19891024 - Robert LINDET et l'accusation dans le procès de Louis XVI

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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BERNAY
CONFÉRENCE
ROBERT LINDET ET L'ACCUSATION DANS LE
PROCÈS DE LOUIS XVI
par Patrice PETITJEAN Procureur de la République à BERNAY
mardi 24 octobre 1989
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Mesdames et Messieurs,
Dans le cadre de la célébration du bicentenaire de la Révolution
Française, le Ministère de la Justice a souhaité associer l'institution
judiciaire aux manifestations organisées localement pour fêter cet
événement.
En effet, les acquis de la Révolution en matière judiciaire sont
nombreux;
La Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 n'en est pas le
moindre puisque plusieurs principes essentiels qui dominent encore
aujourd'hui nôtre justice pénale ont été solennellement proclamés dans
cette Déclaration : principe de liberté et d'égalité des Droits, principe de
légalité des délits et des peines, principe de non-rétroactivité de la loi
pénale, présomption d'innocence.
C'est à partir de cette constatation qu'en accord avec la Mairie de
BERNAY et en liaison avec la Bibliothèque Municipale dont je dois
d'emblée remercier les responsables pour l'aide qu'ils m'ont apportée,
nous avons décidé d'organiser cette conférence sur Robert LINDET et
l'Accusation dans le Procès de LOUIS XVI dans la cadre de l'exposition
présentée à la Salle Capitulaire du 14 octobre au 19 novembre 1989
sur le thème
Thomas et Robert LINDET: La Révolution à BERNAY.
Je suis donc très heureux de vous accueillir dans cette salle
d'audience du Tribunal de Grande Instance de BERNAY. Car, c'est à
Robert LINDET Avocat de formation, ancien Procureur-Syndic au
Tribunal de l'Election de BERNAY, puis Maire de la Ville, député
conventionnel de l'Eure, membre du comité de législation, que nous
devons d'être ici ce soir.
En effet, en vertu des lois des 16-24 août 1790 sur l'organisation
judiciaire, BERNAY devint le siège d'un tribunal de district composé de
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5 juges élus et d'un Accusateur Public ancêtre des Procureurs de la
République.
C'est Robert LINDET qui fut chargé de rechercher un local pour y
installer ce Tribunal. Il proposa Ala maison des Bénédictins@, c=est à dire
l=Abbaye qui abrite aujourd=hui les services municipaux et le tribunal de
grande instance. L'installation eut lieu le 22 novembre 1790 dans cette
salle utilisée autrefois comme réfectoire des moines.
Quel autre lieu eut été plus approprié pour évoquer le rôle joué
par Robert LINDET dans le procès de LOUIS XVI ?
Avant d=engager l=analyse proprement dite de l=acte d=accusation,
il m=a paru nécessaire de le replacer dans le contexte historique de
l=époque.
A la fin de l'année 1792, les esprits étaient déterminés à traîner le
monarque déchu devant ses juges révolutionnaires. La fuite à
VARENNES, l'insurrection du 10 août et les massacres de septembre
avaient conduit les clubs et plus généralement, l'opinion publique
parisienne à réclamer sa mise en jugement. Le 21 septembre, la
Convention avait proclamé la République, le lendemain même de son
installation. LOUIS XVI était dès lors politiquement mort.
Reste qu'il convenait de statuer définitivement sur son sort alors
qu'il séjournait au Temple, avec sa famille proche, sous la garde
vigilante de la Commune.
Deux puissants courants s'affrontaient alors: la Gironde composée
de bourgeois républicains, libéraux et juristes et la Montagne plus
extrémiste inspirée par l'exemple de la République romaine. Au centre,
le Marais tergiversait.
Au début du mois d'octobre, LA CONVENTION, forte de ses succès
militaires récents sur l'ennemi extérieur, instituait une première
commission de 24 membres, chargée d'analyser les charges
susceptibles d'être retenues contre Louis à partir des documents saisis
aux Tuileries le 11 août. Le jour même de la victoire de Jemmappes (6
novembre), la commission présidée par le conventionnel VALAZE
remettait son rapport. Les charges énoncées étaient peu
convaincantes.
Parallèlement, le comité de législation, placé sous la présidence
de MAILHE, examinait les problèmes juridiques soulevés par le procès
du Roi déchu. Trois questions fondamentales devaient être analysées:
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pouvait-on et devait-on juger le Roi, si oui, qui devait le juger et selon
quelle procédure ?
La première de ces questions était de loin la plus importante et la
plus déterminante. Dans la deuxième quinzaine de novembre, alors que
les députés en débattaient âprement, donnant ainsi l'occasion à
ROBESPIERRE et à SAINT JUST de s'affirmer comme des orateurs
d'exception, la découverte des documents contenus dans L'ARMOIRE DE
FER des Tuileries allait sceller le sort du Roi. En effet, ces documents
offraient à l'aile dure de la Convention la matière d'un réquisitoire
autrement plus solide que le rapport VALAZE. Après avoir fait
dépouiller les documents par une commission de 12 membres, "la
Convention déclare que Louis XVI sera jugée par elle" (décret du 3 novembre
1792).
La comparution du Roi devant ses juges fut fixée au 10
décembre. Le 6, une nouvelle commission dite des vingt et un fut
chargée d'établir l'acte d'accusation énonçant les crimes de Louis
CAPET.
Robert LINDET en sera le rapporteur.
POUVAIT-ON JUGER LOUIS XVI ?
C'est chronologiquement la premre question que doit se poser,
dans nôtre droit moderne l'Accusateur Public: L'action publique dirigée
contre tel ou tel est-elle possible, ne bénéficie-t'il pas d'une quelconque
immunité, d'un privilège de juridiction ou d'une faveur quelconque de la
loi qui empêche de le traduire en justice ?
La question est importante dans la perspective historique car elle
marque la frontière entre l'acte de régicide et la "longue et triste histoire des
meurtres et assassinats de Rois et d'empereurs".(M.WALTZER. RÉGICIDE ET
RÉVOLUTION, LE PROCÈS DE LOUIS XVI).
On aurait pu comme à EKATERINENBOURG, le 18 juillet 1918
dans la villa IPATIEV, se débarrasser de Louis XVI et de sa famille par
une exécution sommaire, comme on l'a fait pour les ROMANOV.
Cette question permet également d'opposer la thèse légaliste - on
juge le Roi parce qu'il a trahi - à la thèse politique - on tue le Roi pour
ce qu'il représente -.
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Les conventionnels ont perçu ce débat. Cependant, ils n'ont pas
spécialement mandaté LINDET pour explorer la question puisque,
comme nous l'avons dit, ils ont chargé le comité de législation présidé
par MAIHLE, dont Robert LINDET faisait certes partie, d'élaborer un
rapport préliminaire sur ce thème servant de base à une discussion en
Assemblée.
Certains d'entre eux comme SAINT JUST dans son discours du
13 novembre 1792 ont opté pour la thèse politique: " je dis que le Roi doit
être jugé en ennemi... Nous avons moins à le juger qu'à le combattre@. " On semble
chercher une loi qui permette de le tuer...Pour moi, je ne vois pas de milieu: cet
homme doit régner ou mourir" ou encore "Le procès doit être fait à un Roi, non
point pour les crimes de son administration, mais par celui d'avoir été Roi...On ne
peut régner innocemment". "Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis n'est point un
tribunal judiciaire: c'est un conseil, c'est le peuple, c'est vous et les lois que nous
avons à suivre sont celles du droit des gens...Louis a combattu le peuple: il est
vaincu. C'est un barbare, c'est un étranger prisonnier de guerre."
On notera cependant que SAINT JUST ne rejette pas le principe
d'un procès: il veut en faire un procès politique et non un procès
judiciaire.
Poussant le raisonnement, ROBESPIERRE, qui s'exprime à la
Convention le 3 décembre, rejette en bloc toute idée de procès. Louis
doit être condamné à mort immédiatement, sans procès car les formes
n'importent pas, seul le résultat compte. "Il n'y a point de procès à faire, Louis
n'est pas un accusé. Vous n'êtes point des juges...Vous n'avez point une sentence à
rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre."
Les arguments qu'il développe sont les mêmes que ceux de
SAINT JUST. La pertinence de son réquisitoire est évidente au lecteur:
ROBESPIERRE, comme SAINT JUST, s'expriment politiquement et
réclament une solution politique au problème politique que pose Louis
XVI. Les hommes de la Révolution ont combattu la monarchie ils l'ont
vaincue. Point n'est besoin de sentence judiciaire pour entériner ce fait.
Louis doit disparaître parce qu'il incarne le régime ancien défait.
ROBESPIERRE poursuit: "Le procès du tyran c'est l'insurrection; son jugement,
c'est la chute de sa puissance; sa peine, celle qu'exige la liberté du peuple."
Les conventionnels, encore dominés pendant les débats
préliminaires par la Gironde, comme leurs prédécesseurs anglais un
siècle et demi plus tôt, ont cependant préféré le procès à l'exécution
sans jugement.
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