This article appeared in a journal published by Elsevier. The attached copy is furnished to the author for internal non-commercial research and education use, including for instruction at the author's institution and sharing with colleagues. Other uses, including reproduction and distribution, or selling or licensing copies, or posting to personal, institutional or third party websites are prohibited. In most cases authors are permitted to post their version of the article (e.g. in Word or Tex form) to their personal website or institutional repository. Authors requiring further information regarding Elsevier's archiving and manuscript policies are encouraged to visit: http://www.elsevier.com/authorsrights Author's Personal Copy dossier Les addictions chez les personnes âgées stratégie soignante Vieillesse et tabac PASCAL MENECIERa,b,* Médecin addictologue, gériatre, docteur en psychologie ALBA MOSCATOc Psychologue clinicienne, docteur en psychologie LYDIA FERNANDEZb Professeur en psychologie de la santé et du vieillissement a Centre hospitalier de Mâcon, boulevard Louis-Escande, 71018 Mâcon cedex, France b Institut de psychologie, Université Lyon 2, 5 avenue Pierre-MendèsFrance, Campus Porte des Alpes, 69500 Bron, France z Les aînés d’aujourd’hui ont vu s’inverser l’image du fumeur depuis un demi-siècle, passant de la valorisation à l’opprobre z Le tabagisme, même s’il décline avec l’âge, ne disparaît pas dans la vieillesse z Les risques et les dommages du tabac existent à tout âge, même avancé z D’une question individuelle, le choix de fumer devient un problème collectif en Ehpad z Le sevrage tabagique amène toujours des bénéfices, même après 80 ans. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots clés – santé ; sevrage ; société ; sujet âgé ; tabagisme Old age and smoking. Elderly people today have seen a radical change in the image of smokers over the last half century. While once it was approved, it is now demonised. Although smoking declines with age, there are still many elderly smokers. The risks and harm of smoking remain, even in old age. An individual choice to start with, smoking becomes a collective issue in a nursing home. Stopping smoking always brings benefits, even after the age of 80. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords – elderly person; health; smoking; society; withdrawal c Laboratoire de psychopathologie et processus de santé, Institut universitaire Paris Descartes – Sorbonne Paris-Cité, 71 avenue ÉdouardVaillant, 92774 BoulogneBillancourt cedex, France. F umer n’est plus à la mode. Si, il y a cinquante ans, dans la jeunesse des aînés d’aujourd’hui, l’image du fumeur était valorisée, l’inverse prédomine aujourd’hui. Il suffit de repenser aux modes de présentation des présidents de la République française depuis un siècle pour résumer cela. Alors que dans l’après Seconde Guerre mondiale, la virilité, l’affirmation de l’homme puis la libération et l’émancipation de la femme se sont cristallisés dans l’image du fumeur ou de la fumeuse, le fumeur est devenu au fil des décennies un dépendant, un “addicté”, voire un paria de nos jours. Il en est de même pour les personnes âgées, dont les représentations en train de fumer se font de plus en plus rares, virant à l’ironie en suggérant une supposée vigueur maintenue ou un signe (erroné) de jeunesse conservée. Les personnes âgées fument-elles encore ? Du tabac essentiellement, mais que devient la place du cannabis, dont le vieillissement des baby-boomers a fait annoncer l’explosion de l’usage parmi les aînés ? Les dangers du tabac sont-ils toujours nécessaires à prendre en compte ? Vaut-il toujours la peine d’arrêter de fumer quand on est vieux, alors que la mort s’approche ? FUMER AU GRAND ÂGE *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Menecier). 32 Si dans les années 1950, 69 % des hommes et 6 % des femmes entre 60 et 75 ans fumaient, ils n’étaient respectivement plus que 19 % mais 9 % en 2001. En 2010, on comptait 10 % des hommes © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.sger.2016.11.007 et 6 % des femmes fumant régulièrement dans les mêmes tranches d’âges (et respectivement 5 % et 4 % de 75 à 85 ans). z Au fil des décennies de la vie, la part des fumeurs décroît régulièrement , chez les hommes et chez les femmes, après 30 ans [1]. Dans le même temps, les aînés fument de moins en moins depuis le milieu du XXe siècle. Cependant, les fumeurs âgés ne disparaissent pas, même si la réduction spontanée ou l’arrêt du tabagisme avec l’avancée en âge, comme des autoguérisons, écartent cette question des priorités de santé publique [2], comme toutes les addictions du sujet âgé. Plus de trois quarts des aînés fumeurs ont commencé à fumer avant l’âge de 25 ans [3], lorsque le tabac et son usage était valorisé à bien des égards. Mais il existe aussi des fumeurs âgés tardifs qui ont commencé en raison de la survenue d’événements négatifs et stressants (deuil, isolement social, rupture conjugale, retraite, par exemple) [4]. z La prise en compte des impacts négatifs du tabagisme a transformé la place du tabac dans notre société. Le tabagisme est une des principales causes de décès des aînés, et les dommages dus au tabac persistent quel que soit l’âge : diminution du goût et de l’odorat, sans oublier la pathologie cancéreuse et cardio-pulmonaire induite [3]. Malgré cela, les motifs de poursuite et de maintien du tabagisme chez les sujets âgés demeurent, entre raisons positives (habitude, SOiNS GÉRONTOLOGIE - no 123 - janvier/février 2017 Author's Personal Copy dossier Les addictions chez les personnes âgées recherche de plaisir, de relaxation, réduction des tensions, recherche d’excitation…) et motivations négatives (dépendance et passivité, inassouvissement des besoins, isolement, quête d’image de soi positive…) [3]. z Quant au cannabis, apanage des jeunes adultes d’aujourd’hui, dont plus de la moitié a déjà expérimenté le produit, les aînés n’en consomment qu’assez exceptionnellement. La littérature rapporte quelques observations anecdotiques, à l’image des descriptions du mésusage d’alcool de sujets âgés, il y a trois ou quatre décennies. Si un accroissement de la fréquence de consommation du cannabis la vie durant a été objectivé en milieu urbain en Angleterre dans les premières années de la vieillesse [5], parmi les aînés rencontrés en gérontologie comme dans les établissements d’hébergement pour personne âgée dépendante (Ehpad), la réalité de ces situations demeure ponctuelle. Il semble exister un désintérêt des plus de 60 ans pour le cannabis [6]. Seul l’avenir dira si cette question prend de l’ampleur dans la vieillesse, sans pouvoir en préciser a priori ni le délai ni l’importance. LES BIENFAITS DU SEVRAGE TABAGIQUE Même si la majorité des fumeurs s’arrête seuls, sans intervention de professionnels de santé, d’autres ont besoin d’aide et de soutien. Il convient avant tout d’éviter toute attitude d’âgisme envers les fumeurs, en envisageant l’âge à partir duquel il ne vaudrait plus la peine de s’arrêter de fumer… z En effet ,le sevrage tabagique est bénéfique à tout âge [7]. Il accroît l’espérance de vie, après 60 ans comme après 80 ans [7]. Surtout, il est bénéfique en prévention secondaire des affections cardio-vasculaires, tout comme il améliore la qualité de vie, dans la vieillesse [8]. Il n’existe pas plus de difficultés à arrêter la consommation de tabac chez les aînés que chez des adultes plus jeunes [7], et il y a même plus de chances de réussite du sevrage tabagique après 60 ans qu’avant [9]. z Par ailleurs, les moyens pharmacologiques d’aide au sevrage tabagique n’ont pas de spécificités gériatriques, pour les substituts nicotiniques, qui gardent toute leur place [4]. Quant aux autres médicaments, bupropion à demi- posologie (Zyban®) ou varénicline (Champix®), ils ont une place restreinte en raison de précautions d’emploi majorées. SOiNS GÉRONTOLOGIE - no 123 - janvier/février 2017 z Quant à la cigarette électronique, avec toutes ses incertitudes d’emploi ou de rapport bénéficerisque, très peu d’éléments à son sujet concernent les aînés. Il semble rationnellement possible de retenir que son emploi est préférable au fait de fumer du tabac (en termes de réduction des risques et des dommages encourus), même si l’idéal reste l’objectif d’arrêter de fumer comme de vapoter. DÉMARCHES DE SOIN NON MÉDICAMENTEUSES Certaines études soulignent qu’un nombre non négligeable de personnes de plus de 65 ans qui fument, souhaite renoncer à la cigarette [10] mais contrairement aux jeunes, ils sont moins susceptibles d’être aidés par des professionnels de santé pour renoncer au tabac [11]. z En association aux offres médicamenteuses, les soutiens thérapeutiques ont toute leur place. De la simple relation d’aide aux soutiens psychologiques par des médias (relaxation thérapeutique, art-thérapie, photo-langage) ne manquent pas d’intérêts auprès de cette population et paradoxalement sont peu proposés. Les psychothérapies peuvent être également efficientes (thérapies cognitivo-comportementales, psychanalytiques, psychodynamiques, systémiques…) mais à condition que l’accompagnement puisse répondre à certaines modalités de base comme une relation suffisamment empathique envers l’âgé et un questionnement sur son positionnement professionnel lié aux effets de la vieillesse. z Outre ces modalités, la conduite tabagique de l’âgé s’inscrit dans un triptyque biologique, sociologique et psychologique où la consommation est marquée d’une complexité plurifactorielle résultant d’interactions entre différents facteurs biologiques, génétiques, psychologiques, environnementaux qui marquent la nature de l’activité en elle-même. Aussi, un seul modèle théorique de compréhension et d’accompagnement thérapeutique ne peut en aucun cas prendre en compte et répondre à cette complexité. Aussi, l’aide qui pourra être proposée devra s’articuler dans une approche intégrative (complémentarité de plusieurs intervenants et de leurs différentes approches théoriques, thérapeutiques ou savoir-faire) tout en s’adaptant aux différents temps d’accompagnement et ceci, en fonction de l’objectif poursuivi par l’âgé mais aussi, au regard de ses capacités physiques, cognitives et psychiques conservées. RÉFÉRENCES [1] Beck F, Guignard R, Richard JB, Wilquin JL, PerettiWatel P. Baromètre santé 2010. Saint-Denis: Inpes; 2010. http:// inpes.santepubliquefrance. fr/Barometres/barometresante-2010/index.asp [2] Fernandez L, FinkelsteinRossi J, Bernoussi A. Le tabagisme des séniors. In: Fernandez L. Les addictions du sujet âgé. Paris: Éditions In Press; 2009. p. 27-42. [3] Fernandez L, Finkelstein-Rossi J. Approche clinique et sociale du tabagisme chez les sujets âgés : genèse, contexte, développement et prise en charge. Psychologie française. 2010; 55: 309-323. [4] Menecier P, Fernandez L. Particularité des pratiques addictives dans la vieillesse. La Presse médicale. 2012;41(12):12261232. [5] Fahmy V, Hatch SL, Hotopf M, Stewart R. Prevalence of illicit drug use in people aged 50 years and over from two surveys. Age Ageing. 2012;41(4):553-6. [6] Hachet P. Qui sont les “vieux” qui fument des “joints”. In: Fernandez L. Les addictions du sujet âgé. Paris: Éditions In Press; 2009. p. 93-101. [7] Thomas D. Faut-il arrêter le tabac quand on est âgé ? Oui ! Le sevrage tabagique est bénéfique à tout âge. La Presse médicale. 2013;42:1019-1027. [8] Salve A, Leclercq S, Ponavoy E, Trojak B, Chauvet-Gelinier JC, Vandel P et al. Conduites addictives du sujet âgé. EMC, Psychiatrie. 2011;37-530-A-30. [9] Croizet A, Perriot J, Merson F, Aublet-Cuvelier B. Sevrage tabagique de fumeurs âgés. Revue des maladies respiratoires. 2016; 33(3):241-47. [10] Donzé J, Ruffieux C, Cornuz J. Determinants of smoking and cessation in older women. Age and Aging. 2007;36:53-57. [11] Tait R, Hulse G, Waterreus A, Flicker L, Lautenschlager N, Jamrozik K et al. Effectiveness of a smoking cessation intervention in older adults. Addiction. 2006;102:148-55. [12] Anesm. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, Qualité de vie en Ehpad (volet 2), Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne. 2011. www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/ pdf/Anesm_04_QDV2_CS4_ web090911pdf-2.pdf 33 Author's Personal Copy dossier Les addictions chez les personnes âgées RÉFÉRENCES [13] Altintas E, Gallouj K, Guerrien A. Soutien social, dépression et estime de soi chez les personnes âgées : résultats d’une analyse en cluster. Annales médico-psychologiques. 2012;170 (4):256-62. [14] Harwood T, Beutler LE. Assessment of clients in pretreatment planning. In: Butcher JN. Oxford handbook of personality assessment. New York: Oxford University Press; 2009. p. 643-66. z Ainsi, tout en gardant à l’esprit que le profes- z Surtout la pharmacie à usage intérieur du sionnel doit s’adapter aux modalités du vieillissement et de la personne âgée, la mobilisation service n’est pas le meilleur lieu de stockage du tabac, même si c’est commun dans bien des du conjoint (s’il existe) et du réseau social de la personne (famille, amis, relations personnelles et professionnelles) est nécessaire dans cet accompagnement. En effet, dans cette classe d’âge, le soutien social perçu (la satisfaction et l’insatisfaction du sujet vis-à-vis de la disponibilité de cette aide) est prédictif de la réussite thérapeutique tout en diminuant les rechutes et en favorisant des traitements à moins long terme [3-14]. services, faisant indirectement référence à de supposés effets psychothérapeutiques du tabac, hérités d’idées passéistes et erronées. Ainsi, souhaiter continuer de fumer en Ehpad relève de la gageure, même si cela n’est pas recommandé. FUMER EN EHPAD Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. 34 Quittant son domicile personnel pour entrer en Ehpad, les aînés voient leurs conditions de vie et leurs libertés se modifier, au premier rang desquelles, celle de fumer ! Entre la chambre (substitut de domicile), où les possibilités de fumer sont souvent réduites au nom de la sécurité incendie, les locaux communs, où prévaut l’interdiction de fumer dans les lieux publics, et les difficultés à se mouvoir, réduisant les possibilités d’aller dehors pour fumer, le tabagisme est rare et contraint en Ehpad. z Au nom de la prévention incendie et du développement d’une culture sécuritaire dans les institutions gériatriques, l’interdiction de fumer dans les chambres peut sembler excessive ou abusive [12]. En revanche, l’impossibilité de fumer dans les lieux communs (et publics) est aujourd’hui acquise, et ne peut être remise en question, en référence aux risques avérés du tabagisme passif. Reste à fumer hors des bâtiments, et pour cela il faut déjà pouvoir s’y rendre, ce qui n’est plus le cas en unité de vie sécurisée. Entre liberté individuelle et risque collectif, les décisions sont complexes, ne pouvant simplement se résoudre par le règlement intérieur et le contrat de séjour, comme une nouvelle loi différant de la loi commune à tous. z Ensuite, il faut pouvoir gérer son tabac et son briquet ou ses allumettes, ce qui n’est pas toujours permis à certains aînés, pour les mêmes raisons de craintes d’incendie. Alors les soignants se voient attribuer la tâche de garder les cigarettes et le briquet pour les remettre à heures précises, dans un programme intuitivement convenu, et parfois selon les gratifications ou non du résident… Il n’est pas certain que cela soit de leur compétence, pas plus que d’accompagner pour fumer ou allumer la cigarette d’un aîné moins valide (ce qui peut confiner à la permissivité ou à l’incitation à fumer). TABAC ET ALZHEIMER Alors qu’il est maintenant admis que la nicotine ne protège ni ne prévient la maladie d’Alzheimer ni aucune autre pathologie apparentée, contrairement à ce qui était énoncé jusqu’à il y a dix ans, fumer expose à une baisse des capacités cognitives chez les plus de 65 ans, et le déclin cognitif est plus rapide chez les fumeurs de plus de 75 ans que chez les non-fumeurs [3]. z La maladie d’Alzheimer ou une pathologie apparentée ne fait pas abandonner la prise du produit, mais cette conduite peut mener la personne à des tentatives de réminiscences ou de maintien d’une image de soi. Ainsi, parmi les hypothèses du tabagisme, et au-delà de la dimension addictive, il a pu être envisagé que fumer permettrait de réduire momentanément le côté incontrôlable de l’environnement par l’introduction d’une sensation familière de déjà vu, de maintenir un sentiment d’identité et de perception de soi, de favoriser un plaisir résiduel de fonctionnement, par réminiscence. Pour autant, il ne faudrait surtout pas inverser le propos en envisageant des ateliers réminiscences autour du tabac ! Bien d’autres médias existent et sont déjà expérimentés sans les dangers associés au tabac. CONCLUSION Aucun argument ne peut justifier de se désintéresser du tabagisme du sujet âgé, sans s’exposer à une discrimination liée à l’âge. Pourtant, les résistances sont nombreuses avant que d’aborder cette question, au prix de négliger la qualité de vie et la santé des aînés. Au nom d’un supposé dernier plaisir de l’existence que certains garderaient, il convient de ne pas négliger les risques pour la santé et la qualité de vie avant même de considérer la réduction de l’espérance de vie. Considérer le tabagisme du sujet âgé ne doit pas simplement promouvoir l’interdiction de fumer, quel que soit le lieu de vie. Enfin fumer n’est pas un gage de jeunesse conservée, et il n’est jamais trop tard pour s’arrêter de fumer. n SOiNS GÉRONTOLOGIE - no 123 - janvier/février 2017