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INTRODUCTION - M. EL AOUANI- Professeur à la Faculté de Droit de Casa
Aperçu historique : de manière à bien comprendre l'évolution du droit du travail, il est
indispensable d'avoir un éclairage historique. Il ne s'agit pas de faire un cours d'histoire, parce
que nous sommes des juristes et nous nous intéressons à l'étude de la législation travail. Il est
cependant important, d'avoir un éclairage historique qui va nous permettre de mieux
comprendre le présent.
En termes juridiques, nous appellerons cela : l'étude du processus de la formation du droit du
travail marocain. On peut appeler autrement, plus classique : étude des sources du droit du
travail.
L'intérêt que nous portons à cette approche n'est pas fortuit parce que ce processus de
formation, va expliquer la proportion par exemple : à l'effectivité ou à l’ineffectivité de la loi.
(Nous partons de l'hypothèse qu'une loi générée par un processus endogène ((interne)) de
formation, a de fortes chances, ou une plus grande proportion à être effective et adéquate ; et
qu'en revanche, une loi dont la philosophie est le résultat d'un processus exogène, à de fortes
chances d'être ineffective ou inadéquate dans le milieu qui la reçoit).
Si nous résumons, en deux mots, nous dirons en posant la question relative au processus de la
formation du droit, nous dirons qu'il y a un processus naturel, normal.
Ce sont les sociétés en principe, qui posent et conçoivent leurs lois et leurs codes, et non pas
les lois et les codes qui font les sociétés.
Il faut toutefois, nuancer ce principe parce que les expériences humaines sont
complémentaires et s'enrichissent l'une l'autre, et puis le développement des sociétés n'est pas
concomitant. Certaines sociétés sont plus avancées que d'autres, ils ont acquis par une
anticipation, une expérience importante ; et puis ce n'est pas par hasard que le droit comparé a
été érigé en matière juridique indispensable dans les facultés de droit.
Ceci est le propre de toutes les sociétés ex : le Code civil français s'est inspiré du Code civil
suisse qui s'est inspiré du droit romain. Que le D.O.C s'est inspiré du Code civil tunisien, qui
s'est inspiré du Code civil français.
ex : la loi sur les SA au Maroc s'est inspirée de la loi sur les SA française de 1966, laquelle
s'est inspirée du droit allemand notamment pour les parties concernant les SA aléatoires.
Mais en droit du travail, la question se pose un peu d'une manière nuancée. Pourquoi ? , parce
que le droit du travail est d'abord foncièrement lié à la révolution industrielle : pas de relations
industrielles, pas d'industrie, pas de gislation du travail. C'est pour cela qu'il est difficile
d'ailleurs de rattacher le droit du travail à une quelconque histoire sociale.
L'autre particularité propre au droit du travail, c'est que les pays ne s'inspirent pas seulement
de la législation des pays qui les ont devancés, mais il y a une expérience originale qui est
celle du droit international du travail et notamment le droit de l’ O.I.T (organisation
internationale du travail).
Sur ce point, il faut bien souligner que l’ O.I.T, est en fait, une sorte de « parlement
international » selon George Sell.
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(L’ O.I.T est un genre de parlement international selon Sell, parce que c’est la seule et unique
organisation internationale où ne siègent pas uniquement les représentants des états. En
revanche, l’ O.I.T, surtout sa conférence internationale, est une sorte de parlement
international parce que les délégations ou les représentants des pays membres sont des
délégations tripartites. C'est-à-dire, chaque délégation est composée d'un représentant du
gouvernement de l'état membre, généralement le ministre du travail, deux représentants
syndicaux des organisations d'employeurs les plus représentatives (( C.G.E.M )) et puis des
représentants des organisations syndicales les plus représentatives au niveau national).
Bien entendu, dans ce cas, les normes juridiques adoptées et qui sont : les conventions
internationales du travail, les recommandations internationales du travail et l'assistance
technique profitent à tous les pays membres qui veulent bien les adopter dans l'ordre interne.
Bien entendu, l’ O.I.T va adopter un ensemble de mesures complémentaires et souples, pour
permettre à chaque État selon son degré de développement, d'adopter les mesures internes
qu'il estime utiles.
Le droit international du travail à l'heure de la mondialisation joue par ailleurs, un rôle
important en ce qui concerne l'harmonisation des conditions de travail. Et par conséquent, on
peut dire que l’ O.I.T avait déjà jeté les bases d'un droit de la concurrence sur le marché du
travail depuis très longtemps : c'est une question des plus importantes de l'heure et des plus
sensibles.
Nous allons étudier brièvement les phases suivantes :
1/ y a-t-il eu un droit du travail au Maroc avant le protectorat ?
2/ le droit du travail au Maroc et la période coloniale, quelles ont été les influences du droit
français sur le droit marocain ?
3/ la période de l'indépendance et le droit du travail : l'état législateur
4/ le premier code du travail marocain
1/ y a-t-il eu un droit du travail marocain avant le protectorat ?
C'est une question qui mérite d'être posée, la question revient aussi à dire, est-ce que les
rapports de travail locaux avaient déjà produit des règles qui président à leur organisation.
1)- la réponse à cette question nous a astreint à ne pas évacuer la dimension du
développement économique et nous voudrions profiter de cette question pour régler et
préciser un certain nombre de concepts économiques et de concepts juridiques.
D'abord, et tout le monde est d'accord sur ce point, les rapports du travail ont toujours été liés
aux modes de production économique : le statut juridique de travailleur humain est toujours
lié au mode de production économique.
Le premier mode de production économique est le mode esclavagiste, ensuite le mode de
production féodale ensuite le mode de production capitaliste. Il faut (pour le Maroc ou les
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pays comme lui) s'arrêter sur ce qui a été appelé, le mode de production précapitaliste parce
que ceci va avoir de l'influence sur le mode d'organisation du travail.
Si nous nous arrêtons sur chaque mode de production, notre objectif n'est pas de faire de
l'économie politique, mais de nous arrêter essentiellement et exclusivement sur le statut
juridique du travail et du travailleur dans chaque mode de production économique. Et nous
allons saisir cette occasion, pour préciser le contenu de chaque concept juridique, parce que
ces concepts vont évoluer et se préciser pour chaque phase de développement.
Si nous nous arrêtons sur le mode de production esclavagiste, qu'est-ce qui caractérise
l'esclave dans ce mode ?
Ce qui caractérise le mode de production esclavagiste, est que l'esclave n'a pas de statut
particulier et qu'il est la propriété exclusive de son maître, qui en fait ce qu'il veut de son
destin, de sa vie, de sa mort ou de le céder.
Ce qui nous intéresse c'est le travail humain. Dans cet angle, il n'est pas rémunéré, il n'est pas
considéré comme une valeur qui attend réciproquement, une rémunération ou un prix.
2)- le mode de production féodale
En ce qui concerne le mode de production féodale, on peut dire que les rapports du travail
s'inscrivent dans un statut particulier. Lorsqu'il s'agit de l'activité agricole, le seigneur qui
détient des propriétés foncières et agricoles, fait travailler des cerfs qui dépendent de lui. Ils
ont un mode de rémunération particulier : le métayage.
Ce qui nous intéresse, c'est pas les rapports agricoles, mais l'organisation des métiers à cette
époque. Parce que l'organisation des métiers nous astreint en réalité, à nous poser des
questions sur ce qui a été l'ancêtre des manufactures, des ateliers et des usines d'aujourd'hui.
Sous ce mode, les métiers étaient organisés dans des corporations. Chaque corporation est
organisée selon certains usages et certaines coutumes.
Pendant cette époque, les métiers étaient organisés en corporation. Dans chaque atelier, il y a
un ﻡﻠﻌﻣ et les apprentis.
Il faut souligner que pendant le mode de production féodale, il est nécessaire de faire une
différence entre les corporations de métiers en Europe au Moyen Âge, et les corporations de
métiers au Maroc. En Europe, surtout en France, dans chaque atelier il y a un maître, un
compagnon et des apprentis. Pour passer d'apprentis à compagnon, il faut des années
d'apprentissage. Ces années d'apprentissage sont couronnées par une sorte d'examen qu'on
appelle, « le chef-d'oeuvre ». À travers lui, l'apprenti démontre qu'il est devenu un
compagnon. Il y avait un système de formation professionnelle à travers le chef-d'oeuvre. Les
compagnons sont organisés dans ce qu'on appelle le compagnonnage, qui permettait aux
compagnons de sillonner le territoire, de travailler de ville en ville pour acquérir ce statut et
dépasser celui d'apprentis. Ils étaient solidaires.
À travers les corporations, ils élisent leurs représentants et défendent leurs intérêts. Si nous
transposons cela au Maroc, les corporations de métiers au Maroc avaient été organisées de la
manière suivante :
D'abord, chaque corporation de métier (ﻥﻴﺮﺍﻤﺴﻠﺍ, ﻥﻴﺮﺎﻄﻌﻠﺍ) , élit un ﻴﻣﺃ qui les représente. Il
organise le métier.
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D'un autre côté, il y a un encadrement Makhzénien officiel, c'est-à-dire un encadrement de
l'administration au plan pénal notamment et notamment par l'intermédiaire du ﺐﺴﺗﺤﻣ .
Quels enseignements peut on tirer de la comparaison des organisations, des corporations de
l'Europe du Moyen Âge européen et des corporations marocaines. Deux enseignements :
D'abord, en France, les compagnons étaient organisés de telle sorte à mieux défendre leurs
intérêts professionnels. La corporation était source de contestation et de revendications
sociales. Elles étaient organisées d'une manière verticale.
Au Maroc, les corporations étaient fortement encadrées, administrativement. On ne peut pas
dire que ces corporations, avaient créé une certaine dynamique revendicative, susceptible
d'influencer ou d'activer plus tard, l'apparition de syndicats professionnels. Autrement dit, on
ne peut pas établir une filiation entre les corporations d'hier et les syndicats d'aujourd'hui ; que
peut-être on trouve une similitude dans leur encadrement administratif.
En résumé, le Maroc d'aujourd'hui entretient toujours et en même temps, une organisation des
rapports du travail, qui sont à cheval sur le mode de production capitaliste (troisième étage), et
le mode de production féodale, traduit en termes de rapports du travail.
Nous dirons qu’aujourd'hui au Maroc, il y a une survivance, voire une pérennité des rapports
du travail anciens notamment, dans le cadre de l'artisanat et des rapports de travail capitalistes
traduits en langage d'aujourd'hui.
La loi de 1969 qui dans son champ d'application, définit les entreprises dans lesquelles ce
code doit s'appliquer. Nous devons noter que le code du travail aujourd'hui, implique et
englobe les entreprises artisanales ; plus que cela, il fait la distinction entre l'entreprise
artisanale, qui va être soumise à toute la gislation du travail (au code dans sa totalité), et les
entreprises artisanales de moindre importance, qui sont organisées uniquement autour d'une
famille qui ne dépasse pas cinq personnes et n'utilise pas une force motrice importante, réalise
un chiffre d'affaire pas supérieure à la masse correspondant à l'IGR, et même si ils vendent
leurs produits dans le commerce.
En résumé, les enseignements que l'on peut tirer de cette incursion dans l'histoire sont très
importants pour comprendre les apports du code du travail.
Nous verrons dans ses premiers articles 1, 2 et 3, que le champ d'application de la législation
de travail, nous ramène à ces questionnements ; et que la recherche de l'encadrement juridique
du secteur informel, nous ramène aussi d'une manière ou d'une autre à l'histoire.
Qu'en définitive, l'histoire des rapports du travail conditionne toujours et enserre le présent qui
nous intéresse aujourd'hui.
3)- le droit du travail au Maroc et la législation coloniale
Pour caractériser la société marocaine, c'est Paul Pascon dans son article « le droit et le fait
dans la société composite », montre qu'en réalité, les rapports du travail qui nous intéressent
ici. Cette approche pertinente exprime avec exactitude la situation des rapports du travail au
Maroc. C'est-à-dire, du statut de travailleur.
Donc, au Maroc aujourd'hui, la réglementation des rapports du travail (la législation du
travail), n'est pas forcément présente il y a prestation de travail (autrement dit, il y
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a prestation de travail c'est-à-dire il y a « contrat » de travail, il n'y a pas forcément
législation du travail exemple : le travail domestique. Article 4 alinéa 1. Qui n'a rien apporté
de nouveau et se limite uniquement à différer l'éventualité d'un statut spécial, de la même
manière qu'il distingue l'artisanat industriel, du travail dans le secteur à caractère purement
traditionnel).
Si l'on s'interroge sur le travail qui est « purement traditionnel », cela voudrait dire que ce
travail est réglementé dans les corporations de métiers.
Nous constatons donc, que l'étude de Pascon est d'une très grande pertinence est très grande
actualité pour le Maroc d'aujourd'hui.
Le droit aujourd'hui, en principe, est appliqué aux relations de travail. C'est le code du travail.
Le fait en principe, c'est toutes les relations de travail, qui sont hors « contrat » de travail.
Qu'elles soient différées ou même confiées à des lois spéciales, parce que le statut du
travailleur au regard du droit du travail doit être le même.
Bien entendu, le droit et le fait posent aussi d'autres interrogations légitimes notamment, au
travail ou toute autre forme de travail confiée à ce que l'on appelle : le secteur informel.
En conclusion, le droit du travail qui réglemente les rapports de travail entre les personnes
morales ou physiques, est en rapport direct avec l'histoire du travail. Et pour bien comprendre
le processus de la formation de ce droit dans n'importe quelle société, il faut nécessairement
s'interroger sur l'histoire de ce processus de formation. Et cela nous donne un éclairage, qui
rend le présent des rapports de travail pour un juriste, davantage intelligibles.
4)- la période du protectorat :
La gislation du travail au sens moderne du terme, c'est-à-dire la législation générée par la
révolution industrielle, a commencé d'abord par l'Angleterre :
Il est donc évident que cette législation est intimement liée à l'apparition des ateliers de
manufactures, et des usines dans le cadre d'un système capitaliste industriel.
Il ne faut pas oublier que les colons, lorsqu'ils ont traversé les mers et les océans pour occuper
d'autres territoires, ne traversaient pas ces océans uniquement avec leurs effets (vestimentaires
et effets personnels), mais aussi dans leurs valises, leurs codes et leurs lois. Ils les introduisent
dans les colonies et le Maroc par ex : la puissance colonisatrice était consciente que les textes
français, introduits au Maroc, étaient trop en avance sur les coutumes et sur les usages qui
réglementaient les rapports du travail au Maroc.
C'est pour cela que dans un premier temps, la législation du travail qu'ils avaient introduit était
discriminatoire : de nombreux textes ne s'appliquaient en réalité, qu'aux entreprises dirigées
par des français ou européens et seulement aux travailleurs européens, même s'ils travaillaient
au coude à coude dans la même entreprise ; il y avait en quelque sorte une discrimination,
selon que l'on soit colonisateur ou autochtone (ce qu'ils appellent indigènes).
Il y avait en quelque sorte, une pratique de « un poids et deux mesures ».
Et par exemple, le droit syndical fut interdit aux travailleurs marocains.
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