-
sible perte anatomique du globe oculaire.
• Au plan individuel, la cécité entraîne une perte de
revenus et un isolement du patient. On estime qu’elle entraîne
la perte d’un an de vie par année de cécité sur l’espérance de
vie globale.
• Au plan socio-économique, c’est une source de han-
dicap important dans les pays les moins avancés (PMA) par
son caractère présénile marqué, aboutissant à une réduction
de la valeur productive d’un patient encore jeune ; mais aussi
par la nécessité d’immobiliser un sujet (généralement un
enfant) pour l’assistance au patient handicapé par l’am-
blyopie.
Traitement
Il se fonde sur la chirurgie, connue en Inde depuis
l’antiquité. Celsius rapporte au Ier siècle une description
détaillée de la technique d’abaissement du cristallin,
méthode ancienne d’origine probablement mésopotamienne,
déjà pratiquée dans l’Egypte pharaonienne. Cette méthode
mise en œuvre par les barbiers jusqu’au XVIIesiècle, a été
introduite dans le giron médical officiel sous Louis XIV. Elle
est restée dans les faits majoritairement pratiquée jusqu’au
XIXesiècle. Aujourd’hui, elle est encore mise en oeuvre par
des « marabouts» plus ou moins itinérants en Afrique sub-
sahélienne. Elle est retrouvée sous de nombreuses latitudes.
Certains responsables politiques en auraient ‘bénéficié’ au
milieu du siècle dernier. Elle consiste à basculer le cristal-
lin dans le vitré grâce à un instrument pointu introduit dans
l’oeil (dans des conditions d’asepsie souvent aléatoires et sans
anesthésie). Elle expose à des complications anatomo-fonc-
tionnelles majeures, après une passagère amélioration de
l’acuité visuelle. L’évolution expose la quasi-totalité des
patients qui l’ont subie à une cécité dans les deux ans qui sui-
vent l’acte.
L’extraction intra capsulaire succède à l’abaisse-
ment du cristallin en tant que méthode de traitement au
XVIIIesiècle, quand en 1752, Jacques Daviel, chirurgien
marseillais des galères opère à l’Hôtel-Dieu de Marseille
l’ermite d’Eygille. Divers auteurs (Jaegger, Mooren, Von
Graefe, Beer, Williams) apporteront des améliorations
successives à la 1edescription de Daviel. Cette technique
d’extraction du cristallin in toto par une large kératoto-
mie, lancée par l’école française, sera en rivalité avec les
tenants de l’abaissement du cristallin sous la houlette des
écoles anglo-saxonne et italienne (notamment l’influent
Scarpa). Cette compétition durera jusqu’au XIXesiècle où
elle finira par s’imposer. L’avènement de l’anesthésie
rétrobulbaire (Elsnig), les progrès de la micro chirurgie
après la 2eguerre mondiale (par les frères Barraquer dans
les années 50) et l’utilisation de la cryogénie en 1961 don-
nent à cette technique un essor considérable au XXe
siècle.