tous les Grecs eurent des demeures fixes, et cette nouvelle situation leur donna
un nouveau génie.
Les Athéniens, dit Thucydide, renoncèrent les premiers à la vie errante. Comme
l’Attique était un pays stérile, les Grecs qui s’y réfugièrent furent moins exposés
aux incursions des étrangers. Leur pauvreté leur valut un repos qui attira parmi
eux de nouveaux habitants. Leurs passions en se développant, donnèrent
naissance à l’industrie et aux lois, et leurs connaissances qui se multiplièrent
avec leurs besoins, se répandirent de proche en proche dans toute la Grèce.
L’histoire garde un profond silence sur cette seconde situation des Grecs, où
chacun de leurs hameaux formait une société indépendante ; elle est du moins si
mêlée de merveilleux, qu’on ne peut y donner aucune croyance. La Grèce fit
enfin une entreprise en commun, c’est le siége de Troie. Ce qu’on peut recueillir
d’Homère, c’est que ces différents peuples croyaient avoir une origine commune
; qu’ils entendaient peu la guerre, mais qu’ils avaient fait des progrès plus
considérables dans la science du droit des gens et du gouvernement, quoique
leurs mœurs fussent encore extrêmement barbares.
Au retour de l’expédition de Troie, la Grèce éprouva différentes révolutions. La
guerre y fit périr plusieurs peuples, on les exila de ce qu’ils commençaient à
nommer leur patrie. C’est ainsi que les Béotiens chassés d’Arne par les
Thessaliens, s’établirent dans la Cadméide, à laquelle ils donnèrent leur nom. Le
Péloponnèse changea de face par le rappel des Héraclides ; les peuples de cette
province vaincus ou effrayés, abandonnèrent leur pays ; et ces hommes qui
n’avaient pu défendre leurs possessions, furent assez forts ou assez braves pour
en conquérir de nouvelles. La Grèce se trouva pleine de peuples errants qui
voulaient se conquérir un asile, et ne pouvaient subsister que par le pillage. La
guerre en les détruisant, rétablit quelque apparence d’ordre : mais elle avait
multiplié les causes d’inimitié entre les Grecs et les avait accoutumés à n’écouter
que leur emportement, et à saisir le plus léger prétexte pour butiner sur les
terres de leurs voisins. Plus les suites de ces dissensions étaient fâcheuses, plus
la Grèce sentait le poids de la barbarie où elle se replongeait. Ses peuples ne
s’armant point encore par des motifs d’ambition, il était impossible qu’ils ne se
lassassent pas des maux que leur faisait la guerre. Les villes s’accoutumèrent
donc à traiter ensemble ; leur intérêt leur apprit à être justes ; on commença à
cultiver ses héritages avec moins de trouble, et plus une tranquillité passagère fit
connaître le prix d’une paix durable, plus on étudia les moyens de l’affermir.
Mais de soldats étant devenus citoyens, les Grecs eurent de nouveaux besoins et
de nouveaux intérêts, ils sentirent l’insuffisance de leurs anciennes institutions ;
il fallut faire de nouvelles lois, et ce changement de condition devait leur faire
éprouver des révolutions domestiques. C’est en effet dans ces circonstances, que
les rois, dont l’autorité avait été fort étendue à la tête de leur armée, se trouvant
réduits par la paix aux fonctions d’une simple magistrature, abusèrent de leur
crédit pour agrandir leur pouvoir, et tentèrent de dépouiller le peuple de ses
principales prérogatives, pour changer leur qualité de ministre des lois, en celle
de législateur. L’ambition unie à la rusticité des mœurs, n’avait point encore
trouvé le secret de se déguiser avec adresse, d’emprunter le masque de la
modération, et de marcher à son but par des routes détournées ; jamais
cependant elle n’avait eu besoin de plus d’art. Elle souleva des hommes pauvres,
courageux, et dont la fierté n’était point émoussée par cette foule de besoins et
de passions qui asservirent leurs descendants.