UN NOUVEAU BUSINESS MODEL POUR RÉUSSIR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE Quels impacts sur les relations producteur/client ? Michel Felix, Laëtitia Garcia Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion » © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) ISSN 1160-7742 ISBN 9782916490649 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2019-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Direction et Gestion. © Direction et Gestion. Tous droits réservés pour tous pays. 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Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) 2019/1 N° 295 | pages 11 à 19 Un nouveau Business Model pour réussir la transition énergétique : quels impacts sur les relations producteur/client ? par Michel Felix et Laëtitia Garcia © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) L Michel FELIX Professeur des Universités en Sciences de Gestion, LSMRC (Laboratoire MERCUR) Université de Lille – SKEMA Business School France Laëtitia GARCIA Maître de Conférences en Sciences de Gestion Laboratoire CRDP… EA n° 4487 – Équipe René Demogue, Université de Lille France www.LaRSG.fr e secteur de l’énergie, confronté à une crise environnementale de plus en plus ouverte, connaît une profonde remise en cause de son modèle d’affaires. Face à cette crise, bon nombre de producteurs d’énergie doivent à la fois conduire sur le long terme une vaste mutation des énergies carbonées vers des énergies vertes et apporter de nouvelles réponses aux attentes des usagers. À partir de ce constat, cet article se propose d’étudier, sur le marché des particuliers, comment rompre avec le modèle d’affaires classique pour prendre en charge et accompagner cette mutation sectorielle. Trois propositions pour un nouveau Business Model seront discutées en réponse à plusieurs risques majeurs issus de cette crise. Ces différents risques seront présentés dans une première partie. Dans le domaine de l’énergie, le Business Model classique repose sur la vente de produits liant le revenu de l’entreprise à une quantité à vendre. Le revenu des fournisseurs est alors directement dépendant du volume de consommation. Il est clair que ces fournisseurs n’ont en principe aucun intérêt à encourager la baisse de consommation, même si leur stratégie de fidélisation et de création de valeur par leurs systèmes d’information (Porter, Heppelmann 2014) les conduit à aider leurs clients à réaliser des économies d’énergie. En conséquence, pour les producteurs d’énergie, tout Business Model fondé sur une rationalisation généralisée des usages ne conduit qu’à une destruction de valeur pour la partie fourniture de cette industrie. Les propositions d’un nouveau Business Model, seront présentées dans une seconde partie. La première consiste à repenser la relation producteur-client. La seconde, à remplacer la vente d’un bien par celle d’un résultat, la troisième, à accompagner le changement au cours d’une nécessaire transition. La mise en œuvre de cette stratégie impliquera une reconfiguration des différentes parties prenantes de l’ensemble du secteur. janvier-février 2019 Dossier I Innovations et marketing 11 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie Enfin, une dernière partie présentera les impacts majeurs de ce nouveau Business Model sur l’ensemble des parties prenantes, acteurs de la transition, et sur la nature et l’organisation de leurs pratiques. 1. Crise environnementale : quels risques pour le particulier consommateur d’énergie ? Parmi tous les risques perçus de la crise, on retiendra trois risques spécifiques qui sollicitent tout particulièrement la capacité de réponse du Business Model et le caractère durable de sa compétitivité. Ces risques sont : le risque de réchauffement climatique, le risque d’obsolescence technologique et économique, et enfin, le risque d’intangibilité, lié à la difficulté pour le client à se représenter de façon concrète les solutions à mettre en œuvre pour faire face aux deux risques précédents. 1.1. Le risque de réchauffement climatique © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)1 établissent clairement l’influence de l’homme sur le système climatique. Le rapport de 20142 montre que la concentration du dioxyde de carbone a augmenté de 40 % depuis l’époque préindustrielle et que cette augmentation est due principalement à l’utilisation de combustibles fossiles. Celui de 20183 préconise, pour limiter le changement climatique, de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’environ 45 % en 2030 par rapport à 2010 et d’atteindre des émissions nettes nulles vers 2050. Un rapport de recherche (Z. Babutsidze et al., 2018) sur la perception par la population française du changement climatique (octobre 2018) indique que 90 % des personnes interrogées pensent que l’activité humaine est entièrement ou au moins partiellement responsable du changement climatique. De plus, selon un sondage BVA réalisé dans le cadre de l’Observatoire de la vie quotidienne des Français (mars 2018)4, les Français se montrent très majoritairement favorables à des sources d’électricité renouvelables telles que l’énergie solaire (90 %), hydroélectrique (89 %) et éolienne (84 %). E. Lafaye et al. (2013) établissent dans une étude sur les comportements des ménages que la possibilité de contrôler chez soi sa consommation est, pour les Français, une étape essentielle pour diminuer leur empreinte carbone. 1. https://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/les-rapports-du-giec 2. 5e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), novembre 2014 3. Rapport spécial du GIEC sur les conséquences du réchauffement planétaire de 1,5 °C, octobre 2018 4. http://www.bva.fr/fr/sondages/observatoire_de_la_vie_quotidienne_des_ francais Dossier I Les consommateurs d’énergie verte ont été pendant longtemps confinés a un segment bien particulier de clientèle (I.H. Rowlands et al. 2003). Toutefois, la production et la distribution des offres d’énergie renouvelable se développent rapidement5. Cette tendance dans la société à une prise de conscience de plus en plus forte des défis environnementaux (U. Awan, 2011) devrait privilégier les offres à forte promesse environnementale. Ces mutations importantes de l’opinion publique vont particulièrement contribuer à s’interroger sur la viabilité à long terme du Business Model liant les quantités vendues au revenu. 1.2. Le risque d’obsolescence technologique et économique Le risque d’obsolescence par innovation technologique est afférent à l’installation d’un équipement de production d’énergie verte chez le particulier. Il s’agit d’un risque d’obsolescence rapide d’une installation chez le particulier au profit d’une autre plus performante, comme par exemple l’arrivée sur le marché de panneaux solaires dotés de cellules ultra-sensibles. Le risque d’obsolescence économique peut être lié au traitement d’externalités négatives. L’externalité se définit comme un résultat obtenu sans qu’il soit directement recherché par un objectif. Une externalité peut être positive ou négative, selon l’appréciation du résultat. Les panneaux solaires, massivement fabriqués en Chine, offrent un exemple typique des risques d’obsolescence économique sous l’effet de trois externalités négatives : une externalité liée au caractère polluant de l’extraction d’un de ses composants (terres rares), une externalité sociale (les conditions de travail en Chine), une externalité économique (l’arrivée massive des panneaux solaires chinois à bas coût sur les marchés européen et américain, détruisant des emplois dédiés dans ces pays). Certaines de ces externalités négatives liées à la production de panneaux solaires chinois pourraient disparaître et entraîner son obsolescence, suite par exemple au renforcement d’une filière européenne de production. 1.3. Le risque d’intangibilité Les risques climatiques et d’obsolescence peuvent entraîner un risque d’intangibilité, créant pour les particuliers des freins à la transition énergétique. La perception du risque climatique par les particuliers les incite à modifier leur consommation d’énergie en passant des énergies carbonées aux énergies vertes. Ce risque d’intangibilité est présent dès lors que les ménages ont à choisir entre énergie verte ou celle fournie conventionnellement par leur 5. Renewable Energy Policy Network for the 21st century REN21, Renewables Global Status Report 2012, p. 75, http://www.ren21.net/status-of-renewables/ global-status-report janvier-février 2019 www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Innovations et marketing 12 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Cette forte intangibilité rend difficile le contrôle de l’origine verte, ou non, de l’énergie consommée. Les clients qui sont prêts à payer pour obtenir de l’énergie verte doivent fonder leur choix sur des substituts (T. Levitt, 1981 ; L.L. Berry et T. Clark, 1986) que le producteur/distributeur doit rendre crédibles (facture, certificat, label). Au-delà de cette solution imparfaite, la tangibilisation passe alors par l’équipement du client ou par les informations contrôlables qu’on lui délivre à partir du matériel de distribution ou de production implanté chez lui. De ce fait, l’accès à l’information de traçabilité devient particulièrement stratégique, même si elle ne peut être qu’en partie satisfaite par les opérateurs (A. Paladino et A. Pandit, 2012). On peut s’attendre à ce que l’offre d’équipements et d’outils de contrôle destinée au client ait un impact organisationnel sur les métiers et les systèmes d’informations des producteurs/distributeurs. Les risques d’obsolescence technologique et économique comportent, eux aussi, un risque d’intangibilité. Quand par exemple un particulier décide d’installer un équipement de production d’énergie verte, sa décision d’investissement est soumise à trois attributs d’intangibilité décrits par V.A. Zeithaml (1981) : un attribut d’examen (difficulté à déterminer les critères de choix permettant de retenir une solution technique plutôt qu’une autre), un attribut d’expérience (difficulté à se représenter clairement toutes les contraintes d’usage), et enfin un attribut de crédibilité (difficulté à fonder sa confiance envers les opérateurs dans un marché de démarrage). Ainsi, le Business Model classique peine à pallier les risques qui précèdent. L’objectif du nouveau Business Model est précisément de trouver les solutions managériales, juridiques et organisationnelles qui réduiraient voire supprimeraient ces risques afin de permettre au client de mieux appréhender la proposition d’offre du producteur dans tous ses détails, à mieux se représenter les relations complexes producteur/ client quand il s’agit d’installer, de suivre, voire de remplacer du matériel chez le client, et enfin, à mieux percevoir le rôle que tiendra le producteur dans l’optimisation à long terme des usages du client. www.LaRSG.fr 2. Un nouveau Business Model sur le secteur de l’énergie : quelles propositions ? La première proposition consiste à repenser la relation producteur-client comme une combinaison de ressources, en suivant une logique d’interfaces sur le long terme (le cycle de co-conception, co-production). La seconde, à introduire la notion de service orienté résultat, en adoptant une logique contractuelle spécifique (un modèle contractuel hybride). Enfin, la troisième, à accompagner le changement au cours d’une nécessaire transition en sollicitant des initiatives publiques et en exploitant les externalités positives de ce nouveau Business Model. La mise en œuvre de cette stratégie impliquera une reconfiguration des différentes parties prenantes de l’ensemble du secteur. 2.1. Première proposition : repenser la relation producteur-client Afin de limiter les risques d’obsolescence et d’intangibilité, cette première proposition de réponse du Business Model redéfinit la relation des parties prenantes (producteur/client) en termes de ressources à mobiliser et à combiner. Les ressources des producteurs sont immatérielles ou cognitives, matérielles et nominales, telles que les employés, les savoir-faire, les immobilisations, les bases de données… (B. Edvardsson et J. Olsson, 1996 ; S. Fließ et M. Kleinaltenkamp, 2004). Les ressources apportées par les clients, dans le cas d’un équipement en énergie renouvelable sont multiples : elles peuvent être matérielles (comme le bâti, le lieu de l’installation, l’équipement existant qui sera à changer ou à modifier), immatérielles (contrats en cours, données du client (consommation, endettement, fiscalité…)), financières (trésorerie disponible, épargne mobilisable en vue du projet), ou encore cognitives (capacité à interpréter et à évaluer). La combinaison des ressources de ces deux parties prenantes peut produire ses effets sous la forme d’une co-conception et d’une transformation à l’issue d’une co-production. Sur la base de ce qui précède, le Business Model proposé apportera une réponse globale, décomposable en un cycle temporel défini comme suit : (avant, pendant et après l’équipement) : • avant l’équipement, dans la phase de prise de décision du client, le producteur devra partager en toute transparence avec son client un ensemble d’informations sur le couple technologie pro-environnementale/risque d’obsolescence, l’aidant à préparer un choix argumenté et stabilisé. À ce stade, le Business Model devra proposer une offre riche en valeurs potentielles pour le client. Ces janvier-février 2019 Dossier I © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) fournisseur. Avec l’offre verte, l’énergie peut être livrée par le réseau. Dans ce cas, le fournisseur s’engage à produire ou à acheter tout ou partie des besoins de consommation du client auprès de centres de production d’énergie appropriés (sans émission de CO2, par exemple). La facture du client mentionne alors la quantité de CO2 ainsi « épargnée ». En conséquence, le succès commercial des énergies vertes dépend du degré de confiance des clients en leur fournisseur (R. Wiser et al., 2004). Or, cette confiance doit se construire à partir d’une expérience limitée, tout au plus en lisant sur la facture la quantité de CO2 épargnée. Les clients n’ont en effet aucun moyen de contrôler l’origine de l’électricité consommée : d’un point de vue physique, les électrons qui parcourent les réseaux sont totalement indifférenciés et il n’est donc pas possible d’attribuer clairement les moyens de production correspondant à l’énergie livrée chez le client. 13 Innovations et marketing La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie • © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) • valeurs sont définies comme exprimant la capacité du producteur à faire connaître concrètement toutes les ressources qu’il peut mettre à la disposition du client (K.J. Mayer et al., 2003 ; S. Moeller, 2008) ; pendant l’équipement, au moment de l’installation, commence la phase de transformation. L’objectif de cette phase consiste à amener le client à choisir les solutions les plus flexibles et les plus évolutives en termes d’aménagement du bâti et d’équipement. Par exemple, lors de l’installation d’une chaudière à gaz, le fournisseur proposera au client qu’un espace suffisant et facile d’accès soit prévu afin de faciliter son remplacement par une chaudière à biomasse. De même, lors de l’installation de panneaux photovoltaïques sur la toiture d’une maison, le fournisseur proposera une installation qui facilitera leur remplacement sans provoquer de dommages sur la toiture, et en ayant notamment recours à des panneaux de dimension standard facilement remplaçables. Dans la phase de transformation, le client agit comme un co-producteur (S.L. Vargo et R.F. Lush, 2006 ; R.F. Lush et al., 2007) en intégrant ses propres ressources (bâti, toiture…). Le rôle de ce nouveau Business Model est de faciliter cette co-production permettant ainsi de créer de la valeur d’échange pour le client (J.A. Constantin et R.F. Lush, 1994). Cette valeur résulte de l’ensemble des moyens mis en œuvre pour faciliter et optimiser la combinaison des ressources conduisant à la transformation. Une fois l’équipement installé, le client bénéficie des usages prévus par l’offre, créant ainsi des valeurs d’usage (E. Gummesson, 1995 ; N. Mizik et R. Jacobson, 2003) ; enfin, le cycle se clôt par l’envoi régulier d’informations sur les évolutions techniques et sur d’éventuelles nouvelles externalités attachées à chaque technologie. La figure 1 propose une représentation schématique du cycle de la relation client. Figure 1. Cycle de la relation producteur-client Dossier I 2.2. Deuxième proposition : introduire la notion de service orienté résultat grâce à un modèle contractuel hybride L’économie de la fonctionnalité apparaît comme une réponse particulièrement appropriée aux risques environnementaux. L’objectif économique de la fonctionnalité est de proposer la plus grande valeur d’usage sur la plus longue période possible, tout en consommant la plus petite quantité de ressources et d’énergie (W.R. Stahel, 1997). En référence avec les systèmes de services éco-efficients, l’économie de la fonctionnalité combine un système de produits et de services pour fournir l’usage attendu de manière à réduire son impact sur l’environnement (M.J. Goedkoop et al.1999). Ces systèmes sont habituellement classés en trois catégories distinctes (K. Hockerts, 1999 ; A. Tukker et U. Tischner, 2004 ; T.S. Baines et al. 2007) : les services orientés produit, les services orientés usage et les services orientés résultats. Dans le cadre de la production d’énergie verte, la proposition de Business Model s’appuiera, après examen critique, sur la définition des services orientés résultat. Ce choix est justifié par le fait que les services orientés produit sont adaptés aux opérations de maintenance ou de conseil pour un équipement donné. Ils sont cependant inadaptés pour traiter les problèmes d’obsolescence technologique qui exigent plus que des services autour d’un équipement. De même, les services orientés usage peinent à offrir une réponse adaptée. En effet, dans les services orientés usage, c’est l’usage de l’équipement et non l’équipement lui-même qui serait facturé sans transfert de propriété. A. Tukker et U. Tischner (2004) montrent tout l’intérêt d’une telle solution. Dans l’orientation usage, le partage des risques d’obsolescence pourrait être négocié entre les clients et les producteurs. Toutefois, les intérêts des parties, dans ce cas précis, divergent fortement. Les producteurs chercheraient à amortir le matériel loué sur la plus longue période possible, alors que les clients souhaiteraient rester à la pointe des technologies pro-environnementales. Si des solutions peuvent être recherchées (limitations contractuelles des changements de technologies, coûts d’installation et de remplacement des équipements à la charge du client sans transfert de propriété…), il reste un problème majeur qui confirme le caractère inadapté des services orientés usage en ce domaine. Ce problème est celui de la nature du contrat et de l’obligation juridique qu’il contient de son renouvellement à chaque changement d’équipement. Cette contrainte obscurcit toute vision à long terme pour les deux parties (risque d’infidélité à chaque renouvellement, incertitude sur les conditions du nouveau contrat…). À la suite du constat d’inadaptation de ces deux orientations de service, la proposition de Business Model s’appuiera sur la définition des services orientés résultat. Néanmoins cette proposition devra s’accompagner d’innovations pour contourner des difficultés spécifiques liées aux indicateurs de résultats dans le secteur de l’énergie. janvier-février 2019 www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Innovations et marketing 14 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) 6. Pour plus de détails, il sera possible de consulter le rapport technique : Le contenu en CO2 du kWh électrique : avantages comparés du contenu marginal et du contenu par usages sur la base de l’historique, Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, Réseau de transport d’électricité, 2007, Paris. www.LaRSG.fr des coûts variables (livraison de combustibles, utilisation de l’énergie de réseau…). La nature du contrat orienté résultat suppose que le producteur peut changer d’équipement pour optimiser la réalisation du contrat. Ceci peut être à la source de désaccords avec le client qu’il conviendra de limiter. Si le changement d’équipement n’implique pas de modifications significatives dans l’habitat du client, cela se fera sans difficultés particulières. Si par contre, ce changement d’équipement suppose une modification importante dans l’habitat, un tel projet ne pourra être imposé. Dans ce second cas, si la valeur économique générée par le renouvellement d’équipement le justifie, le producteur pourra inciter le client à accepter l’installation du nouvel équipement en lui proposant de partager ses avantages économiques. Le producteur pourra limiter ces situations en co-concevant avec son client l’insertion de la solution initiale dans l’habitat : par exemple en prévoyant un espace suffisant pour un réservoir à granulés à côté de l’installation initiale de la chaudière. Par conséquent, outre la prise en compte des éléments exposés dans le cycle de la relation producteur-client (communication des risques d’obsolescence, conception la plus flexible possible de l’équipement pour faciliter les remplacements, recherche de solutions reposant sur des technologies diversifiées pour atténuer les risques, veille constante, partagée avec le client, permettant d’identifier de nouvelles externalités), une solution pour adapter le service orienté résultat au secteur de l’énergie serait de proposer un « modèle contractuel hybride », scindé en trois parties : la première partie contractuelle serait orientée résultat, la seconde correspondrait à une facturation complémentaire liée à la consommation ou à la prestation, enfin, la troisième et dernière partie serait relative au changement d’équipement : • la première partie orientée résultat, couvrant les frais d’entretien, une partie des frais de fonctionnement (essentiellement les carburants livrés ou les fournitures d’énergie via des réseaux) et une partie des coûts d’installation ou de renouvellement d’équipements, serait basée sur un engagement à long terme permettant de garantir un prix défini à l’avance sur la durée du contrat, indépendant de la consommation ou d’éventuels renouvellements d’équipements. Les résultats garantis contractuellement dans cette partie du contrat devraient se composer d’indicateurs mesurables en termes d’usage énergétique, comme une température moyenne garantie, et de résultats environnementaux, mesurés par des certifications définies contractuellement ; • la seconde partie du contrat correspondrait à une facturation liée à la consommation d’énergie, mesurée suite à des relèves de compteur ou à des livraisons de combustible. Cette partie plus classique permettrait de gérer les comportements trop dispendieux des clients évoqués précédemment, sans avoir à mettre en place des outils de contrôle trop intrusifs ou trop coûteux, janvier-février 2019 Dossier I Innovations et marketing Une première de ces difficultés concerne la dimension pro-environnementale. En effet, une proposition sous la forme d’un taux de service portant sur une émission maximale de CO2 ou d’un autre polluant, se heurte à l’absence de mesure fiable et reconnue de l’émission du polluant. Par exemple, en France, en ce qui concerne le CO2, EDF privilégiait pour calculer le niveau d’émission au KWh, la moyenne des émissions, alors que GDF SUEZ a proposé un taux marginal. Ainsi, selon la méthode retenue, le niveau d’émission de CO2 associé à la fourniture d’électricité varie d’un facteur 3 (ADEME et RTE, 2007)6. En outre, le caractère attractif du contrat est soumis à un problème marketing crucial : l’extrême difficulté dans laquelle se trouve le client pour définir le contenu de ses attentes environnementales et anticiper toutes les externalités qui découleront de son choix. En vue de contourner cette difficulté à définir des engagements de résultats opérables, le producteur pourra s’appuyer sur des certifications. La certification servira à gérer la complexité liée à la définition de résultats garantis contractuellement. Toute solution technique proposée pourrait alors être évaluée sur la base de plusieurs critères, chacun associé à une certification différente. Par exemple, une certification « efficacité énergétique », une certification « impact limité en terme de changement climatique », une certification « biodiversité », une certification « économie durable » et une certification « absence de pollution chimique ». Le producteur d’énergie aurait ainsi la possibilité de s’engager contractuellement sur un niveau minimal pour chacune des certifications retenues. Pour gagner la confiance du consommateur, ces certifications doivent passer par un tiers reconnu et être mises à jour régulièrement. L’exigence d’un niveau minimal pour chaque certification permettra ainsi d’offrir une définition claire des engagements d’un contrat orienté résultat. Une deuxième difficulté apparaît dans un contrat orienté résultat. En effet, dans ce type de contrat, le vendeur ne vend plus d’énergie, mais garantit plutôt un résultat à atteindre (comme par exemple AMG en Italie qui vend de la chaleur comme produit « fini » plutôt que de l’énergie). Le contrat orienté résultat repose ainsi sur un taux de service qui peut être défini par exemple comme une température minimum acceptable, un niveau de CO2 ou d’un autre polluant à ne pas dépasser pour une habitation. La permanence du contrat est indépendante de l’équipement installé (A. Bragd et al. 1998). Cependant, l’atteinte de ce taux de service nécessite un comportement adapté du client (ouvertures raisonnables des portes et fenêtres, respect des règles d’isolation thermique, consommation d’eau dans la norme, nombre et consommation justifiés des équipements…). Une solution serait d’aligner les intérêts du producteur et du client en conservant une part de contrat « classique », le client continuant de payer une partie 15 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie ou laisser l’énergéticien supporter un risque financier trop important ; • la dernière partie du contrat concernerait spécifiquement le changement d’équipement. Elle intégrerait, une phase de co-conception lors de la phase initiale du contrat, permettant de faciliter l’installation d’équipements différents sans remettre en cause l’habitat. Elle reposerait également sur le principe d’un partage des gains entre producteur et client afin d’inciter ce dernier à accepter l’installation d’équipements nécessitant une modification de l’habitat, lorsque l’économie de cette installation le justifie. Ce contrat hybride en trois parties augmenterait probablement la fidélité du client et pourrait être ajusté afin de correspondre à un niveau d’engagement acceptable pour ce dernier. Un autre avantage de ce type de contrat vient de ce qu’il permettrait à l’opérateur de « pousser » de nouvelles solutions vers les clients, en particulier si les certifications évoluent ou si des externalités non anticipées doivent abaisser les notations associées à certaines certifications pour une solution déjà installée chez des clients. © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) 2.3. Troisième proposition : exploiter le levier des politiques publiques Les deux premières propositions placent le nouveau Business Model dans une logique d’interfaces sur le long terme (le cycle de co-conception, co-production) et une logique contractuelle (le contrat hybride en trois parties). Ces deux logiques tentent d’apporter des solutions concrètes et influentes auprès des particuliers. Toutefois, le domaine de la préservation de l’environnement appelle un Business Model capable non seulement de répondre à la demande des particuliers, mais aussi de faire des offres innovantes assurant la montée en « qualités individuelles et collectives » de la société et opposable à la seule « croissance par les quantités » (J. Gadrey, 2013). Ces deux premières propositions créent un contexte inédit au regard des théories classiques de l’échange : celui de la qualité collective. Cette qualité est en jeu dès que sa définition échappe à un seul acteur, fût-ce le client, et exige la coopération d’acteurs multiples. Ainsi, par exemple, la qualité de l’air en ville ne se décrète pas. Sa définition est le fruit de délibérations sur ce qui est souhaitable, de constats scientifiques, de co-production entre citoyens, ménages, entreprises et autres organismes, y compris comme fournisseurs de ressources financières et non financières. Ces deux logiques d’interface et de contrat, présentes dans le nouveau Business Model, offrent chacune un mode différent et complémentaire d’intégration des ressources nécessaires à la transformation des consommations d’énergies fossiles en énergies renouvelables. La troisième proposition du nouveau Business Model développe, elle aussi, une logique. Elle part du constat que l’état d’irréversibilité sur longue période des équipements des Dossier I clients constitue un frein important au choix de solutions mieux adaptées à la transformation énergétique. En conséquence, l’aide à la gestion sur le long terme des équipements des particuliers pourrait servir d’outil complémentaire aux futures politiques publiques visant le développement des énergies renouvelables. Ces politiques cherchent généralement à augmenter la part de marché de l’énergie verte dans le mix de production (R. Wiser et al. 2004) et se focalisent sur des aspects technologiques, tels que les cycles d’innovation et la diffusion des technologies existantes (V. Oikonomou et al., 2010). Les politiques publiques, en promouvant des équipements utilisant une source d’énergie renouvelable, introduisent une nouvelle donne auprès des ménages pour les aider à faire le choix de l’investissement le plus pertinent pour eux. Au niveau territorial, comme dans le cas de la troisième révolution industrielle en région Hauts-de-France (Rev3)7 ou national, ces politiques s’emparent du thème du niveau de qualité collective qu’il est souhaitable d’atteindre dans les équipements des ménages en énergie renouvelable. Elles orientent leurs programmes de subventions, pour les propriétaires et les bailleurs de logements, en soutien de cette qualité collective. Elles promeuvent, comme c’est le cas de l’ANAH8 ou du prêt Eco PTZ, des « bouquets », de mesures d’isolation thermique et d’équipements en énergie renouvelable. Ainsi, la troisième proposition du nouveau Business Model est-elle dans le développement de marques et de labels comme levier des politiques publiques. Ces marques et ces labels, selon l’AFNOR, sont « des marques de reconnaissance par une tierce partie d’un dispositif mis en œuvre par un organisme sur un thème précis, par rapport aux dispositions d’un cahier des charges et ce au moyen, notamment, d’évaluations récurrentes sur site ou non ». Ils peuvent être de puissants outils de transformation des perceptions des parties prenantes de la transition énergétique. Sur simple initiative d’une collectivité territoriale ou d’une institution régionale ou sur la base d’une libre adhésion accompagnée de contreparties, ou avec les moyens coercitifs de la loi et des règlements, ces marques et labels peuvent accompagner les contrats orientés résultat et servir de vecteurs efficaces d’intermédiation dans l’établissement du niveau de qualité collective à atteindre comme effet de la transition. Des labels publics en termes de performances énergétiques à destination des particuliers existent déjà en France, au Royaume-Uni ou en Belgique. Ils fournissent des normes d’efficacité énergétique et d’émission de CO2 pour les logements et sont obligatoires avant la conclusion de toute transaction immobilière. Les diagnostics de performance énergétique se fondent sur des algorithmes complexes prenant en compte de nombreux paramètres. Certains labels spécifiques pourraient être adaptés aux différents types de contrats, en intégrant isolation thermique et équipement énergétique. Ils serviraient de base pour les contrats orientés résultat, permettant aux 7. https://rev3.fr/ 8. Agence Nationale de l’Habitat janvier-février 2019 www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Innovations et marketing 16 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) 3. Impacts et perspectives du nouveau Business Model Nous avons cherché à explorer la façon dont un nouveau Business Model peut aider à développer les investissements www.LaRSG.fr en énergie verte des particuliers. Une caractéristique clé de ce Business Model est apparue en observant comment ce Business Model se propose d’intégrer les ressources matérielles et immatérielles de beaucoup de parties-prenantes (opérateurs, consommateurs-producteurs, distributeurs, collectivités…) sur les trois propositions complémentaires. Il apparaît clairement que les investissements en énergie verte des particuliers comportent des enjeux qui ne peuvent être appréhendés par la seule souveraineté de l’acheteur, quand la demande est la simple expression de mobiles intéressés et personnels (R.P. Bagozzi, 1974). Ce secteur des énergies vertes, comme beaucoup de secteurs couverts par un jugement collectif d’utilité (qualité de l’air, santé, éclairage public…) est confronté à un problème spécifique qui tient au caractère immédiatement collectif de l’enjeu de transformation. Face à cet enjeu collectif, définir l’offre, comme on le ferait pour un individu, muni de valeurs d’usage parfaitement appréhendables, est largement insuffisant et inadapté. Avec l’enjeu collectif intervient donc celui du niveau de qualité collective de la proposition d’offre. De ce constat, un grand nombre de spécificités du Business Model, proposé ici, peuvent être tirées. L’article fonde, en premier lieu, ce nouveau Business Model sur le cycle de la relation producteur/client. La qualité collective de ce cycle dépend des producteurs et de leur capacité managériale et organisationnelle à jouer les « premiers intégrateurs de ressources » (S. Moeller, 2008) Ces derniers doivent donc disposer, dès l’étape de co-conception avec le client, de données localisées fournies, notamment par des réseaux décentralisés leur permettant d’intervenir directement, par exemple, sur le parc immobilier en ciblant les potentialités de ces bâtiments à produire de l’énergie. Ils doivent ainsi animer et organiser un nouveau réseau pour combiner leurs ressources avec d’autres acteurs, y compris de proximité (producteurs d’équipement, installateurs, spécialistes de la rénovation urbaine, propriétaires d’immeubles, investisseurs…). Toutes ces données devront être partagées avec les parties prenantes concernées pour mettre en route le cycle de la relation producteur/client. En ce sens, le Business Model proposé suppose que les producteurs d’énergie sachent passer d’un marché, dominé par la demande de masse à celui de l’offre, beaucoup plus ciblé sur les comportements et les performances énergétiques des clients. Le cycle de la relation producteur/client doit ainsi s’amorcer, à l’initiative des producteurs, par une offre inédite, voire innovante. Elle est dominée par la promesse de la flexibilité et de l’évolutivité pour le client et doit prendre soin de développer des valeurs potentielles susceptibles de sensibiliser le public, de réduire sa perception des risques mentionnés plus haut et d’enraciner de nouvelles préoccupations comme autant d’ouvertures à la co-conception. Dans les étapes suivantes du cycle, les producteurs devront établir et gérer tous les relais (personnels dédiés au titre de gestionnaires d’énergie, maîtres d’œuvre, fournisseurs d’équipement, installateurs, financeurs…) qui leur permettront de réaliser des inventaires fins des ressources (matérielles, immatérielles, nominales…) du client et d’offrir janvier-février 2019 Dossier I Innovations et marketing organismes publics d’intégrer leurs propres ressources tirées de leur capacité à inciter, coordonner, éduquer, légiférer et financer. La labellisation de l’efficacité énergétique est déjà présente sur divers équipements, et pourrait être élargie. En adaptant régulièrement les labels, les décisionnaires publics peuvent faciliter les contrats librement négociés entre les opérateurs et leurs clients et orienter leurs initiatives dans le sens d’un niveau prédéfini de qualité collective à atteindre. Ces outils d’intermédiation sur initiative publique capables d’ajuster le niveau de qualité collective souhaitable, en situation d’incertitude, sont de plus en plus nécessaires avec le développement continu de la production d’énergie distribuée. Un tel développement entraîne une augmentation des risques portés par les clients donnant à ces outils un rôle de plus en plus central dans le succès des futures politiques énergétiques. En associant des logiques d’interface et de contrat à une logique de protection et de garantie par la marque ou de stimulation des initiatives par le label, le nouveau Business Model prépare les producteurs d’énergie à prendre toute leur part dans la révolution énergétique. Celle-ci préfigure, au-delà du problème de l’efficacité énergétique, la troisième révolution industrielle. Pour prendre cette part, c’est l’industrie de la production d’énergie toute entière qui doit progressivement revoir la définition de ses Business units, en définissant de nouvelles fonctions à servir au client, face à la synergie entre les énergies renouvelables et les technologies de l’internet. De même, devra-t-elle revoir sa place et son rôle dans la chaîne de valeurs, face à la collecte des énergies renouvelables sur site, au niveau local dans des bâtiments producteurs d’énergie et donnant lieu dès maintenant, par exemple, à la mise en place par des tiers, en dehors du secteur, de cadastres solaires. Sous l’effet du déploiement de réseaux intelligents grâce aux compteurs d’énergie de type Linky pour ERDF ou Gaspar pour GRDF pourvus de capacités d’analyse et de communication et connectés via internet à des plateformes de régulation de l’offre et de la demande, ce sont les métiers de toute l’industrie qui sont à repenser. C’est le cas, par exemple, pour les métiers de la gestion et du stockage de l’énergie. Il en va de même de l’organisation des relations avec les parties prenantes, acteurs de l’efficacité énergétique au titre de porteurs de projet ou de financeurs sous l’effet d’échanges plus étendus et intégrés associant nouveaux systèmes énergétiques et nouvelles technologies de la communication. Face aux bouleversements attendus, le nouveau Business Model proposé ici est clairement un modèle de transition et de redéploiement que les producteurs d’énergie, armés de ces trois logiques contributives peuvent expérimenter sur des projets territoriaux. 17 © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) toutes les valeurs d’échange qui le motiveront à entrer dans le processus de co-production et de transformation. Dans un tel contexte, le Business Model invitera les producteurs à faire évoluer leur business unit vers le métier de « l’efficacité énergétique » définie comme un « système fonctionnant de manière à réduire la consommation d’énergie pour un rendement équivalent ou supérieur ». Mettre en relation le rendement d’un système et l’énergie nécessaire pour le produire exigera une véritable mutation à grande échelle des compétences à déployer afin d’assurer les phases dites d’usage du cycle de la relation. Dans ces phases d’usage une veille d’efficacité énergétique rendue possible par les technologies de l’information et les compteurs intelligents, gérée par les producteurs, permettra de maintenir la vigilance contre les risques d’obsolescence notés plus haut et d’agir pro-activement, le cas échéant, pour maintenir le cycle de la relation grâce à la circulation des offres. En second lieu, le Business Model développera un service orienté résultat. Les contraintes de la servicisation du secteur de l’énergie trouve ici leur remède dans un « modèle contractuel hybride », scindé en trois parties qui toutes auront leur impact sur la conception et le fonctionnement de ce service. Les producteurs devront, par exemple, réunir toutes les compétences juridiques et managériales pour faire vivre un véritable « nœud de contrats » associant étroitement des parties prenantes (installateur, équipementier, gestionnaire d’énergie, thermiciens…) qui ne participaient pas jusqu’ici, dans le Business Model classique, à la chaîne de valeurs. La mise en œuvre de la partie « variable » du contrat hybride conduit les producteurs à maîtriser en temps réel les bases de données qui leur permettront de réaliser des facturations qui les garantiront contre les abus possibles. La partie du contrat réservée au suivi de l’efficacité énergétique par le renouvellement des équipements oblige les producteurs à abandonner la politique de prix du Business Model classique fondée sur le coût d’une fourniture exprimée par un prix pour une unité de volume au profit d’un calcul économique sur longue période attaché à la notion de rendement énergétique du système. Le nouveau Business Model tend ainsi à privilégier une organisation commerciale de type Pull contrairement au type Push du Business Model classique. Dans l’organisation Pull, ce ne sont pas les mesures qui facilitent l’accès à l’offre qui font toute son attractivité, mais l’expression personnalisée d’un coût du système énergétique pour un rendement optimisé sur le long terme. Cette mutation de l’organisation et de la communication commerciale place le nouveau Business Model dans une démarche d’évaluation des effets de l’offre sur la performance du client, familière du marketing industriel. En troisième lieu, le nouveau Business Model conduit les producteurs à passer d’une simple stratégie de lobbying vis-à-vis des autorités publiques à une stratégie inspirée de la notion de « bien commun ». Une telle posture peut être particulièrement avantageuse pour les producteurs s’ils sont capables de peser sur le jugement sociétal d’utilité qui pousse les décideurs publics à faire évoluer le cadre juridique et fiscal Dossier I dans lequel s’évaluent les coûts de rendement. Le Business Model proposé, ici, incite les producteurs à développer leur implication vis-à-vis des territoires. Les collectivités territoriales, les aménageurs, les opérateurs réseaux sont autant de cibles pour renforcer la lisibilité du marché, renforcer les normes de qualité (certifications, marque, label…) modifier des réglementations et des dispositions fiscales qui entravent le développement des investissements. Cette dernière proposition du nouveau Business Model doit renforcer le redéploiement des producteurs d’énergie face aux turbulences à venir de ce que pourrait être la conséquence de la généralisation des énergies renouvelables : celle du consommateur individuel devenu à son tour producteur d’énergie. Conclusion Cet article et le Business Model qu’il développe supposent que tout une série de transformations, voire de ruptures, soient possibles sous l’impulsion d’un jugement collectif d’utilité, que les défis de l’environnement stimulent. L’enjeu collectif de ces transformations, face à une crise de plus en plus sensible comme le montre l’actualité immédiate, va obliger les producteurs d’énergie à veiller de plus en plus à la qualité collective de leur proposition d’offre. Une refonte des mobiles intéressés de l’échange entre producteurs et consommateurs d’énergie s’annonce. Une telle redéfinition conduit les producteurs à assumer stratégiquement leur rôle de premiers intégrateurs de ressources. Celui-ci les oblige à repenser leur métier non par altruisme, mais parce qu’il devient le meilleur moyen pour eux d’atteindre leurs propres objectifs. Cette capacité à intégrer les ressources en jeu dépend des réseaux de co-conception puis de co-production décentralisés que les producteurs d’énergie sont en mesure de créer. Ainsi, ce Business Model a-t-il nécessairement une dimension territoriale, assise de sa durabilité. Pour fonctionner, ces réseaux devront partager leurs données et mener des diagnostics énergétiques évolutifs relayés par l’intelligence artificielle pour faire surgir toutes les potentialités de réduction de la consommation d’énergie pour un rendement équivalent ou supérieur. De même, ces bases de données partagées trouveront un sens non-intrusif dans une veille d’efficacité énergétique rendue possible par les technologies de l’information et les compteurs intelligents. Le partage de ces informations donnera au client les moyens d’un bilan énergétique en continu et d’une optimisation financière de son rendement énergétique. Enfin, il convient de souligner que les étapes du cycle de la relation producteur/client ont une particularité : la grande souplesse de leur mise en œuvre. Ce Business Model est parfaitement compatible avec une application « expérimentale », territorialement limitée, où la gouvernance et la régulation d’une politique à l’échelle réduite d’un « bassin d’expérimentation » pourraient assumer l’institutionnalisation d’initiatives fiscales janvier-février 2019 www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Innovations et marketing 18 Bibliographie © Direction et Gestion | Téléchargé le 19/08/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Awan U. (2011), “Green marketing : marketing strategies for the Swedish Energy Companies”, International Journal of Industrial Marketing, vol.1, n° 2, p. 1-19. Babutsidze Z., Bradley G., Chai A., Dietz T., Hales R., Markowitz E. et Nesta L., (2018), “Public Perceptions and Responses to Climate Change in France”, Research Report. Université Côte d’Azur : Nice. Bagozzi R.P. 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