LE RISQUE DANS LE CONTRAT ADMINISTRATIF OU LA NÉCESSAIRE
RECONNAISSANCE DE LA DIMENSION ÉCONOMIQUE DU CONTRAT
Thierry Kirat, Frédéric Marty, Laurent Vidal
De Boeck Supérieur | « Revue internationale de droit économique »
2005/3 t. XIX, 3 | pages 291 à 318
ISSN 1010-8831
ISBN 2804147568
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-
economique-2005-3-page-291.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.
© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
Revue Internationale de Droit Économique — 2005 — pp. 291-318
LE RISQUE DANS LE CONTRAT ADMINISTRATIF
OU LA NÉCESSAIRE RECONNAISSANCE
DE LA DIMENSION ÉCONOMIQUE DU CONTRAT
Thierry KIRAT* Frédéric MARTY** Laurent VIDAL***
Résumé : La question de la répartition des risques liés à l’exécution du contrat
administratif milite dans le sens du décloisonnement entre le droit et l’économie.
Pour cela, il faut que soit surmonté l’obstacle de la difficile communication entre la
théorie économique du risque et la sphère juridique ; cette dernière relève d’appro-
ches normatives ainsi que de pratiques administratives et jurisprudentielles indé-
pendantes de l’analyse économique. Il est donc vain de penser que les règles
juridiques incorporent une théorie économique de l’allocation des risques. Cela
n’empêche pas le droit positif du contrat administratif d’avoir mis en place une grille
de répartition des risques. Nous étudions cette grille en mettant en relation des
éléments tirés des cahiers des clauses administratives, de la jurisprudence adminis-
trative portant sur le contentieux du contrat (imprévision et sujétions imprévues) et
des avis des commissions spécialisées des marchés. Nous considérons que, à la
différence de ce que prédit le discours économique pur, il n’y a pas de solutions
optimales à la répartition des risques d’exécution. Nous suggérons des pistes de
réflexion sur la manière dont le contrat administratif pourrait, au travers des normes
et des pratiques administratives et jurisprudentielles qui le gouvernent, assurer une
allocation aussi peu imparfaite que possible des risques d’exécution.
1Introduction
2Le risque, une notion à géométrie variable
2.1 Risque(s) et économie
2.2 Risque(s) et droit du contrat administratif
*Chargé de recherche au CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire en socio-économie (Univer-
sité de Paris Dauphine).
** Chargé de recherche au CNRS, Centre de recherche en droit, économie, gestion (Université de Nice-
Sophia Antipolis).
*** Maître de conférences en droit public, Université de Paris I.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
292 Le risque dans le contrat administratif
2.3 Vie du contrat et facettes du risque
2.4 Le risque, une question pluridimensionnelle
3Le tissage de dispositifs autour du risque : cahiers des clauses, jurisprudence
administrative et commissions spécialisées des marchés
3.1 Les cahiers des clauses administratives générales
3.2 Le contentieux administratif
3.2.1 La structure du contentieux de l’exécution
3.2.2 Caractérisation et allocation des risques dans les arrêts du Conseil d’État
3.2.2.1 Les hausses de prix et la dévaluation de la monnaie
3.2.2.2 Le risque de sol
3.2.2.3 Les aléas météorologiques
3.2.2.4 L’exercice du pouvoir de modification unilatérale
3.2.3 Les enseignements de l’analyse du contentieux porté devant le Conseil
d’État
3.3 Les commissions spécialisées des marchés
3.3.1 Les pratiques d’évaluation des marchés et des avenants : les marchés
concurrentiels et les marchés négociés sont les bases de pratiques
différenciées
3.3.2 Conclusions et inquiétudes
4Questions ouvertes
4.1 Arbitrer entre des contraintes plurielles
4.2 Quelques orientations souhaitables
4.2.1 Développer les formules d’incitation et les clauses d’obligation de résultat
4.2.2 Réformer la réglementation relative aux « variations des conditions
économiques »
5 Conclusion
Summary
1INTRODUCTION
Quelle peut être la contribution de l’analyse économique à l’étude du contrat
administratif ? La question de la légitimité et de l’intelligibilité de l’analyse écono-
mique dans le domaine du droit français – notamment de la Law & Economics – a été
posée à de nombreuses reprises au cours des dernières années. La préoccupation du
présent propos n’est pas de contribuer au débat « pour ou contre » le recours à la Law
& Economics, en tant que tel, mais de soumettre certaines questions juridiques de
nature technique à des questionnements inspirés de l’économie, d’évoquer les
recherches empiriques que commandent ces questions et d’en déduire des enseigne-
ments1.
1. Voir en ce sens KOROBKIN (R.), « Empirical Scholarship in Contract Law : Possibilities and
Pitfalls », University of California, Los Angeles School of Law, Research Paper Series, Research
Paper n°01-22 ; POSNER (E.A.), « Economic Analysis of Contract Law after Three Decades :
Success or Failure ? », The University of Chicago Law School, John M. Olin Law & Economics
Working Paper, n°146 (2d series) ; LOMBARD (M.), « De Colbert à Posner : malentendus sur
l’économie du droit », International Law-FORUM du droit international, 6, 2004, p. 81-87.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
Le risque dans le contrat administratif 293
Nous entendons dans ce texte défendre une utilisation de l’économie du droit
raisonnée, circonstanciée et opérationnelle2 pour les juristes. Nous nous démarque-
rons de la vision commune adoptée par les économistes du droit qui voient dans cette
branche de l’analyse économique un système normatif d’évaluation – souvent
critique – du droit positif et de la doctrine3. Selon nous, le recours à l’économie doit
être entendu comme une aide à l’établissement d’une grille de lecture du droit du
contrat administratif, comme manière de l’interroger ou, dans des termes plus
savants, comme « heuristique »4.
Il s’agit plus particulièrement de rendre compte ici des résultats d’une recherche
menée pour le compte de la Mission de recherche Droit et Justice, travail interdisci-
plinaire effectué par des juristes et des économistes5. Cette étude, consacrée au risque
dans le contrat administratif, a autorisé à livrer plusieurs conclusions et à proposer
certaines recommandations. En particulier, après avoir démontré que la perception
du risque était fortement corrélée avec les problématiques et cadres d’analyse qui
l’accueillent (2), la recherche menée a consisté à rendre compte du traitement du
risque par différents dispositifs, qu’ils soient contractuels, réglementaires, légaux ou
jurisprudentiels (3). Certaines questions demeurent ouvertes (4).
2LE RISQUE, UNE NOTION À GÉOMÉTRIE VARIABLE
Il est important de souligner, selon nous, que le concept de risque est une construction
spécifique à différentes problématiques et cadres d’analyse. Les acceptions du risque
en économie et dans la jurisprudence administrative doivent être précisées.
2.1 Risque(s) et économie
Dans la littérature économique, le risque a toujours été considéré moins en tant que
tel qu’en liaison avec d’autres concepts par rapport auxquels il prend son sens.
2. Utilisation « relevante » pour employer le vocabulaire des économistes.
3. Ce qui est la voie privilégiée dans les travaux francophones qui font acte d’obédience à la Law &
Economics. Cf. MACKAAY (E.), Analyse économique du droit – I. Fondements, Montréal, coll.
Thémis, 2001 ; OGUS (A.) et FAURE (M.), Économie du droit : le cas français, Paris, Éditions
Panthéon-Assas, 2002.
4. Nous rejoignons en ce sens les propositions de LOMBARD (M.), 2004, op. cit. ainsi que celle de
FONTAINE (M.), « Synthèse et perspectives », in FONTAINE (M.) et VINEY (G.) dir., Les
sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles : études de droit comparé, Bruxelles,
Bruylant et Paris, L.G.D.J., Bibliothèque de la faculté de droit de l’Université catholique de Louvain,
tome XXXII, 2001.
5. Rapport disponible et consultable dans la bibliothèque des rapports de la Mission de recherche Droit
et Justice, http://www.gip-recherche-justice.fr/. Une version papier allégée et partiellement rema-
niée vient d’être publiée : KIRAT (T.) dir., Économie et droit du contrat administratif, Paris, La
Documentation française, 2005, 315 p.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
294 Le risque dans le contrat administratif
Ainsi, si l’on se réfère à la théorie de l’équilibre de concurrence parfaite portée
sur les fonts baptismaux par Léon Walras, l’ensemble des facteurs de production,
dont le capital, est rémunéré à sa productivité marginale. La conclusion du modèle,
paradoxale, est que le profit de l’entrepreneur ne peut être que nul, dès lors que la
structure des marchés est concurrentielle. Un tel paradoxe doit cependant être
nuancé. En effet, chaque facteur de production, y compris le capital investi, est
rémunéré à l’équilibre. Ainsi, il conviendrait plus de parler de « surprofit » que de
profit lato sensu. Reste toutefois que l’entrepreneur n’est pas davantage rémunéré
que s’il avait réalisé des investissements dans toute autre activité ou sur les marchés
financiers. Cette égalisation des taux de profit entre les différentes branches tient au
fait que si de nouvelles firmes peuvent facilement entrer sur le marché, un surprofit
enregistré dans une branche donnée va susciter l’arrivée de nouveaux compétiteurs
tant que le taux de profit ne s’abaissera pas au niveau qui est celui de l’ensemble de
l’économie.
C’est dans une autre tradition économique, celle des économistes dits « autri-
chiens », que l’on peut trouver une réponse au mystère de la rémunération de
l’entrepreneur : le surprofit est lié au processus de découverte qui anime le marché.
Il constitue la rémunération de ceux qui tirent profit de connaissances particulières
de temps et de lieu pour saisir des opportunités de profit6 ou la récompense de
l’innovation portée par l’entrepreneur7. Cependant, de façon encore paradoxale,
Joseph Schumpeter ne relie pas le profit de l’entrepreneur à l’assomption des
risques8. Se fondant sur la séparation des fonctions d’entrepreneur et d’apporteur de
capitaux9, il conclut à la prise en charge des risques financiers par le second : la prise
de risque n’est pas un élément de la fonction entrepreneuriale10.
Il faut en réalité remonter à Cantillon pour trouver la marque d’un lien entre le
profit et l’assomption des risques11. L’entrepreneur reçoit alors une définition qui
sera celle retenue par Frank Knight12 : il est celui qui prend à sa charge un risque non
assurable du fait d’un caractère « hors du commun » et d’un faible degré d’aversion
pour le risque. Dès lors, le profit réalisé par l’entrepreneur se définit à partir du risque
qu’il accepte de prendre à sa charge et des anticipations divergentes qu’il forme sur
le futur. Ces deux dimensions du lien entre risque et profit correspondent respecti-
vement aux apports de la théorie financière du risque et de la nouvelle
microéconomie.
6. HAYEK (F.A. von), « The Use of Knowledge in Society », American Economic Review, volume 35,
n°4, September 1945, p. 519-530.
7. SCHUMPETER (J.A.), The Theory of Economic Development, Cambridge, Massachusetts, 1934.
8. KANBUR (S.M.), « A note on Risk Taking, Entrepreneurship and Schumpeter », History of
Political Economy, volume 12, n°4, Winter 1980, p. 489-498.
9. REDLICH (F.), « Towards the Understanding of an Unfortunate Legacy », Kyklos, 19, 1966, p. 709-
718.
10. SCHUMPETER (J.A.), op. cit., p. 137.
11. CANTILLON (R.), Essai sur la nature du commerce en général, [1755], Quissac, Dusserre-Telmon,
2000, 245 p.
12. KNIGHT (F.H.), Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, 1921.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
1 / 29 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !