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L La Revue d’Homéopathie L Volume 1 L n° 3 L Septembre 2010
pratiques
© Elsevier Masson SAS, Paris 2010
Conflit d’intérêts
L’auteur n’a pas déclaré de conflit
d’intérêts.
Résumé
Pourquoi faire de l’homéopathie en odonto-
stomatologie et qu’elle est donc cette espèce
curieuse qu’un chirurgien-dentiste homéo-
pathe ? L’odontologie n’est pas seulement
réparatrice de caries dentaires et de mala-
dies parodontales, elle est aussi médicale. Le
malade est un tout, la dent n’est pas un organe
isolé du reste du corps. Demain, l’odontologie
sera définitivement médicale ou ne sera plus
qu’une activité de techniciens où l’apprentis-
sage du geste primera sur sa compréhension
profonde.
Why homeopathy in dentistry ?
Abstract
Why use homeopathy in dentistry and what
exactly is this strange species, the homeopathic
dental surgeon? Odontology is not only a ques-
tion of repairing dental caries and periodontal
diseases, it is also a medical field. The patient is
a whole, the tooth is not an organ isolated from
the rest of the body. Tomorrow, odontology must
be definitively medical or will be no more than
an activity carried out by technicians where the
learning of the procedure will take precedence
over its understanding.
Mots-clés
Globalité
Homéopathie
Individualité
Médecine buccodentaire
Pathologies buccodentaires
Prévention
Key-words
Globality
Homeopathy
Individuality
Oral and dental medicine
Oral and dental diseases
Prevention
Pourquoi l’homéopathie en odontostomatologie ?
Christine Roess
Docteur en chirurgie dentaire
A
u-delà des images stéréotypées de boucheurs
de trous, d’arracheurs de dents, de poseurs
de plombages et de dentiers, que viennent faire
de minuscules granules au milieu de tout ceci ?
Notre profession de chirurgien-dentiste est formida-
ble parce que c’est une profession créative. Jusqu’en
décembre 2009, on parlait d’art dentaire, dorénavant
on parle de médecine bucco-dentaire, ce qui donne
une autre dimension à notre exercice.
L’odontologie n’est pas seulement réparatrice
de caries dentaires et de maladies parodontales,
elle est aussi médicale. Les pathologies bucco-
dentaires, qu’elles soient aiguës, subaiguës ou
chroniques, sont le reflet de cette « énergie vitale
désaccordée », qu’Hahnemann a décrit dans l’Or-
ganon en 1810. Le malade est un tout, la dent
n’est pas un organe isolé du restant du corps.
Notre travail est tout sauf standardisé : chaque
bouche est unique, chaque cas est unique, cha-
que patient est unique. La technique, sans la
prise en considération de la dimension humaine
du patient, ne sert à rien.
Nos patients nous demandent de plus en plus
une action préventive, qui fasse partie intégrante
de notre activité clinique, qui ne se limite pas
à une prévention primaire cherchant à prévenir
les affections bucco-dentaires, mais qui évite les
récidives et agit sur la prédisposition individuelle
à certaines pathologies. Cela signifie une prise en
charge dans le temps pour un résultat durable
plutôt que des actes ponctuels qui ne peuvent
aboutir qu’à la récidive ou à l’échec.
Les domaines d’application de l’homéopathie en
dentisterie sont multiples : traumatismes et lésions
bucco-dentaires ; prévention carieuse chez l’enfant,
l’adulte et les personnes âgées ; traitement des
maladies parodontales ; orthodontie, etc.
Notre but est de permettre à nos patients de
conserver leurs dents le plus longtemps pos-
sible, car leur perte entraîne des problèmes de
phonation, mastication, digestion, mais aussi
des troubles posturaux et ostéopathiques,
sans omettre des problèmes infectieux qui, à
distance, peuvent être générateurs de patho-
logies cardiaques, oculaires entre autres.
Cas cliniques
Voici trois cas cliniques sur des patientes d’âges
différents.
Joséphine
Joséphine est née en juillet 1993. Je la vois pour
la première fois à l’âge de 4 ans, c’est une enfant
rêveuse, timide, très gentille. Elle présente une
proalvéolie supérieure (figures 1 et 2) due à la
tétine et une respiration buccale.
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En mai 2001 (elle a 8 ans), elle fait une chute en
VTT, tombe sur la tête et se luxe légèrement les
deux incisives centrales supérieures mais surtout
casse les 2/3 coronaire de la première incisive
centrale supérieure droite (la 11). Heureusement
on évite la dévitalisation.
En avril 2003, elle tombe sur le macadam à l’école
et recasse l’angle de la 11. Devant ses traumatis-
mes à répétition, je pose quelques questions :
Enfant rêveuse, angoissée, elle a peur d’attra-
per une maladie, peur des histoires tristes et
des choses horribles, des chiens, elle parle et
bouge beaucoup la nuit (se retrouve à l’envers
dans son lit).
Elle pleure facilement, est sensible aux mots,
adore les câlins, la consolation l’améliore.
Elle présente un manque de confiance en elle,
n’a pas de patience, commence quelque chose
puis passe à autre chose, il faut être avec elle pour
commencer un travail. Elle est désordonnée dans
son travail, son cartable est une vraie poubelle
(dixit sa maman).
Elle adore les bonbons (ses poches en sont plei-
nes et elle a des polycaries depuis 2003), elle a
horreur des épinards, des moules et du lait. Elle
a souvent soif d’eau très froide et boit beaucoup.
Elle a toujours trop chaud, même en hiver, et ne
transpire pas.
Prescription
Arnica 9 CH (2 doses à 48 heures d’intervalle
pour la chute), puis 8 jours après Phosphorus
9 CH, une dose.
Le 7 novembre 2003, elle croque une frite et casse
de nouveau sa dent 11 puis, trois semaines plus
tard, la casse de nouveau en se cognant avec la
brosse à dent !
À la suite de nouveaux traumatismes sur cette
dent et aussi parce que ses canines supérieures
sont en train de sortir avec des incisives latérales
en vestibuloversion, je reprends l’interrogatoire.
Prescription
Phosphorus D 15, 2 doses à 15 jours d’intervalle.
Conjointement, je lui fais porter un écran buccal,
pour traiter sa proalvéolie.
Consultation août 2004t
Elle porte bien l’écran buccal, la proalvéolie supé-
rieure s’améliore, mais il y a encore des signes
de Phosphorus. Je lui prescris donc deux doses
de Phosphorus D 30 à un mois d’intervalle.
Consultation juin 2005t
Les malpositions sont en régression. Joséphine
n’est plus dans la lune, est beaucoup plus ordon-
née et ne mange pratiquement plus de bonbons.
Depuis 2004, elle n’a plus recassé son incisive.
Pas de prescription.
Consultation décembre 2005t
Je l’ai envoyée chez l’orthodontiste pour démar-
rer un traitement, car il faut faire de l’expansion
maxillaire pour avoir de la place pour les dents
postérieures, ce que l’on obtiendra en deux ans.
Épiloguet
J’ai revu Joséphine en décembre 2009, elle avait
16 ans, toutes ses dents et un sourire magnifique.
Catherine
En octobre 2000, je réalise chez Catherine, deux
inlays en or sur la première et la seconde pré-
molaire supérieure droite, les dents sont vita-
Figure 2 . Supraclusie et proalvéolie.Figure 1. Proavéolie, vue de profil.
© DR
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Pourquoi l’homéopathie en odontostomatologie ?
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travailleuse qui a subi des coups durs (au sens
propre et figuré), qui n’accepte pas les conseils et
aussi parce qu’elle dit que cela va, même quand
elle souffre.
Épiloguet
Deux jours après la prise, elle téléphone au cabi-
net pour dire qu’elle n’a plus mal.
Je la revois pour un contrôle 8 jours après, il n’y
a ni mobilité, ni douleur.
Quelques années plus tard, je lui ai redonné
Arnica 30 CH, car elle avait de nouveau une
mobilité dentaire de la même dent avec des grin-
cements de dent nocturnes dans un contexte de
surmenage professionnel. Au bout de quelques
jours, tout est rentré dans l’ordre.
Lors d’un contrôle, en septembre 2007, j’ai refait
une radio de ses dents, rien n’a bougé depuis
octobre 2000.
Anne
En janvier 2005, Anne, 20 ans, consulte en urgence
pour « un problème infectieux sur les incisives
centrales supérieures », dit-elle. Elle a dû aller en
urgence, le jour de Noël, chez un confrère, ces deux
incisives centrales supérieures lui faisaient très mal
et bougeaient énormément. Il lui a fait un collage de
solidarisation, et l’a mise sous antibiotiques. Il lui dit
qu’il faudra peut-être dévitaliser les dents si cela ne
va pas mieux et parle même d’extraction !
Je soigne Anne depuis 2001. Elle a eu quelques
petits soins à faire sur des molaires, le restant des
dents étant impeccable. Aussi, je m’étonne d’un tel
tableau clinique (figures 3 et 4).
Elle arrive paniquée, parlant sans cesse, et présente
un très gros problème parodontal sur le bloc inci-
sif supérieur et inférieur (poches parodontales de
7 mm) ainsi que sur les prémolaires supérieures,
mais à un degré moindre.
La perte osseuse est alarmante ainsi que la mobilité
dentaire, mais il n’y a aucun signe de suppuration,
seulement une énorme gingivite avec une hyper-
sensibilité des dents, telle qu’elle ne veut pas que
je la touche ou seulement sous anesthésie. Mais là,
aussi, avec une grande crainte d’avoir mal, elle me
demande « est-ce que la piqûre va me faire mal,
est-ce que j’aurai mal après… ».
Que s’est-il donc passé pour qu’Anne en arrive à
cette situation ?
Elle fréquentait un garçon depuis deux ans et ils
devaient se marier en 2004, mais le jeune homme
les. Pendant toute la durée des travaux, tout se
passe bien, mais 15 jours après le scellement,
la patiente revient, car la première prémolaire
supérieure droite (14) est sensible au froid et la
dent est mobile.
Je fais un contrôle radiographique, vérifie le
réglage occlusal, il n’y a rien de particulier.
Prescription
Je donne Ruta 7 CH et Arnica 5 CH.
Au bout de 15 jourst
La patiente revient, il n’y a pas d’amélioration, la
dent est de plus en plus mobile, ce qui devient
très inquiétant. La sensibilité au froid est telle
que Catherine ne boit que des choses tempérées
et l’air froid extérieur est une vraie torture. Elle
ne mord plus sur sa dent.
Je lui demande si, depuis que j’ai scellé ces inlays,
elle a eu des soucis personnels ou professionnels.
Catherine : Je travaille beaucoup en ce moment,
j’ai de gros dossiers à terminer (elle s’occupe
de formation continue en entreprise), je suis
fatiguée, j’ai envie qu’on me laisse tranquille et
qu’on ne me parle pas, mais bon ça va quand
même !
Moi : Cela fait longtemps que vous travaillez à
ce poste ?
Catherine : Oui, plus de 10 ans, j’ai progressi-
vement gravi les échelons, pour moi c’était
important.
Moi : Pourquoi ?
Catherine : Mon père m’a toujours cru incapa-
ble depuis toute petite, j’ai voulu lui prouver le
contraire. Mais ça n’a pas été toujours facile, car
j’ai eu dans ma vie beaucoup de soucis (décès
brutal d’une sœur ; son fils a failli mourir à l’âge
de 3 ans ; son mari a eu plusieurs fois de graves
accidents).
Moi : Comment êtes-vous dans votre travail ?
Catherine : Je suis assez dirigiste et exigeante, il
faut souvent que je reprenne le travail des autres
car cela ne me convient pas, je n’aime pas que
l’on me donne des conseils.
Moi : À part cette sensibilité au froid, êtes-vous
sensible à autre chose ?
Catherine réfléchit et me répond : Ah oui, si je me
cogne, je fais des bleus facilement.
Répertorisation et prescription
La répertorisation donne Arsenicum album, Nux
vomica et Arnica. Je prescris Arnica 1 000 K,
une dose, sur le contexte d’une personne très
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change trois fois la date. Finalement, Anne décide
de rompre fin novembre 2004, car leur relation
s’envenime. Elle me dit : « Je n’ai jamais voulu
accepter que cela ne marche pas, je suis têtue. J’ai
mal digéré que cela ne se passe pas comme je le
voulais, j’ai honte, j’ai peur qu’il revienne et qu’il
me fasse du mal. »
Elle est très fatiguée, elle dort beaucoup, elle a tou-
jours faim, mange beaucoup sans grossir, elle pré-
fère le salé et fume plus d’un paquet de cigarettes
par jour ! Elle me dit qu’elle a fait un travail sur elle
et qu’elle est consciente que sa déception amou-
reuse peut être en cause.
La situation est grave, il faut agir vite. Je fais un
détartrage, dépose le collage défaillant, la motive
sur l’hygiène buccodentaire et insiste aussi sur l’im-
portance de l’arrêt du tabac ou du moins la réduc-
tion du nombre de cigarettes, car pour elle c’est un
challenge impossible, vu le contexte actuel.
Prescription
Staphysagria 200 K, 1 dose ;
Natrum muriaticum 200 K, 8 jours après ;
Natrum muriaticum 1 000 K, 8 jours plus tard.
Consultation, début mars 2005t
Amélioration spectaculaire au niveau des incisives
supérieures, plus de gingivite, pratiquement plus
de mobilité, il persiste des poches parodontales de
3 mm sur ces dents. Au niveau inférieur, l’amélio-
ration est moins bonne, bien que la mobilité soit
considérablement moindre. Il n’y a plus aucun pro-
blème sur les prémolaires supérieures.
Anne va mieux, elle fréquente depuis peu un ancien
ami d’enfance qui est venu travailler à la ferme et
elle me parle de son désir d’avoir des enfants avec
beaucoup d’insistance, « si je perds mes dents, je
ne pourrai pas avoir d’enfants ». Elle n’a pas réussi
à diminuer le nombre de cigarettes !
Répertorisation et prescription
Natrum muriaticum 1 000 K, 1 dose.
Nouvelle consultation, début mai 2005t
Anne va beaucoup mieux, il n’y a plus de mobilité
des dents inférieures, il reste encore une légère
mobilité des incisives supérieures à la pression.
Elle est toujours en manque d’affection (elle ne
fréquente plus l’employé de la ferme), elle recher-
che moins le salé, elle n’est plus autant fatiguée.
Elle a repris ses études d’infirmière en Allemagne
et se plaint d’avoir mal à la tête de temps en temps
après l’école.
Prescription
Natrum muriaticum 200 K, 2 doses, dont une dose
à prendre dans un mois si les problèmes de mobi-
lité persistent.
Calcarea phosphorica D 6 en trituration, 1 cuillère-
mesure 3 fois par jour pendant 3 mois.
Épiloguet
Je ne revois plus Anne, car elle vit maintenant en
Allemagne, mais l’année suivante, j’apprends par
sa maman qu’elle est enceinte et qu’elle n’a plus eu
de problème dentaire.
À ce jour, elle a toujours toutes ces dents, qui n’ont
été ni dévitalisées ni extraites, et c’est tant mieux !
Conclusion
Par nos actes de prévention et de soins, nous redon-
nons au patient non seulement une qualité de vie,
mais surtout une estime de soi. Il se sent écouté,
considéré et responsabilisé.
Nous ne sommes plus de simples boucheurs de
trous ! Au-delà de nos interventions dentaires,
nous poussons nos investigations plus loin afin
d’aider notre malade à retrouver, entre autres, sa
santé buccodentaire et éviter les récidives.
Par cette vision globale, nous nous rapprochons
de la définition de l’Organisation mondiale de la
santé, établie depuis 1946 : « La santé est un état de
complet bien-être physique, mental et social, et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie
ou d’infirmité. »
Demain, l’odontologie sera définitivement médi-
cale ou ne sera plus qu’une activité de techniciens
où l’apprentissage du geste prime sur sa compré-
hension profonde. À nous de savoir ce que nous
voulons de mieux pour nos patients, mais aussi
pour nous, pour notre activité professionnelle et
notre démarche personnelle.
Source
Communication présentée lors
du Congrès national de la Fédération
nationale des sociétés médicales
homéopathiques de France,
au Parlement européen
de Strasbourg, en mai 2010.
Figures 3 et 4. Dans
le cas clinique d’Anne,
nous sommes en présence
d’une jeune fille de 20 ans,
mais les radios évoquent
un état dentaire d’une
personne de 40 ans
et plus !
© DR
© DR
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