See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/335518145 Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux? Network analyses: Are we moving toward a new conceptualization and treatment... Article in L Encéphale · August 2019 DOI: 10.1016/j.encep.2019.06.001 CITATIONS READS 3 529 2 authors: Catherine Bortolon Raffard stéphane Université Grenoble Alpes Paul Valéry University, Montpellier 3 72 PUBLICATIONS 812 CITATIONS 192 PUBLICATIONS 2,329 CITATIONS SEE PROFILE SEE PROFILE Some of the authors of this publication are also working on these related projects: ENERGY : "Assessment of the efficacy of a fatigue management therapy in schizophrenia: a randomized controlled multi-centric study" View project Cost-utility Study of Group of Compensatory Cognitive Remediation in Schizophrenia (Grecco) View project All content following this page was uploaded by Raffard stéphane on 31 August 2019. The user has requested enhancement of the downloaded file. Dear author, Please note that changes made in the online proofing system will be added to the article before publication but are not reflected in this PDF. We also ask that this file not be used for submitting corrections. G Model ARTICLE IN PRESS ENCEP 1181 1–8 L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Revue de la littérature Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? 1 2 Network analyses: Are we moving toward a new conceptualization and treatment of mental disorder? 3 4 5 Q1 C. Bortolon a,b,∗ , S. Raffard b,c 6 Q2 a 7 8 Laboratoire inter-universitaire de psychologie : personnalité, cognition et changement social, université Grenoble Alpes, Grenoble, France University Department of Adult Psychiatry, CHU de Montpellier, Montpellier, France c Epsylon Laboratory, EA 4556, Montpellier, France b 9 10 i n f o a r t i c l e r é s u m é 11 12 13 14 15 Historique de l’article : Reçu le 29 janvier 2019 Accepté le 17 juin 2019 Disponible sur Internet le xxx 16 17 18 19 20 21 22 Mots clés : Approche par réseau Psychopathologie Trouble mental Psychologie clinique Comorbidités En rupture avec les approches catégorielles et dimensionnelles et donc le modèle médical classique, l’approche par réseau, appliquée à la psychopathologie constitue une approche holistique des troubles mentaux. Dans cette approche, les troubles mentaux ne sont plus conceptualisés comme étant des essences s’exprimant via l’expression d’un ensemble de symptômes. Les troubles mentaux sont conçus comme un système de symptômes interconnectés au sein duquel les symptômes sont la cause les uns des autres. Cette interaction entre les différents symptômes donnerait lieu à une boucle de rétroaction qui conduit à l’installation et la maintenance de ces symptômes/troubles. Par ailleurs, cette approche propose que les comorbidités soient le résultat d’interactions symptôme-symptôme qui dépassent la frontière du diagnostic et interagissent avec des symptômes appartenant à d’autres troubles psychiatriques. Un nombre croissant d’études a appliqué l’approche par réseau afin d’élucider les interactions causales au sein des symptômes constitutifs de la dépression, l’état de stress post-traumatique, la schizophrénie, ou les troubles anxieux. L’objectif général de cette revue est de sensibiliser les chercheurs et les cliniciens en psychiatrie et psychologie clinique à l’approche par réseaux, appliquée à la psychopathologie. Pour ce faire, nous présentons les principaux concepts et principes de l’approche par réseau et son application dans l’état de stress post-traumatique. Nous discutons également les critiques faites récemment à cette approche et ses applications cliniques. © 2019 L’Encéphale, Paris. a b s t r a c t 23 24 25 26 27 28 29 Keywords: Network approach Psychopathology Mental disorder Clinical psychology Co-morbidities In a break with categorical and dimensional approaches and thus the classical medical model, the network approach applied to psychopathology constitutes a holistic approach to mental disorders. In this approach, mental disorders are conceived as an interconnected system of symptoms in which symptoms are the cause of each other. It is suggested that the interaction between the different symptoms would result in a feedback loop that leads to the installation and maintenance of these symptoms/disorders. In addition, this approach proposes that co-morbidities are the result of symptom-symptom interactions that cross the diagnostic boundary and interact with symptoms from other psychiatric disorders. A growing number of studies have applied the network approach to elucidate causal interactions within the symptoms of depression, post-traumatic stress disorder, schizophrenia, or anxiety disorders. The overall objective of this review is to raise awareness among researchers and clinicians in psychiatry and clinical psychology of the network approach applied to psychopathology. To do this, we present the main concepts and principles of the network approach and its application in post-traumatic stress disorder. We also discuss recent criticisms of this approach and its clinical applications. © 2019 L’Encéphale, Paris. ∗ Auteur correspondant : UFR SHS, laboratoire Inter-universitaire de psychologie : personnalité, cognition et changement social, université Grenoble Alpes, 1251, avenue Centrale, CS 40700, 38058 Grenoble, France. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (C. Bortolon). https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 0013-7006/© 2019 L’Encéphale, Paris. Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 G Model ENCEP 1181 1–8 C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 2 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 ARTICLE IN PRESS 1. Introduction Le principal but de cet article est de présenter une nouvelle conceptualisation des troubles mentaux appelée l’approche par réseau récemment développée par Denis Borsboom et collaborateurs, au sein de laquelle les troubles psychopathologiques sont conçus comme des systèmes dynamiques complexes, approche qui remet en cause l’approche catégorielle jusqu’ici dominante pour caractériser les maladies mentales. Il est important de noter que le questionnement posé par la classification et la description des troubles mentaux n’est pas nouveau et a traversé la psychopathologie depuis sa naissance et les diverses controverses autour du DSM 5 avec comme point d’orgue la décision par le National Institute of Mental Heath de s’affranchir de ses catégories pour proposer une approche transdiagnostique est révélatrice d’une crise épistémologique actuelle forte concernant leur conception. Cette crise s’actualise notamment depuis plusieurs années à travers deux conceptualisations opposées des troubles mentaux : l’approche catégorielle qui est l’approche traditionnelle qui a caractérisé jusqu’à présent toute démarche classificatoire en psychiatrie, et l’approche dimensionnelle. Au sein de l’approche catégorielle, un trouble psychiatrique (variable latente) n’est conçu que par la synthèse d’un nombre précis de symptômes cliniques présents (variables observables) et constitue une entité distincte des autres avec des frontières strictes et clairement définies. À l’opposé, l’approche dimensionnelle remplace la notion de catégories (diagnostic présent vs. absent) par la notion de « dimensions » au sein desquelles les individus sont « ordonnés » en fonction de l’intensité des différentes caractéristiques/symptômes. Les dimensions ne sont plus considérées comme des entités discrètes mais comme des états continus ne se différenciant pas entre eux par essence mais en termes de spectre se situant entre le normal et le pathologique. Si l’approche dimensionnelle permet d’obtenir des distinctions plus subtiles que dans l’approche catégorielle (par exemple chaque individu ayant reçu un diagnostic de schizophrénie peut être représenté via 5 dimensions continues telles que les dimensions négatives, positives, de désorganisation, d’excitation ou de détresse émotionnelle), les symptômes sont toujours conçus, cependant, comme étant causés par une racine commune (entité schizophrénie conçue comme variable latente1 ) indépendante des symptômes qu’elle produit. Ainsi, les symptômes tels que la tristesse, l’anhédonie, la fatigue, la perte de poids, entre autres, reflètent la présence d’un trouble dépressif conçue de manière implicite comme une variable latente. L’approche par réseau, appliquée aux troubles mentaux par Borsboom et Cramer [1] constitue une rupture par rapport aux approches catégorielles et dimensionnelles et donc au modèle médical classique. En psychopathologie, et contrairement à ce que nous observons en médecine somatique, les troubles mentaux ne peuvent pas être identifiés de manière indépendante à leurs symptômes [1,2]. Ainsi, comme l’écrit Borsboom & Cramer [1], supposons que l’on souffre de symptômes tels que des maux de tête, des troubles de la mémoire et de la vision. Ces symptômes peuvent être le résultat d’une tumeur au cerveau. Une telle tumeur est une entité empiriquement identifiable et observable qui est conceptuellement séparée de ses effets symptomatiques : on peut avoir (a) des maux de tête sans tumeur au cerveau et (b) une tumeur au cerveau sans maux de tête. Si les maux de tête sont un symptôme de la tumeur, on a effectivement (c) des maux de tête et 1 En statistique, une variable latente est une variable qui ne peut pas être mesurée directement, mais qui est supposée être à la base des variables observées. Ainsi, si les symptômes « perte de plaisir » ou « prise de poids » peuvent être observés directement (variables manifestes), la dépression (variable latente) est elle inobservable mais considérée comme la cause de leur émergence et de leur covariance. une tumeur au cerveau, et (d) les maux de tête n’auraient pas été présents sans la tumeur. Ainsi en médecine, on peut séparer la maladie (la cause) de ses symptômes. Si ce modèle de la maladie somatique a été appliqué à l’étude des troubles mentaux, il se heurte à une limite fondamentale. En effet, si la dépression était un trouble indépendant de ses symptômes, nous pourrions observer des patients atteints de dépression sans les symptômes de tristesse ou d’anhédonie. Or, il n’a été jusqu’à présent impossible d’identifier l’un des nombreux troubles mentaux décrits dans les manuels de psychiatrie comme étant des affections qui existent indépendamment de leurs symptômes, et du point de vue de Borsboom et de son équipe ce ne sera probablement jamais le cas. Corollaire important, cela signifie que les « troubles mentaux » ne peuvent pas être la cause de ces symptômes observés (anhédonie, hallucination, hyperactivité) – du moins, pas de la même manière que les tumeurs et les infections bactériennes sont la cause des symptômes en médecine. Le postulat fondamental de l’approche par réseau est que les troubles mentaux émergent d’une interaction dynamique entre les symptômes et son objectif principal est de mettre en évidence leurs relations causales. Autrement dit, les troubles mentaux sont conçus comme un système de symptômes interconnectés au sein duquel les symptômes sont la cause les uns des autres, donnant lieu à une boucle de rétroaction qui conduit à l’installation et la maintenance de ces symptômes, et donc de ce que nous connaissons comme étant conceptualisé comme maladie psychiatrique [1,2]. Par exemple, après un événement stressant, un individu souffrant d’une humeur dépressive développera une insomnie qui finira par provoquer de la fatigue, laquelle provoquera des difficultés de concentration, conduisant à des sentiments de dévalorisation qui aggraveront encore l’humeur dépressive, formant une boucle qui renforcera le réseau. Dans ce contexte, la notion même de maladie mentale devient secondaire, les symptômes ne sont pas le reflet, mais constituent en eux-mêmes le trouble mental (Fig. 1). Q3 L’objectif général de cette revue est de sensibiliser les chercheurs et les cliniciens en psychiatrie et psychologie clinique à l’approche par réseaux, appliquée à la psychopathologie et développée par Borsboom et ses collaborateurs. Pour cela, nous souhaitons dans un premier temps en présenter les bases théoriques et les principes généraux. Dans un second temps, nous souhaitons présenter un bref résumé de quelques études menées selon cette approche notamment dans le cadre de l’état de stress post-traumatique et de la schizophrénie. Enfin, nous discuterons les implications et perspectives cliniques de cette approche mais aussi ses limites et les critiques dont elle fait l’objet. 2. L’approche par réseau L’approche par réseau distingue la topologie du réseau (c.-à-d. la structure du réseau) de la dynamique du réseau (c.-à-d. les changements temporels au sein d’un réseau). Au niveau de la structure, un réseau peut être défini comme un ensemble d’éléments qui sont connectés entre eux par des relations. Ici, nous considérons que ces éléments sont des nœuds (« nodes » en anglais) et leurs relations sont appelées des liens (« edges » en anglais). Les nœuds sont classiquement représentés par des cercles et peuvent représenter n’importe quelle variable (ex. symptômes, personnes, processus, etc.). Les liens sont représentés par des lignes qui connectent les nœuds et peuvent représenter différents types de relations (ex. corrélations). La structure et la représentation d’un réseau se définissent à travers plusieurs variables. La densité indique le niveau de connectivité au sein du réseau. La distance indique le nombre de liens ou la distance entre deux nœuds spécifiques. D’autres concepts importants comprennent la notion de valeur (« value ») ou l’intensité de la relation et la notion de signe (« signal ») indiquant si la relation est Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 G Model ENCEP 1181 1–8 ARTICLE IN PRESS C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 3 Fig. 1. Approche médicale catégorielle ou dimensionnelle selon laquelle les symptômes d’un trouble mental sont issus d’un même facteur causal (variable latente) vs. approche par réseau selon laquelle les symptômes psychiatriques sont leur propre cause et se développent et se maintiennent mutuellement (Figure inspirée de la figure 1 de Jones, Heeren et McNally [8]). réseau. Il existe un grand nombre de mesures de centralité différentes qui ne seront pas présentées dans cet article (voir l’article de [3] pour plus d’informations). Une autre dimension clé de l’approche par réseau concerne la dynamique de celui-ci et notamment sa dynamique temporelle. En effet, comme les réseaux dynamiques impliquent des données chronologiques intensives, les directions temporelles des relations peuvent être estimées, indiquant si un nœud particulier est prédictif d’un autre nœud à un moment ultérieur. De ce fait, les réseaux dynamiques fournissent un meilleur aperçu des relations causales possibles entre les différents nœuds. Le concept clé pour comprendre les changements au sein d’un réseau d’un état à un autre état est l’indice de connectivité (densité) au sein d’un réseau. Chaque état d’un réseau présente un certain degré de stabilité qui dépend de la connectivité des différents éléments du réseau. 3. L’approche par réseau en psychopathologie Fig. 2. Chaque nœud représente un symptôme et les lignes reliant les nœuds sont les liens, les relations entre les différents symptômes. L’épaisseur représente l’intensité de la relation et la couleur le signe : les corrélations positives sont représentées par la couleur verte et les corrélations négatives sont représentées par la couleur rouge. 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 positive ou négative. Typiquement, les corrélations plus fortes sont représentées par des « liens » plus épais (ou plus foncés) que les corrélations plus faibles. D’autre part, les corrélations positives entre deux symptômes sont représentées par la couleur verte, tandis que les corrélations négatives sont représentées par la couleur rouge. Enfin, les liens entre les nœuds peuvent être directs ou indirects. Les liens directs sont représentés par des flèches qui indiquent la direction du lien causal (voir Fig. 2). Les liens indirects sont représentés par des lignes simples et indiquent une association (sans valeur causale). Un autre concept fondamental est celui de centralité (« centrality »). Ce concept de centralité rend compte du groupe de nœuds ayant le plus d’interconnexions et constituant donc les nœuds les plus centraux du réseau. Le nombre de connexions d’un nœud correspond ainsi au « degré de centralité ». Ce que nous observons est que les nœuds qui sont fortement corrélés forment un « cluster » au centre du réseau et que les corrélations plus faibles sont présentées plutôt dans la périphérie. En conséquence, les nœuds les plus centraux sont considérés comme les nœuds les plus importants du En psychopathologie, l’approche par réseau vise à 1) étudier les relations entre les symptômes qui participent au développement et au maintien d’un ou plusieurs troubles psychiatriques et 2) déterminer les symptômes centraux au sein du réseau qui pourraient déclencher le développement d’autres symptômes et qui seront donc la cible des prises en charge [1–3]. Dans ce contexte, les nœuds représentent les symptômes et les liens représentent les relations entre les symptômes. Les nœuds qui sont connectés rendent compte des symptômes qui ont un impact direct les uns sur les autres. Tandis que les nœuds qui ne sont pas reliés entre eux représentent des symptômes qui n’ont aucun impact direct entre eux. L’approche par réseau permet également de mettre en évidence des variations au niveau de la force des interactions entre nœuds. Ainsi, du fait des variations de l’intensité d’interaction entre les différents symptômes/nœuds, dans certains cas, l’activation d’un nœud (symptôme) ne va pas aboutir automatiquement à l’activation de tous les autres nœuds (symptômes) qui lui sont reliés. Dans cette approche, un trouble psychiatrique correspond à un ensemble de symptômes qui sont connectés par un système de relations causales, autrement dit, un système des symptômes en interaction. Les symptômes ne sont pas les expressions d’une essence diagnostique abstraite, mais constituent le diagnostic. En conséquence, selon cette conception de la maladie psychiatrique, dire qu’une personne « est atteinte » ou « n’est pas atteinte » d’une maladie psychiatrique ne semble plus pertinent. Nous dirons à la place qu’un symptôme, dans un moment spécifique, est « activité » ou « désactivé » et, donc, que l’activation d’un symptôme Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 G Model ENCEP 1181 1–8 4 ARTICLE IN PRESS C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 215 pourrait entraîner l’activation d’un autre symptôme. Si alors un réseau devient « activé », cela revient à dire que la personne est atteinte d’un trouble psychiatrique [4,5]. 216 3.1. Application de la théorie des réseaux aux troubles mentaux 213 214 217 Q4 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 Borsboon [2] propose 4 implications centrales de l’application de la théorie des réseaux aux troubles mentaux. 3.1.1. Complexité Un trouble mental se caractérise fondamentalement comme le résultat d’interactions complexes entre les différents nœuds du réseau psychopathologique le caractérisant. Autrement dit, les troubles mentaux ne sont pas le reflet d’un facteur causal unique, mais doivent être conceptualisés en termes de réseaux complexes de mécanismes causaux (biologiques, environnementaux, psychologiques), se renforçant et s’influençant mutuellement. Dans ce sens, l’approche par réseau s’oppose aux modèles explicatifs réductionnistes des troubles mentaux. Le réductionnisme explicatif implique qu’un mécanisme neurobiologique pathogénique pourrait être la cause d’un ensemble de symptômes (biomarqueurs) et ainsi que des interventions ciblant ce biomarqueur auront un effet sur cet ensemble de symptômes [6]. Malgré des efforts multiples pour trouver un mécanisme explicatif central des troubles mentaux, le résultat de ces recherches reste cependant décevant. Même si des facteurs biologiques ont été trouvés à l’origine ou impliqués dans le maintien de certains troubles mentaux, ces facteurs ne sont pas spécifiques à un trouble mental et ne représentent pas non plus un mécanisme explicatif central des troubles mentaux [6,7]. L’approche par réseau ne minimise pas l’importance des facteurs biologiques, mais considère que ces facteurs biologiques tout comme des facteurs contextuels, sociaux et culturels peuvent influencer (renforcer ou affaiblir) l’activation du réseau psychopathologique et les connexions entre les différents symptômes [6]. Les causes d’un réseau des symptômes sont donc considérées comme multifactorielles (voir le point ci-dessous). 3.1.2. Correspondance symptôme-composante Borsboon et collaborateurs [1,2] proposent que seuls les symptômes établis selon les manuels diagnostics actuels doivent faire partie du réseau dit « réseau psychopathologique ». Selon les auteurs, les autres facteurs qui peuvent influencer le réseau psychopathologique des symptômes font partie d’un champ externe (Fig. 3). Ces facteurs externes peuvent impacter les symptômes de manière directe ou indirecte, leur influence peut être immédiate ou différée et peuvent comprendre des processus psychologiques, antécédentes génétiques ou d’autres dysfonctionnements neuronaux. Par exemple, suite à un traumatisme dans l’enfance, un symptôme particulier (ex. une hallucination) peut apparaître immédiatement après l’épisode traumatique ou plus tardivement dans le développement de l’individu [5]. De plus, ces facteurs externes vont influencer le réseau de chaque individu différemment de manière que face à un même événement stressant un individu développera un trouble psychotique et un autre un stress post-traumatique. Ces facteurs externes vont inclure également le contexte. Selon les auteurs, le contexte culturel, historique et l’environnement en soi vont avoir un rôle important et influencer les connexions entre les différents symptômes d’un réseau. Borsboom et collaborateurs [6] suggèrent que tandis que certaines connexions restent stables dans différents contextes, probablement en raison d’une influence évolutionniste commune, d’autres semblent évoluer en fonction des variations dans le temps et dans l’espace. Par exemple, l’insomnie va probablement induire de la fatigue et des problèmes d’attention, mais les situations qui vont amener une personne atteinte de dépression à faire une tentative de suicide peuvent varier largement en fonction du contexte (ex. soutien social, valeur d’une société, culture). Fig. 3. Représentation d’un réseau composé par 5 symptômes qui interagissent les uns avec les autres et trois facteurs externes qui affectent le réseau psychopathologique. Ces facteurs peuvent être spécifiques à un symptôme (Facteur 2 et 3) ou partagé par plusieurs symptômes (Facteur 1). Figure traduite à partir de la figure originalement publié par Borboom [2]). Copyright 2017 Wiley Online Library. Réimprimé avec permission. Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 G Model ENCEP 1181 1–8 ARTICLE IN PRESS C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 5 Boorsbom et collaborateurs [1,2] ont également placé dans ce champ externe les processus psychologiques. Cependant, Jones, Heeren & McNally [8] soutiennent que d’autres variables, notamment certains processus cognitifs, devaient faire partie du « réseau psychopathologique », notamment si elles varient au niveau intraindividuel et participent à l’étiologie et au maintien des troubles mentaux. 3.1.3. Connexions causales directes La structure du réseau est générée par un schéma de connexions causales directes entre les symptômes. De cette manière, un symptôme (ex. insomnie) peut être initialement déclenché par un facteur externe (ex. perte du travail) ou interne (ex. dysfonctionnement neurobiologique). Ce symptôme va donner lieu à d’autres symptômes (difficultés de concentration, tristesse, fatigue) qui vont à leur tour contribuer au symptôme initial (insomnie), formant un cercle vicieux qui va alors produire un trouble psychiatrique (ex. dépression). Autrement dit, selon l’approche par réseau, c’est cette boucle de rétroaction qui va donner lieu au trouble psychiatrique. Plus récemment, Borsboom et al. [6] soulignent que les liens entre les différents symptômes prennent leurs sens en fonction de leurs relations rationnelles. Une relation rationnelle implique dans ce contexte que le lien entre certains symptômes possède une explication rationnelle. Par exemple, les idées délirantes de grandeur et de persécution sont caractérisées par des « contenus » différents. L’idée délirante de grandeur consiste en la croyance d’être quelqu’un de spécial ou très important, tandis que les idées de persécutions rendent compte de la croyance qu’il y a une conspiration contre soi. Les « nœuds » qui seront associés à ces différentes idées délirantes vont avoir un lien direct avec le contenu de l’idée délirante. Ainsi, par exemple, une idée délirante de persécution sera probablement accompagnée d’anxiété et de préoccupations, tandis que les idées délirantes de grandeur seront plutôt associées à un mauvais contrôle des impulsions [9]. Ainsi, les connexions entre l’idée délirante et les autres symptômes qui l’accompagnent ne peuvent être comprises qu’en tenant compte de la phénoménologie des idées délirantes. Le même principe peut être appliqué à la peur des araignées ou la peur de la contamination. Dans ce sens, les auteurs proposent que tous les états mentaux (et les symptômes) soient associés à des contenus (nous croyons à quelque chose, nous avons peur de quelque chose, etc.), et que c’est ce contenu qui va déterminer quelles seront les relations du réseau qui seront alors activées. 3.1.4. Les troubles mentaux suivent la structure du réseau Les symptômes qui appartiennent au même trouble psychiatrique (définit selon le DSM 5, par exemple) seront plus fortement liés au niveau causal que d’autres symptômes appartenant à d’autres troubles. Borsbroom [2] rajoute un dernier principe important basé sur les travaux de Cramer [10] selon lequel le trouble mental peut se développer suite à un facteur déclenchant, mais peut aussi se maintenir malgré la disparition de ce facteur déclenchant. Ce phénomène appelé hystérésis dans les théories des systèmes complexes correspond à la persistance d’un phénomène alors que sa cause principale a disparu. Ce phénomène est particulièrement à l’œuvre dans certains troubles psychopathologiques comme l’état de stress post-traumatique, celui-ci se développant et persistant malgré le fait que l’événement traumatique initial ait lui-même disparu. Ce phénomène d’hystérésis serait particulièrement observé au sein de réseaux fortement connectés. Dans les réseaux faiblement connectés, la connexion entre les symptômes n’est pas assez forte pour que ceux-ci s’auto-entretiennent, ce qui conduit au rétablissement de l’état initial (état de santé). Comme nous avons évoqué précédemment, la dynamique des réseaux appliquée aux troubles mentaux nous permet de Fig. 4. Passage d’un état stable de « santé mentale » (position 1 pour la Figure A et B) à un état stable de « maladie mentale » (position 3 ; réseau moins stable et moins connecté pour la Figure A et plus stable et plus connecté pour la Figure B) en passant par un « tipping point » (position 2 pour la Figure A et B). comprendre notamment la question de la transition d’un état de santé mentale à un état psychopathologique. Nous parlons, ainsi, d’un système « bi-stable » avec deux états : état de santé mentale et un état psychopathologique. À ce stade, l’indice de connectivité (densité) apparaît particulièrement important pour comprendre la transition entre ces deux états. En effet, plus forte est le niveau de connectivité des différents éléments du réseau, plus celui-ci est stable [11]. Cette idée, comme le suggèrent Hofmann et Curtiss [11], peut être illustrée via l’image d’une balle qui roule sur une vallée et une colline (voir Fig. 4). Plus la vallée est profonde, plus stable est le réseau. Ainsi, si un état de santé mentale est un état stable d’un réseau fortement connecté (plus profond ; position 1A), cela indique qu’il faut beaucoup plus d’effort ou un niveau de perturbation important (ex : plusieurs facteurs stressants qui se cumulent) pour que la balle atteigne le point de basculement ou « tipping point » (position 2A). Une fois ce point atteint, même une petite perturbation peut entraîner un changement brusque d’un état de santé à un état de maladie mental (position 3) qui pourrait, à son tour, être une vallée profonde (état plus stable/réseau fortement connecté ; position 3B) ou non (état moins stable/réseau faiblement connecté position 3A). Ainsi, si l’état maladie mentale est faiblement connecté, cela indique un bon pronostic. Au contraire, un réseau fortement connecté est associé à une vulnérabilité plus importante à un trouble psychiatrique et à un pronostic moins positif [12]. 3.2. La question des comorbidités dans l’approche par réseau La présence de comorbidités au sein d’un trouble mental doit être considérée comme une règle plutôt qu’une exception [13,14]. Selon l’approche par réseau, les comorbidités représentent une qualité intrinsèque d’un trouble mental étant donné que les interactions symptôme-symptôme ne s’arrêtent pas à la frontière du diagnostic, mais se prolongent et interagissent avec des symptômes appartenant à d’autres troubles psychiatriques [4]. Ces interactions se dérouleraient notamment via des symptômes communs aux deux réseaux constituant respectivement deux troubles mentaux en interaction. En effet, si on prend l’exemple de la dépression et de l’anxiété généralisée telles qu’elles sont décrites dans le DSM, nous pouvons observer plusieurs symptômes communs aux deux Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 G Model ENCEP 1181 1–8 6 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 ARTICLE IN PRESS C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx troubles (ex. l’insomnie et la fatigue). Les symptômes « pont » comme décrit par Borsbroom [2] tels que la fatigue ou les difficultés de concentration peuvent lier ces deux troubles et donner lieu à des symptômes comorbides. Autrement dit, les comordibités sont mieux expliquées par des interactions mutuelles entre certains symptômes spécifiques [15] pouvant propager l’activation d’un trouble à l’autre. De plus, selon cette perspective, la comorbidité dépend du nombre de symptômes « ponts » partagés par les différents troubles ce qui expliquerait, par exemple, la forte comorbidité entre dépression et anxiété généralisée qui partagent plusieurs symptômes en commun tels que la fatigue et les difficultés de concentration [16]. 4. Critiques de l’approche par réseau et mise en perspective Il apparaît évident que l’approche par réseau représente une avancée notable offrant d’importantes perspectives dans notre compréhension du développement, du maintien et de la prise en charge des troubles mentaux. Cependant, celle-ci est aussi la cible de plusieurs critiques que nous allons évoquer ici (pour plus de détail voir [17–20]). Premièrement, une des critiques mises en avant par Guloksuz et collaborateurs [17] de l’approche par réseau concerne le risque de (re)créer une dichotomie entre ces deux branches de la médecine (médecin somatique vs. psychiatrique) après plusieurs années de travail pour leur unification et leur « pacification » réciproque. En effet, une approche par réseau pourrait aussi bénéficier à la compréhension à la fois des maladies physiques et mentales. Par exemple, l’approche par réseau pourrait permettre de mieux comprendre le lien entre une maladie mentale et une maladie physique en considérant cette dernière comme provoquée par la présence des symptômes « ponts » entre les deux maladies (ex. fatigue et insomnie). Cependant, cette critique se heurte à l’argument princeps de Borsboom [6] et de l’impossibilité pour les troubles mentaux d’être conceptualisés sur le modèle de la médecine physique (voir les réflexions précédentes sur variable latente et manifeste). Deuxièmement, même si Borsboom considère que l’approche par réseau ne s’associe pas aux approches nosographiques classiques et ainsi, n’a pas pour objectif de proposer une nouvelle classification des troubles psychiatriques, les études qui s’y sont intéressées utilisent presque exclusivement des variables manifestes provenant de questionnaires et d’outils d’observation symptomatologique issus des classifications provenant du DSM pour comprendre comment ces symptômes interagissent. En conséquence, il est possible que ces études décrivent certains symptômes apparaissant comme centraux dans le réseau en raison de la structure même du DSM et de la manière que celui-ci a de définir un trouble mental spécifique. Un dernier problème avec l’utilisation des critères du DSM repose sur le fait que certains diagnostics ne peuvent être posés en l’absence de certains symptômes spécifiques. Par exemple, sans la présence d’au moins une humeur triste ou d’anhédonie et malgré la présence d’autres symptômes comme la perte de poids, ou d’insomnie, le trouble de dépression majeure ne peut être proposé. Cette référence stricte aux critères du DSM peut ainsi avoir pour conséquence d’exclure un ensemble d’individus ne répondant pas strictement à l’ensemble de ces critères et par conséquent biaiser les analyses par réseau qui ne prendraient pas en compte un ensemble de symptômes pourtant bien présents chez ces mêmes individus [17]. Autre élément, le lien entre certains symptômes va également être déterminé en fonction des catégories psychiatriques. Autrement dit, les symptômes vont prendre tel ou tel sens suivant le diagnostic posé [21] ce qui pourrait influencer les dynamiques du réseau. Par exemple, l’arrachage des cheveux peut être conçu comme un comportement d’automutilation chez une personne avec un diagnostic de dépression, mais prendre une autre fonction/définition si un diagnostic de trouble obsessionnel compulsif est posé [21]. Cet aspect est également mis en avant par Marková et Berrios [22] lorsqu’ils parlent de l’influence du clinicien lorsqu’il/elle guide le/la patient(e) vers tel ou tel diagnostic. Ainsi, la manière dont l’entretien clinique a été mené peut fortement moduler la fonction du symptôme/comportement et en conséquence ses interactions au sein du réseau. Le DSM et l’approche classique catégorielle ont reçu un grand nombre de critiques ces dernières années et sont actuellement perçus par certains comme un « obstacle épistémologique » aux avancés dans le domaine des recherches biomédicales, mais également dans d’autres domaines comme la psychologie clinique [23]. Cependant, les approches alternatives (ex. approche dimensionnelle) proposées jusqu’ici n’ont pu fournir suffisamment de preuves en faveur de leurs hypothèses ni de leur applicabilité en pratique clinique (ex. aider les cliniciens à déterminer quand le traitement psychiatrique est nécessaire et quel traitement prescrire). Par exemple, le Research Domain Criteria (RDoC) propose une classification transdiagnostique des troubles mentaux en fonction des dimensions comportements observables et de mesures neurobiologiques au lieu de se focaliser sur la sémiologie clinique [24]. Ce projet propose un changement important au niveau épistémologique dans lequel les critères du DSM ont été totalement abandonnés afin de se focaliser sur la mise en évidence des processus neurobiologique sous-jacents aux altérations de la perception, cognition, motivation et comportements associés aux troubles mentaux. Si cette nouvelle conception de la maladie mentale a été présentée comme permettant des avancées très prometteuses, son manque d’application clinique et le manque d’attention aux aspects subjectifs du patient et de son environnement ont été soulignés comme un frein majeur à sa pertinence clinique et thérapeutique [22,25,26]. Il est en cela important de noter que si l’approche par réseaux propose des critiques importantes aux modèles explicatifs réductionnistes comme le DSM, elle ne néglige pas l’importance des processus neurobiologiques au sein du réseau et de sa conceptualisation des troubles mentaux [6]. Ainsi, les processus neurobiologiques vont contribuer à la dynamique des réseaux par des boucles de rétroaction au sein desquelles les aspects neurobiologiques peuvent prédisposer un individu à une maladie/symptôme, mais la manifestation d’un symptôme peut également altérer les aspects neurobiologiques [1]. Cependant, certains aspects restent flous concernant la modélisation des processus neurobiologiques comme le souligne Dumas et al. [27]. Une autre approche alternative est apparue récemment sous l’appellation taxonomie hiérarchique de la psychopathologie (Hierarchical Taxonomy of Psychopathology – HiTOP) [28]. Le HiTOP est un modèle phénotypique et dimensionnel structuré en 6 niveaux (i.e., Symptômes, Symptom components and maladative traits, Syndromes/Troubles, Sous-facteurs, Spectre, et Super Spectre). Ce modèle combine les symptômes et signes en composants des symptômes ou traits inadaptés qui sont, à leur tour, combinés en syndromes dimensionnels [28]. Des syndromes similaires sont combinés en sous-facteurs (ex : phobies, trouble panic, trouble obsessionnel compulsif combinés dans le sous-facteur « Peur »). Les sous-facteurs ou sous-types de syndromes sont ensuite classés pour former des spectres (ex : détresse, peur, problèmes liés au comportement alimentaire et sexuel forment le spectre « internalisation »). Enfin, ces spectres sont rangés autour d’un « super » spectre plus large qui est partagé par tous les troubles mentaux. La classification proposée permet de prendre en compte la cooccurrence et la covariation des symptômes et signes cliniques surmontant ainsi le problème de l’hétérogénéité au sein de chaque trouble et celui de leurs comorbidités. Par exemple, la dimension « internalisation » permettrait d’expliquer la forte comorbidité entre les troubles anxieux et dépressifs et tout comme les troubles Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 G Model ENCEP 1181 1–8 ARTICLE IN PRESS C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 dits « non spécifiques » [28,29]. Comme le soulignent Conway et al. [30], l’objectif de l’approche HiTOP (identifier des clusters de symptômes qui partagent des facteurs de risques) et celui de l’approche par réseau ne sont pas mutuellement exclusifs. Des études futures pourraient nous permettre de mieux comprendre comment ces deux approches, tout comme le RDoC, pourraient se complémenter pour approfondir nos connaissances en psychopathologie. En plus, comme le précisent Fried & Cramer [31], l’utilisation des classifications du DSM comme répertoire symptomatologique pour l’approche par réseau était un point de départ. L’approche HiTOP peut aider l’approche par réseaux à franchir les barrières du DSM. Ainsi, l’approche par réseau pourrait bénéficier de l’inclusion d’autres « éléments » dans le réseau au-delà des symptômes [31] comme l’estime de soi (p. ex : [32]) et d’autres processus psychologiques (p. ex : [8]). Troisièmement, des critiques ont émergé concernant l’application en pratique clinique de cette approche. Dans son article, Borsboom [2] suggère également que l’identification des réseaux des symptômes et en particulier l’identification des symptômes centraux pour apporter des éléments déterminants pour les orientations thérapeutiques. Cependant, l’applicabilité en pratique clinique de cette approche demeure actuellement peu détaillée. Quatrièmement, dans cette approche, Borsboom et collaborateurs [1,2,6] ne développent pas d’hypothèse claire concernant la constitution des symptômes. Nous pouvons nous demander s’il n’existe pas un réseau sous-tendant la formation du symptôme lui-même. Berrios et collaborateurs [22,33] proposent un modèle explicatif de la formation des symptômes intitulé le modèle Cambridge. Selon ce modèle, les symptômes sont le résultat de l’interaction entre un signal biologique qui va émerger dans la conscience de l’individu et changer sa perception et son ressenti et les « couches de codes psychosociaux » qui vont donner du sens à ce changement [27]. Comme le soulignent Dumas et al. [27], en psychiatrie « les symptômes et signes cliniques forment des structures interprétatives déterminées par les aspects historiques » (p. 293). En ce sens le contexte social, culturel et historique influence fondamentalement le fait de considérer un comportement ou une expression/vécu émotionnel comme étant un symptôme ou non. Cependant, dans l’approche par réseau, les aspects psychosociaux/contextuels qui jouent un rôle dans la formation des symptômes sont négligés. Dans ce sens, nous pouvons également soulever la problématique de la subjectivité dans la conception des symptômes tels que souligné par Parnas [26]. L’auteur critique l’opérationnalisation des symptômes mentaux en termes objectivables au détriment d’une approche conceptuelle et phénoménologique de la souffrance de l’individu [26]. Le modèle par réseau pourrait bénéficier d’une approche mixte dans la conception des symptômes qui prendrait en compte les aspects biologiques, sociaux, psychologiques tout en essayant de capturer les aspects subjectifs à partir d’une approche phénoménologique. Cette critique nous semble avoir été partiellement prise en compte dans un article récent de Borsboom et al. [6] qui souligne l’importance du contenu de l’état mental qui va dépendre de la subjectivité de chaque individu. Enfin, des critiques importantes ont été faites au niveau méthodologique, notamment en ce qui concerne l’utilisation des données transversales pour faire des hypothèses de causalité, de réplicabilité (tentative de reproduire des résultats convergents avec des échantillons similaires) et de stabilité (tentative de dupliquer les résultats dans des échantillons identiques en comparant deux sous-parties d’un même échantillon divisées de manière aléatoire) des résultats [17–19]. Forbes et al. [18] ont ainsi testé la réplicabilité et la stabilité des réseaux des symptômes de dépression et d’anxiété généralisée en utilisant deux échantillons similaires (le « National Comorbidity Survey – Replication » [n = 9282] et le « National Survey of Mental Health and Wellbeing » [n = 8841]). Leurs 7 résultats montrent que ces réseaux ont une réplicabilité faible et que l’estimation des liens spécifiques entre les symptômes et la centralité des nœuds n’est elle-même pas stable. Parmi les principaux problèmes de l’approche par réseau décrits par ces auteurs, il y a le fait que la plupart des études sont transversales, la nature exploratoire de cette approche et l’estimation de centaines de paramètres (voir [18,19] pour plus de détail ; voir [34] pour d’autres critiques). En effet, certains auteurs suggèrent que considérant que chaque individu aurait son propre réseau (réseaux de psychopathologie intra sujets), il serait possible que les tentatives de reproduire des réseaux similaires échouent [18]. Ces aspects méritent, cependant, plus d’attention. En réponse à ces critiques, Borsboom et collaborateurs [35] ont re-analysé les deux bases de données de Forbes et al. [18]. Les nouveaux résultats obtenus par Borsboom et al. [35] infirment les conclusions de Forbes et al. [18]. Contrairement à Forbes et al. [18], Borsboom et al. [35] ont réussi à reproduire des résultats convergents avec des échantillons similaires et ont montré que les méthodes d’analyse par réseau de réplicabilité utilisées par Forbes et collaborateurs [18] présentent des limites importantes (voir la deuxième réponse de Forbes et al. [19]). En résumé, l’approche par réseau constitue une évolution conceptuelle importante de la maladie mentale qui semble être prometteuse. Cependant, les critiques présentées ici méritent plus d’attention. Des efforts significatifs se développent actuellement pour déterminer les meilleures pratiques à suivre permettant de garantir la production de connaissances scientifiques basées sur des résultats robustes et réplicables [36]. 5. Implications cliniques Dans le contexte clinique pratique, cette approche présuppose que la cible des prises en charges n’est plus le trouble mental, mais les difficultés décrites par la personne ou ses symptômes et comment ces symptômes interagissent entre eux. En effet, l’approche par réseau pourrait fournir des informations essentielles pour la prévention et la prise en charge des symptômes les plus centraux dans du réseau. L’indice de centralité de chaque symptôme dans le réseau est essentiel car il indique l’importance de ce nœud dans le réseau et donc dans quelle mesure il est connecté avec les autres nœuds/symptômes. Au niveau clinique, cela se traduit par le fait que lorsqu’une personne développe un symptôme qui est central, cela augmente la probabilité que d’autres symptômes se développent en comparaison au développement initial d’un symptôme périphérique. Ainsi, l’identification de certains nœuds considérés comme centraux pourrait permettre de développer des stratégies spécifiques pour prévenir ou traiter ces symptômes de manière à prévenir le développement du trouble et la progression du trouble vers un pronostic plus négatif. Cependant, ces hypothèses restent à être testées d’un point de vue clinique et lors d’essais randomisés contrôlés qui cibleraient ces symptômes centraux spécifiquement [15]. Sur le plan clinique, l’approche par réseau se rapproche de l’approche transdiagnostique en psychologie clinique selon lequel processus psychologiques similaires jouent un rôle dans le développement et le maintien de différents troubles psychiatriques. En effet, selon Borsboom et al. [5], les réseaux sont transdiagnostiques, les troubles psychiatriques partageant des symptômes similaires qui fonctionnement comme des symptômes ponts. De même, l’approche par réseau permet de considérer d’autres facteurs externes et internes qui pourraient interagir avec les symptômes contribuant à leur développement et maintien. Ainsi, en élargissant le réseau des symptômes à d’autres facteurs transdiagnostiques tels que des facteurs environnementaux et processus psychologiques, cette approche permet aussi de mieux comprendre quels Pour citer cet article : Bortolon C, Raffard S. Les analyses par réseau : vers une nouvelle conceptualisation et prise en charge des troubles mentaux ? Encéphale (2019), https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.06.001 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 G Model ENCEP 1181 1–8 C. Bortolon, S. Raffard / L’Encéphale xxx (2019) xxx–xxx 8 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 Q5 662 663 ARTICLE IN PRESS aspects contribuent à multiples troubles et pourraient être considérés comme des nœuds « points », tandis que d’autres aspects contribuent spécifiquement à un trouble spécifique [5,37]. Enfin, l’approche par réseau distingue les réseaux de psychopathologie entre sujets (between-subjects) dont l’objectif est d’explorer la structure générale du trouble psychiatrique, et les réseaux de psychopathologie intra sujets (within-subjects) dont l’objectif est de mieux comprendre au niveau individuel comment chaque individu a développé son trouble. À partir de cette approche « within » il est ainsi possible de créer des réseaux personnalisés pour chaque individu qui nous permettrait de tracer l’évolution des symptômes et mieux comprendre pourquoi un même facteur pourrait amener à l’activation d’un certain symptôme chez une personne et un autre symptôme chez une autre personne [5]. En résumé, l’approche par réseau devrait théoriquement permettre de développer des prises en charge ciblant spécifiquement les symptômes et processus centraux des troubles mentaux ainsi que les symptômes « pont » considérés comme les mécanismes principaux des comorbidités entre troubles mentaux. Des études cliniques d’envergure constituent désormais la prochaine étape cruciale du développement des analyses par réseau, appliquées à la psychopathologie. L’enjeu désormais n’est plus seulement de mieux décrire, mais de mieux prendre en charge les troubles mentaux dans leur ensemble. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts. Références [1] Borsboom D, Cramer AO. Network analysis: an integrative approach to the structure of psychopathology. Annu Rev Clin Psychol 2013;9:91–121. 665 [2] Borsboom D. A network theory of mental disorders. World Psychiatry 666 2017;16:5–13. 667 [3] McNally RJ. Can network analysis transform psychopathology? Behav Res Ther 668 2016;86:95–104. 669 [4] Borsboom D, Cramer AO, Schmittmann VD, et al. The small world of psychopa670 thology. PloS One 2011;6:e27407. 671 [5] Borsboom D, Epskamp S, Kievit RA, et al. Transdiagnostic networks: com672 mentary on Nolen-Hoeksema and Watkins (2011). 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