INCARNER LA VÉRITABLE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE CATHERINE INGRAM (Extrait de ‘’Passionate Presence’’) Bien que nombre d'entre nous, dans les régions les plus riches du monde, bénéficient actuellement d'une durée de vie plus longue et d'un accès à l'information, au confort et à une richesse sans précédent, des signes inquiétants apparaissent partout où nous nous tournons. Nous sommes confrontés à des défis inconnus jusqu'alors dans l'histoire : le changement climatique, l'agonie des océans, l'extinction des espèces, la diminution de la couche d'ozone, le manque d'eau douce, l'explosion de la population mondiale qui entraîne une concurrence pour des ressources rares, et le potentiel de violence dû à ces pressions. Ce qui rend notre époque unique, c'est la nature globale des problèmes. Il n'y a plus d'endroit où fuir. Il existe maintenant de grands mouvements écologiques qui professent des philosophies de protection de l’environnement, qui soutiennent des politiques de durabilité, voire d'absence de croissance économique, et qui contestent l'uniformisation et la tyrannie de l'économie mondiale. Mais sans un changement dans nos cœurs, ni un véritable éveil de l'empathie, toutes les meilleures idées du monde ne feront guère de différence. Signaler les problèmes à ceux qui semblent n’en n’avoir aucune conscience ou demander des sacrifices à ceux qui sont informés n'inspire pas le changement. Malgré nos stratégies et nos philosophies nobles, les humains sont encore largement guidés par des instincts primitifs d'agression et de cupidité. Notre ancien programme biologique déclenche des réactions de combat ou de fuite excessivement protectrices dans les situations les plus insignifiantes, comme si le fait d'être coupé sur l'autoroute équivalait à être poursuivi par un mastodonte. Et bien que cela semble être une bonne idée de vivre plus simplement et de partager équitablement, notre programme de survie préfère que nous prenions davantage pour nousmêmes. Même si ces impulsions ont historiquement permis à la race humaine de se multiplier, lorsque les ressources étaient abondantes et lorsque la population était peu nombreuse, la dynamique d'auto-préservation et d'auto-gratification à tout prix devient contre-indiquée pour la santé de la vie planétaire en général. Tout comme nous veillons à ne pas utiliser l'idéologie spirituelle pour nous éloigner de la souffrance de notre monde, nous devons également nous pencher sur les limites de la philosophie environnementale ou écologique, lorsqu'elle est dépourvue de perspective spirituelle. Les philosophies spirituelles ont tendance à faire flotter notre conscience dans des nuages de déni. Les philosophies environnementales nous embourbent parfois dans une fixation sur une réalité purement biologique. Nous pouvons négliger la vue d'ensemble, les dimensions de compréhension et d'amour, en étant trop attachés à nos propres objectifs environnementaux. Ne pas tenir compte de la complexité de la réalisation de ces objectifs, ni des sentiments de ceux qui seront touchés par ces objectifs dans la réalité actuelle, provoque souvent des réactions d’opposition dans les communautés, en empêchant les résultats mêmes que nous espérons atteindre. Notre première étape pour effectuer un changement est de trouver l'amour dans nos cœurs et d'offrir cet amour dans toutes les négociations. Nous devons également modeler nos valeurs par l'exemple de nos vies. Ainsi que le disait Gandhi, soyons le changement que nous voulons voir. Un ami m’a dit un jour : "N'importe quel crétin peut voir que nous traversons une crise écologique mondiale. La question est de savoir comment faire en sorte qu'un sot s'en préoccupe". Nous faisons en sorte qu'un sot s'en préoccupe en encourageant le sage qui vit au plus profond de lui-même à se manifester. Celui-ci s'en préoccupe déjà. Tout ce qu’il faut, c'est honorer et vivre selon cette sagesse qui, malgré notre folie, existe passionnément en nous. La plupart d'entre nous savent quand ils se comportent de manière égoïste. Nous ne nous sentons pas bien et nous pouvons avoir des remords, mais la force du conditionnement nous pousse souvent à persister dans un tel comportement, à prendre plus que notre part, à ignorer les coûts pour les autres ou pour notre environnement. De même, nous savons quand nous vivons dans l'hypocrisie, en proclamant des valeurs que nous n'incarnons pas. Celle qui ressent l'inconfort de ces situations, c’est la Conscience éveillée elle-même. En permettant doucement à ces sentiments de devenir pleinement conscients, l'intelligence de notre propre cœur surmonte la tendance à compromettre notre intégrité et elle réclame de nous un alignement entre ce que nous disons et la manière dont nous vivons. Un jour, une femme vint voir Gandhi et elle lui demanda de bien vouloir dire à son fils d'arrêter de manger du sucre. Gandhi demanda à la femme de ramener le garçon au bout d’une semaine. Exactement une semaine plus tard, la femme revint et Gandhi dit au garçon : "S'il te plaît, cesse de manger du sucre". La femme remercia le Mahatma et, au moment de partir, elle lui demanda pourquoi il n'avait pas dit cela, alors qu’elle était venue le voir, la semaine précédente, et Gandhi répondit : "Parce qu'il y a une semaine, je n'avais pas renoncé à manger du sucre." Beaucoup d'entre nous ont conscience des coûts élevés que nos vies représentent pour l'écosystème, en particulier dans les pays riches où nous consommons la plus grande partie des ressources de la planète. Pourtant, si nous ne nous soucions pas profondément de ceux qui sont touchés par notre consommation disproportionnée, il est difficile de renoncer à notre riche mode de vie, ce qui nous empêche de prêcher aux autres de réduire leur consommation. Lorsque les gens arrivent pour la première fois à nos retraites, on leur demande de s'inscrire pour un petit travail bénévole. Il pourrait s'agir d'aider à faire la vaisselle ou de sonner la cloche pour les réunions – n’importe laquelle des multiples tâches simples qui sont nécessaires au bon déroulement d'une grande retraite. Souvent, le premier jour, de nombreux postes bénévoles restent vacants, mais au fil des jours, non seulement toutes les places bénévoles sont occupées, mais l'aide commence à affluer de toutes les manières possibles. Une personne répare une porte qui grince, une autre aide une personne âgée à se rendre à pied à tous les événements, plusieurs personnes se relaient pour nourrir une femme qui a un bras cassé, une autre ramasse du bois tombé dans la forêt pour économiser la réserve de bois du centre de retraite, et des milliers d'autres gentillesses se produisent anonymement et passent inaperçues. Même si nous sommes en silence, il y a un sentiment palpable d'interconnexion qui est rarement égalé dans les conversations sur l'interconnexion. Ce sentiment inspire naturellement la joie, et la générosité découle de la joie. Quelle est la perspective qui nous permet d'incarner une véritable conscience écologique, de vivre avec légèreté sur cette Terre, d'aligner nos actions sur nos valeurs, de considérer le plus grand bien ? Dans la présence silencieuse du témoin1, nous pouvons en fait sentir notre propre incarnation inextricablement liée à l'atmosphère : notre souffle qui entre et ressort, en échangeant des atomes ; la lumière du soleil dans les aliments que nous mangeons pour nous sustenter ; les multiples systèmes de pluie et d'évaporation qui se mêlent à notre propre hydratation. Nous regardons dans les yeux d'une autre créature, humaine ou non, et y voyons la qualité intemporelle de l'Être. Nous remarquons la plante qui sort du trottoir et ressentons immédiatement la même force de vie que celle que nous incarnons. Même le ciment à travers lequel la plante a poussé reflète une danse de molécules, de même que nous reflétons une danse de molécules qui circulent dans nos corps. Les personnes qui meurent de faim dans des déserts empoisonnés, les oiseaux de mer 1 Un état de conscience que l’on atteint plus au moins rapidement, quand on pratique régulièrement la méditation ou l’auto-investigation, où la pure Conscience est spectatrice des pensées, des sentiments, des émotions, des réactions et des perceptions sensorielles. L’objectif est de pouvoir rester toute la journée dans cette Conscience témoin, dans cette vaste Présence silencieuse et paisible, tout en restant actif dans le monde, NDT. mourants, recouverts de pétrole provenant d'une marée noire, et les bûcherons qui coupent les derniers arbres anciens par crainte pour leur propre survie économique ne sont pas des créatures quelconques ; elles sont nous. Lorsque nous nous accordons avec les rythmes de vie plus profonds, nous ne dépendons plus de la philosophie pour nous dire que nous sommes interdépendants. Nous faisons l'expérience viscérale d’être inséparables de notre environnement. Dans cette reconnaissance, tout ce qu’il y a dans notre conscience prend une teinte de familiarité - de famille. Notre sens du moi s'élargit. Notre égoïsme peut demeurer une prédisposition génétique, mais ce que nous définissons comme le soi peut devenir aussi vaste que l'univers. De même que nous voulons joyeusement et sans réfléchir partager avec nos enfants ou notre famille élargie, nous nous soucions de la famille des êtres et nous sommes généreux à leur égard. Nos actions naissent de notre volonté de faire le plus grand bien à tous, et nous traitons nos différends avec la tendresse et le respect que l'on témoigne à des proches parents. Les frontières entre qui fait partie de la famille et qui n'en fait pas partie commencent à s'estomper, et l’on se sent soudain intimement lié à l'existence elle-même. Dans ce sentiment d'appartenance, nous réalisons que nous n'avons pas besoin d'autant de choses pour être heureux que nous le pensions et qu'il est bien plus agréable de partager que d'entasser. Poonjaji2, par exemple, faisait preuve d'une sensibilité innée à l'environnement sans, à ma connaissance, avoir étudié la philosophie environnementale3. Il vivait dans une petite maison louée avec quelques autres personnes.4 Il écrivait souvent une lettre de réponse au dos de la lettre originale qui lui avait été envoyée et il réutilisait aussi souvent l'enveloppe. Toutes les ordures de la maison étaient jetées aux cochons dans la rue, et il n'y avait pratiquement aucun autre déchet qui nécessitait une mise en décharge. Jusqu'à ce que ses jambes lâchent dans les dernières années de sa vie, il marchait presque partout où il allait. Une fois, un ami et moi, nous lui avons offert un grand panier de jolis cadeaux colorés pour sa maison, contenant des articles de toilette, des serviettes, des draps et des ustensiles de cuisine. En les laissant sur le pas de la porte, je savais qu’ils ne semblaient pas à leur place dans l'austérité simple de sa maison. Le lendemain, il avait fait don de tous ces objets. 2 Sri H. W. L. Poonja ou Papaji, le maître spirituel de Catherine Ingram, qui fut lui-même un disciple de Ramana Maharshi, NDT. 3 A noter qu’il avait quand même bourlingué dans toute l’Inde et qu’il avait été ingénieur des mines pendant longtemps, NDT. 4 A noter aussi que quand Catherine Ingram l’a connu, il était déjà très âgé et qu’il avait été marié deux fois et qu’il avait des enfants, NDT. (Son parcours assez extraordinaire est remarquablement raconté dans une biographie en trois volumes de David Godman) Poonjaji disait souvent : ‘’La Totalité est votre propre Soi.’’ Cette réalisation est notre meilleur espoir de survie. Sachant cela, nous prenons soin de notre monde et de ses habitants, non pas par idéologie mais par amour. Partage-pdf.webnode.fr À PROPOS DE CATHERINE INGRAM Catherine Ingram est une enseignante internationale du dharma qui a des adeptes aux États-Unis, en Europe et en Australie. Depuis 1992, elle dirige les ‘’Dialogues du Dharma’’, des événements publics qui encouragent l'utilisation intelligente de la conscience dans la vie personnelle et dans la communauté. Catherine dirige également chaque année de nombreuses retraites silencieuses associées aux dialogues sur le Dharma. Elle est présidente de Living Dharma, une organisation éducative à but non lucratif fondée en 1995. Catherine a fait l'objet de nombreuses interviews dans la presse écrite, à la télévision et à la radio et figure dans plusieurs anthologies consacrées aux enseignants spirituels occidentaux. Ancienne journaliste spécialisée dans les questions de conscience et d'activisme, Catherine est également l’autrice de plusieurs livres sur l’activisme spirituel et social. (Elle a notamment fait partie des équipes de rédaction du New Age Journal, du East West Journal et du Yoga Journal.) Depuis 1976, Catherine a contribué à l'organisation et à la direction d'institutions consacrées à la méditation et à l’auto-investigation et, plus récemment, aux droits de l'homme et des animaux. Elle est cofondatrice de l'Insight Meditation Society à Barre, Massachusetts (1976). Elle a également cofondé l'Organisation des Nations et des Peuples Non Représentés (UNPO) à La Haye, aux Pays-Bas (1991) et elle est membre du Comité des 100 pour le Tibet. Pendant six ans (19881994), Catherine a également siégé au conseil d'administration du Burma Project, consacré à la sensibilisation internationale à la lutte pour la démocratie en Birmanie. Elle siège maintenant au conseil d'administration de la Global Animal Foundation, qui œuvre en faveur des animaux du monde entier.