24 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BERNAY CONFÉRENCE ROBERT LINDET ET L'ACCUSATION DANS LE PROCÈS DE LOUIS XVI par Patrice PETITJEAN Procureur de la République à BERNAY mardi 24 octobre 1989 24 Mesdames et Messieurs, Dans le cadre de la célébration du bicentenaire de la Révolution Française, le Ministère de la Justice a souhaité associer l'institution judiciaire aux manifestations organisées localement pour fêter cet événement. En effet, les acquis de la Révolution en matière judiciaire sont nombreux; La Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 n'en est pas le moindre puisque plusieurs principes essentiels qui dominent encore aujourd'hui nôtre justice pénale ont été solennellement proclamés dans cette Déclaration : principe de liberté et d'égalité des Droits, principe de légalité des délits et des peines, principe de non-rétroactivité de la loi pénale, présomption d'innocence. C'est à partir de cette constatation qu'en accord avec la Mairie de BERNAY et en liaison avec la Bibliothèque Municipale dont je dois d'emblée remercier les responsables pour l'aide qu'ils m'ont apportée, nous avons décidé d'organiser cette conférence sur Robert LINDET et l'Accusation dans le Procès de LOUIS XVI dans la cadre de l'exposition présentée à la Salle Capitulaire du 14 octobre au 19 novembre 1989 sur le thème Thomas et Robert LINDET: La Révolution à BERNAY. Je suis donc très heureux de vous accueillir dans cette salle d'audience du Tribunal de Grande Instance de BERNAY. Car, c'est à Robert LINDET Avocat de formation, ancien Procureur-Syndic au Tribunal de l'Election de BERNAY, puis Maire de la Ville, député conventionnel de l'Eure, membre du comité de législation, que nous devons d'être ici ce soir. En effet, en vertu des lois des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, BERNAY devint le siège d'un tribunal de district composé de 24 5 juges élus et d'un Accusateur Public ancêtre des Procureurs de la République. C'est Robert LINDET qui fut chargé de rechercher un local pour y installer ce Tribunal. Il proposa Ala maison des Bénédictins@, c=est à dire l=Abbaye qui abrite aujourd=hui les services municipaux et le tribunal de grande instance. L'installation eut lieu le 22 novembre 1790 dans cette salle utilisée autrefois comme réfectoire des moines. Quel autre lieu eut été plus approprié pour évoquer le rôle joué par Robert LINDET dans le procès de LOUIS XVI ? Avant d=engager l=analyse proprement dite de l=acte d=accusation, il m=a paru nécessaire de le replacer dans le contexte historique de l=époque. A la fin de l'année 1792, les esprits étaient déterminés à traîner le monarque déchu devant ses juges révolutionnaires. La fuite à VARENNES, l'insurrection du 10 août et les massacres de septembre avaient conduit les clubs et plus généralement, l'opinion publique parisienne à réclamer sa mise en jugement. Le 21 septembre, la Convention avait proclamé la République, le lendemain même de son installation. LOUIS XVI était dès lors politiquement mort. Reste qu'il convenait de statuer définitivement sur son sort alors qu'il séjournait au Temple, avec sa famille proche, sous la garde vigilante de la Commune. Deux puissants courants s'affrontaient alors: la Gironde composée de bourgeois républicains, libéraux et juristes et la Montagne plus extrémiste inspirée par l'exemple de la République romaine. Au centre, le Marais tergiversait. Au début du mois d'octobre, LA CONVENTION, forte de ses succès militaires récents sur l'ennemi extérieur, inst ituait une première commission de 24 membres, chargée d'analyser les charges susceptibles d'être retenues contre Louis à partir des documents saisis aux Tuileries le 11 août. Le jour même de la victoire de Jemmappes (6 novembre), la commission présidée par le conventionnel VALAZE remettait son rapport. Les charges énon c é e s étaient pe u convaincantes. Parallèlement, le comité de législation, placé sous la présidence de MAILHE, examinait les problèmes juridiques soulevés par le procès du Roi déchu. Trois questions fondamentales devaient être analysées: 24 pouvait-on et devait-on juger le Roi, quelle procédure ? si oui, qui devait le juger et selon La première de ces questions était de loin la plus importante et la plus déterminante. Dans la deuxième quinzaine de novembre, alors que les députés en débattaient âprement, donnant ainsi l'occasion à ROBESPIERRE et à SAINT JUST de s'affirmer comme des orateurs d'exception, la découverte des documents contenus dans L'ARMOIRE DE FER des Tuileries allait sceller le sort du Roi. En effet, ces documents offraient à l'aile dure de la Convention la matière d'un réquisitoire autrement plus solide que le rapport VALAZE. Après avoir fait dépouiller les documents par une commission de 12 membres, "la Convention déclare que Louis XVI sera jugée par elle" (décret du 3 novembre 1792). La comparution du Roi devant ses juges fut fixée au 10 décembre. Le 6, une nouvelle commission dite des vingt et un fut chargée d'établir l'acte d'accusation énonçant les crimes de Louis CAPET. Robert LINDET en sera le rapporteur. POUVAIT-ON JUGER LOUIS XVI ? C'est chronologiquement la première question que doit se poser, dans nôtre droit moderne l'Accusateur Public: L'action publique dirigée contre tel ou tel est-elle possible, ne bénéficie-t'il pas d'une quelconque immunité, d'un privilège de juridiction ou d'une faveur quelconque de la loi qui empêche de le traduire en justice ? La question est importante dans la perspective historique car elle marque la frontière entre l'acte de régicide et la "longue et triste histoire des meurtres et assassinats de Rois et d'empereurs".(M.WALTZER. RÉGICIDE ET RÉVOLUTION , LE PROCÈS DE LOUIS XVI). On aurait pu comme à EKATERINENBOURG, le 18 juillet 1918 dans la villa IPATIEV, se débarrasser de Louis XVI et de sa famille par une exécution sommaire, comme on l'a fait pour les ROMANOV. Cette question permet également d'opposer la thèse légaliste - on juge le Roi parce qu'il a trahi - à la thèse politique - on tue le Roi pour ce qu'il représente -. 24 Les conventionnels ont perçu ce débat. Cependant, ils n'ont pas spécialement mandaté LINDET pour explorer la question puisque, comme nous l'avons dit, ils ont chargé le comité de législation présidé par MAIHLE, dont Robert LINDET faisait certes partie, d'élaborer un rapport préliminaire sur ce thème servant de base à une discussion en Assemblée. Certains d'entre eux comme SAINT JUST dans son discours du 13 novembre 1792 ont opté pour la thèse politique: " je dis que le Roi doit être jugé en ennemi... Nous avons moins à le juger qu'à le combattre@. " On semble chercher une loi qui permette de le tuer...Pour moi, je ne vois pas de milieu: cet homme doit régner ou mourir" ou encore "Le procès doit être fait à un Roi, non point pour les crimes de son administration, mais par celui d'avoir été Roi...On ne peut régner innocemment". "Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis n'est point un tribunal judiciaire: c'est un conseil, c'est le peuple, c'est vous et les lois que nous avons à suivre sont celles du droit des gens...Louis a combattu le peuple: il est vaincu. C'est un barbare, c'est un étranger prisonnier de guerre." On notera cependant que SAINT JUST ne rejette pas le principe d'un procès: il veut en faire un procès politique et non un procès judiciaire. Poussant le raisonnement, ROBESPIERRE, qui s'exprime à la Convention le 3 décembre, rejette en bloc toute idée de procès. Louis doit être condamné à mort immédiatement, sans procès car les formes n'importent pas, seul le résultat compte. "Il n'y a point de procès à faire, Louis n'est pas un accusé. Vous n'êtes point des juges...Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre." Les arguments qu'il développe sont les mêmes que ceux de SAINT JUST. La pertinence de son réquisitoire est évidente au lecteur: ROBESPIERRE, comme SAINT JUST, s'expriment politiquement et réclament une solution politique au problème politique que pose Louis XVI. Les hommes de la Révolution ont combattu la monarchie ils l'ont vaincue. Point n'est besoin de sentence judiciaire pour entériner ce fait. Louis doit disparaître parce qu'il incarne le régime ancien défait. ROBESPIERRE poursuit: "Le procès du tyran c'est l'insurrection; son jugement, c'est la chute de sa puissance; sa peine, celle qu'exige la liberté du peuple." Les convent ionnels, encore dominés pendant les débats préliminaires par la Gironde, comme leurs prédécesseurs anglais un siècle et demi plus tôt, ont cependant préféré le procès à l'exécution sans jugement. 24 Non sans mal, non sans hésitations. Une première question, rapidement éludée par les conventionnels malgré son importance, devait être résolue: qui jugeait-on ? le Roi ou le citoyen CAPET ? Les conventionnels ont toujours eu le souci de juger l'homme: "Louis CAPET", "ci-devant Roi des français"... alors que les anglais en 1649 ont fait comparaître CHARLES 1er dans l'exercice de son règne. L'attitude des conventionnels reste cependant ambiguë car s'ils jugeaient Louis CAPET, ce fut bien pour les actes commis par lui ès-qualité. La position anglaise est plus claire sur ce point. Et c'est là que se pose la deuxième question à savoir l=inviolabilité du Roi. Le Roi, comme l'ont fait d'ailleurs ses défenseurs pendant le procès, pouvait invoquer deux types d'inviolabilité: Son inviolabilité monarchique tirée de l'ancien droit et son inviolabilité constitutionnelle tirée de la Constitution de 1791. Dans l'ancien droit, le Roi ne pouvait mal faire; il était la source de la loi, il n'y était pas soumis en raison même du fait qu'il était l'incarnation de la souveraineté et toute souveraineté ne pouvait être soumise à aucun autre principe supérieur: elle était absolue. Le Roi ne pouvait être appréhendé accusé, jugé, puni par l'un de ceux ayant envers lui un devoir de loyauté. Il était l'incarnation de l'Etat. Deux difficult és préalables dev aient être réglées par les révolutionnaires pour pouvoir juger le Roi malgré son inviolabilité monarchique; d=une part, aucune règle légale issue de l'ancien droit n'autorisait à juger le Roi et d=autre part, aucune institution de l'Etat n'était habilitée à juger le Roi. Pour juger le Roi, il fallait donc au préalable créer de toutes pièces les principes et les outils nécessaires à ce jugement et substituer une autre souveraineté à la souveraineté royale. Dès le 20 juin 1789, le Tiers-Etat introduisait l'idée d'une souveraineté Nationale dont il était le représentant. L'idée fut reprise par la Déclaration du 26 août 1789 article 3; "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément". Elle sera confirmée par la Constitution de 1791: article 1 du titre III: "la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la nation." 24 Par ailleurs, pour pouvoir atteindre le Roi, il fallait un motif et un motif légitime On le trouva dans la trahison royale. Là encore, la tâche n'était pas aisée car dans l'ancien droit, la trahison s'analysait exclusivement comme le crime porté contre le Roi: projeter ou réaliser sa mort, lui faire la guerre ou se ranger aux côtés de ses ennemis. Il était donc impossible qu'un Roi soit traître. Qualifier le Roi d'ennemi de l'Etat représentait un bouleversement considérable que les conventionnels ont réalisé. Dans son réquisitoire, LINDET évoquera "un plan de conspiration qui devait anéantir l'Etat". L'évolution était achevée: le Roi n'incarnait plus la souveraineté politique qui résidait désormais dans la Nation; dès lors, il pouvait être accusé de trahison contre elle. L'inviolabilité constitutionnelle a été défendue avec pertinence devant la Convention par Charles MORISSON, un avocat vendéen, ultra-légaliste, dans un discours prononcé le 13 novembre 1792. Selon lui, LOUIS XVI ne pouvait être jugé pour deux raisons essentielles: le principe de non-rétroactivité de la loi pénale et celui de l'inviolabilité du monarque inscrite en toutes lettres dans la Constitution. Nul ne peut contester en effet qu'aucun texte de droit positif ne permettait de juger le Roi puisque la seule loi positive évoquant les crimes du Roi était précisément la Constitut ion de 1791. Et celle-ci lui accordait effectivement l'inviolabilité en ces termes: "la personne du Roi est inviolable et sacrée...Si le Roi se met à la tête d'une armée et en dirige les forces contre la Nation, ou s'il ne s'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté...Après l'abdication expresse ou légale, le Roi sera dans la classe des citoyens et il pourra être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication." La seule peine encourue par le monarque pour ce qui touche à l'exercice du pouvoir exécutif dans le cadre d'une trahison manifeste était la déchéance. Ce n'est qu'après constatation ou prononcé de celle-ci qu'il pouvait être accusé et jugé comme les autres citoyens. Or MORISSON nous explique que la déchéance royale n'est intervenue qu'avec l'abolition de la royauté prononcée par la convention le 21 septembre 1792; tous les crimes commis avant cette date ne pouvaient lui être imputés. Cette thèse séduisante a été combattue par CONDORCET dans un discours daté du 3 décembre 1792 qui ne fut jamais prononcé à la tribune de l'Assemblée mais simplement diffusé en brochure et annexé 24 aux compte-rendus des débats de la journée du 3 décembre. CONDORCET y affirme d'abord le principe de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale et soutient que Louis doit être jugé par référence à la loi ordinaire, faute d'une procédure extraordinaire, définie par le droit positif pour permettre le jugement des Rois. CONDORCET retient que "tout ce qu'a fait le Roi comme dépositaire d'un pouvoir national ne peut lui être imputé" pour relever aussitôt que ce qu'on lui reproche est étranger à ses fonction royales. Le crime de trahison ne serait donc qu'un crime ordinaire dépassant la fonction et qui fait perdre à son auteur les privilèges attachés à sa qualité au premier rang desquels se trouve l'inviolabilité constitutionnelle. CONDORCET conclut son raisonnement en affirmant que "l'impunité du Roi n'est pas inscrite dans la constitution." La thèse de MORISSON, juridiquement sans faille, est soutenue par une analyse textuelle rigoureuse. Le juriste ne peut qu'être séduit car elle correspond bien aux principes généraux du droit pénal admis de nos jours, et spécialement ceux qui posent l'interprétation stricte des lois pénales et l'interdiction de leur rétroact ion. La thèse de CONDORCET, déjà plus politique est une solution de compromis bien dans l'esprit du parti girondin: s'il faut commettre l'acte de régicide, au moins mettons-y quelques formes: l'exécution du monarque, acquise dès le départ, sera plus acceptable par la postérité. Pour étudier le rôle joué par LINDET dans le procès de Louis XVI, j'ai disposé de 2 documents détenus à la bibliothèque de BERNAY: 1 - un document intitulé: "rapport qui a précédé l'acte énonciatif des crimes de Louis Capet lu à la Convention Nationale, au nom de la commission des 21, le 10 décembre 1792, l'an premier de la République." C'est ce document qui servira à BARERE, alors président de la Convention pour mener l'interrogatoire du Roi après qu'il ait été adopté par l'Assemblée avec des retouches mineures. 2 - un document intitulé: "attentats et crimes de Louis, dernier Roi des français par R.LINDET, député à la Convention Nationale@ Ces 2 documents sont l'oeuvre de Robert LINDET: le premier a été lu par lui-même devant la Convention le soir du 10 décembre en sa qualité de membre du comité de législation et de rapporteur de la commission des 21. De l'aveu même de l'auteur, il s'agit d'un document de travail préliminaire à l'acte d'accusation qui n'est pas encore tout à fait prêt. Sur ordre de la Convention, LINDET, qui vient de travailler 24 sans désemparer pendant trois jours et deux nuits reprend sa plume et consacre une troisième nuit à la rédaction de l'acte énonciatif définitif. Epuisé par l'effort, il ne pourra présenter lui-même son réquisitoire devant la Convention le lendemain et laissera ce soin au conventionnel BARBAROUX. Le second est un opuscule que LINDET a fait publier de sa propre initiative après le procès et qu'il avait présenté à la Convention le 7 janvier comme son "opinion sur Louis Capet" Ces 2 documents diffèrent quelque peu. Il m'a paru intéressant d'étudier d'abord l'opuscule intitulé: "ATTENTAT et crimes de LOUIS, dernier Roi des français", document qui reflète au plus près l'exacte opinion de LINDET sur les crimes du Roi, même si sa valeur historique est moindre compte tenu du fait que LINDET s'est donné le temps de le retravailler après l'événement. Le titre de ce document recèle déjà de précieux renseignements: "Attentat" est au singulier alors que "crimes" est au pluriel; LINDET va donc analyser UN attentat et DES crimes. Dans son esprit, l'ATTENTAT est sans nul doute l'atteinte portée à la souveraineté Nationale; l'opuscule de LINDET commence en effet par cette phrase: "Louis a attenté à la souveraineté Nationale". Au sens propre, un attentat est une entreprise violente une tentative criminelle contre les personnes ou les biens; au sens figuré, c'est un acte qui heurte la raison. Il n'est pas inintéressant de noter que dans cette acception du terme, LINDET accuse Louis d'avoir mené une entreprise criminelle contre la souveraineté Nationale ce qui heurte la raison. C'est là une vision incontestablement rousseauiste des choses. La souveraineté peut se définir comme un principe abstrait d'autorité suprême dans le corps politique. La Nation constitue donc l'autorité politique suprême dans le concept de souveraineté Nationale; elle s'oppose évidemment à l'ancienne souveraineté royale. Cet attentat perpétré contre la souveraineté Nationale constitue bien le grief le plus grave retenu contre Louis; d'ailleurs la conclusion du document rejoint cette analyse: "Louis a formé, suivi et exécuté depuis le commencement de la révolution un PLAN DE CONSPIRATION qui embrasait le continent et les colonies, qui lui livrait la France par la main des rebelles de l'intérieur et par les armes des puissances étrangères; que Roi d'un peuple libre, il en est devenu l'assassin pour envahir la souveraineté Nationale." 24 Louis a perpétré cet attentat au moyen d'un certain nombre de crimes (d'où le pluriel); en fournissant aide et assistance aux rebelles de l'intérieur et en soutenant des puissances étrangères favorables à la restauration monarchique, le tout s'inscrivant dans un plan de conspiration. Ces crimes ne sont en fait que les moyens employés par le Roi pour commettre l'attentat; LINDET l'affirme d'emblée dans les 2 premières phrases de son opuscule: "Louis a attenté à la souveraineté Nationale, je vais retracer par quels crimes il a tenté de l'envahir". Dans le titre de cet opuscule, Louis est qualifié de "dernier Roi des français". Ce n'est plus LOUIS XVI Roi de France. Ce n'est pas encore Louis CAPET. On retrouve ici encore, l'idée de souveraineté Nationale dont les français, pris dans leur globalité abstraite, sont l'expression, "la Nation de qui seuls émanent tous les pouvoirs" (article 2 titre 3 de la Constitution du 3 septembre 1791) y compris le pouvoir exécutif "délégué" au Roi (article 4,titre 3). La référence à la Constitution de 1791 est évidente puisque l'article 2 du Chapitre 2 du titre 3 conférait expressément à Louis le titre de "Roi des Français". LINDET reprend donc le titre qui fut officiellement celui de Louis jusqu'à l'abolition de la monarchie. On peut ajouter que s'il fut le dernier Roi des français, il fut aussi le premier puisque tous ses prédécesseurs et lui-même jusqu'en 1789 étaient Rois de France. Le rapport préliminaire n'est pas titré; il est qualifié sèchement de "RAPPORT qui a précédé l'acte énonciatif des crimes de Louis Capet, lu à la Convention Nationale au nom de la commission des 21 le 10 décembre 1792, l'an premier de la République". Dans l'introduction, LINDET qualifie Louis de tyran qui s'est constamment appliqué à empêcher et à retarder les progrès de la liberté et même de l'anéantir. Le Roi est accusé d'avoir "conçu, dirigé et exécuté un plan de conspiration qui devait anéantir l'Etat". Cette formulation est à rapprocher de la première question posée officiellement aux conventionnels le 16 janvier 1792 juste avant les votes: "Louis CAPET, ci-devant Roi des français est-il coupable de conspiration contre la liberté et d'attentat contre la sûreté de l'Etat ?" On retrouve dans cette question l'accusation fondamentale affirmée par LINDET dès le 10 décembre: l'atteinte au principe de liberté et le plan de conspiration visant à anéantir l'Etat, ce qu'on appellerait aujourd'hui dans nôtre vocabulaire moderne "L 'ATTEINTE À LA SÛRETÉ DE L'ETAT" et que l'on retrouve dans le code pénal actuel au chapitre 1 du titre 1 du livre 3 du code sous le titre "crimes et délits contre la sûreté de l'Adapte (articles 70 à 103 du code pénal). 24 Que ce soit dans son rapport ou dans son opuscule, LINDET a suivi un plan strictement chronologique pour l'exposé des faits imputés à Louis XVI. Ces documents constituent par là même une excellente approche de l'histoire révolutionnaire des années 1789 à 1792. Examinons ces chefs d'accusation les uns après les autres. La réaction du Roi face à la proclamation de l'Assemblée Nationale: LINDET retient deux choses: il impute tout d=abord au monarque un attentat contre la souveraineté populaire en suspendant le cours des séances de l'Assemblée le 20 juin 1789; le Tiers Etat, renforcé de quelques ecclésiastiques et nobles libéraux avait décrété le 17 juin qu'il constituait désormais l'"Assemblée Nationale" avec mission de donner une Constitution à la France. En réaction, le Roi décréta une séance royale pour le 23 juin et fit fermer l'Hôtel des Menus Plaisirs où siégeait l'Assemblée. Ceci devait conduire au Serment du Jeu de Paume et à la déclaration solennelle des représentants du peuple de ne point se séparer jusqu'à ce qu'ils aient donné une Constitution à la France. Pour motiver ce premier grief, LINDET reproche encore à LOUIS sa volonté de dicter sa loi à l'Assemblée Nationale le 23 juin 1789. Il s'agit de la séance royale où selon LINDET, le Roi a tenté d'user de la force pour empêcher les représentants du peuple de donner une Constitution à la France. Sous la menace de troupes massées à proximité et prêtes à intervenir, le Roi oppose sa légitimité et sa souveraineté à celles que revendique ouvertement l'Assemblée. Il n'accepte pas l'émergence de ce nouveau pouvoir, indépendant de lui. L'Histoire nous enseigne effectivement que cette séance royale avait bien pour objectif de briser l'élan démocratique insufflé par le Tiers. LINDET a donc raison, le Roi a tenté d'user de la force pour empêcher les représentants du peuple de donner une Constitution à la France. L=attitude du Roi pendant les événements de juillet 1789: constitue le second chef d=accusation. LINDET retient à la charge du monarque le fait d'avoir "fait marcher une armée contre les citoyens de Paris alors que dans le même temps, il trompait le peuple par ses discours des 9, 12 et 14 juillet 1789". L'auteur évoque ici les troubles qui ont agité Paris dans les jours qui ont précédé la prise de la Bastille. Ce chef d'accusation est analysé minutieusement dans le rapport préliminaire. Il n'est repris que succinctement et en ces termes dans l'opuscule ultérieur: "LAMBESC donna aux Tuileries le signal du meurtre ou des hostilités. Un détachement de chasseurs s'avança, le 14 juillet, dans le faubourg ST Antoine et y répandit l'alarme. Louis avait déclaré la guerre au peuple..." LINDET y soutient encore que, sur ordre exprès du Roi transmis par un courrier de la Cour, le Gouverneur de la Bastille fit tirer l'artillerie sur le peuple ce qui occasionna plusieurs 24 morts. Dans le rapport préliminaire, LINDET examine minutieusement les préparatifs militaires organisés par le Roi pour réprimer les troubles qu'il perçoit dans Paris. Il fait masser aux environs de Paris et de Versailles des troupes Nationales et étrangères et des pièces d'artillerie, il s'oppose à l'Assemblée qui l'invite le 8 juillet à retirer les troupes en des termes sans équivoque et qui révèlent qu'il est personnellement informé de la situation et responsable du dispositif mis en place, il renvoie trois de ses ministres qui tentent de s'opposer à ce déploiement de force, marquant ainsi son adhésion totale à l'épreuve de force; le 12 juillet, face à une députation de l'Assemblée venue lui faire part des risques encourus du fait de la présence de ces troupes à Paris, Louis répond: "Je vous ai fait connaître mes intentions sur les mesures que les désordres de Paris m'ont forcé à prendre. C'est à moi seul de juger de leur nécessité et je ne puis à cet égard apporter aucun changement@; le 14 juillet, Louis répond à une députation de l'Assemblée venue lui faire part de ses inquiétudes et des événements de la Bastille: "J'avais donné ordre au prévôt des marchands et aux officiers municipaux de se rendre ici pour concerter avec eux les dispositions nécessaires; instruit de la formation d'une garde bourgeoise, j'ai donné ordre à des officiers généraux de se mettre à la tête de cette garde. J'ai ordonné aux troupes qui sont au champ de mars de s'écarter de Paris...Vous déchirez mon coeur par le récit des malheurs de Paris; il n'est pas possible de croire que les ordres donnés aux troupes en soient la cause. Je n'ai rien à ajouter à la réponse que j'ai faite à vôtre précédente délégation." Dans l'exposé des événements précédant la prise de la Bastille, LINDET, Accusateur du Roi, utilise plusieurs formules particulièrement intéressantes dans la perspective du procès; car rappelons - le, LINDET n'écrit pas l'Histoire; il dénonce des crimes; "il ne fut plus permis de douter que Louis voulait asservir l'Assemblée et la nation" ou encore, "Le Roi avait résolu de réprimer les élans de la liberté"; Louis avait "déclaré la guerre au peuple". L'énoncé des événements ne sert qu'à renforcer l'argumentation: en agissant comme il l'a fait, en pleine connaissance de cause, contre l'avis de l'Assemblée et de certains de ses ministres, le Roi poursuit son plan de conspiration et de trahison. C'est de cela qu'il doit rendre compte. Peut-on suivre LINDET sur ce terrain ? un monarque investi du pouvoir exécutif dans l'exercice de ses fonctions use de moyens légaux pour réprimer par la force des mouvements de foule à caractère insurrectionnel qui troublent l'ordre public; commet-il par là-même le crime de trahison ou celui de conspiration même si le rôle qu'il a joué à cette période est ambigu et traduit l'élaboration à Versailles d'un plan de contre-révolution ? On sent bien que ce débat n'a rien de juridique 24 car il est tout entier politique. Le Roi eût-il vaincu la personne ne le lui aurait reproché. Abattu, ses demandent compte de ce qui ne fut qu'un rapport de Sur ce point, ROBESPIERRE et SAINT JUST ont au d'être clairs. Révolution que adversaires lui forces politique. moins le mérite Les réactions du Roi après la chute de la Bastille constituent le troisième chef d=accusation. Le Roi se rend à Paris le 17 juillet; à l'Hôtel de Ville il arbore la cocarde tricolore, emblème de la Ville de Paris insurgée et confirme avoir donné l'ordre aux troupes massées à proximité de la capitale de se retirer de PARIS et VERSAILLES. Dans le même temps, une première émigration a passé les frontières. Le comte d'Artois, frère du Roi, les princes Condé et Conti, partisans de la répression lors des événements du 14 juillet et du départ du Roi pour Metz avec des troupes fidèles ainsi que le maréchal de Broglie, ministre de la guerre depuis le 11 juillet, ont fui. LINDET voit dans les propos et l'attitude du Roi une manoeuvre royale pour tromper le peuple; il écrit: "Louis fut contraint de désarmer...dissimulant la défaite, et voulant prévenir les suites, il invita l'Assemblée Nationale à concourir avec lui au rétablissement de la paix. Il suspendit la foudre que sa main était prête à lancer contre le peuple parce qu'il craignit que les éclats n'en rejaillissent sur le trône...Il se rend le 17 à Paris. Il annonce les mêmes dispositions et cependant il médite et prépare de nouveaux attentats@. Peut-on reprocher à Louis d'avoir choisi dans ces circonstances, le parti de la modération: il retire ses troupes, refuse de s'enfuir et pactise avec les insurgés parisiens; est-ce par ruse ou par tactique ? Il semble acquis aujourd'hui que le Roi avait compris que la révolution avait remporté une victoire importante. Il en prit acte. Que n'aurait dit LINDET si le Roi avait suivi le conseil des princes du sang pour se réfugier à Metz ? Les réactions du Roi après la nuit du 4 août 1789 et l'abolition des privilèges lui sont également imputées à charge. Alarmée par la révolte paysanne de la fin du mois de juillet 1789 que l'Histoire retiendra sous le nom de "Grande Peur", l'Assemblée, dans un élan de générosité calculé, abolira les privilèges lors de la séance de nuit du 4 août 1789. Dans les jours qui suivirent, les députés allaient débattre âprement du contenu légal de cette abolition et de sa mise en forme juridique. Le 11 août 1789, l'Assemblée Nationale décrétait l'abolition de la servitude personnelle, du régime féodal et de la dîme ecclésiastique, l'admission de tous à tous les emplois et la justice gratuite et égale pour tous. L'essentiel de ces dispositions sera repris le 26 août dans la DÉCLARATION 24 DES DROITS DE L 'HOMM E ET DU CITOYEN que le Roi n'acceptera formellement que le 5 octobre suivant. En effet, le 12 septembre, un décret avait accordé au Roi le droit de sanctionner les lois ou d'en suspendre l'exécution par le refus de son consentement. Louis usa de ce pouvoir pour s'opposer à l'entrée en vigueur de ces décrets. LINDET voit dans cette détermination royale, le souci du monarque d'entraver, par des moyens autres que la force qui avait échoué le 14 juillet, l'action de l'Assemblée. Il n'est pas douteux que Louis usa de tous les moyens en son pouvoir pour empêcher l'entrée en vigueur de ces décrets qui constituaient une rupture essentielle avec l'Ancien Régime. Il l'avait écrit dès le 5 août à l'archevêque d'Arles: "je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse...Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient@. Voilà qui est clair. Fort du veto accordé le 12 septembre, Louis va utiliser tous les registres pour parvenir à ses fins: critique minutieuse et juridique des décrets le 18 septembre, acceptation des décrets sous condition de vote de lois interprétatives le 21, refus de promulgation et appel du régiment de Flandre à VERSAILLES le 25. LOUIS refuse la fin de la société aristocratique et une fois encore, on retrouve le choc des deux souverainetés, des deux légitimités qui s'opposent. L'affaire de la cocarde tricolore et la démonstration de la trahison royale est ainsi articulée par LINDET; le Roi est accusé d'avoir "doublé ses gardes, appelé le régiment de Flandre, organisé une orgie où il a laissé fouler aux pieds la cocarde tricolore nécessitant ainsi par son attitude une nouvelle insurrection". Le 1er octobre 1789, les officiers de la garde royale avaient invité à dîner ceux du régiment de Flandre dans la salle de l'opéra de VERSAILLES. A la fin du banquet copieusement arrosé, le Roi et la reine, qui tient le dauphin dans ses bras, paraissent dans leur loge. Ils sont accueillis par des cris de joie; à leur départ certains officiers foulent aux pieds la cocarde tricolore. L'incident, connu à Paris deux jours après, provoqua une émeute. Voici comment LINDET relate après coup ces événements dans l'opuscule rédigé postérieurement: "A la fin de septembre, ses gardes, le régiment de Flandre qu'il avait fait arriver à Versailles, portèrent la cocarde blanche (symbole de la monarchie); les femmes de la cour distribuèrent de pareilles cocardes... Les couleurs de la nation furent foulées aux pieds. On prépara dans des orgies et des fêtes publiques un événement qui devait occasionner les plus grands 24 troubles dans l'état." Dans le rapport préliminaire, LINDET avait développé les mêmes arguments d'une manière plus détaillée et mis directement en cause la responsabilité de la reine dans ces événements ce qui historiquement est parfaitement exact. A première vue, ce grief imputé au Roi manque de sérieux. Comment le rendre responsable de quelques propos déplacés prononcés par des soudards imbibés d'alcool ? En réalité, c'est toute la symbolique de la Révolution qui est en jeu; la cocarde tricolore est l'emblème de la Révolution: la fouler aux pieds, c'est rejeter l'acquis des Trois mois précédents dont les hommes de la Révolution et le peuple de Paris ne sont pas peu fiers. L'outrage est consommé par ceux-là même qu'on sait capables d'abattre la Révolution, la garde royale et le régiment de Flandre appelé en renfort pour faire pression sur l'Assemblée et refuser d'avaliser les décrets d'août. Bien plus, le peuple se convainc de l'existence d'un complot royal et de la trahison du monarque; n'avait-il pas lui-même arboré la cocarde tricolore le 17 juillet à l'Hôtel de Ville de Paris ? En la laissant fouler aux pieds par ses troupes fidèles, Louis se trahit et trahit la Patrie. Cette analyse est confortée par les projets que l'on prête au Roi de quitter Versailles; LINDET écrit: "on s'attendait à la fuite du Roi". Les troubles de l'année 1790 sont également repris à charge contre le Roi. Après le retour du Roi et de sa famille aux Tuileries début octobre 1789, les événements se ralentissent; c'est le début de "l'année heureuse" selon l'expression de François FURET. LINDET n'y trouvera que quelques événements épars pour nourrir son réquisitoire. Il impute au Roi quelques troubles qui vont agiter plusieurs provinces françaises au cours de cette année 1790: troubles religieux dans la région de Nîmes, insurrection contre révolutionnaire de la garnison de Nancy. Il voit dans ces événements la manifestation de menées contre-révolutionnaires pour désorganiser l'armée et visant à rétablir la monarchie absolue sous couvert de défense de la religion. Ici encore, le crime de trahison et d'atteinte à la sûreté de l'Etat sous-tend l'accusation. Les tentatives de fuite du Roi vont certainement compter pour beaucoup dans le processus tragique qui va conduire Louis sur l=échafaud. Depuis le début de la Révolution, en 1789, de nombreux plans de fuite plus ou moins sérieux, ont été élaborés par des partisans de la monarchie, souvent avec l'aval de la Reine. Dans son réquisitoire, Robert LINDET retiendra trois séries de faits: 24 Le premier plan de fuite mis au point par un certain LAPORTE, intendant de la liste civile, est développé dans un mémoire du 23 février 1791 remis au Roi qui l'a apostillé de sa main. Selon LINDET, ce projet prévoyait d'assurer la fuite de la famille royale contre une somme de 1,5 millions de livres prélevée sur la liste civile. Ce projet fait l'objet d'une longue analyse dans le rapport de LINDET ainsi que dans l'opuscule ultérieur; Il est vraisemblable que LINDET a pu consulter directement le document incriminé, tant il fournit de détails sur son contenu. Cependant, dans un document comme dans l'autre, l'exposé des faits est particulièrement confus et difficile à suivre. On peut s'interroger sur le manque de rigueur du travail de LINDET qui traite là d'un sujet essentiel dans la perspective du procès puisque les projets de fuite du Roi constituent un des chefs d'accusation majeurs retenus contre le monarque. En fait, LINDET est excusable car il n'a disposé de ce document qu'au dernier moment; en effet, dans la soirée du 10 décembre, il présenta son projet de rapport devant l'Assemblée expliquant qu'il n'avait pu terminer ses travaux faute d'avoir pu consulter certains documents placés sous scellés au greffe du Tribunal et dont le greffier refusait de se dessaisir. Ce n'est que sur ordre exprès de l'Assemblée que LINDET pourra obtenir communication de ces pièces dans la nuit du 11 au 12 et les intégrer dans son rapport définitif présenté le lendemain devant la Convention. La seconde tentative de fuite imputée au Roi date du 18 avril 1791. Ce jour-là, le Roi avait projeté de se rendre comme chaque année à ST CLOUD mais la foule l'en empêcha. Rien ne permet de dire que le Roi envisageait de fuir. Certains historiens pensent plutôt qu'il avait l'intention de se rendre à ST CLOUD avec sa famille pour assister à un service religieux célébré par un prêtre réfractaire. Cet incident, somme toute anodin, présente néanmoins un intérêt capital dans la mesure où il semble que c'est à partir de ce moment que le Roi se persuade de la nécessité de fuir. On sait en revanche que dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, Louis XVI, accompagné de la Reine, de ses enfants et de sa soeur quitta subrepticement Paris en direction des frontières de l'Est. Il fut arrêté à VARENNES et reconduit à PARIS. LINDET relate brièvement l'incident, comme si les faits étaient secondaires; là n'est pas l'essentiel; l'important, c'est la démarche royale, révélatrice du crime de trahison. Avant de partir, Louis avait confié à LAPORTE un manifeste destiné à l'Assemblée Nationale. La révélation de son contenu, alors que le Roi courait toujours fit l'effet d'une bombe. LOUIS y dénonçait l'anarchie régnante depuis la réunion des Etats Généraux; il expliquait que depuis lors, il était prisonnier et que toutes les marques de son ralliement aux 24 principes nouveaux avaient été obtenues sous la contrainte. Il se promettait de revenir dans Paris avec une constitution qu'il aurait librement accordée à l'opposé du "vain simulacre de royauté" qu'on lui avait fait jouer. LINDET s'applique à démontrer que ce document exprime les sentiments profonds du Roi. L=Accusateur est impitoyable "Cette déclaration est écrite de sa main, l'écriture, les corrections, les changements de composition, de rédaction, attestent qu'il en est l'auteur". LINDET poursuit: "Louis sortait de France en fugitif pour y rentrer en conquérant". Et cette reconquête ne pouvait être réalisée qu'avec l'appui des traîtres émigrés et des armées étrangères. "Il voulait le renversement de l'Etat". Nous pénétrons ici au coeur de l'accusation dirigée contre le Roi; en effet, la conjugaison de la publication du manifeste et de la fuite du Roi révèle au grand jour la trahison royale. Il publie ses sentiments contre-révolutionnaires, il s'enfuit nuitamment pour gagner l'étranger, il va chercher le soutien des ennemis de la France et il projette de revenir en vainqueur et d'abattre le régime. LINDET n'a aucun mal à nous convaincre même si par la suite l'authenticité du manifeste royal sera discutée; ce qui importe, c'est l'impact de ce document au moment de sa révélation. Le crime de trahison et l'atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat sont indiscutables pour les contemporains de LINDET. La fuite à Varennes et le retour du Roi avaient mis PARIS en ébullition. A l'Assemblée, on s'interrogea longuement sur le sort qu'on devait réserver au Roi: cer tains réclamaient sa déchéance et l'instauration de la République, d'autres adoptaient une attitude plus modérée. Le Roi quant à lui jurait ses grands dieux qu'il n'avait jamais eu de mauvaises intentions. Finalement, le 13 juillet, la commission chargée à l'Assemblée d'instruire l'affaire dite de "l'enlèvement@ estimait que rien ne pouvait être reproché au Roi qui pouvait sortir de PARIS tant qu'il restait dans son royaume, que Louis avait été "arraché" à la capitale par des factieux et que le manifeste du 20 juin n'avait aucune valeur puisqu'il n'était pas contresigné par un ministre en exercice. Ces conclusions scandaleuses furent adoptées par l'Assemblée à une large majorité provoquant ainsi l'indignation populaire. Effrayés, les membres du Club des Cordeliers proposèrent alors de soumettre au peuple une pétition réclamant la déchéance du Roi et de la porter au Champ de Mars pour qu'elle recueille les signatures du plus grand nombre. Le 17 juillet 1791, la foule se rassembla devant l'autel de la Patrie au Champ de Mars pour signer la pétition malgré l'hostilité déclarée de l'Assemblée qui avait ordonné au Maire de Paris de disperser tout rassemblement. La loi martiale fut décrétée et la Garde Nationale se porta au Champ de Mars: quelques échauffourées éclatèrent et la Garde tira dans la foule, contrairement aux ordres 24 exprès de son chef, LA FAYETTE; on devait relever de nombreux morts et blessés. Voici ce que LINDET écrit sur ces événements: "La Fayette, l'ami de Louis, est informé le 17 juillet, qu'un grand nombre de citoyens se sont réunis au Champ de Mars pour signer une pétition sur l'autel de la Patrie; il s'y rend avec la Garde Nationale et y fait transporter plusieurs pièces d'artillerie; il fait tirer sur le peuple et le Champ de Mars devenait le tombeau de la liberté." On est surpris de constater ici que LINDET prend quelques libertés avec la vérité historique; jusqu'à présent, on ne l'avait pas pris en défaut. Pourquoi ces incertitudes et ces approximations ? On peut avancer plusieurs explications. Ces événements datent de moins de 18 mois au moment où LINDET écrit et ils ont révélé une profonde cassure à l'Assemblée entre les partisans de la déchéance royale et le parti modéré. Plus qu'un exposé de contre-vérités, la thèse de LINDET est une approche personnelle des événements, a posteriori. Quoiqu'il en soit, à s'en tenir à l'examen brut des événements, on ne voit pas ce qui pourrait être imputé à charge à Louis XVI. Il s'agit plutôt d'une manifestation du conflit qui oppose les tenants de la Révolution Bourgeoise à ceux d'une radicalisation du mouvement. LINDET va encore reprocher au monarque l=organisation de plusieurs tentatives de corruption. Il écrit: "Pour corrompre l'esprit public, il salaria des écrivains, des journalistes, des orateurs. Il entretint des pensionnaires dans les sections des bataillons, dans les clubs, à la commune et jusque dans le sein de l'Assemblée Nationale." Selon lui, TALON fut chargé à Paris de soudoyer tous les foyers de la Révolution, tandis que MIRABEAU agissait de même en province. Il est exact que le pays était secoué de soubresauts contre-révolutionnaires, mais ce que LINDET dénonce, c'est l'utilisation des fonds publics, puisés dans la liste civile pour rémunérer les agents de la contre-révolution. Les rapports du Roi avec l'Emigration et l'Etranger constituent un autre temps fort du Réquisitoire. LINDET évoque tout d=abord la convention de PILLNITZ. Le 27 août 1791, l'empereur d'Autriche et le Roi de Prusse signaient ensemble la Déclaration de PILLNITZ; en voici le texte: "Sa Majesté l'Empereur et sa Majesté le Roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de Monsieur le Comte d'Artois, déclarent conjointement qu'elles regardent la situation où se trouve actuellement le Roi de France comme un objet d'intérêt commun pour tous les souverains d'Europe." 24 Le contenu de cette déclaration, gardé secret pendant près d'une année, sera repris par le manifeste de BRUNSWICK en juillet 1792 et connu en France le 1er août. Louis XVI, qui semble avoir été informé de l'accord austro-prussien mais qui n'en a rien révélé, voit dans la guerre le moyen de retrouver sa puissance: "Au lieu d'une guerre civile, ce sera une guerre politique, et les choses en seront bien meilleures. L'état physique et moral de la France fait qu'il est impossible de la soutenir." écrit-il alors. Pour Robert LINDET "L'empereur et le Roi de Prusse s'engagèrent à relever en France le trône et la Monarchie absolue et à soutenir l'honneur des couronnes contre les entreprises du peuple français." ... "Ses frères, ses cousins, pressaient en son nom l'exécution de la Convention de PILLNITZ...Les frères de Louis ralliaient tous les émigrés à leur drapeau flottant sur les frontières de la France." Les rapports du Roi avec l'émigration sont regardés par LINDET comme constitutifs de l=acte de trahison. L=auteur recense les éléments à charge qui selon lui révèlent le rôle joué par Louis pour favoriser l'émigration: "Le Corps Législatif porte un décret le 9 novembre contre les émigrés; Louis en suspend l'exécution... "son ancienne maison militaire se forme à Coblence..."Il laisse payer les appointements...des grands et autres officiers qui sont émigrés... à l'aide de subsides prélevés sur la liste civile@. LINDET y voit la preuve du double jeu royal car dans le même temps, il désavouait officiellement les contacts noués à l'étranger en son nom par des émigrés. Le Roi est encore accusé d=avoir participé sciemment à l=affaiblissement de l'armée. En mai 1792, le corps législatif avait décrété la levée de 20 000 hommes; le Roi usa de son veto pour suspendre l'exécution de ce décret alors que la situation militaire exigeait le renforcement des troupes de ligne; à plusieurs reprises, le Roi s'opposera au recrutement de nouvelles troupes ou en limitera le nombre, le plus souvent d'ailleurs sur les conseils de son ministre de la Guerre ou de chefs militaires considérés comme suspects par les hommes de la Révolution. Par ailleurs, l'armée était désorganisée par certains de ses chefs et dispersée sur le territoire national alors que l'ennemi était aux frontières de l'Est et du Nord. La marine était dans le même état; son ministre BERTRAND délivrait encore des passeports et des congés aux officiers pour voyager à l'étranger alors que la Patrie était en danger. Interpellé sur ce point, LOUIS déclara qu'il était satisfait des services de ce ministre. 24 Il est vrai qu'à la fin du mois d'août 1792, la situation militaire est catastrophique, la France est sur le point d'être envahie: les autrichiens ont conquis le Nord du pays; les prussiens sont en Lorraine et détiennent les deux places fortes que constituent LONGW Y et VERDUN. Les craintes les plus vives s'emparent de la population et la menace d'un déferlement étranger vers PARIS n'est pas exclue. La situation ne sera rétablie qu'après la victoire de VALMY le 20 septembre 1792. LINDET rend Louis responsable de la perte de LONGWY et de VERDUN: "la nation, trahie et perdue était livrée à ses ennemis sans pouvoir rendre combat." Il est bien difficile de déterminer la part de responsabilité du Roi dans l'impréparation militaire de l'été 1792. Ce qui est sûr, c'est que le Roi voyait dans l'invasion étrangère, le dernier recours pour sauver son trône; de là à tout mettre en oeuvre pour affaiblir l'armée française...On peut le penser effectivement. LINDET retient aussi l'appui fourni à la contre-révolution intérieure;. Sur ce chapitre, il formule trois séries de griefs. Depuis le début de l'été 1792, l'agitation affectait l'ensemble des départements; à plusieurs reprises, le Roi refusa d'accorder sa sanction à des décrets du corps législatif qui visaient à rétablir l'ordre public: LINDET accuse: "LOUIS s'est persévéramment refusé à concourir aux mesures qui pouvaient assurer la tranquillité de l'intérieur". Les idées nouvelles rencontraient quelques difficultés à s'imposer dans les colonies et notamment aux Antilles où les anciens administrateurs toujours en place, avaient pris fait et cause pour la contre-révolution. L'Assemblée s'en était émue et avait envoyé sur place un commissaire nommé LACOSTE, qui, rentré en France, se vit confier le portefeuille de la marine. LINDET retient à la charge de ce ministre et du Roi qui l'avait nommé son manque d'énergie à réprimer les troubles et à faire reconnaître la souveraineté Nationale. Face aux troubles de plus en plus nombreux, le Ministère donna sa démission collective au Roi le 10 juillet 1792 mettant gravement en cause le rôle joué par l'Assemblée dans l'origine des troubles. LINDET impute à Louis la responsabilité d'avoir maintenu ce ministère en fonction jusqu'au 23 juillet pour serv ir ses propres desseins contre-révolutionnaires. Il écrit: "ces événements...appartiennent à ce vaste plan de conspiration dont Louis ne cessa pas de s'occuper pendant la session du Corps Législatif...la guerre civile allumée dans tous les départements par le fanatisme et l'aristocratie, l'invasion des émigrés et des puissances étrangères, le maintien du gouvernement despotique et aristocratique dans les colonies sont les 24 parties de ce plan toujours suivi, auquel se rapportent la conduite et toutes les actions de Louis." La duplicité de Louis n'est plus à démontrer: les troubles qui agitèrent la France et l'action de l'étranger et de l'émigration n'étaient pas pour lui déplaire. Chaque fois qu'un acte positif de sa part pouvait favoriser la contre-réévaluation il n'hésitait pas à le commettre en refusant par exemple d'accorder sa sanction aux décrets du corps législatif, malgré ses serments de fidélité à la Constitution. Doit-on pour autant lui imputer l'entière responsabilité des événements ? La plupart furent commis en son nom, mais pas tous. C'est plus un soutien moral (et parfois financier) aux menées contre-rév olutionnaires que des actions positives que l'on peut reprocher au Roi. Au matin du 10 août 1792, une commune insurrectionnelle se forme à PARIS et chasse l'ancienne municipalité. Deux colonnes convergent vers les Tuileries où séjourne la famille royale; une fusillade éclate entre la Garde Suisse et les manifestants; là encore, on allait dénombrer de nombreux morts (376 morts et blessés selon François FURET). Après ces événements, le Roi est suspendu et le pouvoir exécutif est remis à un conseil dans l'attente d'une nouvelle constituante. Le Roi est transféré au Temple. LINDET impute la responsabilité de cette journée au Roi; il relève les éléments suivants: "le 9, les appartements du château se trouvent emplis d'hommes armés qui y passent la nuit..."le 10, le Roi fait la revue des suisses à 5 heures du matin..."Les citoyens s'avancent avec confiance vers le château et c'est alors que l'on tire sur eux...@ En fait, la responsabilité royale dans ces événements n'est pas aussi évidente que LINDET le laisse paraître, même si le rôle important joué par le Roi dans la préparation de la défense du château semble évident. François FURET écrit: A10 août 1792. Le drame qui se déroule aux Tuileries dépasse de beaucoup la destinée personnelle de Louis XVI et le sort d'une Assemblée Législative débordée par la rue. C'est un gigantesque écroulement. De la construction échafaudée par l'Assemblée Nationale constituante, la maîtresse poutre s'effondre. L'intervention populaire ouvre cette fois le suffrage aux masses, et à la monarchie substitue une république de fait sinon de droit." Si l=on récapitule les griefs du Réquisitoire de LINDET, on peut dire que les chefs d'accusation retenus peuvent être regroupés de la 24 manière suivante. Tout d=abord les griefs touchant à la trahison du Roi: tentatives de corruption, tentatives de fuite, rapports avec l'étranger et l'émigration, appuis à la contre-révolution intérieure; puis les griefs touchant au choc des souverainetés: réaction à la proclamation de l'Assemblée Nationale, réactions après la chute de la Bastille, réactions après la nuit du 4 août. Enfin les griefs touchant aux troubles à l'ordre public: attitude pendant les événements de juillet 1789, affaire de la cocarde, troubles de l'année 1790, événements du 17 juillet 1791, événements du 10 août 1792. La première série de griefs est seule opérante dans la perspective du procès. En effet, les griefs touchant au choc des souverainetés ne peuvent être retenus efficacement. Louis n'avait pas à rendre compte de sa conception de l'Etat et du pouvoir politique, du moins dans une perspective judiciaire. Quant aux troubles à l'ordre public, leur imputabilité directe au monarque est très incertaine. Venons en à présent à la conclusion de l'acte d'Accusation. Assez curieusement, alors que le rapport préliminaire, document historique officiel, ne comporte qu'une conclusion résumant les charges retenues contre le Roi, l'opuscule ultérieur est assorti d'un projet de décret ainsi rédigé: "La Convention Nationale, considérant ... (reprise résumée des crimes imputés) Décrète que Louis, seizième du nom, dernier Roi des français, sera puni de mort. Le Conseil Exécutif Provisoire fera exécuter la présente loi dans les vingt quatre heures et en rendra compte à la Convention Nationale." QUELLE ANALYSE CRITIQUE D'ACCUSATION RÉDIGÉ par LINDET ? PEUT-ON PORTER SUR L'ACTE Je n'ai pas entendu placer mon propos sous l'angle de l'Histoire et je n'entends pas analyser l'oeuvre de LINDET au regard de la vérité historique. En effet, il nous est loisible aujourd'hui, avec deux siècles de recul, de juger, documents et thèses à l'appui, de la conformité des faits retenus à la vérité historique. Pour apprécier le travail réalisé, Il faut toujours garder en mémoire les conditions mêmes dans lesquelles LINDET a rédigé son rapport, sans disposer du temps nécessaire pour parfaire son étude ni même des documents de base nécessaires à son travail. Il ne faut pas oublier non plus qu'il écrivait sur des événements récents qui pour la plupart avaient déchaîné les passions et qu'il a pu de la sorte être influencé par l'ambiance du moment. Globalement, l'analyse de LINDET est très proche de la vérité historique dans l'exposé des faits; lorsqu'il s'en est écarté, je l'ai signalé. 24 C'est dans l'interprétation des événements, dans la dimension politique qu'il leur donne, que l'oeuvre de LINDET pourra être contestée. Mais sur ce terrain, il appartiendra à chacun de forger son opinion. L'examen critique de l'oeuvre sous l'angle juridique me paraît beaucoup plus intéressante dans l=approche qui fut la mienne. Louis BLANC écrira plus tard que les faits antérieurs à la Constitution acceptée par le Roi (3 septembre 1791) ne semblent pas lui être opposables. En cela, il rejoint MORISSON que nous avons déjà rencontré et qui dès le 13 novembre 1792 attirait l'attention des conventionnels sur l'impossibilité juridique de juger le Roi pour les faits antérieurs à son abdication. Et cela, en raison même du principe énoncé à l'article 8 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui précise: "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée". L'argument avait déjà été perçu par les conventionnels et notamment par MAILHE qui, dès le départ, dans un discours à la Convention le 7 novembre 1792 déclarait: "On vous rappellera la Déclaration des Droits..., on vous demandera où est la loi qui pourrait être appliquée aux crimes dont Louis XVI est prévenu. Où est la loi? Elle est dans le code pénal, c'est la loi qui punit les prévarications des fonctionnaires publics !@. Néanmoins, MAILHE est mal à l'aise pour indiquer avec précision la référence légale à laquelle il nous renvoie; et il se sort de ce mauvais pas par un artifice: "Est-ce d'ailleurs dans le nouveau code français que ces lois se retrouvent ? N'existaient-elles pas de tous les temps et dans tous les pays ? Ne sont-elles pas aussi anciennes que les sociétés ?". MAILHE qui pose la question y répond immédiatement en affirmant que la Nation avait, par la nature même des choses, le droit impérissable d'appeler les Rois devant son tribunal et de leur faire subir la peine des oppresseurs et des brigands; et d'ajouter: "il est de la nature même de la souveraineté Nationale de suppléer, s'il le faut, au silence des lois écrites". Cette loi, dont on nous expliquait, il y a un instant qu'elle se trouvait dans le code pénal, il faut maintenant suppléer à ses silences. L'idée, si présente dans la philosophie rousseauiste, q u i im p ré g n ai t l 'e s p r it d e s c o n v e n t i o n n e ls, es t évidemment tirée de la théorie du droit naturel. Elle est cependant et radicalement sans effet en droit criminel, au moins comme nous l'entendons aujourd'hui; on ne peut attraire quiconque devant une juridiction répressive pour y répondre de ses actes qu'en vertu d'une règle de droit positif clairement énoncée et préexistante aux faits reprochés. En effet, il ne viendrait à l'esprit d'aucun magistrat du Ministère Public de poursuivre aujourd=hui tel ou tel acte (suicide, avortement, prostitution ou homosexualité...) au motif que de telles 24 actions sont contraires au droit naturel. Il est admis par tous aujourd'hui que, si le droit naturel peut servir à orienter et à juger le droit positif, il ne présente pas lui-même de caractère juridique. Le rôle d'un accusateur public dans un procès loyal est aussi, et d'abord de s'interroger sur l'état du droit positif en vigueur au moment de la commission des faits. LINDET ne l'a pas fait et l'examen des rapports et discours présentés à l'occasion du procès de LOUIS XVI permet d'affirmer que personne ne l'a fait, explicitement et de manière rigoureuse. Lorsque LOUIS XVI comparaît devant ses juges, qu'en est-il ? D'un côté, la Constitution du 3 septembre 1791 dont je rappellerai brièvement qu'elle accordait au Roi l'inviolabilité sous condition d'abdication forcée en cas de trahison. De l'autre, le Code Pénal des 25 septembre et 6 octobre 1791 qui réprimait, entre autres infractions, les crimes de trahison et d'atteinte à la sûreté de l'Etat. Les trois premières sections du titre 1er de la deuxième partie de ce décret sont respectivement consacrées aux crimes contre la sûreté extérieure de l'état, aux crimes contre la sûreté intérieure de l'état et aux crimes et attentats contre la Constitution. Ces textes ne recensent pas moins de 37 crimes dont la plupart étaient punis de mort. On retiendra pour l'essentiel l=intelligence avec des puissances étrangères, le port des armes contre la France, la livraison de places fortes à l'ennemi, l=incitation à la guerre civile, les atteintes au libre fonctionnement du corps législatif et les attentats contre la liberté individuelle. L'examen rapide de ces textes de droit positif démontre que LOUIS XVI s'est effectivement rendu coupable de faits susceptibles de tomber sous le coup de telles inculpations; Pouvait-on légalement le lui reprocher ? Pour pouvoir accuser le Roi de trahison, il fallait constater les actes qui lui étaient reprochés, - c'est ce qu'a fait LINDET - constater son abdication, - on peut estimer que ce fut fait le 21 septembre 1792 par la proclamation de la République - décréter qu'il était rentré dans la classe des citoyens ordinaires - cela n'a pas été fait - constater de nouveaux actes de trahison postérieurs à son abdication - aucun chef d'accusation retenu contre le Roi n'est postérieur au 21 septembre 1792 - et enfin l'attraire devant une juridiction de droit commun pour le juger dans les termes fixés par le Code Pénal de 1791 - ce n'est pas ce parti qui fut retenu par les conventionnels-. Il ne pouvait donc être reproché au Roi d'avoir enfreint une loi qui n'existait pas, ou qui ne s'appliquait pas à lui, au moment où les faits reprochés ont été commis. Tous les chefs d'accusation antérieurs à la Constitution de 1791 ou commis lorsqu'elle était en vigueur, sont donc sans valeur, sauf à considérer que certaines actions royales sont en 24 elles-mêmes répréhensibles au regard des normes légales qui régissaient l'ancien droit mais cela n'est pas possible, car le Roi, incarnation de l'Etat, ne pouvait se trahir lui-même. Dans une approche plus politique on peut dire, sans grand risque d=erreur que Louis fut jugé et mis à mort non pas parce qu'il était Roi, mais parce qu'il intriguait pour l'être de nouveau. C'est la thèse de Michael WALTZER, professeur à PRINCETON, que nous avons déjà cité. Sa culpabilité quant à l'appui qu'il octroya aux rebelles de l'intérieur et aux émigrés de l'extérieur ne fait aucun doute. Ses négociations avec les puissances étrangères qui cherchaient à envahir la France pour restaurer l'ordre ancien sont avérées. Pourtant, comment peut-on parler de procès loyal lorsqu'on sait qu'il fut mis en jugement en violation et des lois d'ancien régime et des lois instaurées par les révolutionnaires eux-mêmes, qu'il fut jugé au nom de principes politiques et légaux auxquels il n'a jamais adhéré et par un tribunal dont il ne reconnaissait pas l'autorité, composé en grande partie de ses adversaires politiques. Ces interrogations posent LE PROBLÈME DU RÉGICIDE. Etudier l'acte d'accusation composé par Robert LINDET revient inévitablement à se poser la question essentielle de la nature du procès du Roi et de son exécution. C'est comme l'écrit Michael WALTZER, As'arroger le droit présomptueux de juger les juges du Roi et leur jugement". Car, le juriste plus que tout autre, doit se demander si l'on est bien en présence d'un procès au sens étroit du terme. On peut en effet hésiter entre trois conceptions; est-ce une exécution capitale issue d'un procès loyal? (approche juridique stricte); est-ce un régicide c'est à dire la mise à mort d'un monarque incarnation mythique d'une conception rejetée du pouvoir politique? (approche politico-historique) ou n=est-ce pas tout simplement un assassinat, c'est à dire le meurtre prémédité d'un être humain en dehors de toute forme légale préétablie? (approche historico-anecdotique) ? On perçoit d'emblée toute l'ambiguïté contenue dans cette question; en effet, si l'approche historico-anecdotique que l'on retrouve dans l'assassinat d'HENRI IV par RAVAILLAC est à exclure, le choix entre l'approche juridique et l'approche politico-historique est plus délicat. On ne peut soutenir en effet que LOUIS XVI, comme d=ailleurs CHARLES 1er STUART en Angleterre en 1649, aient bénéficié d'un procès loyal; c'est donc la thèse du régicide, qui respecte davantage la réalité historique. En cela, l'argumentation de ROBESPIERRE et SAINT JUST offre l'avantage de la netteté théorique: il appartenait à la Convention de décréter que le Roi s'était placé lui-même au delà de la loi; le procès n'était donc pas nécessaire, il ne pouvait s'agir que d'un faux-semblant légal. Seule l'exécution du Roi comptait politiquement. A 24 l'opposé, la décision girondine d'adopter les règles formelles du processus judiciaire offre l'avantage d'affirmer un principe qui gouverne toujours les sociétés démocratiques et qui affirme que nul ne peut être jugé, condamné et exécuté sans un minimum de garanties légales. C'est en cela peut être que l'exécution de LOUIS XVI nous est moins odieuse que l'assassinat des ROMANOV par les bolcheviks. Le procès du Roi durera jusqu'au 20 janvier 1793. Les Girondins s'efforceront de sauver le Roi, sans paraître toutefois favoriser ainsi un retour de la monarchie. Louis XVI, assisté de ses avocats, MALESHERBES, DE SEZE et TRONCHET aura la parole en dernier. Les votes commencèrent à partir du 16 janvier; Louis fut déclaré coupable de conspiration par 683 voix c'est à dire par une écrasante majorité. L'appel au peuple pour faire ratifier la sentence fut repoussé par 424 voix contre 287. La mort fut votée par 387 Conventionnels sur 721 soit une majorité de 53 voix. D'aucuns ont cru pouvoir affirmer que la mort n'avait été votée qu'à une voix de majorité; ceci n'est pas exact; 387 conventionnels ont bien voté la mort mais 26 d'entre eux l'ont assortie du sursis à exécution. Si l'on retranche ces 26 conventionnels des 387 partisans de la peine capitale, on obtient effectivement 361 voix pour la mort immédiate et 360 voix contre la mort ou pour la mort avec sursis. Il n'en reste pas moins que 387 conventionnels se sont prononcés en faveur de la mort. Robert et Thomas LINDET avaient voté la mort et contre le sursis. Louis fut exécuté le 21 janvier 1793. Le procès du Roi ne fut rien d'autre que la mise en acte sous une apparence légale, du renversement de la monarchie de droit divin. Le procès politique que réclamait SAINT JUST a bien eu lieu. A-t'il encore quelque chose à voir avec l'idéal de justice? Robert LINDET dont l'intégrité morale et juridique n'est pas en cause s'imaginait-il qu'il avait ouvert la voie à tous les débordements qui fleuriront par la suite ? Octobre 1989 Patrice PETITJEAN, Procureur de la République à BERNAY