La pensée symbolique comme mobile et enjeu d'une liquidation
sentable, coprĂ©sence de l'infini et du fini, oĂč ils Ă©changent
leurs places et leurs qualités. Ainsi triplement défini, le
symbole nous permet d'abord de saisir un caractĂšre
constant de la premiĂšre philosophie grecque. Comme la
tragédie présente le symbole souffrant de l'homme/dieu, de
la loi réservée du genos et de la loi publique de la Cité, du
âtout savoirâ et du âne pouvoir rienâ, les Sages
potentialisent l'inconciliabilité de la pensée et de la vie, et
voulant dire ârien de tropâ, ne disent pas plus que deux
mots ; les premiers présocratiques cherchent les principes,
qui,
conservant quelque chose du mythe, soient pourtant
pleinement des concepts ; ils ne sont pas seulement des
penseurs, mais, comme l'avait compris Nietzsche, de
« belles possibilités de vie » ; Héraclite forge son
harmonie ajointant par discord, Empédocle son symbole
amour/haine, tous persuadés qu'ainsi, construisant des
corps de pensée, ils rivalisent dans la pensée avec les corps
concrets. Et mĂȘme de philosophe Ă philosophe, les
symboles ne manquent pas. Ainsi, le refus d'accumuler le
savoir chez Socrate s'oppose aux Ă©crits de Platon et Ă sa
confiance dans l'ascÚse indéfinie de la dialectique, mais la
condamnation de l'Ă©crit chez Platon s'oppose Ă raffinement
indéfini de la technique dialogique chez Socrate. La force
du symbole, secrĂšte et Ă©nigmatique, continuera de
s'affirmer mĂȘme chez Platon, dans la colonne lumineuse
aux multiples emboĂźtements harmoniques (RĂ©publique,
Livre X).
Pourtant, passé une certaine époque, on doit bien se
rendre Ă l'Ă©vidence : symbole, harmonie, phusis, mĂȘtis,
secret, retenue, refus d'accumuler... ne se rencontrent plus
qu'à l'état de traces, déjà incomprises, dépassées. Mais
l'Ă©volution, au lieu de se faire partout sans heurt, a dans
certains cas pris l'allure d'une lutte dans la théorie, et plus
précisément d'une rupture comme liquidation. Une pensée
consistante Ă©tant immortelle, on ne peut la faire disparaĂźtre
qu'en la liquidant, la liquéfiant, comme soudain se perd
une riviÚre, promise à résurgence. Liquider veut dire : faire
passer une pensée pour une autre, supposer de la continuité
lĂ oĂč il n'y en a pas, destituer la place de l'autre. Au
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Noesis n°2