« La grande transformation » K. Polanyi, Edition Tel Gallimard,1983 Résumé : Première partie : Le système international 1) La paix de cent ans L’auteur introduit son travail sur l’hypothèse que l’organisation économique et sociale du monde au XIX siècle repose sur quatre grandes institutions : l’étalon or, le système de l’équilibre des puissances, le marché autorégulateur et l’Etat libéral. Il précise qu’il est possible de classer ces institutions de deux manières différentes puisque deux sont politiques et deux autres sont économiques, mais aussi, deux concernent l’échelon national et deux autres l’échelon international. Il stipule par ailleurs que l’institution centrale qui fait office de clé de voute à l’organisation du monde au XIXème est le marché autorégulateur. Ainsi, ce dernier justifie l’organisation d’un Etat libéral au niveau national. Par ailleurs, l’instauration d’un étalon or et d’un système d’équilibre des puissances au niveau international ne traduisent que la transcription d’une organisation marchande libérale nationale vers l’international. K. Polanyi précise que sur le plan méthodologique expliquer les transformations du monde sur la base d’une institution seule présente par essence des limites théoriques dont il a conscience. De plus, il considère que l’idée d’un marché autorégulateur est utopique et que chercher les conditions de sa réalisation débouche nécessairement sur la désorganisation des structures sociales (dilemme auquel ont été confrontées les économies de marché). Enfin, il précise que la grande transformation désigne la destruction de ce modèle, à la suite des deux grands conflits mondiaux. ème L’auteur fait par ailleurs le constat que contrairement aux deux siècles précédents le XIXème siècle est un siècle de paix relative. Il y eu quelques conflits entre les puissances européennes mais ces derniers étaient de courte durée, du fait notamment pour la guerre franco-prussienne de 1870, de la capacité des nations à payer des tributs conséquents sans que cela affecte pour autant l’économie nationale. Ceci s’explique par l’équilibre des puissances entre Etats indépendants. Toutefois, il souligne que cet état géopolitique tend habituellement à déboucher sur des stratégies d’alliances et de revers qui donnent généralement lieu à de nombreux conflits armées, comme ce fut le cas pour les différentes cités de la Grèce antique ou encore pour les républiques du nord de l’Italie au XVIème siècle. Or selon K. Polanyi, cet état de paix est rendu possible du fait que les banquiers et les industriels préfèrent la paix à la liberté et l’ensemble des conflits localisés à travers le globe sont courts car ils ne visent qu’à instaurer la paix propice aux affaires. Il nomme ainsi cette période la « paix de cent ans ». Puis, K. Polanyi constate qu’au cours des siècles précédents la stabilité politique et la paix étaient rendus possible du fait de l’influence religieuse d’une part et assurée d’autre part par le soutien armé des princes d’Europe organisés en dynasties. L‘organisation politique européenne de l’époque, la SainteAlliance, n’a toutefois pas réussi à entretenir la paix aussi efficacement que ne l’a fait le XVIIIème le « Concert européen » et cela est d’autant plus surprenant que l’influence de l’église était bien moins prégnante et que les rivalités étaient telles qu’elles donnaient lieu à des complots politiques ou des trahisons diplomatiques. Le lien qui permit de préserver la paix fut la finance internationale. La banque Rothschild illustre cette finance internationale, dont la fidélité de ses membres vient entièrement à la firme, qui intervient à travers le monde entier et qui finance les guerres, les politiques publiques etc. des différents Etats du monde. Ils illustrent ainsi la dimension cosmopolite et capitaliste de la finance internationale. Ainsi la paix n’était pas assurée du fait de leurs bon vouloir mais elle l’était car, tout conflit d’importance entre les grandes puissances aurait nuit à leurs affaires. Toutefois, chaque système financier national constituait un « microcosme » dont l’organisation et les relations internes étaient pour autant bien spécifiques. Ainsi, le pouvoir de la finance nationale, aussi cosmopolite soit-il, restait quoi qu’il en soit quelque peu dépendant à ses attaches nationales. Dès lors le pouvoir politique l’emportait alors sur les intérêts financiers, ce que K. Polanyi illustre à l’aide différents faits historiques concernant notamment les relations franco-allemandes (à travers notamment le cas des investissements et transferts financiers après la guerre de 1870 ou encore celui de la crise marocaine en 1905) et germano-britannique (affaire du Bagdadbhan) précédents la grande guerre. La haute finance jouait donc un rôle de modérateur et conditionnait la paix en influençant via le contrôle des investissements, l’accès aux crédits les différentes forces européennes. La participation à l’ordre international reposait, par ailleurs, aussi deux éléments décisifs à la puissance d’un Etat-nation : le constitutionalisme et la maîtrise de son budget qui passait par la maitrise du change vis-à-vis de l’étalon-or. Or la city, haut lieu de la finance internationale, détenait ici, via la surveillance du cours des monnaies nationales un moyen de pression certains sur la constitution des budgets nationaux. En définitive, la paix réussit à être maintenue dès lors que l’équilibre des puissances le permettait. Les rivalités coloniales et les jeux d’alliances qui donnèrent naissance à la triple entente (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie) d’une part et à la triple alliance d’autre part (France, Angleterre, Russie) mirent fin à cet équilibre et mirent en face à face deux puissances belliqueuses qui débouche sur la grande déflagration que fut la première guerre mondiale. 2) Années vingt conservatrices, années trente révolutionnaires. La dissolution du système économique mondiale et la chute de l’étalon-or qui commence au tout début du XXème siècle sont à l’origine de la transformation radicale des sociétés. La première guerre mondiale et l’ensemble des conflits et révolutions qui l’ont suivies sont des rémanences de l’organisation économique et politique du XIXème siècle et n’ont fait que précipiter la chute du système et de ses institutions. Après-guerre, le désarmement des pays de la triple alliance a empêché un retour à l’équilibre des puissances, condition nécessaire, on l’a vu, avec l’interdépendance né du système économique mondial, à la préservation de la paix en Europe. La seule solution selon K. Polanyi aurait été la mise en place d’institutions supranationales ; solution anachronique toutefois selon lui. La décennie qui suivit la grande guerre fut selon K. Polanyi conservatrice au sens où elle n’avait pour seul objectif que de rétablir des systèmes économiques et politiques, semblables à ceux du XIXème et inspiré des idéaux des révolutions anglaise, française et américaine. Selon lui, même la Russie de Lénine et Trotski s’inscrivait dans cette dynamique. Le véritable basculement eu lieu au début des années lorsque l’Angleterre abandonna l’étalon-or et que la Russie mis en place les premiers plans quinquennaux. La fin de ces systèmes se concrétisa au niveau national par une grande instabilité monétaire ayant généralement pour cause des facteurs extérieurs et qui fit, au niveau national, de la question monétaire, la question politique centrale : « le bouleversement social qui ébranla la confiance dans la stabilité inhérente à l’agent monétaire fit aussi voler en éclat, l’idée naïve que pouvait exister une souveraineté financière dans une économie interdépendante. » En effet, la stabilité monétaire et la parité avec l’étalon or impliqua rapidement pour les pays occidentaux de devoir mettre en œuvre des mesures protectionnistes. Ainsi, alors que, par la préservation de l’étalon-or, les nations occidentales cherchaient à préserver un système international capitaliste et libre-échangiste, ils en venaient finalement à mener une politique qui les conduisaient vers l’autarcie. C’est avec le krach de 1929 que les Etats-Unis, qui malgré les pressions inflationnistes sur son sol, cherchaient à soutenir (par proximité et sous influence britannique) la livre sterling, que la fin du système financier international reposant sur l’étalon-or pris fin. Cet abandon de l’étalon-or signa la fin des grandes institutions politiques qui veillait à la paix mondiale (notamment la SDN) et à l’influence politique qu’exerçait les représentants de la finance international (Rothschild et Morgan). La fin de ce système précipita une transformation des institutions ; transformations qui prirent des visages différents selon les pays occidentaux (fascisme allemand ou italien, socialisme russe, New Deal américain). Enfin, l’auteur stipule que ces institutions, l’Etat libéral, l’étalon-or et l’équilibre des puissances n’avait pour seul objectif que l’instauration des conditions d’un marché autorégulateur. L’ensemble du système repose donc sur un fondement économique dont la caractéristique est que celui-ci établit comme motivation première des hommes : la réalisation du gain, du profit. Or, pour soutenir sa thèse, K. Polanyi se propose de revenir aux origines institutionnelles du capitalisme libéral c’est-à-dire l’Angleterre de la révolution industrielle au XIXème siècle. Deuxième partie : Grandeur et décadence de l’économie de marché I. « Satanic Mill », ou la fabrique du diable 3) « Habitation contre amélioration » L’auteur cherche à montre que le capitalisme n’a jamais été efficace dans son appréciation du changement et ce car le capitalisme ne tient compte que de la dimension économique. Il s’appuie sur l’avènement des enclosures au XVème siècle en Angleterre. En effet, la confiscation souvent par la violence des terres au paysan par les puissants a débouché, dans un premier temps, sur des révolutions. Puis, sur la dépopulation d’une partie des campagnes anglaises d’une part, et sur la disparition de la culture au profit de l’élevage d’autre part. Ces phénomènes poussèrent les autorités à des politiques visant à limiter les enclosures et à dynamiser les milieux ruraux. Celles-ci furent largement contredites par les libéraux qui considèrent alors que c’est une atteinte à l’allocation efficace du capital par la concurrence. Toutefois, selon K. Polanyi l’appréhension du changement ne passe pas exclusivement par la direction qu’il prend mais aussi par l’intensité à laquelle il s’effectue. Si ce changement était, en partie bénéfique sur le plan économique, notamment car il permit un accroissement de la productivité, de la fertilité des terres et accompagna le développement de l’industrie textile, ce changement (« progrès ») impliquait d’en réduire la rapidité du processus via la mise en place de politiques qui adoucissent la transition. « La croyance dans le progrès spontané nous rend nécessairement aveugle au rôle de l’Etat dans la vie économique. Ce rôle consiste souvent à modifier le rythme du change du changement en l’accélérant ou en le ralentissant, selon les cas. » Ainsi, les ravages sociaux provoqués par les enclosures et l’avènement d’un système politique constitutionnel ; qui n’est que la conséquence de la volonté du souverain d’altérer le rythme du changement et qui conduirent à son discrédit politique ; constituèrent selon l’auteur un « avant-goût » du délitement social qu’engendra la révolution industrielle au XIXème siècle qui se caractérisa par l’apparition de taudis et le développement de la pauvreté ouvrière. Les auteurs classiques cherchèrent à expliquer ce phénomène par la loi des salaires (allusion probable à D. Ricardo ou à J. B. Say) ou celle de la population (allusion plus que probable à T. R Malthus), d’autres à l’exploitation d’une classe par une autre (allusion plus que probable à K. Marx), mais selon K. Polanyi, celui-ci résulte avant tout de la mise en place institutionnelle d’une économie de marché. Il est dès lors selon lui nécessaire de préciser à quel point l’apparition de machines complexes a permis l’accélération et l’affirmation du processus d’institutionnalisation marchande des sociétés. En effet, l’acquisition pour un capitaliste d’une machine complexe est trop onéreuse pour que celui-ci prenne le risque de l’acquérir s’il ne dispose pas d’une part des possibilités de produire et d’écouler de la marchandise à grande échelle pour rentabiliser son investissement, et si le prix ainsi que le temps du travail nécessaire à son fonctionnement ne sont pas librement négociables et modulables. Cela a donc pour conséquence principale de transformer les ressources naturelles et l’homme en marchandise et donc le délitement progressif du lien social et la destruction de l’environnement : « La conclusion, bien que singulière, est inévitable, car la fin recherchée ne saurait être atteinte à moins ; il est évident que la dislocation provoquée par un pareil dispositif doit briser les relations humaines et menacer d’anéantir l’habitat naturel de l’homme. » 4) Sociétés et systèmes économiques Dans un premier temps, K. Polanyi insiste sur le fait que le fonctionnement des économies « civilisées » repose sur l’idéologie née, suite à la publication de la richesse des nations par A. Smith, d’un marché autorégulateur. Celui-ci est considéré comme un antécédant à toute forme de société et est né de la propension naturelle qu’ont les hommes à échanger. C’est cette hypothèse de départ que la grande majorité des travaux en sciences humaines ont cherché à conforter tout au long du XIXème et au début du XXème et que l’auteur souhaite alors discréditer. D’abord, la répartition des tâches et la division du travail ne peut résulter de la seule quête du profit mais aussi du sexe, de la nature du territoire, des dispositions de chacun etc. Par ailleurs, l’objectif économique n’est, sur le plan anthropologique, que secondaire ; c’est avant tout la reconnaissance et le prestige social qui sont à l’origine des activités de production et de distribution. L’échange a une dimension symbolique qui confère aux individus une place dans la communauté. L’auteur, sur la base de travaux anthropologiques, explique ainsi que le fonctionnement de certaines tribus repose sur un double principe : celui de la réciprocité et de la redistribution. La réciprocité résulte d’une organisation institutionnelle, celui de la symétrie ; puisque les travaux anthropologiques témoignent d’échanges symboliques entre deux individus appartenant à deux tribus distinctes l’une dans les terres, l’autre sur la côte par exemple. Ce schéma régulier est appelé dualité. La redistribution repose quant à elle, sur une autre organisation institutionnelle, celui de la centralité. Les sociétés primitives vivant de la chasse, activités collectives et irrégulières, il a vite été nécessaire de centraliser les ressources auprès de ce que les anthropologues nomment un « headman » qui redistribue les richesses afin d’assurer la cohésion et la pérennité du groupe. Dans de telles communautés, la notion de profit n’existe pas, l’organisation sociale est institutionnalisée et assure la division du travail et l’effort collectif, sans pour autant que chacun ne cherche spécifiquement à maximiser ses gains individuels. Ce qui permet à l’auteur d’affirmer que : « En fait, le système économique est une simple fonction de l’organisation sociale ». Le marché ne précède donc pas la vie en société il n’est qu’une contingence. Le commerce a donc été rendu possible dans les sociétés primitives sans que celui-ci ne soit à aucun moment guidé par la quête du profit mais par le principe de réciprocité qui caractérise un échange symbolique, un potlatch. K. Polanyi s’attache ensuite à montrer que le principe de la redistribution est au fondement même de toutes les organisations sociales à travers l’histoire avant l’apparition des économies de marché. Ainsi, les sociétés primitives, tout comme les systèmes féodaux dont les rapports sociaux s’organisent soit autour du principe de symétrie, de centralité ou d’autarcie, fonctionnent économiquement via un système de redistribution des ressources. A noter par ailleurs, que l’auteur stipule que l’idée d’un mode de vie autarcique ayant précédé la vie en collectivité est erroné sur le plan anthropographique ; l’autarcie renvoie à un mode de redistribution spécifique aux communautés ayant atteint un niveau d’agriculture relativement avancé. Le modèle autarcique repose sur la conception d’un groupe clos qui peut être de taille différente (familiale, domaine seigneurial etc.), de natures institutionnelles diverses (patriarcal, servage etc.) et de nature plus ou moins despotique et oppressive. Dès lors, l’auteur revient sur la distinction effectuée par Aristote dans « La politique » entre production d’usage, domestique, d’où vient le mot « œconomia » de la chrématistique qui consiste à produire dans l’objectif de s’enrichir. Ce dernier avait ainsi parfaitement anticipé l’émancipation d’un modèle économique déconnecté des relations sociales dans lequel il s’inscrit et en avait pointé les limites : la dimension infinie du processus de production et l’aliénation qui en découle. L’auteur se propose ensuite de retracer brièvement l’histoire des marchés en tant qu’institutions. 5) L’évolution du modèle du marché Contrairement à un modèle économique qui repose sur la symétrie, la redistribution ou l’autarcie, l’instauration d’un système de trocs ou d’échanges nécessite la mise en place d’une institution : le marché. En effet, si la redistribution nécessite de centraliser les ressources, elle ne nécessite pas d’institution spécifique à l’allocation économique puisque cette institution peut aussi bien avoir des fonctions politiques ou religieuses et donc revêtir des formes diverses d’une société à l’autre. Dès lors une économie de marché ne peut exister qu’à partir du moment où la société s’organise pour assurer le bon fonctionnement de cette institution : « une économie de marché ne [peut] fonctionner que dans une société de marché. ». L’institution marchande se désencastre donc des institutions sociales. Toutefois, l’existence de marché, de troc ou d’échange monnayé n’implique pas nécessairement son extension. Le mythe de la théorie classique stipule que c’est la propension qu’ont les hommes à échanger qui pousse à une division toujours plus grande du travail et à une extension toujours plus importante du marché. Toutefois, l’auteur avance que c’est avant tout le goût de l’aventure et de la découverte qui a conduit dans un premier temps à ce qui s’apparente davantage à du pillage ou de la piraterie, ou si échange il y a, alors il doit s’institutionnaliser et se rapproche dans ce cas davantage de la réciprocité. En aucun cas, l’existence des échanges marchands internationaux ne tiennent donc de la propension qu’auraient les hommes à échanger et à étendre la division du travail. D’ailleurs, la nature des échanges sur le marché local, extérieur et intérieur est différente ; en effet, le commerce extérieur, contrairement au commerce local, se caractérise notamment par le transport de marchandises non périssables et dont la production est spécifique à une région donnée, ce qui n’implique donc pas spécifiquement de concurrence. Le commerce intérieur est, quant-à-lui, concurrentiel. La nature concurrentielle du marché naît donc de son extension. Quelle est alors l’origine des marchés ? Le développement des échanges internationaux a nécessairement donné naissance à des lieux physique d’échanges institutionalisés : foires, ports etc. Toutefois, certains ont disparu avant d’avoir contribué à la création d’un vaste marché intérieur ; ce qui contredit la vision évolutionniste d’une société qui serait par nature vouée à l’échange marchand. On pourrait par ailleurs penser que l’existence d’échanges inter-individuels conduisent à la création d’un vaste marché intérieur, toutefois, ceux-ci peuvent tout aussi bien rester des activités parfaitement annexes et dont la généralisation est limitée par d’autres institutions dont les valeurs s’opposent aux comportement marchands telles que le pouvoir politique ou spirituel. Pour appuyer cette idée, l’auteur précise que le rôle des villes a ainsi été, aussi bien de protéger les marchés que de contenir leur généralisation. Enfin, cette absence de généralisation que ce soit des marchés locaux ou internationaux vers un vaste marché intérieur, est selon K. Polanyi, d’autant plus improbable que les deux ont longtemps fonctionner séparément. La naissance d’un vaste marché intérieur ne peut dès lors résulter que de l’intervention étatique. K. Polanyi reprend ainsi, à son compte l’analyse marxiste de la naissance des Ettas. C’est alors des théories mercantilistes qu’est née un vaste marché intérieur réglementé avec pour objectif premier de faciliter le commerce extérieur (de produits industriels notamment) et d’asseoir une hégémonie économique et politique à l’international. L’auteur précise toutefois que celui-ci a fait l’objet de résistance de la part des bourgeois en milieu urbain qui avait conscience que « la concurrence dût mener au monopole » ; c’est pourquoi la naissance du marché intérieur s’est assortie de réglementations. Enfin, il précise que ce marché intérieur constitue un modèle d’organisation économique qui cohabite alors avec le modèle de production autarcique caractéristique de l’organisation économique des campagnes. 6) Le marché autorégulateur et les marchandises fictives : travail, terre et monnaie Ainsi, le marché autorégulateur n’a su s ‘imposer ni dans les sociétés tribales, ni dans les systèmes féodaux ou mercantiles ; il restait subordonné aux institutions sociales et politiques et ne constituait pas un mode de production, ni de distribution hégémonique des richesses. Au cours du XIXème siècle, l’idée d’un marché autorégulateur, d’un marché où la production et la distribution des ressources reposent entièrement sur le mécanisme des prix, où l’offre et la demande s’égalisent de telle sorte que l’ensemble des marchandises produites génère les revenus suffisants pour les acquérir tous, où les individus sont réduits à de simples êtres calculateurs et en quête perpétuelle d’une maximisation de ses gains, s’est progressivement imposée. Plusieurs conditions étaient nécessaires au bon fonctionnement de ce marché autorégulateur : la réglementation ne doit en aucun cas nuire à la formation des marchés ou porter atteinte à la formation du prix sur ces derniers ; les ressources (la terre, le travail et la monnaie) qui permettent d’alimenter la production doivent être disponibles en permanence. Ces ressources doivent dès lors devenir des marchandises, et ce bien qu’elle ne le soit à l’évidence pas. Le travail n’est pas fourni avec pour seul objectif d’être mis en vente sur un marché ; il est composé des hommes qui sont l’essence même de ce qui fait société. La terre ou la nature, est l’environnement gratuit à disposition des hommes et dans lequel ces derniers évoluent. La monnaie est l’instrument du pouvoir d’achat qui n’est absolument pas une marchandise mais un instrument de la souveraineté qui résulte, soit de l’activité bancaires, soit des finances de l’Etat. Or, le marché autorégulateur implique, dans le cadre d’une société industrielle où le marchand doit pour assurer une production sur le long terme et rentabiliser ses investissements pouvoir disposer de ces ressources en temps et en quantités voulues, que ces ressources s’échangent au même titre que des marchandises. L’auteur désigne ainsi ces ressources comme des marchandises fictives. Une telle organisation sociale, nommée par l’auteur économie ou société de marché, se traduit dès lors par la naissance d’institutions indépendantes des institutions politiques, dont l’objectif seul est le bon fonctionnement des marchés. 7) Speenhamland, 1795 Dans cette partie, l’auteur souhaite montrer comment l’Angleterre, et plus spécifiquement la justice britannique, à chercher à s’opposer à l’institution d’un marché du travail autorégulé au cours du XVIIIème siècle. La loi sur les pauvres puis la loi « Speenhamland » avait pour objectif de donner un « droit à vivre » en dotant les travailleurs pauvres de compléments de revenus indexés sur l’évolution du prix du pain. Toutefois, ces mesures eurent pour conséquence en dernier lieu de nuire à leurs principaux bénéficiaires, puisqu’elles se traduisirent par une chute de la productivité et l’apparition de la misère sociale. Il distingue, ainsi, 3 périodes : la période qui va de loi Speenhamland, en 1795, à 1834 qui se caractérise par la volonté des pouvoirs publics de ralentir la prolétarisation du « petit peuple » mais qui se traduisit par sa paupérisation massive. La période suivante, soit la décennie qui suivit 1834, se caractérise par les violences faîtes aux plus démunis, suite à la réforme des lois sur les pauvres de 1834, qui choqua beaucoup de contemporains à l’instar de T. R Malthus. La dernière période, qui débute en 1834 et s’achève par la reconnaissance des syndicats en 1870, se caractérise, quant à elle, par l’instauration d’un marché du travail autorégulé dont les conséquences ont été bien plus terribles pour les plus pauvres que lorsqu’il conservait encore un peu de protection : « Si Speenhamland représentait l’avilissement d’une misère protégée, le travailleur était désormais sans abris dans la société. » Enfin, K. Polanyi constate que c’est à cette période que les contradictions propres aux sociétés de marché apparaissent et que naissent en conséquence l’économie politique qui tentent de les rationaliser : augmentation de la pauvreté et croissance infinie des richesses ; autorégulation et harmonie dans un cadre concurrentiel et conflictuel ; émergence de sociétés de classe etc. Ainsi, on découvrit les défauts et les aberrations humaines des économies de marché que certains concevaient comme les conséquences d’un idéal de marché qui reste à atteindre alors que d’autres, à l’instar d’Owen, mettait en évidence l’idée de « société » et les rapports sociaux qui la régissent. 8) Antécédents et conséquences Speenhamland a donc été une solution « paternaliste et réactionnaire » aux problèmes posées par l’industrialisation et le développement du commerce international en Angleterre. En effet, le travail a été pendant longtemps réglementé en Angleterre par ce que K. Polanyi nomme un code du travail et qui repose sur le statut des artisans d’une part et les lois sur les pauvres d’autres part. Le statut des artisans encadrait les professions artisanales et agricoles autour de trois piliers : l’obligation de travailler, une phase d’apprentissage de 7 ans et une évaluation par des fonctionnaires. Les lois sur les pauvres, comprendre les individus inemployés, mettait à charge de la paroisse de fournir une activité aux « pauvres » ; ce système était financé par des impôts locaux payés uniformément par tous les propriétaires terriens. Pour éviter aux villes les plus riches de souffrir un afflux massif de démunis, fut mise en place la loi du domicile qui contraint les individus à rester dans leur village de naissance sous peine d’être expulsés. Dans ces conditions l’instauration d’un vaste marché du travail au niveau national était impossible. Le développement de l’industrie et du commerce permis dans un premier temps une augmentation du salaire pour les emplois manufacturiers si bien que la situation devint alors paradoxale puisque caractérisée par de la paupérisation d’une part et une hausse des salaires d’autres parts. En effet, le manque de main d’œuvre dans l’industrie, du fait de la loi sur le domicile, faisait pression à la hausse sur les salaires dans l’industrie, d’un autre côté, le développement des enclosures (fin de la gestion commune et privatisation des terres agricoles) tendait à appauvrir les paysans. Il advint donc rapidement nécessaire d’abroger la loi sur le domicile. Ce qui se traduisit par des flux allant d’individus issus des milieux ruraux vers les milieux urbains en quête d’une amélioration de leur niveau de vie et des flux inverses charriant des ouvriers urbains désillusionnés, précarisés du fait des variations des activités industrielles et du commerce et usés par le travail aliénant de la manufacture, vers leurs milieux ruraux d’origine. C’est dans ce contexte que les propriétaires terriens pour éviter le départ massif de la main d’œuvre en milieu rural vers les milieux urbains prirent la décision de donner à chacun le droit de vivre et qu’est né la loi de Speenhamland. Toutefois, rares si ce n’est inexistants, sont les penseurs de l’époque à avoir décelé la nature des liens qui unissaient le développement de la manufacture et du commerce et le développement de la pauvreté. La croissance de l’activité empêchait de considérer le phénomène encore marginal des manufactures comme responsable. La gestion à l’échelle paroissiale de Speenhamland empêcha une gestion convenable du système d’assistance sociale qui nécessitait à minima une distinction entre les non employés et les inaptes (handicapés, vieillards, enfants). C’est pourquoi la loi Gilbert permis des rapprochements de paroisses pour faciliter l’administration à plus grande échelle du système. Toutefois, ce système resta mal administré et sujet à de nombreuses corruptions de telle sorte qu’il se traduisit par une baisse considérable de la productivité des travailleurs bénéficiant de l’aide sociale (effet de désincitation) et à une dévalorisation des travailleurs qui n’en bénéficiaient pas. En effet, les employeurs bénéficiaient de réductions d’impôts et pouvaient embaucher pour des salaires dérisoires des travailleurs dont une partie du salaire était prise en charge par la collectivité. Dès lors, la part des budgets consacrés à l’aide aux pauvres régressa progressivement, selon les régions, à partir du début du XIXème siècle jusqu’à l’abrogation de loi Speenhamland en 1834. A noter par ailleurs, que K. Polanyi, précise que ce système a eu pour principal inconvénient de retarder l’apparition d’une classe consciente et vindicative de travailleurs (à l’évidence au sens de K. Marx). « Le mécanisme du marché s’affirmait et réclamait à grands cris d’être parachevé : il fallait que le travail des hommes devînt une marchandise. Le paternalisme réactionnaire avait en vain cherché à résister à cette nécessité. Echappés aux horreurs de Speenhamland, les hommes se ruèrent aveuglément vers le refuge d’une utopique économie de marché. » 9) Paupérisme et utopie L’auteur revient dans un premier temps sur l’idée selon laquelle la croissance du commerce, de la production et l’industrialisation ont donné naissance à la misère et à un phénomène relativement nouveau à la sortie du système féodal : le paupérisme. Ainsi, les questions de pauvreté sont typiques des sociétés industrialisées qui se caractérisent par ce paradoxe déjà évoqué qu’est celui de la croissance infinie des richesses qui côtoie une augmentation elle-même croissante de la pauvreté. Dès lors, si dans le cadre du système féodal la pauvreté était cachée dans le cadre de la gestion du domaine, l’instauration du marché du travail et des travailleurs libres a fait croître la visibilité de ceux qui sont sans emploi. La question d’une gestion de la pauvreté est donc apparue d’ailleurs au même moment que l’économie politique. C’est ce qui fait dire à K. Polanyi que paupérisme et économie politique sont deux sujets intimement liés et caractérisent la naissance des sociétés (comprendre sociétés de classes). Dès lors, la gestion politique de la pauvreté a donné lieu à différentes utopies dont toutes seraient plus ou moins héritées selon l’auteur d’un quaker nommé John Bellers qui anticipa, selon lui, toutes les utopies sociales de la seconde moitié du XIXème siècle : les villages d’industries de Robert Owen, les phalanstères de Charles Fourier, les banques d’échange de Joseph Proudhon ou encore le panoptique de Jeremy Bentham. Tous, imprégnés des progrès qu’ont généré l’industrie et de la logique capitaliste estime que les chômeurs doivent être employés dans le cadre de structures gérées collectivement pour que ces derniers produisent à minima ce qui leur est nécessaire pour vivre et mieux génèrent une plus-value qui devra servir les actionnaires pour J. Bentham le libéral, les chômeurs eux-mêmes pour le socialiste R. Owen ou être redistribués aux plus miséreux. L’échec de ses projets utopistes est parfaitement illustré selon K. Polanyi par un pamphlet publié par Daniel Defoe où il explique que l’emploi public et l’« aumône » risquent de produire une concurrence déloyale vis-à-vis du privé qui risque alors l’asphyxie : « Donner l’aumône, ce n’est pas faire la charité – car en supprimant l’aiguillon de la faim, on entrave la production et on crée purement et simplement la famine. » L’auteur conclut sur le constat que la part des impôts locaux n’ont cessés de croître tout au long du XIXème siècle traduisant cette paupérisation dont personne alors ne comprend encore véritablement la cause. 10) L’économie politique et la découverte de la société. Dans cette partie K. Polanyi traite de la délimitation qui sépare A. Smith de D. Ricardo et T. R. Malthus qui base, suite travaux d’un certain Joseph Townsend, leur conception et le traitement de la pauvreté sur la naturalisation des rapports économiques : « Le changement d’atmosphère, entre Adam Smith et Townsend est vraiment frappant. Avec le premier se clôt une époque qui s’était ouverte avec les inventeurs de l’Etat, Thomas More et Machiavel, Luther et Calvin ; le second appartient à ce XIXème siècle au cours duquel Ricardo et Hegel ont découvert, à partir de points de vue opposés, l’existence d’une société qui n’est pas soumise à aux lois de l’Etat, mais qui au contraire, soumet l’Etat à ses propres lois. » Alors qu’A. Smith considère en effet les rapports économiques comme encrés dans un contexte non seulement politique mais également géographique et géopolitique, qu’il prend un soin tout particulier au début de la richesse des nations à ne pas considérer les ressources naturelles comme de la richesse et ce afin de justement circonscrire la question de la richesse à des questions éminemment humaines, J. Townsend dans son ouvrage « A dissertation on the Poor laws » à travers un paradigme naturalise l’équilibre social. Il se base en effet sur une histoire dont les fondements empiriques sont douteux mais qui a explicitement inspiré T. R. Malthus et C. Darwin. Il s’agirait d’un navigateur espagnol qui aurait introduit un couple de chèvre sur une île déserte qui s’y seraient reproduites à une vitesse extraordinaire. Afin de réguler leur population, il y aurait introduit par la suite un couple de chien. Les résultats sont : un équilibre naturel qui résultent des mécanismes qui poussent chaque espèce à rester en vie et une régulation des populations par le volume des moyens de subsistance qui préfigure la loi de population de T. R. Malthus. Ainsi, selon Townsend il est nécessaire d’abolir les lois sur les pauvres car la faim est un « aiguillon » des plus efficaces qui permettra aux plus démunis de travailler et de survivre. La question de la pauvreté n’est plus une question sociale ou humaine, c’est une question de régulation, de sélection naturelle. Le libéralisme est alors une solution politique appropriée au sens où elle ne va pas à l’encontre des lois de la nature. E. Burke, homme politique irlandais, considère ainsi, que les aides aux pauvres sont dangereuses au sens où elles peuvent permettre aux pauvres de prendre les armes contre les détenteurs du capital. De plus, ce dernier préconise de laisser la question de la pauvreté et de la misère à la charité privée, les pouvoirs publics peuvent ainsi se débarrasser d’une charge qui est d’autant plus inutile que les lois de la nature pousseront les pauvres, réduit à l‘état de marchandise, sur un marché dérégulé, à gagner de quoi subsister ; la misère les préparant ainsi aux horreurs de la guerre et aux rudesses de la navigation en mer. J. Bentham est plus « sentimental », considérant que la société sera toujours préoccupée par le sort de ses miséreux et que les « industry houses » d’initiatives privées restent alors nécessaires, et ce bien que cela réduise les besoins et donc pénalise l’industrie. Ces considérations politiques ont ainsi éclipsé les résultats en sciences naturelles, les débouchées sociales et la naissance de l’économie ont en effet bouleversé la politique au sens où les résultats scientifiques trouvaient de toutes manières davantage de débouchées pratiques dans ce domaine. Ainsi, les lois du marché sont des lois naturelles à l’encontre desquelles les pouvoirs publics ne peuvent aller. D. Ricardo et T. R. Malthus, sur la base de ce postulat ont établi des lois, des principes : le principe des rendements décroissants pour D. Ricardo et le principe de population pour T. R. Malthus qui permettent de résoudre le paradoxe précédemment évoqué du développement simultané des richesses et de la pauvreté. Toutes leurs analyses s’accordent, suite à la richesse des nations, à expliquer la pauvreté sur la base, de ce K. Polanyi nomme la loi d’airain des salaires selon laquelle le niveau des salaires tombe nécessairement au niveau du salaire de subsistance et il ne peut descendre en dessous. Ce postulat est erroné selon l’auteur qui considère que c’est mal comprendre le capitalisme ; il s’agit d’une observation déduite d’un système alliant une économie de marché sans marché du travail ; c’est, en effet, selon les classiques, les lois sur les pauvres qui permettent aux salaires de tomber en dessous du niveau de subsistance, les abroger permettrait dès lors une augmentation du niveau de salaires. Dès lors, ils considèrent que les lois sur les pauvres ne font qu’entretenir une misère qui empêche toute forme régulation naturelle et qui condamne à la pauvreté les plus miséreux ; ce système doit donc être aboli. D’après l’auteur, seul R. Owen avait compris la dimension sociale de la pauvreté et œuvrait en faveur d’une intervention publique visant à la combattre, il n’avait cependant pas perçu l’incompatibilité qui existait entre cette prise en compte du social et du politique et la persistance du système économique en place. En effet, c’est bel et bien d’un désencastrement de l’économie du corps social et politique qu’est née l’économie de marché et la misère qui l’accompagne. II. L’autoprotection de la société 11) L’homme, la nature et l’organisation de la production Du début du XIXème siècle au début du XXème, une tendance double et contraire tiraille les sociétés occidentales : la première est libérale et résulte des forces qui visent à l’instauration d’un marché autorégulateur ; la seconde est protectrice et en réaction aux conséquences de la transformation de l’homme, de la terre et de la monnaie en simple marchandises qu’implique le libéralisme économique. Dans un premier temps, K. Polanyi insiste sur les effets délétères de la libéralisation puisque la quête du seul profit fourvoie les activités humaines qui ne devraient pas en dépendre tel que l’art ou la politique. Qui plus est, il tend à la destruction des institutions telles que la famille ou encore des valeurs et des traditions qui façonnent les rapports entre les hommes ainsi que ceux qu’ils entretiennent avec leur environnement. Par ailleurs, l’auteur s’attarde sur la vision classique de la monnaie, conçue comme une marchandise comme les autres et qui, peu importe sa nature intrinsèque, doit être un bien ou annexée à la valeur d’un bien et ce afin d’être régulée exclusivement par le marché sans aucune forme d’intervention politique. Dès lors, une libéralisation excessive des institutions marchandises pourrait même conduire à une augmentation substantielle de la masse monétaire, à même d’affecter les prix et par conséquent la stabilité nécessaire au monde des affaires. Il conclut ce cours chapitre sur le constat que cette rivalité institutionnelle s’est accompagnée et entremêlée avec une rivalité de classes qui a conduit à l’avènement des fascismes et au chaos qui caractérise la première moitié du XXème siècle. 12) Naissance du credo libéral Le libéralisme, au sens du laisser-faire, ne remonte pas selon l’auteur au XIIIème, où en France l’expression fit sa première apparition. Les physiocrates n’aspiraient, selon lui, à rien d’autres qu’à une libre circulation du blé qui permettait de garantir aux véritables créateurs de richesses dont dépend la prospérité d’une nation (les travailleurs de la terre), des conditions de revenus et F. Quesnay ne faisait état dans ses principes que des moyens juridiques d’y parvenir. En Angleterre le libéralisme a été longtemps contraire aux intérêts des commerçants qui craignait d’une part l’exposition à la concurrence et qui s’accommodait du système de lois sur les pauvres qui leur fournissait une main d’œuvre flexible et bon marché. Toutefois, c’est la croyance dans l’étalon-or qui impliquait non seulement l’instauration d’un marché du travail (la baisse des prix doit pouvoir être compensée par une baisse du coût du travail) mais également le libre-échange au niveau international (condition sine qua non du maintien d’une monnaie forte dans l’idéologie mercantile). Ainsi, les 3 piliers du libéralisme économique (marché du travail, étalonor et libre-échange) sont indissociables pour garantir l’efficacité des marchés autorégulateurs. C’est pourquoi, malgré les conséquences sociales annoncées de l’instauration de tels principes surtout de manière brutale, l’idéologie dominante a poussé à l’instauration immédiates de ces piliers. Ce qui s’est traduit en 1832 par l’abrogation de la loi sur les pauvres. Paradoxalement l’instauration du laisser-faire qui est, pour les utilitaristes, un objectif politique en soi permettant de garantir le bonheur du plus grand nombre, ne correspond pas nécessairement aux besoins d’une société et l’Etat sera alors l’instrument bureaucratique et complexe de la mise en place et du maintien du laisser-faire. Ainsi, l’instauration du libéralisme a renforcé le poids tant bureaucratique que législatif de l’Etat et s’est même parfois traduit par une restriction des libertés individuelles en témoigne la suspension des lois de l’Habeas Corpus (« Libel Act » et « Six Act ») en 1819 au Royaume Uni. « C’est ainsi que même ceux qui souhaitaient le plus ardemment libérer l’Etat de toute tâche inutile, et dont la philosophie toute entière exigeait la restriction des activités de l’Etat, n’ont pu qu’investir ce même Etat des pouvoirs, organes et instruments nouveaux nécessaires à l’établissement du laisser-faire. » Un second paradoxe caractérise la pensée et réside dans l’émergence de son opposition. En effet, il est, à priori, contradictoire de considérer que le libéralisme est une transformation « naturelle » des sociétés contre laquelle se dressent des obstacles sociaux et institutionnels. La réponse des libéraux est qu’il s’agit au contraire de comportements cupides et irraisonnés qui ont freiné cet élan libéral « naturel ». L’auteur insiste ainsi sur l’idée que la dernière ligne de défense des libéraux aujourd’hui est que le libéralisme n’a jamais été véritablement mis en place et n’a donc jamais véritablement eu le temps d’être opérationnel. Ces affirmations traduisent avant tout, selon K. Polanyi, que le crédo libéral est une utopie qui n’a rien de naturel puisque les sociétés mettent mécaniquement en place des mécanismes de défenses pour contrer son instauration. En effet, les faits contredisent, selon l’auteur, l’hypothèse d’une conspiration antilibérale qui aurait empêché le mécanisme du marché autorégulateur de faire ses preuves. En témoigne, selon lui, la diversité des sujets et des domaines dans lesquels des législations, entre 1870 et 1890, sont contrevenus à l’idéal libéral ; la redondance, à des époques variées, des mesures antilibérales prises dans les différents pays européens ; l’absence de quelque intention antilibérale des législateurs qui étaient, dans l’excessive majorité des cas, des libéraux convaincus ; l’incohérence des décisions anti-libérales prises par les libéraux eux-mêmes dès lors qu’il s’agit de défendre les conditions propres à l’autorégulation des marchés etc. Sur la base de ce dernier argument K. Polanyi souligne l’incohérence du discours libéral qui selon les situations n’hésite pas lui-même à revendiquer l’intervention législative ou coercitive de l’Etat (lois anti-trust ; loi anti-associations syndicales etc.). Les faits laissent ainsi davantage penser que les mesures « collectivistes » constituent des réponses pragmatiques aux déséquilibres, notamment sociaux, provoqués par l’instauration du marché autorégulateur qu’à ne conspiration antilibérale qui aurait eu pour objet de saboter l’évolution naturelle des sociétés vers davantage de laissez-faire. 13) Naissance du crédo libéral (suite) : intérêt de classe et changement social Pour comprendre l’instauration des mesures protectionnistes qui caractérisent la seconde moitié du XIX siècle, il faut, selon K. Polanyi, déconstruire le mythe libéral d’une conspiration collectiviste tout comme il est nécessaire de déconstruire le matérialisme historique de K. Marx. En effet, l’analyse en termes de classes est à relativiser d’une part car la constitution et l’existence des classes est fonction de l’environnement social dans sa globalité et d’autre part car les intérêts de classes ne peuvent dicter à eux seuls les orientations et les changements politiques d’une société. Les changements sociaux résultent de facteurs, bien souvent extérieurs, les différents groupes sociaux en présence ne font qu’apporter des réponses relatives qui assurent l’adaptabilité de ces derniers ; c’est ainsi par les classes sociales que s’expriment la transformation des sociétés et non à cause d’elles. L’auteur illustre cette idée de la façon suivante : si la classe commerçante et capitaliste avait intérêt à l’instauration institutionnelle d’une économie de marché, la résistance s’incarnait à la fois dans la classe des propriétaires terriens, partisans d’un retour à une forme de féodalisme paternaliste, et dans la classe ouvrière partisan d’une « république coopérative du travail ». Dès lors, les conflits de classes ne présagent en rien de l’orientation de la ème transformation des sociétés : « Le sort des classes est bien plus souvent déterminé par les besoins de la société que celui de la société par le besoin des classes. » Ensuite, K. Polanyi remet en cause l’idée d’une transformation des sociétés qui ne reposerait que sur l’accès aux seules conditions matérielles d’existence. Les intérêts économiques seraient généralement secondaires par rapport aux enjeux sociaux. Ainsi, la protection d’un statut, d’une reconnaissance sociale sont des motifs bien plus à mêmes de rendre compte des orientations politiques. En effet, les barrières protectionnistes visant notamment à prévenir le chômage ou la réallocation des travailleurs sont, selon l‘auteur, davantage motivées par la protection des statuts sociaux et la peur du déclassement que par une amélioration des conditions matérielles d’existence. Ainsi l’analyse en termes de classe entretient le mythe libéral d’une conspiration collectiviste entravant la marche naturelle des sociétés vers le libéralisme et tend à simplifier à l’excès des rapports sociaux complexes. Le renouveau libéral s’appuie sur deux données empiriques pour relativiser la violence que constitua la révolution industrielle sur les classes laborieuses : l’accroissement démographique d’une part et la hausse des revenus. Selon K. Polanyi, ces deux données ne sont absolument pas des indicateurs pertinents de mesure de la violence et de la misère qui toucha les classes laborieuses au cours du XIX ème siècle. En effet, analyser les conséquences de la révolution industrielle à travers les seuls outils de mesure économique ne permet pas de rendre compte de l’origine véritable de la violence sociale qui la caractérise et qui réside dans un choc culturel. Ce serait, dès lors, la destruction des institutions résultant de l’instauration d’une économie de marché qui expliquerait, mieux que des rapports d’exploitation, la misère sociale des classes laborieuses. L’auteur, pour appuyer ses propos, compare le rapport de classe qui caractérise les débuts du capitalisme au chocs culturels nés du colonialisme. En effet, selon M. Mead, les hommes, en société, ne travaille que parce que ce dernier s’inscrit dans une logique institutionnelle et culturelle. En Inde, le système de marché a remplacé les anciennes organisations féodales qui permettaient de lutter contre les famines qui ravagèrent alors une bonne partie des populations rurales locales. Les indigènes d’Amérique n’ont pas bénéficier des allocations individuelles de terres dans le cadre d’une économie marchande ; toutefois le retour aux territoires tribaux à quant-à-lui permis le renouveau des institutions indigènes et donc une baisse de la misère. L’accroissement démographique peut aussi bien être un indicateur de vitalité que de dégradation culturelle et la hausse des revenus où l’amélioration des conditions matérielles d’existence relève de ce que K. Polanyi appelle le préjugé économiste or ce dernier occulte la dimension culturelle pourtant au fondement de toute vie en société. La transformation des sociétés traditionnelles en sociétés de marché et les résistances qui en découlèrent, notamment via l’instauration de barrières protectionnistes, relèvent ainsi, non pas de rapports d’exploitations (bien sûr, il n’est en aucun cas question de questionner leur existence), mais de réactions collectives de protection, qui bien qu’elle affecte davantage certaines classes, n’en reste pas moins un mécanisme de défense socioculturel global. La suite de l’ouvrage se propose de détailler les répercussions culturelles de l’instauration d’un marché pour l’ensemble des marchandises fictives et ce bien que leurs répercussions s’entrecroisent. 14) Le marché et l’homme L’instauration d’un marché du travail a entraîné la disparition des formes organiques en lieu et place de relations individualistes et atomisées. Le marché du travail est rendu possible par l’affirmation de la relation contractuelle comme garante des libertés individuelles mais qui place dès lors toutes formes de relations non contractuelles comme des relations d’ingérence. Dans les faits, K. Polanyi a de nouveau recours à l’anthropologie et à l’expérience coloniale pour montrer la destruction des relations « organiques » reposant sur les institutions sociales et politiques qui structurent les sociétés primitives. Il montre ainsi, que le travail volontaire, s’il a été en partie contraint dans un premier temps comme dans le cadre des lois sur les pauvres en Angleterre, est rendu possible dans les sociétés de marché du fait de la « sanction naturelle » que constitue la faim. Il précise d’ailleurs que les famines ne concernent pas les sociétés primitives où il existe un interdit moral à laisser un membre de la communauté mourir de faim. Le travail volontaire a par conséquent impliqué la levée de cet interdit moral dans les sociétés occidentales également. Les premiers à pouvoir agir pour protéger le social sont les dirigeants. Or, si les partisans su libéralisme accordent davantage de vertu aux dirigeants économiques et tendent à discréditer les dirigeants politiques, ce sont bien les propriétaires terriens qui furent les premiers à défendre, « par intérêts ou par inclination », les classes laborieuses de l’expansion du capitalisme industriel qui mettait en péril les modes de vie ruraux. Cela témoigne de l’incapacité d’une classe naissante à prendre elle-même conscience de ses intérêts et à les défendre et caractérise l’histoire atypique de la classe ouvrière en Grande Bretagne. Deux réformes sont décisives pour expliquer l’émergence de cette dernière, la première date de 1832 et exclue la classe laborieuse du pouvoir politique (vote censitaire), la seconde date de 1834 qui l’exclue des mécansimes de protection sociale (suppression de Speenhamland). La naissance de la classe ouvrière s’est accompagnée dès lors d’une phase de transition qui a contribué à sa prise de conscience progressive et qui s’est incarné dans les mouvements sociaux owéniens et chartistes. L’auteur décrit, notamment le mouvement owénien, comme une initiative politique qui reconnaît les transformations qu’induisent la machinisation (contrairement aux propriétaires terriens qui s’inscrivaient davantage dans une logique réactionnaire) visant à contourner le capitalisme par la formation de coopératives et dont la portée politique n’a pas été valorisée. Il s’agit selon l’auteur un des plus grands mouvements sociaux, pacifique de surcroît, qu’est connu la Grande-Bretagne et qui a dans sa forme esquissé l’ancêtre des syndicats. La nécessité de protection du sociale véhiculée par l’initiative pacifique et alternative owénienne constitue dès lors une perte considérable pour la société britannique. L’apogée capitaliste ne sera, ainsi, atteinte qu’une fois ces initiatives expirées qui avaient pourtant merveilleusement bien anticipé les transformations socio-politiques que nécessitaient la révolution industrielle. La vision d’Owen, héritée des mouvements corporatistes féodaux, reposait sur une conception rurale et collectiviste du social. Son mérite est double aux yeux de l’auteur. D’une part, il a compris les changements sociaux profonds qu’induisait la machine et a su l’intégrer dans la construction de son idéal de société (Cf. New Lanarck). Qui plus est, il a bien compris que de nombreux facteurs contribuaient, au-delà du salaire, à l’adaptation et à l’insertion des travailleurs dans le monde industriel nouveau : la stabilité de l’emploi, l’environnement, l’éducation, la santé etc. Dès lors, à New Lanarck, dans le cadre de son projet socialiste, si les salaires sont relativement faibles, il garantit aux travailleurs des conditions de vie et de travail décentes qui garantiront son succès non seulement vis-à-vis de la classe ouvrière, mais aussi sur le plan économique puisque ses usines se distinguaient alors par le niveau de leur productivité. R. Owen, s’oppose à tout désencastrement du politique, du social et de l’économique, c’est sur la base de ce constat qu’il forge le concept d’homme total dont les besoins en société ne peuvent se résumer à l’ampleur de son salaire. L’auteur souligne que, par opposition à Hannah More, il se détache de ses convictions religieuses qui tenaient alors à promouvoir le capitalisme économique et qui œuvraient auprès des travailleurs pauvres pour les convaincre que leur salut passerait par le soin qu’ils accorderaient à leur vertu ; la récompense du ciel pour les justes et la reconnaissance sociale de la dévotion et de la magnanimité. Si ces mouvements reconnaissent l’importance de la reconnaissance sociale, ils ne permettent pas l’émancipation des travailleurs, ne les préviennent pas de la misère et sonnent ainsi très creux. Le chartisme avait pour sa part vocation à donner le droit de vote aux ouvriers, il ne sera jamais accordé du temps du mouvement, mais bien plus tard. Cela témoigne, selon l’auteur, de la conception démocratique des élites bourgeoises britanniques au milieu du XIXème siècle, qui s’opposaient par tous les moyens à l’émergence d’une démocratie populaire. La révolution industrielle anglaise se caractérise, enfin, par les enclosures et le système de Speenhamland qui a engendré un déclassement et un choc culturel considérable pour les paysans anglais qui ont dû apprendre à se mobiliser pour défendre leurs intérêts, via notamment la constitution de syndicats à même de « monopoliser la force de travail » pour contraindre le capital. Dans le reste de l’Europe, la paysannerie n’a pas été contrainte à l’exode et au déclassement mais voyait au contraire dans la révolution industrielle des perspectives d’ascension sociale. Les systèmes politiques des pays européens sur le continent, encore ancrés dans des schémas féodaux ont favorisé les rapprochements politiques entre la classe ouvrière naissante et la petite bourgeoisie ; les élites sociales étant, notamment du fait des coutumes de primogéniture, une infime minorité issue de l’ancienne noblesse. Dès lors, si en Angleterre la réglementation et la protection sociale du travail naît de l’action syndicale, dans les pays du continent c’est l’inverse, ce sont les règlements qui donnent naissance aux syndicats et à la protection sociale. Cependant, les systèmes de protection ont eu pour résultat commun d’empêcher l’institution d’un marché où le travailleur est réduit à l’état de marchandise, mobile à souhaite et au salaire élastique. 15) Le marché et la nature La construction des économies de marché implique la subordination de la terre au marché autorégulateur. Ce processus de subordination, qui s’est étalé sur plusieurs siècles dans les pays d’Europe et de manière accélérée dans les colonies, peut être divisé en 3 étapes : la commercialisation de la terre, la croissance forcée de la production agricole pour répondre au développement de la population industrielle et enfin l’extension de ce système aux territoires colonisés. La commercialisation a débuté en Angleterre, sous le régime des Tudors au XVIème siècle avec les enclosures ; elle s’est particulièrement accélérée au XIXème sous l’influence d’auteurs libéraux à l’instar de J. Bentham et connue un coup d’arrêt vers 1870 qui marque l’émergence des idées collectivistes. En France, la révolution de 1789 met un terme définitif au droit féodal et constitue ainsi un tournant jusqu’à l’adoption du code civil napoléonien qui instaure définitivement la terre comme une marchandise et légalise les contrats hypothécaires. Ainsi, la destruction du droit féodal ainsi que la sécularisation des terres religieuses sont indissociables de ce processus de commercialisation de la terre, considérée comme une étape indispensable à la conquête des libertés individuelles. La deuxième étape, implique que le transport des marchandises permette de compenser les freins à la mobilité géographique des facteurs de production. Dès lors, des moyens de transports accessibles, rapides et peu coûteux (naissance du chemin de fer et du bateau à vapeur) ainsi qu’une législation favorable à la mobilité des marchandises étaient les deux prérequis au développement des sociétés industrielles et à l’agriculture « intensive ». Ainsi, se sont accrues la distinction et l’interdépendance entre agriculture et industrie, entre ville et campagne. Le libreéchange n’eut dès lors pour seul objectif que de servir ce processus et l’interdépendance s’est progressivement étendue du niveau régional, au niveau national puis mondial, lorsque les pays colonisés ont été, de force, intégrés au processus. Le droit d’Etat et le droit coutumier ont soit accompagné, soit ralenti le processus. Dans le cadre de la marchandisation du travail, le droit d’Etat avait ralenti le processus (loi sur les pauvres et Speenhamland) et le droit coutumier l’avait quant-à-lui renforcé (droit d’association) ; au contraire, en ce qui concerne la marchandisation des terres, les rôles s’inversent, le droit coutumier chercha en effet à protéger au maximum les droits des propriétaires et ce au détriment d’objectifs politiques plus globaux comme la lutte contre la famine ou le chômage. En effet, l’un des conséquences du libre-échange au niveau international est la baisse du nombre d’agriculteurs ; les pays occidentaux ont dû dès lors mettre en place des protections. Toutefois, les pays colonisés en l’absence de gouvernement politique ont été dans l’incapacité de se protéger des conséquences du libre-échange. L’auteur souligne par ailleurs, que la loi de population des terres les plus fertiles et la conception d’un état stationnaire de l’économie à long terme anticipées par D. Ricardo vole en éclat avec le développement des nouveaux moyens de transport et notamment du chemin de fer. En pleine expansion du libre-échange en Europe occidentale, comment expliquer la persistance des systèmes fonciers féodaux en Europe continentale ? Les propriétaires terriens se sont accommodés du libéralisme économique et les bourgeois ont concédés à la survivance des institutions féodales dès lors qu’elles assuraient, non seulement, l’indépendance nationale mais, également, l’ordre social. En effet : « A ce moment-là, les libre-échangistes avaient oublié que la terre faisait partie du territoire national, et que le caractère territorial de la souveraineté n’était pas simplement la conséquence d’associations sentimentales, mais celle de faits de taille, comprenant les faits économiques. A la différence des populations nomades, le cultivateur s’engage dans les améliorations fixées à un endroit particulier […] D’où le caractère territorial de la souveraineté, qui imprègne notre conception de la politique. » Par ailleurs, ils assuraient, en effet, l’ordre social puisqu’accommodés, en contrepartie de barrières protectionnisme, aux institutions marchandes ils constituaient un contre-poids aux mouvements ouvriers qui peuvent par les révoltes, les insurrections qu’ils mènent déstabiliser le fonctionnement autorégulateur du marché. Ils constituaient ainsi, pour la bourgeoisie, un allié nécessaire contre l’avènement fantasmé du bolchévisme, ce qui contribua, de manière tragique, après la grande guerre, à la montée des fascismes qui se prévalaient en effet d’avoir contenu la menace bolchéviste. K. Polanyi considère que les mérites que se sont attribués A. Hitler et B. Mussolini sont en réalité les résultats de transformations qui ne sont pas de leur fait. Iil n’a jamais véritablement existé de péril bolchévique puisque les ouvriers étaient généralement organisés en partis ou en syndicats ouvertement hostiles au communisme. De plus, en Italie, les grèves et mouvements ouvriers semblaient au point mort un an avant la marche sur Rome de B. Mussolini ; en Allemagne, la baisse du chômage serait antérieure avant la nomination d’A. Hitler en tant que Chancelier. 16) Le marché et l’organisation de la production L’auteur précise par ailleurs que l’instauration d’un marché autorégulé menaçait aussi le monde des affaires. En effet, le niveau des prix dépendant de la masse monétaire, une absence de régulation des quantités de monnaie en circulation peut avoir des conséquences désastreuses sur l’économie. Dans le cas de la seule circulation des monnaies marchandises comme l’or et l’argent, il existe des risques de déflation importants dû à l’insuffisance de métaux rares à disposition dans le monde des affaires. En effet, le volume de ces métaux est très difficilement ajustable à court terme ; seule une faible quantité de métaux supplémentaire peut être amenée au marché et cette quantité est bien souvent insuffisamment proportionnée au volume croissant des échanges. La création de la monnaie fiduciaire ou monnaie crédit a permis de pallier en partie cette difficulté. Toutefois l’ouverture au commerce extérieur et la nécessité de taux de change stables a imposé une valeur étalon : l’étalon-or. C’est ainsi que naît le système financier international. La création des banques centrales, a alors permis la centralisation de l’offre de crédit et a ainsi atténué les conséquences d’une dépréciation monétaire sur l’activité intérieure. Par des opérations d’ « open market » et l’ajustement de son taux d’intérêt directeur que l’auteur nomme ici « taux d’escompte », elle permet de répartir le poids de cette dépréciation en fonction de la capacité de chacun des établissements bancaires à supporter ce choc. Ainsi en son absence, en cas d’un transfert de monnaie marchandise entre deux pays, la compensation s’effectue par de la déflation à l’intérieur du pays exportateur. L’auteur distingue ainsi, le transfert transactionnel qui résulte de la diminution du nombre de transactions, s’effectuant de firme à firme à la suite de la dépréciation monétaire, du transfert véritable qui est le transfert de monnaie marchandise vers un pays tiers. Le rôle de la banque centrale est donc de répartir au mieux les transferts transactionnels afin d’éviter des conséquences trop importantes sur l’emploi et le volume de la production nationale. L’idée libérale et idéaliste, au milieu du XXème siècle, d’une monnaie, dépossédée de sa dimension politique et réduite à sa dimension de marchandise devant faire l’objet d’une régulation marchande à l’instaure de n’importe quelle autre marchandise, s’est ainsi rapidement confrontée à l’impossibilité de concilier une monnaie fiduciaire ou monnaie crédit stable et un taux de change stable sur la base de l’étalon-or. La variation des prix, dès lors qu’elle devenait trop importante, constituait un danger certain pour le commerce et le monde des affaires. Ainsi, des protections ont été mises en place, notamment une gestion politique de la monnaie par des banques centrales indépendantes. K. Polanyi rappelle que cette réduction des fonctions de la monnaie à son rôle d’intermédiaire des échanges est initiée par D. Ricardo et que sur la base de cette idée L. Von Mises préconisait l’abandon par tous les pays du monde de leur politique monétaire, ce qui on l’a vu aurait eu des conséquences désastreuses sur les affaires et par conséquent sur l’emploi. La croyance dans un marché autorégulé de la monnaie et des échanges internationaux basé sur l’étalon-or s’est donc petit à petit nuancée et ce malgré le paradoxe idéologique que cela faisait naître dans les théories libérales. Les économies tendent à se protéger davantage et mène une politique intérieure libérale et une politique extérieure impérialiste. Par ailleurs, le rôle du banquier, en tant que leader économique des classes commerçantes, s’est affirmé et s’est axé autour de deux objectifs : des finances saines et une parité du taux de change avec l’étalon-or. La croyance en l’étalon or volera définitivement en éclat avec le Krach de 1929 et les répercussions sur la question monétaire auront été bien plus radicales que celles relatives aux autres marchandises fictives que sont la terre et le travail. Ainsi, en 1931, l’Angleterre abandonne l’étalon-or suivi de près par les Etats-Unis en 1933. L’abandon de l’étalon-or marque un coup d’arrêt décisif à la promotion du marché autorégulé et le rôle des banquiers internationaux est bien moindre dans le courant des années 30. Ces années marqueront un virage idéologique majeur puisqu’apparaîtront alors les des postes charismatiques prônant un isolationnisme autarcique. 17) L’autorégulation compromise L’instauration d’un marché autorégulé implique nécessairement l’émergence de protections. Si les marchés sont en effet autorégulés au sens où ils conduisent systématiquement à la formation d’un prix qui permet d’écouler l’ensemble des ressources qui y sont échangés, une société de marché implique, comme cela a déjà été évoqué, l’institution de marchés pour les marchandises fictives que sont : le travail, la terre et la monnaie. Or, ces 3 marchandises fictives sont au fondement du contrat social, de ce qui permet aux hommes de faire société. Ainsi, dès lors que l’instauration du marché porte atteinte au corps social, il se défend, et entraîne nécessairement la naissance de protections. Les libéraux ont longtemps mobilisé l’exemple des Etats-Unis d’Amérique à leurs prémices pour montrer que des marchés autorégulés pouvaient parfaitement fonctionner. Toutefois, l’auteur précise que si ces marchés fonctionnaient c’était lié à l’absence précise de délimitation territoriale. Les terres étaient « neuves », une main d’œuvre immigrée et bon marché était toujours disponible. Aucune protection du travail n’était nécessaire puisque cette main d’œuvre n’était que temporaire, elle aspirait en effet, elle aussi, à s’approprier à son tour une partie du nouveau monde. Enfin, l’absence d’unité territoriale et la quête toujours renouvelée de nouvelles terres à acquérir ne nécessitaient pas d’ajustement de la masse monétaire à l’étalon-or. L’économie américaine alors autarcique n’avait nul besoin d’un système monétaire central qui assure la parité de la monnaie nationale avec l’étalon-or pour prévenir des chocs que peut générer le commerce international. Selon K. Polanyi, le cas de Etats-Unis ne fait que confirmer son analyse puisque dès que ces derniers ont connu une certaine stabilité territoriale, des mécanismes de protection ont vu le jour. La réserve fédérale est née pour assurer la gestion monétaire, dès lors que les Etats-Unis se sont ouverts au commerce extérieur. La décennie de prospérité des années 20 s’est achevée par le plus grand Krach boursier des économies contemporaines, et ce, avec pour effet immédiat la mise en place, dans le cadre du New Deal, de protections du travail et de la terre (syndicats, assurance sociale etc.). Ainsi, dans l’esprit libéral, la gestion nationale de la monnaie restait un anachronisme puisque cette dernière est constamment réduite à sa seule fonction d’intermédiaire des échanges. Toutefois, il s’agit d’une protection indispensable dans le cadre du système financier international. De la même manière, l’exploitation de la terre dès lors qu’elle est libéralisée impliquera rapidement l’instauration de protections, sous peine de voir progressivement disparaître l’agriculture nationale. Dans la foulée des protections sur les produits agricoles, l’augmentation des prix qui en résulte pousse les ouvriers à exiger des augmentations de salaires et les patrons à exiger des protections pour défendre leur industrie au niveau national. Ainsi, tout le propos de K. Polanyi vise à montrer que ce n’est pas la montée du protectionnisme qui met en péril l’autorégulation du marché, « c’est confondre l’effet et la cause », mais c’est bien l’instauration des marchés auto-régulés qui pousse à l’émergences de protections. Pour compenser les restrictions imposées aux mouvements de marchandises, le système monétaire international s’est libéralisé. Ainsi, les paiements internationaux se sont multipliés et ont gagnés en fluidité. Progressivement les normes qui encadraient les transactions internationales se sont généralisées à la quasi-totalité des pays du monde et le respect des engagements financiers internationaux est rapidement devenu indispensable à l’ensemble des pays participant au commerce mondial et au système financier international. Toutefois, l’asymétrie des systèmes de production entre les grandes puissances économiques et les pays pauvres générait, de fait, des déséquilibres commerciaux et des défauts de paiement qui conduisit à la multiplication des interventions militaires vouées à faire respecter les engagements financiers. Ainsi, la crise de 29 marque la fin des ajustements comptables possibles pour compenser le manque de fluidité du commerce international des marchandises. Celle-ci naît, selon K. Polanyi, de la contradiction qui existait entre les protectionnismes nationaux sur la circulation des marchandises, conséquences logiques de la libéralisation, et de la libéralisation du système financier international. La crise de 1929 est généralement considérée comme une crise de surproduction, les freins à la circulation des marchandises peuvent donc expliquer l’absence d’ajustement entre l’offre et la demande sur le marché des biens et services. 18) Tensions de rupture L’auteur commence par distinguer 4 types de tensions : la tension économique intérieure, soit une baisse de la production, des revenus et des prix qu’il réduit au « fléau » du chômage ; la tension politique intérieure qui désigne les rapports de force sociaux et qu’il nomme les tensions sociales ; les tensions économiques extérieures qui caractérises les échanges internationaux et qu’il nomme « la pression sur les échanges » ; enfin, les tensions politiques extérieures qu’ils nomment les tensions impérialistes. L’objectif de cette partie est de montrer comment ces différentes tensions, bien qu’institutionnellement isolées les unes des autres, se règlent par des basculements entre la sphère économique et la sphère politique. Ainsi, les tensions économiques intérieures impliquent des politiques conjoncturelles de relance, soit monétaires soit budgétaires, qui conduiront, soit par le canal inflationniste, soit par le canal de l’endettement public, à une mise en danger de la stabilité du change extérieur avec l’étalon-or. L’étalon or est donc un carcan qui contraint la mise en place de politiques économiques au niveau national. Dès lors si les pays, coloniaux ou semi-coloniaux subissaient de plein fouets la violence des lois du marché sans pouvoir mettre en place de mesures protectionnistes (législation sociale, tarifs douaniers) qui auraient permis d’en atténuer la violence politique et sociale ; les pays occidentaux, quant-à-eux, compensaient les défaillances économiques intérieures par des politiques impérialistes. Toutefois le capitalisme n’a pas toujours été, selon K. Polanyi, synonyme d’un Etat nécessairement impérialiste ; c’est justement les pressions qu’imposaient l’étalon-or sur la gestion des tensions économiques intérieures qui poussèrent les Etats à des politiques impérialistes. Une fois encore, K. Polanyi dénonce le fait que les libéraux inversent l’effet et la cause. Ainsi, tant que le capitalisme n’était pas ouvert au commerce international et que la pression de l’étalon-or ne se faisait pas sentir sur la gestion des affaires intérieures, l’impérialisme était considéré par les milieux bourgeois comme des pratiques d’anciens régimes, qu’ils regardaient, sous influence des théories libérales notamment celle d’A. Smith, avec dédain puisqu’ils condamnaient toute forme d’intervention des pouvoirs publics dans la gestion du commerce et des affaires. C’est donc bien les tensions économiques qui poussèrent les nations, pris en étaux entre la nécessité de maintenir la valeur du taux de change sur l’étalon-or et l’ouverture au commerce international, à mettre en œuvre des politiques impérialistes et ainsi se mettre à l’abri du sort jusque-là réservé aux seuls pays colonisés ou semi-coloniaux. Le cas de l’Allemagne d’après-guerre, illustre le cas inverse soit celui ou les pressions extérieures se répercutant sur l’économie et la politique intérieure. En effet, la pression extérieure qui résulte des dettes liées à la prise en charge des réparations de la guerre impliqua la répartition de ces pressions à la fois sur la sphère économique et politique intérieure. Les plans Dawes (ajustement du niveau des dettes sur le niveau de croissance) et Young (réajustement des échéances dans le temps) témoignent ainsi du contrepoids politique que nécessitait pour l’Allemagne le respect des lois du marché. Troisième partie : La transformation en marche 19) Gouvernement populaire et économie de marché Les difficultés rencontrées par le système international des échanges, basé sur l’étalon-or, posa, d’après K. Polanyi, à nouveau les questions propres à l’émergence de la société de marché : quelle est la place de l’interventionnisme ? Les fluctuations monétaires mettent, selon les libéraux, en péril le fonctionnement du marché autorégulateur qui feront tout pour empêcher les masses ouvrières d’accéder alors au droit de vote. Il est alors intéressant de noter que K. Polanyi souligne l’écart politique qui se creuse alors entre les représentants et les représentés. La question est ainsi toujours la même et repose sur le prisme idéologique faussé de la monnaie et du travail marchandise. Il est en effet impossible de concilier stabilité monétaire et protection sociale sans creuser le déficit budgétaire. C’est une réalité à laquelle s’est confrontée bon nombre de gouvernements socialistes au début du XXème siècle. Ainsi, s’explique l’échec des partis socialistes au pouvoir en Europe occidentale à cette période, qui engagés à protéger l’étalon-or ont été alors contraints à faire pression sur les salaires et à désengager l’Etat de la protection des travailleurs. Selon K. Polanyi cette défiance des Etats d’Europe occidentale quant à leur stabilité monétaire s’explique par cette considération libérale que la stabilité monétaire est garante des débouchés économiques à l’international et donc de la stabilité des activités économiques nationales. Il précise, par ailleurs, que seule l’Angleterre qui entretient un volume considérable d’échanges avec le reste du monde, subirait dans une moindre mesure les répercussions d’une dévaluation monétaire. Enfin, une réflexion intéressante menée par l’auteur est la contradiction qui existe dans l’idéologie libérale quant au travail marchandise : « Le travail est censé trouvé son trouver son prix sur le marché, tout prix qui n’est pas établi de cette façon étant considéré comme non-économique. Tant que le travail peut assurer cette responsabilité, il se comportera comme un élément dans l’offre de ce qu’il est, la « marchandise-travail », et refusera de se vendre au-dessous du prix que l’acheteur peut encore se permettre de payer. Conduite à son terme, cette idée signifie que la principale obligation du travail est d’être presque constamment en grève. » Il montre ainsi, que l’existence des syndicats et les droits de grève sont indispensables dans une société de marché où les travailleurs ne disposent d’aucune protection et toute forme de régulation du marché du travail par les pouvoirs publics est incompatible avec l’idée d’un marché régulateur. Après, la seconde guerre mondiale, le système international des échanges est donc complètement dérégulé ; les différentes nations ayant dû abandonner la stabilité monétaire pour assurer l’effort de guerre. Les accords de Gênes en 1922, à l’initiative de la Grande Bretagne, avait pour objectif premier de rétablir le système international de l’étalon-or. Lors de ces accords les pays signataires conviennent qu’il faut réévaluer la valeur de l’or ce qui se traduisit nécessairement au niveau national par de la déflation (rareté monétaire). Ce qui permis au système de perdurer, selon l’auteur, c’est l’octroi de crédits des pays en capacité de financement vers les pays en besoin de financement. Ces crédits sont, selon lui, en grande partie motivés, par des raisons politiques (réparations de guerre notamment) et sont réalisés dans la croyance d’un rétablissement, d’un rééquilibrage prochain du système international de l’étalon-or. Au niveau national, les règles du jeu démocratique font émerger les pouvoirs socialistes qui ont pour objectif idéologique de concilier l’économie de marché et l’interventionnisme protecteur. Engagés, toutefois au respect des accords de Gênes, ils font passer l’objectif économique de stabilité monétaire avant les objectifs politiques de protection des populations contre les effets anti-sociaux du marché autorégulateur. Cette contradiction entre la réalisation des objectifs politiques et économiques va conduire les deux sphères à la paralysie totale. Dès lors les peuples en attente de réponse et de solution sont disposés à se laisser convaincre par les idéologies fascistes alors naissantes. 20) L’histoire dans l’engrenage du changement social K. Polanyi s’attache ici à reconsidérer deux idées selon lui préconçu sur les raisons de l’arrivée des fascistes au pouvoir dans certains pays d’Europe. La première serait que l’arrivée des partis fascistes au pouvoir relèverait de situations spécifiques aux pays concernés. L’auteur considère, en effet, que l’émergence des partis fascistes caractérisent tous les pays pris dans le jeu du système économique international. Ainsi, la naissance des partis fascistes n’ont fait qu’accompagner les mouvements révolutionnaires nés de l’imposition d’un système de marchés « autorégulés ». Ainsi, en réponse à ses mouvements révolutionnaires sont nés des contre-révolutions qui s’incarnaient principalement dans les partis conservateurs (composés principalement des anciens ecclésiastiques et de l’ancienne noblesse) et les partis fascistes. Leur apparition coïncide, selon l’auteur aux difficultés, rencontrés par le système économique international ; la crise de 29 a fini par consolider leurs positions politiques, acquises avec le consentement des pouvoirs politiques en place. Ainsi, si les conservateurs ont su tenir à distance les fascistes tant que les institutions marchandes étaient encore viable à minima. La deuxième idée reçue serait que les partis fascistes avaient les enjeux nationaux dans leur idéologie politique. Si le discours nationaliste a permis aux partis fascistes d’accéder au pouvoir politique, il n’est pas au fondement de leur identité politique qui tendit davantage à l’impérialisme une fois leur position politique confortée. D’ailleurs, K. Polanyi considère que si certains partis fascistes n’ont pas su s’imposer, notamment en France et en Angleterre, s’est notamment du fait de leur antipatriotisme. Ces partis se sont donc imposés progressivement comme une solution aux dérégulations socio-politiques provoquées par l’auto-régulation marchande. Leur consécration politique s’est faîte au détriment des institutions démocratiques tout au long des années 20. « L’impasse du système de marché était évidente […] L’histoire était prise dans l’engrenage du changement social. » Karl Polanyi insiste donc pour montrer que l’autarcie relative des pays d’Europe et plus particulièrement en Allemagne et en Russie résulte avant tout de l’effondrement su système monétaire international et de l’échec de l’étalon-or. L’abandon de l’étalon-or par la Grande Bretagne (1931) et les Etats-Unis (1933) après la crise de 1929 et la sortie de l’Allemagne de la société des nations (1933) qui annonce le réarmement allemand témoigne symboliquement de la chute du système financier d’une part et de l’équilibre des puissances d’autre part. La politique économique allemande témoigne alors de la volonté de dissoudre l’ordre économique international, elle assume son insolvabilité et abandonne toute forme de parité vis-à-vis de l’étalon-or en dilapidant ses ressources en or pour financer son réarmement massif. La plupart des pays européens n’envisageait pas un seul instant, selon l’auteur, que H. Schacht, alors ministre de l’économie du troisième Reich, avait pour objectif l’anéantissement des institutions financières internationales. L’autarcie économique de l’Allemagne fut alors un moyen de regagner une indépendance politique et économique vis-à-vis des institutions financières internationales. L’Allemagne, contrairement à la Grande Bretagne notamment, en se soustrayant avant tous d’un système institutionnel qui était, quoi qu’il en soit condamné à disparaître, pu échapper aux contraintes imposées par le système international pour réaffirmer sa puissance nationale et ce notamment sur le plan militaire. L’avènement du socialisme en Russie est également davantage le résultat des conditions internationales que d’une véritable volonté idéologique. Exception faite du « communisme de guerre », la Russie s’est vue contrainte au socialisme du fait de l’effondrement du système financier international. Elle restaura, en effet, un marché libre du grain dès 1924, avec pour objectif d’exporter ses matières premières et dégager des excédents commerciaux. Toutefois l’effondrement du système empêcha la Russie de dégager des excédents ce qui poussa à la création des Kolkhoses. Les bolcheviks, d’après K. Polanyi, avaient tout-à-fait conscience de l’inconsistance pratique d’une économie socialiste isolée au niveau mondial et n’aspirait donc pas à l’instauration du socialisme en Russie, ils y ont été contraints : « Ce qui amena le socialisme dans un seul pays, ce fut l’incapacité de l’économie de marché à fournir un lien entre tous les pays ; ce qui est apparu comme l’autarcie Russe n’était que la disparition de l’internationalisme capitaliste. » 21) La liberté dans une société complexe Ce dernier chapitre prend la forme du caste conclusion dans laquelle l’auteur commence par expliquer que la grande transformation des sociétés au XXème siècle n’est ni la conséquence, comme la prévu K. Marx des contradictions internes au capitalisme (baisse tendancielle du taux de profit, crises de surproduction etc.), ni la conséquences des grands conflits mondiaux, ni de l’avènement politique de quelques minorités fascistes ou socialistes mais résulte d’une ensemble complexe de facteurs qui résultent de la nécessité qu’ont eu les peuples à s’émanciper de l’instauration d’une société de marché. L’instauration du marché autorégulateur et notamment en ce qui concerne la terre, le travail et la monnaie, considérés comme des marchandises fictives, ont donné naissances à des mécanismes de défenses naturelles des sociétés qui expliquent les grands bouleversements qu’elles connaissent aujourd’hui. Le présupposé idéologique de rationalité et donc de la maximisation de la satisfaction des intérêts individuels est contraire ; en témoignent les études anthropologiques et ethnologiques du XXème siècle ; à la réalité empirique de ce qui fonde la nature des échanges et des rapports sociaux. Ainsi, le marché ne peut être appréhendé comme un mécanisme naturel d’allocation des ressources mais bien comme une institution imposée de force par l’Etat et les pouvoirs publics. Ainsi, la grande transformation découle de l’abandon de ces présupposés idéologiques et aujourd’hui bon nombre d’Etats du monde, sans pour autant que cela implique la disparition de toute forme d’échanges marchands, encadrent la relation salariale, la gestion des sols et des ressources qui y sont associés ou encore la création monétaire. La question est : la fin d’un tel modèle idéologique implique-t-elle la disparition des libertés ? K. Polanyi considère que c’est le strict contraire qui est vrai. La nécessité des nations de se soumettre aux institutions uniformisées qu’impliquaient le système financier international étaient source de tensions, de suspicion entre des Etats qui craignent des risques d’ingérence et qui expliquent bon nombre d’intervention militaires extérieures. Au contraire, l’abandon de l’étalon or et de l’idéologie libérale de marché permet une richesse des institutions et une liberté nationale qui facilite les coopérations internationales. K. Polanyi considère qu’au niveau d’une société, il convient de distinguer la liberté institutionnelle et la liberté morale ou religieuse. La liberté institutionnelle est le vise à parvenir à un compromis entre restriction et accroissement libertés individuelles. Ainsi, la réglementation tend à restreindre les libertés individuelles tant sur le plan juridique que dans réelles. K. Polanyi fait remarquer que les réglementations relatives à un meilleur partage des richesses tendent à être décriées par les privilégiées qui y voient une restriction à leur liberté (celle de jouir pleinement de leurs loisirs en sécurité) et ce bien que ces réglementations soient nécessaires à assurer la liberté des plus défavorisés à pouvoir jouir des mêmes loisirs en sécurité. Il existe, donc des libertés qu’il convient de reconsidérer. Toutefois il en existe également qui doivent être préservées à l’instar de la sécurité que procura la paix des sociétés libérales de marché. La liberté de l’économie libérale de marché s’est cependant faite au détriment des idéaux de justice et de sécurité au sens où ses objectifs institutionnels n’étaient ni la paix, ni la liberté mais la maximisation du profit. La garantie de la paix au niveau international est alors fonction de l’établissement d’un ordre international. Au niveau personnel, K. Polanyi préconise que les institutions garantissent le droit à la non-conformité et ce afin de prévenir toute forme de pouvoir exclusivement centralisé. L’auteur s’appuie ainsi sur quelques exemples historiques pour montrer qu’une telle marge de liberté « arbitraire » a souvent permis de faire valoir la justice en cas d’abus de pouvoir. Ainsi la fin de l’économie de marché ne doit pas être considéré comme la fin des libertés individuelles mais comme une opportunité d’étendre les libertés : « La fin de l’économie de marché peut devenir le début d’une ère de liberté sans précédent. […] Non pas la liberté comme un accessoire du privilège, viciée à la source, mais la liberté comme un droit prescriptif s’étendant loin au-delà des limites étroites de la sphère politique, dans l’organisation intime de la société elle-même. […] Cette société peut se permettre d’être à la fois juste et libre. » Toutefois, il existe selon K. Polanyi un obstacle moral. L’exercice du pouvoir et la réglementation constitue des obstacles à la liberté. Le libéral se complaît à croire que la liberté est un idéal atteint mais se voile la réalité sociale. Le fasciste reconnait que la liberté est incompatible dans le cadre d’une société complexe et en tire la conclusion qu’il faut y renoncer. Le socialiste reconnaît également cette impossibilité mais cherche à concilier les deux au mieux. Une citation de R. Owen illustre bien cette nécessité : « Si l’une quelconque des causes du mal ne peut être supprimée par les pouvoirs nouveaux que les hommes sont sur le point d’acquérir, ceux-ci sauront que ce sont des maux nécessaires et inévitables ; et ils cesseront de se plaindre inutilement comme des enfants. » Ainsi, K. Polanyi considère que vivre dans une société complexe implique la résignation mais que cette dernière constitue en réalité un vivier duquel sort les plus grandes réalisation de l’homme.