Sleeping Beauty – Colette Carrigan –
Compagnie Akselere
Le théâtre d’objets développe cette fonction poétique que Breton assignait dans les années trente à l’objet
surréaliste : « perturber la loi » que la société impose aux objets notamment leur obsolescence.
Il entreprend de donner une seconde vie à ces objets manufacturés produits en masse et délaissés par les
consommateurs. Il les fait sortir de leur logique utilitaire pour les faire entrer dans une logique poétique où leur
pouvoir d’évocation se déploie.
Ainsi, un capuchon de stylo rouge récupéré put devenir une Petit Chaperon Rouge :
c’est autant la couleur que la proximité consonantique et sémantique entre capuchon et
chaperon qui déploie ici tout un champ d’évocation. Il ne s’agit pas de transcender
mais de détourner l’objet de fait le rapprochement avec les surréalistes est inévitable :
à savoir donner aux objets de nouvelles significations et des fonctions
symboliques. Cependant, il est important de nuancer, car lorsqu’André Breton et
Philippe Soupault mirent en scène en scène parapluie, robe de chambre et machine à
coudre dans un sketch de 1920 intitulé « Vous m’oublierez », tous les personnages
étaient joués par des comédiens. Ce n’était donc pas un vrai théâtre d’objets mais une
provocation pour choquer le public. Ceci dit, ils autorisent par ces détournements une
ouverture du champ de l‘imagination et une réflexion sur de nouveaux moyens
d’expression. Nous pouvons évoquer les ready-made de Marcel Duchamp qui par un
déplacement de sens, fait entrer l’objet dans le domaine de l’art.
Sur la trace des surréalistes, les marionnettistes et les artistes ont donc donné aux
objets de nouvelles significations. En expérimentant les objets de la société de consommation, les objets du quotidien, ils
les ont transformés en personnage car ils renferment des possibilités illimitées (la marionnette a d’ailleurs les mêmes
qualités).
Une nouvelle place de l’objet dans le théâtre : le marionnettiste qui utilise l’objet dans des buts dramatiques et
spectaculaires, doit oublier leur fonction utilitaire. Sur la scène, un sèche-cheveux au lieu de sécher une chevelure se mue
en dragon, en gobeur de mouches.
Dans le théâtre d’objets, les objets véhiculent les idées et
l’imagination de l’artiste
Le théâtre d’objets atteint son apogée dans les années 1980, les objets font leur première apparition en scène : ils
interprètent des personnages et prennent part à l’action. L’objet devient un terrain d’expérience pour les marionnettistes : il
y a autant de théâtre d’objets que de metteurs en scène, d’ailleurs Christian Carrignon emploie lui-même le possessif «
mon théâtre d’objets ».
Une possible définition
C’est quoi un objet pour le théâtre d’objets ?
Même s’il est central, qui dit objets ne signifie pas nécessairement théâtre d’objets. On peut aujourd’hui, faire du théâtre
d’objets sans objets, par exemple en manipulant la matière.
L’objet se définit comme vu par son lien avec une époque où la société comme elle continue de le faire morcelle le désir de
chaque individu. Il se caractérise aussi par sa petitesse, peut-être en réaction à la grandeur du théâtre classique. C’est un
théâtre fondé sur un matériau informe qui prend forme au cours du spectacle. Le comédien-manipulateur transpose son
rôle sur un objet matériel et prend ses distances par rapport à ce rôle. Tout comme l’objet, ces éléments de la réalité (de
l’aluminium ou de la cire) peuvent servir d’intermédiaire signifiants ou non pour décrire, appréhender et refléter le monde.
Et puis voilà ce qu’en dit Christian Carrignon:
« L’objet dans le théâtre d’objets est immédiatement identifiable. Il est fait pour une main, comme un outil. Il vient
la plupart du temps de la maison (le rêve se développe la plupart du temps dans l’intérieur des maisons). […] La
boîte de Cachou Lajaunie, le baromètre en forme d’ancre dans l’entrée, le tire-bouchon De Gaulle, lire Je me
souviens de Georges Perec et se souvenir de lui… » .