Introduction à l’éthologie Pourquoi s’intéresser aux comportements animaux dans le cadre d’une formation vétérinaire ? Parce que soigner un animal, c’est en prendre soin, assurer sa santé physique, mais plus largement son bienêtre, ce qui passe par le respect de ses besoins fondamentaux, dont fait partie la possibilité d’exprimer des comportements propres à l’espèce, qu’il faut donc apprendre à connaître. De même qu’il faut apprendre à connaître les comportements qui expriment un mal-être chez les diverses espèces que l’on peut être amené à « soigner ». Éthologie = étude biologique* des comportements animaux (y compris humains), dans l’environnement dans lequel ils vivent (naturel ou non). * Méthode scientifique = méthode empirique d’acquisition de connaissances permise par la répétabilité du phénomène étudié : des observations rigoureuses mènent à la formulation d’hypothèses sur les phénomènes observés, que l’on peut ensuite tester par de nouvelles observations ou par des expérimentations, ce qui peut conduire à l’élaboration de théories. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 01- Histoire et théories en éthologie Pourquoi parler théorie ? Parce que toute étude scientifique est effectuée dans le cadre d’une théorie. Par exemple, nous admettons tous que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil alors que c’est le soleil que nous voyons tous les jours traverser le ciel et que nous n’avons pas l’impression de tourner. D’ailleurs, aucun être humain n’a jamais vu la terre tourner autour du soleil… Mais une fois admise, une théorie tend à devenir « transparente », c'est-à-dire qu’on ne voit plus qu’il s’agit d’une théorie, et on a l’impression qu’il s’agit de faits bruts, observables, palpables, ce qui est évidemment faux pour cette théorie héliocentrée, qui est particulièrement contre-intuitive… Cette invisibilité est préjudiciable, car on en oublie que toute théorie doit pouvoir être révisée, aménagée ou même abandonnée (comme ce fut le cas pour la théorie géocentrée, selon laquelle tout tournait autour de la terre). Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Évolution des espèces On fait souvent remonter l’histoire de l’éthologie à Aristote (-384-322), qui a écrit une imposante « Histoire des animaux », dans laquelle on trouve une description des mœurs de nombreuses espèces. Mais les premières recherches vraiment dédiées à l’étude des comportements animaux datent de la fin du XIXe siècle, et font suite à l’idée d’évolution des espèces, qui resurgit au début du XVIIIe siècle, avec la découverte de fossiles de squelettes ne ressemblant à aucun squelette d'animaux vivants. C’est Jean-Baptiste de Lamarck qui proposa une première théorie « transformiste », fondée sur l’idée de complexification des organismes et de diversification adaptative, c'est-à-dire de spécialisation des êtres vivants en de multiples espèces, sous l’effet des circonstances variées auxquelles ils sont confrontés. Puis Charles Darwin a ajouté à ces deux mécanismes ceux des variations spontanées et de la sélection naturelle. Ces idées suscitent un nouvel intérêt pour les ressemblances entre l'espèce humaine et les autres espèces animales, notamment en ce qui concerne les comportements, dans une perspective évolutionniste. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Behaviorisme Au début du XIXe siècle nait ainsi le « behaviorisme », ou « psychologie comparée », qui adopte l’idée d’une continuité entre les processus observés chez l'animal et chez l'humain. Son objectif était d’observer et de mesurer les comportements à l'aide des méthodes habituelles des sciences de la nature, et de rechercher les variables qui influencent ces comportements, en mettant l’accent sur les mécanismes en jeu à l’échelle de la vie de l’individu. Selon les behavioristes, les comportements sont façonnés par des conditionnements aux stimuli en provenance de l’environnement, et les études doivent donc porter sur le développement des comportements et sur l’apprentissage. L’idée était de prédire les comportements (y compris humains), mais aussi d’utiliser les méthodes d’apprentissage pour les contrôler et les orienter. Dans le cas des animaux, le « canon » de Conway Morgan a établi les premières fondations et les premières bases méthodologiques rigoureuses, en considérant que : « Nous ne devons en aucun cas interpréter un comportement animal comme relevant de processus psychologiques de haut niveau, si celui-ci peut être interprété comme relevant de processus de niveau inférieur sur l’échelle de l’évolution psychologique et du développement ». C’est ensuite John Watson qui invente le terme de behaviorisme et en établit les principes. Pour lui, la psychologie doit se concentrer sur les comportements observables et mesurables et non sur les états mentaux, qui sont inaccessibles (non seulement chez les animaux, mais aussi chez les humains, qui n’ont pas l'aptitude à en fournir une analyse scientifique). On ne peut donc pas invoquer les processus mentaux comme explication => ils sont assimilés à une boite noire. L’explication des comportements ne résiderait pas dans la subjectivité de l’organisme, mais dans des lois d’association simples, des mécanismes dont l’animal n’a pas conscience et sur lesquels il n’a aucun moyen d’action. Par exemple, des rats qui ont été entrainés à trouver leur nourriture au fond d’un petit couloir s’arrêtent à mi-chemin quand on double la longueur du couloir, et cherchent devant un mur invisible la nourriture qui se trouve en évidence un peu plus loin. Autre exemple : une sterne habituée à regagner son nid en évitant des buissons, continue à les « contourner » après qu’on les ait coupés… C’est Edward Thorndike qui introduit la notion de « loi de l’effet », selon laquelle tout comportement, même le plus complexe, apparaît au hasard et s’installe ou disparait selon les conséquences qu’il entraine, bonnes ou mauvaises. La connexion entre un stimulus et la réponse peut donc être soit renforcée, soit affaiblie selon ses conséquences. Cette loi de l’effet est à la base des apprentissages par renforcement. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Comme Watson, Thorndike considérait que l’explication du comportement résidait dans ces lois d’association. Il a ainsi montré que des chats enfermés dans une cage et attirés par de la nourriture placée à l’extérieur, finissaient, par hasard, par actionner le mécanisme permettant l’ouverture de la cage, et reproduisaient ensuite de plus en plus facilement ce comportement. Une fois qu’ils étaient habitués à actionner ce mécanisme pour sortir, ils persistaient à le faire, même pour sortir d’une cage qu’on avait ouverte en retirant tout un côté. Enfin, Burrhus Frederic Skinner a développé la notion de conditionnement « opérant »* proposée par Thorndike, et réalisé des conditionnements de plus en plus sophistiqués, surtout sur des rats ou des pigeons, notamment dans ses « boites de Skinner », qui sont des cages munies de dispositifs à actionner pour obtenir une récompense – ou éviter une « punition », comme un choc électrique par exemple. * Conditionnement opérant : apprentissage visant à augmenter ou réduire l’émission d’un comportement par un individu, en manipulant les conséquences (positives ou négatives) de ce comportement pour cet individu. Les principales critiques adressées au behaviorisme portent sur l’absence de prise en compte des caractéristiques spécifiques (propres à chaque espèce) des comportements : les behavioristes considéraient que les processus d’apprentissage étaient communs à toutes les espèces, y compris l’humain. Les critiques portent aussi sur les conditions expérimentales très appauvries dans lesquelles étaient faits leurs travaux, ce qui leur permettait de maitriser l'environnement expérimental et de contrôler séparément les stimuli devant agir sur les comportements, mais ce qui n’offrait pas la possibilité aux animaux expérimentaux d’exprimer des comportements très variés. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Éthologie objectiviste Ces critiques ont été surtout émises par le courant qui se développait parallèlement en Europe : l’éthologie objectiviste. Son objectif était d’étudier les comportements, mais aussi leurs fonctions, dans le cadre de la théorie de l’évolution des espèces, en mettant donc l’accent sur les comportements stéréotypés (instinctifs) propres à l’espèce et sur les mécanismes en jeu à l’échelle de l’évolution. L’idée était aussi d’expliquer les comportements humains à la lumière d’études sur les animaux. Konrad Lorentz est considéré comme le fondateur de l’éthologie avec Nikolaas Tinbergen et Karl von Frish (ils ont eu ensemble le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973), mais il a lui-même été très influencé par Oskar Heinroth (1871-1975), qui réalisa les premières études comparées de comportements. Pour les éthologistes objectivistes, l’étude des comportements animaux doit se faire dans leur environnement naturel (c’est une approche naturaliste) et par une étude comparative des comportements propres à chaque espèce. Cette focalisation sur ce qui est propre à l’espèce (et commun à tous les individus de cette espèce) conduit Lorentz à considérer les comportements comme essentiellement instinctifs (innés et héréditaires). Il propose un mode d’action mécaniste de l’animal, qu’il appelle « mécanisme inné de déclenchement » : un comportement se déclencherait par la conjonction d'une excitation interne élevée (le niveau de l’eau sur le dessin) et d'un stimulus externe correspondant (le poids), ce qui provoquerait le dépassement d’un seuil d'activation (l’ouverture de la valve par traction sur le ressort), et conduirait à la réponse instinctive caractéristique de l’espèce (dont l’intensité dépendrait à la fois du degré d’excitation interne et de l’intensité du stimulus). L’apprentissage modifierait juste le niveau des seuils d’activation. Nikolaas Tinbergen est connu pour ses travaux sur l’orientation chez les insectes et la communication chez le goéland argenté, notamment la mise en évidence de stimuli supra normaux (le poussin de goéland argenté picore plus un leurre exagéré de bec sans tête qu’une reproduction réaliste d’une tête de goéland). Mais Tinbergen est surtout célèbre pour avoir proposé (en 1963) une première synthèse théorique sur l’éthologie, dans laquelle il distinguait 4 questions fondamentales portant sur les déterminants des comportements, qui sont toujours d’actualité : Quelles sont les causes immédiates du comportement (mécanismes internes) ? Quelle est sa fonction (valeur de survie, de reproduction) ? Comment s'est-il mis en place au cours de l'ontogenèse ? Comment s'est-il mis en place au cours de la phylogenèse ? Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Écologie comportementale Aujourd’hui, l’éthologie tend à se scinder en deux pôles, avec des concepts et des méthodes propres : le premier pôle s’intéresse au « pourquoi », autrement dit aux fonctions des comportements. Il est représenté par l’écologie comportementale, qui est la théorie qui domine actuellement les études éthologiques. Son objectif est donc de déterminer les fonctions des comportements (qui sont supposés avoir été optimisés au cours de l’évolution), et de déterminer les pressions de sélection qui sont à l’origine de ces comportements. Elle prend bien sûr appui sur la théorie de l’évolution des espèces énoncée par Charles Darwin, selon laquelle les individus qui héritent de caractères favorables vivent et se reproduisent mieux que leurs congénères et transmettent ces caractères à leur descendance, conduisant à l’évolution des espèces par sélection naturelle. À sa suite, Julian Huxley a proposé la « théorie synthétique de l’évolution », synthèse des théories de l’hérédité, de la génétique des populations et de l’évolution par sélection naturelle. Pour lui, les êtres vivants s’améliorent au cours de l’évolution, par « une élévation du plus haut niveau d'efficacité biologique, définie comme un contrôle et une indépendance accrus vis à vis de l'environnement ». L’écologie comportementale est fondée sur cette base par le livre de Nicholas Davis, John Krebs et Stuart West. Elle s’intéresse aux processus évolutifs ayant déterminé les comportements, conçus comme des stratégies permettant d’assurer la meilleure fitness (la meilleure réussite en termes de survie et de reproduction), sur la base de rapports coûts/bénéfices, d’investissements (dans la reproduction, dans l’élevage des jeunes), d’évaluations des risques et d’anticipations (des bénéfices attendus d’un comportement par rapport à un autre, ex : altruiste/égoïste). L’écologie comportementale est une éthologie comptable fondée sur la compétition entre individus d’une même espèce. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Éthologie cognitive En parallèle de l’écologie comportementale, on peut citer, pour le deuxième pôle s’intéressant aux mécanismes immédiats et ontogénétiques, l’éthologie cognitive, qui étudie les mécanismes mentaux (les facultés cognitives) associés à l’expression des comportements. Le terme « éthologie cognitive » a été proposé par Donald Griffin qui a étudié l’écholocation chez les chauves-souris, et pour qui les comportements des animaux sont guidés par des processus cognitifs complexes, particulièrement dans le domaine social. Pour Griffin, ces processus génèrent des images mentales, des représentations intériorisées d'objets ou d'événements, des états mentaux portant sur le monde (= définition de l’intentionnalité). L’éthologie cognitive tente donc d’ouvrir la « boite noire » des behavioristes, suite au développement de l’informatique et de l’intelligence artificielle, qui introduisent en éthologie la notion de traitement de l’information. Jacques Vauclair, par exemple, envisage les caractéristiques de la pensée animale comme un traitement de l’information reçue du monde extérieur, visant à fournir des réponses appropriées aux problèmes posés par l’environnement. Contrairement à cette approche dominante en éthologie cognitive, qui utilise la métaphore de l’ordinateur, d’autres auteurs, comme Francisco Varela, considèrent que les organismes vivants spécifient eux-mêmes, par leur constitution et leur activité, ce à quoi ils sont sensibles dans leur environnement. Pour lui, il n’y a pas de traitement d’informations qui seraient indépendantes de l’animal, il y a émergence simultanée, pour cet animal, d’une expérience subjective et d’un monde de significations, à partir de l’histoire des relations entre cet animal et son environnement. Ces approches en éthologie cognitive feront l’objet du cours sur la cognition animale… Ce qu’il faut retenir de cette partie théorique, ce n’est pas tant l’aspect historique de ces approches, qui supposerait une « évolution » (dans le sens d’amélioration) des théories sur le comportement. C’est plutôt le lien étroit entre contexte historique, culturel, socioéconomique, etc… et approches théoriques. Par exemple, Lorentz reprochait aux behavioristes de vouloir justifier leurs idées « démocrates » par leurs études sur l’apprentissage et le conditionnement, qui devaient permettre d’améliorer les conduites humaines, pendant que lui-même, peu hostile au régime nazi, insistait sur le caractère inné des comportements. Aujourd’hui, dans une société dominée par la compétition économique, l’éthologie est dominée par l’approche économique de l’écologie comportementale, et l’éthologie cognitive est dominée par la métaphore de l’ordinateur… Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que la science est une activité humaine et qu’elle n’est donc, ni dans ses causes ni dans ses effets, une entité indépendante de la société… Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 02- Méthodes d’étude On peut étudier les comportements en utilisant des approches descriptive, comparative ou expérimentale. La description est indispensable, mais ne suffit pas dans une recherche d’explication. On utilise donc les approches comparative ou expérimentale (comme le faisaient les behavioristes ou les éthologistes objectivistes) pour faire des hypothèses sur les phénomènes en jeu. Quelle que soit l’approche, les comportements peuvent être décrits par des observations directes ou indirectes. Les observations directes peuvent se faire en laboratoire (behavioristes), en semi-captivité (éthologistes objectivistes) ou en immersion dans le milieu naturel. Cette méthode s’est considérablement développée dans les années 70, avec l’essor de l’écologie comportementale, qui, s’intéressant essentiellement à la fonction des comportements, a besoin de les étudier dans leur environnement naturel. À cette époque, de plus en plus de femmes se sont mises à participer à cette discipline, et (bizarrement…) se sont intéressées aussi au rôle des femelles dans les espèces étudiées. Ceci a permis de relativiser certains résultats précédents (obtenus pas des hommes) n’accordant aux femelles que des rôles de second plan ou très spécifiques, comme l’élevage des jeunes… une autre façon de voir que la science n’est pas une entité indépendante de la société. Actuellement, les observations indirectes se développent sans cesse et permettent d’obtenir des masses de données de plus en plus importantes : reconstitution de trajets par vidéo-tracking, localisations à distance par radiopistage puis par GPS (global positionning system), détections d’ultrasons (chauvessouris), tentative de distinguer différents comportements à l’aide de capteurs variés posés sur l’animal (accéléromètres = capteurs de mouvements), ou encore de voir ce qui est devant l’animal en lui posant une caméra embarquée, etc… Ces observations indirectes permettent d’obtenir de grandes quantités d’informations sur des animaux non dérangés par un observateur ou encore inaccessibles à l’observation, mais l’observation directe reste la source d’informations la plus riche. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT L’utilisation de l’observation directe nécessite d’utiliser des méthodes d’échantillonnage, comme l’a montré Jeanne Altmann, une mathématicienne qui accompagnait son mari dans ses études de terrain dans les années 70, et qui a publié un article qui reste une référence. La première méthode décrite est celle qui était utilisée jusqu’alors : Le ad libitum sampling consiste à noter tout ce qu’on voit entre tous les membres du groupe observé. Altmann montre que cette méthode surestime systématiquement les comportements les plus spectaculaires et ceux auxquels l’observateur est le plus attentif. Pas du tout standardisée, elle ne permet pas les comparaisons, ni entre observateurs, ni entre études... Elle peut quand même être utilisée pour une étude préliminaire, pour se faire une première idée des comportements qu’on va rencontrer, et construire un éthogramme, qui est l’ensemble des comportements d’intérêt pour la question posée, plus une catégorie « autres » (comportements non pris en compte dans l’analyse prévue) et une catégorie « indéterminé » (quand l’animal est hors de vue par exemple). Partant du principe qu’un observateur ne peut pas tout noter, Altmann propose que l’échantillonnage, au lieu de se faire de façon inconsciente, soit choisi en fonction des objectifs et donc des types de comportements à étudier. Elle distingue les comportements « états », qui durent un certain temps et dont la durée peut être informative, et les comportements « événements », qui sont fugaces et pour lesquels on va plutôt s’intéresser à la fréquence d’apparition. Les méthodes d’échantillonnage les plus couramment utilisées sont : Le scan sampling s’intéresse à des comportements « états » et s’apparente à une photographie de ce qui se passe dans le groupe à un moment donné. Les comportements manifestés par tous les individus en vue sont notés à intervalles de temps réguliers, cet intervalle entre deux scans devant être plus court que la durée des comportements étudiés. On peut alors considérer que le pourcentage de scans où un comportement a été noté est une bonne approximation du pourcentage de temps passé à effectuer ce comportement. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Une illustration d’observations par scan sampling, réalisées sur des chevreuils en enclos. Dans le cadre d’une étude de l’évolution des comportements des faons et de leurs mères entre 0 et 3 mois, un scan était effectué toutes les 10 min, avec notation du comportement de chaque animal en vue selon un éthogramme simplifié mettant l’accent sur les comportements durant généralement plus de 10 min => évolution des temps passés dans ces activités par les faons entre 0 et 3 mois, et comparaison de leur budget-temps à celui de leurs mères. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Le focal animal sampling permet d’étudier tous les types de comportements. Il s’agit de noter tous les changements de comportement d’un animal, au maximum deux (par exemple un couple mèrejeune) pendant une durée déterminée. L’idéal est de filmer, pour être précis et pouvoir revenir sur des comportements auxquels on n’avait pas pensé au début, par exemple. À condition d’avoir beaucoup de répétitions, cette méthode permet d’estimer les pourcentages de temps passés dans les différents comportements « états », ainsi que la fréquence des comportements « événements ». Cette méthode demande beaucoup de répétitions et beaucoup de temps pour l’analyse des films, et est très lourde en pratique. Alternative possible pour étudier des comportements « événements » : le all occurrences sampling, qui consiste à noter toutes les apparitions d’un type de comportement pendant une durée déterminée. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Une illustration d’observations par all occurrence sampling, réalisées entre les scans de l’étude sur l’ontogenèse des faons de chevreuil, avec un éthogramme beaucoup plus précis, pour étudier les interactions sociales entre les animaux d’un même enclos. Ces observations ont permis de déterminer les dates d’œstrus des chevrettes, à partir des fréquences d’apparition de comportements sexuels entre mâles et femelles (le rut ayant lieu en été, deux mois après la naissance des jeunes). Ce qu’il faut retenir, c’est la nécessité d’échantillonner les observations. Outre qu’elles permettent une standardisation des études, l’intérêt de ces méthodes est aussi qu’elles obligent à réfléchir en amont de la phase d’observation, pour déterminer précisément la question à laquelle on veut répondre et donc à quels comportements on s’intéresse. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 03- Déterminants des comportements Pour en revenir aux divers déterminants des comportements, le plus simple est de reprendre les 4 questions de N. Tinbergen, à savoir les déterminants immédiats, ontogénétiques, fonctionnels et phylogénétiques. 1er type de déterminants : déterminants immédiats Les déterminants immédiats peuvent être séparés en déterminants internes et déterminants externes à l’animal lui-même (même si Tinbergen n’envisageait comme déterminants immédiats que les mécanismes internes à l’animal). Les déterminants internes font intervenir des aspects génétiques, épigénétiques, endocrinologiques, neurologiques, etc… Les déterminants externes proviennent de l’environnement de l’animal : environnement social, interspécifique ou caractéristiques de l’habitat (abondance et distribution des ressources, refuges, etc…). On va illustrer ces différents déterminants par des exemples, et aussitôt relativiser leur rôle, en montrant aussi leurs limites. Génétiques (…) Exemple de déterminant génétique : deux lignées de souris sont très utilisées en laboratoire, la souris Balb/c et la souris C57/BL6. Elles se distinguent entre autres par leurs niveaux d’émotivité. Les souris Balb/c sont très émotives, passives en open-field (arène entourée de murs que la souris est sensée explorer), et ont un comportement maternel qualifié de "pauvre", alors que les souris C57/BL6 sont peu émotives, mobiles en open-field, et ont un comportement maternel qualifié de "riche". Le graphique montre par exemple les différences entre les deux souches dans un test d’open-field. Les Balb/c font plus de tentatives d’entrée dans l’open-field (= sans y entrer), se dressent moins sur leurs postérieurs, se déplacent moins et au final montrent une très faible attirance pour cet espace nouveau, contrairement aux souris C57/BLl6. On a donc une différence très nette de comportement entre ces deux lignées de souris, qui semble déterminée génétiquement. Mais ce qui est vrai quand l’open-field qu’on leur propose est une arène vide, ne l’est plus quand on leur propose une arène avec de la sciure fraiche ou avec un peu d’urine d’une souris non familière. Dans les deux cas, les souris Balb/c deviennent aussi exploratrices que les C57/BL6, qui restent égales à elles-mêmes, ce qui fait qu’on n’observe plus de différence entre les deux souches. => Tout comportement résulte d’interactions entre les caractéristiques génétiques et l’environnement. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Physiologiques Pour illustrer les déterminants physiologiques, voici l’exemple de brebis ovariectomisées qui ont été traitées par injections d’œstrogènes pendant 3 jours successifs (de façon à mimer l’imminence d’une mise-bas). Les brebis sont ensuite testées en présence d’un agneau pendant 10-min, après avoir reçu soit i) une stimulation vagino-cervicale (une simulation de mise-bas) ; ii) une injection dans les ventricules cérébraux d’une solution saline ; iii) une injection dans les ventricules cérébraux d’ocytocine, qui est connue pour être libérée en grande quantité pendant le travail de la mise-bas et pour être liée entre autres à l’allaitement et au comportement maternel. L’ocytocine, comme la stimulation vagino-cervicale, induit effectivement un comportement maternel chez les brebis testées, à condition qu’elles aient subi le traitement préalable aux œstrogènes. On a donc une forte influence des hormones sur le comportement maternel des brebis. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Physiologiques … Comme pour les effets génétiques, il faut souligner que rien n’est simple ou linéaire dans un organisme, et que si on a bien sûr des effets endocrinologiques sur les comportements, on a aussi des effets des comportements sur les équilibres hormonaux. Par exemple, des mâles de souris de Californie ont été entrainés à gagner de une à trois confrontations avec un mâle introduit dans leur cage et qu’on a handicapé pour s’assurer que le mâle résident gagne la confrontation (mâle introduit légèrement plus petit, sans expérience sexuelle, un peu sédaté et ayant expérimenté une ou deux défaites peu de temps avant). Les mâles résidents ont ensuite été testés, ainsi que des témoins non entrainés, lors d’une confrontation avec un mâle en pleine possession de ses moyens (un peu plus gros, avec de l’expérience sexuelle et avec l’expérience d’une victoire la veille du test). 1. La probabilité de gagner la confrontation lors du test est significativement plus grande après trois entrainements à la victoire, 2. le taux plasmatique de testostérone est augmenté chez les mâles ayant expérimenté au moins deux victoires pendant la phase d’entrainement (aucun effet sur le taux de corticostérone). Ce phénomène est connu sous le nom de « winner effect » : plus un mâle gagne et plus il a de chances de gagner les confrontations suivantes, ce qui est lié à une augmentation de son taux circulant de testostérone. Il a été montré chez plusieurs espèces, mais n’est pas systématique. Par exemple, on ne le retrouve pas chez la souris à pattes blanches (espèce du même genre Peromyscus, mais moins territoriale que la souris de Californie). Même chez la souris de Californie, il est surtout évident si la confrontation a lieu dans la cage (= sur le territoire) du mâle testé. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Déterminants externes à l’animal : environnement social Le rôle de l’environnement social sur le comportement est très bien illustré par une série d’expériences sur des rats qu’on met par groupes de 6 individus dans un dispositif où ils doivent plonger en apnée pour aller récupérer une croquette de nourriture, qu’ils doivent ensuite rapporter dans la cage de départ pour pouvoir la consommer (ils sont habitués progressivement au dispositif par le remplissage en plusieurs étapes du tunnel d’accès à la nourriture). Très rapidement émergent trois types de rats : 1/3 plongent et se font voler la nourriture en retournant dans la cage de départ, 1/4 plongent et réussissent à consommer leur nourriture sans se la faire voler, 42% rackettent ceux qui plongent, ces derniers devenant ainsi « approvisionneurs », et replongeant pour récupérer de la nourriture à chaque fois qu’ils se la font voler. Sachant qu’ils réussissent tous le test de la plongée quand ils sont testés seuls, on a bien un rôle de l’environnement social sur le comportement des rats. Plus intéressant : ces rôles ne sont pas immuables. Si on constitue des groupes ne contenant que des rats « approvisionneurs » (prélevés de plusieurs groupes une fois les rôles bien établis), on fait rapidement réémerger les deux catégories « approvisionneurs » et « racketteurs ». Quant aux groupes composés uniquement de « racketteurs », ils donnent lieu, après de longues minutes d’hésitations, à l’émergence d’un ou deux rats « approvisionneurs », les autres refusant toujours de plonger. Une partie des « approvisionneurs » deviennent donc facilement des « racketteurs », mais ceux qui étaient auparavant des « racketteurs » ont beaucoup de difficultés à changer de rôle… Ces résultats semblent assez bien expliqués par des différences d’anxiété des rats vis-à-vis du problème qu’on leur pose. Si on traite certains rats avec du diazépam (anxiolytique) pendant la phase d’habituation au remplissage progressif du tunnel, ils deviennent plongeurs à 80%. Si on traite par l’anxiolytique les 6 rats d’un groupe pendant les 5 jours précédant l’expérience, on observe une diminution de la quantité de croquettes perdues, alors que le nombre de tentatives de vol reste inchangé. Dans ce cas, il semble que les rats soient moins stressés par les interactions sociales agonistiques, et que chacun défende plus efficacement sa nourriture. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Déterminants externes à l’animal : habitat Le dernier exemple de déterminant immédiat porte sur l’effet de l’habitat. Voici les résultats d’une étude qui a comparé les comportements de porcelets élevés, soit dans un environnement précoce classique en élevage industriel (sur caillebotis, avec une mère extrêmement contrainte dans ses mouvements), soit dans un box un peu plus grand, sur paille, avec une mère libre de ses mouvements. Pendant les 4 semaines passées avec leur mère, les porcelets tendent déjà à avoir plus de jeux sociaux (contacts du groin, poussées de la tête ou de l’épaule) dans l’environnement enrichi que dans le classique. Ils sont ensuite tous traités pareil (installés en groupes de 2 portées dans des box sur caillebotis) et on ne trouve pas d’effet de l’environnement précoce sur les interactions agonistiques après ce regroupement. A 3 et 6 mois, on les soumet 4 par 4 à un test de compétition alimentaire et on retrouve une corrélation entre leur environnement précoce et la fréquence des interactions agonistiques pendant le test, les porcelets élevé dans l’environnement classique ayant significativement plus d’interactions agonistiques que ceux élevés dans l’environnement enrichi. On a donc un effet durable de l’environnement précoce sur les relations entre animaux, ce qui nous amène directement vers le deuxième type de déterminant : l’ontogenèse. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 2e type de déterminant : l’ontogenèse La plupart des comportements se mettent en place ou s’affinent au cours du développement individuel (= ontogenèse). Certaines modifications comportementales sont dues à la maturation des systèmes nerveux, sensoriel, locomoteur (maturations précoces), reproducteur (à la puberté)… D’autres sont dues à l’expérience acquise au cours du développement et correspondent à des apprentissages. Par exemple, un très jeune poussin aura tendance à se tapir à la vue de tout objet volant, mais il s’habituera petit à petit aux plus fréquentes de ces perturbations, en tout cas si elles ne sont associées à rien de plus inquiétant. Il continuera à se tapir à la vue de formes plus rares, comme celle d’un oiseau de proie, par exemple. Un autre exemple, qui associe maturation et apprentissage, est celui des mouflons méditerranéens. Le mouflon est un mouton sauvage, caractérisé par sa grégarité et par une ségrégation des sexes marquée en dehors du rut (qui a lieu en automne). Une étude réalisée sur une population sauvage montre par exemple que 96% des animaux observés en hiver étaient dans des groupes d’environ 5-6 individus, mais que 28% seulement de ces groupes contenaient des adultes des deux sexes. Dans cette étude, on les a attirés sur un poste de nourrissage, de façon à ce que plusieurs groupes s’y rejoignent, permettant d’observer les interactions sociales. Quand on compare les interactions observées aux interactions attendues, c’est à dire à celles qu’on aurait observées si elles se répartissaient entre les classes de sexe et d’âge au prorata du nombre d’individus présents, on voit que les interactions entre femelles sont plus rares qu’attendu, alors que les interactions entre mâles adultes sont beaucoup plus fréquentes qu’attendu, les interactions entre mâles et femelles étant aussi plus fréquentes qu’attendu. La ségrégation des sexes en dehors du rut pourrait donc s’expliquer par la recherche d’interactions chez les mâles, alors que les femelles semblent les éviter. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT On a cherché à connaitre l’origine de ces préférences en étudiant l’ontogenèse sociale (sociogenèse) de jeunes agneaux entre 0 et 3 mois (en captivité). Les observations ont montré que les agnelles approchent et suivent leur mère plus que les agneaux mâles, surtout à partir de 5 semaines. Et surtout, les interactions entre agneaux évoluaient différemment chez les jeunes mâles et les jeunes femelles. Pendant leur première semaine, les agneaux manifestent surtout des jeux locomoteurs, d’abord seuls puis à plusieurs (secouent la tête, sautent, courent), puis apparaissent et se multiplient des interactions de type sexuel (kicking, twisting, monte) et de type agonistique fort (coup de tête sur le corps, charge, poussée tête contre tête, clash tête contre tête). Ces interactions se développent beaucoup plus chez les mâles que chez les femelles, qui montrent par contre de plus en plus d’évitements. On a donc des différences très précoces d’attirance pour certaines interactions sociales entre mâles et femelles et il se pourrait que cette différence soit à l’origine de la ségrégation des sexes observée chez les adultes. Dans cet exemple détaillant l’émergence de différences entre mâles et femelles au cours de l’ontogenèse, on a certainement un déterminant endocrinologique sous-jacent. En fait, toute différenciation entre individus avec l’âge est reliée à des déterminants immédiats, comme la physiologie, l’habitat, l’environnement social, etc… Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 3e type de déterminant : les fonctions… La première nécessité d’un organisme vivant étant de vivre, et la première nécessité de son espèce étant que certains au moins de ses représentants se reproduisent, il est logique qu’on puisse associer une fonction de survie ou de reproduction à beaucoup de comportements. Par exemple, le comportement maternel de la brebis a évidemment une fonction pour la reproduction et donc pour le maintien de l’espèce. Cependant, comme Darwin lui-même l’écrivait dans « L’évolution des espèces », il ne faudrait pas voir partout des adaptations, contrairement à ce qu’on fait trop couramment aujourd’hui... Voici un exemple qui va d’amblée relativiser le rôle des fonctions comme déterminant des comportements. Les gazelles et le guépard sont des espèces pouvant courir à grande vitesse et on lit souvent que la sélection naturelle aurait retenu les gazelles qui couraient de plus en plus vite pour échapper au guépard, et les guépards qui couraient de plus en plus vite pour pouvoir capturer des gazelles. Cette « course aux armements » expliquerait donc les qualités de sprinters des gazelles et des guépards actuels. Le problème posé par cette explication est que le genre Acinonyx — le genre auquel appartient le guépard — est seulement vieux de 3 millions d’années, alors que le genre Gazella est vieux de 14 millions d’années. La capacité de la gazelle à échapper au guépard n’est donc pas une adaptation, c'est-à-dire un trait mis en place par la sélection naturelle pour sa fonction de survie*, mais ce que Stephen Jay Gould et Elisabeth Vrba ont nommé une « exaptation » : un trait qui ne doit pas son existence au rôle qu’il joue actuellement. Il existe de nombreux exemples d’exaptations, comme les plumes et les os pneumatisés des oiseaux, qui leur ont permis de voler, mais qui ne sont pas des adaptations au vol, puisque les oiseaux ont hérité leurs plumes de leurs ancêtres qui étaient de petits dinosaures théropodes qui ne volaient pas, et que tous les théropodes possédaient déjà des os pneumatisés (y compris Tyrannosaurus rex). * D’un point de vue chronologique, la capacité du guépard à capturer des gazelles à la course pourrait être une adaptation, mais il faut souligner que, même si le guépard avait un ancêtre qui courait moins vite que lui, il avait les moyens de capturer assez de proies pour assurer la survie de son espèce, sans quoi elle aurait disparu sans donner naissance au guépard actuel. Cet ancêtre chassait peut-être, comme les félins actuels, dans un habitat moins ouvert que celui que le guépard peut utiliser grâce à ses capacités de coureur. Rien ne permet d’affirmer qu’une espèce actuelle soit plus adaptée à son environnement que ne l’étaient les espèces dont elle est issue. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 4e type de déterminant : la phylogenèse Il n’est pas facile d’étudier la phylogenèse des comportements, qui laissent peu de traces. Les travaux sur la phylogenèse des comportements consistent le plus souvent à comparer les comportements remplissant la même fonction chez des espèces apparentées et d’apparition plus ou moins ancienne. Par exemple, la danse des abeilles domestiques se fait dans l’obscurité et sur une surface verticale (alors qu’elle indique une direction horizontale). Karl von Frisch a cherché l’origine de cette danse chez une petite abeille asiatique ancienne, qui danse sur la partie supérieure, horizontale et éclairée, de son nid posé sur une branche. Elle le fait sans bourdonnements, mais avec l’abdomen relevé très haut. Il existe en fait une grande diversité de danses chez les abeilles. Certaines, du genre Trigona (primitives), une fois chargées de nectar, s’agitent sans ordre apparent en bourdonnant dans une fréquence aiguë. C’est l’odeur présente sur la butineuse qui guide les recrues. D’autres abeilles du même genre déposent une phéromone à intervalles de quelques mètres entre la source et le nid, et la pionnière guide elle-même les recrues. Enfin, certaines abeilles du genre Melipona renseignent sur l’éloignement du lieu de récolte par la durée des bourdonnements, font de faux départs vers la source puis guident elles-mêmes les recrues (les faux départs pourraient être à l’origine de la danse de l’abeille domestique). Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Ce qu’il faut retenir de cet inventaire des types de déterminants, c’est que le comportement est un intégrateur de nombreux paramètres, actuels et historiques (à deux échelles de temps). La phylogenèse a façonné les caractéristiques de l’espèce, et donc sa niche écologique, c'est-à-dire l’environnement dans lequel il lui est possible de vivre et se reproduire avec ses caractéristiques (morphologiques, physiologiques, neurologiques, génétiques…). À une autre échelle de temps, l’ontogenèse façonne, dans un environnement donné et dans la limite des caractéristiques de l’espèce, celles de l’individu, et détermine en partie l’environnement immédiat dans lequel il peut vivre et se reproduire, et sur lequel il peut aussi avoir un impact en le modifiant par ses activités, une population entière pouvant donc avoir ainsi un impact significatif sur son environnement. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT 04- Comportements et niche écologique Classification des comportements : On distingue généralement les comportements suivants : Alimentaire => les animaux peuvent être végétariens / omnivores / carnivores / détritivores Les végétariens peuvent être : herbivores / granivores / frugivores / nectarivores Les herbivores peuvent être : brouteurs / cueilleurs Spatial => les animaux peuvent vivre sur des domaines / territoires (domaines défendus) / en colonie Ils peuvent être sédentaires / migrateurs Social => ils peuvent être solitaires / grégaires Ils peuvent constituer des groupes instables / stables / avec une spécialisation des rôles Les interactions dans les groupes peuvent être agonistiques/ affiliatives Reproducteur => leur système de reproduction peut être monogame / polygame Ils peuvent se reproduire sur un territoire / en harem / en promiscuité Les jeunes peuvent être nidifuges / nidicoles Les soins aux jeunes peuvent être assurés par personne / le mâle / la femelle / les deux / la colonie Autres comportements (moins étudiés) Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Écologie et comportements : niche écologique Tous ces comportements sont liés entre eux. Il est clair qu’une espèce dont les jeunes sont nidicoles présente nécessairement des comportements de soins aux jeunes. Par ailleurs, les comportements alimentaire, spatial, social et reproducteur sont souvent liés, de même qu’ils sont liés aux autres caractéristiques (non comportementales) de l’espèce. Par exemple, Peter Jarman a proposé en 1974 une relation entre la taille des antilopes africaines et leur habitat, leur régime alimentaire, leur comportement anti-prédateur et leur système de reproduction et d’élevage des jeunes. Il y a bien sûr des exceptions, mais on observe globalement un gradient entre, d’une part, les petites espèces (comme l’ourébi) qui vivent en milieu fermé, ont une alimentation à base de végétaux riches mais dispersés dans l’habitat, un comportement anti-prédateur qui repose sur le camouflage, vivent donc plutôt solitaires ou en couples, ont des jeunes nidicoles et un système de reproduction territorial ; d’autre part, de grosses espèces (comme le buffle) qui vivent en milieu ouvert, ont une alimentation à base de végétaux plus pauvres mais abondants, forment de grands groupes avec un comportement anti-prédateur qui repose sur la détection et la fuite (voire la défense active), leurs jeunes sont nidifuges et leur système de reproduction peut être de type harem ou promiscuité. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Éthologie appliquée aux relations animal-humain Les relations entre humains et animaux sont de plusieurs ordres, selon l’utilisation et donc l’image que se font les humains des animaux classés en catégories : d’un côté les animaux sauvages, qui peuvent être libres ou maintenus en captivité (espèces protégées, gibiers, nuisibles, ou sans statut), de l’autre les animaux domestiques, parmi lesquels on trouve les animaux de rente, de travail et de compagnie (y compris les NAC). Les espèces domestiques étant bien sûr issues d’espèces sauvages, elles sont passées par une phase plus ou moins longue de domestication, fortement associée à la sélection artificielle de caractères recherchés/évités. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Un exemple récent de domestication par sélection artificielle est celui des renards russes. Dmitri Belyaev a fondé en Union Soviétique une population de renards, à partir de 30 mâles et 100 femelles provenant d’élevages pour la fourrure, et il a sélectionné, à chaque génération et sur le seul critère de familiarité, les 4 à 5% de mâles et les 20% de femelles les moins farouches. L’idée étant de sélectionner seulement sur la génétique, les animaux étaient tous élevés dans les mêmes cages : avec leur mère jusqu’à 2 mois, puis 1 mois entre jeunes de la même portée, puis isolés. Ils n’étaient pas stimulés par des humains, mais ils étaient soumis à des tests : une fois par mois à partir d’un mois de vie, on leur proposait de la nourriture à la main en tentant de les caresser et de les manipuler. À 7 ou 8 mois, ils étaient classés selon leur degré de familiarité : classe 1. évitent le contact et refusent la manipulation (mordent) ; classe 2. acceptent la manipulation ; classe 3. répondent positivement à la manipulation (remuent la queue, glapissent). À la 6ème génération, ajout d’une 4ème classe: glapissent pour attirer l’attention, flairent et lèchent les expérimentateurs. À la 10ème génération, la classe 4 rassemblait 18% des renards, 35% à la 20ème, 70% à la 30ème génération. L’apparition de la peur de l’inconnu était repoussée de 6 semaines pour les non familiers à 9 semaines pour les plus familiers (8 à 12 semaines selon la race chez le chien). Ceci semble en relation avec le taux basal de corticostéroïdes : après 12 générations, ce taux avait presque diminué de moitié par rapport au groupe contrôle ; après 28 ou 30 générations, il avait encore chuté de moitié. Les familiers avaient aussi des taux de sérotonine plus élevés que le groupe contrôle. Comme l’avait supposé Belyaev, les modifications comportementales recherchées se sont accompagnées de modifications physiologiques et morphologiques (taches blanches sur le pelage dès la 8ème ou 10ème génération, oreilles ½ tombantes, queue enroulée, crâne plus petit), pouvant être reliées à une modification de la vitesse du développement embryonnaire, conduisant à une néoténie (conservation de caractères juvéniles au stade adulte), qu’on retrouve chez plusieurs autres espèces domestiquées. (Le fait que la sélection ait bien joué au niveau génétique a été vérifié par des croisements entre renards plus ou moins familiers, par des adoptions croisées de nouveau-nés et même par des transplantation d’embryons entre renardes plus ou moins familières => 35% de la variance de la familiarité des renards vis-à-vis des expérimentateurs serait déterminée génétiquement.) Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Pour finir sur l’éthologie appliquée, on peut dire qu’un des apports récents de l’éthologie a été d’aider à mieux comprendre des animaux que nous côtoyons pourtant depuis très longtemps, mais que nous avons surtout cherché à adapter à nos besoins, avant de chercher à comprendre les leurs. Par exemple, nous avons demandé à nos chiens de comprendre notre propre langage (nos ordres), bien avant d’étudier le leur. L’observation des comportements canins, ou félins, apporte pourtant de précieux éléments permettant d’améliorer nos relations interspécifiques, notamment afin d’éviter des situations potentiellement dangereuses. C’est aussi le cas avec les animaux de rente, dont une meilleure connaissance des comportements peut grandement aider à améliorer les relations entre animaux et éleveurs, et le bien-être des deux parties. Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Un dernier exemple est celui de l’entrainement médical des animaux (surtout oiseaux et mammifères) de parcs zoologiques. Cet entrainement est très proche d’un conditionnement opérant, mais avec ajout d’une demande de la part de l’entraineur. Première étape : enseigner à l’animal à venir toucher une cible (au bout d’un bâton) : 1. approcher la cible de la partie du corps la plus utilisée par l’espèce pour prendre contact avec quelque chose (la trompe pour un éléphant, le museau pour une otarie) et demander explicitement le mouvement (à la voix) ; 2. attendre ; 3. indiquer l’imminence d’une récompense dès l’amorce d’un rapprochement vers la cible (clicker, voix) et récompenser (nourriture appétente) ; 4. répéter souvent l’exercice. => le comportement demandé sera effectué de plus en plus facilement par l’animal. Étapes suivantes : se servir de la cible pour demander de nouveaux mouvements, par exemple, 1. approcher la cible du pied en demandant à l’animal de le lever ; 2. attendre pendant que l’animal, qui a compris qu’il doit faire quelque chose et cherche le mouvement qui sera récompensé, en essaie plusieurs ; 3. indiquer l’imminence de la récompense dès l’amorce du mouvement demandé et récompenser. Difficultés : 1. ne jamais récompenser les comportements non voulus, ni le comportement voulu s’il n’a pas été demandé ; 2. être observateur et très réactif pour indiquer l’imminence de la récompense au moindre mouvement allant dans le sens désiré (et devenir progressivement plus exigeant jusqu’à la réalisation du bon mouvement) ; 3. répéter l’exercice sans aller jusqu’à lasser ou exciter l’animal, sous peine de perdre son attention. Cet entrainement nécessite de fréquentes répétitions (quotidiennes) des exercices pour faciliter l’apprentissage (loi de répétition) et assurer les soins vétérinaires en cas de besoin. Dans les parcs zoologiques, les apprentissages sont ciblés en fonction des sensibilités de chaque espèce : otaries sensibles des yeux => se laisser examiner l’œil et appliquer du collyre ; éléphants sensibles des pieds => donner ses pieds et se laisser parer. Des apprentissages complexes sont possibles à condition de les segmenter en étapes simples, avant de les demander à la suite les unes des autres. Ces apprentissages peuvent bien sûr être utilisés sur les animaux de compagnie, ou de rente… Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT Merci de votre attention pour ce survol de ce qu’est l’éthologie et de ce qu’elle peut apporter à ceux qui sont au contact des animaux. Toutes les références données sur les diapositives sont accessibles librement (pour les articles, taper le titre sur Google Scholar donne accès au fichier.pdf). Marie-Line Maublanc, CEFS-INRA, février 2019 ENVT