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UN NOUVEAU BUSINESS MODEL POUR RÉUSSIR LA TRANSITION
ÉNERGÉTIQUE
Quels impacts sur les relations producteur/client ?
Michel Felix, Laëtitia Garcia
Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion »
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ISSN 1160-7742
ISBN 9782916490649
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2019/1 N° 295 | pages 11 à 19
Un nouveau Business Model pour réussir
la transition énergétique :
quels impacts sur les relations producteur/client ?
par Michel Felix et Laëtitia Garcia
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L
Michel FELIX
Professeur des Universités en Sciences
de Gestion, LSMRC (Laboratoire MERCUR)
Université de Lille – SKEMA Business School
France
Laëtitia GARCIA
Maître de Conférences en Sciences de Gestion
Laboratoire CRDP… EA n° 4487 – Équipe René
Demogue, Université de Lille
France
www.LaRSG.fr
e secteur de l’énergie, confronté à une crise environnementale de plus en plus ouverte, connaît une profonde
remise en cause de son modèle d’affaires. Face à cette
crise, bon nombre de producteurs d’énergie doivent à la fois
conduire sur le long terme une vaste mutation des énergies
carbonées vers des énergies vertes et apporter de nouvelles
réponses aux attentes des usagers. À partir de ce constat, cet
article se propose d’étudier, sur le marché des particuliers,
comment rompre avec le modèle d’affaires classique pour
prendre en charge et accompagner cette mutation sectorielle.
Trois propositions pour un nouveau Business Model seront
discutées en réponse à plusieurs risques majeurs issus de
cette crise. Ces différents risques seront présentés dans une
première partie.
Dans le domaine de l’énergie, le Business Model classique
repose sur la vente de produits liant le revenu de l’entreprise
à une quantité à vendre. Le revenu des fournisseurs est alors
directement dépendant du volume de consommation. Il est clair
que ces fournisseurs n’ont en principe aucun intérêt à encourager la baisse de consommation, même si leur stratégie de
fidélisation et de création de valeur par leurs systèmes d’information (Porter, Heppelmann 2014) les conduit à aider leurs
clients à réaliser des économies d’énergie. En conséquence,
pour les producteurs d’énergie, tout Business Model fondé sur
une rationalisation généralisée des usages ne conduit qu’à une
destruction de valeur pour la partie fourniture de cette industrie.
Les propositions d’un nouveau Business Model, seront
présentées dans une seconde partie. La première consiste à
repenser la relation producteur-client. La seconde, à remplacer
la vente d’un bien par celle d’un résultat, la troisième, à accompagner le changement au cours d’une nécessaire transition. La
mise en œuvre de cette stratégie impliquera une reconfiguration
des différentes parties prenantes de l’ensemble du secteur.
janvier-février 2019
Dossier I
Innovations et marketing
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie
Enfin, une dernière partie présentera les impacts majeurs
de ce nouveau Business Model sur l’ensemble des parties
prenantes, acteurs de la transition, et sur la nature et l’organisation de leurs pratiques.
1. Crise environnementale :
quels risques pour le particulier
consommateur d’énergie ?
Parmi tous les risques perçus de la crise, on retiendra trois
risques spécifiques qui sollicitent tout particulièrement la
capacité de réponse du Business Model et le caractère durable
de sa compétitivité. Ces risques sont : le risque de réchauffement climatique, le risque d’obsolescence technologique et
économique, et enfin, le risque d’intangibilité, lié à la difficulté
pour le client à se représenter de façon concrète les solutions
à mettre en œuvre pour faire face aux deux risques précédents.
1.1. Le risque de réchauffement climatique
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Les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)1 établissent clairement
l’influence de l’homme sur le système climatique. Le rapport
de 20142 montre que la concentration du dioxyde de carbone
a augmenté de 40 % depuis l’époque préindustrielle et que
cette augmentation est due principalement à l’utilisation de
combustibles fossiles. Celui de 20183 préconise, pour limiter
le changement climatique, de réduire les émissions mondiales
de gaz à effet de serre d’environ 45 % en 2030 par rapport à
2010 et d’atteindre des émissions nettes nulles vers 2050.
Un rapport de recherche (Z. Babutsidze et al., 2018) sur la
perception par la population française du changement climatique
(octobre 2018) indique que 90 % des personnes interrogées
pensent que l’activité humaine est entièrement ou au moins
partiellement responsable du changement climatique.
De plus, selon un sondage BVA réalisé dans le cadre de
l’Observatoire de la vie quotidienne des Français (mars 2018)4,
les Français se montrent très majoritairement favorables à des
sources d’électricité renouvelables telles que l’énergie solaire
(90 %), hydroélectrique (89 %) et éolienne (84 %). E. Lafaye et
al. (2013) établissent dans une étude sur les comportements
des ménages que la possibilité de contrôler chez soi sa
consommation est, pour les Français, une étape essentielle
pour diminuer leur empreinte carbone.
1. https://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/les-rapports-du-giec
2. 5e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC), novembre 2014
3. Rapport spécial du GIEC sur les conséquences du réchauffement planétaire
de 1,5 °C, octobre 2018
4. http://www.bva.fr/fr/sondages/observatoire_de_la_vie_quotidienne_des_
francais
Dossier I
Les consommateurs d’énergie verte ont été pendant
longtemps confinés a un segment bien particulier de clientèle
(I.H. Rowlands et al. 2003). Toutefois, la production et la
distribution des offres d’énergie renouvelable se développent
rapidement5. Cette tendance dans la société à une prise de
conscience de plus en plus forte des défis environnementaux
(U. Awan, 2011) devrait privilégier les offres à forte promesse
environnementale. Ces mutations importantes de l’opinion
publique vont particulièrement contribuer à s’interroger sur la
viabilité à long terme du Business Model liant les quantités
vendues au revenu.
1.2. Le risque d’obsolescence
technologique et économique
Le risque d’obsolescence par innovation technologique est
afférent à l’installation d’un équipement de production d’énergie
verte chez le particulier. Il s’agit d’un risque d’obsolescence
rapide d’une installation chez le particulier au profit d’une autre
plus performante, comme par exemple l’arrivée sur le marché
de panneaux solaires dotés de cellules ultra-sensibles.
Le risque d’obsolescence économique peut être lié au traitement d’externalités négatives. L’externalité se définit comme
un résultat obtenu sans qu’il soit directement recherché par un
objectif. Une externalité peut être positive ou négative, selon
l’appréciation du résultat. Les panneaux solaires, massivement
fabriqués en Chine, offrent un exemple typique des risques
d’obsolescence économique sous l’effet de trois externalités
négatives : une externalité liée au caractère polluant de l’extraction d’un de ses composants (terres rares), une externalité
sociale (les conditions de travail en Chine), une externalité
économique (l’arrivée massive des panneaux solaires chinois
à bas coût sur les marchés européen et américain, détruisant
des emplois dédiés dans ces pays). Certaines de ces externalités négatives liées à la production de panneaux solaires
chinois pourraient disparaître et entraîner son obsolescence,
suite par exemple au renforcement d’une filière européenne
de production.
1.3. Le risque d’intangibilité
Les risques climatiques et d’obsolescence peuvent entraîner
un risque d’intangibilité, créant pour les particuliers des freins
à la transition énergétique.
La perception du risque climatique par les particuliers les
incite à modifier leur consommation d’énergie en passant des
énergies carbonées aux énergies vertes. Ce risque d’intangibilité est présent dès lors que les ménages ont à choisir entre
énergie verte ou celle fournie conventionnellement par leur
5. Renewable Energy Policy Network for the 21st century REN21, Renewables
Global Status Report 2012, p. 75, http://www.ren21.net/status-of-renewables/
global-status-report
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Innovations et marketing
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Cette forte intangibilité rend difficile le contrôle de l’origine
verte, ou non, de l’énergie consommée. Les clients qui sont
prêts à payer pour obtenir de l’énergie verte doivent fonder leur
choix sur des substituts (T. Levitt, 1981 ; L.L. Berry et T. Clark,
1986) que le producteur/distributeur doit rendre crédibles
(facture, certificat, label). Au-delà de cette solution imparfaite, la
tangibilisation passe alors par l’équipement du client ou par les
informations contrôlables qu’on lui délivre à partir du matériel
de distribution ou de production implanté chez lui. De ce fait,
l’accès à l’information de traçabilité devient particulièrement
stratégique, même si elle ne peut être qu’en partie satisfaite
par les opérateurs (A. Paladino et A. Pandit, 2012). On peut
s’attendre à ce que l’offre d’équipements et d’outils de contrôle
destinée au client ait un impact organisationnel sur les métiers
et les systèmes d’informations des producteurs/distributeurs.
Les risques d’obsolescence technologique et économique
comportent, eux aussi, un risque d’intangibilité. Quand par
exemple un particulier décide d’installer un équipement de
production d’énergie verte, sa décision d’investissement est
soumise à trois attributs d’intangibilité décrits par V.A. Zeithaml
(1981) : un attribut d’examen (difficulté à déterminer les critères
de choix permettant de retenir une solution technique plutôt
qu’une autre), un attribut d’expérience (difficulté à se représenter clairement toutes les contraintes d’usage), et enfin un
attribut de crédibilité (difficulté à fonder sa confiance envers
les opérateurs dans un marché de démarrage).
Ainsi, le Business Model classique peine à pallier les risques
qui précèdent. L’objectif du nouveau Business Model est
précisément de trouver les solutions managériales, juridiques
et organisationnelles qui réduiraient voire supprimeraient ces
risques afin de permettre au client de mieux appréhender la
proposition d’offre du producteur dans tous ses détails, à
mieux se représenter les relations complexes producteur/
client quand il s’agit d’installer, de suivre, voire de remplacer
du matériel chez le client, et enfin, à mieux percevoir le rôle
que tiendra le producteur dans l’optimisation à long terme des
usages du client.
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2. Un nouveau Business Model
sur le secteur de l’énergie :
quelles propositions ?
La première proposition consiste à repenser la relation
producteur-client comme une combinaison de ressources, en
suivant une logique d’interfaces sur le long terme (le cycle de
co-conception, co-production).
La seconde, à introduire la notion de service orienté résultat,
en adoptant une logique contractuelle spécifique (un modèle
contractuel hybride).
Enfin, la troisième, à accompagner le changement au
cours d’une nécessaire transition en sollicitant des initiatives
publiques et en exploitant les externalités positives de ce
nouveau Business Model. La mise en œuvre de cette stratégie
impliquera une reconfiguration des différentes parties prenantes
de l’ensemble du secteur.
2.1. Première proposition : repenser
la relation producteur-client
Afin de limiter les risques d’obsolescence et d’intangibilité,
cette première proposition de réponse du Business Model
redéfinit la relation des parties prenantes (producteur/client) en
termes de ressources à mobiliser et à combiner. Les ressources
des producteurs sont immatérielles ou cognitives, matérielles
et nominales, telles que les employés, les savoir-faire, les
immobilisations, les bases de données… (B. Edvardsson et J.
Olsson, 1996 ; S. Fließ et M. Kleinaltenkamp, 2004).
Les ressources apportées par les clients, dans le cas d’un
équipement en énergie renouvelable sont multiples : elles
peuvent être matérielles (comme le bâti, le lieu de l’installation,
l’équipement existant qui sera à changer ou à modifier), immatérielles (contrats en cours, données du client (consommation,
endettement, fiscalité…)), financières (trésorerie disponible,
épargne mobilisable en vue du projet), ou encore cognitives
(capacité à interpréter et à évaluer).
La combinaison des ressources de ces deux parties prenantes
peut produire ses effets sous la forme d’une co-conception et
d’une transformation à l’issue d’une co-production. Sur la base
de ce qui précède, le Business Model proposé apportera une
réponse globale, décomposable en un cycle temporel défini
comme suit : (avant, pendant et après l’équipement) :
• avant l’équipement, dans la phase de prise de décision
du client, le producteur devra partager en toute transparence avec son client un ensemble d’informations sur le
couple technologie pro-environnementale/risque d’obsolescence, l’aidant à préparer un choix argumenté et
stabilisé. À ce stade, le Business Model devra proposer
une offre riche en valeurs potentielles pour le client. Ces
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fournisseur. Avec l’offre verte, l’énergie peut être livrée par le
réseau. Dans ce cas, le fournisseur s’engage à produire ou à
acheter tout ou partie des besoins de consommation du client
auprès de centres de production d’énergie appropriés (sans
émission de CO2, par exemple). La facture du client mentionne
alors la quantité de CO2 ainsi « épargnée ». En conséquence,
le succès commercial des énergies vertes dépend du degré
de confiance des clients en leur fournisseur (R. Wiser et al.,
2004). Or, cette confiance doit se construire à partir d’une
expérience limitée, tout au plus en lisant sur la facture la
quantité de CO2 épargnée. Les clients n’ont en effet aucun
moyen de contrôler l’origine de l’électricité consommée : d’un
point de vue physique, les électrons qui parcourent les réseaux
sont totalement indifférenciés et il n’est donc pas possible
d’attribuer clairement les moyens de production correspondant
à l’énergie livrée chez le client.
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Innovations et marketing
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie
•
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•
valeurs sont définies comme exprimant la capacité du
producteur à faire connaître concrètement toutes les
ressources qu’il peut mettre à la disposition du client
(K.J. Mayer et al., 2003 ; S. Moeller, 2008) ;
pendant l’équipement, au moment de l’installation,
commence la phase de transformation. L’objectif de
cette phase consiste à amener le client à choisir les
solutions les plus flexibles et les plus évolutives en
termes d’aménagement du bâti et d’équipement. Par
exemple, lors de l’installation d’une chaudière à gaz,
le fournisseur proposera au client qu’un espace suffisant et facile d’accès soit prévu afin de faciliter son
remplacement par une chaudière à biomasse. De même,
lors de l’installation de panneaux photovoltaïques
sur la toiture d’une maison, le fournisseur proposera
une installation qui facilitera leur remplacement sans
provoquer de dommages sur la toiture, et en ayant
notamment recours à des panneaux de dimension
standard facilement remplaçables. Dans la phase de
transformation, le client agit comme un co-producteur
(S.L. Vargo et R.F. Lush, 2006 ; R.F. Lush et al., 2007)
en intégrant ses propres ressources (bâti, toiture…).
Le rôle de ce nouveau Business Model est de faciliter
cette co-production permettant ainsi de créer de la valeur
d’échange pour le client (J.A. Constantin et R.F. Lush,
1994). Cette valeur résulte de l’ensemble des moyens
mis en œuvre pour faciliter et optimiser la combinaison
des ressources conduisant à la transformation. Une fois
l’équipement installé, le client bénéficie des usages
prévus par l’offre, créant ainsi des valeurs d’usage (E.
Gummesson, 1995 ; N. Mizik et R. Jacobson, 2003) ;
enfin, le cycle se clôt par l’envoi régulier d’informations
sur les évolutions techniques et sur d’éventuelles
nouvelles externalités attachées à chaque technologie.
La figure 1 propose une représentation schématique du
cycle de la relation client.
Figure 1. Cycle de la relation producteur-client
Dossier I
2.2. Deuxième proposition : introduire
la notion de service orienté résultat grâce
à un modèle contractuel hybride
L’économie de la fonctionnalité apparaît comme une réponse
particulièrement appropriée aux risques environnementaux.
L’objectif économique de la fonctionnalité est de proposer
la plus grande valeur d’usage sur la plus longue période
possible, tout en consommant la plus petite quantité de
ressources et d’énergie (W.R. Stahel, 1997). En référence
avec les systèmes de services éco-efficients, l’économie de la
fonctionnalité combine un système de produits et de services
pour fournir l’usage attendu de manière à réduire son impact
sur l’environnement (M.J. Goedkoop et al.1999). Ces systèmes
sont habituellement classés en trois catégories distinctes (K.
Hockerts, 1999 ; A. Tukker et U. Tischner, 2004 ; T.S. Baines et
al. 2007) : les services orientés produit, les services orientés
usage et les services orientés résultats.
Dans le cadre de la production d’énergie verte, la proposition
de Business Model s’appuiera, après examen critique, sur la
définition des services orientés résultat. Ce choix est justifié
par le fait que les services orientés produit sont adaptés aux
opérations de maintenance ou de conseil pour un équipement
donné. Ils sont cependant inadaptés pour traiter les problèmes
d’obsolescence technologique qui exigent plus que des services
autour d’un équipement. De même, les services orientés usage
peinent à offrir une réponse adaptée. En effet, dans les services
orientés usage, c’est l’usage de l’équipement et non l’équipement lui-même qui serait facturé sans transfert de propriété.
A. Tukker et U. Tischner (2004) montrent tout l’intérêt d’une
telle solution. Dans l’orientation usage, le partage des risques
d’obsolescence pourrait être négocié entre les clients et les
producteurs. Toutefois, les intérêts des parties, dans ce cas
précis, divergent fortement. Les producteurs chercheraient à
amortir le matériel loué sur la plus longue période possible,
alors que les clients souhaiteraient rester à la pointe des
technologies pro-environnementales. Si des solutions peuvent
être recherchées (limitations contractuelles des changements
de technologies, coûts d’installation et de remplacement des
équipements à la charge du client sans transfert de propriété…),
il reste un problème majeur qui confirme le caractère inadapté
des services orientés usage en ce domaine. Ce problème est
celui de la nature du contrat et de l’obligation juridique qu’il
contient de son renouvellement à chaque changement d’équipement. Cette contrainte obscurcit toute vision à long terme
pour les deux parties (risque d’infidélité à chaque renouvellement, incertitude sur les conditions du nouveau contrat…). À
la suite du constat d’inadaptation de ces deux orientations
de service, la proposition de Business Model s’appuiera sur
la définition des services orientés résultat. Néanmoins cette
proposition devra s’accompagner d’innovations pour contourner
des difficultés spécifiques liées aux indicateurs de résultats
dans le secteur de l’énergie.
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6. Pour plus de détails, il sera possible de consulter le rapport technique : Le
contenu en CO2 du kWh électrique : avantages comparés du contenu marginal et
du contenu par usages sur la base de l’historique, Agence de l’Environnement
et de la Maîtrise de l’Energie, Réseau de transport d’électricité, 2007, Paris.
www.LaRSG.fr
des coûts variables (livraison de combustibles, utilisation de
l’énergie de réseau…).
La nature du contrat orienté résultat suppose que le producteur peut changer d’équipement pour optimiser la réalisation
du contrat. Ceci peut être à la source de désaccords avec le
client qu’il conviendra de limiter. Si le changement d’équipement
n’implique pas de modifications significatives dans l’habitat
du client, cela se fera sans difficultés particulières. Si par
contre, ce changement d’équipement suppose une modification
importante dans l’habitat, un tel projet ne pourra être imposé.
Dans ce second cas, si la valeur économique générée par le
renouvellement d’équipement le justifie, le producteur pourra
inciter le client à accepter l’installation du nouvel équipement
en lui proposant de partager ses avantages économiques. Le
producteur pourra limiter ces situations en co-concevant avec
son client l’insertion de la solution initiale dans l’habitat : par
exemple en prévoyant un espace suffisant pour un réservoir à
granulés à côté de l’installation initiale de la chaudière.
Par conséquent, outre la prise en compte des éléments
exposés dans le cycle de la relation producteur-client (communication des risques d’obsolescence, conception la plus flexible
possible de l’équipement pour faciliter les remplacements,
recherche de solutions reposant sur des technologies diversifiées pour atténuer les risques, veille constante, partagée avec
le client, permettant d’identifier de nouvelles externalités), une
solution pour adapter le service orienté résultat au secteur de
l’énergie serait de proposer un « modèle contractuel hybride »,
scindé en trois parties : la première partie contractuelle serait
orientée résultat, la seconde correspondrait à une facturation
complémentaire liée à la consommation ou à la prestation,
enfin, la troisième et dernière partie serait relative au changement d’équipement :
• la première partie orientée résultat, couvrant les frais
d’entretien, une partie des frais de fonctionnement
(essentiellement les carburants livrés ou les fournitures
d’énergie via des réseaux) et une partie des coûts d’installation ou de renouvellement d’équipements, serait
basée sur un engagement à long terme permettant
de garantir un prix défini à l’avance sur la durée du
contrat, indépendant de la consommation ou d’éventuels
renouvellements d’équipements. Les résultats garantis
contractuellement dans cette partie du contrat devraient
se composer d’indicateurs mesurables en termes
d’usage énergétique, comme une température moyenne
garantie, et de résultats environnementaux, mesurés
par des certifications définies contractuellement ;
• la seconde partie du contrat correspondrait à une
facturation liée à la consommation d’énergie, mesurée
suite à des relèves de compteur ou à des livraisons de
combustible. Cette partie plus classique permettrait de
gérer les comportements trop dispendieux des clients
évoqués précédemment, sans avoir à mettre en place
des outils de contrôle trop intrusifs ou trop coûteux,
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Dossier I
Innovations et marketing
Une première de ces difficultés concerne la dimension
pro-environnementale. En effet, une proposition sous la forme
d’un taux de service portant sur une émission maximale de
CO2 ou d’un autre polluant, se heurte à l’absence de mesure
fiable et reconnue de l’émission du polluant. Par exemple, en
France, en ce qui concerne le CO2, EDF privilégiait pour calculer
le niveau d’émission au KWh, la moyenne des émissions,
alors que GDF SUEZ a proposé un taux marginal. Ainsi, selon
la méthode retenue, le niveau d’émission de CO2 associé à
la fourniture d’électricité varie d’un facteur 3 (ADEME et RTE,
2007)6. En outre, le caractère attractif du contrat est soumis
à un problème marketing crucial : l’extrême difficulté dans
laquelle se trouve le client pour définir le contenu de ses
attentes environnementales et anticiper toutes les externalités
qui découleront de son choix.
En vue de contourner cette difficulté à définir des engagements de résultats opérables, le producteur pourra s’appuyer sur
des certifications. La certification servira à gérer la complexité
liée à la définition de résultats garantis contractuellement. Toute
solution technique proposée pourrait alors être évaluée sur la
base de plusieurs critères, chacun associé à une certification
différente. Par exemple, une certification « efficacité énergétique », une certification « impact limité en terme de changement
climatique », une certification « biodiversité », une certification
« économie durable » et une certification « absence de pollution
chimique ». Le producteur d’énergie aurait ainsi la possibilité
de s’engager contractuellement sur un niveau minimal pour
chacune des certifications retenues. Pour gagner la confiance
du consommateur, ces certifications doivent passer par un
tiers reconnu et être mises à jour régulièrement. L’exigence
d’un niveau minimal pour chaque certification permettra ainsi
d’offrir une définition claire des engagements d’un contrat
orienté résultat.
Une deuxième difficulté apparaît dans un contrat orienté
résultat. En effet, dans ce type de contrat, le vendeur ne vend
plus d’énergie, mais garantit plutôt un résultat à atteindre
(comme par exemple AMG en Italie qui vend de la chaleur
comme produit « fini » plutôt que de l’énergie). Le contrat
orienté résultat repose ainsi sur un taux de service qui peut
être défini par exemple comme une température minimum
acceptable, un niveau de CO2 ou d’un autre polluant à ne pas
dépasser pour une habitation. La permanence du contrat est
indépendante de l’équipement installé (A. Bragd et al. 1998).
Cependant, l’atteinte de ce taux de service nécessite un
comportement adapté du client (ouvertures raisonnables des
portes et fenêtres, respect des règles d’isolation thermique,
consommation d’eau dans la norme, nombre et consommation
justifiés des équipements…). Une solution serait d’aligner les
intérêts du producteur et du client en conservant une part de
contrat « classique », le client continuant de payer une partie
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ou laisser l’énergéticien supporter un risque financier
trop important ;
• la dernière partie du contrat concernerait spécifiquement le changement d’équipement. Elle intégrerait,
une phase de co-conception lors de la phase initiale du
contrat, permettant de faciliter l’installation d’équipements différents sans remettre en cause l’habitat. Elle
reposerait également sur le principe d’un partage des
gains entre producteur et client afin d’inciter ce dernier
à accepter l’installation d’équipements nécessitant une
modification de l’habitat, lorsque l’économie de cette
installation le justifie.
Ce contrat hybride en trois parties augmenterait probablement
la fidélité du client et pourrait être ajusté afin de correspondre
à un niveau d’engagement acceptable pour ce dernier. Un autre
avantage de ce type de contrat vient de ce qu’il permettrait
à l’opérateur de « pousser » de nouvelles solutions vers les
clients, en particulier si les certifications évoluent ou si des
externalités non anticipées doivent abaisser les notations
associées à certaines certifications pour une solution déjà
installée chez des clients.
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2.3. Troisième proposition : exploiter
le levier des politiques publiques
Les deux premières propositions placent le nouveau Business
Model dans une logique d’interfaces sur le long terme (le cycle
de co-conception, co-production) et une logique contractuelle
(le contrat hybride en trois parties). Ces deux logiques tentent
d’apporter des solutions concrètes et influentes auprès des
particuliers. Toutefois, le domaine de la préservation de l’environnement appelle un Business Model capable non seulement
de répondre à la demande des particuliers, mais aussi de faire
des offres innovantes assurant la montée en « qualités individuelles et collectives » de la société et opposable à la seule
« croissance par les quantités » (J. Gadrey, 2013).
Ces deux premières propositions créent un contexte inédit
au regard des théories classiques de l’échange : celui de la
qualité collective. Cette qualité est en jeu dès que sa définition
échappe à un seul acteur, fût-ce le client, et exige la coopération
d’acteurs multiples. Ainsi, par exemple, la qualité de l’air en
ville ne se décrète pas. Sa définition est le fruit de délibérations sur ce qui est souhaitable, de constats scientifiques, de
co-production entre citoyens, ménages, entreprises et autres
organismes, y compris comme fournisseurs de ressources
financières et non financières. Ces deux logiques d’interface
et de contrat, présentes dans le nouveau Business Model,
offrent chacune un mode différent et complémentaire d’intégration des ressources nécessaires à la transformation des
consommations d’énergies fossiles en énergies renouvelables.
La troisième proposition du nouveau Business Model
développe, elle aussi, une logique. Elle part du constat que
l’état d’irréversibilité sur longue période des équipements des
Dossier I
clients constitue un frein important au choix de solutions mieux
adaptées à la transformation énergétique. En conséquence,
l’aide à la gestion sur le long terme des équipements des
particuliers pourrait servir d’outil complémentaire aux futures
politiques publiques visant le développement des énergies renouvelables. Ces politiques cherchent généralement à augmenter
la part de marché de l’énergie verte dans le mix de production (R. Wiser et al. 2004) et se focalisent sur des aspects
technologiques, tels que les cycles d’innovation et la diffusion
des technologies existantes (V. Oikonomou et al., 2010). Les
politiques publiques, en promouvant des équipements utilisant
une source d’énergie renouvelable, introduisent une nouvelle
donne auprès des ménages pour les aider à faire le choix de
l’investissement le plus pertinent pour eux. Au niveau territorial, comme dans le cas de la troisième révolution industrielle
en région Hauts-de-France (Rev3)7 ou national, ces politiques
s’emparent du thème du niveau de qualité collective qu’il est
souhaitable d’atteindre dans les équipements des ménages
en énergie renouvelable. Elles orientent leurs programmes de
subventions, pour les propriétaires et les bailleurs de logements,
en soutien de cette qualité collective. Elles promeuvent,
comme c’est le cas de l’ANAH8 ou du prêt Eco PTZ, des
« bouquets », de mesures d’isolation thermique et d’équipements en énergie renouvelable. Ainsi, la troisième proposition
du nouveau Business Model est-elle dans le développement de
marques et de labels comme levier des politiques publiques.
Ces marques et ces labels, selon l’AFNOR, sont « des marques
de reconnaissance par une tierce partie d’un dispositif mis en
œuvre par un organisme sur un thème précis, par rapport aux
dispositions d’un cahier des charges et ce au moyen, notamment, d’évaluations récurrentes sur site ou non ».
Ils peuvent être de puissants outils de transformation des
perceptions des parties prenantes de la transition énergétique. Sur simple initiative d’une collectivité territoriale ou
d’une institution régionale ou sur la base d’une libre adhésion
accompagnée de contreparties, ou avec les moyens coercitifs
de la loi et des règlements, ces marques et labels peuvent
accompagner les contrats orientés résultat et servir de vecteurs
efficaces d’intermédiation dans l’établissement du niveau de
qualité collective à atteindre comme effet de la transition.
Des labels publics en termes de performances énergétiques à destination des particuliers existent déjà en France,
au Royaume-Uni ou en Belgique. Ils fournissent des normes
d’efficacité énergétique et d’émission de CO2 pour les logements
et sont obligatoires avant la conclusion de toute transaction
immobilière. Les diagnostics de performance énergétique se
fondent sur des algorithmes complexes prenant en compte de
nombreux paramètres. Certains labels spécifiques pourraient
être adaptés aux différents types de contrats, en intégrant
isolation thermique et équipement énergétique. Ils serviraient
de base pour les contrats orientés résultat, permettant aux
7. https://rev3.fr/
8. Agence Nationale de l’Habitat
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3. Impacts et perspectives
du nouveau Business Model
Nous avons cherché à explorer la façon dont un nouveau
Business Model peut aider à développer les investissements
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en énergie verte des particuliers. Une caractéristique clé de ce
Business Model est apparue en observant comment ce Business
Model se propose d’intégrer les ressources matérielles et
immatérielles de beaucoup de parties-prenantes (opérateurs,
consommateurs-producteurs, distributeurs, collectivités…) sur
les trois propositions complémentaires.
Il apparaît clairement que les investissements en énergie
verte des particuliers comportent des enjeux qui ne peuvent être
appréhendés par la seule souveraineté de l’acheteur, quand
la demande est la simple expression de mobiles intéressés et
personnels (R.P. Bagozzi, 1974). Ce secteur des énergies vertes,
comme beaucoup de secteurs couverts par un jugement collectif
d’utilité (qualité de l’air, santé, éclairage public…) est confronté
à un problème spécifique qui tient au caractère immédiatement
collectif de l’enjeu de transformation. Face à cet enjeu collectif,
définir l’offre, comme on le ferait pour un individu, muni de
valeurs d’usage parfaitement appréhendables, est largement
insuffisant et inadapté. Avec l’enjeu collectif intervient donc
celui du niveau de qualité collective de la proposition d’offre.
De ce constat, un grand nombre de spécificités du Business
Model, proposé ici, peuvent être tirées.
L’article fonde, en premier lieu, ce nouveau Business Model
sur le cycle de la relation producteur/client. La qualité collective
de ce cycle dépend des producteurs et de leur capacité managériale et organisationnelle à jouer les « premiers intégrateurs
de ressources » (S. Moeller, 2008) Ces derniers doivent donc
disposer, dès l’étape de co-conception avec le client, de données
localisées fournies, notamment par des réseaux décentralisés
leur permettant d’intervenir directement, par exemple, sur le
parc immobilier en ciblant les potentialités de ces bâtiments à
produire de l’énergie. Ils doivent ainsi animer et organiser un
nouveau réseau pour combiner leurs ressources avec d’autres
acteurs, y compris de proximité (producteurs d’équipement,
installateurs, spécialistes de la rénovation urbaine, propriétaires
d’immeubles, investisseurs…). Toutes ces données devront être
partagées avec les parties prenantes concernées pour mettre
en route le cycle de la relation producteur/client. En ce sens, le
Business Model proposé suppose que les producteurs d’énergie
sachent passer d’un marché, dominé par la demande de masse
à celui de l’offre, beaucoup plus ciblé sur les comportements
et les performances énergétiques des clients. Le cycle de la
relation producteur/client doit ainsi s’amorcer, à l’initiative
des producteurs, par une offre inédite, voire innovante. Elle
est dominée par la promesse de la flexibilité et de l’évolutivité
pour le client et doit prendre soin de développer des valeurs
potentielles susceptibles de sensibiliser le public, de réduire
sa perception des risques mentionnés plus haut et d’enraciner
de nouvelles préoccupations comme autant d’ouvertures à
la co-conception. Dans les étapes suivantes du cycle, les
producteurs devront établir et gérer tous les relais (personnels
dédiés au titre de gestionnaires d’énergie, maîtres d’œuvre,
fournisseurs d’équipement, installateurs, financeurs…) qui leur
permettront de réaliser des inventaires fins des ressources
(matérielles, immatérielles, nominales…) du client et d’offrir
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Dossier I
Innovations et marketing
organismes publics d’intégrer leurs propres ressources tirées
de leur capacité à inciter, coordonner, éduquer, légiférer et
financer. La labellisation de l’efficacité énergétique est déjà
présente sur divers équipements, et pourrait être élargie. En
adaptant régulièrement les labels, les décisionnaires publics
peuvent faciliter les contrats librement négociés entre les
opérateurs et leurs clients et orienter leurs initiatives dans le
sens d’un niveau prédéfini de qualité collective à atteindre.
Ces outils d’intermédiation sur initiative publique capables
d’ajuster le niveau de qualité collective souhaitable, en situation d’incertitude, sont de plus en plus nécessaires avec le
développement continu de la production d’énergie distribuée.
Un tel développement entraîne une augmentation des risques
portés par les clients donnant à ces outils un rôle de plus en
plus central dans le succès des futures politiques énergétiques.
En associant des logiques d’interface et de contrat à une
logique de protection et de garantie par la marque ou de
stimulation des initiatives par le label, le nouveau Business
Model prépare les producteurs d’énergie à prendre toute leur
part dans la révolution énergétique. Celle-ci préfigure, au-delà
du problème de l’efficacité énergétique, la troisième révolution
industrielle. Pour prendre cette part, c’est l’industrie de la
production d’énergie toute entière qui doit progressivement
revoir la définition de ses Business units, en définissant de
nouvelles fonctions à servir au client, face à la synergie entre
les énergies renouvelables et les technologies de l’internet. De
même, devra-t-elle revoir sa place et son rôle dans la chaîne de
valeurs, face à la collecte des énergies renouvelables sur site,
au niveau local dans des bâtiments producteurs d’énergie et
donnant lieu dès maintenant, par exemple, à la mise en place
par des tiers, en dehors du secteur, de cadastres solaires.
Sous l’effet du déploiement de réseaux intelligents grâce aux
compteurs d’énergie de type Linky pour ERDF ou Gaspar pour
GRDF pourvus de capacités d’analyse et de communication et
connectés via internet à des plateformes de régulation de l’offre
et de la demande, ce sont les métiers de toute l’industrie qui
sont à repenser. C’est le cas, par exemple, pour les métiers
de la gestion et du stockage de l’énergie. Il en va de même
de l’organisation des relations avec les parties prenantes,
acteurs de l’efficacité énergétique au titre de porteurs de
projet ou de financeurs sous l’effet d’échanges plus étendus
et intégrés associant nouveaux systèmes énergétiques et
nouvelles technologies de la communication. Face aux bouleversements attendus, le nouveau Business Model proposé ici
est clairement un modèle de transition et de redéploiement
que les producteurs d’énergie, armés de ces trois logiques
contributives peuvent expérimenter sur des projets territoriaux.
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 295 – stratégie
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toutes les valeurs d’échange qui le motiveront à entrer dans
le processus de co-production et de transformation. Dans un
tel contexte, le Business Model invitera les producteurs à faire
évoluer leur business unit vers le métier de « l’efficacité énergétique » définie comme un « système fonctionnant de manière à
réduire la consommation d’énergie pour un rendement équivalent
ou supérieur ». Mettre en relation le rendement d’un système
et l’énergie nécessaire pour le produire exigera une véritable
mutation à grande échelle des compétences à déployer afin
d’assurer les phases dites d’usage du cycle de la relation.
Dans ces phases d’usage une veille d’efficacité énergétique
rendue possible par les technologies de l’information et les
compteurs intelligents, gérée par les producteurs, permettra
de maintenir la vigilance contre les risques d’obsolescence
notés plus haut et d’agir pro-activement, le cas échéant, pour
maintenir le cycle de la relation grâce à la circulation des offres.
En second lieu, le Business Model développera un service
orienté résultat. Les contraintes de la servicisation du secteur
de l’énergie trouve ici leur remède dans un « modèle contractuel
hybride », scindé en trois parties qui toutes auront leur impact
sur la conception et le fonctionnement de ce service. Les
producteurs devront, par exemple, réunir toutes les compétences
juridiques et managériales pour faire vivre un véritable « nœud
de contrats » associant étroitement des parties prenantes
(installateur, équipementier, gestionnaire d’énergie, thermiciens…) qui ne participaient pas jusqu’ici, dans le Business
Model classique, à la chaîne de valeurs. La mise en œuvre de
la partie « variable » du contrat hybride conduit les producteurs à
maîtriser en temps réel les bases de données qui leur permettront de réaliser des facturations qui les garantiront contre
les abus possibles. La partie du contrat réservée au suivi de
l’efficacité énergétique par le renouvellement des équipements
oblige les producteurs à abandonner la politique de prix du
Business Model classique fondée sur le coût d’une fourniture
exprimée par un prix pour une unité de volume au profit d’un
calcul économique sur longue période attaché à la notion de
rendement énergétique du système. Le nouveau Business
Model tend ainsi à privilégier une organisation commerciale
de type Pull contrairement au type Push du Business Model
classique. Dans l’organisation Pull, ce ne sont pas les mesures
qui facilitent l’accès à l’offre qui font toute son attractivité, mais
l’expression personnalisée d’un coût du système énergétique
pour un rendement optimisé sur le long terme. Cette mutation
de l’organisation et de la communication commerciale place
le nouveau Business Model dans une démarche d’évaluation
des effets de l’offre sur la performance du client, familière du
marketing industriel.
En troisième lieu, le nouveau Business Model conduit
les producteurs à passer d’une simple stratégie de lobbying
vis-à-vis des autorités publiques à une stratégie inspirée de
la notion de « bien commun ». Une telle posture peut être
particulièrement avantageuse pour les producteurs s’ils sont
capables de peser sur le jugement sociétal d’utilité qui pousse
les décideurs publics à faire évoluer le cadre juridique et fiscal
Dossier I
dans lequel s’évaluent les coûts de rendement. Le Business
Model proposé, ici, incite les producteurs à développer leur
implication vis-à-vis des territoires. Les collectivités territoriales, les aménageurs, les opérateurs réseaux sont autant
de cibles pour renforcer la lisibilité du marché, renforcer les
normes de qualité (certifications, marque, label…) modifier des
réglementations et des dispositions fiscales qui entravent le
développement des investissements. Cette dernière proposition
du nouveau Business Model doit renforcer le redéploiement
des producteurs d’énergie face aux turbulences à venir de
ce que pourrait être la conséquence de la généralisation des
énergies renouvelables : celle du consommateur individuel
devenu à son tour producteur d’énergie.
Conclusion
Cet article et le Business Model qu’il développe supposent
que tout une série de transformations, voire de ruptures, soient
possibles sous l’impulsion d’un jugement collectif d’utilité,
que les défis de l’environnement stimulent. L’enjeu collectif
de ces transformations, face à une crise de plus en plus
sensible comme le montre l’actualité immédiate, va obliger
les producteurs d’énergie à veiller de plus en plus à la qualité
collective de leur proposition d’offre.
Une refonte des mobiles intéressés de l’échange entre
producteurs et consommateurs d’énergie s’annonce. Une telle
redéfinition conduit les producteurs à assumer stratégiquement
leur rôle de premiers intégrateurs de ressources. Celui-ci les
oblige à repenser leur métier non par altruisme, mais parce
qu’il devient le meilleur moyen pour eux d’atteindre leurs
propres objectifs.
Cette capacité à intégrer les ressources en jeu dépend des
réseaux de co-conception puis de co-production décentralisés
que les producteurs d’énergie sont en mesure de créer. Ainsi, ce
Business Model a-t-il nécessairement une dimension territoriale,
assise de sa durabilité. Pour fonctionner, ces réseaux devront
partager leurs données et mener des diagnostics énergétiques
évolutifs relayés par l’intelligence artificielle pour faire surgir
toutes les potentialités de réduction de la consommation
d’énergie pour un rendement équivalent ou supérieur. De même,
ces bases de données partagées trouveront un sens non-intrusif
dans une veille d’efficacité énergétique rendue possible par les
technologies de l’information et les compteurs intelligents. Le
partage de ces informations donnera au client les moyens d’un
bilan énergétique en continu et d’une optimisation financière
de son rendement énergétique.
Enfin, il convient de souligner que les étapes du cycle de
la relation producteur/client ont une particularité : la grande
souplesse de leur mise en œuvre. Ce Business Model est
parfaitement compatible avec une application « expérimentale »,
territorialement limitée, où la gouvernance et la régulation d’une
politique à l’échelle réduite d’un « bassin d’expérimentation »
pourraient assumer l’institutionnalisation d’initiatives fiscales
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Innovations et marketing
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