294 Le risque dans le contrat administratif
Ainsi, si l’on se réfère à la théorie de l’équilibre de concurrence parfaite portée
sur les fonts baptismaux par Léon Walras, l’ensemble des facteurs de production,
dont le capital, est rémunéré à sa productivité marginale. La conclusion du modèle,
paradoxale, est que le profit de l’entrepreneur ne peut être que nul, dès lors que la
structure des marchés est concurrentielle. Un tel paradoxe doit cependant être
nuancé. En effet, chaque facteur de production, y compris le capital investi, est
rémunéré à l’équilibre. Ainsi, il conviendrait plus de parler de « surprofit » que de
profit lato sensu. Reste toutefois que l’entrepreneur n’est pas davantage rémunéré
que s’il avait réalisé des investissements dans toute autre activité ou sur les marchés
financiers. Cette égalisation des taux de profit entre les différentes branches tient au
fait que si de nouvelles firmes peuvent facilement entrer sur le marché, un surprofit
enregistré dans une branche donnée va susciter l’arrivée de nouveaux compétiteurs
tant que le taux de profit ne s’abaissera pas au niveau qui est celui de l’ensemble de
l’économie.
C’est dans une autre tradition économique, celle des économistes dits « autri-
chiens », que l’on peut trouver une réponse au mystère de la rémunération de
l’entrepreneur : le surprofit est lié au processus de découverte qui anime le marché.
Il constitue la rémunération de ceux qui tirent profit de connaissances particulières
de temps et de lieu pour saisir des opportunités de profit6 ou la récompense de
l’innovation portée par l’entrepreneur7. Cependant, de façon encore paradoxale,
Joseph Schumpeter ne relie pas le profit de l’entrepreneur à l’assomption des
risques8. Se fondant sur la séparation des fonctions d’entrepreneur et d’apporteur de
capitaux9, il conclut à la prise en charge des risques financiers par le second : la prise
de risque n’est pas un élément de la fonction entrepreneuriale10.
Il faut en réalité remonter à Cantillon pour trouver la marque d’un lien entre le
profit et l’assomption des risques11. L’entrepreneur reçoit alors une définition qui
sera celle retenue par Frank Knight12 : il est celui qui prend à sa charge un risque non
assurable du fait d’un caractère « hors du commun » et d’un faible degré d’aversion
pour le risque. Dès lors, le profit réalisé par l’entrepreneur se définit à partir du risque
qu’il accepte de prendre à sa charge et des anticipations divergentes qu’il forme sur
le futur. Ces deux dimensions du lien entre risque et profit correspondent respecti-
vement aux apports de la théorie financière du risque et de la nouvelle
microéconomie.
6. HAYEK (F.A. von), « The Use of Knowledge in Society », American Economic Review, volume 35,
n°4, September 1945, p. 519-530.
7. SCHUMPETER (J.A.), The Theory of Economic Development, Cambridge, Massachusetts, 1934.
8. KANBUR (S.M.), « A note on Risk Taking, Entrepreneurship and Schumpeter », History of
Political Economy, volume 12, n°4, Winter 1980, p. 489-498.
9. REDLICH (F.), « Towards the Understanding of an Unfortunate Legacy », Kyklos, 19, 1966, p. 709-
718.
10. SCHUMPETER (J.A.), op. cit., p. 137.
11. CANTILLON (R.), Essai sur la nature du commerce en général, [1755], Quissac, Dusserre-Telmon,
2000, 245 p.
12. KNIGHT (F.H.), Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, 1921.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 10/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 41.102.211.141)
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