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L'Abitibi et le Témiscamingue dans les têtes : créer et réinventer une région-frontière
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 4 août 2004
Dès l’ouverture à la colonisation du Témiscamingue, les premiers écrits permettent de jeter un
coup d’œil sur cette nouvelle région. Le même phénomène se répète en Abitibi, tant à l’époque
de la colonisation rurale des années 1910 et 1930 qu’à celle du développement minier à compter
des années 1920. Il s’agit-là de la première phase dans la création, dans le domaine de
l’imaginaire, de la région. Dans les années 1970, l’effervescence culturelle qui se produit en
Abitibi-Témiscamingue, comme ailleurs au Québec, permet un nouveau regard sur le passé de
la région. Les créateurs culturels des milieux de la littérature, du cinéma et de la musique
revisitent le passé abitibien et le présentent sous un nouveau jour, loin de l’apologie de la
colonisation agricole faite par l’élite traditionnelle, quelques décennies auparavant.
Les premières représentations de la région du Témiscamingue, à la fin du XIXe siècle, sont
faites dans un but partisan, celui de favoriser la colonisation agricole de ce territoire. L’accent
est alors mis sur le potentiel agricole et forestier de la région, que les auteurs jugent quasi
illimité, et le dur labeur des missionnaires et des premiers colons. On valorise ainsi le travail
agricole et les traditions rurales canadiennes-françaises sous le cri de ralliement : Emparons-
nous du sol!, et ce, afin de rapatrier au pays de nombreuses familles expatriées aux États-Unis.
Le Témiscamingue apparaît alors comme une terre promise à un brillant avenir où les familles
canadiennes-françaises pourront s’épanouir socialement et économiquement, en plus de vivre
en bonne santé. Toutefois, la réalité quotidienne des colons-agriculteurs ne sera pas aussi
idyllique, comme le mentionnent ces auteurs, à condition de lire entre les lignes.
Cette apologie de la colonisation agricole se poursuit dans les décennies suivantes. Les villages
nés dans le cadre des plans de colonisation, dans les années 1930, tant en Abitibi qu’au
Témiscamingue, reçoivent l’attention de romanciers. Ces romans s’inscrivent dans la lignée
traditionaliste rurale, alors dominante dans la littérature québécoise. Ainsi, le premier roman
publié par un auteur de la région, celui de J. U. Dumont, Le pays du domaine, paru en 1938,
présente l’Abitibi comme un pays de promesses illimitées et les colons-pionniers, comme des
héros qui défient toutes les misères. L’auteur trace également le portrait de la femme de colon
idéale et fait l’éloge des colons persistants au détriment de ceux qui quittent la région. Dans le
même esprit, d’autres romans traitent des zones colonisées dans les années 1930 et 1940, en
particulier Rollet et le canton Paradis.
En somme, au Témiscamingue comme en Abitibi des années 1930, les chroniqueurs et
historiens amateurs décrivent davantage la construction de la région par les pionniers qu’ils
écrivent une histoire sociale critique. Ils soulignent toutefois avec vigueur que ce pays nordique
a été plus ou moins abandonné par le gouvernement du Québec et qu’en conséquences, les liens
sont très forts avec l’Ontario et que c’est Toronto qui contrôle sa destinée économique. On
retrouve sensiblement le même portrait dans les livres qui traitent de l’ouverture des villes
minières en Abitibi. Ces auteurs décrivent un monde méconnu des Québécois, mais soulignent
également que l’agriculture constitue la mine qui dure toujours. Ils insistent également sur la
moralité « douteuse » des villes champignons, contribuant à créer des préjugés défavorables sur
le villes-ressources du Nord, dans l’imaginaire du lecteur.
À compter des années 1970, la nouvelle génération de créateurs offre un portrait fort différent
de l’Abitibi-Témiscamingue. Ainsi, les artisans des domaines de la littérature, du cinéma et de